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1
ISAM-ESCRIBE KARIM
VIE SOUS LE BLOCUS DE GAZA : 2007-2015
2014-2015
UNIVERSITE PARIS IV -SORBONNE
SOUS LA DIRECTION D’OLIVIER FORCADE.
2
Remerciements.
Ce travail aurait été impossible à mener sans la confiance du Professeur Forcade.
Je tiens aussi à témoigner ma reconnaissance à Mr Ziad Medoukh, professeur de français
à l’université de Gaza, qui à gentiment répondu à mes mails.
3
À ma grand-mère et à Ludovica.
Au peuple de Palestine et de Gaza.
5
« Gaza n’a pas de voix. Ce sont les pores de sa peau qui exhalent la douceur, le sang et le
feu. Et donc l’ennemi lui voue une haine et une crainte mortelles, et cherche à la noyer
dans la mer, le désert ou le sang. Et donc ses proches et ses amis l’aiment avec une
timidité qui parfois touche à la jalousie et à la peur, car Gaza est une leçon brutale et un
exemple éclatant pour ses ennemis comme ses amis.
Gaza n’est pas la plus belle des villes.
Son rivage n’est pas plus bleu que celui d’autres villes arabes.
Ses oranges ne sont pas les plus belles du bassin méditerranéen.
Gaza n’est pas la ville la plus riche.
Ce n’est ni la plus élégante, ni la plus grande, mais son histoire est à la hauteur d’une
véritable patrie. Car elle est la plus laide, la plus pauvre, la plus misérable et la plus
vicieuse aux yeux de ses ennemis. Parce qu’elle est la plus capable d’entre nous pour
troubler l’humeur et le confort de l’ennemi. Parce qu’elle est son cauchemar. Parce
qu’elle est tout à la fois des oranges minées, des enfants sans enfance, des vieillards sans
vieillesse et des femmes sans désirs. Parce que tout ceci réuni constitue sa plus grande
beauté, pureté et richesse, parce qu’elle est infiniment digne d’amour. »
Mahmoud Darwich.
6
Sommaire.
Introduction…………………………………………………………………………………P7
1. Blocus : histoire,formes, justifications………………………………………P12
1.1 Histoire et évolution………………………………………………………………………
1.2 Formesdu blocus…………………………………………………………………………...
1.3 Justificationsdes bloqueurs…………………………………………………… …….
2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour
la population…………………………………………………………………………………P28
2.1 Pénuriesdesbesoins primaireset quelquesconséquencesdirectes…
2.2 Dimensionséconomiques……………………………………………………………..
2.3 Conséquencessociales et psychologiques………………………………………
3. Le Hamas et la société gazaouie………………………………………………….P48
3.1 Secteurs politiques et économiques………………………………………………
3.2 Secteurs sociaux et culturels……………………………………………………...
3.3 Secteur militaire………………….………………………………………………………..
Conclusion……………………………………………………………………………………….59
7
Introduction.
Un collectionneur de Gaza, Jawdat Koudary, a récemment construit un musée sur le
front de mer de Gaza en bordure du camp de réfugiés de Shati. Ce musée se veut
essentiellement le témoin du prestigieux passé de cette bande de terre meurtrie par les
vicissitudes du conflit israélo-palestinien.1 En effet, l’histoire de Gaza est vieille puisque
la ville a probablement été fondée vers 3300 avant J.-C., et un peuple de sémites, les
Cananéens, s’y installent vers 3000 avant J.-C. Mais c’est aux alentours de 1500 avant J.C.
que la ville se développe, lorsque Canaan prend son essor. Puis Canaan passe sous
tutelle égyptienne, pendant quatre siècles. Vers 1200 avant J.-C. commencent à arriver
par la mer d’autres peuples, dont les Philistins, qui se battent contre les Egyptiens. Les
Philistins s’installent progressivement à Canaan, au fil des batailles, et se mêlent à la
population cananéenne, gouvernant ainsi plusieurs villes. Ils commencent à se heurter à
d’autres arrivants, les Israélites. Vers 1000 avant J.-C., ces derniers remportent la
victoire contre les Philistins, et David devient roi. Gaza et les autres villes philistines
passent alors sous l’autorité des Israélites. Au VIII ème siècle, les Assyriens prennent le
pouvoir (de 730 à 630 avant J.-C.), puis les Egyptiens à nouveau, les Babyloniens vers
600, les Perses vers 539, les Grecs vers 332 avant J.-C., et les Romains à partir de 63
avant J.-C. Pendant l’époque byzantine, le christianisme s’implante à Gaza et dans sa
région. Cette époque est suivie par la conquête arabe : Gaza est conquise en 637, comme
le reste de la région. Suivent ensuite la période des croisades (XIème et XIIème siècle),
puis la période ottomane qui s’achève avec la Première Guerre mondiale. Pendant ce
conflit se déroule la bataille de Gaza, dirigée par l’armée britannique contre les Turcs
présents dans cette région. Trois tentatives sont nécessaires aux Britanniques pour
reprendre la ville et la dernière bataille, menée par le général Allenby, permet la victoire
en novembre 1917.
La Grande-Bretagne obtient alors de la Société des Nations un mandat sur la Palestine
(ainsi que sur l’Irak et la Transjordanie). Pendant le mandat, la Palestine est divisée en
trois districts, Jérusalem, le district Nord et celui du Sud. Au regard des difficultés entre
1 MEDOUKH Ziad, chroniques d’un été meurtrier à Gaza, récit d’un génocide répété, Kairos,
2014 ,p 91
8
autorités britanniques, populations arabes et juives, plusieurs solutions territoriales
sont proposées : plan Peel de 1937, plan de l’ONU voté le 29 novembre 1947, partageant
la Palestine mandataire en un Etat juif (composé de la plaine côtière, du Néguev, de la
partie nord-est autour du lac de Tibériade), en un Etat arabe (composé de la Galilée
occidentale, de la Cisjordanie sauf Jérusalem, de la bande côtière allant de Jaffa à la
frontière avec l’Egypte) et en un corpus separatum pour Jérusalem et sa région. Ce plan
est diversement accueilli par les populations : la population arabe le refuse mais la
population juive l’accueille positivement. Des affrontements se déclenchent alors entre
populations arabes et juives. Le mandat s’achève avec le départ de l’administration
britannique le 14 mai 1948. Le même jour, l’Etat d’Israël est créé, et la première guerre
israélo-arabe est déclenchée. Lors de ce conflit, nombre d’Arabes de Palestine se
réfugient à Gaza et dans sa région, restée sous contrôle arabe (190 000 personnes, qui
s’ajoutent aux 70 000 habitants de la région 2
Gaza et sa région sont alors placés sous l’administration de l’Egypte, à la suite des
accords d’armistice de 1949. Les conditions de vie y sont très difficiles, l’Egypte
subvenant difficilement aux besoins des nouveaux réfugiés. Dans ce contexte humain et
économique, une ébauche de gouvernement palestinien se met en place en septembre
1948 à Gaza, avec à sa tête le mufti de Jérusalem Hajj Amine al-Husseini. La situation
politique intérieure de l’Egypte a en outre une influence directe sur Gaza. La révolution
de 1952 porte au pouvoir les Officiers libres et met fin au régime monarchique soutenu
par la Grande-Bretagne. Gaza bénéficie alors de l’implication égyptienne, notamment
dans l’éducation (fondation d’écoles, bourses données à des étudiants pour aller dans les
universités égyptiennes) et dans les infrastructures. Sur le plan régional, le conflit entre
l’Egypte et Israël, notamment les accrochages frontaliers, a des conséquences pour la
bande de Gaza. Des commandos égyptiens lancent en effet des raids de la bande de Gaza
vers Israël, entrainant les représailles israéliennes sur ce territoire. Israël mène
notamment le 28 février 1955 un raid contre la ville de Gaza, pendant lequel des soldats
égyptiens sont touchés. Une autre opération égyptienne entraine en août 1955 le
bombardement de Gaza par Israël. Ce cycle de violence se poursuit en 1956. Dans ce
contexte, cette même année, la nationalisation du canal de Suez par Nasser et l’opération
militaire franco-britannique qui s’en suit provoque l’occupation de la bande de Gaza par
l’armée israélienne, dès début novembre, jusqu’à mars 1957. En mars 1957, la bande de
2 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
9
Gaza est à nouveau sous l’administration de l’Egypte, mais ce sont les troupes de l’ONU,
et non celles de l’Egypte, qui prennent position à la frontière entre la bande de Gaza et
Israël. Nasser accepte alors que la bande de Gaza se dote d’une structure politique : un
Conseil exécutif et un Conseil législatif. Cette nouvelle organisation, dont le quartier
général s’installe à Gaza, est en réalité contrôlée par l’Egypte, qui nomme le gouverneur
de Gaza. En mai 1964, le Congrès national palestinien, réuni à Jérusalem, décide de
rédiger une Charte nationale et de mettre en place une organisation afin de libérer la
Palestine. En septembre, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est créée ainsi
que l’Armée de libération de la Palestine (ALP)3.
La Guerre des Six-jours éclate et Gaza passe sous contrôle israélien en juin 1967. Une
administration et une colonisation sont mises en place. En face, une résistance se lance
dans des attaques quotidiennes et meurtrières. Entre les deux, une population tente de
survivre, de trouver un travail. Cependant le manque de perspective politique et
économique va pousser les jeunes dans la première intifada en 1987. A cette occasion,
on voit l’apparition d’un nouvel acteur, le Hamas. Celui-ci n’a pas participé à la résistance
commencée en 1967 mais grâce à la prédication, aux échecs consécutifs du Fatah et de
l’Autorité Palestinienne de Yasser Arafat, il a su se créer une vraie attraction populaire.
En février 2005, le gouvernement israélien décide du retrait de la bande de Gaza pour le
mois d’août. Cette décision est également confirmée par le nouveau président de
l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (élu à la suite du décès de Yasser Arafat en
novembre 2004). Le retrait israélien s’achève le 22 août 2005 : environ 8 000 colons
ainsi que les militaires quittent la bande de Gaza.
Une tentative politico-économique est mise en place, l’accord AMA (The Agreement on
Movement and Access). Cet accord proposé par le Quartet se pense comme un projet
global de pacification, avec des dates butoires et la création d’un Etat Palestinien.
Mais la victoire du Hamas va tuer toutes espoirs de paix. Les victoires aux élections
municipales et législatives de 2006 vont pousser Israël à mettre en place un blocus, de
manière unilatérale mais avec l’accord tacite des grandes puissances, Etats-Unis et
Europe en tête.
Mon travail va tenter de répondre à certains nombre de questions : Comment ce blocus
s’est-il mis en place ? Y a t-il des tendances ? Peut-on parler de rupture brutale en 2007
ou le blocus n’est que la continuation d’une même logique ? Quelles effets le blocus
3 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
10
entrainent-il sur la vie quotidienne des Gazaouis ? Quels effets sur la cellule familiale,
Quel avenir pour les enfants ? Comment cette génération peut-elle et va t-elle se
reconstruire ? Peut-on expliquer la stratégie israélienne ? Le concept de « de-
développement » est-il applicable ? Peut-on le limiter au blocus ? Peut-on parler d’un
Hamastan ? La société Gazaouie est-elle militarisée ? Quel est le degré de contrôle du
Hamas sur les autres groupes politico-militaires ? Quels sont-ils ?
Pour répondre à ces questions, le mémoire est divisé en trois parties. La première partie
se concentre sur l’histoire du blocus. Il s’agit de définir des tendances. Nous avons
décidé de prendre le blocus dans sa totalité, c’est à dire de 2007 à 2015. Ces 8 années ne
doivent pas être perçues comme monolithiques mais ont connu des changements selon
des considérations nationales ou régionales. Le blocus de Gaza est imbriqué dans sa
géographie, celle du Sinaï et celle d’un Moyen-Orient en plein bouleversement. L’enclave
palestinienne est certes coupée du monde, mais celui-ci arrive à lui et l’arrivée d’un
nouvel acteur comme l’ Etat Islamique à des conséquences sur son propre territoire.
Fiodor Dostoïevski parlait des hommes, comme d’animaux capables de s’habituer à tout.
Cette citation est le fil conducteur de ma deuxième partie, elle se veut une analyse
« concrète du concret ». Elle s’intéresse aux questions alimentaires, énergétiques et de
santés, elle montre un peuple qui souffre mais qui résiste pour survivre, pour vivre.
Enfin, ma dernière partie est un pari, celui de croire qu’une étude du Hamas peut nous
apprendre sur Gaza. Ce mouvement est beaucoup plus proche d’un « internationalisme
islamique » que du nationalisme palestinien. Ce mouvement et ses idées imprègnent
beaucoup plus Gaza que les coutumes locales imprègnent le bureau politique du Hamas.
A travers l’angle du Hamas, nous pouvons suivre une mentalité gazaouie qui a évolué et
qui évolue sous son patronage. Il s’agit aussi d’un retour d’une histoire politique.
Les sources sur le blocus de Gaza sont paradoxales. Le conflit israélo-palestinien est
traité sur tous les supports : les analyses historiques, retraçant les grandes étapes et les
solutions possibles, des photographies, des livres, des poèmes, des films…Ainsi le cadre
général est très documenté, mais Gaza l’est beaucoup moins avec une seule œuvre
d’historien4. En ce qui concerne le blocus et sa dureté, il existe des témoignages de
journalistes, d’écrivains, d’humanitaire mais ces ouvrages se concentrent très souvent
sur les périodes de guerres comme si Gaza ne devenait intéressante qu’en période de
4 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 436.
11
massacre. Alors pour comprendre une réalité, celle de 1,7 millions de personnes, il faut
se plonger dans les rapports d’ONG et d’organisations internationales. Les sources
manquent aussi sur l’histoire du blocus de Gaza, il n’en existe pas et mon modeste travail
tente de combler ceci, en parlant des tendances, en offrant une perspective, en créant
une chronologie avec des accélérations et des coupures.
Enfin l’objet politique qu’est le Hamas est limité surtout en langue française, les autres
mouvements politiques de Gaza ne semblent pas intéresser les chercheurs. Il n’y a que
trois livres sur le Hamas et un seul sur le Jihad Islamique.
12
I. Blocus : Histoire, formes, justifications.
1.1 Histoire et évolution
1.1.1 Affirmation d’une logique de blocus (1967-2007)
Le 6 juin 1967, la ville de Gaza est pilonnée par les bombardiers et l’artillerie israéliens,
le 7 au matin le gouverneur égyptien de Gaza, le général Abdelmoneim Husseini
capitule5. L’Egypte perd Gaza au profit d’Israël. Dès la fin de cette « guerre des Six
Jours », la ligne d’armistice est abolie par Israël. Le ministre Dayan escompte d’une telle
politique de « portes-ouvertes » une pacification rapide des territoires occupés6. Cette
politique a un double avantage pour les vainqueurs, d’une part permettre à l’économie
israélienne de capter une main d’œuvre bon marché et de l’autre de détruire ou tout du
moins d’affaiblir la résistance palestinienne en offrant une possibilité de réussite
économique. Ainsi l’idée de Moshé Dayan est d’offrir une intégration économique en
espérant un affaiblissement du nationalisme palestinien7. Cette politique sera appliquée
de 1967 à 1991. Son symbole est le « permis de sortie général ». Ce permis offre la
possibilité aux palestiniens de se déplacés librement de Gaza à la Cisjordanie en passant
par Israël, l’unique restriction est l’interdiction pour un palestinien d’être sur le
territoire juif d’une heure à cinq heure du matin. Cette première politique connaît une
rupture dès 1989 avec l’instauration d’une carte magnétique d’une validité d’un an.
Cette carte est le fruit du contexte de trouble qui débouchera sur la première intifada et
est systématiquement refusée à tous palestiniens soupçonnés d’activité politique
subversive. Mais le véritable changement date du 15 janvier 1991 avec la mise en place
des permis de sortie individuel. Avant 1991 l’ouverture était la règle et la fermeture
l’exception, après 1991 la fermeture est la règle, l’ouverture l’exception. La logique de
blocus s’installe à cette date. Ces nouveaux permis vont profondément affecter la vie des
palestiniens, notamment celle des étudiants qui se retrouvent dans l’impossibilité de se
5 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 140
6 Ibid
7 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied-
1.284725
13
rendre à l’université mais aussi celle de nombreuses familles dont les membres sont
séparés entre Gaza et la Cisjordanie. Cette nouvelle stratégie que l’on nomme « politique
de fermeture » est définitivement appliquée et assumée par l’Etat hébreu en mars 1993
avec le bouclage général de tous les territoires mais surtout la construction de
nombreux « checkpoint » notamment au nord de Gaza.8 La déclaration de principe entre
Israël et l’organisation de libération de la Palestine (OLP) n’aura aucune incidence sur
une réalité de plus en plus difficile à vivre pour le peuple palestinien9. A partir de cette
date la sévérité du bouclage est liée aux circonstances, par exemple lors d’incidents
entre palestiniens et israéliens ces derniers peuvent imposer une fermeture totale
durant lequel aucun permis de sortie n’est délivré à quiconque10. La situation est telle
que lors de la passation de pouvoir entre Israël et l’OLP à Gaza en mai 1994, les premiers
imposent aux gazaouis souhaitant se rendre en Cisjordanie de passer par le passage de
Rafah en Egypte pour rejoindre la Jordanie avant d’utiliser le pont Allenby pour enfin
arriver en Cisjordanie. Pour bien se rendre compte de la situation, prenons le cas d’un
habitant d’Erez, ville située à quelques kilomètres de la bande de Gaza, si celui-ci
souhaite se rendre à Jérusalem il peut s’y rendre en voiture en 1H29 (91 Km). Alors
qu’un habitant de Rafah souhaitant aller à Jérusalem doit longer l’Egypte jusqu’au Golfe
d’Aqaba puis continuer le long de la Jordanie avant de traverser la Cisjordanie soit 8H15
de trajet (593 Km). Cette « politique de fermeture » continue puisque dès 2001, l’entrée
à Gaza par Israël est interdite sauf dans le cas d’un mort ou d’une parenté au premier
degré. Avec le début de la seconde intifada, la politique de fermeture devient encore plus
stricte, les permis sont délivrés au compte-gouttes notamment pour raisons médicales.
Jusqu’au désengagement unilatéral de 2005, nous avons donc vu que l’on peut définir
deux grandes périodes : la première appelée « portes ouvertes » puis celle de « la
politique de fermeture » celle-ci est indéniablement le prémisse d’une autre beaucoup
plus sévère pour la population : le blocus.
8 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied-
1.284725
9 http://www.btselem.org/freedom_of_movement/closure
10 Ibid.
14
1.1.2Etablissement et tendances du blocus
A la suite du processus de désengagement israélien de la bande de Gaza en septembre
2005, un accord a été trouvé entre l’autorité palestinienne et le gouvernement de l’Etat
hébreux en novembre 2005. Cet accord qui porte le nom « Agreed documents by Israel
and Palestinians on Movement and Access from and to Gaza. » a été facilité par la
médiation du secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, du haut représentant européen pour la
politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana et James Wolfensohn, ancien
président de la banque mondiale et envoyé spécial du Quartet pour la supervision du
désengagement. Cet accord a pour objectif de « faciliter le mouvement des biens et des
personnes à l’intérieur des territoires palestiniens » et d’ouvrir « un point de passage à
Rafah qui donnera aux gazaouis le contrôle des entrées et sorties des biens et
personnes » et ainsi « promouvoir le développement économique et améliorer la
situation humanitaire sur le terrain11 ». En d’autres termes le désengagement et l’AMA
doivent permettre au peuple de Gaza de sortir de la « politique de fermeture » de
retrouver un niveau de vie acceptable en rétablissant la liberté de circulation, la
réouverture de l’aéroport et l’édification d ‘un port. Ce document, qui reste technique
plus que politique se construit autour de quatre points cruciaux. En premier lieu,
l’ouverture au plus vite du passage de Rafah puis celui de Karni. Ceux-ci doivent être
ouverts constamment et permettre aux hommes et aux biens de passer. Troisièmement
l’accord stipule la construction d’un port et la réouverture de l’aéroport de Gaza. Il est
intéressant de noter que cet accord synonyme d’espoir pour de nombreux gazaouis n’eut
que peu d’effets concrets. Le terminal de Rafah a été ouvert tous les jours à la date fixée
par l’accord du 25 novembre 2005 puis a été fermé 86% du temps par les israéliens dès
juin 2006. Le point de passage de Karni a connu une situation similaire. L’accord
prévoyait 400 passages de camions par jours à la fin de l’année 2006….la moyenne a été
de 12 passages par jours. En ce qui concerne le port il n’a jamais été construit malgré
des discussions alors que la question de l’aéroport ne fut même jamais discutée entre
les acteurs. 12
Le désengagement a été vécu par les gazaouis comme une espérance, avec la possibilité
basique de se déplace ou de commercer. Autant dire que la déception a été grande.
11 https://www.ochaopt.org/documents/ama_one_year_on_nov06_final.pdf
12 Ibid
15
Un événement va aggraver la situation et l’enfermement du peuple de Gaza, la victoire
du Hamas lors des élections de 2005 et de 2006. Ces deux scrutins, l’un municipal et
l’autre législatif donnent au Hamas un contrôle politique de la bande de Gaza. Cette
conjoncture est inacceptable pour tous les autres acteurs que ce soit le Fatah de
Mahmoud Abbas, les responsables israéliens ou le Quartet. Ce dernier qui avait été le
grand inspirateur des accords AMA va changer radicalement de stratégie, imposant un
certain nombre de sanctions économiques et légitimant la politique de fermeture
d’Israël. Ces sanctions consistent en deux grands points : les membres du Quartet (Etats-
Unis, Russie, ONU et l’Union Européenne) suspendent toutes aides que ce soit sous
formes de dons ou d’argent et Israël suspend le transfert à l’autorité palestinienne de la
TVA collectée par ses soins sur les échanges entre la Cisjordanie et Gaza13. Cette
situation ne peut pas évoluer positivement tant que les dirigeants du Hamas ne
répondent pas à trois exigences : la reconnaissance d’Israël, des accords conclus entre
l’OLP et Tel-Aviv et la renonciation à la violence. Mais surtout la stratégie est claire :
isoler le Hamas14. Israël n’est plus seul dans sa logique de fermeture, elle est légitimée
par les grandes puissances de ce monde. Cette stratégie est claire car selon Jean-Pierre
Filiu ce sont bien les conseillers de Bush et d’Olmert qui ont élaboré ce plan d’isolement
méthodique du Hamas dans la bande, ainsi les nouveaux députés islamistes sont
interdits de déplacement en Cisjordanie.15
En ce début d’année 2007, le contexte politique ne cesse de s’aggraver, des milices pro-
Fatah et pro-Hamas se combattent dans les rues de Gaza-ville, de Rafah et de Khan
Younes. Une spirale de violence avec des échanges de tirs, d’attentats à la voiture piégée
plonge la bande de Gaza dans une violence quotidienne. Cette guerre civile que les
médias nomment la bataille de Gaza ne se terminent qu’en Juin 2007 avec la victoire du
Hamas et la fuite vers l’Egypte ou vers le terminal d’Erez d’une grande partie des cadres
du Fatah présent. En quatre jours, la déroute des partisans d’Abbas est consommée et la
victoire du Hamas seul maitre à bord est totale. Les maisons des hiérarques de l’Autorité
sont pillées, la villa du chef local de Fatah Mohammed Dahlan est démolie à coup de
13 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p307.
