SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  102
1
ISAM-ESCRIBE KARIM
Le contre-blocus de la bande de Gaza : une histoire des
tunnels.
2015-2016
Université Paris IV Sorbonne.
SOUS LA DIRECTION D’OLIVIER FORCADE.
2
Remerciements.
Ce travail aurait été impossible sans l’aide et la confiance de M Forcade. Merci pour ce
magnifique sujet.
3
À ma grand-mère et à Ludovica.
Au peuple de Palestine et de Gaza.
4
« Oui, l’homme a la vie dure ! Un être qui s’habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure
définition qu’on puisse donner de l’homme. »
Souvenirs de la maison des morts (1860-1862)
Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevsk
5
Sommaire.
Introduction…………………………………………………………………………………P6
1. Les tunnels : outils au service du Hamas………………………………………...…… P13
1.1 Les tunnels avant le Hamas………………………………………………………...
1.2 Les tunnels après l’arrivée du Hamas……………………………………………...
1.3 Une activité critiquée…………………………………………………… …. …….
2. Les tunnels : d’une réponse au blocus au bouleversement des structures sociales…p30
2.1 Coopérative, avantages et désavantages …………………………………………..
2.2 Première expérience hors du « de-development »………………………………...
2.3 Les tunnels : acteurs d’une nouvelle transformation des élites……………………
3. Les tunnels : acteurs des relations régionales………………………………………....P51
3.1 Les tunnels, outils d’influence régionale……………………………………………
3.2 L’insurrection du Sinaï et les tunnels……………………………………………….
Conclusion……………………………………………………………………………….…P61
6
Introduction.
La bande de Gaza s’étire sur quelque 55 kilomètres et couvre 363 kilomètres carrés. La
délimitation de ce territoire est, au sud, héritée du tracé du mandat britannique sur la Palestine
en 1922 ; au nord et à l’est, elle est imposée par la ligne de démarcation fixée par l’armistice
entre Israël et l’Egypte le 24 février 1949. Le plan de partage du 29 novembre 1947 adopté à
l’O.N.U prolongeait cette bande jusqu’aux approches d’Ashdod au nord et au-delà d’El-Awja,
dans le Néguev, au sud-est, faisant d’elle l’une des trois portions de l’Etat arabe de Palestine
envisagé. D’avril à décembre 1948, au cours de la première guerre israélo-arabe, quelque
200000 palestiniens se sont réfugiés dans ce petit territoire resté sous contrôle arabe, soit 26
pour cent du total de la masse des réfugiés d’alors. Cette encoignure-refuge, où les
palestiniens se sont ajoutés aux quelque 80000 natifs de la région de Gaza, fut placée
provisoirement sous administration égyptienne par la Ligue des Etat arabes en juillet 1948 ; le
gouvernement israélien se déclarait disposé à l’annexer aux fins de résoudre ainsi le sort des
réfugiés. A l’inverse, c’est à Gaza qu’est proclamé, à la fin de 1948, un « gouvernement de
toute la Palestine » par Amin Al Husayni, avec l’appui de la ligue arabe et contre le ralliement
au roi de Jordanie. Cette intransigeance fermente aisément dans l’esprit d’une population de
réfugiés qui s’instruit dans les écoles de l’UNRWA (United Nations Relief and Work
Agency) et dans les universités égyptiennes. A partir de 1953, elle voit son salut dans Nasser.
Pourtant l’opposition de ce dernier au pacte de Bagdad, l’évacuation définitive des troupes
anglaises de la zone du canal de Suez et la formation de fedayin de Gaza au service du
commandement égyptien provoquent des raids israéliens très violents sur Gaza et Khan Yunis
en février et août 1955. Le 5 juin 1956, l’agglomération de Gaza est bombardée, et à partir du
1er novembre 1956 jusqu’en mars 1957 tout le territoire est occupé, ainsi que la majeure partie
du Sinaï par les troupes israéliennes. C’est alors, en décembre 1956, à Gaza occupé et au
moment où Nasser clame victoire, que Yasser Arafat forme le noyau de ce qui deviendra le
Fatah en 1959. Aussi est-ce avec enthousiasme que les gens de Gaza accueillent la déclaration
anti nassérienne de Kassem d’Irak selon laquelle il existe une « entité palestinienne »
7
autonome constituée par Gaza et la Cisjordanie. Nasser dote alors Gaza d’une Constitution et
d’un gouverneur nommé par lui afin de limiter cette tentation autonomiste. Ce gouverneur est
remplacé le 5 juin 1967 par un commandant militaire israélien de la zone de Gaza-Nord Sinaï,
à la suite de l’offensive israélienne. La résistance palestinienne y est particulièrement vivace
jusqu’en 1971, année au cours de laquelle une opération militaire générale démantèle le
« réseau terroriste » du territoire de Gaza et « pacifie » les camps et les quartiers en les
perçant de larges travées et en déplaçant dans le Sinaï des familles entières. Après avoir été
épuré, le personnel municipal est reconstitué cette même année par le commandement
militaire. A la municipalité de Gaza même, le maire est déposé et le conseil municipal
supprimé purement et simplement jusqu’en 1973. Des installations de colonisations et de
peuplement juifs ont été implantées dans la zone de Gaza depuis 1967. Un Front national uni,
d’inspiration communiste, a contribué à former, en relation avec le Fatah et le F.P.L.P, le
front national des territoires occupés, qui a fait admettre par les Conseils nationaux
palestiniens de 1974 et de 1977 la revendication d’un Etat palestinien limité aux territoires de
Gaza et de Cisjordanie, aux côtés de l’Etat israélien qui aurait évacué ces deux territoires.1
La bande de Gaza a été, à partir de 1987, le théâtre du soulèvement palestinien dit de la
première intifada. La bande de Gaza et l’enclave de Jéricho en Cisjordanie sont les premiers
territoires palestiniens occupés par Israël à être passés sous le régime de l’autonomie limitée,
en mai 1994, en vertu de l’accord d’Oslo. A l’exception des colonies juives, la police et
l’administration palestiniennes de Yasser Arafat ont remplacé l’armée israélienne dans les
zones autonomes. Les débuts de l’Autorité Palestinienne sont difficiles et il faut attendre les
accords de Wye Plantation en octobre 1998 pour voir de timides avancées, notamment
l’ouverture de l’aéroport de Gaza. Le déclenchement de la seconde intifada, en septembre
2000, entraine un regain de violence entre Israël et les territoires, tandis que la situation
intérieur de Gaza se dégrade, la société palestinienne réclamant un assainissement des
instances politiques et une démocratisation du régime, soutenue en cela par l’Union
européenne, les Etats-Unis et Israël qui cherchent à marginaliser Yasser Arafat au profit de
son numéro deux, Mahmoud Abbas2. En janvier 2005, celui-ci remplace Yasser Arafat, mort
en novembre 2004. Ariel Sharon, le premier ministre israélien, pour sortir de l’impasse, a
décidé en 2004 le retrait unilatéral de Gaza des 5000 à 8000 colons, qui est achevé en aout
2005, mais les israéliens restent maîtres du contrôle des frontières terrestres, aérienne et
maritimes, ainsi que des flux de biens et de services. Le déclin économique se poursuit donc
1 http://www.universalis.fr/encyclopedie/bande-de-gaza/
2 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 247
8
dans cette enclave surpeuplée avec 1,7 millions d’habitants soit une densité de plus de
4000hab/km2. Le taux de chômage en 2005 dépasse les 40 pour cent à cause de
l’impossibilité pour les travailleurs détachés de Gaza de partir travailler en Israël. La victoire
du Hamas aux élections municipales de 2005 puis législatives de 2006 contraint Mahmoud
Abbas à cohabiter avec un gouvernement formé par le mouvement islamiste. Mais les
divergences entre le Fatah et le Hamas ne tardent pas à prendre le dessus. Les violences entre
les miliciens des deux camps redoublent entre janvier 2006 et juin 2007, date à laquelle le
Hamas prend le contrôle armé de la bande de Gaza, tandis que le Fatah du président
Mahmoud Abbas déploie ses forces en Cisjordanie.
Les membres du Hamas se lancent alors dans une féroce épuration, pourchassant, molestant et
exécutant les militants du Fatah. Pour fuir, un territoire bouclé à la fois par les islamistes et
Israël, beaucoup se tournent vers les tunnels rejoignant l’Egypte. Durant quelques semaines,
les souterrains courant sous le couloir Philadelphie, le couloir longeant la frontière entre Gaza
et l’Egypte, prennent ainsi soudain une place tout à fait inattendue dans un conflit qui oppose
maintenant des palestiniens entre eux. La contrebande et le trafic d’armes laissent place, pour
un temps et moyennant quelque 20 dollars par tête, à l’exfiltration des militants du Fatah, une
trentaine de minutes de reptation dans des boyaux surchauffés et poussiéreux leur permettant
d’échapper au Hamas.
Mais en décidant de renforcer le blocus de la bande de Gaza, dans le but notamment de
couper le mouvement islamiste de son soutien populaire, Israël va ramener le business des
tunnels et la contrebande au premier rang des préoccupations de gazaouis confrontés à un
risque de pénurie généralisée. Le creusement de tunnels sous le couloir Philadelphie va
atteindre une ampleur à peine imaginable, l’économie souterraine au sens propre prenant le
contrôle progressif du territoire, surtout dans la région de Rafah et permettant au Hamas de se
maintenir au pouvoir. Avant de nous intéresser au creusement et aux caractéristiques des
tunnels de Rafah, le lecteur doit prendre en note que ce mémoire ne s’intéresse qu’aux tunnels
de Rafah, c’est-à-dire en lien avec la frontière égyptienne. A Gaza, il existe d’autres tunnels le
long de sa frontière avec Israël. En effet, à partir du déclenchement de la seconde intifada,
certains gazaouis se sont également mis à creuser des souterrains sous les clôtures de sécurité
marquant les frontière nord et est de Gaza pour mener des opérations suicides en Israël, en
infiltrant sur le territoire hébreu des kamikazes chargés de perpétrer des attentats-suicide. Les
combattants du Hamas ont également percé des tunnels sous cette clôture dans le cadre
d’opérations-surprise à caractère plus militaire, visant à tuer ou enlever des soldats israéliens.
Faire l’histoire de ces tunnels revient donc à faire une l’histoire militaire, d’étudier des
9
notions de stratégie militaire, comme les conflits asymétriques ce qui n’est pas le centre de
mon sujet. En ce qui concerne les creusements et les caractéristiques des tunnels de Rafah,
pour creuser les sous-sols sableux et friable de la bande de Gaza, les Palestiniens utilisent des
outils de tous les jours, essentiellement de simples truelles ainsi que des perceuses électrique
employées comme perforatrices 3 ; une main d’œuvre nombreuse et disponible,
particulièrement débrouillarde du fait des pénuries en tout genre auxquelles elle est habituée,
fait le reste. Les habitants de Rafah sont ainsi devenus, en quelques années et sous la pression
des évènements, expert en travaux souterrains. Les tunnels sont généralement creusés depuis
la bande de Gaza vers l’Egypte. Le premier travail qu’effectuent les mineurs des sables est
d’établir ce qu’ils appellent « l’œil du tunnel », un puits d’accès s’enfonçant dans le sous-sol
jusqu’à la profondeur requise pour faire démarrer le boyau qui est alors creusé à l’horizontale4
A partir de la prise du pouvoir par le Hamas, les tunnels de contrebande se multipliant et leur
réalisation étant encouragée par les nouvelles autorités, les gazaouis se sont mis à creuser des
puits plus près de la frontière, à découvert dans les zones ravagées par l’armée israélienne
quelques années plus tôt. Pour les protéger des intempéries et échapper aux caméras des
drones qui patrouillent dans le ciel de Rafah, ils en abritent les ouvertures sous des tentes de
fortune recouvertes de bâches en plastique bleues ou blanches qui fleurissent tout au long du
couloir Philadelphie. Parallèlement, les Palestiniens creusent leurs tunnels de plus en plus
profondément afin qu’ils soient plus difficiles à détecter et plus résistants aux
bombardements. Alors que les profondeurs évoquées en 2003 étaient généralement comprises
entre 12 et 17 mètres, celles mentionnées fin 2008 sont plutôt de l’ordre de 25 ou 30 mètres
Pour éviter qu’elles ne s’effondrent, les gazaouis pratiquent le boisage des parois de ces puits
s’enfonçant dans le sable au fur et à mesure du creusement, certains puits de grand diamètre
pouvant même être appareillés à l’aide d’éléments préfabriqués en béton scellés entre eux au
mortier. Selon les objectifs et les moyens des entrepreneurs en travaux souterrains, les
tunnels, longs de plusieurs centaines de mètres -jusqu’à 1,5 km pour certains- présentent des
sections variés, du simple boyau presque informe dans lequel il faut ramper jusqu’au tunnel
entièrement boisé, large de 0,8 mètre et haut de 1,70 mètre, en passant par toutes les
configurations possibles. Ils sont plus ou moins spacieux, plus ou moins soignés et plus ou
moins pérennes. A l’aide de tarières, on fore également tous les 100 à 150 mètres des trous ou
des puits d’aération afin de faciliter la ventilation de ces longs couloirs. Le creusement de ces
3 http://www.lefigaro.fr/international/2009/01/10/01003-20090110ARTFIG00206-dans-le-
