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BORDEAUX   octobre   2008
COLLOQUE NATIONALE   «  POUR UN ACCOMPAGNEMENT ETHIQUE DE LA PERSONNE EN GRANDE VULNERABILITE »  Intervention d’Eric FIAT
[object Object],[object Object],Ce que nous apprend la grande vulnérabilité, c’est que la volonté ne suffit pas. Car nous ne sommes ni des héros ni des saints. La grande vulnérabilité est plutôt usante, épuisante. Il est alors difficile, si nous sommes honnêtes, d’être toujours comme on doit être ou comme on voudrait être.
Les sables mouvants sont une bonne métaphore de cette fatigue.  Pour sortir des sables mouvants, vouloir ne suffit pas, il faut aussi et surtout la main d’autrui qui devient sol un peu solide pour nous aider à en sortir.  L’éthique est en mouvement, elle ne dicte pas de posture définitive. Elle trace un chemin avec quelques balises, sans donner de carte précise.
[object Object],[object Object],[object Object],[object Object],[object Object],[object Object],[object Object],[object Object]
LE PLUS FRAGILE, LE PLUS VULNÉRABLE, DE TOUS LES VIVANTS .  ,[object Object]
[object Object],[object Object]
« De grâce, ne donnez pas tout à l’un et rien à l’autre, tout à l’autre et rien à l’un. Faites en sorte d’assurer ce que les modernes appelleraient une sorte d’égalité des chances. »  Et Zeus de donner aux deux frères la besace. Les deux frères s’en vont. Zeus aurait bien voulu que ce fut Prométhée qui  fit le partage, mais chemin faisant, son frère, Epiméthée qui en a assez que le « grand patron », si j’ose ce crime de lèse-divinité, confie à Prométhée les tâches intéressantes et non à lui, dit à son frère : « Ecoute, laisse-moi faire le partage... J’ai compris – ce que Georges Marchais aurait qualifié d’«injonctions patronales » !
« La dikê doit m’inspirer : ne pas donner tout à l’un et rien à l’autre et tout à l’autre et rien à l’un. Laisse-moi faire le partage et, si tu veux, tu viendras en juger après, le corriger peut-être ! »  Prométhée se fait un peu tirer l’oreille et laisse Epiméthée, son frère, faire le partage.  Dans ce célèbre mythe, assez peu de choses nous sont dites sur ce que fut la lettre du partage.
Mais on peut imaginer que donnant la force au lion, il n’a pas besoin de lui donner une rapidité véritable, et que donnant la rapidité à la frégate, il n’a pas besoin de lui donner de carapace. La tortue qui a la carapace n’a pas besoin de cette capacité de changer couleur, qui va échoir au caméléon, lequel pouvant changer de couleur n’a pas besoin du venin qui sera donné à l’aspic et l’aspic ayant le venin n’a besoin ni de capacité de changer de couleur, ni de carapace, ni de force, ni de rapidité.
Epiméthée termine son ouvrage, . La dikê, justice ou équité en grec, l’a inspiré ! Prométhée son frère rapplique et lui demande si le partage s’est bien passé. « Je le crois, j’ai fait ce que disait Zeus, le Dieu des dieux. », lui répond-il. C’est alors que l’on vit arriver devant les deux frères celui que Platon, dans un autre dialogue, nous décrira comme un « bipède sans plume », c’est-à-dire un homme.   Car, certes, nous ne sommes pas les seuls bipèdes de la création, mais les autres ont des plumes et nous, généralement pas, sauf dans les circonstances que, heureusement, ma mère m’a défendu de nommer ici !   
Et Prométhée de demander à Epiméthée : « Et à lui, que vas-tu donner ? » Epiméthée ouvre sa besace : elle est vide! Etourderie d’Epiméthée qui n’est rien d’autre, si l’on veut, qu’une étourderie de la nature, laquelle fait venir l’homme au monde avec des besoins qu’il n’a même pas les moyens de satisfaire !  Sub specie naturæ , du point de vue du regard de la nature, l’homme apparaît comme le plus fragile, le plus précaire, le plus vulnérable, le plus dépendant de tous les vivants.