14 Ibid
15 Ibid
16
masse et des miliciens cagoulés se vautrent dans le bureau saccagé du président
palestinien.16
En même temps que la victoire du Hamas et avec l’appui américain, le premier ministre
isréalien Olmert se lance dans une logique d’isolement mais aussi de punition collective.
En effet, le premier ministre israélien et son cabinet de sécurité franchissent, le 19
septembre 2007, une nouvelle étape en qualifiant la bande de Gaza de « territoire
hostile » contre lequel les sanctions sont renforcées (avec par exemple, la prohibition de
l’entrée du papier à Gaza pour ne pas y encourager la propagande du Hamas). C’est à ce
moment que l’Etat hébreu et l’Egypte mettent en place le blocus que l’on connaît jusqu’à
maintenant.
Tenter de définir certaines lignes directrices ou certaines évolutions du blocus n’est pas
chose aisée. Pour y arriver nous prendrons trois éléments qui indiquent le degré de
fermeture de la bande de Gaza. Tout d’abord le check-point de Rafah, puis celui de
Kerem Shalom et enfin le poste-frontière d’Erez (ou Beit Hanoun pour les palestiniens).
Notre analyse se limitera le plus possible à une étude chiffrée des flux de biens et de
personnes, le contexte historique ou politique sera étudié plus loin dans le mémoire.
Situé sur la frontière égyptienne du Sinaï, le passage de Rafah a pris au fur et à mesure
de l’avancée du blocus une place primordiale. A la suite de la fermeture par les israéliens
du poste de Karni en juin 2007, de Sufa en septembre 2008 et de Nahal Oz en janvier
2010, Rafah reste l’une des seule ouverture au monde pour le peuple de Gaza. L’histoire
de Rafah est politique, après avoir rendu le Sinaï aux égyptiens, le passage de Rafah fut
ouvert le 25 avril 1982. Ce poste-frontière qui reste sous contrôle israélien jusqu’au
désengagement de 2005 connu jusqu’en 2007 plusieurs phases. Une première phase
débute en 1982 jusqu’au début des années 2000 avec le déclenchements de l’intifada Al-
Aqsa,. Durant cette période et malgré des lourdeurs administratives pour obtenir un
« permis de sortie », le terminal fonctionne. Ainsi Rafah est ouvert tous les jours de la
semaine et toute la journée, les chiffres indiquent un passage mensuel de 45000
personnes chaque jour, ce chiffre nécessite d’être doublé pendant les vacances d’été17. A
partir de la deuxième intifada, la politique de fermeture, qui a commencé dès le début
des années 1990 s’accélère, le terminal de Rafah ferme de plus en plus souvent, devient
interdit aux véhicules. De plus, Rafah n’est ouvert que 7 heures par jours alors qu’il était
16 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p319.
17 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf
17
ouvert en continu. Ainsi alors que le passage est de 34100 personnes par mois en 1999,
il n’est en 2004 plus que de 1800018. Le désengagement de 2005 entraine de facto le
retrait des troupes israéliennes du terminal, celui-ci ne s’ouvre que selon le bon-vouloir
égyptien (la réalité est plus complexe puisqu’il s’agit souvent de marchandage entre
égyptiens et israéliens qui gardent un œil sur le terminal de Rafah puisqu’ils sont situés
à quelques kilomètres au Poste de Kerem Shalom). Quoi qu’il en soit, ce retrait se fait
sentir puisque les chiffres indiquent une augmentation du nombre de passages, on passe
de 1800 en 2004 à près de 40000 entre novembre 2005 et juin 200619.
L’enlèvement du soldat Shalit en juin 2006 jusqu’au coup de force du Hamas et sa prise
de Gaza en juin 2007 entrainent la fermeture de Rafah pendant 76% du temps20 soit
selon mes calculs une moyenne d’entrées et de sorties par mois de 6300 personnes.
A partir de juin 2007 et jusqu’en 2010, le terminal de Rafah à la suite d’un accord
israélo-égyptien est fermé de façon quasi-permanente. Durant les brèves ouvertures, les
passages ne sont autorisés que pour les malades, les résidents étrangers ou les gazaouis
ayant un visa (en grande partie des étudiants)21 .Cette fermeture entraine des situations
de tristesse collective où des familles attendent des jours entiers une hypothétique
sortie, très souvent refusée.
On note une première rupture en juillet 2010 après les évènements de la flotille Viva
Palestina. A partir de ce moment là et jusqu’à l’arrivée du général Sissi en juillet 2013
une ouverture plus importante d’environ 30000 entrées et sorties par mois L’arrivée de
Sissi, qui annonce avoir mis le Hamas dans la liste des groupes terroristes, entraine une
chute très importante d’environ 5000 entrées/sorties soit la phase la plus basse depuis
la création du terminal en 1982. En ce qui concerne Rafah, il y a donc trois étapes, une
politique de fermeture de 2007 à 2010, un relâchement jusqu’en 2013 et une fermeture
quasi-totale jusqu’en 2015. Pouvons nous confirmer ces tendances avec le passage
d’Erez22 ?
Le passage d’Erez, contrôlé par Israël est situé au nord de la bande de Gaza et est le seul
point de passage des individus entre Gaza et la Cisjordanie. Il est le seul moyen de sortie
lorsque Rafah est fermée, ce qui fut le cas une grande partie du temps lors de la période
18 ibid
19 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf
20 http://gisha.org/graph/2399
21 ibid
22 http://gisha.org/reports-and-data/graphs
18
2007-2010. Depuis 1991, les habitants de Gaza ont besoin de détenir des permis de
sortie qui sont accordés uniquement par l’Agence israélienne de sécurité, leur nombre
tout au long des années 1990 a très largement diminué. En 1993, une fermeture
générale a été déclarée sur le territoire palestinien, elle a commencé à Gaza en
particulier à partir de 1995 quand une clôture électrique et un mur de béton ont été
construis autour de l’enclave. Le passage d’Erez a été bloqué même pour les titulaires du
permis lorsque des « fermetures complètes » ont été imposées à la bande de Gaza.
Lorsque la deuxième intifada a éclaté en septembre 2000, Israël a annulé de nombreux
permis de sortie existants et réduits le nombre de permis accordés. Le passage d’Erez a
été fermé de plus en plus souvent. La première année de l’Intifada le passage est refusé
aux Palestiniens 72% du temps. Les restrictions ont conduit à une chute importante, on
passe de 26000 individus durant l’été 2000 à 900 l’année suivante. Le 12 mars 2006,
jour de la fête de Pourim, Israël déclare la fermeture totale du territoire palestinien et
empêche l’entrée des travailleurs gazaouis en Israël. Depuis lors l’autorisation n’a pas
été levée.
Ainsi la logique de blocus est installé à Erez dès 2006 et non en 2007, mais peut-on voir
à Erez les mêmes tendances qu’à Rafah? Malheureusement les chiffres de 2007 sont
indisponibles23. Selon les calculs24 on note deux phases, une première à la fermeture de
2008 jusqu'à fin 2010 où les moyennes de sorties sont autour de 1500-200025 ; puis une
phase de réouverture à partir de 2011 où les passages augmentent et sont en moyenne
de 3500 entre 2011 et 2012 ; puis de 5000 entre 2013 et 2014. Sur les 3 premiers mois
de 2015 les chiffres sont encore plus haut puisque le mois de janvier à vu près de 10000
sorties celui de février 12000 et celui de mars près 13300026. On note donc que la
deuxième phase (2011-2015) voit une fermeture beaucoup plus forte du côté égyptien
que du côté israélien, avec une accélération très forte à partir de 2013.
Ces chiffres confirment la tendance et l’analyse de beaucoup de spécialistes sur la
question. Ceux-ci mettent en évidence les deux grandes phases du blocus, la première
de 2007 jusqu’en 2010 où le blocus étaient en phase de durcissement et la deuxième où
23 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/5years/5-to-the-closure-eng.pdf
24 ibid
25 ibid
26 http://gisha.org/graph/2392
19
on assiste à un désenclavement relatif de la bande de Gaza27. Un désenclavement
abandonné en Egypte avec l’arrivée de Sissi mais qui continue au poste-frontière d’Erez.
Je ne veux pas mettre en erreur le lecteur, certes l’enclave de Gaza est moins isolée mais
les critères nécessaires au développement économique et à une sortie de crise sont
toujours bloqués par les israéliens. Les deux critères principaux sont l'interdiction de la
commercialisation de produits à partir de Gaza en direction d’Israël et de la Cisjordanie
(indispensable pour une économie palestinienne entièrement dépendante à Israël) et
l’impossibilité d’importer des biens et des produits. Ces restrictions sont restées
presque entièrement inchangées, même après la libération de Gilad Shalit en Octobre
201128.
1.2 Formes du blocus
Après son retrait unilatéral de la bande de Gaza au cours de l’été 2005, Israël a renforcé
le contrôle des points de passage. Avec la capture d’un de ses soldats, Gilad Shalit, en juin
2006, cela s’est transformé en blocus, encore resserré après le coup de force du Hamas
en juin 2007. Le blocus imposé à la population de Gaza se compose de 3 formes :
terrestre, aérien, maritime. Il s’agit ici de les étudier dans leur mise en place et dans
leurs applications.
1.2.1 Blocus terrestre
Sur terre, les points de passage sont entièrement à la discrétion des israéliens, à
l’exception de Rafah, L’Etat hébreux peut donc facilement interdire l’importation des
marchandises qu’il ne veut pas voir arriver à Gaza comme ils peut bloquer les
exportations des produits venant de Gaza.29En ce qui concerne les modalités du blocus, il
27 Leila Seurat-« la politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et
processus de décision » thèse IEP de Paris-2014 p. 87.
28 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Bidul/bidul-infosheet-ENG.pdf
29 BLANC Pierre, CHAGNOLLAUD Jean-Paul, SOUIAH Sid Ahmed, Atlas des Palestiniens :
Un peuple en quête d’un Etat, Editions Autrement, Paris, 2014, p 95.
20
nous faut regarder de plus près les points de passage. Sur les six points de passage cinq
sont sous le contrôle d’Israël et trois sont fermés. Le premier qui a fermé a été celui de
Karni dès le 11 juin 2007 donc au début des hostilités entre le Fatah et le Hamas. Karni
fut crée après les accords d’Oslo en 1994 pour le transfert des marchandises entre Israël
et la bande de Gaza. Jusqu’à la mi-2007, des centaines de camions ont traversé Karni
quotidiennement qui a servi de principal point de passage pour les marchandises. A ce
jour, il est considéré comme le passage le plus approprié pour le transfert de
marchandises vers et depuis la bande de Gaza. En effet, on considère que le passage de
Karni à la capacité de faciliter le transfert de près de 800 camions de marchandises par
jour et dans les deux directions. Il est également équipé de matériel d’inspection de
sécurité avancé notamment pour la surveillance de nuit. Mais surtout, Karni est très
proche de Gaza ville, où la plupart des commerces et des industries se trouvent. L’accord
de 2005 (AMA) entre l’Autorité Palestinienne et Israël prévoyait la circulation de près de
400 camions par jour30, la réalité fut différente puisque de 2005 à juin 2007, on ne
compta qu’une dizaine de camions par jour. En juin 2007, dans le cadre de mesures
d’Israël lancés contre le Hamas Karni fut fermé à l’exception d’une bande transporteuse,
principalement utilisée pour le transfert de céréales et d’aliments pour animaux. Lors de
la période dite de « désenclavement » promise par Israël en juin 2010, l’Etat permit le
transfert de certains matériaux de reconstruction notamment du gravier. Mais dès mars
2011, cette bande transporteuse fut définitivement fermée et Karni fut clos entièrement.
En ce qui concerne les marchandises pouvant encore traversées la frontière, elles
passent désormais par Kerem Shalom (nous l’étudierons plus loin), détournant le trafic à
l’extrême sud de Gaza, entrainant une augmentation des coûts de transport et du prix
final des biens31. Le deuxième point de passage fermé fut celui de Sufa en septembre
2008 mais reconnu par Israël seulement en mars 2009. Le passage de Sufa était lié au
transfert de biens de consommation. Cette fermeture est liée à la stratégie israélienne de
concentrer tous les passages sur un seul « Cheick-point », en l’occurrence celui de
Kerem Shalom. C’est dans cette perspective que fut fermé le pipeline de Nahal Oz en
30 http://gisha.org/gazzamap/394
31 Ibid
21
janvier 2010. Ce dernier était le point de passage des livraisons de fuel ou de gaz en
direction de l’enclave palestinienne, Kerem Shalom remplit, depuis, ce rôle.32
Le blocus terrestre se construit en plusieurs étapes, la fermeture progressive de la
majeure partie des points de passage, pour concentrer les flux sur un seul. Ce système à
l’avantage de rendre le contrôle de Gaza et des transferts plus simples pour les soldats
israéliens. Kerem Shalon voit de juin 2007 à juin 2010 une moyenne mensuelle
d’environ 2400 camions de marchandises entrer sur le territoire de Gaza. Ce nombre
reste évidemment bien inférieur aux 10000 camions par mois entrés à Gaza de 2005 à
2007 Avec la période de désenclavement initiée en juin 2010, la moyenne est de 174
camions par jours, soit 5300 camions par mois.33 Ces camions contiennent des produits
alimentaires et humanitaires, du carburant, des véhicules, des équipements agricoles et
des matériaux de reconstruction. En juillet 2010, Israël a publié une liste de produits
interdits dans la bande de Gaza. Selon l’Etat hébreu, ces produits peuvent être à double
usage, civils et militaires, les rendant dangereux pour le peuple israélien. Il est
évidemment futile de citer ici toute la liste, je la placerai en fin de mémoire.
En ce qui concerne le point de passage d’Erez nombre d’articles, d’ouvrages racontent la
sensation particulière parcourant le corps d’un étranger traversant le long corridor que
constitue Erez. Celui-ci se compte en centaine de mètre avec des grillages, des
tourniquets, des portes ouvrantes et coulissantes, sous le regard omniprésent des
caméras et sous la dictée de haut-parleurs34. Pour résumer, seul trois catégories
d’individus ont le droit d’entrée et de sortie de Gaza, les diplomates, les journalistes et
les humanitaires. Les journalistes étrangers sont autorisés à rentrer à Gaza à la
condition d’avoir une double autorisation, celle de Tel-Aviv et du Hamas35. Les
humanitaires ont besoin tout autant de cette double autorisation. En ce qui concerne les
palestiniens, comme nous l’avons dit plus en haut, seules des blessés et leurs médecins
peuvent sortir par Erez et encore en de rares occasions, les étudiants n’ont plus cette
chance depuis longtemps et Rafah dépend de la politique très versatile de l’Egypte qui
n’accorde pas toujours ce fameux visa. Le blocus terrestre s’est donc construit en étape
32
http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_protection_of_civilians_2009_06_02_eng
lish.pdf
33 http://gisha.org/gazzamap/404
34 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011,p 93.
35 https://www.youtube.com/watch?v=lKz91b8eR9w
22
et vise à mettre en place un contrôle absolue par Israël de toutes entrées et de toutes
sorties, que se soit des biens ou des hommes.
1.2.2Blocus aérien
Le blocus aérien est une partie intégrante du sentiment d’enfermement que partage les
habitants de Gaza. Ce blocus se construit par la dépossession complète de toute
souveraineté aérienne. Cette souveraineté à exister quelques années, durant la période
de service de l’aéroport de Gaza. Lors des discussions qui aboutirent à la déclaration de
principe signée en 1993, la question de l’aéroport fut un sujet épineux. Pour les
palestiniens, un aéroport était un signe de souveraineté, une reconnaissance absolue
d’un Etat de Palestine libre et indépendant, pour les israéliens en dehors des questions
de sécurité classique (risque de transport d’armes), elle était le signe d’une
reconnaissance, puisque les palestiniens en tant que peuple existent, et leur
revendication d’être unis dans un cadre étatique devenait légitime. C’est ainsi que lors
de l’ouverture officielle de l’aéroport de Gaza le 14 décembre 1998 avec la présence de
Bill Clinton, tous les attributs de l’Etat indépendant était réunis : le drapeau, l’hymne
national. Ainsi il existe autour de cette souveraineté, un élément symbolique très fort.
L’activité de cet aéroport international situé au sud-est, près de la ville de Rafah ne
fonctionna que 3 ans, ne desservant que l’Egypte, la Jordanie et la Mecque uniquement
lors de la période du pèlerinage. Il n’était constitué que d’une flotte réduite de 3 avions.
Malgré cette activité extrêmement faible, l’aéroport était étroitement surveillé par Israël,
jusqu'à ce que ce dernier ne choisisse de le détruire en 2001. Les images de l’aéroport de
Gaza en 2015 sont terribles et ressemble à un champ de ruine.
Malgré cette destruction, l’espace aérien de l’enclave palestinienne n’a jamais été aussi
rempli, il est même « surchargé » notamment par un acteur récent et qui a modifié
profondément les rapports qu’entretiennent les hommes les uns en face des autres sur
les champs de bataille, le drone. Son nom vient de l’anglais qui veut dire faux-bourdons,
et est une référence autant sur l’image que sur le son. D’ailleurs les Gazaouis nomment le
drone « Zenana » qui veut dire aussi en arabe bourdonnement36 .Cette utilisation
massive par les israéliens des drones pose des questions fondamentales sur les rapports
qui existent entre palestiniens et israéliens. En effet, le drone annihile la guerre
36 http://www.washingtonpost.com/world/national-security/in-gaza-lives-shaped-by-
drones/2011/11/30/gIQAjaP6OO_story_1.html
23
classique pour créer un rapport de chasse entre un prédateur et une proie, il n’y a plus
de réciprocité dans le combat, il n’y a même plus de combat du tout donc plus de notion
de sacrifice, de courage qui restent des éléments fondateurs dans une mythologie de
lutte notamment nationale37 . Effectivement et à la différence de la Cisjordanie où
l’armée israélienne a le visage de ses jeunes soldats, à Gaza, Israël se résume à des
bombardements de drones qui sont le plus souvent dirigés par de jeunes soldates depuis
des salles de commandements implantées loin du champ de bataille, sur la base
aérienne de Palmachim, au sud de Tel-Aviv.38 Pour Hamdi Shaqqura, un avocat des
droits de l’homme, « la présence des drones dans le ciel de Gaza signifie une chose aux
palestiniens : l’armée israélienne n’est plus au sol ; mais elle est dans le ciel, en train de
scruter, sans cesse, chaque mètre carré du territoire ainsi ils n’ont pas à être présent sur
terre pour affecter chaque aspect de nos vies.39 » En dehors de cette question, qui j’en
suis sûr, sera fondamentale, dans les analyses futures du conflit israélo-palestinien, le
survol permanent des drones créent un sentiment de peur chez les palestiniens. Ce
survol ne peut être qu’une mission de reconnaissance, mais il peut aussi avoir pour
objectif de tuer. Des acteurs aussi connus que le fondateur du Hamas Cheick Yassine et
son successeur Rantissi sont tous les deux morts par l’action d’un drone. Au sein de la
population gazaoui, le drone entretient un sentiment de terreur permanent, la sensation
que quelque chose de terrible va se produire. Il fait partie d’un conditionnement de la
population, à chaque fois qu’elle entend le bourdonnement, elle repense à des
évènements violents et à la mort. 40. Le blocus aérien montre un aspect fondamental et
qu’il ne faut pas sous-estimer, à Gaza il s’agit d’une guerre certes classique avec des
armes, des soldats, des tanks et des intrusions sur un territoire ennemi mais c’est aussi
une guerre beaucoup plus pernicieuse, une guerre psychologique qui vise à détruire le
moral et la capacité de résistance de tout un peuple. Le drone à donc une triple activité
de renseignements, d’opérations militaires et de prostration de la population
palestinienne.
37 Chamayou Grégoire,Théorie du drone, La Fabrique éditions, Paris,2013
38 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 65
39 http://www.simon-gouin.info/+Gaza-la-vie-sous-les-drones+
40 Ibid
24
1.2.3Blocus maritime
A l’image du territoire palestinien, à Gaza la mer rétrécit41 aussi. Depuis les accords
d’Oslo, la zone de pêche autorisée par Israël aux pêcheurs de Gaza s’est réduite comme
peau de chagrin. Initialement fixée à 20 miles nautiques par les accords d’Oslo, elle a été
progressivement restreinte pour des raisons de sécurité, notamment pour éviter les
trafics d’armes et de personnes, importants à une époque mais désormais mineurs.42
On passe donc 20 miles nautiques à 12 miles en 2002 puis à 6 miles en 2006 pour
atteindre 3 miles nautiques dès la fin de l’opération « Plomb Durci »43. Cette restriction
des zones de pêche est indéniablement un facteur du ralentissement générale de
l’économie privée de Gaza. On considère que depuis le blocus en 2007, plus de 1000
pêcheurs (sur 4000 que comptent l’enclave palestinienne) ont dû soit changer d’activité,
soit travailler avec un revenu minimum44. Selon un rapport du mouvement international
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge datant de 2011, 90% des pêcheurs vivent en
dessous du seuil de pauvreté mais surtout ce chiffre a augmenté de 40% depuis 2008. 45
Au delà de la catastrophe économique, les pêcheurs à la différence des autres acteurs de
la société gazaouie sont confrontés quotidiennement à l’armée israélienne. Celle-ci à
travers sa marine attaque très régulièrement les petites embarcations de pêche
palestiniennes46. Nous pouvons schématiser « ces rencontres » en deux types. La
première est la plus dramatique consiste tout simplement à tirer sur les bateaux de
pêches47, on compte trois mort depuis 200648. La deuxième consiste à décrire des
cercles autour du bateau pour essayer de les faire chavirer. Une fois chaviré, les soldats
israéliens demandent aux pêcheurs de se déshabiller et de nager jusqu’à eux, puis ils les
menottent et les emmènent jusqu’à la ville d’Ashdod, où les palestiniens restent une
dizaine d’heures avant de rentrer à Gaza sans leur matériel49.