secret-des-tunnels-de-gaza-.php
4 TRIOLET Jérôme et Laurent « La guerre souterraine : sous terre, on se bat aussi » Perrin
2011, p 337.
10
ouvrages génère des quantités considérables de déblais qu’il faut bien sûr évacuer au fur et à
mesure de l’avancée des travaux. Le sable est transporté dans des sceaux, des fûts en plastique
découpés dans leur partie supérieur et équipés de poignées en cordage, ou conditionné dans
des sacs à farine, avant d’être remonté en surface au moyen de poulies et de treuils. Ces
dispositifs de levage sont actionnés par des moteurs thermiques ou électriques, parfois par de
simples perceuses. Une fois ce sable en surface, les Palestiniens ne l’entreposent pas à
proximité de l’entrée du tunnel, sans doute pour ne pas donner d’indications sur l’ampleur de
l’ouvrage souterrain qu’ils sont en train de réaliser aux téléopérateurs des drones israéliens
qui les espionnent en permanence. Ils préfèrent stocker ces déblais dans des bâtiments
proches, ou les évacuer loin de la route. Une fois la frontière franchie, les mineurs poursuivent
le creusement jusqu’à une rampe de sortie aménagée par les partenaires égyptiens5. Sous la
direction des propriétaires qui se coordonnent par téléphone de part et d’autre de la frontière,
et à raison de 6 à 12 mètres creusés quotidiennement par des équipes d’une dizaine
d’hommes se relayant jour et nuit. Les gazaouis ont ainsi creusé des milliers de couloirs
souterrains leur permettant de survivre en se jouant du blocus imposé en surface par leurs
voisins.
Cependant le pari de ce mémoire est de prouver que l’étude des tunnels ne doit pas ce limiter
à une étude des techniques de construction. En effet, le but de ce mémoire est de répondre à
un certain nombre de question qui tendent à montrer l’importance des tunnels, en tant
qu’éléments de rupture dans l’histoire propre de l’enclave mais aussi dans son rapport avec la
domination israélienne. Mon travail va donc tenter de répondre à un certain nombre
d’interrogation. Quelle est l’histoire des tunnels ? Comment se créent les tunnels ? Qui sont
les acteurs de cette économie souterraine ? Comment les tunnels ont permis au Hamas de
passer d’un mouvement clandestin à un acteur ayant les attributs d’un Etat ? Est-il devenu un
Etat ? Pourquoi les tunnels sont-ils un élément de rupture politique ? Comment les tunnels
ont-ils sauvé les gazaouis du désastre humanitaire ? Pourquoi l’économie des tunnels est-elle
une rupture majeure du processus de domination économique israélienne ? Comment les
tunnels ont-ils permis un remplacement des élites à Gaza ? Les tunnels ont-ils joué un rôle
régional ? Les tunnels ont-ils été utilisés par le Hamas pour gagner en influence sur la scène
diplomatique ?
5 TRIOLET Jérôme et Laurent « La guerre souterraine : sous terre, on se bat aussi » Perrin
2011, p 337.
11
Pour pouvoir répondre à ces questions, nous avons divisé notre travail en trois grandes parties,
représentatives selon l’auteur des différentes fonctions des tunnels. Sa première fonction est
politique. Les tunnels ont entrainé une rupture politique majeure permettant au mouvement
politique du Hamas d’asseoir sa domination sur l’enclave palestinienne. Grâce aux tunnels
Gaza a mis fin à près de vingt années de domination du Fatah. L’histoire ne nous dira jamais
si le Hamas aurait réussi sans les tunnels, mais une étude des fais montre que la réussite du
Hamas a tenu dans sa capacité à prendre en main, a rationaliser et a administrer ce système
souterrain. Evidemment cette réussite a entrainé certaines critiques, voir certaines tentative de
déstabilisation que nous étudierons. La deuxième fonction est économique. Souhaitant
dépasser l’analyse des avantages et des désavantages, cette partie montre, à travers une
perspective historique, la rupture brutale que représentent les tunnels. Conceptualisant la
domination économique d’Israël sur la bande de Gaza par le concept du « de-development »,
cette partie montre que les tunnels fut la première expérience de sortie du « de-development ».
Pour cela une précision chronologique s’impose puisque la plus grande partie du temps, nous
parlerons de la période dite de « l’économie des tunnels » entre 2007 et 2013. Cette période
est la plus cruciale, puisque l’économie des tunnels est au plus fort, les tunnels prennent une
dimension différente. En effet, ce système crée sa propre autonomie, ses propres réseaux, sa
propre richesse. Il est puissant, permets d’amasser des fortunes et créer même de la
croissance. Son existence est unique dans l’histoire de la Palestine et sa rareté doit être mise
en avant. Les tunnels ont entrainé des bouleversements sociaux à travers l’apparition d’une
nouvelle élite économique. Le mémoire retrace l’histoire de ces élites pour permettre aux
lecteurs de mesurer la force politico-sociale de l’économie souterraine. Enfin nous tenterons
de comprendre le rôle qu’ont pu jouer les tunnels dans les différentes problématiques
régionales, que ce soit sur des questions liées aux enjeux diplomatiques du Hamas ou sur des
questions sécuritaires vis-à-vis de l’insurrection du Sinaï. Elément qui doit toujours rester à
l’esprit lorsque nous étudions les tunnels.
Les sources sur le blocus de Gaza sont paradoxales. Le conflit israélo-palestinien est traité sur
tous les supports : les analyses historiques, retraçant les grandes étapes et les solutions
possibles, des photographies, des livres, des poèmes, des films…Ainsi le cadre général est
très documenté, mais Gaza l’est beaucoup moins avec une seule œuvre d’historien6. En ce qui
concerne le blocus et sa dureté, il existe des témoignages de journalistes, d’écrivains,
d’humanitaire mais ces ouvrages se concentrent très souvent sur les périodes de guerres
6 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 436.
12
comme si Gaza ne devenait intéressante qu’en période de massacre. Les sources sur les
tunnels sont quant à elles inexistantes ou presque. Il en existe quelque unes, toutes écrites par
des économistes. Ces derniers ont été intéressés par les tunnels comme phénomène
économique limitant leur étude à des considérations liées à la question du développement, de
la croissance. Mon travail, en plus de considérer les tunnels comme un phénomène politique
autant qu’économique, tente de replacer les tunnels dans une histoire, celle de la bande de
Gaza. Ce n’est qu’à travers cette remise en perspective historique que l’on peut apprécier la
singularité de la période des tunnels, moment de rupture majeur dans l’histoire de la bande de
Gaza.
13
1. Les Tunnels : outils au service du Hamas
1.1 Les tunnels avant le Hamas
1.1.1 L’émergence des tunnels entre 1979 et 1994.
Pendant des millénaires, Rafah était la première escale pour tous les marchands traversant
l’Afrique en direction de l’Asie. Rafah était une, unie, indivisible, regroupant en son sein des
tribus, des clans en grande partie d’origine bédouine. Ces populations se mélangeaient, se
mariaient, se faisaient parfois la guerre mais un lien existait entre elles. Ce lien a résisté à la
création d’Israël en 1948, à l’occupation égyptienne puis à celle israélienne en 19677.
Les accords de Camp David, en 1979, marque la fin de la guerre entre l’Egypte et Israël8,
L’Etat hébreu rétrocède le Sinaï à son ennemie d’hier mais souhaite la construction d’une
frontière. Celle-ci est tracée entre les deux pays et divise la ville de Rafah en deux. Les
soldats détruisent des maisons, des vergers et construisent une barrière9, séparant un monde
unifié depuis des siècles. L’armée israélienne établit tout un dispositif de surveillance le long
du « couloir de Philadelphie », ainsi qu’est désignée la zone de patrouille immédiatement
frontalière de l’Egypte.
A peine la frontière tracée et la barrière construite en 1981, les bédouins ont commencé à
construire des tunnels le long de la ligne de séparation, grande de 14 kilomètres. Ces tunnels
creusaient, en grande partie au milieu, où la terre est plus molle, commençaient dans les sous-
sols des maisons jusqu'à une profondeur d’une quinzaine de mètres puis en direction du sud
pendant une dizaine de kilomètres avant de ressortir du côté égyptien, soit dans une maison,
dans un jardin ou dans un poulailler10. Les tunnels, à ce moment là, ne jouaient aucun rôle, et
7 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, p 2
8 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Conference-de-Camp-David.html
9 PORTEOUS Tom, « The divided people of Rafah » Middle East International, 1988, p.9
10 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, p 2
14
se comptaient sur les doigts d’une main, ils permettaient, en grande partie, aux familles de se
réunir le temps d’un repas. Très rapidement et bien avant la fin des années 1990, les tunnels
changent de nature, ils ne sont plus vraiment des tunnels familiaux mais un lieu de trafic, que
ce soient des armes, de l’or ou de la drogue11.
1.1.1 Le début du succès entre 1994 et 2007.
Destinés à rester marginaux, les tunnels vont connaître un succès de plus en plus important à
partir des accords d’Oslo et de l’installation de l’Autorité palestinienne à Gaza en 1994. Les
israéliens vont petit à petit encerclés la bande de Gaza. La fermeture de plus en plus fréquente
des Postes-Frontières, les restrictions de circulation des hommes, des biens et des capitaux et
la construction de barrières tout autour de la bande vont pousser les gazaouis à chercher des
alternatives. En effet, le contexte politique est particulièrement violent au cours de ces années
avec le début de l’intifada Al-Aqsa en 2000 où la destruction des barrières séparant Israël de
la bande de Gaza font partie des premières demandes des manifestants12. En guise de réponse,
les israéliens augmentent la hauteur et rendent les barrières encore plus infranchissables. La
fermeture fréquente des terminaux par Israël puis la destruction du port maritime de Gaza et
de l'aéroport en 2001, couplée à la militarisation de l'Intifada, ont intensifié une recherche de
débouchés en très grande partie vers le Sud. D'où l'extension et la modernisation des tunnels,
qui, pour la première fois ont servi de soupape de sécurité pour les grossistes pour atténuer les
pénuries créées artificiellement par la fermeture des terminaux.
Pour répondre aux besoins en armes et pour trouver des financements pour leurs opérations
durant l’intifada, les divers factions politiques palestiniennes ont crée et fait fonctionner des
tunnels plus long et plus profond. Les financiers ont cherché à coopérer et à travailler avec les
clans le long de la frontière, ce qui fut chose facile. Sami abu Samhadana, membre important
de l’autorité palestinienne à Rafah., chargé de la sécurité intérieur, lui-même issue d’une
famille de bédouins de la région, a surveillé la majeure partie de l'expansion13. Cette fusion
entre sécurité et intérêt économique, entre activité militante et entreprenariat privé, allait
11 Ibid
12 La « réussite » de la seconde intifada s’explique par l’alliance des classes populaires et de
la petite bourgeoisie, en perte de vitesse depuis l’instauration des barrières, restreignant
drastiquement les échanges et donc les profits.
13 BUCAILLE Laetitia, Gaza : la violence de la paix, Presses de Sciences Po, 1998, p77 à
79.
15
devenir une caractéristique du développement futur. Les stratégies militaires israéliennes
visant à vaincre la deuxième Intifada passaient déjà par l’élimination des tunnels. Pour mettre
en œuvre son plan unilatéral de retrait de Gaza en 2005, Israël a rasé, en mai 2004 près de
quinze cents maisons palestiniennes le long du corridor Philadelphie entre Rafah et la
frontière. L’armée a renforcé cette frontière en construisant un mur de sept mètre de haut. Les
maisons détruites étaient souvent un lieu de passage de tunnels14. Le document d’Human
Right Watch, paru en 2004 est extrêmement intéressant car il met en évidence le faible
nombre de tunnels trouvés et détruits par l’armée lors du passage à Rafah. Et même si il est
vrai et indéniable que le corridor Philadelphie fut déjà un lieu de trafic et de contrebande,
paradoxalement, à cette époque, le corridor est beaucoup moins fréquenté que le reste de la
frontière entre l’Egypte et le Néguev. Les trafiquants probablement préfèrent les israéliens,
plus riches, et le désert, plus simple pour se cacher15. Il s’agit de mettre en valeur un point
important, que ce soit dans les années 80, 90 et au début des années 2000, la contrebande
entre l’Egypte et Gaza existe mais est d’une importance limitée et incomparable à celui du
Néguev. En ce qui concerne les armes, celle-ci sont moins importées vers Gaza par les
tunnels16 que par la mafia israélienne.
Quant à l’Egypte, le régime de Moubarak a largement acquiescé à la construction du mur, en
espérant qu'il permettrait de protéger son pays d'un débordement de l'Intifada ou d’attentats
suicides qui menaçaient ses lucratives stations touristiques le long de la côte de la péninsule