Notre pauvreté en instinct est une donnée anthropologique de base.  Certes, quand la nature donne à une bête un besoin, elle lui donne généralement en même temps le moyen permettant de le satisfaire.  Mais  à l’homme la nature a donné des besoins sans les moyens permettant de les satisfaire .  Nous avons besoin pour ne pas mourir de froid quand la bise fut venue de maintenir une certaine température corporelle. Nous avons cela en partage avec bien des vivants.
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Cela veut dire que la précarité, la vulnérabilité, la fragilité et surtout la dépendance ne sont pas des accidents qui arriveraient de l’extérieur à l’homme ou des dysfonctionnements. Ce sont des données anthropologiques de base
L’Homme étant en quelque sorte resté démuni, Prométhée résolut pour compenser l’étourderie de son frère, de dérober aux dieux trois éléments :  le feu à Héphaïstos, l’intelligence technique à Athéna et l’art politique à Zeus.  Il parvint à dérober le feu et l’intelligence technique, mais les appartements de Zeus étaient trop bien gardés, jamais il ne put lui voler l’art politique. Au total, Prométhée réalisa seulement les deux tiers de son projet. La société humaine hérita donc de la capacité de fabriquer et d’innover, mais sans l’art politique de bien en user. Il n’existe pas de régime politique parfait.
POUR UN ACCOMPAGNEMENT ÉTHIQUE Nous avons besoin d’abord de l’intelligence pratique, nécessaire-même si non suffisante- pour venir en aide aux personnes vulnérées. Nous avons besoin aussi, ensuite, d’autre chose.
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A ce moment-là, la Belle regarde la Bête dans les yeux. Elle ne lui adresse d’autre regard qu’un regard cognitif, identifiant comme on regarderait un objet. La Bête lui dit alors : « Ne me regardez pas ainsi, je ne puis supporter votre regard. Votre regard me brûle. Fermez votre porte ! » Alors, sur la musique de Georges Auric – ce film est définitivement un chef-d’œuvre –on voit de la fumée sortir du corps de la Bête.  Il y a des regards qui font fondre le sentiment de dignité comme neige au soleil.
La dignité ne se perd pas, elle ne peut pas se perdre puisqu’elle est intrinsèque à la personne humaine.  En revanche, ce qui peut se perdre, c’est le sentiment de sa dignité. Si vous ne rencontrez que des regards hostiles, des regards qui vous assignent à votre corporéité déficiente, vous avez l’impression que votre dignité se désactualise .
Et il y a un véritable danger de mécanisation du soin avec ce regard. Mécanisation qui vient, entre autre, du sous effectif et qui fait qu’on finit par laver une chambre et non plus une personne, qu’on en finit par nourrir un ventre et non plus honorer une personne. Car un soignant n’est pas une machine. On ne pourra jamais dire merci avec son cœur à une machine. Alors que reste-t-il à l’aidé à offrir ?
A la fin du film, la Belle accorde à la bête un autre regard. Regard d’amour ou regard de respect ? Je ne sais pas ! Mais se produit un petit miracle car des défroques de la Bête sort Jean Marais en beau prince : quel bel homme !  Ce que le regard de la Belle a produit sur la Bête, le regard de chacun d’entre nous au plus dépendant des dépendants, au plus vulnérable des plus vulnérables, au plus précaire des précaires peut le faire UN PEU.
Un peu parce qu’il ne faut pas avoir cette naïveté qui consiste à penser que si vous accordez un regard plein de respect et d’amour, ce sentiment de la dignité est sauf, quand bien même vous avez affaire à tel ou tel dont la vie est dévastée ou qui ne maîtrise plus rien, alors qu’il courait très vite, ou encore qui meurt très jeune. Non ! Il s’agit là d’ un optimisme qui n’est que la caricature d’une espérance qui n’a pas connu les larmes.