41 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit
42 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit
43 http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_special_focus_2010_08_19_english.pdf
44 http://www.ujfp.org/spip.php?article3774
45 http://fishingunderfire.blogspot.fr/
46 http://le-blog-sam-la-touch.over-blog.com/2015/04/la-marine-israelienne-attaque-
des-bateaux-de-peche-palestinien-au-large-de-gaza-press-tv.html
47 Ibid
48 http://fishingunderfire.blogspot.fr/
49 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit
25
Le blocus maritime à donc une double conséquence, économique en premier lieu, mais
aussi contributeur de la propagation d’un sentiment de frustration et de haine du fait
des humiliations quotidiennes que vivent les pêcheurs de la bande de Gaza.
1.3 Justifications des bloqueurs
1.3.1 Israël
Dès septembre 2007 l’Etat hébreu déclare la bande de Gaza « territoire hostile » et
contre lequel les « opérations militaires et contre-terroristes » vont s’intensifier et le
blocus renforcé50. Ainsi, Tel-Aviv considère que Gaza est un territoire d’où une
organisation terroriste, le Hamas, y trouve sa base arrière pour commettre des attentats
et des attaques contre la population israélienne. Ces attentats prenant la forme
d’attaques de roquettes en direction des villes du sud-ouest du pays ou d’incursions par
des tunnels en Israël, à l’image de la capture du soldat Shalit en juin 2006. Le blocus joue
donc le rôle de protecteur de l’Etat hébreu en évitant l’entrée d’armes sur l’enclave
palestinienne ou de matériaux de construction de tunnels. Depuis Olmert, tous les
premiers ministres israéliens justifient le blocus par des arguments d’ordre sécuritaire.
Pour donner un exemple révélateur, le 16 mars 2011, la marine intercepte un cargo
proche de l’enclave palestinienne, et y trouve des armes. Dans l’après-midi même devant
la presse, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, armes saisies dans les
mains, y justifie le blocus51. Au delà de l’argument classique de la sécurité, il est normal,
pour l’apprenti-chercheur en histoire, de se poser des questions sur l’existence ou non
de stratégies différentes. En effet, l’argument sécuritaire est simple à comprendre mais
pose un problème d’ordre stratégique car peut-on réellement imaginer d’un Etat en
guerre, n’avoir qu’une seule stratégie, qui plus est à court terme ? La victoire du Hamas
aux élections de 2005-2006 fut une véritable surprise pour les stratèges israéliens,
l’incapacité de Mohammed Dahlan de prendre Gaza en 2007 en fut une autre, celui-ci fut
50 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 327.
51 http://www.20minutes.fr/monde/688528-20110316-monde-israel-justifie-blocus-
gaza-saisie-armes-mediterranee
26
soutenu par les Etats-Unis et Israël notamment en fournissant des armes52. Tel-Aviv mit
en place le blocus pour se protéger comme on l’a vu mais aussi avec l’idée que celui-ci
entrainerai une révolte de la population contre le gouvernement islamiste d’Ismaël
Haniyeh. Si cette hypothèse se révèle juste, on ne peut que noter l’échec de cette
stratégie. Même si il est impossible de connaître la côte de popularité du Hamas, on sait
qu’il n’y a pas eu de mouvement de fond de la population contre le Hamas. Certes des
mouvements salafistes ou s’inspirant d’organisation anti-Mohammed Morsi comme le
Tamarrud existent, mais les capacités d’action de ces mouvements sont beaucoup trop
restreintes pour mettre en danger le Hamas et ses leaders.
1.3.2 Egypte
Gaza connut à ses frontières égyptiennes trois évènements majeurs : la destitution de
président égyptien Hosni Moubarak le 11 février 2011, l’arrivée au pouvoir du frère
musulman Mohammed Morsi en juin 2012, sa destitution en juillet 2013 et son
remplacement par le nouvel homme fort du pays Abdel Fattah al-Sissi. L’idée de cette
partie est de tenter de comprendre les évolutions de la position égyptienne vis à vis du
blocus. Il existe deux éléments, deux mesures qui nous permettent de juger de la
flexibilité ou au contraire du durcissement de l’Egypte, la question des tunnels et de
l’ouverture du point de passage de Rafah. En ce qui concerne Rafah, notre première
partie a mis en évidence certaines tendances. La période Moubarak fut une période
assez dure avec notamment une fermeture quasi systématique de Rafah. Mais dès 2010
et probablement en accord avec Israël (période dite de « désenclavement » initiée en
juin 2010), Moubarak ouvre de plus en plus Rafah. Le printemps arabe constitue une
période de turbulence et Rafah se referme. L’arrivée de Morsi est accueillie dans les rues
de Gaza comme une délivrance, le Hamas est à l’origine le représentant des frères
musulmans à Gaza, d’ailleurs un des objectif du président islamiste fut de demander aux
américains de retirer le Hamas de la liste des organisations terroristes53. Dans les faits
Rafah se ré-ouvre puisqu’il passe entre juin et juillet 2012 de 30000 à 51000 passages.
Cette période faste se termine avec l’arrivée de Sissi, son arrivée entraine une chute
massive des passages puisqu’entre juin et juillet 2013, on passe de 55000 à 16000. Pire,
devenu président en juillet 2014, Sissi fait fermer Rafah comme jamais, de juillet à
52 http://echogeo.revues.org/10901
53 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
27
novembre 2014 on passe de 7000 à 2000. Ces tendances sont confirmées par les acteurs
gazaouis travaillant dans les tunnels. Ces derniers mettent en évidence le peu de
contrôle que Moubarak faisait pour combattre la contrebande des tunnels. Sous Morsi,
certains parlent même de boom économique et tous sont d’accord pour dire que Sissi
paralyse l’économie en détruisant tous les tunnels54, rendant impossible l’importation
de quoi que ce soit. Mais alors pourquoi ? Le « double-jeu » de Moubarak s’explique
facilement, il est d’une génération d’hommes politiques égyptiens (Moubarak est né en
1928) marquée par la cause palestinienne, marquée par les conflits et les guerres contre
Israël, il est d’une époque où le nationalisme égyptien se confondait avec celui des
palestiniens dans le mythe de la nation arabe. Sissi est un homme plus jeune, né en 1954,
il forma sa conscience politique à l’époque de Sadate où l’Egypte transforma son
nationalisme en excluant tout élément non-égyptien. Cette transformation, sur un temps
long, du nationalisme égyptien et la fin de tout rêve panarabe sont deux éléments qui
sont fondamentaux pour comprendre les évolutions de la politique égyptienne55. Un
élément géostratégique plus récent explique le choix de Sissi de détruire par l’eau ou la
dynamite tous les tunnels reliant l’Egypte à Gaza, on parle d’une destruction de 90% des
1200 tunnels, d’une perte de 230 millions de dollars de taxe pour le Hamas56. Cette
élément est l’émergence d’un nouvel acteur : Ansar Jerusalem qui depuis son allégeance
à DAECH se renomme Wilayat Sinaï. Ce mouvement salafiste apparu en 201157
revendique plusieurs attentats notamment au Caire58. Sissi explique que le Hamas
soutient ce mouvement takfiriste, en assimilant volontairement les djihadistes du Sinaï
les frères musulmans égyptiens et le Hamas. Il est difficile de vérifier la véracité de ces
accusations. On peut néanmoins souligner que la « guerre » déclarée contre le Hamas
permet à l’armée égyptienne de réinscrire sa lutte contre les Frères musulmans en
Égypte dans une perspective régionale afin de lui donner davantage de crédibilité. En
mettant en avant la « collaboration » entre la confrérie égyptienne et le Hamas, il tente
ainsi d’agiter l’épouvantail d’une dangereuse conspiration islamiste, voire terroriste59. Il
s’agit donc de problématiques internes à l’Egypte qui explique la politique anti-Hamas
54 https://www.youtube.com/watch?v=0n9S_oz16Kw
55 http://orientxxi.info/magazine/pourquoi-les-egyptiens-ne,0649
56 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
57 http://www.lefigaro.fr/international/2014/09/22/01003-20140922ARTFIG00226-l-
ei-appelle-les-islamistes-du-sinai-a-la-violence-en-egypte.php
58 Ibid
59 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
28
du président Sissi, son combat contre ses ennemis islamistes modérés comme les frères
musulmans ou terroristes comme Wilayat Sinai sont les contrecoups politiques de son
coup d’Etat. Pour que cette politique puisse se faire sur le dos des Palestiniens, il eut
fallut une transformation du nationalisme égyptien, amputé de toute panarabisme et
donc de lien avec le nationalisme palestinien.
2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses
pour la population.
2.1Pénuries des besoins primaires et quelques conséquences.
2.1.1 La crise énergétique.
Lors du dernier conflit entre palestiniens et israéliens, lors de l’opération « bordure
protectrice », les coupures d’électricité ont pu dépasser près de 21 heures par jours60.
Certes il s’agit de record, mais les coupures restent un mal chronique au sein d’un
quotidien déjà difficile. A Gaza, l’électricité est devenue aussi aléatoire qu’un jeu de dés.
Gaza se retrouve périodiquement dans le noir complet au gré du conflit ave Israël et de
la persistance du blocus. Avant la dernière crise de l’été, les habitants devaient gérer des
coupures quotidiennes, jusqu’à huit heures d’affilée, mais surtout l’électricité arrive puis
repart à n’importe quel moment de la journée : à 8 heures, 15 heures ou 3 heures du
matin. Comment en est-on arrivé à cette situation ? L’électricité de Gaza arrive par trois
sources, la première est la compagnie israélienne qui permet l’acheminement de près de
120 mégawatt d’électricité grâce à 10 câbles électriques. La deuxième source est
l’Egypte qui grâce à 2 câbles électriques fournit 37 mégawatt et enfin la centrale de Gaza
60 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article14765
29
fournit 80 mégawatt alors que sa capacité pourrait être de 12061. Ainsi le potentiel total
d’électricité pouvant être distribué à Gaza est de 237 MW alors que l’estimation la plus
basse du besoin en électricité se situe à 350 MW62. Il y’a donc un déficit, dans le
meilleure des cas, de 113 MW. Il faut savoir que le besoin peut augmenter notamment
en hiver jusqu’à 440 MW et que certains experts considèrent que dans les années à venir
et au vu de l’augmentation du nombre d’habitants, les besoins63 pourraient atteindre
600 MW. Actuellement on considère qu’il y’a un déficit d’électricité situé entre 35 et
40%64. Cette situation s’explique en premier lieu par l’attaque, quasiment lors de
chaque conflit, de la centrale de Gaza, par l’armée israélienne. A titre d’exemple, Tsahal
à détruit six transformateurs lors d’un raid en 2006 à la suite de la capture du soldat
Shalit.65Mais la raison principale reste la question de l’acheminement de plus en plus
difficile des carburants nécessaire au bon fonctionnement de la centrale. En effet, Israël
limite les quotas de carburants importés de son territoire, 2 millions de litres par mois
pour des besoins estimés à 13 millions de litres mensuels66. L’Egypte n’est pas en reste
puisque dès février 2012, Le Caire diminue l’approvisionnement au marché noir
d’essence, depuis son territoire via les tunnels. Cette essence est le principal carburant
qui permet le fonctionnement de la centrale électrique67. Les raisons semblent obscures
mais selon le journaliste de Gaza Rami Abou Jamouss « L’Egypte avait accepté de laisser
filer son carburant à un tarif très bas, à titre humanitaire pour aider Gaza. Mais le Caire
n’accepte plus que le Hamas fasse un business sur son dos, sans aucune contrepartie »68.
Le Hamas avait, en effet, instauré un système de taxes à la sortie des tunnels au
détriment des autorités égyptiennes et des habitants de Gaza. Le cours du carburant
61 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable-
Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf
62 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-
egypte-israel
63 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable-
Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf
64 ibid .
65https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_fre
nch.pdf
66 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-
egypte-israel
67https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_fre
nch.pdf
68 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-
egypte-israel
30
était ainsi fixé à 1 shekel/litre (environ 0,20 euro) à l’entrée des tunnels côté égyptien,
avant de grimper à 1,5 shekels/litre (30 centimes d’euro) à la sortie. Le Hamas fixait
ensuite le cours à 3,5 shekels/Litre (0 ,70 euro) sur l’étroite bande côtière69. Enfin
dernière raison, la passivité de l’ennemi juré du Hamas, l’Autorité palestinienne à
Ramallah qui paie aléatoirement le carburant israélien destiné à Gaza70. C’est bien cette
conjonction de fait qui explique ce manque permanent d’électricité à Gaza. Afin de
pallier aux longues pannes de courant, le secteur privé et les ménages (les plus riches)
ont recours à des générateurs de secours, qui demeurent peu fiable du fait de l’accès
limité en carburant et en pièces de rechange. Ces générateurs sont indispensables pour
les hôpitaux et notamment les services d’urgence, mais la menace d’un effondrement des
réserves des générateurs fait craindre le pire aux médecins. C’est bien ce genre de
témoignage que les humanitaires et les médecins comme Christophe Oberlin narrent
dans leurs ouvrages71. Comme nous le verrons plus tard, la crise énergétique à un
impact très important notamment sur la question de l’eau qui elle-même pose des soucis
d’ordre économique mais aussi sanitaire. Seulement avant de clore ce chapitre, il existe
une réalité beaucoup plus triste et dramatique lorsque l’on s’intéresse à la crise
énergétique. En effet, les générateurs ne sont pas, pour des raisons économiques,
accessibles à la très grande majorité des gazaouis, par conséquent ceux-ci utilisent des
bougies. Celles-ci sont responsables de nombreux empoissonnements à cause du
monoxyde de carbone, voire d’incendies meurtriers comme ce lundi 13 avril 2015 où 5
membres d’une famille sont morts dans l’incendie de leur maison près de Rafah72.
2.1.2 La question de l’eau
L’approvisionnement insuffisant en électricité et en carburant, nécessaire au
fonctionnement des pompes à eau des puits, engendre une diminution de l’accès à l’eau
courante pour la plupart des ménages. Ceux-ci doivent alors avoir recours à des
fournisseurs privés au risque d’une hygiène précaire. Les centrales de traitement des
69 ibid.
70 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-
egypte-israel
71 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011, p. 211.
72 http://www.palestine-solidarite.org/actualite.ziad_medoukh.130415.htm
31
eaux réduisent la durée de leurs cycles de purification, et par conséquent rejettent dans
la mer des eaux usées polluées. Enfin, les égouts risquent à tout moment de refouler
dans les villes, comme ce fut le cas le 11 décembre 2013 à Gaza-ville73. Ainsi, l’enclave
palestinienne se retrouve dans un cercle vicieux, puisqu’il n’y a pas d’électricité, les 291
unités de traitement d’eaux ne fonctionnent que très rarement, et sont souvent dans des
états déplorables (pas de matériels pour les remettre en état), les eaux usées ne sont
donc pas traitées et sont directement renvoyées dans la mer. Ce système pollue
l’aquifère notamment à cause de dose trop importante en nitrate74, et rend l’eau
imbuvable à près de 90%, et l’aquifère pourrait être inutilisable dès 202075. Etant
donnée que la population continue d’utiliser ces eaux sales en cultivant, en se lavant ou
en cuisinant, on voit l’apparition de maladies respiratoires, cutanées ou oculaires ainsi
que de gastroentérites76, ou encore de diarrhées devenues très courante à Gaza. La
contamination par les nitrates de l’aquifère représenterait un danger pour les
nourrissons et les femmes enceintes. L’une des maladies infantiles liées à la pollution de
l’eau est la méthémoglobinémie, ou le « syndrome du bébé bleu », qui touche des
nourrissons nés dans la bande de Gaza77.
Au delà de la question de la qualité de l’eau, une nouvelle problématique est apparue,
celle de la demande en eau. Chaque année, 160 millions de mètres cubes d’eau en
moyenne sont prélevés dans l’aquifère côtier alors que la « recharge » d’eau issue des
collines d’Hébron à l’est de Gaza ne l’alimente, grâce aux précipitations et aux
ruissellements, qu’à hauteur de 50 à 60 millions de m378. La différence entre la quantité
d’eau disponible et la consommation est donc considérable. Le niveau de la nappe
phréatique est par conséquent en chute, permettant ainsi l’infiltration de l’eau salée79, la
73 http://www.france-palestine.org/Gaza-sous-les-eaux-usees
74 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
75 Ibid.
76 http://www.irinnews.org/fr/report/96226/tpo-l-eau-de-gaza-pourrait-cesser-d-
%C3%AAtre-potable-d-ici-2016
77http://www.unicef.org/oPt/FINAL_Summary_Protecting_Children_from_unsafe_Water
_in_Gaza_4_March_2011.pdf
78 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
79 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
32
rendant dangereuse. Il existe des projets de création d’usine de dessalement, mais aucun
n’a encore vu le jour80, faute de moyens.
Enfin, les rapports sont tous d’accords sur un point, d’ici quelques années la situation de
l’aquifère sera irréversible, la solution ne se trouve pas dans les moyens techniques mais
à chercher au niveau politique, en mettant fin au blocus.
2.1.3La question alimentaire.
L’un des derniers rapports de l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient met en évidence que les gazaouis souffrent
d’insécurité alimentaire81. La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains
ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine
et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences
alimentaires pour mener une vie saine et active. Lorsque l’une des quatre dimensions
manque, l’insécurité alimentaire transitoire ou chronique s’installe pour la population
considérée82. La population palestinienne souffre d’insécurité alimentaire en grande
partie pour des raisons économiques, en effet on trouve de tout sur les marchés de Gaza.
Grâce aux tunnels, il existe à peu près tous les produits disponibles même des fraises de
Rungis83, mais ces produits sont chères et ne sont accessible qu’aux populations les plus
favorisées de l’enclave. Pour le reste de la population, la majorité, la situation reste
difficile, plus de la moitié des ménages à Gaza sont soit en situation d’insécurité
alimentaire (44%) ou proche de l’être (16%). Ces chiffres restent élevés car ils prennent
en compte la distribution de l’aide alimentaire qui touche près de 1,1 millions de
personnes. La question alimentaire à Gaza est donc intimement lié à la question
économique et aux revenus par habitants. En effet, à cause de la densité importante de
l’enclave, d’un territoire majoritairement urbain, peu peuvent vivre de l’autosuffisance,
c’est--dire avoir ses propres champs à cultiver. A Gaza, les rentrées d’argent se sont
toujours réalisées grâce aux échanges, aux commerces, aux ouvriers partis travailler en
Israël ou grâce aux services. Or, le blocus ne permet plus ce genre d’activités, rendant la
80 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
81 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
82http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/s%C3%A9curit%C3%A9_alimentaire/1
9930
83 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 176.
33
population gazaoui dépendante de l’aide internationale et de la contrebande. Le blocus
empêche tout autant le développement d’une économie permettant l’autosuffisance
alimentaire, notamment à travers les restrictions des zones de pêche, les 4000 pêcheurs
n’ont pas accès à 85% des zones maritimes convenues dans le cadre des accords d’Oslo,
en conséquences, les prises de poissons ont diminué de façon spectaculaire. Le blocus
empêche l’accès à 17% des terres de l’enclave, y compris 35% de terres agricoles car
celles-ci sont situées soit dans des zones interdites soit dans des zones à haut risque.
Globalement on estime que les restrictions maritimes et terrestres affectent directement
178000 personnes soit 12% des Gazaouis et entrainent des pertes annuelles estimes à
76,7 millions de dollars de production84.
Enfin, avant de nous pencher plus profondément sur la dimension économique du
blocus, il me reste à mettre en avant un point. Cette dépendance à l’aide humanitaire
semble être une volonté politique de la part de l’Etat hébreu. Dov Weisglass qui fut le
conseiller politique d’Ariel Sharon et d’Ehud Olmert, eu une phrase dès 2006 : « l’idée »,
disait-il, « est de mettre les palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de
faim »85. Peu d’observateurs ont vu dans cette phrase davantage qu’un commentaire
hyperbolique. Seulement après plusieurs années de procès, mené par l’organisation
israélienne des droits de l’homme Gisha, Israël a été forcé de dévoiler un document
interne intitulé « Red Lines ». Ce document est le produit d’un travail demandé par le
premier ministre Olmert dès 2007, à des fonctionnaire de la santé israéliens qui
devaient fournirent des calculs sur le nombre minimal de calories nécessaire au million
et demi d’habitants de Gaza afin d’éviter la malnutrition. Ces chiffres furent alors
convertis en camions de nourriture censés être permis chaque jour par Israël. Or, les
fonctionnaires avaient calculé une moyenne de 2, 200 calories, soit 170 camions par
jour, or il y’en à en moyenne qu’une soixantaine qui arrive quotidiennement à Gaza
L’insécurité alimentaire s’explique aussi par un véritable machiavélisme politique86.
Seulement cette idée de dépendance ne date pas de 2007, elle remonte plus loin et la
grande spécialiste de Gaza, l’américaine Sara Roy la même conceptualisée , il s’agit d’un
84 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
85http://www.pourlapalestine.be/index.php?option=com_content&view=article&id=14
55%3Ale-regime-de-famine-impose-par-israel-a-gaza&catid=1%3Alatest-
news&Itemid=1
86 Ibid
34
« de-development »87. Cette idée est la ligne directrice pour comprendre toute la
dimension économique de Gaza et de la politique du blocus.
2.2 Le blocus et sa dimension économique, le « de-development » et ses
conséquences.
2.2.1La destruction de toute économie privée
L’économie de l’enclave palestinienne est dans une situation catastrophique. Le secteur
privé a été le secteur le plus touché, ce secteur qui employait environ 70.000 personnes
avant 2007, et qui représentait 45% du marché de travail dans la bande de Gaza, est
actuellement paralysé. Les raisons sont multiples, il y’a la fermeture des usines et des
ateliers l’interdiction d’entrée de matières premières pour tous les projets et
l’interdiction d'exporter. Il ne faut pas oublier la destruction de 80% des entreprises
privées lors de l’agression israélienne de 2008-2009 et plus de 700 installations
industrielles fermées sans réouverture. De plus la seule zone industrielle qui se trouvait
au nord de la bande de Gaza est fermée elle aussi définitivement en 2009. Le secteur
privé n'emploie actuellement plus que 10.000 personnes88.
Le cercle est vicieux là aussi, beaucoup d’émigrés originaire de Gaza sont retournés à
l’intérieur de l’enclave en 1994, lorsqu’Arafat put revenir. Ces individus construisirent
des usines notamment de vêtements, de tissus et de bois89. Les différends conflits
détruisirent les installations des usines, le blocus ne permit plus l’accès aux fournitures
nécessaires à l’activité économique. Le blocus et ses restrictions interdirent les rentrées
de ciment, les usines ne peuvent plus être reconstruites. Une activité économique
inexistante pousse automatiquement les travailleurs au chômage, qui se tournent ou
dans les forces de police ou dans le travail difficile et dangereux des tunnels.