du Sinaï, sur la mer Rouge. En outre, il craint que le retrait israélien oblige l’Egypte à devoir
prendre la responsabilité de 1,7 million d'habitants de Gaza, en déconnectant le territoire de la
Cisjordanie, et mettant ainsi fin aux aspirations arabes d’un Etat palestinien intégral. En
Janvier 2006, quatre mois après qu'Israël ait achevé son retrait de Gaza, le Hamas a remporté
les élections législatives palestiniennes. Israël a répondu en serrant systématiquement ses
frontières. Le 12 Mars 2006, alors que le Hamas était en pleine négociation avec l’Autorité
palestinienne pour former un gouvernement d'union, Israël a fermé le Poste-frontière d’Erez
aux travailleurs gazaouis mettant 70 pour cent de la population active de Gaza au chômage.
En Juin 2006, lorsque le soldat israélien Gilad Shalit a été capturé par des militants
palestiniens (et escamoté par tunnel), Israël a fermé le terminal de Karni, passage primaire de
14 HUMAN RIGHT WATCH, Razing Rafah : Mass Home demolitions in the Gaza Strip,
octobre 2004.
15 HUMAN RIGHT WATCH, Razing Rafah : Mass Home demolitions in the Gaza Strip,
octobre 2004 p 48-49.
16 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015, p62.
16
Gaza pour les marchandises (déjà fermé pour la moitié des six mois précédents). Israël a
également empêché l'utilisation du terminal de Rafah pour la circulation des hommes et
sévèrement restreint l'accès à la mission de surveillance européenne, chargée de surveiller la
frontière et le corridor Philadelphie17. Le fermeté d'Israël vis à vis des restrictions aux
échanges, couplée à la nécessité d'atténuer la menace de frappes aériennes israéliennes
punitives ciblant la zone de tunnel, ont rapidement incité les Palestiniens à développer des
tunnels plus profonds et plus longs couvrant la largeur de la zone et donc moins vulnérable
au sabotage. Le réseau de tunnels a continué de croître, et l'infrastructure améliorée. Même
ainsi, les tunnels étaient mal préparés pour la hausse du trafic généré par le blocus imposé à
Gaza par Israël et l'Egypte quand, en Juin 2007, le Hamas a pris le contrôle de la bande,
démantelé les forces du Fatah, et chassé ses dirigeants.
1.2 Les tunnels après l’arrivée du Hamas
1.2.1 La recherche d’une porte de sortie, l’option égyptienne.
La prise de contrôle de la bande de Gaza par le mouvement de la résistance islamique en juin
2007 marque un véritable tournant. De tunnels liés aux activités de contrebande, on passe à
une véritable économie des tunnels.
Le siège de la bande de Gaza qui a commencé des années auparavant, s’accélère. L’Egypte
ferme le terminal de Rafah, Israël désigne Gaza comme « une entité hostile ». Des roquettes
visent le sud d’Israël en novembre 2007. En janvier 2008, le blocus de la bande de Gaza
devient total. L’Etat hébreu interdit quasiment tous les produits selon la logique du « double-
usage », c’est-à-dire lorsqu’ils peuvent être utilisés à des fins civiles ou militaires. Pour
rappel, le blocus est particulièrement brutal, à part le blé, la farine, le riz, le sucre, l’huile
végétale et quelques légumes rien ne passe les terminaux israéliens. Le nombre de camions
entrant dans Gaza est tombé de 12,000 par mois en 2005 à 7000 en 2006. Après la prise de
contrôle de la bande par le Hamas, le nombre de camions passe à 20 par jours alors que les
besoins des habitants de Gaza sont de 1000 camions par jours18. Le manque d’essence devient
le symbole du blocus, les gazaouis abandonnent les voitures et achètent des ânes.
Face au blocus israélien maritime et terrestre, et la fermeture du terminal Egyptien de Rafah,
la crise humanitaire pointe son nez et menace déjà l’autorité du Hamas.
17 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, P 4.
18 GAL Yitzhak, “The Gates of Gaza and the Economic Power of Hamas”, Middle East
Economy, Moshe Dayan Center for Middle Easter and African Affairs, Tel Aviv University, 3
juin 2011.
17
Les membres de la résistance islamique comprennent rapidement que l’Egypte reste le point
faible face à « l’ogre » israélien. Pour tenter de mettre la pression sur le régime militaire du
Caire, les forces du Hamas cassent, en janvier 2008, le mur de séparation à Rafah, permettant
à des milliers de Palestiniens de passer et de se réapprovisionner dans le Sinaï19. Après onze
jours d’efforts, les égyptiens réussissent à faire rentrer les palestiniens chez eux, à Gaza.
Cependant, la réaction et la main de Moubarak se durcissent, un contingent de l’armée
régulière s’installe en vue d’améliorer la surveillance de la frontière et surtout un nouveau
mur plus grand est construit. La réaction égyptienne s’explique assez aisément. D’une part, le
blocus de Gaza à reçu l’approbation de la communauté internationale et notamment des Etats-
Unis d’Amérique. Ces derniers ont acheté la paix entre Le Caire et Tel-Aviv lors des accords
de Camps David. Le prix ? 2,1 milliards de dollars d’aide annuelle, donc 1,3 milliard d’aide
militaire et 800 millions d’aide civile 20 . L’Egypte est passé d’une économie de type
planificatrice à l’époque de Nasser à une économie capitaliste, privée à l’époque de Sadate.
Dans les deux cas, le pays n’a que peu réussi en matière de lutte contre le chômage, la
population reste majoritairement pauvre et peu éduquée 21 . On peut donc comprendre
aisément, à la vue d’ailleurs du déficit actuel de l’Etat central que les aides données par les
Etats-Unis sont devenues indispensables dans un pays asphyxié économiquement. Cette
raison n’est évidemment pas la seule, elle n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique
étrangère égyptienne, mais elle reste importante et surtout permet d’expliquer la position du
Caire vis-à-vis de Gaza pendant les trois présidences, celle de Moubarak, de Morsi et de
Sissi22. D’autres raisons viennent s’ajouter, notamment la crainte de Moubarak puis de Sissi,
d’une alliance entre le Hamas et les frères musulmans égyptiens. En effet, les deux
mouvements se revendiquent de la même filiation politique celle de Hassan Al banna23.
Face à un blocus imposé de toute part et à l’échec de l’option égyptienne, le Hamas va donc
se tourner vers les tunnels mais à la différence du Fatah, les islamistes vont entreprendre une
rationalisation complète du système.
19 http://www.ladepeche.fr/article/2008/01/25/429158-destruction-nouveau-pan-mur-
frontalier-entre-gaza-egypte.html
20 AYAD Christophe, Géopolitique de l’Egypte, Complexe, Paris, 2002, p 26.
21 Ibid
22 Nous nous intéresserons d’une manière plus fouillée à la relation Egypte-Gaza lors du
chapitre sur le Sinaï.
23 HROUB Khaled, Le Hamas, Demopolis, Paris, 1994, p 176.
18
1.2.2 Les attributs d’un Etat.
Ici, nous comprenons le mot de rationalisation selon deux sens. Le premier est l’ensemble de
moyens mis en œuvre dans le cadre d’un régime politique pour assurer une stabilité dans un
pays. Le deuxième sens est le perfectionnement d’une organisation technique en vue de son
meilleur fonctionnement. Nous proposons une hypothèse. Le Hamas a utilisé les tunnels pour
affirmer et stabiliser son pouvoir en s’attribuant les prérogatives d’un Etat, en créant malgré
tout des dissensions entre sa branche politique et militaire.
En 2007, le principal objectif du mouvement islamiste est l’élimination de la faction rivale, le
Fatah. Comble de l’ironie, les leaders du mouvement d’Arafat et notamment Mohammed
Dahlan24, ont du s’enfuir en Egypte par ces mêmes tunnels qu’ils contrôlaient quelques jours
avant. La brigade Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas s’approprie les tunnels
du Fatah et en particulier ceux supervisés par Sami Abu Samhadana, qui a fui l’enclave25. La
victoire de la brigade a donné un pouvoir politique et un prestige très important à Ahmed
Jaabari26. La volonté de la brigade est de se garder les tunnels, d’en faire un lieu uniquement
militaire, cachés des habitants et du gouvernement du Hamas. En effet il faut, avant tout, faire
une distinction entre les tunnels militaires utilisés à des fins de réapprovisionnement ou
d’embuscade en Egypte et les tunnels privés, principale source d’importation de biens ou de
produits de consommation. Après une série d’affrontements violents et des batailles entre la
police et la brigade, le gouvernement et donc le pouvoir civil a repris possession des tunnels
privés et a laissé les tunnels militaires à la brigade27. Peut-être le lecteur sera-t-il choqué d’un
tel « égoïsme », mais il faut bien comprendre que les membres de ces brigades, souvent
recrutés jeunes, ne vivent que pour la lutte contre l’occupant, par conséquent plus ils ont de
moyens mieux c’est. La dimension politique c’est-à-dire la question de la discussion ou des
trêves avec l’ennemi israélien sont des éléments propres au pouvoir civil du Hamas. Ces
questions restent un peu étrangères à la branche militaire, plus habituée à la clandestinité et à
24 Chef de la sécurité de l’Autorité Palestinienne, proche d’Arafat. Laetitia Bucaille a fait une
magnifique biographie dans son ouvrage op.cit
25 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011,
26 Leader de la brigade Izz al-din al-Qassam, mort en 2012.
27 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
19
la guerre.28. Ismaël Haniyeh, le chef du gouvernement civil, peut donc se réjouir. Il a éliminé
ses principaux concurrents, le Fatah et Jaabari.
Les tunnels ont permis aussi d’éliminer le prestige d’une Autorité Palestinienne basée à
Ramallah. Son premier ministre Salam Fayyad, a stoppé les livraisons de combustible
nécessaire au bon fonctionnement de la centrale électrique de Gaza au motif que le Hamas ne
payait pas sa facture d’électricité. La réponse du mouvement de la résistance islamique fut
sans précèdent puisqu’il put faire venir du diesel, en grande quantité et de meilleure qualité
par les tunnels, limitant les pannes à 2 heures par jours alors qu’avant elles étaient de 12
heures . Même les rivaux du Hamas reconnaissent à contre cœur cette prouesse29. Ce coup de
force ne doit pas être sous-estimé. La population palestinienne, de Cisjordanie actuellement
et celle de Gaza de 1994 à 2007, vivait dans un système clientéliste où l’Autorité
Palestinienne et ses relais locaux offraient des avantages selon des considérations
politiciennes. Que ce soit sous le Hamas ou le Fatah, l’Etat joue un rôle clé pour trouver un
travail, avoir accès à l’eau ou à l’électricité…La réussite du Hamas tient à sa capacité à avoir
pu remplacer le Fatah….en reprenant son rôle. Dans un paradoxe confiant à l’absurde, le
blocus aide sa cible prioritaire le Hamas et sapent le travail des organisations internationales
qui auraient du être les « bénéficiaires » de cette situation de crise. En effet, ces dernières ne
peuvent acheter des produits passés par les tunnels, considérés comme illégales par les
donneurs de fond occidentaux (Américains et Européens en grande partie)30. Ce système à
donc donner à la résistance islamique la première place en ce qui concerne la reconstruction
de l’enclave31. Alors que les trois quarts des palestiniens de l’enclave dépendaient de l’agence
des nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) pour se loger, se nourrir, les
tunnels ont permis au Hamas de devenir les vrais protecteurs des réfugiés, créant une véritable
dépendance de ces derniers au premier. Dans une tentative pour retrouver leur participation
dans la chaine d’approvisionnement, les organisations humanitaires présentes à Gaza ont
présenté un plan de réouverture des terminaux israéliens sans la participation Hamas et dans
28 Les stratégies du Hamas face aux israéliens, en terme purement politique, sont
magnifiquement exposées dans la thèse de Leila Seurat : SEURAT, Laetitia Leila, La
politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et processus de décision, Thèse
de doctorat d’université, Paris : Institut d’études Politiques, 2014, p.381.
29 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information
Project, 2011
30 https://mediterranee.revues.org/6550
31 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information
Project, 2011
20
le même temps ont monté une campagne mettant en évidence les coûts humanitaires d’une
économie de tunnel pointant du doigt le travail des enfants. Nous pouvons, sans faire de
procès à quiconque, se poser la même question que celle du Général Arnaud Sainte-Claire
Deville sur les organisations humanitaires, s’agit-il d’individus agissant selon des principes
moraux et pour le bien commun ou plus prosaïquement pour sauver son emploi32 ? La
question se pose car sans les tunnels la population de Gaza aurait vécu, dès 2008, une
situation de famine. Malgré tout, au bout d’un an de blocus, le Hamas s’est débarrassé de ses
ennemies politiques et s’est construit une assisse populaire indéniable33. Mais il a aussi
construit une forteresse où seul ses alliés peuvent rentrer. En effet, le contrôle des tunnels a
