Devant les menaces de démissions observées dans plusieurs services des urgences en France, PHAR-E a rencontré François Danet, docteur en sociologie de l'université Paris VII, chercheur en psychologie à Lyon et médecin, afin qu’il analyse cette situation.
PHAR-E : Le 12 novembre 2012, onze urgentistes de l'hôpital de Thonon manquaient à l'appel. Tous avaient décidé de quitter leur poste quelques jours plus tôt. Le même phénomène s'est produit à Grenoble, ainsi qu'à Paris et à Roubaix. Que révèlent selon vous ces menaces de démissions en bloc ?
F Danet : C’est en effet un nouveau moyen de contestation. L’organisation d’une grève est une action moins puissante que le fait de menacer de démissionner de son poste de praticien hospitalier. Ces actions radicales révèlent un malaise profond au sein des structures médicales d’urgence. Les urgentistes abordent leurs patients comme des sujets globaux, qui ont des problèmes médicaux, certes, mais également des problèmes sociaux, judiciaires. Ils les accueillent au sein du grand Hôpital Général qu’est l’hôpital de l’urgence.
Dans le contexte de la crise actuelle, les diminutions de dépenses des services publics, les manques d’effectifs et de moyens se font ressentir.
Les autres spécialités de l’hôpital continuent d’accueillir ce qu’on appelle les « vrais malades », ou encore les « beaux malades », ceux qui présentent une pathologie rapidement traitable selon les critères de la médecine de spécialité. Alors que les urgentistes, eux, reçoivent entre autres toute la détresse du monde, c’est-à-dire les situations difficilement classables, voire impossibles à classer selon la nosologie médicale, comme les victimes et auteurs de violence, les toxicomanes, les alcooliques, les suicidants, tous les précaires, les clandestins, ceux qui surconsomment des antalgiques, les personnes âgées, comme pendant la canicule de 2003...
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Démissions aux urgences l’analyse du sociologue.
1. MÉDECINE D’URGENCE
16
Démissions aux urgences :
l’analyse du sociologue
Devant les menaces de démissions observées dans plusieurs services des urgences en
France, PHAR-E a rencontré François Danet, docteur en sociologie de l'Université Paris-
VII, chercheur en psychologie à Lyon et médecin, afin qu’il analyse cette situation.
PHAR-E : Le 12 novembre 2012, onze urgentistes de
l'hôpital de Thonon manquaient à l'appel. Tous avaient
décidé de quitter leur poste quelques jours plus tôt. Le
même phénomène s'est produit à Grenoble, ainsi qu'à
Paris et à Roubaix. Que révèlent selon vous ces mena-ces
de démissions en bloc ?
F Danet : C’est en effet un nouveau moyen de contes-tation.
L’organisation d’une grève est une action moins
puissante que le fait de menacer de démissionner
de son poste de praticien hospitalier. Ces actions
radicales révèlent un malaise profond au sein des
structures médicales d’urgence. Les urgentistes abor-dent
leurs patients comme des sujets globaux, qui ont
des problèmes médicaux, certes, mais également
des problèmes sociaux, judiciaires. Ils les accueillent
au sein du grand Hôpital Général qu’est l’hôpital de
l’urgence.
Dans le contexte de la crise actuelle, les diminutions
de dépenses des services publics, les manques d’ef-fectifs
et de moyens se font ressentir.
Les autres spécialités de l’hôpital continuent
d’accueillir ce qu’on appelle les « vrais malades », ou
encore les « beaux malades », ceux qui présentent
une pathologie rapidement traitable selon les critè-res
de la médecine de spécialité. Alors que les urgen-tistes,
eux, reçoivent entre autres toute la détresse du
monde, c’est-à-dire les situations difficilement clas-sables,
voire impossibles à classer selon la nosolo-gie
médicale, comme les victimes et auteurs de vio-lence,
les toxicomanes, les alcooliques, les suici-dants,
tous les précaires, les clandestins, ceux qui
surconsomment des antalgiques, les personnes
âgées, comme pendant la canicule de 2003...
On note une réelle disjonction entre la médecine d’ur-gence
et la médecine de spécialité. Le but d’une méde-cine
hospitalière qui serait véritablement efficiente
serait de combiner la saisie du corps objectivé et la
compassion pour le patient. Aujourd’hui, la saisie du
corps objectivé est accaparée par les spécialistes et la
compassion par les urgentistes. Il y a donc un clivage
important entre ces deux types de médecines, les
tâches ne sont pas équilibrées. Les urgentistes sont
focalisés sur le côté « généreux » de la médecine
hospitalière au détriment du côté technique, ce qui
crée forcément un malaise au sein des équipes.
LES URGENCES : LE BAROMÈTRE DE LA
MÉDECINE HOSPITALIÈRE ?
Lorsque la médecine de ville, la médecine de spécialité
ou encore quand les institutions en général sont défail -
lantes, les « déchets » sociaux , selon l’expression du
sociologue Zygmunt Bauman, ceux qui sont hors du cir-cuit
de productivité, qu’il s’agisse de la productivité entre-prenariale
ou médicale, se retrouvent aux urgences. C’est
pour cela que la médecine d’urgence est une sorte de
baromètre des problèmes non résolus ailleurs. Au fond,
cela dénombre les personnes exclues d’un certain nom-bre
de standards sociaux, de standards de l’époque ou
de standards du capitalisme. Les médecins urgentistes
prennent en charge les personnes qui étaient accueillies
sous l’Ancien Régime par ce qu’on appelait l’Hôpital
Général, cet hôpital crée par Louis XIV pour accueillir tous
les errants, les déviants. Cette population a été progres-sivement
exclue de l’hôpital quand il est devenu d’abord
clinique, puis scientifique, et enfin médico-économique.
Ces personnes ont été rejetées du système, elles ont donc
du défoncer la porte de l’hôpital là ou elle était ouverte,
c’est-à-dire aux urgences.
SNPHAR-E : Selon vous, quelle symbolique peut-on
attribuer à ces démissions ?
F Danet : Pour ma part, je vois la comparaison avec ce qui
se passait dans les années 70 dans les tribunaux français.
Les avocats jetaient leur robe pour dénoncer l’injustice.
Menacer de démissionner ou démissionner aujourd’hui
pour les médecins urgentistes, c’est dénoncer une injus-tice
de façon quelque peu provocatrice. À bien des égards,
ils s’intègrent ainsi dans le courant contestataire ambiant
de ces dernières années. Ils dénoncent le transfert des
grands standards de l’entreprise privée sur les hôpitaux
et les services publics en général. C’est cela que contes-tent
les urgentistes car, outre l'impact sur les conditions
de leur exercice professionnel, ils trouvent qu’au fond
c’est essentiellement préjudiciable à leurs patients. Les
urgentistes sont ici comme les « sonneurs d'alerte » à la
porte d'un système institutionnel devenu injuste et main-tenu
tel. Les autres spécialités médicales dénoncent,
quant à elles, le fait de ne plus être aussi libres qu’avant
dans la pratique de leur métier.
Propos recueillis par Saveria Sargentini
http://www.snphare.com - Journal du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi - n° 64 - Avril 2013