Autre grande déception, la disparition des zones industrielles. Ces zones, apparues dans
les années 90 lors des accords d’Oslo, ont été vues comme une source de croissance et
d’emploi. L’idée était d’agrandir un secteur privé quasiment inexistant, d’attirer les
investissements étrangers et israéliens. Ainsi on construisit une paix politique en
87 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for
Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
88 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
89 ibid.
35
s’appuyant sur une coopération économique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux
plus grandes zones industrielles se trouvaient à Karni et à Erez c’est- à- dire à la
frontière entre les deux territoires. Finalement, la guerre et le blocus n’ont pas permis le
développement souhaité puisque le site industriel de Karni fut détruit en 2004 et celui
d’Erez en 200990. Malgré cet échec, le site d’Erez donnait du travail à près de 4000
personnes, c’est autant de gens qui se trouve maintenant dépendant de l’aide
internationale.
Si vous regardez les images de Gaza ou celles d’Alep en Syrie, vous notez la même chose,
un panorama de guerre et de destruction. La France a connu sa période de croissance, à
la fin de la seconde guerre mondiale, lorsqu’il a fallu reconstruire un pays en ruine. Les
Gazaouis n’ont pas cette chance, des générations entières de jeunes hommes disponibles
pour reconstruire leur enclave en sont interdits par l’occupant. En effet, le
gouvernement de Benjamin Netanyahou n’a eu de cesse de mettre en garde contre
l’usage « dual » de certains matériaux de construction. Les Israéliens disent redouter
leur détournement à des fins militaires, pour creuser des tunnels destinés à des attaques
du Hamas, ou pour fabriquer des roquettes. Israël réclame donc une surveillance
scrupuleuse des importations de matériaux et de leur usage dans la bande de Gaza.
Alors, l’économie privée, celle de la construction tourne au ralenti selon les capacités
financières d’acteurs locaux. Ces derniers achètent du ciment à prix d’or au marché noir,
du ciment d’Egypte ou volé dans les entrepôts du Qatar et de l’UNRWA, les deux seuls
acteurs majeurs dans le secteur de la construction présent à Gaza.
Il y a une volonté politique de maintenir la population palestinienne dans un état
d’infantilisation économique, l’argument sécuritaire ne tient pas puisque les associations
humanitaires se sont proposées à jouer les « contrôleurs », en vérifiant les bénéficiaires
du ciment91. On rejoint le concept fondamental de « de-development » développée par
l’universitaire américaine Sara Roy92. Il s’agit d’une politique délibérée, systématique de
déconstruction de toute économie indigène par un pouvoir dominant. Il s’agit d’une idée
différente du sous-développement puisque même sans volonté, le sous-développement
90http://unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/d0efbc4a63d5fca485256f5e006d2909/$FILE/
Industrial%20Estates.pdf
91 http://www.france-palestine.org/Le-ciment-l-or-recherche-de-Gaza
92 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for
Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
36
entraine un développement économique. Les colonisations classiques ont vu par
exemple les anglais prendre le contrôle d’une économie laissant un sous-développement
important, mais les anglais ont malgré tout laissé un espace où une base économique a
pu se mettre en place. Le « de-development » est une politique économique assumée qui
s’assure qu’il n’y ait aucune base économique, même malformée, qui pourrait soutenir
un mouvement de libération national93. On retrouve cette idée aussi dans un autre
secteur économique, l’agriculture, victime de la guerre.
2.2.2Une agriculture détruite, victime des guerres.
L’agriculteur Maher Abu Hdayda a déclaré à Al-Monitor ce qui s'est passé sur ses terres
dans la région agricole Ein Jalut, au sud-ouest de Khan Younes, après avoir été soumis à
des frappes aériennes par les Israéliens durant l’été 2014 : "Vous savez ce qu'est un
tsunami ? Ce fut un tsunami ardent de feu et ma terre agricole en fut complètement
détruite ", a t-il dit. 94
Les combats dans la bande de Gaza depuis 2007 ont paralysé l’agriculture. Durant les
guerres, les fermiers et les éleveurs ont dû abandonner leurs terres à cause des combats,
arrêtant la production alimentaire locale. Environ 17,000 hectares de terres cultivables
ont souffert de dégâts importants en raison des bombardements et des intrusions de
chars de combats. Au delà des champs, il s’agit d’une destruction de la majorité des
infrastructures agricoles, que ce soit les serres, les systèmes d’irrigation, les élevages, et
les stocks de fourrage95
Les raisons de cet acharnement sont liées, selon Israël, à des questions de sécurité. Les
serres et les champs, peuvent servir de couverture pour des tirs de roquettes. En effet,
93 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for
Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
94 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles-
gaza
95 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du-conflit-
sur-le-long-terme-fao.html
37
une des productions les plus importantes à Gaza, sont les oliviers96. Ils conservent,
parfois plusieurs siècles, une forme buissonnante de défense, et maintient la forme d’une
boule compacte et impénétrable, lui donnant l’aspect d’un buisson épineux.97Sa taille
située entre 3 et 7 mètres et donc sa forme, sont parfaites pour des tirs de roquettes
cachés. En ce qui concerne les installations, elles sont visées par les israéliens selon la
même logique, la certitude que les entrepôts sont les lieux de caches d’où se trouvent les
armes des milices résistantes et notamment les fameuses roquettes Quassam98. Les
conséquences sont terribles pour les agricultures, ces entrepôts servent à stocker les
récoltes qui doivent encore être vendus, mais aussi tous les outils agricoles
indispensable à la culture99. Comme nous l’avons vu l’agriculture est évidemment
touchée par les problèmes d’eau, et par l’interdiction d’entrée de produits nécessaire à
la reconstruction, notamment les systèmes d’irrigations.
Le nombre de travailleurs dans le secteur de l’agriculture à donc diminué, passant de
30000 en 2007 à 7500 en 2014100. L’agriculture souffre bien évidemment de
l’interdiction israélienne d’exporter notamment les produits agricoles de Gaza connus
pour leur qualité, notamment les fraises, les tomates, les oranges et les olives vers les
marchés externes101. Tous les rapports de prévisions économiques102 mettent en avant
la position exceptionnelle de Gaza en terme géographique. L’enclave est situé sur la mer,
mais est surtout au milieu d’un axe Europe- Asie, particulièrement intéressant en terme
d’échange. Dans cette globalisation des échanges, Gaza à une carte à jouer grâce à sa
position stratégique. L’agriculture, comme nous l’avons vu plus-haut, souffre de la
diminution des terrains cultivable détruits par les différentes incursions israéliennes sur
la bande de Gaza. La surface cultivée a diminué de 15% depuis 2007 et les pertes
agricoles quotidiennes à cause de la non exportation des produits agricoles vers
l’étrangers est de 70.000 euros par jour103.
96 http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu04901/les-devastations-de-l-
agriculture-de-gaza-apres-l-operation-l-operation-israelienne-plomb-durci.html
97 http://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier
98 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles-
gaza
99 Ibid.
100 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
101 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
102 http://www.anera.org/wp-content/uploads/2013/12/AgReport.pdf
103 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
38
Cette situation dramatique pousse beaucoup à abandonner leur terre agricole soit par
choix, soit à cause de la volonté de l’Etat hébreu d’augmenter la zone tampon. De plus, la
mort de beaucoup d’animaux à rendu l’élevage très difficile, et les prix ne cessent
d’augmenter. En effet, les prix flambent notamment les œufs (+40%), les pommes de
terre (+40%) et les tomates (+179%)104 . Cette inflation entraine une dépendance à
l’aide humanitaire où pour les autres le choix d’aller intégrer le système interlope de la
contrebande et du marché noir.
2.2.3 Développement du marché noir.
Le marché noir peut-être considéré comme le véritable poumon économique de Gaza.
Celui-ci est régulièrement ravitaillé par les tunnels. Véritable objet de fantasme pour les
médias, les tunnels situés sur les frontière de Gaza doivent être séparés en deux
catégories. Les premiers sont les tunnels offensifs, utilisés lors des infiltrations de la
résistance islamique, notamment lors de la capture du soldat Shalit en 2006. Ici nous
nous intéresserons aux autres tunnels, à vocation commerciale, situés notamment le
long de la route Philadelphie, c’est-à-dire le long de la frontière séparant Gaza de
l’Egypte, avec comme point central la ville de Rafah. Ces tunnels peuvent aussi être
séparés en deux, les tunnels d’armements et les autres. Mais pour comprendre
l’émergence des tunnels, il faut s’intéresser à la ville de Rafah.
Rafah fut divisée en deux, en 1979 lors des accords de paix israélo-égyptien de Camp
David. Seulement cette séparation divise des familles entières qui commencèrent à
creuser des tunnels le long de la frontière de 14 Km. Ces tunnels étaient parfois cachés à
l’intérieur des maisons. On à tendance à dater les tunnels à cette époque car dès 1983,
Israël en découvre l’existence105. L’utilisation des tunnels à tout naturellement explosée
en fonction du resserrement de Gaza : l’installation des clôtures, la destruction de
l’aéroport puis la fermeture des points de passages ont donné aux tunnels un rôle
majeur, voir indispensable à la survie de la population palestinienne.
La première et la deuxième intifada ont vu le développement des tunnels. En effet, avant
les tunnels permettaient aux familles de communiquer entre elles puis très vite a servi
104 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du-
conflit-sur-le-long-terme-fao.html
105 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
39
aux transferts d’argent, d’or ou de produits taxés en Israël comme le fromage fondu. Les
intifada ont modifié le rôle des tunnels, ceux-ci permettant l’acheminement d’armes. Il
s’est crée une fusion d’intérêt, celles des milices, plaque tournante de la résistance, avec
les clans et les bédouins, qui étaient les propriétaires de ces tunnels. Cette fusion entre
intérêt militaire et commerciale allait être la caractéristique, le substrat du
développement futur des tunnels. La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas
à marqué un tournant dans le développement des tunnels. Le siège à été renforce du
côté égyptien et israélien dès l’été 2007. En novembre 2007, Israël coupe de moitié les
approvisionnement alimentaire et les importations de combustibles, finalement en
janvier 208, Israël annonce un blocus total sur le carburant après que des roquettes fut
tirées sur Sderot, une ville israélienne frontalière106
A partir de cette date, le Hamas va petit à petit s’intéresser aux tunnels soit en les louant
soit en construire. Il améliore aussi la sécurité des tunnels, l’électricité.... Le mouvement
islamiste prend possession d’une grande partie du secteur, s’enrichit grâce aux taxes. Ce
point sera d’ailleurs étudier avec plus de précision plus loin dans le mémoire.
En ce qui concerne la mécanique très spéciale des tunnels d’armements, selon un
rapport du congrès américain107, celle-ci consiste en une alliance entre les familles
propriétaires, louant pour un temps leur tunnel à des membres du Hamas ou du jihad
islamique. Les armes et les munitions sont tirées par des câbles et des moteurs
électriques à travers les tunnels, qui en certains endroits atteignent des profondeurs
variant de 15 à 18 mètres. Bien qu’il n’y ait pas de preuve définitive quand à l’origine des
armes, l’Egypte et Israël pensent que la plupart des armes sont en provenance du
Yémen, du Soudan ou du Sinaï lui-même. Par natures cachés et discrets, nous ne
disposons que de peu d’informations sur ces tunnels. Les Gazaouis eux-mêmes les
cachent aux journalistes ou aux experts d’organisations internationales, à la différence
des autres tunnels où passent des produits de première nécessité.
Ces tunnels sont les plus nombreux, les plus visibles. Beaucoup de reportages en ont
filmés108. Généralement, il s’agit d’entrepreneurs privés, d’individus qui s’associent pour
mettre de l’argent en commun et commencer à construire. On peut considéré qu’il faille
un somme comprise entre 100,000 et 300,000 dollars pour commencer et le retour sur
106 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
107 http://fpc.state.gov/documents/organization/101806.pdf
108 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw
40
investissement est multiplié par trois en un mois109. Les tunnels s’adaptent à la
demande, mais le produit phare reste le carburant, indispensable au bon
fonctionnement de la ville. Il s’agit souvent de produit le plus taxé (avec les cigarettes)
et où un véritable rapport de force existe entre l’entrepreneur privé et le Hamas,
souvent à l’avantage du dernier110. Par conséquent, les produits sont souvent ceux
interdits par Israël, comme les pâtes, les voitures ou des outils pour l’agriculture ou pour
la construction, notamment le ciment. Il est très difficile d’estimer le chiffre d’affaire de
ces tunnels. Mais pour se rendre compte de l’importance, un chiffre semble éclairer la
situation. Les tunnels rapportaient en 2005, près de 30 millions par an, en 2012 on
estime le chiffre à près de 36 millions par mois111. Ainsi s’est crée de véritable fortune,
notamment chez les bédouins du Sinaï. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard puisque dans sa
guerre contre les groupes rebelles du Sinaï, Sissi a fait fermer une grande partie des
tunnels, il a évidemment bien conscience de l’importance financière de ce commerce.
Comme les cycles classiques de l’économie, les tunnels de Gaza n’y échappent pas. En
effet, la crise du Sinaï représente le dernier coup de boutoir à un business désormais en
déclin. En 2007, avec la prise de pouvoir du Hamas et la mise en place d’un blocus
économique par Israël et l’Egypte de Moubarak, les tunnels deviennent le poumon
économique d’une langue de terre coupée du monde. En 2009, à la suite de l’opération
militaire israélienne «Plomb durci», le réseau souterrain devient incontournable. Tout y
passe: carburant, cigarettes, ciment, canettes de boissons, chips, vêtements, mais aussi
réfrigérateurs, micro-ondes, deux-roues... Les 1.500 passages souterrains sous la
frontière de Rafah vers l’Egypte deviennent alors la plus grande «entreprise» de Gaza,
avec 10.000 employés directs, et 40.000 à 50.000 travailleurs «indirects». Le business
perd de son rayonnement en 2010 avec l’ouverture du poste-frontière israélien de
Kerem Shalom à la plupart des biens de consommation. Mais 500.000 litres de carburant
ou encore 300.000 paquets de cigarettes continuent de transiter, chaque jour, par les
tunnels. Durant l’année 2011, 13.000 voitures auraient emprunté les voies souterraines
avant de rejoindre Gaza-ville. Le marché se retourne après l’assaut désastreux des forces
israéliennes contre la «flottille» turque partie briser le blocus de Gaza. Pour répondre à
l’émotion internationale, Israël allège alors l’embargo sur la plupart des produits de
109 http://www.lrb.co.uk/v31/n20/nicolas-pelham/diary
110 Ibid.
111 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
41
consommation courante. Résultat: les tunnels ne gardent que les matériaux de
construction, les cigarettes égyptiennes (moins chers), l’essence, et les voyages
souterrains privés. Les «gros bonnets» du système souterrain survivent, les petits
entrepreneurs font faillite. Le chiffre d’affaires journalier passe alors de 15.000 dollars à
1.000/1.500 dollars. Aussi, les tunnels, qui pouvaient valoir jusqu’à 300.000 dollars
l’unité en 2008, se revendent aujourd’hui autour de 35.000 dollars112.
En 2015, il faut le dire le commerce des tunnels est moribond. Dans le documentaire
« Rue Abou Jamil » tourné en 2009 pour La Chaine Parlementaire, le film s’ouvrait par
cette phrase d’un propriétaire de tunnel « les tunnels ne peuvent être fermés, ni par
l’Egypte ni par Israël », malheureusement on peut dire, avec tristesse, que ce jeune s’est
trompé113.
2.3Le blocus et ses conséquences sociales et psychologiques.
2.3.1 Le phénomène de déscolarisation.
Les différentes guerres et le blocus sont responsables d’une augmentation du
phénomène de déscolarisation et du travail des enfants. Même si le taux
d’alphabétisation reste élevé, on voit apparaître un déclin du taux de scolarisation et du
taux de réussite des enfants aux tests depuis 2008114. En 2013, le taux de travail des
enfants entre 5 et 14 est de 5,7115 (la loi palestinienne interdit le travail aux enfants de
moins de 15 ans) Constatant ceci, Le Dr. Maher al-Tabaa, un économiste de Gaza,
explique : « Le travail des enfants en Palestine est devenu un phénomène dangereux,
forçant les enfants à abandonner l’école pour nourrir leurs familles »116. Les raisons sont
multiples, mais tiennent d’une part à l’explosion démographique, à l’augmentation du
112 http://www.slate.fr/story/61031/gaza-fin-tunnels
113 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw
114 http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/j-aimerais-avoir-assez-
d-argent-pour-continuer-l-ecole-2009-07-27
115 Ibid
116 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants-
gaza-664941663
42
coût de la vie et à un phénomène qui touche de nombreuses familles, l’incapacité pour le
père de famille de subvenir aux besoins de ses proches. Celui-ci est soit mort, soit
handicapé dans le meilleur des cas. Pour rappel, la dernière guerre a touché entre 1400
et 2000 personnes avec 10000 blessés117. Cette situation pousse la mère à déscolarisé
son enfant et à l’obliger à ramener un peu d’argent, les rues de Gaza sont remplies
d’enfants vendant des biscuits, travaillant clandestinement dans des garages ou lavant
des pare-brises à la sauvette. Le travail dans les tunnels reste aussi le moyen le plus sûr
pour les enfants de trouver un travail. Du fait de leur petite taille, mais surtout moins
susceptible de se plaindre ou de réclamer une augmentation de salaire118.
Faire travailler ses enfants est aussi pour les parents d’éviter la honte de la mendicité.
Les parents restent à la maison et c’est à l’enfant de trouver un emploi ou quelques
shekels119. Il existe des cas bien pire, beaucoup d’enfants n’ont plus de maisons, ont été
déplacés par les guerres, et sont logés dans des abris publics qu’ils ne considèrent pas
comme des foyers sûrs et pérennes, ce qui les oblige à partir travailler. Selon l’UNICEF,
plus de 96 000 maisons de réfugiés palestiniens ont été sérieusement endommagées ou
totalement détruites pendant le conflit de l’été dernier, et les enfants continuent de
souffrir de l’impact de ces déplacements120
Enfin, le phénomène de déscolarisation est lié au développement d’un sentiment qui
tend à se propager au sein de la société de l’enclave, l’école ne permet plus l’élévation
sociale. Cette idée, nous la développerons dans la prochaine partie.
2.3.2 Les effets sur la cellule familiale.
Les familles connaissent de profondes modifications. On note une augmentation du
mariage précoce et du mariage entre gens de la même famille. En arabe, on parle de
Hamûla, qui doit être traduit en français par « clan ». Il s’agit d’un phénomène très
117 http://www.lepoint.fr/monde/gaza-un-nouveau-bilan-fait-etat-de-2-016-
palestiniens-tues-18-08-2014-1854584_24.php
118 http://www.unicef.org/french/education/oPt_67168.html
119 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article13860
120 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants-
gaza-664941663
43
difficilement quantifiable, seulement il est intéressant de noter quelques tendances. Les
chiffres de l’ONU conclu qu’entre 1961 et 1987 les femmes avaient tendance à se marier
plus tardivement que dans les décennies suivantes121. Pour comprendre ce phénomène,
il faut prendre l’histoire de Gaza dès 1948. Toute une génération de femmes, née après
la nakba, eut un mariage tardif et avec un membre ne faisant pas partie du clan. Ces
femmes avaient un haut niveau d’étude et surtout avaient la possibilité de travailler
dans les pays du Golfe alors en plein boom économique, comme le Koweït. Ces pays
cherchaient des professeurs notamment, hommes ou femmes. Ainsi les perspectives
d’emplois féminins dans le Golfe et l’absence de marché du travail à Gaza influencèrent
le comportement des familles pour ce qui est du mariage des filles. Dans ce contexte où
un grand nombre de femmes avaient un haut niveau d’éducation et pouvaient répondre
à de nombreuses offres d’emploi dans le Golfe, les filles n’étaient pas perçues comme un
fardeau économique que les familles voulaient marier le plus vite possible. Au contraire,
elles devinrent, en général, une source de revenus. Cela peut expliquer pourquoi seule
une petite proportion d’entre elles se marièrent à un âge précoce dans les années
soixante, par comparaison avec les décennies suivantes122. Avec l’occupation en 1967, la
situation se transforma peu à peu. Les palestiniens abandonnèrent très tôt l’école, pour
devenir « l’armée de réserve de main-d’œuvre » d’Israël. Contrairement au marché du
travail dans le Golfe vers lequel se tournèrent les Palestiniens après la Nakba, le
marché du travail israélien n’avait pas besoin d’hommes munis de diplômes
universitaires. Les travailleurs palestiniens pouvaient l’intégrer armés de leur seule
force physique. L’éducation fut moins valorisée : la contribution des femmes au bien-
être de leurs familles perdit sa raison d’être et leur âge au mariage baissa de
nouveau123. Naguère, l’éducation était un moyen d’accéder à la mobilité sociale et
d’émigrer dans le Golfe, mais désormais les fils aspiraient à trouver un emploi en
Israël. L’ « argent facile », qui pouvait être gagné sur le marché du travail israélien du
fait de salaires relativement élevés, avait un impact important sur les comportements.
Contrairement à la génération des années soixante qui valorisait le travail des femmes,
les jeunes hommes employés en Israël préfèrent que leurs femmes s’occupent de leurs
enfants pendant qu’ils s’épuisent du matin au soir sur les chantiers de construction.
121 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37
122 ibid
123 ibid.
44
L’occupation porta atteinte au niveau d’éducation en général ainsi qu’à sa valeur
sociale et symbolique. Ce qui était considéré comme une victoire héroïque des
Palestiniens dans les années soixante était dorénavant dévalorisé par une destruction
désespérante. Ce phénomène du mariage précoce et en son clan a donc commencé très
tôt, dès l’occupation israélienne et continue après le blocus, malgré la fermeture du
marché du travail israélien, Les raisons principales sont la pauvreté, le manque
d’emploi, la fermeture des frontières, il y’ a un retour dans le cercle familiale, qui à
tort ou à raison est vu comme protecteur124.
Selon les agences des Nations Unies, les organisations non gouvernementales (ONG), la
violence sexiste reste à un niveau épidémique dans le territoire palestinien occupé ; ses
victimes manquent de recours juridiques et doivent souvent subir les réactions de la
famille quand elles dénoncent un acte criminel.