permis de limiter l’entrée d’individus considérés comme indésirables. En premier lieu et
même si les tunnels n’ont que peu avoir, le Hamas considère que la bande de Gaza est un
territoire libéré du joug israélien. En effet à partir de 2007, plus aucun israélien n’est sur place
pas même des journalistes ou des humanitaires. Malgré eux, les israéliens ont rempli une
promesse électorale du Hamas lors des élections de 2006. Les diplomates occidentaux, partis
en 2007, ne peuvent revenir quant à eux qu’avec l’accord d’Ismaël Haniyeh. Les diplomates
autorisés à venir sur le territoire gazaoui ont souvent été des amis idéologiques à l’image du
Cheick Hamid Bin Khalifa Al-Thani, ex-emir du Qatar en juillet 201534. Enfin l’EUBAM, la
mission d’assistance frontalière de l’Union européenne à Rafah suspend ses activités dès le 9
juin 2007. Cette mission mise en place à la suite de l’accord sur l’accès et le mouvement
(AMA) en 2005 avait pour but de prendre la place des israéliens au poste-frontière de Rafah35.
Seulement, l’AMA avait été signé entre Israël et l’Autorité Palestinienne et l’accord était
donc vu, pour reprendre le mot d’Arafat, caduc pour le Hamas. Le départ de ces troupes,
considérées comme pro-israélien par le Hamas, offrait aux palestiniens une vue dégagée en
direction de l’Egypte. Pour terminer, les tunnels ont permis aux dirigeants de contourner les
restrictions du trésor américain sur les transferts financiers à l’étranger36. Ainsi, dès la fin de
l’année 2007, le Hamas est devenue le leader politique (élimination des rivaux), économique
(contrôle des sources d’approvisionnement et à la tête de la reconstruction de l’enclave) et
ayant une véritable assisse populaire. Il contrôle les entrées et sorties de son enclave et
32 Séminaire sous la direction de M. Forcade du 29 mars 2016.
33 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011,
34 Https://www.youtube.com/watch?v=b-ZYmg_rIkI
35 http://www.operationspaix.net/25-historique-eubam-rafah.html
36 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011,
21
dispose d’une armée, d’une police et d’un gouvernement. Les tunnels ont donc permis au
Hamas la conquête d’une (quasi) pleine souveraineté de la bande de gaza, mais aussi de
passer d’un mouvement politique clandestin à un mouvement ayant beaucoup des attributs
d’un Etat. Mais par quels moyens ont-ils réussi ce coup de force ?
1.2.3. Les clés du coffre-fort.
Après la prise de contrôle de la bande de Gaza et l’expulsion des membres de la faction rivale,
le Hamas a mis en place une commission des affaires spécialement chargée des tunnels.
Baptisée jusqu’en septembre 2007, « Tunnels Commission » puis « The Border and Crossing
Authority » (BCA), son siège se trouve à l’intérieur de la municipalité de Rafah37.
La BCA a introduit une licence pour avoir ou pour creuser un tunnel. Au début, la volonté
n’est pas de réguler des excédents (ce qui arrivera plus tard) mais plutôt d’éviter des
constructions sur des zones relevant du domaine sécuritaire, en particulier près de la frontière
israélienne où le Hamas craignait une surveillance. Ainsi les propriétaires de tunnels qui
voulaient en construire de nouveaux devaient fournir des documents, soit le titre de propriété
soit une autorisation du propriétaire qui donnait le droit d’utiliser sa terre. La BCA est
également intervenue pour arbitrer des différends entre les marchands et les exploitants de
tunnels et vérifier qu’aucun individu ne cache des produits pour en faire augmenter les prix.
La commission a aussi diffusé une liste noire de produits. On y trouve des médicaments, des
armes, des véhicules démontés, des drogues 38 . Le Hamas a aussi interdit le passage
d’individus. Les violations sont punies. En 2009-2010, la commission a clos au moins cinq
tunnels pour contrebande de Tramadol, un tranquillisant puissant et très consommé à Gaza et
deux tunnels fermés pour non paiement des taxes.
En septembre 2008, les autorités ont imposé progressivement des taxes sur une activité qui
n’en avait jamais connu. Alors qu’Israël perçoit des droits de douanes sur les produits
commerciaux passant par ses terminaux, le Hamas met en place un système de collecte de
taxes pour générer ses propres revenues. En premier lieu, la municipalité de Rafah met en
place des frais administratifs, avec l’introduction de licence nécessaire pour avoir un tunnel
d’un prix de 10,000 shekel (NIS) soit 2, 850 dollars. A cela s’ajoute un supplément entre 1000
et 3000 NIS pour la connexion au réseau électrique. La commission a également introduit des
37 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information
Project, 2011
38 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014.
22
prélèvements sur certains produits, en effet les propriétaires de tunnels ont déclaré que les
fonctionnaires de la BCA recueillent une tonne de ciment par semaine, quelque soit le volume
du trafic. En ce qui concerne l’essence, les taxes sont passées de 14 à 20% entre février 2010
et juin 2011, permettant aux autorités de recueillir près de 100,000 NIS par jours. D’autres
charges existent notamment sur le gaz ou sur le tabac à hauteur de 30 NIS par mètre cube et 3
NIS par parquet de cigarette. Les autorités chargent également le transport de voiture à
hauteur de 10,000 $ par voiture. Bien que les ouvriers des tunnels ne peuvent payer d’impôt
sur le revenu, les autorités de Gaza taxe à hauteur de 14,5 % la valeur ajoutée de toutes les
marchandises. Donc, plus les produits rentrent à l’intérieur de l’enclave, plus le Hamas
s’enrichit39.
Pour aider à l’application des taxes, les ministères de l’intérieur et de l’économie ont déployé
des agents chargés de la surveillance, en les postant dans les intersections clés en direction du
nord de l’enclave. Sous contrôle direct du ministère de l’intérieur, une première brigade est
composée de 300 policiers qui patrouillent tout au long de la frontière égyptienne sur des
motos. Un autre corps de fonctionnaire composée de 200 douaniers contrôle les cargaisons,
les licences et le payement des taxes. Ces douaniers sont sous la supervision du ministre de
l’économie Ala al-Rifati. Avant de sortir, les camionneurs font la queue pour enregistrer leurs
charges devant les portes de la municipalité de Rafah. Chaque camion est alors vérifié : le
poids contrôlé sur une bascule électronique incrustée dans le sable. Les camionneurs
reçoivent une liste imprimée des résultats, puis si tout va bien peuvent quitter la zone en
direction le plus souvent de Gaza city40. En ce qui concerne les moyens de transport autres
que les camions, les inspections sont aléatoires, principalement destinées à vérifier la nature
des marchandises mais aussi les permis et les certificats. Par exemple, les transporteurs de
carburants sont priés de présenter une preuve quant aux paiements des taxes. Ainsi, nous
pouvons affirmer que la raison principale du succès du Hamas tient à sa rationalisation d’un
système autrefois complètement illicite, grâce à sa conquête fiscale. Ce système aurait permis
au Hamas d’amasser en moyenne près de 300 millions de dollars par an entre 2007 et mi 2013
sur un marché d’environs 700 millions de dollars annuels41. De quoi dans la pratique politique
palestinienne s’achetait des fidélités. Evidemment, ce succès indéniable entraine des réactions
39 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information
Project, 2011
40 Ibid.
41 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information
Project, 2011
23
et des effets négatifs de la part de des deux voisins égyptien et israéliens mais aussi à
l’intérieur du champ politique de l’enclave palestinienne.
1.3 Une activité risquée.
1.3.1 Des voisins en colère.
Il y’a dès le début des activités de contrebande, des efforts de la part d’Israël et de l’Egypte
pour contrôler puis contrecarrer la circulation des marchandises. Dès le début les acteurs
régionaux ont tout de suite noté la possible menace que représente les tunnels pour la stabilité
régionale42. Dans cette partie nous étudierons la réaction égyptienne puis israélienne.
En ce qui concerne l’Egypte qui récupère le Sinaï en 1982 43 , nous pouvons diviser le
comportement du Caire vis-vis des tunnels grâce à la chronologie. Une date importante est
2004 l’année de l’attentat à l’hôtel Hilton de Taba dans le sud de la péninsule du Sinaï44. Cet
attentat est le premier revendiqué au nom de l’islamisme radical sunnite dans la péninsule
depuis celui de Louxor en 1997. Ce mouvement se revendiquant d’Al-Qaida, se nomme
Jamaa al-Tawhid al jihad et son leader est un dentiste originaire de Gaza, mais installé dans
le Sinaï, Khaled Moussaed45. Avant cette date, les militaires égyptiens installés dans le Sinaï,
fermaient les yeux ou pouvaient même participer, plus ou même directement (à travers la
corruption) aux trafics d’armes. L’idée qui sous-tend cette politique consistait à garder un lien
entre les activités politiques d’Arafat en contrôlant en partie son armurerie et d’avoir en même
temps un moyen de pression sur Israël. De plus, l’Egypte gardait son rôle de médiateur du
conflit israélo-palestinien, ce qui lui donnait un poids en matière régionale46. Nous pouvons
citer les propos du Général Fouad Allam, à la tête de la SSI (State Security Investigation)
dans le Sinaï jusqu’en 1985 : « L’Egypte à toujours été le seul et l’unique médiateur entre les
palestiniens et les israéliens et je crois que la permission accordée aux transports des armes et
aux opérations des tunneliers était une partie de la stratégie des autorités égyptiennes pour
gérer le cas compliqué qu’est Gaza. C’était une manière de maintenir une stabilité et des
42 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18.
43 http://www.aleph99.info/La-restitution-de-la-peninsule-du.html
44 http://www.liberation.fr/planete/2004/10/08/egypte-au-moins-30-morts-dans-un-attentat-
anti-israelien_495259
45 http://orientxxi.info/magazine/genealogie-du-djihadisme-au-sinai,0687
46 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015, p60.
24
relations avec les deux voisins sans les perdre47. » De toute manière, le trafic d’arme par les
tunnels est resté au stade embryonnaire jusque dans les 2000. A partir de 2004 et l’attentat de
Taba (s’en suivra deux autres en 2005 à Charm el-Cheick48 et à Dahab le 24 avril 200649),
Moubarak remplace son gouverneur du Sinaï Munir Shash, promoteur des droits des
bédouins, historique habitants de la péninsule du Sinaï50, par Habib El-Hadly aussi appelé le
« ministre de la torture 51». En effet, à part s’aliéner les populations locales bédouines par une
politique répressive qui poussera une partie de la population dans les bras des djihadistes, les
effets sur les tunnels peuvent être considérés comme nul. Au contraire, 2004 est aussi l’année
de la mort d’Arafat et de la montée en puissance du Hamas, qui sentant monter l’inévitable
bataille contre le Fatah décide comme ces derniers d’utilisait les tunnels pour s’armer encore
plus lourdement. Les islamistes du Hamas mettent la main sur des tunnels qu’ils développent
et agrandissent le volume du trafic d’arme. Pour Mohannad Sabry, l’échec des égyptiens
s’explique par trois grands facteurs, une demande accrue en armes pour les gazaouis du à la
militarisation de l’intifada al-Aqsa en 2000, les échecs de la répression combiné à une forte
corruption du côté égyptien et à la déliquescence du Fatah notamment dû à la mort d’Arafat.
Le désengagement israélien n’a fait qu’accélérer le trafic. Les contrebandiers du Sinaï qui
n’étaient qu’une poignée jusqu’au début des années 2000, ont réussit dès 2004 à étendre leur
réseau et à échapper totalement à la police égyptienne.52 Cette situation continuera jusqu’en
2008. En effet, sous la pression des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël à la suite de l’opération
plomb-durci, entre fin 2008 et début 2009, l’Egypte intensifie sa lutte contre les activités des
tunnels. Le Caire se lance dans la construction d’une barrière en acier de 25 mètres de
profondeur sous terre le long de sa frontière avec Gaza53. Seulement l’Egypte connaît très
rapidement des difficultés techniques et logistiques à cause d’un sol pierreux qui empêche le
martèlement des plaques d’acier dans le sol. Au maximum ces plaques d’aciers peuvent aller
à 4 mètres de profondeur, ce qui est insuffisant. De plus les creuseurs utilisent des
chalumeaux pour faire des centaines de trous dans les plaques d’aciers installées ou creusent
47 Ibid.
48 http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/4709491.stm
49 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2006/04/24/la-station-balneaire-de-dahab-en-egypte-
frappee-par-un-triple-attentat_764993_3212.html
50 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p16.
51 http://www.jadaliyya.com/pages/index/759/the-counter-revolution
52 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015 p 65.
53 ‘GazatunnelsmugglerscuttingthroughEgypt’swall’,Associated Press,22 Juillet 2010. 