« Le secret de ma dignité se trouve dans le regard que l’Autre porte sur moi. Et ma dignité est intacte, préservée des atteintes de l’âge, de la pauvreté, de la maladie, de la décrépitude, et même de la mort si autrui me fait la grâce d’un regard respectueux. »

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Eric Fiat Bordeaux 2008

  • 1. BORDEAUX octobre 2008
  • 2. COLLOQUE NATIONALE « POUR UN ACCOMPAGNEMENT ETHIQUE DE LA PERSONNE EN GRANDE VULNERABILITE » Intervention d’Eric FIAT
  • 3.
  • 4. Les sables mouvants sont une bonne métaphore de cette fatigue. Pour sortir des sables mouvants, vouloir ne suffit pas, il faut aussi et surtout la main d’autrui qui devient sol un peu solide pour nous aider à en sortir. L’éthique est en mouvement, elle ne dicte pas de posture définitive. Elle trace un chemin avec quelques balises, sans donner de carte précise.
  • 5.
  • 6.
  • 7.
  • 8. « De grâce, ne donnez pas tout à l’un et rien à l’autre, tout à l’autre et rien à l’un. Faites en sorte d’assurer ce que les modernes appelleraient une sorte d’égalité des chances. » Et Zeus de donner aux deux frères la besace. Les deux frères s’en vont. Zeus aurait bien voulu que ce fut Prométhée qui fit le partage, mais chemin faisant, son frère, Epiméthée qui en a assez que le « grand patron », si j’ose ce crime de lèse-divinité, confie à Prométhée les tâches intéressantes et non à lui, dit à son frère : « Ecoute, laisse-moi faire le partage... J’ai compris – ce que Georges Marchais aurait qualifié d’«injonctions patronales » !
  • 9. « La dikê doit m’inspirer : ne pas donner tout à l’un et rien à l’autre et tout à l’autre et rien à l’un. Laisse-moi faire le partage et, si tu veux, tu viendras en juger après, le corriger peut-être ! » Prométhée se fait un peu tirer l’oreille et laisse Epiméthée, son frère, faire le partage. Dans ce célèbre mythe, assez peu de choses nous sont dites sur ce que fut la lettre du partage.
  • 10. Mais on peut imaginer que donnant la force au lion, il n’a pas besoin de lui donner une rapidité véritable, et que donnant la rapidité à la frégate, il n’a pas besoin de lui donner de carapace. La tortue qui a la carapace n’a pas besoin de cette capacité de changer couleur, qui va échoir au caméléon, lequel pouvant changer de couleur n’a pas besoin du venin qui sera donné à l’aspic et l’aspic ayant le venin n’a besoin ni de capacité de changer de couleur, ni de carapace, ni de force, ni de rapidité.
  • 11. Epiméthée termine son ouvrage, . La dikê, justice ou équité en grec, l’a inspiré ! Prométhée son frère rapplique et lui demande si le partage s’est bien passé. « Je le crois, j’ai fait ce que disait Zeus, le Dieu des dieux. », lui répond-il. C’est alors que l’on vit arriver devant les deux frères celui que Platon, dans un autre dialogue, nous décrira comme un « bipède sans plume », c’est-à-dire un homme.   Car, certes, nous ne sommes pas les seuls bipèdes de la création, mais les autres ont des plumes et nous, généralement pas, sauf dans les circonstances que, heureusement, ma mère m’a défendu de nommer ici !  
  • 12. Et Prométhée de demander à Epiméthée : « Et à lui, que vas-tu donner ? » Epiméthée ouvre sa besace : elle est vide! Etourderie d’Epiméthée qui n’est rien d’autre, si l’on veut, qu’une étourderie de la nature, laquelle fait venir l’homme au monde avec des besoins qu’il n’a même pas les moyens de satisfaire ! Sub specie naturæ , du point de vue du regard de la nature, l’homme apparaît comme le plus fragile, le plus précaire, le plus vulnérable, le plus dépendant de tous les vivants.