Le nombre de cas d’attaques sexuelles rapportées de 2006 à 2009 a été multiplié par
plus de sept, et celui des tentatives de meurtre (de femmes) par cinq, selon le ministère
de la Condition Féminine de l’Autorité palestinienne125. Ces chiffres sont sûrement une
moyenne basse car les femmes ne vont pas voir la police ou la justice, mais tentent de
régler le problème avec d’autres membres de la famille126. De plus, il faut noter que le
divorce est un acte très mal vu par les autorités du Hamas et la police préfèrent « la
discussion au divorce »127 Il est indéniable que les violences domestiques touchent
beaucoup plus la région de Gaza que celle de Cisjordanie et est en augmentation depuis
le début du blocus128. Un autre rapport de 2012 du bureau central palestinien des
statistiques, met en évidence que 31% des femmes gazaouis seraient victime de
violences physiques, 15% de violences sexuelles et près de 75% de violences
psychologiques129. Ces chiffres sont analysés par l’office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient comme les
conséquences du blocus israélien, qui en déstabilisant l’économie locale et en
124 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37
125 http://www.irinnews.org/fr/report/91809/tpo-peu-de-recours-pour-les-victimes-
de-violence-sexiste
126 https://libertefemmespalestine.wordpress.com/2007/02/20/ces-palestiniennes-
victimes-de-violences-familiales/
127 http://www.al-monitor.com/pulse/fr/originals/2013/09/palestinian-domestic-
violence-women-rights.html.
128 ibid.
129 http://www.pcbs.gov.ps/Portals/_PCBS/Downloads/book1936.pdf
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  • 1. 1 ISAM-ESCRIBE KARIM VIE SOUS LE BLOCUS DE GAZA : 2007-2015 2014-2015 UNIVERSITE PARIS IV -SORBONNE SOUS LA DIRECTION D’OLIVIER FORCADE.
  • 2. 2 Remerciements. Ce travail aurait été impossible à mener sans la confiance du Professeur Forcade. Je tiens aussi à témoigner ma reconnaissance à Mr Ziad Medoukh, professeur de français à l’université de Gaza, qui à gentiment répondu à mes mails.
  • 3. 3 À ma grand-mère et à Ludovica. Au peuple de Palestine et de Gaza.
  • 4.
  • 5. 5 « Gaza n’a pas de voix. Ce sont les pores de sa peau qui exhalent la douceur, le sang et le feu. Et donc l’ennemi lui voue une haine et une crainte mortelles, et cherche à la noyer dans la mer, le désert ou le sang. Et donc ses proches et ses amis l’aiment avec une timidité qui parfois touche à la jalousie et à la peur, car Gaza est une leçon brutale et un exemple éclatant pour ses ennemis comme ses amis. Gaza n’est pas la plus belle des villes. Son rivage n’est pas plus bleu que celui d’autres villes arabes. Ses oranges ne sont pas les plus belles du bassin méditerranéen. Gaza n’est pas la ville la plus riche. Ce n’est ni la plus élégante, ni la plus grande, mais son histoire est à la hauteur d’une véritable patrie. Car elle est la plus laide, la plus pauvre, la plus misérable et la plus vicieuse aux yeux de ses ennemis. Parce qu’elle est la plus capable d’entre nous pour troubler l’humeur et le confort de l’ennemi. Parce qu’elle est son cauchemar. Parce qu’elle est tout à la fois des oranges minées, des enfants sans enfance, des vieillards sans vieillesse et des femmes sans désirs. Parce que tout ceci réuni constitue sa plus grande beauté, pureté et richesse, parce qu’elle est infiniment digne d’amour. » Mahmoud Darwich.
  • 6. 6 Sommaire. Introduction…………………………………………………………………………………P7 1. Blocus : histoire,formes, justifications………………………………………P12 1.1 Histoire et évolution……………………………………………………………………… 1.2 Formesdu blocus…………………………………………………………………………... 1.3 Justificationsdes bloqueurs…………………………………………………… ……. 2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour la population…………………………………………………………………………………P28 2.1 Pénuriesdesbesoins primaireset quelquesconséquencesdirectes… 2.2 Dimensionséconomiques…………………………………………………………….. 2.3 Conséquencessociales et psychologiques……………………………………… 3. Le Hamas et la société gazaouie………………………………………………….P48 3.1 Secteurs politiques et économiques……………………………………………… 3.2 Secteurs sociaux et culturels……………………………………………………... 3.3 Secteur militaire………………….……………………………………………………….. Conclusion……………………………………………………………………………………….59
  • 7. 7 Introduction. Un collectionneur de Gaza, Jawdat Koudary, a récemment construit un musée sur le front de mer de Gaza en bordure du camp de réfugiés de Shati. Ce musée se veut essentiellement le témoin du prestigieux passé de cette bande de terre meurtrie par les vicissitudes du conflit israélo-palestinien.1 En effet, l’histoire de Gaza est vieille puisque la ville a probablement été fondée vers 3300 avant J.-C., et un peuple de sémites, les Cananéens, s’y installent vers 3000 avant J.-C. Mais c’est aux alentours de 1500 avant J.C. que la ville se développe, lorsque Canaan prend son essor. Puis Canaan passe sous tutelle égyptienne, pendant quatre siècles. Vers 1200 avant J.-C. commencent à arriver par la mer d’autres peuples, dont les Philistins, qui se battent contre les Egyptiens. Les Philistins s’installent progressivement à Canaan, au fil des batailles, et se mêlent à la population cananéenne, gouvernant ainsi plusieurs villes. Ils commencent à se heurter à d’autres arrivants, les Israélites. Vers 1000 avant J.-C., ces derniers remportent la victoire contre les Philistins, et David devient roi. Gaza et les autres villes philistines passent alors sous l’autorité des Israélites. Au VIII ème siècle, les Assyriens prennent le pouvoir (de 730 à 630 avant J.-C.), puis les Egyptiens à nouveau, les Babyloniens vers 600, les Perses vers 539, les Grecs vers 332 avant J.-C., et les Romains à partir de 63 avant J.-C. Pendant l’époque byzantine, le christianisme s’implante à Gaza et dans sa région. Cette époque est suivie par la conquête arabe : Gaza est conquise en 637, comme le reste de la région. Suivent ensuite la période des croisades (XIème et XIIème siècle), puis la période ottomane qui s’achève avec la Première Guerre mondiale. Pendant ce conflit se déroule la bataille de Gaza, dirigée par l’armée britannique contre les Turcs présents dans cette région. Trois tentatives sont nécessaires aux Britanniques pour reprendre la ville et la dernière bataille, menée par le général Allenby, permet la victoire en novembre 1917. La Grande-Bretagne obtient alors de la Société des Nations un mandat sur la Palestine (ainsi que sur l’Irak et la Transjordanie). Pendant le mandat, la Palestine est divisée en trois districts, Jérusalem, le district Nord et celui du Sud. Au regard des difficultés entre 1 MEDOUKH Ziad, chroniques d’un été meurtrier à Gaza, récit d’un génocide répété, Kairos, 2014 ,p 91
  • 8. 8 autorités britanniques, populations arabes et juives, plusieurs solutions territoriales sont proposées : plan Peel de 1937, plan de l’ONU voté le 29 novembre 1947, partageant la Palestine mandataire en un Etat juif (composé de la plaine côtière, du Néguev, de la partie nord-est autour du lac de Tibériade), en un Etat arabe (composé de la Galilée occidentale, de la Cisjordanie sauf Jérusalem, de la bande côtière allant de Jaffa à la frontière avec l’Egypte) et en un corpus separatum pour Jérusalem et sa région. Ce plan est diversement accueilli par les populations : la population arabe le refuse mais la population juive l’accueille positivement. Des affrontements se déclenchent alors entre populations arabes et juives. Le mandat s’achève avec le départ de l’administration britannique le 14 mai 1948. Le même jour, l’Etat d’Israël est créé, et la première guerre israélo-arabe est déclenchée. Lors de ce conflit, nombre d’Arabes de Palestine se réfugient à Gaza et dans sa région, restée sous contrôle arabe (190 000 personnes, qui s’ajoutent aux 70 000 habitants de la région 2 Gaza et sa région sont alors placés sous l’administration de l’Egypte, à la suite des accords d’armistice de 1949. Les conditions de vie y sont très difficiles, l’Egypte subvenant difficilement aux besoins des nouveaux réfugiés. Dans ce contexte humain et économique, une ébauche de gouvernement palestinien se met en place en septembre 1948 à Gaza, avec à sa tête le mufti de Jérusalem Hajj Amine al-Husseini. La situation politique intérieure de l’Egypte a en outre une influence directe sur Gaza. La révolution de 1952 porte au pouvoir les Officiers libres et met fin au régime monarchique soutenu par la Grande-Bretagne. Gaza bénéficie alors de l’implication égyptienne, notamment dans l’éducation (fondation d’écoles, bourses données à des étudiants pour aller dans les universités égyptiennes) et dans les infrastructures. Sur le plan régional, le conflit entre l’Egypte et Israël, notamment les accrochages frontaliers, a des conséquences pour la bande de Gaza. Des commandos égyptiens lancent en effet des raids de la bande de Gaza vers Israël, entrainant les représailles israéliennes sur ce territoire. Israël mène notamment le 28 février 1955 un raid contre la ville de Gaza, pendant lequel des soldats égyptiens sont touchés. Une autre opération égyptienne entraine en août 1955 le bombardement de Gaza par Israël. Ce cycle de violence se poursuit en 1956. Dans ce contexte, cette même année, la nationalisation du canal de Suez par Nasser et l’opération militaire franco-britannique qui s’en suit provoque l’occupation de la bande de Gaza par l’armée israélienne, dès début novembre, jusqu’à mars 1957. En mars 1957, la bande de 2 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
  • 9. 9 Gaza est à nouveau sous l’administration de l’Egypte, mais ce sont les troupes de l’ONU, et non celles de l’Egypte, qui prennent position à la frontière entre la bande de Gaza et Israël. Nasser accepte alors que la bande de Gaza se dote d’une structure politique : un Conseil exécutif et un Conseil législatif. Cette nouvelle organisation, dont le quartier général s’installe à Gaza, est en réalité contrôlée par l’Egypte, qui nomme le gouverneur de Gaza. En mai 1964, le Congrès national palestinien, réuni à Jérusalem, décide de rédiger une Charte nationale et de mettre en place une organisation afin de libérer la Palestine. En septembre, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est créée ainsi que l’Armée de libération de la Palestine (ALP)3. La Guerre des Six-jours éclate et Gaza passe sous contrôle israélien en juin 1967. Une administration et une colonisation sont mises en place. En face, une résistance se lance dans des attaques quotidiennes et meurtrières. Entre les deux, une population tente de survivre, de trouver un travail. Cependant le manque de perspective politique et économique va pousser les jeunes dans la première intifada en 1987. A cette occasion, on voit l’apparition d’un nouvel acteur, le Hamas. Celui-ci n’a pas participé à la résistance commencée en 1967 mais grâce à la prédication, aux échecs consécutifs du Fatah et de l’Autorité Palestinienne de Yasser Arafat, il a su se créer une vraie attraction populaire. En février 2005, le gouvernement israélien décide du retrait de la bande de Gaza pour le mois d’août. Cette décision est également confirmée par le nouveau président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (élu à la suite du décès de Yasser Arafat en novembre 2004). Le retrait israélien s’achève le 22 août 2005 : environ 8 000 colons ainsi que les militaires quittent la bande de Gaza. Une tentative politico-économique est mise en place, l’accord AMA (The Agreement on Movement and Access). Cet accord proposé par le Quartet se pense comme un projet global de pacification, avec des dates butoires et la création d’un Etat Palestinien. Mais la victoire du Hamas va tuer toutes espoirs de paix. Les victoires aux élections municipales et législatives de 2006 vont pousser Israël à mettre en place un blocus, de manière unilatérale mais avec l’accord tacite des grandes puissances, Etats-Unis et Europe en tête. Mon travail va tenter de répondre à certains nombre de questions : Comment ce blocus s’est-il mis en place ? Y a t-il des tendances ? Peut-on parler de rupture brutale en 2007 ou le blocus n’est que la continuation d’une même logique ? Quelles effets le blocus 3 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
  • 10. 10 entrainent-il sur la vie quotidienne des Gazaouis ? Quels effets sur la cellule familiale, Quel avenir pour les enfants ? Comment cette génération peut-elle et va t-elle se reconstruire ? Peut-on expliquer la stratégie israélienne ? Le concept de « de- développement » est-il applicable ? Peut-on le limiter au blocus ? Peut-on parler d’un Hamastan ? La société Gazaouie est-elle militarisée ? Quel est le degré de contrôle du Hamas sur les autres groupes politico-militaires ? Quels sont-ils ? Pour répondre à ces questions, le mémoire est divisé en trois parties. La première partie se concentre sur l’histoire du blocus. Il s’agit de définir des tendances. Nous avons décidé de prendre le blocus dans sa totalité, c’est à dire de 2007 à 2015. Ces 8 années ne doivent pas être perçues comme monolithiques mais ont connu des changements selon des considérations nationales ou régionales. Le blocus de Gaza est imbriqué dans sa géographie, celle du Sinaï et celle d’un Moyen-Orient en plein bouleversement. L’enclave palestinienne est certes coupée du monde, mais celui-ci arrive à lui et l’arrivée d’un nouvel acteur comme l’ Etat Islamique à des conséquences sur son propre territoire. Fiodor Dostoïevski parlait des hommes, comme d’animaux capables de s’habituer à tout. Cette citation est le fil conducteur de ma deuxième partie, elle se veut une analyse « concrète du concret ». Elle s’intéresse aux questions alimentaires, énergétiques et de santés, elle montre un peuple qui souffre mais qui résiste pour survivre, pour vivre. Enfin, ma dernière partie est un pari, celui de croire qu’une étude du Hamas peut nous apprendre sur Gaza. Ce mouvement est beaucoup plus proche d’un « internationalisme islamique » que du nationalisme palestinien. Ce mouvement et ses idées imprègnent beaucoup plus Gaza que les coutumes locales imprègnent le bureau politique du Hamas. A travers l’angle du Hamas, nous pouvons suivre une mentalité gazaouie qui a évolué et qui évolue sous son patronage. Il s’agit aussi d’un retour d’une histoire politique. Les sources sur le blocus de Gaza sont paradoxales. Le conflit israélo-palestinien est traité sur tous les supports : les analyses historiques, retraçant les grandes étapes et les solutions possibles, des photographies, des livres, des poèmes, des films…Ainsi le cadre général est très documenté, mais Gaza l’est beaucoup moins avec une seule œuvre d’historien4. En ce qui concerne le blocus et sa dureté, il existe des témoignages de journalistes, d’écrivains, d’humanitaire mais ces ouvrages se concentrent très souvent sur les périodes de guerres comme si Gaza ne devenait intéressante qu’en période de 4 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 436.
  • 11. 11 massacre. Alors pour comprendre une réalité, celle de 1,7 millions de personnes, il faut se plonger dans les rapports d’ONG et d’organisations internationales. Les sources manquent aussi sur l’histoire du blocus de Gaza, il n’en existe pas et mon modeste travail tente de combler ceci, en parlant des tendances, en offrant une perspective, en créant une chronologie avec des accélérations et des coupures. Enfin l’objet politique qu’est le Hamas est limité surtout en langue française, les autres mouvements politiques de Gaza ne semblent pas intéresser les chercheurs. Il n’y a que trois livres sur le Hamas et un seul sur le Jihad Islamique.
  • 12. 12 I. Blocus : Histoire, formes, justifications. 1.1 Histoire et évolution 1.1.1 Affirmation d’une logique de blocus (1967-2007) Le 6 juin 1967, la ville de Gaza est pilonnée par les bombardiers et l’artillerie israéliens, le 7 au matin le gouverneur égyptien de Gaza, le général Abdelmoneim Husseini capitule5. L’Egypte perd Gaza au profit d’Israël. Dès la fin de cette « guerre des Six Jours », la ligne d’armistice est abolie par Israël. Le ministre Dayan escompte d’une telle politique de « portes-ouvertes » une pacification rapide des territoires occupés6. Cette politique a un double avantage pour les vainqueurs, d’une part permettre à l’économie israélienne de capter une main d’œuvre bon marché et de l’autre de détruire ou tout du moins d’affaiblir la résistance palestinienne en offrant une possibilité de réussite économique. Ainsi l’idée de Moshé Dayan est d’offrir une intégration économique en espérant un affaiblissement du nationalisme palestinien7. Cette politique sera appliquée de 1967 à 1991. Son symbole est le « permis de sortie général ». Ce permis offre la possibilité aux palestiniens de se déplacés librement de Gaza à la Cisjordanie en passant par Israël, l’unique restriction est l’interdiction pour un palestinien d’être sur le territoire juif d’une heure à cinq heure du matin. Cette première politique connaît une rupture dès 1989 avec l’instauration d’une carte magnétique d’une validité d’un an. Cette carte est le fruit du contexte de trouble qui débouchera sur la première intifada et est systématiquement refusée à tous palestiniens soupçonnés d’activité politique subversive. Mais le véritable changement date du 15 janvier 1991 avec la mise en place des permis de sortie individuel. Avant 1991 l’ouverture était la règle et la fermeture l’exception, après 1991 la fermeture est la règle, l’ouverture l’exception. La logique de blocus s’installe à cette date. Ces nouveaux permis vont profondément affecter la vie des palestiniens, notamment celle des étudiants qui se retrouvent dans l’impossibilité de se 5 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 140 6 Ibid 7 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied- 1.284725
  • 13. 13 rendre à l’université mais aussi celle de nombreuses familles dont les membres sont séparés entre Gaza et la Cisjordanie. Cette nouvelle stratégie que l’on nomme « politique de fermeture » est définitivement appliquée et assumée par l’Etat hébreu en mars 1993 avec le bouclage général de tous les territoires mais surtout la construction de nombreux « checkpoint » notamment au nord de Gaza.8 La déclaration de principe entre Israël et l’organisation de libération de la Palestine (OLP) n’aura aucune incidence sur une réalité de plus en plus difficile à vivre pour le peuple palestinien9. A partir de cette date la sévérité du bouclage est liée aux circonstances, par exemple lors d’incidents entre palestiniens et israéliens ces derniers peuvent imposer une fermeture totale durant lequel aucun permis de sortie n’est délivré à quiconque10. La situation est telle que lors de la passation de pouvoir entre Israël et l’OLP à Gaza en mai 1994, les premiers imposent aux gazaouis souhaitant se rendre en Cisjordanie de passer par le passage de Rafah en Egypte pour rejoindre la Jordanie avant d’utiliser le pont Allenby pour enfin arriver en Cisjordanie. Pour bien se rendre compte de la situation, prenons le cas d’un habitant d’Erez, ville située à quelques kilomètres de la bande de Gaza, si celui-ci souhaite se rendre à Jérusalem il peut s’y rendre en voiture en 1H29 (91 Km). Alors qu’un habitant de Rafah souhaitant aller à Jérusalem doit longer l’Egypte jusqu’au Golfe d’Aqaba puis continuer le long de la Jordanie avant de traverser la Cisjordanie soit 8H15 de trajet (593 Km). Cette « politique de fermeture » continue puisque dès 2001, l’entrée à Gaza par Israël est interdite sauf dans le cas d’un mort ou d’une parenté au premier degré. Avec le début de la seconde intifada, la politique de fermeture devient encore plus stricte, les permis sont délivrés au compte-gouttes notamment pour raisons médicales. Jusqu’au désengagement unilatéral de 2005, nous avons donc vu que l’on peut définir deux grandes périodes : la première appelée « portes ouvertes » puis celle de « la politique de fermeture » celle-ci est indéniablement le prémisse d’une autre beaucoup plus sévère pour la population : le blocus. 8 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied- 1.284725 9 http://www.btselem.org/freedom_of_movement/closure 10 Ibid.