25
des tunnels plus profond annulant du même coup un projet de plusieurs millions de dollars54.
Mais les raisons de l’échec tenaient plus à une faible volonté politique qu’à une question
technique. Les fonctionnaires de l’Etat Egyptien dans le nord-Sinaï, trouvaient avantageux
pour des raisons financières que ce trafic puisse continuer. Les années Moubarak sont donc
marquées par un laxisme important et lorsque la pression des américains ou des israéliens
devenaient trop forte, les agents publics égyptiens se limitaient à détruire les tunnels les plus
visibles, qui étaient souvent les moins importants55. Incapable de combattre le trafic ou de
renverser le Hamas, le régime en fin de vie de Moubarak a accepté le fait accompli et à établi
un modus operandi entre les autorités du Hamas et le ministère de l’intérieur du Caire. Cet
accord consistait à envoyer une liste des individus quittant Gaza en échange les égyptiens
laissaient passer des produits à des prix réduits.
Le 25 janvier 2011, la présidence de Moubarak s’écroule, c’est le début de l’insurrection.
Dans le nord-Sinaï, c’est-à-dire la région proche de la frontière palestinienne, composé de
trois grandes villes du Sinaï : El-Arish, Sheikh Zuwayyed et Rafah côté Egyptien, le régime
s’écroule et ses représentants chassés ou assassinés en pleine rue. Durant 5 jours, entre le 25
et le 30 janvier, de nombreux massacres ensanglantèrent la région.
L’armée égyptienne mettra près de 18 jours pour « reconquérir » le nord-Sinaï56. Mais le Sinaï
n’est plus une région pacifiée, touristique mais bien une zone de guerre encore aujourd’hui où
les embuscades sont permanentes. Cette situation divise la société bédouine entre un camp qui
appuie les forces gouvernementales et un autre proche de la rébellion dominée par un groupe
islamiste Ansar Bait al-Maqdis, devenue en novembre 2014, Wilayat Sinai57. Il s’agit d’un
moment clé car les autorités égyptiennes perçoivent les tunnels d’une autre manière. Vu
comme un moyen de moyen de pression et de stabilité (ou d’enrichissement), la situation
d’insurrection dans le nord-Sinaï à partir de 2011, pousse les égyptiens à percevoir les tunnels
comme une menace majeure à la sécurité nationale. Pire, les autorités du Caire vont
considérés que les tunnels sont la cause majeure de l’islamisation du Sinaï. Le Général Fouad
Allam déclare en 2013 : « On a jamais rencontré d’islamistes dans le Sinaï jusqu’à ce que les
54 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18.
55 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18
56 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015 p 18
57 http://www.nytimes.com/2014/11/11/world/middleeast/egyptian-militant-group-pledges-
loyalty-to-isis.html?_r=3
26
tunnels apparaissent (…) l’attentat de Taba en 2004 a été un avertissement clair (…). Il n’y a
jamais eu d’histoire d’islamisme radicaux dans le Sinaï (..) les islamistes sont arrivés par les
tunnels et une fois arrivés, il y‘a très peu de chance de les retrouver »58.
Le 28 juin 2012, le premier président issu de la mouvance des frères musulmans est élu. Il
s’agit de Mohamed Morsi. Le 5 aout 2012 a lieu la plus grande attaque terroriste sur le sol du
Sinaï, depuis la rétrocession de la péninsule en 1982. C’est l’attaque du poste-frontière de
Rafah, faisant 16 victimes, tous soldats égyptiens 59. Les assaillants sont pour la plupart
originaire de la bande de Gaza, ils auraient eu des complicités avec les islamistes du Sinaï.
Cet événement va profondément choquer le pays. La présidence de Mohamed Morsi sera une
succession d’échec en matière de sécurité. Incapable d’éradiquer l’islamisme radical ou les
tunnels, il va devoir supporter tout au long de sa présidence des accusations graves. Portées
par des médias proches du pouvoir militaire, ces accusateurs lui reproche de faire le jeu du
Hamas ou de vouloir donner le Sinaï aux palestiniens 60. Finalement le 3 juillet 2013, le
ministre de la défense Al-Sissi réalise un coup d’état militaire et prend le pouvoir. Depuis la
destitution de Morsi, les attentats sont quotidiens en Egypte. Le pouvoir est directement visé
et menacé par Wilayat Sinaï. Le 24 avril 2014, vieille de la journée de la journée de
célébration de la libération du Sinaï, l’armée avait affirmé que « la péninsule du Sinaï était
totalement sous contrôle ». Cependant tout au long de l’année 2014 et 2015, des attentats
visent régulièrement l’armée. Durant la présidence de Morsi, des attentats visant l’armée avait
été de la même fréquence et sa démission avait été alors réclamée : il était accusée, comme
nous l’avons vu, d’être incapable de combattre le terrorisme. Abdel Fattah Al-Sissi l’a dit et
répété : il ne fait aucune distinction entre les frères musulmans, le Hamas et l’organisation de
l’Etat islamique. Cet amalgame l’a conduit à isoler encore davantage les habitants du Sinaï et
de la bande de Gaza. Une zone tampon a été créée au niveau de la ville de Rafah côté
égyptien, isolant totalement cette enclave de 360 km2 encerclée de toutes parts. Des milliers
de familles égyptiennes ont été expulsées de leur domicile puis détruites. Des civils ont été
tués61.
58 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015 p 107.
59 http://www.lefigaro.fr/international/2012/08/05/01003-20120805ARTFIG00252-un-
commando-penetre-en-israel-depuis-l-egypte.php
60 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American
University in Cairo Press, 2015 p 156-157.
61 https://www.hrw.org/report/2015/09/22/look-another-homeland/forced-evictions-egypts-
rafah
27
En ce qui concerne les tunnels, Sissi creuse un canal le long de la bande de Gaza avec la
volonté d’y faire couler l’eau salée de la méditerranée. Cette eau détruit les plantations et
l’agriculture62. Nous pouvons considérer que dès la mi-2013, l’économie des tunnels est
morte. Pour paraphraser un journaliste franco-israélien : « Nombreux sont les israéliens qui
en ont rêvé, le Caire la fait. »63
Le régime israélien, quant à lui, n’a pas toujours vu les tunnels de manière négative. Au
contraire, certains analystes israéliens trouvaient que les tunnels permettaient à Tel-Aviv de se
débarrasser de Gaza et d’offrir l’enclave à la responsabilité égyptienne. La surpopulation de
Gaza aurait obligé les palestiniens à quitter l’enclave pour aller vivre dans le nord-Sinaï64. La
réaction égyptienne a mis fin à cette hypothèse dès 2007. Pour Israël, l’économie des tunnels
a permis d’accélérer sa politique de désengagement de Gaza, lancé en 2005 et ainsi de se
séparer économiquement, logistiquement puis espérait-il politiquement du reste de la
Palestine. Néanmoins, les intérêts israéliens dans le maintien de l’économie des tunnels n’ont
pas empêché l’Etat hébreu de recourir à des actions militaires pour maximiser leur influence
sur la bande de Gaza et de garder le Hamas sur la défensive. Au lendemain de 2007 et la prise
en main de l’enclave par le Hamas, Israël a attaqué les tunnels de Gaza en utilisant des drones
et des avions de chasse en réponse aux tirs de roquettes, quelque soit la faction responsable
des attaques (Djihad Islamique, Hamas, Armée de l’Islam...). Selon le quotidien israélien
Yedioth Ahronoth65, un tiers des 48 attaques israéliennes sur la bande de Gaza, durant l’année
2010, visaient des tunnels. Les attaques ont détruits du convoi alimentaire, cassé des lignes
d’alimentation mais aussi blessé ou tué des ouvriers des tunnels66.
Plus menaçante pour l’économie des tunnels fut le relâchement partiel du blocus sous la
pression internationale après l’assaut violent de Tsahal contre la flottille turque en mai 2010.
La petite bourgeoisie gazaouie déchue de sa position depuis le blocus et qui avait construit sa
fortune grâce à ses partenaires économiques israéliens s’est hâtée de rétablir en 2010 ses liens
et ses relations avec les anciens partenaires commerciaux israéliens. Les israéliens retirent de
62 http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-egypte-a-inonde-les-tunnels-de-gaza-a-la-
demande-d-israel-assure-un-ministre-israelien_1761319.html
63 http://orientxxi.info/dossiers/l-egypte-deux-ans-de-pouvoir-du-marechal-sissi,0957
64 voir « l’option égyptienne ».
65 H. Greenberg, ‘IDF intensifies ‘terror tunnel’ attacks in Gaza’, Yedioth Achronoth, 1 July
2010. 