  • 13. Notre pauvreté en instinct est une donnée anthropologique de base. Certes, quand la nature donne à une bête un besoin, elle lui donne généralement en même temps le moyen permettant de le satisfaire. Mais à l’homme la nature a donné des besoins sans les moyens permettant de les satisfaire . Nous avons besoin pour ne pas mourir de froid quand la bise fut venue de maintenir une certaine température corporelle. Nous avons cela en partage avec bien des vivants.
  • 14.
  • 15. Cela veut dire que la précarité, la vulnérabilité, la fragilité et surtout la dépendance ne sont pas des accidents qui arriveraient de l’extérieur à l’homme ou des dysfonctionnements. Ce sont des données anthropologiques de base
  • 16. L’Homme étant en quelque sorte resté démuni, Prométhée résolut pour compenser l’étourderie de son frère, de dérober aux dieux trois éléments : le feu à Héphaïstos, l’intelligence technique à Athéna et l’art politique à Zeus. Il parvint à dérober le feu et l’intelligence technique, mais les appartements de Zeus étaient trop bien gardés, jamais il ne put lui voler l’art politique. Au total, Prométhée réalisa seulement les deux tiers de son projet. La société humaine hérita donc de la capacité de fabriquer et d’innover, mais sans l’art politique de bien en user. Il n’existe pas de régime politique parfait.
  • 17. POUR UN ACCOMPAGNEMENT ÉTHIQUE Nous avons besoin d’abord de l’intelligence pratique, nécessaire-même si non suffisante- pour venir en aide aux personnes vulnérées. Nous avons besoin aussi, ensuite, d’autre chose.
  • 18.
  • 19.
  • 20. A ce moment-là, la Belle regarde la Bête dans les yeux. Elle ne lui adresse d’autre regard qu’un regard cognitif, identifiant comme on regarderait un objet. La Bête lui dit alors : « Ne me regardez pas ainsi, je ne puis supporter votre regard. Votre regard me brûle. Fermez votre porte ! » Alors, sur la musique de Georges Auric – ce film est définitivement un chef-d’œuvre –on voit de la fumée sortir du corps de la Bête. Il y a des regards qui font fondre le sentiment de dignité comme neige au soleil.
  • 21. La dignité ne se perd pas, elle ne peut pas se perdre puisqu’elle est intrinsèque à la personne humaine. En revanche, ce qui peut se perdre, c’est le sentiment de sa dignité. Si vous ne rencontrez que des regards hostiles, des regards qui vous assignent à votre corporéité déficiente, vous avez l’impression que votre dignité se désactualise .
  • 22. Et il y a un véritable danger de mécanisation du soin avec ce regard. Mécanisation qui vient, entre autre, du sous effectif et qui fait qu’on finit par laver une chambre et non plus une personne, qu’on en finit par nourrir un ventre et non plus honorer une personne. Car un soignant n’est pas une machine. On ne pourra jamais dire merci avec son cœur à une machine. Alors que reste-t-il à l’aidé à offrir ?
  • 23. A la fin du film, la Belle accorde à la bête un autre regard. Regard d’amour ou regard de respect ? Je ne sais pas ! Mais se produit un petit miracle car des défroques de la Bête sort Jean Marais en beau prince : quel bel homme ! Ce que le regard de la Belle a produit sur la Bête, le regard de chacun d’entre nous au plus dépendant des dépendants, au plus vulnérable des plus vulnérables, au plus précaire des précaires peut le faire UN PEU.
  • 24. Un peu parce qu’il ne faut pas avoir cette naïveté qui consiste à penser que si vous accordez un regard plein de respect et d’amour, ce sentiment de la dignité est sauf, quand bien même vous avez affaire à tel ou tel dont la vie est dévastée ou qui ne maîtrise plus rien, alors qu’il courait très vite, ou encore qui meurt très jeune. Non ! Il s’agit là d’ un optimisme qui n’est que la caricature d’une espérance qui n’a pas connu les larmes.
  • 25. « Le secret de ma dignité se trouve dans le regard que l’Autre porte sur moi. Et ma dignité est intacte, préservée des atteintes de l’âge, de la pauvreté, de la maladie, de la décrépitude, et même de la mort si autrui me fait la grâce d’un regard respectueux. »