  • 14. 14 1.1.2Etablissement et tendances du blocus A la suite du processus de désengagement israélien de la bande de Gaza en septembre 2005, un accord a été trouvé entre l’autorité palestinienne et le gouvernement de l’Etat hébreux en novembre 2005. Cet accord qui porte le nom « Agreed documents by Israel and Palestinians on Movement and Access from and to Gaza. » a été facilité par la médiation du secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, du haut représentant européen pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana et James Wolfensohn, ancien président de la banque mondiale et envoyé spécial du Quartet pour la supervision du désengagement. Cet accord a pour objectif de « faciliter le mouvement des biens et des personnes à l’intérieur des territoires palestiniens » et d’ouvrir « un point de passage à Rafah qui donnera aux gazaouis le contrôle des entrées et sorties des biens et personnes » et ainsi « promouvoir le développement économique et améliorer la situation humanitaire sur le terrain11 ». En d’autres termes le désengagement et l’AMA doivent permettre au peuple de Gaza de sortir de la « politique de fermeture » de retrouver un niveau de vie acceptable en rétablissant la liberté de circulation, la réouverture de l’aéroport et l’édification d ‘un port. Ce document, qui reste technique plus que politique se construit autour de quatre points cruciaux. En premier lieu, l’ouverture au plus vite du passage de Rafah puis celui de Karni. Ceux-ci doivent être ouverts constamment et permettre aux hommes et aux biens de passer. Troisièmement l’accord stipule la construction d’un port et la réouverture de l’aéroport de Gaza. Il est intéressant de noter que cet accord synonyme d’espoir pour de nombreux gazaouis n’eut que peu d’effets concrets. Le terminal de Rafah a été ouvert tous les jours à la date fixée par l’accord du 25 novembre 2005 puis a été fermé 86% du temps par les israéliens dès juin 2006. Le point de passage de Karni a connu une situation similaire. L’accord prévoyait 400 passages de camions par jours à la fin de l’année 2006….la moyenne a été de 12 passages par jours. En ce qui concerne le port il n’a jamais été construit malgré des discussions alors que la question de l’aéroport ne fut même jamais discutée entre les acteurs. 12 Le désengagement a été vécu par les gazaouis comme une espérance, avec la possibilité basique de se déplace ou de commercer. Autant dire que la déception a été grande. 11 https://www.ochaopt.org/documents/ama_one_year_on_nov06_final.pdf 12 Ibid
  • 15. 15 Un événement va aggraver la situation et l’enfermement du peuple de Gaza, la victoire du Hamas lors des élections de 2005 et de 2006. Ces deux scrutins, l’un municipal et l’autre législatif donnent au Hamas un contrôle politique de la bande de Gaza. Cette conjoncture est inacceptable pour tous les autres acteurs que ce soit le Fatah de Mahmoud Abbas, les responsables israéliens ou le Quartet. Ce dernier qui avait été le grand inspirateur des accords AMA va changer radicalement de stratégie, imposant un certain nombre de sanctions économiques et légitimant la politique de fermeture d’Israël. Ces sanctions consistent en deux grands points : les membres du Quartet (Etats- Unis, Russie, ONU et l’Union Européenne) suspendent toutes aides que ce soit sous formes de dons ou d’argent et Israël suspend le transfert à l’autorité palestinienne de la TVA collectée par ses soins sur les échanges entre la Cisjordanie et Gaza13. Cette situation ne peut pas évoluer positivement tant que les dirigeants du Hamas ne répondent pas à trois exigences : la reconnaissance d’Israël, des accords conclus entre l’OLP et Tel-Aviv et la renonciation à la violence. Mais surtout la stratégie est claire : isoler le Hamas14. Israël n’est plus seul dans sa logique de fermeture, elle est légitimée par les grandes puissances de ce monde. Cette stratégie est claire car selon Jean-Pierre Filiu ce sont bien les conseillers de Bush et d’Olmert qui ont élaboré ce plan d’isolement méthodique du Hamas dans la bande, ainsi les nouveaux députés islamistes sont interdits de déplacement en Cisjordanie.15 En ce début d’année 2007, le contexte politique ne cesse de s’aggraver, des milices pro- Fatah et pro-Hamas se combattent dans les rues de Gaza-ville, de Rafah et de Khan Younes. Une spirale de violence avec des échanges de tirs, d’attentats à la voiture piégée plonge la bande de Gaza dans une violence quotidienne. Cette guerre civile que les médias nomment la bataille de Gaza ne se terminent qu’en Juin 2007 avec la victoire du Hamas et la fuite vers l’Egypte ou vers le terminal d’Erez d’une grande partie des cadres du Fatah présent. En quatre jours, la déroute des partisans d’Abbas est consommée et la victoire du Hamas seul maitre à bord est totale. Les maisons des hiérarques de l’Autorité sont pillées, la villa du chef local de Fatah Mohammed Dahlan est démolie à coup de 13 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p307. 14 Ibid 15 Ibid
  • 16. 16 masse et des miliciens cagoulés se vautrent dans le bureau saccagé du président palestinien.16 En même temps que la victoire du Hamas et avec l’appui américain, le premier ministre isréalien Olmert se lance dans une logique d’isolement mais aussi de punition collective. En effet, le premier ministre israélien et son cabinet de sécurité franchissent, le 19 septembre 2007, une nouvelle étape en qualifiant la bande de Gaza de « territoire hostile » contre lequel les sanctions sont renforcées (avec par exemple, la prohibition de l’entrée du papier à Gaza pour ne pas y encourager la propagande du Hamas). C’est à ce moment que l’Etat hébreu et l’Egypte mettent en place le blocus que l’on connaît jusqu’à maintenant. Tenter de définir certaines lignes directrices ou certaines évolutions du blocus n’est pas chose aisée. Pour y arriver nous prendrons trois éléments qui indiquent le degré de fermeture de la bande de Gaza. Tout d’abord le check-point de Rafah, puis celui de Kerem Shalom et enfin le poste-frontière d’Erez (ou Beit Hanoun pour les palestiniens). Notre analyse se limitera le plus possible à une étude chiffrée des flux de biens et de personnes, le contexte historique ou politique sera étudié plus loin dans le mémoire. Situé sur la frontière égyptienne du Sinaï, le passage de Rafah a pris au fur et à mesure de l’avancée du blocus une place primordiale. A la suite de la fermeture par les israéliens du poste de Karni en juin 2007, de Sufa en septembre 2008 et de Nahal Oz en janvier 2010, Rafah reste l’une des seule ouverture au monde pour le peuple de Gaza. L’histoire de Rafah est politique, après avoir rendu le Sinaï aux égyptiens, le passage de Rafah fut ouvert le 25 avril 1982. Ce poste-frontière qui reste sous contrôle israélien jusqu’au désengagement de 2005 connu jusqu’en 2007 plusieurs phases. Une première phase débute en 1982 jusqu’au début des années 2000 avec le déclenchements de l’intifada Al- Aqsa,. Durant cette période et malgré des lourdeurs administratives pour obtenir un « permis de sortie », le terminal fonctionne. Ainsi Rafah est ouvert tous les jours de la semaine et toute la journée, les chiffres indiquent un passage mensuel de 45000 personnes chaque jour, ce chiffre nécessite d’être doublé pendant les vacances d’été17. A partir de la deuxième intifada, la politique de fermeture, qui a commencé dès le début des années 1990 s’accélère, le terminal de Rafah ferme de plus en plus souvent, devient interdit aux véhicules. De plus, Rafah n’est ouvert que 7 heures par jours alors qu’il était 16 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p319. 17 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf
  • 17. 17 ouvert en continu. Ainsi alors que le passage est de 34100 personnes par mois en 1999, il n’est en 2004 plus que de 1800018. Le désengagement de 2005 entraine de facto le retrait des troupes israéliennes du terminal, celui-ci ne s’ouvre que selon le bon-vouloir égyptien (la réalité est plus complexe puisqu’il s’agit souvent de marchandage entre égyptiens et israéliens qui gardent un œil sur le terminal de Rafah puisqu’ils sont situés à quelques kilomètres au Poste de Kerem Shalom). Quoi qu’il en soit, ce retrait se fait sentir puisque les chiffres indiquent une augmentation du nombre de passages, on passe de 1800 en 2004 à près de 40000 entre novembre 2005 et juin 200619. L’enlèvement du soldat Shalit en juin 2006 jusqu’au coup de force du Hamas et sa prise de Gaza en juin 2007 entrainent la fermeture de Rafah pendant 76% du temps20 soit selon mes calculs une moyenne d’entrées et de sorties par mois de 6300 personnes. A partir de juin 2007 et jusqu’en 2010, le terminal de Rafah à la suite d’un accord israélo-égyptien est fermé de façon quasi-permanente. Durant les brèves ouvertures, les passages ne sont autorisés que pour les malades, les résidents étrangers ou les gazaouis ayant un visa (en grande partie des étudiants)21 .Cette fermeture entraine des situations de tristesse collective où des familles attendent des jours entiers une hypothétique sortie, très souvent refusée. On note une première rupture en juillet 2010 après les évènements de la flotille Viva Palestina. A partir de ce moment là et jusqu’à l’arrivée du général Sissi en juillet 2013 une ouverture plus importante d’environ 30000 entrées et sorties par mois L’arrivée de Sissi, qui annonce avoir mis le Hamas dans la liste des groupes terroristes, entraine une chute très importante d’environ 5000 entrées/sorties soit la phase la plus basse depuis la création du terminal en 1982. En ce qui concerne Rafah, il y a donc trois étapes, une politique de fermeture de 2007 à 2010, un relâchement jusqu’en 2013 et une fermeture quasi-totale jusqu’en 2015. Pouvons nous confirmer ces tendances avec le passage d’Erez22 ? Le passage d’Erez, contrôlé par Israël est situé au nord de la bande de Gaza et est le seul point de passage des individus entre Gaza et la Cisjordanie. Il est le seul moyen de sortie lorsque Rafah est fermée, ce qui fut le cas une grande partie du temps lors de la période 18 ibid 19 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf 20 http://gisha.org/graph/2399 21 ibid 22 http://gisha.org/reports-and-data/graphs
  • 18. 18 2007-2010. Depuis 1991, les habitants de Gaza ont besoin de détenir des permis de sortie qui sont accordés uniquement par l’Agence israélienne de sécurité, leur nombre tout au long des années 1990 a très largement diminué. En 1993, une fermeture générale a été déclarée sur le territoire palestinien, elle a commencé à Gaza en particulier à partir de 1995 quand une clôture électrique et un mur de béton ont été construis autour de l’enclave. Le passage d’Erez a été bloqué même pour les titulaires du permis lorsque des « fermetures complètes » ont été imposées à la bande de Gaza. Lorsque la deuxième intifada a éclaté en septembre 2000, Israël a annulé de nombreux permis de sortie existants et réduits le nombre de permis accordés. Le passage d’Erez a été fermé de plus en plus souvent. La première année de l’Intifada le passage est refusé aux Palestiniens 72% du temps. Les restrictions ont conduit à une chute importante, on passe de 26000 individus durant l’été 2000 à 900 l’année suivante. Le 12 mars 2006, jour de la fête de Pourim, Israël déclare la fermeture totale du territoire palestinien et empêche l’entrée des travailleurs gazaouis en Israël. Depuis lors l’autorisation n’a pas été levée. Ainsi la logique de blocus est installé à Erez dès 2006 et non en 2007, mais peut-on voir à Erez les mêmes tendances qu’à Rafah? Malheureusement les chiffres de 2007 sont indisponibles23. Selon les calculs24 on note deux phases, une première à la fermeture de 2008 jusqu'à fin 2010 où les moyennes de sorties sont autour de 1500-200025 ; puis une phase de réouverture à partir de 2011 où les passages augmentent et sont en moyenne de 3500 entre 2011 et 2012 ; puis de 5000 entre 2013 et 2014. Sur les 3 premiers mois de 2015 les chiffres sont encore plus haut puisque le mois de janvier à vu près de 10000 sorties celui de février 12000 et celui de mars près 13300026. On note donc que la deuxième phase (2011-2015) voit une fermeture beaucoup plus forte du côté égyptien que du côté israélien, avec une accélération très forte à partir de 2013. Ces chiffres confirment la tendance et l’analyse de beaucoup de spécialistes sur la question. Ceux-ci mettent en évidence les deux grandes phases du blocus, la première de 2007 jusqu’en 2010 où le blocus étaient en phase de durcissement et la deuxième où 23 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/5years/5-to-the-closure-eng.pdf 24 ibid 25 ibid 26 http://gisha.org/graph/2392
  • 19. 19 on assiste à un désenclavement relatif de la bande de Gaza27. Un désenclavement abandonné en Egypte avec l’arrivée de Sissi mais qui continue au poste-frontière d’Erez. Je ne veux pas mettre en erreur le lecteur, certes l’enclave de Gaza est moins isolée mais les critères nécessaires au développement économique et à une sortie de crise sont toujours bloqués par les israéliens. Les deux critères principaux sont l'interdiction de la commercialisation de produits à partir de Gaza en direction d’Israël et de la Cisjordanie (indispensable pour une économie palestinienne entièrement dépendante à Israël) et l’impossibilité d’importer des biens et des produits. Ces restrictions sont restées presque entièrement inchangées, même après la libération de Gilad Shalit en Octobre 201128. 1.2 Formes du blocus Après son retrait unilatéral de la bande de Gaza au cours de l’été 2005, Israël a renforcé le contrôle des points de passage. Avec la capture d’un de ses soldats, Gilad Shalit, en juin 2006, cela s’est transformé en blocus, encore resserré après le coup de force du Hamas en juin 2007. Le blocus imposé à la population de Gaza se compose de 3 formes : terrestre, aérien, maritime. Il s’agit ici de les étudier dans leur mise en place et dans leurs applications. 1.2.1 Blocus terrestre Sur terre, les points de passage sont entièrement à la discrétion des israéliens, à l’exception de Rafah, L’Etat hébreux peut donc facilement interdire l’importation des marchandises qu’il ne veut pas voir arriver à Gaza comme ils peut bloquer les exportations des produits venant de Gaza.29En ce qui concerne les modalités du blocus, il 27 Leila Seurat-« la politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et processus de décision » thèse IEP de Paris-2014 p. 87. 28 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Bidul/bidul-infosheet-ENG.pdf 29 BLANC Pierre, CHAGNOLLAUD Jean-Paul, SOUIAH Sid Ahmed, Atlas des Palestiniens : Un peuple en quête d’un Etat, Editions Autrement, Paris, 2014, p 95.
  • 20. 20 nous faut regarder de plus près les points de passage. Sur les six points de passage cinq sont sous le contrôle d’Israël et trois sont fermés. Le premier qui a fermé a été celui de Karni dès le 11 juin 2007 donc au début des hostilités entre le Fatah et le Hamas. Karni fut crée après les accords d’Oslo en 1994 pour le transfert des marchandises entre Israël et la bande de Gaza. Jusqu’à la mi-2007, des centaines de camions ont traversé Karni quotidiennement qui a servi de principal point de passage pour les marchandises. A ce jour, il est considéré comme le passage le plus approprié pour le transfert de marchandises vers et depuis la bande de Gaza. En effet, on considère que le passage de Karni à la capacité de faciliter le transfert de près de 800 camions de marchandises par jour et dans les deux directions. Il est également équipé de matériel d’inspection de sécurité avancé notamment pour la surveillance de nuit. Mais surtout, Karni est très proche de Gaza ville, où la plupart des commerces et des industries se trouvent. L’accord de 2005 (AMA) entre l’Autorité Palestinienne et Israël prévoyait la circulation de près de 400 camions par jour30, la réalité fut différente puisque de 2005 à juin 2007, on ne compta qu’une dizaine de camions par jour. En juin 2007, dans le cadre de mesures d’Israël lancés contre le Hamas Karni fut fermé à l’exception d’une bande transporteuse, principalement utilisée pour le transfert de céréales et d’aliments pour animaux. Lors de la période dite de « désenclavement » promise par Israël en juin 2010, l’Etat permit le transfert de certains matériaux de reconstruction notamment du gravier. Mais dès mars 2011, cette bande transporteuse fut définitivement fermée et Karni fut clos entièrement. En ce qui concerne les marchandises pouvant encore traversées la frontière, elles passent désormais par Kerem Shalom (nous l’étudierons plus loin), détournant le trafic à l’extrême sud de Gaza, entrainant une augmentation des coûts de transport et du prix final des biens31. Le deuxième point de passage fermé fut celui de Sufa en septembre 2008 mais reconnu par Israël seulement en mars 2009. Le passage de Sufa était lié au transfert de biens de consommation. Cette fermeture est liée à la stratégie israélienne de concentrer tous les passages sur un seul « Cheick-point », en l’occurrence celui de Kerem Shalom. C’est dans cette perspective que fut fermé le pipeline de Nahal Oz en 30 http://gisha.org/gazzamap/394 31 Ibid
  • 21. 21 janvier 2010. Ce dernier était le point de passage des livraisons de fuel ou de gaz en direction de l’enclave palestinienne, Kerem Shalom remplit, depuis, ce rôle.32 Le blocus terrestre se construit en plusieurs étapes, la fermeture progressive de la majeure partie des points de passage, pour concentrer les flux sur un seul. Ce système à l’avantage de rendre le contrôle de Gaza et des transferts plus simples pour les soldats israéliens. Kerem Shalon voit de juin 2007 à juin 2010 une moyenne mensuelle d’environ 2400 camions de marchandises entrer sur le territoire de Gaza. Ce nombre reste évidemment bien inférieur aux 10000 camions par mois entrés à Gaza de 2005 à 2007 Avec la période de désenclavement initiée en juin 2010, la moyenne est de 174 camions par jours, soit 5300 camions par mois.33 Ces camions contiennent des produits alimentaires et humanitaires, du carburant, des véhicules, des équipements agricoles et des matériaux de reconstruction. En juillet 2010, Israël a publié une liste de produits interdits dans la bande de Gaza. Selon l’Etat hébreu, ces produits peuvent être à double usage, civils et militaires, les rendant dangereux pour le peuple israélien. Il est évidemment futile de citer ici toute la liste, je la placerai en fin de mémoire. En ce qui concerne le point de passage d’Erez nombre d’articles, d’ouvrages racontent la sensation particulière parcourant le corps d’un étranger traversant le long corridor que constitue Erez. Celui-ci se compte en centaine de mètre avec des grillages, des tourniquets, des portes ouvrantes et coulissantes, sous le regard omniprésent des caméras et sous la dictée de haut-parleurs34. Pour résumer, seul trois catégories d’individus ont le droit d’entrée et de sortie de Gaza, les diplomates, les journalistes et les humanitaires. Les journalistes étrangers sont autorisés à rentrer à Gaza à la condition d’avoir une double autorisation, celle de Tel-Aviv et du Hamas35. Les humanitaires ont besoin tout autant de cette double autorisation. En ce qui concerne les palestiniens, comme nous l’avons dit plus en haut, seules des blessés et leurs médecins peuvent sortir par Erez et encore en de rares occasions, les étudiants n’ont plus cette chance depuis longtemps et Rafah dépend de la politique très versatile de l’Egypte qui n’accorde pas toujours ce fameux visa. Le blocus terrestre s’est donc construit en étape 32 http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_protection_of_civilians_2009_06_02_eng lish.pdf 33 http://gisha.org/gazzamap/404 34 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011,p 93. 35 https://www.youtube.com/watch?v=lKz91b8eR9w
  • 22. 22 et vise à mettre en place un contrôle absolue par Israël de toutes entrées et de toutes sorties, que se soit des biens ou des hommes. 1.2.2Blocus aérien Le blocus aérien est une partie intégrante du sentiment d’enfermement que partage les habitants de Gaza. Ce blocus se construit par la dépossession complète de toute souveraineté aérienne. Cette souveraineté à exister quelques années, durant la période de service de l’aéroport de Gaza. Lors des discussions qui aboutirent à la déclaration de principe signée en 1993, la question de l’aéroport fut un sujet épineux. Pour les palestiniens, un aéroport était un signe de souveraineté, une reconnaissance absolue d’un Etat de Palestine libre et indépendant, pour les israéliens en dehors des questions de sécurité classique (risque de transport d’armes), elle était le signe d’une reconnaissance, puisque les palestiniens en tant que peuple existent, et leur revendication d’être unis dans un cadre étatique devenait légitime. C’est ainsi que lors de l’ouverture officielle de l’aéroport de Gaza le 14 décembre 1998 avec la présence de Bill Clinton, tous les attributs de l’Etat indépendant était réunis : le drapeau, l’hymne national. Ainsi il existe autour de cette souveraineté, un élément symbolique très fort. L’activité de cet aéroport international situé au sud-est, près de la ville de Rafah ne fonctionna que 3 ans, ne desservant que l’Egypte, la Jordanie et la Mecque uniquement lors de la période du pèlerinage. Il n’était constitué que d’une flotte réduite de 3 avions. Malgré cette activité extrêmement faible, l’aéroport était étroitement surveillé par Israël, jusqu'à ce que ce dernier ne choisisse de le détruire en 2001. Les images de l’aéroport de Gaza en 2015 sont terribles et ressemble à un champ de ruine. Malgré cette destruction, l’espace aérien de l’enclave palestinienne n’a jamais été aussi rempli, il est même « surchargé » notamment par un acteur récent et qui a modifié profondément les rapports qu’entretiennent les hommes les uns en face des autres sur les champs de bataille, le drone. Son nom vient de l’anglais qui veut dire faux-bourdons, et est une référence autant sur l’image que sur le son. D’ailleurs les Gazaouis nomment le drone « Zenana » qui veut dire aussi en arabe bourdonnement36 .Cette utilisation massive par les israéliens des drones pose des questions fondamentales sur les rapports qui existent entre palestiniens et israéliens. En effet, le drone annihile la guerre 36 http://www.washingtonpost.com/world/national-security/in-gaza-lives-shaped-by- drones/2011/11/30/gIQAjaP6OO_story_1.html
  • 23. 23 classique pour créer un rapport de chasse entre un prédateur et une proie, il n’y a plus de réciprocité dans le combat, il n’y a même plus de combat du tout donc plus de notion de sacrifice, de courage qui restent des éléments fondateurs dans une mythologie de lutte notamment nationale37 . Effectivement et à la différence de la Cisjordanie où l’armée israélienne a le visage de ses jeunes soldats, à Gaza, Israël se résume à des bombardements de drones qui sont le plus souvent dirigés par de jeunes soldates depuis des salles de commandements implantées loin du champ de bataille, sur la base aérienne de Palmachim, au sud de Tel-Aviv.38 Pour Hamdi Shaqqura, un avocat des droits de l’homme, « la présence des drones dans le ciel de Gaza signifie une chose aux palestiniens : l’armée israélienne n’est plus au sol ; mais elle est dans le ciel, en train de scruter, sans cesse, chaque mètre carré du territoire ainsi ils n’ont pas à être présent sur terre pour affecter chaque aspect de nos vies.39 » En dehors de cette question, qui j’en suis sûr, sera fondamentale, dans les analyses futures du conflit israélo-palestinien, le survol permanent des drones créent un sentiment de peur chez les palestiniens. Ce survol ne peut être qu’une mission de reconnaissance, mais il peut aussi avoir pour objectif de tuer. Des acteurs aussi connus que le fondateur du Hamas Cheick Yassine et son successeur Rantissi sont tous les deux morts par l’action d’un drone. Au sein de la population gazaoui, le drone entretient un sentiment de terreur permanent, la sensation que quelque chose de terrible va se produire. Il fait partie d’un conditionnement de la population, à chaque fois qu’elle entend le bourdonnement, elle repense à des évènements violents et à la mort. 40. Le blocus aérien montre un aspect fondamental et qu’il ne faut pas sous-estimer, à Gaza il s’agit d’une guerre certes classique avec des armes, des soldats, des tanks et des intrusions sur un territoire ennemi mais c’est aussi une guerre beaucoup plus pernicieuse, une guerre psychologique qui vise à détruire le moral et la capacité de résistance de tout un peuple. Le drone à donc une triple activité de renseignements, d’opérations militaires et de prostration de la population palestinienne. 37 Chamayou Grégoire,Théorie du drone, La Fabrique éditions, Paris,2013 38 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 65 39 http://www.simon-gouin.info/+Gaza-la-vie-sous-les-drones+ 40 Ibid