66 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014.
28
la liste noire certains produits comme l’aluminium, le verre, les insecticides, les
shampoings… cette relative ouverture a conduit à une réduction des commandes par les
tunnels. Un important grossiste alimentaire de Gaza a indiqué que de 2007 à 2010 il
importait 95% de ses produits par les tunnels. Dès la fin de 2010, 85% de ses importations
provenaient des terminaux israéliens. Un autre grossiste, explique que les stocks arrivant des
tunnels avaient chutés de 70 à 50% entre 2007 et fin 201067. Entre 2011 et 2013, la politique
israélienne consistait à attaquer encore et encore les tunnels jusqu’à la prise de pouvoir du
Sissi en Egypte.
1.3.2 Des critiques en interne.
La conquête fiscale et les efforts du Hamas visant à réglementer les tunnels ne se sont pas
réalisés sans contestation, surtout dans un secteur dominé par l’illicite et où la notion d’impôt
n’existait pas. Les familles et les clans bédouins sont historiquement réticents envers toutes
formes de dominations et notamment étatiques. A la fin du moi de novembre 2007, des
affrontement armés ont éclatés entre les forces gouvernementales du Hamas et des membres
de la famille Al-Sha’ir de Rafah après que la destruction de leurs tunnels par les premiers68.
Cela dit, la véritable limite n’est pas celle-ci. Les tunnels ont surtout terni la réputation du
Hamas. Les critiques pointent du doigt un manque de transparence, des erreurs de gestion et
une corruption très importante. Pour un économiste de Gaza, « le Hamas est devenu une
entreprise »69. Les autorités du Hamas ont été largement critiquées sur le fonctionnement
opaque de l’administration chargée de la délivrance des licences. En effet, les membres de
cette administration auraient délivré des licences à des prix réduits en échange d’une
nomination dans les conseils d’administration des coopératives des tunnels, dont nous
expliquerions plus tard le fonctionnement. Le Hamas a aussi joué un rôle important dans un
scandale en 2007-2008. Avec des tunnels coûtant entre 80,000 et 200,000$, des mosquées et
des réseaux caritatifs, proche du Hamas, ont offert en échange d’une participation financière
importante des taux élevés de retour. Ce système, promouvant un plan de type pyramide de
Ponzi70 s’est écroulé lors de l’opération plomb-durci en 2008-2009. En effet, les investisseurs
se sont tous retournés pour récupérer la mise initiale, détruisant d’un coup tout l’édifice.
67 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014.
68 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011,
69 Ibid.
70 http://www.sec.gov/answers/ponzi.htm
29
Bernard Madoff a exactement utilisé le même système. Face à la polémique, le Hamas a
refusé puis remboursé aux alentours de 15% la somme investie71. Cet événement a détérioré
considérablement la crédibilité du mouvement. Par la suite, les islamistes salafistes
(mouvement à droite du Hamas) et opposants laïques ont accusé sans discontinuer le Hamas
d’être un mouvement corrompu. Certains éléments de la branche armée du Hamas ont acquis
une réputation de profiteurs à l’image de Mohammed Dahlan et sa force de sécurité
préventive. Plusieurs responsables de premier plan comme le bédouin et porte-parole du
Hamas Fawzi Barhum a été accusé de protéger les intérêts de sa seule famille, impliquée dans
l’économie des tunnels. Nicolas Pelham a recueilli un témoignage saisissant d’un salafiste de
Gaza : « Avant le Hamas était axé sur le religieux, leurs membres connaissaient par cœur le
Coran. Maintenant ils sont plus intéressés par l’argent et la fraude. Avant le Hamas parlait du
paradis, mais maintenant ses membres pensent aux achats de maisons, de terrains ou de
voitures ». Ce salafiste va plus loin car il considère que l’argent a perverti la société et son
chef les Imams « Après les prières du soir on étudiait, maintenant l’Iman explique les moyens
de s’enrichir, de faire de l’argent »72. Cette citation met en avant la radicalisation d’une partie
des habitants de Gaza vers l’islam de l’Etat Islamique. Les tunnels ne sont sûrement pas la
cause principale mais peuvent y jouer un rôle. Ainsi lorsque des leaders politiques islamistes
roulent en grosse berline, il n’est pas inimaginable de penser que cela puisse créer un fossé.
Le Hamas est aussi accusé de manquer de transparence quant à son utilisation des revenues
des tunnels. Alors que les responsables du Hamas expliquent que sur les 300 millions de
dollars, la moitié vont dans le budget annuel, certains hommes d’affaires ont calculé des
recettes plus importantes, ce qui soulèvent des questions quant aux destinations et
destinataires de ces fonds, notamment aux vues des lacunes et des retards des paiements des
salaires des agents de la fonction publique73.
Enfin le Hamas s’est attiré les foudres, et nous l’avons vu, des organisations internationales à
cause de l’utilisation des enfants. Les nombreuses vidéos disponibles des tunnels et de leurs
constructions ne permettent pas de voir des enfants dans les tunnels. Mais l’auteur Nicolas
71 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
72 Ibid
73 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014
30
Pelham, qui a voyagé et a vu les tunnels en décembre 2011 compare dans son article les
enfants de Gaza aux enfants à l’époque victorienne dans les mines de charbon74.
Tout compte fait, les tunnels ont donné une image positive et négative du mouvement de la
résistance islamique (Hamas). Alors que ces détracteurs louent, même à contrecœur, son
succès dans la réduction de la strangulation israélienne et donc de diminuer la souffrance du
peuple gazaoui, certains ont perçu et dénoncé un mouvement miné par la corruption. Pendant
les pénuries de carburant en 2012, de nombreuses rumeurs circulaient que les familles des
membres du Hamas ne connurent jamais de pénurie d’électricité et que les stations d’essence
ont continué à fonctionner à l’usage exclusif du Hamas75. Vrai ou pas, ils se sont nourri d’une
rumeur tenace, celle d’un Hamas enrichie par le blocus. Pour finir, les tunnels ont été à double
tranchant pour le mouvement d’Haniyeh, loué d’une part et critiqué de l’autre.
2. Les tunnels : d’une réponse au blocus au bouleversement des
structures sociales.
2.1 Coopérative, avantages et désavantages des tunnels.
2.1.1 La mise en place des coopératives.
Comme nous l’avons vu les événements se sont accélérés très rapidement entre l’année 2006
et 2007 pour l’enclave palestinienne. La mise en place du blocus suite à la prise de pouvoir
par le Hamas en juin 2007 et la fin de l’option égyptienne ont poussé les gazaouis vers le sud
et à réactiver les tunnels de contrebande. Les israéliens ont mis en place un blocus
particulièrement violent et asphyxiant pour une enclave dépendante économiquement de
l’Etat hébreu. Pour résumer les conséquences du blocus et dont les premiers symptômes se
sont faits sentir dès les premières semaines, les premières restrictions visaient la libre
circulation des personnes. Parmi ces individus, certains avaient un traitement médical,
d’autres étaient étudiants mais la grande majorité travaillait en Israël. Le chômage est en 2015
74 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
75 Ibid.
31
le plus élevé au monde avec 44 pour cent. De plus, l’entrave à l’entrée des matériaux
empêchait tout construction ou toute reconstruction. Environ 800,000 camions de matériaux
de construction sont indispensables pour construire des maisons, des écoles ou des structures
sanitaires. Le taux d’entrée de matériaux de construction n’est que de 0,2 pour cent76. On
assiste à l’effondrement économique de Gaza. L’interdiction d’exporter ou d’importer des
produits nécessaires aux industries a provoqué en 2015 la faillite de 72% des usines à Gaza.
Les pertes de PIB depuis l’imposition du blocus sont estimées à plus de 50 pour cent. Le
blocus a entrainé aussi, une destruction de l’agriculture et des moyens de subsistance comme
la pêche. Enfin il faut noter l’effondrement de l’infrastructure d’eau et d’assainissement77. Ce
bref résumé de la situation de l’enclave en 2015 a pour but de mettre en évidence les réalités,
le développement des tunnels avait pour but de s’en prévenir. Hélas malgré des début
encourageants, les tunnels n’ont pas réussi à sauver la bande de Gaza d’un désastre annoncé.
Privé de ressources et des routes traditionnelles de commerce, le Hamas s’est donc tourné
vers le développement des tunnels. Ces derniers sont devenus le seul moyen pour les
entrepreneurs de Gaza d’acheminer puis de vendre les produits nécessaire à la subsistance. La
demande a donc été très forte dès le début. Au soir de l’opération plomb-durci en décembre
2008, le nombre de tunnels est passé de quelques douzaines à la mi-2007 à près de 500.
Concentrés sur 8 kilomètres des 14 kilomètres du corridor Philadelphie. Les tunnels se
trouvent en grande partie entre Tel-Zagreb à l’ouest et le point de passage de Rafah à l’est, où
l’argile est plus souple. Les tunnels sont souvent creusés les uns des autres, parfois les uns sur
les autres. L’économie des tunnels était estimée à 30 millions de dollars par an à la moitié des
années 90 puis à près de 40 millions de dollars par moi à la fin de l’année 2008. Cependant, à
ce moment là on est loin des 2 milliard d’échange annuel entre la bande de Gaza et Tel-Aviv.
Pour répondre à la demande, les contrebandiers qui étaient jusque là spécialisés dans la
contrebande d’armes, ont du se diversifié en important du riz, des pâtes ou des produits
alimentaires de base. Quand Israël a coupé l’approvisionnement en carburant, les
contrebandiers ont commencé à faire passer de l’essence égyptienne dans des bouteilles en
plastique. Mais les prix étaient tellement gonflés et l’essence de mauvaise qualité, qu’il a
fallut l’intervention du Hamas pour arrêter cette escroquerie. Ce dernier a mis en place un
oléoduc78. En quelques mois, les tunnels avaient remplacé les terminaux israéliens comme
76 OXFAM, les reconstructions cruciales à Gaza pourraient prendre un siècle, février 2015.
77 http://www.ism-france.org/analyses/Le-Blocus-de-Gaza-en-Chiffres-Deni-et-Privation-
continuelsRapport-du-14-juin-2015-article-19619
78 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014
32
route commerciale principale. Même si le Hamas, en tant qu’acteur administratif joue un rôle
important dans le succès des tunnels, la plus grosse part vient du secteur privé. Les
investisseurs privés, y compris des membres du Hamas, ont soulevé des capitaux qu’ils ont
mis en commun avec des familles égyptiennes installés de l’autre côté de la frontière. En ce
qui concerne les acteurs égyptiens, on peut les diviser en trois catégories : les égyptiens
d’origine palestinienne, les bédouins du Sinaï propriétaire de terre à Rafah et les égyptiens qui
habitent à Rafah79. Après un accord verbal entre les gazaouis et les égyptiens, les avocats
rédigent des contrats pour créer juridiquement une coopérative et pour permettre le début de
l’exploitation des tunnels commerciaux. Les contrats détaillent le nombre de partenaires
(généralement de quatre à quinze), la valeur des parts respectives et le mécanisme de
distribution des bénéfices. Un partenariat typique englobait une partie de la société gazaouie.
On y trouvait, par exemple, un douanier de Rafah, un agent de sécurité dans l’ancienne
administration de l’autorité palestinienne, un travailleur agricole, un diplômé universitaire, un
employé d’une organisation non-gouvernemental et des creuseurs. Nicolas Pelham, nous
donne l’exemple de Abu Ahmas, qui gagnait entre 30 et 70 NIS par jour comme chauffeur de
taxi. Il a investi les bijoux de sa femme, d’une valeur de 20,000 dollars et s’est associé avec
neuf autres partenaires80. Généralement les investisseurs pouvaient récupérer la mise initiale
assez rapidement. En effet, en 2007, un investissement de 100,000 dollars permettait de
construite un tunnel long de 300 mètres et avec une capacité journalière de 40 tonnes. La
même somme investie en 2010 permettait de construire un tunnel quatre fois plus grand et
quatre fois plus large. En 2011, les tunnels pouvaient atteindre jusqu’à 1,5 kilomètres de long,
une hauteur de 1,5 mètres et avaient une capacité journalière de 170,000 tonnes. Entièrement
opérationnelle, un tunnel engrangeait des bénéfices en un mois. Evidemment les bénéfices
devaient être divisés avec les fournisseurs égyptiens. Pour être plus précis, nous pouvons
ajouter que les propriétaires des tunnels sont souvent des jeunes entre 25 et 40 ans, motivés
par des bénéfices rapides et la plupart sont souvent politiquement des sympathisants du
Hamas, même si on peut douter légitimement de leur sincérité. Bien que les tunnels jouent un
rôle important dans la baisse du chômage, les gazaouis les appellent les « tunnels de la mort »
en raison du nombre important de morts, notamment chez les creuseurs. Malgré les risques
79 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
80 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s
siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
33
associés au travail dans les tunnels, ce travail a continué en raison de la nécessité et le
pourcentage élevé du chômage. De nombreux travailleurs disent qu’ils se sentaient comme
dans une tombe à l’intérieur du tunnel, où la mort pouvait arriver à tout moment.
2.1.2. Les avantages des tunnels : une réponse partielle à la crise humanitaire.
L’économie des tunnels a comme principal avantage d’avoir été une réponse partielle aux
problèmes humanitaires. Ils sont permis un réapprovisionnement d’un certain nombre de
produits indispensables. Nous avons déjà cité l’essence, mais les produits les plus importés
étaient les détergents, la nourriture, le riz , les pâtes, les générateurs, les bicyclettes, les pièces
de rechange pour les voitures, des outils de plomberie, des chaussures, des habits pour bébé,
du ciment, des produits pharmaceutiques, des cigarettes, des bombonnes de gaz, mais aussi
des animaux comme les veaux ou les moutons 81 . Ainsi à la fin de l’année 2010, les
contrebandiers affirment que 68 pour cent des produits présent à Gaza proviennent des
tunnels. Ce chiffre augmente à 90 pour cent en ce qui concerne les matériaux de construction
et l’essence. 70 pour cent en ce qui concerne les habits, 60 pour cent pour la nourriture et 17
pour cent pour les médicaments.
Les tunnels ont aussi un impact macroéconomique très important. Dans une économie
marquée par un chômage massif suite à l’impossibilité des travailleurs d’aller en Israël, le
bombardement des entreprises et l’impossibilité d’exporter, les tunnels sont devenus le
premier employeur privé et le premier employeur des plus jeunes. Lorsqu’un tunnel
fonctionnait pleinement, il faisait travailler entre 20 et 30 personnes. On estimait que près de
25,000 personnes travaillaient directement ou indirectement grâce aux tunnels. Il y’ avait les
propriétaires, les creuseurs, les transporteurs et les vendeurs. Au delà de ces individus, il faut
imaginer que ce système permettait aux familles de ces individus de vivre, soit près de
150,000 personnes. Le chômage a baissé de 50 à 20 pour cent dans la ville de Rafah, la
principale bénéficiaire des tunnels, entre juin 2007 et décembre 2008. Pendant un temps, les
ouvriers des tunnels était les mieux payés de tout Gaza. En 2008, le salaire moyen d’un
ouvrier des tunnels était de 75$, près de 5 fois supérieur au salaire moyen82.
Les tunnels de Gaza se sont donc révélés être devenus le véritable poumon économique de
l’enclave face aux restrictions et au blocus. Elle a permis d’aider Gaza à se reconstruire après
l’opération plomb-durci. Selon les nations-unis, les opérations de reconstruction nécessitaient
81 http://home.birzeit.edu/cds/new-
cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf
82 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014
34
l’entrée sur l’enclave palestinienne de près d’1 million de camions. Le refus israélien combiné
à l’interdiction pour les ONG d’utiliser les tunnels n’aurait pas permis cette reconstruction.
Les tunnels, à ce moment là, ont joué un rôle fondamental. Le travail, l’intelligence dans la