  • 24. 24 1.2.3Blocus maritime A l’image du territoire palestinien, à Gaza la mer rétrécit41 aussi. Depuis les accords d’Oslo, la zone de pêche autorisée par Israël aux pêcheurs de Gaza s’est réduite comme peau de chagrin. Initialement fixée à 20 miles nautiques par les accords d’Oslo, elle a été progressivement restreinte pour des raisons de sécurité, notamment pour éviter les trafics d’armes et de personnes, importants à une époque mais désormais mineurs.42 On passe donc 20 miles nautiques à 12 miles en 2002 puis à 6 miles en 2006 pour atteindre 3 miles nautiques dès la fin de l’opération « Plomb Durci »43. Cette restriction des zones de pêche est indéniablement un facteur du ralentissement générale de l’économie privée de Gaza. On considère que depuis le blocus en 2007, plus de 1000 pêcheurs (sur 4000 que comptent l’enclave palestinienne) ont dû soit changer d’activité, soit travailler avec un revenu minimum44. Selon un rapport du mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge datant de 2011, 90% des pêcheurs vivent en dessous du seuil de pauvreté mais surtout ce chiffre a augmenté de 40% depuis 2008. 45 Au delà de la catastrophe économique, les pêcheurs à la différence des autres acteurs de la société gazaouie sont confrontés quotidiennement à l’armée israélienne. Celle-ci à travers sa marine attaque très régulièrement les petites embarcations de pêche palestiniennes46. Nous pouvons schématiser « ces rencontres » en deux types. La première est la plus dramatique consiste tout simplement à tirer sur les bateaux de pêches47, on compte trois mort depuis 200648. La deuxième consiste à décrire des cercles autour du bateau pour essayer de les faire chavirer. Une fois chaviré, les soldats israéliens demandent aux pêcheurs de se déshabiller et de nager jusqu’à eux, puis ils les menottent et les emmènent jusqu’à la ville d’Ashdod, où les palestiniens restent une dizaine d’heures avant de rentrer à Gaza sans leur matériel49. 41 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit 42 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit 43 http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_special_focus_2010_08_19_english.pdf 44 http://www.ujfp.org/spip.php?article3774 45 http://fishingunderfire.blogspot.fr/ 46 http://le-blog-sam-la-touch.over-blog.com/2015/04/la-marine-israelienne-attaque- des-bateaux-de-peche-palestinien-au-large-de-gaza-press-tv.html 47 Ibid 48 http://fishingunderfire.blogspot.fr/ 49 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit
  • 25. 25 Le blocus maritime à donc une double conséquence, économique en premier lieu, mais aussi contributeur de la propagation d’un sentiment de frustration et de haine du fait des humiliations quotidiennes que vivent les pêcheurs de la bande de Gaza. 1.3 Justifications des bloqueurs 1.3.1 Israël Dès septembre 2007 l’Etat hébreu déclare la bande de Gaza « territoire hostile » et contre lequel les « opérations militaires et contre-terroristes » vont s’intensifier et le blocus renforcé50. Ainsi, Tel-Aviv considère que Gaza est un territoire d’où une organisation terroriste, le Hamas, y trouve sa base arrière pour commettre des attentats et des attaques contre la population israélienne. Ces attentats prenant la forme d’attaques de roquettes en direction des villes du sud-ouest du pays ou d’incursions par des tunnels en Israël, à l’image de la capture du soldat Shalit en juin 2006. Le blocus joue donc le rôle de protecteur de l’Etat hébreu en évitant l’entrée d’armes sur l’enclave palestinienne ou de matériaux de construction de tunnels. Depuis Olmert, tous les premiers ministres israéliens justifient le blocus par des arguments d’ordre sécuritaire. Pour donner un exemple révélateur, le 16 mars 2011, la marine intercepte un cargo proche de l’enclave palestinienne, et y trouve des armes. Dans l’après-midi même devant la presse, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, armes saisies dans les mains, y justifie le blocus51. Au delà de l’argument classique de la sécurité, il est normal, pour l’apprenti-chercheur en histoire, de se poser des questions sur l’existence ou non de stratégies différentes. En effet, l’argument sécuritaire est simple à comprendre mais pose un problème d’ordre stratégique car peut-on réellement imaginer d’un Etat en guerre, n’avoir qu’une seule stratégie, qui plus est à court terme ? La victoire du Hamas aux élections de 2005-2006 fut une véritable surprise pour les stratèges israéliens, l’incapacité de Mohammed Dahlan de prendre Gaza en 2007 en fut une autre, celui-ci fut 50 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 327. 51 http://www.20minutes.fr/monde/688528-20110316-monde-israel-justifie-blocus- gaza-saisie-armes-mediterranee
  • 26. 26 soutenu par les Etats-Unis et Israël notamment en fournissant des armes52. Tel-Aviv mit en place le blocus pour se protéger comme on l’a vu mais aussi avec l’idée que celui-ci entrainerai une révolte de la population contre le gouvernement islamiste d’Ismaël Haniyeh. Si cette hypothèse se révèle juste, on ne peut que noter l’échec de cette stratégie. Même si il est impossible de connaître la côte de popularité du Hamas, on sait qu’il n’y a pas eu de mouvement de fond de la population contre le Hamas. Certes des mouvements salafistes ou s’inspirant d’organisation anti-Mohammed Morsi comme le Tamarrud existent, mais les capacités d’action de ces mouvements sont beaucoup trop restreintes pour mettre en danger le Hamas et ses leaders. 1.3.2 Egypte Gaza connut à ses frontières égyptiennes trois évènements majeurs : la destitution de président égyptien Hosni Moubarak le 11 février 2011, l’arrivée au pouvoir du frère musulman Mohammed Morsi en juin 2012, sa destitution en juillet 2013 et son remplacement par le nouvel homme fort du pays Abdel Fattah al-Sissi. L’idée de cette partie est de tenter de comprendre les évolutions de la position égyptienne vis à vis du blocus. Il existe deux éléments, deux mesures qui nous permettent de juger de la flexibilité ou au contraire du durcissement de l’Egypte, la question des tunnels et de l’ouverture du point de passage de Rafah. En ce qui concerne Rafah, notre première partie a mis en évidence certaines tendances. La période Moubarak fut une période assez dure avec notamment une fermeture quasi systématique de Rafah. Mais dès 2010 et probablement en accord avec Israël (période dite de « désenclavement » initiée en juin 2010), Moubarak ouvre de plus en plus Rafah. Le printemps arabe constitue une période de turbulence et Rafah se referme. L’arrivée de Morsi est accueillie dans les rues de Gaza comme une délivrance, le Hamas est à l’origine le représentant des frères musulmans à Gaza, d’ailleurs un des objectif du président islamiste fut de demander aux américains de retirer le Hamas de la liste des organisations terroristes53. Dans les faits Rafah se ré-ouvre puisqu’il passe entre juin et juillet 2012 de 30000 à 51000 passages. Cette période faste se termine avec l’arrivée de Sissi, son arrivée entraine une chute massive des passages puisqu’entre juin et juillet 2013, on passe de 55000 à 16000. Pire, devenu président en juillet 2014, Sissi fait fermer Rafah comme jamais, de juillet à 52 http://echogeo.revues.org/10901 53 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
  • 27. 27 novembre 2014 on passe de 7000 à 2000. Ces tendances sont confirmées par les acteurs gazaouis travaillant dans les tunnels. Ces derniers mettent en évidence le peu de contrôle que Moubarak faisait pour combattre la contrebande des tunnels. Sous Morsi, certains parlent même de boom économique et tous sont d’accord pour dire que Sissi paralyse l’économie en détruisant tous les tunnels54, rendant impossible l’importation de quoi que ce soit. Mais alors pourquoi ? Le « double-jeu » de Moubarak s’explique facilement, il est d’une génération d’hommes politiques égyptiens (Moubarak est né en 1928) marquée par la cause palestinienne, marquée par les conflits et les guerres contre Israël, il est d’une époque où le nationalisme égyptien se confondait avec celui des palestiniens dans le mythe de la nation arabe. Sissi est un homme plus jeune, né en 1954, il forma sa conscience politique à l’époque de Sadate où l’Egypte transforma son nationalisme en excluant tout élément non-égyptien. Cette transformation, sur un temps long, du nationalisme égyptien et la fin de tout rêve panarabe sont deux éléments qui sont fondamentaux pour comprendre les évolutions de la politique égyptienne55. Un élément géostratégique plus récent explique le choix de Sissi de détruire par l’eau ou la dynamite tous les tunnels reliant l’Egypte à Gaza, on parle d’une destruction de 90% des 1200 tunnels, d’une perte de 230 millions de dollars de taxe pour le Hamas56. Cette élément est l’émergence d’un nouvel acteur : Ansar Jerusalem qui depuis son allégeance à DAECH se renomme Wilayat Sinaï. Ce mouvement salafiste apparu en 201157 revendique plusieurs attentats notamment au Caire58. Sissi explique que le Hamas soutient ce mouvement takfiriste, en assimilant volontairement les djihadistes du Sinaï les frères musulmans égyptiens et le Hamas. Il est difficile de vérifier la véracité de ces accusations. On peut néanmoins souligner que la « guerre » déclarée contre le Hamas permet à l’armée égyptienne de réinscrire sa lutte contre les Frères musulmans en Égypte dans une perspective régionale afin de lui donner davantage de crédibilité. En mettant en avant la « collaboration » entre la confrérie égyptienne et le Hamas, il tente ainsi d’agiter l’épouvantail d’une dangereuse conspiration islamiste, voire terroriste59. Il s’agit donc de problématiques internes à l’Egypte qui explique la politique anti-Hamas 54 https://www.youtube.com/watch?v=0n9S_oz16Kw 55 http://orientxxi.info/magazine/pourquoi-les-egyptiens-ne,0649 56 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499 57 http://www.lefigaro.fr/international/2014/09/22/01003-20140922ARTFIG00226-l- ei-appelle-les-islamistes-du-sinai-a-la-violence-en-egypte.php 58 Ibid 59 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
  • 28. 28 du président Sissi, son combat contre ses ennemis islamistes modérés comme les frères musulmans ou terroristes comme Wilayat Sinai sont les contrecoups politiques de son coup d’Etat. Pour que cette politique puisse se faire sur le dos des Palestiniens, il eut fallut une transformation du nationalisme égyptien, amputé de toute panarabisme et donc de lien avec le nationalisme palestinien. 2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour la population. 2.1Pénuries des besoins primaires et quelques conséquences. 2.1.1 La crise énergétique. Lors du dernier conflit entre palestiniens et israéliens, lors de l’opération « bordure protectrice », les coupures d’électricité ont pu dépasser près de 21 heures par jours60. Certes il s’agit de record, mais les coupures restent un mal chronique au sein d’un quotidien déjà difficile. A Gaza, l’électricité est devenue aussi aléatoire qu’un jeu de dés. Gaza se retrouve périodiquement dans le noir complet au gré du conflit ave Israël et de la persistance du blocus. Avant la dernière crise de l’été, les habitants devaient gérer des coupures quotidiennes, jusqu’à huit heures d’affilée, mais surtout l’électricité arrive puis repart à n’importe quel moment de la journée : à 8 heures, 15 heures ou 3 heures du matin. Comment en est-on arrivé à cette situation ? L’électricité de Gaza arrive par trois sources, la première est la compagnie israélienne qui permet l’acheminement de près de 120 mégawatt d’électricité grâce à 10 câbles électriques. La deuxième source est l’Egypte qui grâce à 2 câbles électriques fournit 37 mégawatt et enfin la centrale de Gaza 60 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article14765
  • 29. 29 fournit 80 mégawatt alors que sa capacité pourrait être de 12061. Ainsi le potentiel total d’électricité pouvant être distribué à Gaza est de 237 MW alors que l’estimation la plus basse du besoin en électricité se situe à 350 MW62. Il y’a donc un déficit, dans le meilleure des cas, de 113 MW. Il faut savoir que le besoin peut augmenter notamment en hiver jusqu’à 440 MW et que certains experts considèrent que dans les années à venir et au vu de l’augmentation du nombre d’habitants, les besoins63 pourraient atteindre 600 MW. Actuellement on considère qu’il y’a un déficit d’électricité situé entre 35 et 40%64. Cette situation s’explique en premier lieu par l’attaque, quasiment lors de chaque conflit, de la centrale de Gaza, par l’armée israélienne. A titre d’exemple, Tsahal à détruit six transformateurs lors d’un raid en 2006 à la suite de la capture du soldat Shalit.65Mais la raison principale reste la question de l’acheminement de plus en plus difficile des carburants nécessaire au bon fonctionnement de la centrale. En effet, Israël limite les quotas de carburants importés de son territoire, 2 millions de litres par mois pour des besoins estimés à 13 millions de litres mensuels66. L’Egypte n’est pas en reste puisque dès février 2012, Le Caire diminue l’approvisionnement au marché noir d’essence, depuis son territoire via les tunnels. Cette essence est le principal carburant qui permet le fonctionnement de la centrale électrique67. Les raisons semblent obscures mais selon le journaliste de Gaza Rami Abou Jamouss « L’Egypte avait accepté de laisser filer son carburant à un tarif très bas, à titre humanitaire pour aider Gaza. Mais le Caire n’accepte plus que le Hamas fasse un business sur son dos, sans aucune contrepartie »68. Le Hamas avait, en effet, instauré un système de taxes à la sortie des tunnels au détriment des autorités égyptiennes et des habitants de Gaza. Le cours du carburant 61 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable- Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf 62 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne- egypte-israel 63 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable- Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf 64 ibid . 65https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_fre nch.pdf 66 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne- egypte-israel 67https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_fre nch.pdf 68 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne- egypte-israel
  • 30. 30 était ainsi fixé à 1 shekel/litre (environ 0,20 euro) à l’entrée des tunnels côté égyptien, avant de grimper à 1,5 shekels/litre (30 centimes d’euro) à la sortie. Le Hamas fixait ensuite le cours à 3,5 shekels/Litre (0 ,70 euro) sur l’étroite bande côtière69. Enfin dernière raison, la passivité de l’ennemi juré du Hamas, l’Autorité palestinienne à Ramallah qui paie aléatoirement le carburant israélien destiné à Gaza70. C’est bien cette conjonction de fait qui explique ce manque permanent d’électricité à Gaza. Afin de pallier aux longues pannes de courant, le secteur privé et les ménages (les plus riches) ont recours à des générateurs de secours, qui demeurent peu fiable du fait de l’accès limité en carburant et en pièces de rechange. Ces générateurs sont indispensables pour les hôpitaux et notamment les services d’urgence, mais la menace d’un effondrement des réserves des générateurs fait craindre le pire aux médecins. C’est bien ce genre de témoignage que les humanitaires et les médecins comme Christophe Oberlin narrent dans leurs ouvrages71. Comme nous le verrons plus tard, la crise énergétique à un impact très important notamment sur la question de l’eau qui elle-même pose des soucis d’ordre économique mais aussi sanitaire. Seulement avant de clore ce chapitre, il existe une réalité beaucoup plus triste et dramatique lorsque l’on s’intéresse à la crise énergétique. En effet, les générateurs ne sont pas, pour des raisons économiques, accessibles à la très grande majorité des gazaouis, par conséquent ceux-ci utilisent des bougies. Celles-ci sont responsables de nombreux empoissonnements à cause du monoxyde de carbone, voire d’incendies meurtriers comme ce lundi 13 avril 2015 où 5 membres d’une famille sont morts dans l’incendie de leur maison près de Rafah72. 2.1.2 La question de l’eau L’approvisionnement insuffisant en électricité et en carburant, nécessaire au fonctionnement des pompes à eau des puits, engendre une diminution de l’accès à l’eau courante pour la plupart des ménages. Ceux-ci doivent alors avoir recours à des fournisseurs privés au risque d’une hygiène précaire. Les centrales de traitement des 69 ibid. 70 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne- egypte-israel 71 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011, p. 211. 72 http://www.palestine-solidarite.org/actualite.ziad_medoukh.130415.htm
  • 31. 31 eaux réduisent la durée de leurs cycles de purification, et par conséquent rejettent dans la mer des eaux usées polluées. Enfin, les égouts risquent à tout moment de refouler dans les villes, comme ce fut le cas le 11 décembre 2013 à Gaza-ville73. Ainsi, l’enclave palestinienne se retrouve dans un cercle vicieux, puisqu’il n’y a pas d’électricité, les 291 unités de traitement d’eaux ne fonctionnent que très rarement, et sont souvent dans des états déplorables (pas de matériels pour les remettre en état), les eaux usées ne sont donc pas traitées et sont directement renvoyées dans la mer. Ce système pollue l’aquifère notamment à cause de dose trop importante en nitrate74, et rend l’eau imbuvable à près de 90%, et l’aquifère pourrait être inutilisable dès 202075. Etant donnée que la population continue d’utiliser ces eaux sales en cultivant, en se lavant ou en cuisinant, on voit l’apparition de maladies respiratoires, cutanées ou oculaires ainsi que de gastroentérites76, ou encore de diarrhées devenues très courante à Gaza. La contamination par les nitrates de l’aquifère représenterait un danger pour les nourrissons et les femmes enceintes. L’une des maladies infantiles liées à la pollution de l’eau est la méthémoglobinémie, ou le « syndrome du bébé bleu », qui touche des nourrissons nés dans la bande de Gaza77. Au delà de la question de la qualité de l’eau, une nouvelle problématique est apparue, celle de la demande en eau. Chaque année, 160 millions de mètres cubes d’eau en moyenne sont prélevés dans l’aquifère côtier alors que la « recharge » d’eau issue des collines d’Hébron à l’est de Gaza ne l’alimente, grâce aux précipitations et aux ruissellements, qu’à hauteur de 50 à 60 millions de m378. La différence entre la quantité d’eau disponible et la consommation est donc considérable. Le niveau de la nappe phréatique est par conséquent en chute, permettant ainsi l’infiltration de l’eau salée79, la 73 http://www.france-palestine.org/Gaza-sous-les-eaux-usees 74 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf 75 Ibid. 76 http://www.irinnews.org/fr/report/96226/tpo-l-eau-de-gaza-pourrait-cesser-d- %C3%AAtre-potable-d-ici-2016 77http://www.unicef.org/oPt/FINAL_Summary_Protecting_Children_from_unsafe_Water _in_Gaza_4_March_2011.pdf 78 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf 79 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
  • 32. 32 rendant dangereuse. Il existe des projets de création d’usine de dessalement, mais aucun n’a encore vu le jour80, faute de moyens. Enfin, les rapports sont tous d’accords sur un point, d’ici quelques années la situation de l’aquifère sera irréversible, la solution ne se trouve pas dans les moyens techniques mais à chercher au niveau politique, en mettant fin au blocus. 2.1.3La question alimentaire. L’un des derniers rapports de l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient met en évidence que les gazaouis souffrent d’insécurité alimentaire81. La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. Lorsque l’une des quatre dimensions manque, l’insécurité alimentaire transitoire ou chronique s’installe pour la population considérée82. La population palestinienne souffre d’insécurité alimentaire en grande partie pour des raisons économiques, en effet on trouve de tout sur les marchés de Gaza. Grâce aux tunnels, il existe à peu près tous les produits disponibles même des fraises de Rungis83, mais ces produits sont chères et ne sont accessible qu’aux populations les plus favorisées de l’enclave. Pour le reste de la population, la majorité, la situation reste difficile, plus de la moitié des ménages à Gaza sont soit en situation d’insécurité alimentaire (44%) ou proche de l’être (16%). Ces chiffres restent élevés car ils prennent en compte la distribution de l’aide alimentaire qui touche près de 1,1 millions de personnes. La question alimentaire à Gaza est donc intimement lié à la question économique et aux revenus par habitants. En effet, à cause de la densité importante de l’enclave, d’un territoire majoritairement urbain, peu peuvent vivre de l’autosuffisance, c’est--dire avoir ses propres champs à cultiver. A Gaza, les rentrées d’argent se sont toujours réalisées grâce aux échanges, aux commerces, aux ouvriers partis travailler en Israël ou grâce aux services. Or, le blocus ne permet plus ce genre d’activités, rendant la 80 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf 81 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf 82http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/s%C3%A9curit%C3%A9_alimentaire/1 9930 83 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 176.
  • 33. 33 population gazaoui dépendante de l’aide internationale et de la contrebande. Le blocus empêche tout autant le développement d’une économie permettant l’autosuffisance alimentaire, notamment à travers les restrictions des zones de pêche, les 4000 pêcheurs n’ont pas accès à 85% des zones maritimes convenues dans le cadre des accords d’Oslo, en conséquences, les prises de poissons ont diminué de façon spectaculaire. Le blocus empêche l’accès à 17% des terres de l’enclave, y compris 35% de terres agricoles car celles-ci sont situées soit dans des zones interdites soit dans des zones à haut risque. Globalement on estime que les restrictions maritimes et terrestres affectent directement 178000 personnes soit 12% des Gazaouis et entrainent des pertes annuelles estimes à 76,7 millions de dollars de production84. Enfin, avant de nous pencher plus profondément sur la dimension économique du blocus, il me reste à mettre en avant un point. Cette dépendance à l’aide humanitaire semble être une volonté politique de la part de l’Etat hébreu. Dov Weisglass qui fut le conseiller politique d’Ariel Sharon et d’Ehud Olmert, eu une phrase dès 2006 : « l’idée », disait-il, « est de mettre les palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim »85. Peu d’observateurs ont vu dans cette phrase davantage qu’un commentaire hyperbolique. Seulement après plusieurs années de procès, mené par l’organisation israélienne des droits de l’homme Gisha, Israël a été forcé de dévoiler un document interne intitulé « Red Lines ». Ce document est le produit d’un travail demandé par le premier ministre Olmert dès 2007, à des fonctionnaire de la santé israéliens qui devaient fournirent des calculs sur le nombre minimal de calories nécessaire au million et demi d’habitants de Gaza afin d’éviter la malnutrition. Ces chiffres furent alors convertis en camions de nourriture censés être permis chaque jour par Israël. Or, les fonctionnaires avaient calculé une moyenne de 2, 200 calories, soit 170 camions par jour, or il y’en à en moyenne qu’une soixantaine qui arrive quotidiennement à Gaza L’insécurité alimentaire s’explique aussi par un véritable machiavélisme politique86. Seulement cette idée de dépendance ne date pas de 2007, elle remonte plus loin et la grande spécialiste de Gaza, l’américaine Sara Roy la même conceptualisée , il s’agit d’un 84 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf 85http://www.pourlapalestine.be/index.php?option=com_content&view=article&id=14 55%3Ale-regime-de-famine-impose-par-israel-a-gaza&catid=1%3Alatest- news&Itemid=1 86 Ibid
  • 34. 34 « de-development »87. Cette idée est la ligne directrice pour comprendre toute la dimension économique de Gaza et de la politique du blocus. 2.2 Le blocus et sa dimension économique, le « de-development » et ses conséquences. 2.2.1La destruction de toute économie privée L’économie de l’enclave palestinienne est dans une situation catastrophique. Le secteur privé a été le secteur le plus touché, ce secteur qui employait environ 70.000 personnes avant 2007, et qui représentait 45% du marché de travail dans la bande de Gaza, est actuellement paralysé. Les raisons sont multiples, il y’a la fermeture des usines et des ateliers l’interdiction d’entrée de matières premières pour tous les projets et l’interdiction d'exporter. Il ne faut pas oublier la destruction de 80% des entreprises privées lors de l’agression israélienne de 2008-2009 et plus de 700 installations industrielles fermées sans réouverture. De plus la seule zone industrielle qui se trouvait au nord de la bande de Gaza est fermée elle aussi définitivement en 2009. Le secteur privé n'emploie actuellement plus que 10.000 personnes88. Le cercle est vicieux là aussi, beaucoup d’émigrés originaire de Gaza sont retournés à l’intérieur de l’enclave en 1994, lorsqu’Arafat put revenir. Ces individus construisirent des usines notamment de vêtements, de tissus et de bois89. Les différends conflits détruisirent les installations des usines, le blocus ne permit plus l’accès aux fournitures nécessaires à l’activité économique. Le blocus et ses restrictions interdirent les rentrées de ciment, les usines ne peuvent plus être reconstruites. Une activité économique inexistante pousse automatiquement les travailleurs au chômage, qui se tournent ou dans les forces de police ou dans le travail difficile et dangereux des tunnels. Autre grande déception, la disparition des zones industrielles. Ces zones, apparues dans les années 90 lors des accords d’Oslo, ont été vues comme une source de croissance et d’emploi. L’idée était d’agrandir un secteur privé quasiment inexistant, d’attirer les investissements étrangers et israéliens. Ainsi on construisit une paix politique en 87 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372. 88 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm 89 ibid.
  • 35. 35 s’appuyant sur une coopération économique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux plus grandes zones industrielles se trouvaient à Karni et à Erez c’est- à- dire à la frontière entre les deux territoires. Finalement, la guerre et le blocus n’ont pas permis le développement souhaité puisque le site industriel de Karni fut détruit en 2004 et celui d’Erez en 200990. Malgré cet échec, le site d’Erez donnait du travail à près de 4000 personnes, c’est autant de gens qui se trouve maintenant dépendant de l’aide internationale. Si vous regardez les images de Gaza ou celles d’Alep en Syrie, vous notez la même chose, un panorama de guerre et de destruction. La France a connu sa période de croissance, à la fin de la seconde guerre mondiale, lorsqu’il a fallu reconstruire un pays en ruine. Les Gazaouis n’ont pas cette chance, des générations entières de jeunes hommes disponibles pour reconstruire leur enclave en sont interdits par l’occupant. En effet, le gouvernement de Benjamin Netanyahou n’a eu de cesse de mettre en garde contre l’usage « dual » de certains matériaux de construction. Les Israéliens disent redouter leur détournement à des fins militaires, pour creuser des tunnels destinés à des attaques du Hamas, ou pour fabriquer des roquettes. Israël réclame donc une surveillance scrupuleuse des importations de matériaux et de leur usage dans la bande de Gaza. Alors, l’économie privée, celle de la construction tourne au ralenti selon les capacités financières d’acteurs locaux. Ces derniers achètent du ciment à prix d’or au marché noir, du ciment d’Egypte ou volé dans les entrepôts du Qatar et de l’UNRWA, les deux seuls acteurs majeurs dans le secteur de la construction présent à Gaza. Il y a une volonté politique de maintenir la population palestinienne dans un état d’infantilisation économique, l’argument sécuritaire ne tient pas puisque les associations humanitaires se sont proposées à jouer les « contrôleurs », en vérifiant les bénéficiaires du ciment91. On rejoint le concept fondamental de « de-development » développée par l’universitaire américaine Sara Roy92. Il s’agit d’une politique délibérée, systématique de déconstruction de toute économie indigène par un pouvoir dominant. Il s’agit d’une idée différente du sous-développement puisque même sans volonté, le sous-développement 90http://unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/d0efbc4a63d5fca485256f5e006d2909/$FILE/ Industrial%20Estates.pdf 91 http://www.france-palestine.org/Le-ciment-l-or-recherche-de-Gaza 92 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
  • 36. 36 entraine un développement économique. Les colonisations classiques ont vu par exemple les anglais prendre le contrôle d’une économie laissant un sous-développement important, mais les anglais ont malgré tout laissé un espace où une base économique a pu se mettre en place. Le « de-development » est une politique économique assumée qui s’assure qu’il n’y ait aucune base économique, même malformée, qui pourrait soutenir un mouvement de libération national93. On retrouve cette idée aussi dans un autre secteur économique, l’agriculture, victime de la guerre. 2.2.2Une agriculture détruite, victime des guerres. L’agriculteur Maher Abu Hdayda a déclaré à Al-Monitor ce qui s'est passé sur ses terres dans la région agricole Ein Jalut, au sud-ouest de Khan Younes, après avoir été soumis à des frappes aériennes par les Israéliens durant l’été 2014 : "Vous savez ce qu'est un tsunami ? Ce fut un tsunami ardent de feu et ma terre agricole en fut complètement détruite ", a t-il dit. 94 Les combats dans la bande de Gaza depuis 2007 ont paralysé l’agriculture. Durant les guerres, les fermiers et les éleveurs ont dû abandonner leurs terres à cause des combats, arrêtant la production alimentaire locale. Environ 17,000 hectares de terres cultivables ont souffert de dégâts importants en raison des bombardements et des intrusions de chars de combats. Au delà des champs, il s’agit d’une destruction de la majorité des infrastructures agricoles, que ce soit les serres, les systèmes d’irrigation, les élevages, et les stocks de fourrage95 Les raisons de cet acharnement sont liées, selon Israël, à des questions de sécurité. Les serres et les champs, peuvent servir de couverture pour des tirs de roquettes. En effet, 93 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372. 94 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles- gaza 95 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du-conflit- sur-le-long-terme-fao.html
  • 37. 37 une des productions les plus importantes à Gaza, sont les oliviers96. Ils conservent, parfois plusieurs siècles, une forme buissonnante de défense, et maintient la forme d’une boule compacte et impénétrable, lui donnant l’aspect d’un buisson épineux.97Sa taille située entre 3 et 7 mètres et donc sa forme, sont parfaites pour des tirs de roquettes cachés. En ce qui concerne les installations, elles sont visées par les israéliens selon la même logique, la certitude que les entrepôts sont les lieux de caches d’où se trouvent les armes des milices résistantes et notamment les fameuses roquettes Quassam98. Les conséquences sont terribles pour les agricultures, ces entrepôts servent à stocker les récoltes qui doivent encore être vendus, mais aussi tous les outils agricoles indispensable à la culture99. Comme nous l’avons vu l’agriculture est évidemment touchée par les problèmes d’eau, et par l’interdiction d’entrée de produits nécessaire à la reconstruction, notamment les systèmes d’irrigations. Le nombre de travailleurs dans le secteur de l’agriculture à donc diminué, passant de 30000 en 2007 à 7500 en 2014100. L’agriculture souffre bien évidemment de l’interdiction israélienne d’exporter notamment les produits agricoles de Gaza connus pour leur qualité, notamment les fraises, les tomates, les oranges et les olives vers les marchés externes101. Tous les rapports de prévisions économiques102 mettent en avant la position exceptionnelle de Gaza en terme géographique. L’enclave est situé sur la mer, mais est surtout au milieu d’un axe Europe- Asie, particulièrement intéressant en terme d’échange. Dans cette globalisation des échanges, Gaza à une carte à jouer grâce à sa position stratégique. L’agriculture, comme nous l’avons vu plus-haut, souffre de la diminution des terrains cultivable détruits par les différentes incursions israéliennes sur la bande de Gaza. La surface cultivée a diminué de 15% depuis 2007 et les pertes agricoles quotidiennes à cause de la non exportation des produits agricoles vers l’étrangers est de 70.000 euros par jour103. 96 http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu04901/les-devastations-de-l- agriculture-de-gaza-apres-l-operation-l-operation-israelienne-plomb-durci.html 97 http://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier 98 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles- gaza 99 Ibid. 100 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm 101 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm 102 http://www.anera.org/wp-content/uploads/2013/12/AgReport.pdf 103 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
  • 38. 38 Cette situation dramatique pousse beaucoup à abandonner leur terre agricole soit par choix, soit à cause de la volonté de l’Etat hébreu d’augmenter la zone tampon. De plus, la mort de beaucoup d’animaux à rendu l’élevage très difficile, et les prix ne cessent d’augmenter. En effet, les prix flambent notamment les œufs (+40%), les pommes de terre (+40%) et les tomates (+179%)104 . Cette inflation entraine une dépendance à l’aide humanitaire où pour les autres le choix d’aller intégrer le système interlope de la contrebande et du marché noir. 2.2.3 Développement du marché noir. Le marché noir peut-être considéré comme le véritable poumon économique de Gaza. Celui-ci est régulièrement ravitaillé par les tunnels. Véritable objet de fantasme pour les médias, les tunnels situés sur les frontière de Gaza doivent être séparés en deux catégories. Les premiers sont les tunnels offensifs, utilisés lors des infiltrations de la résistance islamique, notamment lors de la capture du soldat Shalit en 2006. Ici nous nous intéresserons aux autres tunnels, à vocation commerciale, situés notamment le long de la route Philadelphie, c’est-à-dire le long de la frontière séparant Gaza de l’Egypte, avec comme point central la ville de Rafah. Ces tunnels peuvent aussi être séparés en deux, les tunnels d’armements et les autres. Mais pour comprendre l’émergence des tunnels, il faut s’intéresser à la ville de Rafah. Rafah fut divisée en deux, en 1979 lors des accords de paix israélo-égyptien de Camp David. Seulement cette séparation divise des familles entières qui commencèrent à creuser des tunnels le long de la frontière de 14 Km. Ces tunnels étaient parfois cachés à l’intérieur des maisons. On à tendance à dater les tunnels à cette époque car dès 1983, Israël en découvre l’existence105. L’utilisation des tunnels à tout naturellement explosée en fonction du resserrement de Gaza : l’installation des clôtures, la destruction de l’aéroport puis la fermeture des points de passages ont donné aux tunnels un rôle majeur, voir indispensable à la survie de la population palestinienne. La première et la deuxième intifada ont vu le développement des tunnels. En effet, avant les tunnels permettaient aux familles de communiquer entre elles puis très vite a servi 104 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du- conflit-sur-le-long-terme-fao.html 105 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
  • 39. 39 aux transferts d’argent, d’or ou de produits taxés en Israël comme le fromage fondu. Les intifada ont modifié le rôle des tunnels, ceux-ci permettant l’acheminement d’armes. Il s’est crée une fusion d’intérêt, celles des milices, plaque tournante de la résistance, avec les clans et les bédouins, qui étaient les propriétaires de ces tunnels. Cette fusion entre intérêt militaire et commerciale allait être la caractéristique, le substrat du développement futur des tunnels. La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas à marqué un tournant dans le développement des tunnels. Le siège à été renforce du côté égyptien et israélien dès l’été 2007. En novembre 2007, Israël coupe de moitié les approvisionnement alimentaire et les importations de combustibles, finalement en janvier 208, Israël annonce un blocus total sur le carburant après que des roquettes fut tirées sur Sderot, une ville israélienne frontalière106 A partir de cette date, le Hamas va petit à petit s’intéresser aux tunnels soit en les louant soit en construire. Il améliore aussi la sécurité des tunnels, l’électricité.... Le mouvement islamiste prend possession d’une grande partie du secteur, s’enrichit grâce aux taxes. Ce point sera d’ailleurs étudier avec plus de précision plus loin dans le mémoire. En ce qui concerne la mécanique très spéciale des tunnels d’armements, selon un rapport du congrès américain107, celle-ci consiste en une alliance entre les familles propriétaires, louant pour un temps leur tunnel à des membres du Hamas ou du jihad islamique. Les armes et les munitions sont tirées par des câbles et des moteurs électriques à travers les tunnels, qui en certains endroits atteignent des profondeurs variant de 15 à 18 mètres. Bien qu’il n’y ait pas de preuve définitive quand à l’origine des armes, l’Egypte et Israël pensent que la plupart des armes sont en provenance du Yémen, du Soudan ou du Sinaï lui-même. Par natures cachés et discrets, nous ne disposons que de peu d’informations sur ces tunnels. Les Gazaouis eux-mêmes les cachent aux journalistes ou aux experts d’organisations internationales, à la différence des autres tunnels où passent des produits de première nécessité. Ces tunnels sont les plus nombreux, les plus visibles. Beaucoup de reportages en ont filmés108. Généralement, il s’agit d’entrepreneurs privés, d’individus qui s’associent pour mettre de l’argent en commun et commencer à construire. On peut considéré qu’il faille un somme comprise entre 100,000 et 300,000 dollars pour commencer et le retour sur 106 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605 107 http://fpc.state.gov/documents/organization/101806.pdf 108 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw
  • 40. 40 investissement est multiplié par trois en un mois109. Les tunnels s’adaptent à la demande, mais le produit phare reste le carburant, indispensable au bon fonctionnement de la ville. Il s’agit souvent de produit le plus taxé (avec les cigarettes) et où un véritable rapport de force existe entre l’entrepreneur privé et le Hamas, souvent à l’avantage du dernier110. Par conséquent, les produits sont souvent ceux interdits par Israël, comme les pâtes, les voitures ou des outils pour l’agriculture ou pour la construction, notamment le ciment. Il est très difficile d’estimer le chiffre d’affaire de ces tunnels. Mais pour se rendre compte de l’importance, un chiffre semble éclairer la situation. Les tunnels rapportaient en 2005, près de 30 millions par an, en 2012 on estime le chiffre à près de 36 millions par mois111. Ainsi s’est crée de véritable fortune, notamment chez les bédouins du Sinaï. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard puisque dans sa guerre contre les groupes rebelles du Sinaï, Sissi a fait fermer une grande partie des tunnels, il a évidemment bien conscience de l’importance financière de ce commerce. Comme les cycles classiques de l’économie, les tunnels de Gaza n’y échappent pas. En effet, la crise du Sinaï représente le dernier coup de boutoir à un business désormais en déclin. En 2007, avec la prise de pouvoir du Hamas et la mise en place d’un blocus économique par Israël et l’Egypte de Moubarak, les tunnels deviennent le poumon économique d’une langue de terre coupée du monde. En 2009, à la suite de l’opération militaire israélienne «Plomb durci», le réseau souterrain devient incontournable. Tout y passe: carburant, cigarettes, ciment, canettes de boissons, chips, vêtements, mais aussi réfrigérateurs, micro-ondes, deux-roues... Les 1.500 passages souterrains sous la frontière de Rafah vers l’Egypte deviennent alors la plus grande «entreprise» de Gaza, avec 10.000 employés directs, et 40.000 à 50.000 travailleurs «indirects». Le business perd de son rayonnement en 2010 avec l’ouverture du poste-frontière israélien de Kerem Shalom à la plupart des biens de consommation. Mais 500.000 litres de carburant ou encore 300.000 paquets de cigarettes continuent de transiter, chaque jour, par les tunnels. Durant l’année 2011, 13.000 voitures auraient emprunté les voies souterraines avant de rejoindre Gaza-ville. Le marché se retourne après l’assaut désastreux des forces israéliennes contre la «flottille» turque partie briser le blocus de Gaza. Pour répondre à l’émotion internationale, Israël allège alors l’embargo sur la plupart des produits de 109 http://www.lrb.co.uk/v31/n20/nicolas-pelham/diary 110 Ibid. 111 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
  • 41. 41 consommation courante. Résultat: les tunnels ne gardent que les matériaux de construction, les cigarettes égyptiennes (moins chers), l’essence, et les voyages souterrains privés. Les «gros bonnets» du système souterrain survivent, les petits entrepreneurs font faillite. Le chiffre d’affaires journalier passe alors de 15.000 dollars à 1.000/1.500 dollars. Aussi, les tunnels, qui pouvaient valoir jusqu’à 300.000 dollars l’unité en 2008, se revendent aujourd’hui autour de 35.000 dollars112. En 2015, il faut le dire le commerce des tunnels est moribond. Dans le documentaire « Rue Abou Jamil » tourné en 2009 pour La Chaine Parlementaire, le film s’ouvrait par cette phrase d’un propriétaire de tunnel « les tunnels ne peuvent être fermés, ni par l’Egypte ni par Israël », malheureusement on peut dire, avec tristesse, que ce jeune s’est trompé113. 2.3Le blocus et ses conséquences sociales et psychologiques. 2.3.1 Le phénomène de déscolarisation. Les différentes guerres et le blocus sont responsables d’une augmentation du phénomène de déscolarisation et du travail des enfants. Même si le taux d’alphabétisation reste élevé, on voit apparaître un déclin du taux de scolarisation et du taux de réussite des enfants aux tests depuis 2008114. En 2013, le taux de travail des enfants entre 5 et 14 est de 5,7115 (la loi palestinienne interdit le travail aux enfants de moins de 15 ans) Constatant ceci, Le Dr. Maher al-Tabaa, un économiste de Gaza, explique : « Le travail des enfants en Palestine est devenu un phénomène dangereux, forçant les enfants à abandonner l’école pour nourrir leurs familles »116. Les raisons sont multiples, mais tiennent d’une part à l’explosion démographique, à l’augmentation du 112 http://www.slate.fr/story/61031/gaza-fin-tunnels 113 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw 114 http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/j-aimerais-avoir-assez- d-argent-pour-continuer-l-ecole-2009-07-27 115 Ibid 116 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants- gaza-664941663
  • 42. 42 coût de la vie et à un phénomène qui touche de nombreuses familles, l’incapacité pour le père de famille de subvenir aux besoins de ses proches. Celui-ci est soit mort, soit handicapé dans le meilleur des cas. Pour rappel, la dernière guerre a touché entre 1400 et 2000 personnes avec 10000 blessés117. Cette situation pousse la mère à déscolarisé son enfant et à l’obliger à ramener un peu d’argent, les rues de Gaza sont remplies d’enfants vendant des biscuits, travaillant clandestinement dans des garages ou lavant des pare-brises à la sauvette. Le travail dans les tunnels reste aussi le moyen le plus sûr pour les enfants de trouver un travail. Du fait de leur petite taille, mais surtout moins susceptible de se plaindre ou de réclamer une augmentation de salaire118. Faire travailler ses enfants est aussi pour les parents d’éviter la honte de la mendicité. Les parents restent à la maison et c’est à l’enfant de trouver un emploi ou quelques shekels119. Il existe des cas bien pire, beaucoup d’enfants n’ont plus de maisons, ont été déplacés par les guerres, et sont logés dans des abris publics qu’ils ne considèrent pas comme des foyers sûrs et pérennes, ce qui les oblige à partir travailler. Selon l’UNICEF, plus de 96 000 maisons de réfugiés palestiniens ont été sérieusement endommagées ou totalement détruites pendant le conflit de l’été dernier, et les enfants continuent de souffrir de l’impact de ces déplacements120 Enfin, le phénomène de déscolarisation est lié au développement d’un sentiment qui tend à se propager au sein de la société de l’enclave, l’école ne permet plus l’élévation sociale. Cette idée, nous la développerons dans la prochaine partie. 2.3.2 Les effets sur la cellule familiale. Les familles connaissent de profondes modifications. On note une augmentation du mariage précoce et du mariage entre gens de la même famille. En arabe, on parle de Hamûla, qui doit être traduit en français par « clan ». Il s’agit d’un phénomène très 117 http://www.lepoint.fr/monde/gaza-un-nouveau-bilan-fait-etat-de-2-016- palestiniens-tues-18-08-2014-1854584_24.php 118 http://www.unicef.org/french/education/oPt_67168.html 119 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article13860 120 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants- gaza-664941663
  • 43. 43 difficilement quantifiable, seulement il est intéressant de noter quelques tendances. Les chiffres de l’ONU conclu qu’entre 1961 et 1987 les femmes avaient tendance à se marier plus tardivement que dans les décennies suivantes121. Pour comprendre ce phénomène, il faut prendre l’histoire de Gaza dès 1948. Toute une génération de femmes, née après la nakba, eut un mariage tardif et avec un membre ne faisant pas partie du clan. Ces femmes avaient un haut niveau d’étude et surtout avaient la possibilité de travailler dans les pays du Golfe alors en plein boom économique, comme le Koweït. Ces pays cherchaient des professeurs notamment, hommes ou femmes. Ainsi les perspectives d’emplois féminins dans le Golfe et l’absence de marché du travail à Gaza influencèrent le comportement des familles pour ce qui est du mariage des filles. Dans ce contexte où un grand nombre de femmes avaient un haut niveau d’éducation et pouvaient répondre à de nombreuses offres d’emploi dans le Golfe, les filles n’étaient pas perçues comme un fardeau économique que les familles voulaient marier le plus vite possible. Au contraire, elles devinrent, en général, une source de revenus. Cela peut expliquer pourquoi seule une petite proportion d’entre elles se marièrent à un âge précoce dans les années soixante, par comparaison avec les décennies suivantes122. Avec l’occupation en 1967, la situation se transforma peu à peu. Les palestiniens abandonnèrent très tôt l’école, pour devenir « l’armée de réserve de main-d’œuvre » d’Israël. Contrairement au marché du travail dans le Golfe vers lequel se tournèrent les Palestiniens après la Nakba, le marché du travail israélien n’avait pas besoin d’hommes munis de diplômes universitaires. Les travailleurs palestiniens pouvaient l’intégrer armés de leur seule force physique. L’éducation fut moins valorisée : la contribution des femmes au bien- être de leurs familles perdit sa raison d’être et leur âge au mariage baissa de nouveau123. Naguère, l’éducation était un moyen d’accéder à la mobilité sociale et d’émigrer dans le Golfe, mais désormais les fils aspiraient à trouver un emploi en Israël. L’ « argent facile », qui pouvait être gagné sur le marché du travail israélien du fait de salaires relativement élevés, avait un impact important sur les comportements. Contrairement à la génération des années soixante qui valorisait le travail des femmes, les jeunes hommes employés en Israël préfèrent que leurs femmes s’occupent de leurs enfants pendant qu’ils s’épuisent du matin au soir sur les chantiers de construction. 121 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37 122 ibid 123 ibid.
  • 44. 44 L’occupation porta atteinte au niveau d’éducation en général ainsi qu’à sa valeur sociale et symbolique. Ce qui était considéré comme une victoire héroïque des Palestiniens dans les années soixante était dorénavant dévalorisé par une destruction désespérante. Ce phénomène du mariage précoce et en son clan a donc commencé très tôt, dès l’occupation israélienne et continue après le blocus, malgré la fermeture du marché du travail israélien, Les raisons principales sont la pauvreté, le manque d’emploi, la fermeture des frontières, il y’ a un retour dans le cercle familiale, qui à tort ou à raison est vu comme protecteur124. Selon les agences des Nations Unies, les organisations non gouvernementales (ONG), la violence sexiste reste à un niveau épidémique dans le territoire palestinien occupé ; ses victimes manquent de recours juridiques et doivent souvent subir les réactions de la famille quand elles dénoncent un acte criminel. Le nombre de cas d’attaques sexuelles rapportées de 2006 à 2009 a été multiplié par plus de sept, et celui des tentatives de meurtre (de femmes) par cinq, selon le ministère de la Condition Féminine de l’Autorité palestinienne125. Ces chiffres sont sûrement une moyenne basse car les femmes ne vont pas voir la police ou la justice, mais tentent de régler le problème avec d’autres membres de la famille126. De plus, il faut noter que le divorce est un acte très mal vu par les autorités du Hamas et la police préfèrent « la discussion au divorce »127 Il est indéniable que les violences domestiques touchent beaucoup plus la région de Gaza que celle de Cisjordanie et est en augmentation depuis le début du blocus128. Un autre rapport de 2012 du bureau central palestinien des statistiques, met en évidence que 31% des femmes gazaouis seraient victime de violences physiques, 15% de violences sexuelles et près de 75% de violences psychologiques129. Ces chiffres sont analysés par l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient comme les conséquences du blocus israélien, qui en déstabilisant l’économie locale et en 124 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37 125 http://www.irinnews.org/fr/report/91809/tpo-peu-de-recours-pour-les-victimes- de-violence-sexiste 126 https://libertefemmespalestine.wordpress.com/2007/02/20/ces-palestiniennes- victimes-de-violences-familiales/ 127 http://www.al-monitor.com/pulse/fr/originals/2013/09/palestinian-domestic- violence-women-rights.html. 128 ibid. 129 http://www.pcbs.gov.ps/Portals/_PCBS/Downloads/book1936.pdf