construction de nouveaux tunnels ont permis aux gazaouis de reconstruire une partie de
l’enclave en moins de 2 ans. Les tunnels sont devenus plus grands, plus large, plus profond et
moins détectable. Sans les tunnels, l’enclave ne se serait jamais reconstruite en si peu de
temps.
Les tunnels ont été une réponse contre l’interdiction de sortir de la bande de Gaza. Que ce soit
les israéliens, les égyptiens et l’autorité palestinienne (refus de délivrer des passeports), tous
ont refusé aux gazaouis d’aller se soigner, travailler, d’aller voir des amis ou même voyager à
l’extérieur. Alors les habitants de l’enclave ont crée des agences de voyage qui offraient des
séjours sur la riviera du sud Sinaï avec évidemment un passage dans les tunnels aller-retour
compris. Le Hamas avait même des tunnels VIP avec les tapis rouges.
Entre 2007 et 2013, les tunnels ont permis à gaza de se développer, ou tout du moins de tenter
de relancer une économie. Même si les tunnels ont surtout servi à l’importation, il est
important de préciser que des exportations eurent lieu, notamment à la période de la chute de
Moubarak. Evidemment, les égyptiens avaient comme politique de surtaxer les produits de la
bande de Gaza. L’expérience fut peu concluante mais elle a le mérite d’avoir été tenté. En
2011, les exportations ont surtout servi à relancer un secteur agraire et de manufacture en
grande difficulté. On y exportait en grande partie des pommes ou des habits. Parfois les
gazaouis venaient venir des produits égyptiens en petite quantité qu’ils copiaient pour pouvoir
relancer leurs propres industries, notamment textiles.
En grande partie, cette expérience d’une économie des tunnels a surtout évité à une crise
humanitaire de devenir un désastre humanitaire. Elle a permis à 1, 7 millions de personnes de
ne pas mourir de faim ou de froid et honnêtement c’est quelque chose de très remarquable.
2.1.3. Les désavantages des tunnels : un développement impossible.
Nous adoptons dans ce chapitre une position critique qui a pour but de juger un système
économique entre 2007 et 2013. Trois ans sont passés depuis la fin de l’économie des tunnels.
L’historien peut en tirer des conclusions. Le but est de tenter de montrer les limites d’un
système en terme de développement sur le long terme. Face à la situation dramatique de
l’enclave en 2007, nous reconnaissons le rôle salvateur des tunnels et n’adoptons pas ici, une
position morale quant au bien fondé de son utilisation.
35
Les désavantages des tunnels en terme économique sont nombreux. Elle a transformé la bande
de Gaza en un énorme marché de consommateur. En effet, les exportations sont tellement
faibles, qu’elle n’a pas permis de créer un cercle vertueux permettant un développement
massif. Les économistes ont conceptualisé la bande de Gaza durant la période des tunnels,
comme une économie souffrant de la maladie hollandaise. L’économie palestinienne et celle
de Gaza en particulier ont toujours souffert de problèmes économiques et sociaux. Au cours
des vingt dernières années, la Palestine a été affecté par cette maladie hollandaise.
L’économie de la Hollande et les hollandais furent touchés par un état de paresse à la suite de
la découverte dans les années 1960 de grands gisements de gaz et de pétroles en mer du
nord83. Cette découverte a entrainé un augmentation de la consommation notamment de
produits de luxe et après l’épuisement des ressources, la hollande a connu une augmentation
de la pauvreté et du chômage. Ce concept met donc en relation un boum économique puis un
repli, une désindustrialisation et l’augmentation du chômage 84. Dans le cas hollandais, ce
phénomène est suscité par l’accroissement des recettes d’exportation, qui a provoqué
l’appréciation de la devise. Le résultat est que dans les autres secteurs, les exportations
deviennent moins favorables que les importations.
Evidemment, la Palestine ne possède pas de ressource naturelle comme le Pays-Bas ou le
Qatar, ainsi la maladie hollandaise s’applique dans une forme différente. Durant la période
2009-2013, la maladie a émergé à Gaza en raison du monopole par un petit groupe des
tunnels. Ces propriétaires avaient un contrôle sur les prix et sur les entrées de la plupart des
besoins de base. Ce phénomène a entrainé une accumulation importante de richesse dans les
mains de quelques individus. Malheureusement, cet argent a été investi dans des projets non
productifs comme l’immobilier, la consommation, la construction de villa ou d’hôtel de luxe.
De plus cet investissement parfois un peu absurde, comme la construction d’un hôtel de luxe à
Gaza 85 , ne s’est pas toujours fait au sein de l’enclave mais aussi beaucoup en dehors,
notamment dans le nord-Sinaï. Cet argent non investi a entrainé, comme en Hollande une
83 CORDEN W. Max et NEARY Peter J, Booming Sector and De-Industrialisation in a small
Open Economy, The Economic Journal Vol.92, No. 368 ( Dec, 1982), p 825-848.
84 http://www.lactualite.com/lactualite-affaires/la-maladie-hollandaise-cest-quoi/
85 Une visite de cet hôtel en 2011: https://www.youtube.com/watch?v=2J5JVyz1A-k
36
augmentation du chômage et de la pauvreté86. Ainsi d’une manière assez paradoxale, les
tunnels ont affaibli l’économie nationale, car ils ont conduit a une baisse de la production
dans le secteur de l’agriculture et de l’industrie à cause de ce manque d’investissement dans
ces secteurs.
D’ailleurs les clients des tunnels ne sont pas les seuls à voir la situation économique se
retourner. Dès la mi-2010, les propriétaires des tunnels sont devenus les victimes de leurs
propres tunnels. Après la guerre de 2008-2009, les tunnels se sont améliorés en terme
d’infrastructure. Leur capacité de transport a été multipliée, parfois par trois. Après deux
années de croissance extraordinaire, les grossistes avaient largement réapprovisionné leurs
stocks et retourné très souvent leurs commandes. Ce phénomène couplé avec une demande
plus faible à entrainé une importante chute des prix. Cette baisse des prix a entrainé des
changements chez les propriétaires de tunnels, beaucoup ont fait faillite et d’autres ont du tout
simplement limogé. Ainsi en février 2010, le nombre de tunnels serait passé de 1,200 à 20087.
Les tunnels ont entrainé d’autres désavantages, puisqu’ils ont réduit la pression sur Israël. Le
succès des tunnels n’a pas permis la réouverture des terminaux ou la fin du blocus. Les
tunnels ont permis à Israël, de se débarrasser doucement mais surement de la bande de Gaza
au détriment de l’Egypte. L’Etat hébreu n’a pas voulu prendre ses responsabilité en tant que
pays occupant et à au contraire a fait le maximum pour se décharger de sa responsabilité, ce
qui a entrainé une séparation importante entre Gaza et la Cisjordanie. Le phénomène des
tunnels est devenue un facteur permanent de friction entre l’Egypte et la bande de Gaza. De
plus, les tunnels ont accéléré l’isolement de la bande de Gaza vis-à-vis du monde extérieur, et
ceci à la lumière du silence de la communauté internationale et des pays du monde arabe.
Enfin, les tunnels ont été un véritable cimetière pour les jeunes ouvriers. Les chiffres sont peu
connus mais certaines sources affirment que de 2007 à mai 2013, les morts se comptent au
nombre de 232, en grande partie à cause des mesures de sécurité inexistantes et du peu
d’expérience des équipes de secours88.
86 http://home.birzeit.edu/cds/new-
cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf
87 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy
Turner and Omar Schweiki edition, 2014
88 http://home.birzeit.edu/cds/new-
cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf
37
2.2. Première expérience de Gaza hors du « de-development »
2.2.1 Le concept du « de-development ».
Le concept du « de-development » a été formulé pour l’économiste américaine Sara Roy dans
un premier article de 198789 puis étayé dans un livre en 199590. L’universitaire définit le « de-
development » comme un processus qui sape et affaiblit la possibilité pour une économie de
grandir et de s’étendre en l’empêchant d’accéder et d’utiliser ses ressources essentielles pour
promouvoir une croissance interne au delà d’un niveau critique, lui-même jugée par Israël. A
Gaza, la politique de « de-development » transforme la bande de Gaza en auxiliaire de l’Etat
hébreu.
Evidemment, les gouvernements israéliens considèrent que cette interaction des économies
palestiniennes et israéliennes a été bénéfique au peuple palestinien et gazaouie.
L’accroissement du revenu par habitant, l’arrivée de la télévision ou de la radio, la disparition
de certaines maladies ou le haut niveau de scolarisation sont souvent cités comme exemples.
L’argumentaire de Sara Roy affirme le contraire. Les critiques font valoir que l’interaction est
plutôt une intégration forcée de la structure économique de la bande de Gaza en Israël, et que
les résultats indiquent que cela nuit à Gaza et bénéficie à Tel-Aviv. En effet, les résultats
montrent la régression du secteur clé de l’économie de la bande de Gaza l’agriculture mais
aussi l’industrie. La dépendance a produit une croissance, mais celle-ci est désarticulée et
surtout orientée selon les besoins d’Israël.
Pour s’en convaincre, il faut revenir en arrière. En 1948, l’économie de la bande de Gaza était
sur le point de s’écrouler. La déclaration de l’Etat d’Israël, la première guerre arabe ont
poussé des milliers de palestiniens vers la bande de Gaza. Le secteur agricole n’a pas pu
absorber cet afflux massif. On parle d’une arrivée de 200,000 réfugiés installés dans huit
camps, pour une population totale de 80,000. En effet, il n’y a que 14 pour cent des gazaouis
qui peuvent vivre de la terre et 20 à 25 pour cent de ces terres sont concentrées dans les mains
89 ROY Sara, « The Gaza Strip : A case of Economic De-Development », Journal of Palestine
Studies, 17 (1), 1987, p56-88.
90 ROY Sara, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for
Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372
38
d’un petit nombre de famille. L’agriculture, entre 1948 et 1967, est la première activité
économique. Le secteur industriel existe mais est véritablement à un stade embryonnaire.
Quelques jours avant l’occupation israélienne en 1967, les infrastructures économiques de la
bande de gaza sont rudimentaires, et en l’absence d’un marché intérieur et d’une main
d’œuvre qualifiée, l’économie stagne.
L’occupation israélienne de la bande de Gaza pousse l’économie de l’enclave en contact
direct avec l’économie de Tel Aviv. Cette rencontre va représenter une autre dislocation
majeure. Petite, mal organisée et largement agricole, l’économie de Gaza possède peu de
moyen pour résister aux effets d’une économie très industrialisée et technologiquement
avancée comme celle d’Israël. En 1967, le produit intérieur brut de la bande de Gaza et de la
Cisjordanie réunie (PIB) c’est-à-dire la production annuelle de richesse correspond à 2,6 pour
cent de celui d’Israël. Dans les première année de l’occupation c’est-à-dire entre 1968 et
1973, l’économie de Gaza atteint un niveau de croissance extrêmement haut, en raison des
revenus générés par l’arrivée de l’économie israélienne. Après 1973, ce taux de croissance
descend à cause du début de la récession d’Israël. Les salaires des ouvriers gazaouis
travaillant en Israël, sont responsables et contribuent directement à l’augmentation de la
croissance du PIB de l’enclave. Cette contribution n’était que de 2 pour cent en 1967, elle est
de 31 pour cent en 1973, 44 pour cent en 1984 et enfin de 70 pour cent en 2007. Ces faits
éclairent d’une part la véritable base de l’économie de la bande de Gaza (les salaires des
travailleurs détachés), et surtout prouvent la véracité de la dépendance économique de
l’enclave à Israël. Les salariés de la bande de Gaza détachés en Israël a fortement augmenté
au fil des années. Entre 1970 et 1985, les détachés en Israël sont passés de 10 pour cent à 45
pour cent, c’est-à-dire une augmentation de l’ordre de 600 pour cent. D’ailleurs ces chiffres
sont surement sous-estimés car beaucoup de gazaouis travaillent en Israël de manière illégale,
sans parler du travail des enfants.
L’économie d’Israël a profité des avantages de la situation économique désastreuse de la
Palestine et de la bande de Gaza. La possibilité d’avoir un accès illimité à une main d’œuvre
pas qualifiée ou peu qualifiée a offert à Israël une réserve de travailleurs importante qu’il
pouvait soit utiliser ou marginaliser sans risque pour sa propre économie. En période de
prospérité, l’accès à cette main d’œuvre permettait de stabiliser les effets sur les salaires et
notamment vers la hausse et en cas de récession, elle était facilement jetable.
Cette dépendance des palestiniens à l’économie israélienne rendait la Palestine complètement
vulnérable et démunis en termes économiques, sociales et politiques face aux exigences des
israéliens. Au delà de cette dépendance économique transformée en dépendance politique, le
39
« de-development » entrainait des effets et des changements perceptibles dans de nombreux
secteurs de l’économie de la bande de Gaza.
En premier lieu, le secteur agricole. Entre 1948 et 1967, comme nous l’avons vu l’agriculture
était la principale source de revenus de l’économie de l’enclave. Elle contribuait à plus d’un
tiers du PIB, entre 33 et 40 pour cent de l’emploi et 90 pour cent de toutes les exportations.
Entre 1967 et 1970 la part du secteur agricole dans le PIB de Gaza était de 8,8 pour cent et
entre 1979 et 1981 ce taux est descendu à 0,9 pour cent à cause de l’afflux des travailleurs
gazaouis détachés en Israël. Même chose pour les travailleurs du secteur avait un taux de 32
pour cent en 1970 pour arriver à moins de 18 pour cent en 1985. On retrouve une chute tout
aussi importante quant aux terres utilisées. Il y’ avait de terres utilisées en 1968, près de
360500m2, en 1985 ce chiffre tombe à 100000m2. Israël a aussi décidé de réaliser un certain
nombre de restriction, notamment en ce qui concerne les exportations. Les agriculteurs de
Gaza ont interdiction d’exporter la plupart des fruits et des légumes sur le marché israélien,
pour des raisons de compétitivité. Seuls certains produits, comme les framboises, les
aubergines et les courgettes sont autorisées à entrer sur le marché israélien, car elles ne sont
pas compétitives avec les produits israéliens. De l’autre côté, les producteurs israéliens ont un
accès illimité au marché de la bande de Gaza. Les prix des fruits et légumes israéliens sont
extrêmes compétitifs et rendent la vente de produits de l’enclave difficiles. Cette structure
commerciale unilatérale a effectivement transformé la bande de Gaza en un dépotoir pour les
produits israéliens et a crée une situation dans laquelle Gaza et la Cisjordanie sont les
deuxièmes importateurs de produits israéliens (derrière les USA) alors que le marché
palestinien, incapable de rivaliser, continue à avoir les plus hauts coûts de production et le
marché le plus faible. Les restrictions touchent aussi le secteur de l’eau. En 2010, à Gaza, la
consommation d’eau avoisine 100 à 120 millions de mètres cube par an. Sur ce total, 80 pour
cent de l’eau sert à l’irrigation et les 20 pour cent restant à la consommation. En Israël, les
chiffres sont différents puisque 57 pour cent de la consommation de l’eau sert à l’agriculture,
6 pour cent à l’industrie et 37 pour cent pour les usages domestiques 91 . A Gaza, les
agriculteurs dépendent en grande partie des réservoirs d’eau situés à l’intérieur de l’enclave,
mais où les puits sont très mal gérés, les réservoirs de plus en plus vides, et l’eau de mauvaise
qualités à cause de son contact avec la mer méditerranéenne salée. Ils dépendent aussi des
réserves du Néguev orientale mais où le sol est poreux et aride Par conséquent l’eau de plus
en plus salée a détruit une partie des terres agricoles de la bande de Gaza. Malgré cette
situation catastrophique, la société d’eau publique israélienne, Mekorot, a choisit de continuer
91 https://www.youtube.com/watch?v=TraIaxdFSBw
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)
Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)

Contenu connexe

En vedette (18)

Cinéma 2020 (aperçu)
Cinéma 2020 (aperçu)Cinéma 2020 (aperçu)
Cinéma 2020 (aperçu)
 
Parcours de découverte des territoires du web 2.0
Parcours de découverte des territoires du web 2.0Parcours de découverte des territoires du web 2.0
Parcours de découverte des territoires du web 2.0
 
Le Nez du Café Aromas
Le Nez du Café AromasLe Nez du Café Aromas
Le Nez du Café Aromas
 
Tema 5
Tema 5Tema 5
Tema 5
 
Cv francais
Cv francaisCv francais
Cv francais
 
Tema 4
Tema 4Tema 4
Tema 4
 
cert 4
cert 4cert 4
cert 4
 
Ling1
Ling1Ling1
Ling1
 
Tema 12
Tema 12Tema 12
Tema 12
 
Catalogue annonces immobilières sur Evreux et sa région
Catalogue annonces immobilières sur Evreux et sa régionCatalogue annonces immobilières sur Evreux et sa région
Catalogue annonces immobilières sur Evreux et sa région
 
JUGAAD LANDSCAPE
JUGAAD LANDSCAPEJUGAAD LANDSCAPE
JUGAAD LANDSCAPE
 
Cert 12
Cert 12Cert 12
Cert 12
 
ParíS Maravilloso
ParíS MaravillosoParíS Maravilloso
ParíS Maravilloso
 
La Capitale Du Soleil
La Capitale Du SoleilLa Capitale Du Soleil
La Capitale Du Soleil
 
Ciels sauvages
Ciels sauvagesCiels sauvages
Ciels sauvages
 
catalogue-chocolats-bernachon
catalogue-chocolats-bernachoncatalogue-chocolats-bernachon
catalogue-chocolats-bernachon
 
Git
Git Git
Git
 
Clase con skype
Clase con skypeClase con skype
Clase con skype
 

Similaire à Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)

LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...
LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...
LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...Faga1939
 
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)_MJCF
 
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...Faga1939
 
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdf
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdfCOMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdf
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdfFaga1939
 
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdf
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdfLE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdf
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdfFaga1939
 
Numéro 10 israel defensenews
Numéro 10 israel defensenews Numéro 10 israel defensenews
Numéro 10 israel defensenews Aschkel Levi
 

Similaire à Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1) (6)

LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...
LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...
LE TERRORISME DU HAMAS, LE MASSACRE ISRAÉLIEN DANS LA BANDE DE GAZA ET LA CON...
 
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)
Formation - conflit israelo-palestinien (chronologie)
 
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...
IL EST URGENT DE CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE L'ÉTAT D'ISRAËL ET LE PEUPLE DE PALES...
 
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdf
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdfCOMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdf
COMMENT CÉLÉBRER LA PAIX ENTRE ISRAËL ET LA PALESTINE.pdf
 
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdf
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdfLE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdf
LE CONFLIT ENTRE JUIFS ET PALESTINIENS ET SES FUTURS SCÉNARIOS.pdf
 
Numéro 10 israel defensenews
Numéro 10 israel defensenews Numéro 10 israel defensenews
Numéro 10 israel defensenews
 

Le_contre-blocus_de_la_bande_de_Gaza-_un (1)

  • 1. 1 ISAM-ESCRIBE KARIM Le contre-blocus de la bande de Gaza : une histoire des tunnels. 2015-2016 Université Paris IV Sorbonne. SOUS LA DIRECTION D’OLIVIER FORCADE.
  • 2. 2 Remerciements. Ce travail aurait été impossible sans l’aide et la confiance de M Forcade. Merci pour ce magnifique sujet.
  • 3. 3 À ma grand-mère et à Ludovica. Au peuple de Palestine et de Gaza.
  • 4. 4 « Oui, l’homme a la vie dure ! Un être qui s’habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme. » Souvenirs de la maison des morts (1860-1862) Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevsk
  • 5. 5 Sommaire. Introduction…………………………………………………………………………………P6 1. Les tunnels : outils au service du Hamas………………………………………...…… P13 1.1 Les tunnels avant le Hamas………………………………………………………... 1.2 Les tunnels après l’arrivée du Hamas……………………………………………... 1.3 Une activité critiquée…………………………………………………… …. ……. 2. Les tunnels : d’une réponse au blocus au bouleversement des structures sociales…p30 2.1 Coopérative, avantages et désavantages ………………………………………….. 2.2 Première expérience hors du « de-development »………………………………... 2.3 Les tunnels : acteurs d’une nouvelle transformation des élites…………………… 3. Les tunnels : acteurs des relations régionales………………………………………....P51 3.1 Les tunnels, outils d’influence régionale…………………………………………… 3.2 L’insurrection du Sinaï et les tunnels………………………………………………. Conclusion……………………………………………………………………………….…P61
  • 6. 6 Introduction. La bande de Gaza s’étire sur quelque 55 kilomètres et couvre 363 kilomètres carrés. La délimitation de ce territoire est, au sud, héritée du tracé du mandat britannique sur la Palestine en 1922 ; au nord et à l’est, elle est imposée par la ligne de démarcation fixée par l’armistice entre Israël et l’Egypte le 24 février 1949. Le plan de partage du 29 novembre 1947 adopté à l’O.N.U prolongeait cette bande jusqu’aux approches d’Ashdod au nord et au-delà d’El-Awja, dans le Néguev, au sud-est, faisant d’elle l’une des trois portions de l’Etat arabe de Palestine envisagé. D’avril à décembre 1948, au cours de la première guerre israélo-arabe, quelque 200000 palestiniens se sont réfugiés dans ce petit territoire resté sous contrôle arabe, soit 26 pour cent du total de la masse des réfugiés d’alors. Cette encoignure-refuge, où les palestiniens se sont ajoutés aux quelque 80000 natifs de la région de Gaza, fut placée provisoirement sous administration égyptienne par la Ligue des Etat arabes en juillet 1948 ; le gouvernement israélien se déclarait disposé à l’annexer aux fins de résoudre ainsi le sort des réfugiés. A l’inverse, c’est à Gaza qu’est proclamé, à la fin de 1948, un « gouvernement de toute la Palestine » par Amin Al Husayni, avec l’appui de la ligue arabe et contre le ralliement au roi de Jordanie. Cette intransigeance fermente aisément dans l’esprit d’une population de réfugiés qui s’instruit dans les écoles de l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency) et dans les universités égyptiennes. A partir de 1953, elle voit son salut dans Nasser. Pourtant l’opposition de ce dernier au pacte de Bagdad, l’évacuation définitive des troupes anglaises de la zone du canal de Suez et la formation de fedayin de Gaza au service du commandement égyptien provoquent des raids israéliens très violents sur Gaza et Khan Yunis en février et août 1955. Le 5 juin 1956, l’agglomération de Gaza est bombardée, et à partir du 1er novembre 1956 jusqu’en mars 1957 tout le territoire est occupé, ainsi que la majeure partie du Sinaï par les troupes israéliennes. C’est alors, en décembre 1956, à Gaza occupé et au moment où Nasser clame victoire, que Yasser Arafat forme le noyau de ce qui deviendra le Fatah en 1959. Aussi est-ce avec enthousiasme que les gens de Gaza accueillent la déclaration anti nassérienne de Kassem d’Irak selon laquelle il existe une « entité palestinienne »
  • 7. 7 autonome constituée par Gaza et la Cisjordanie. Nasser dote alors Gaza d’une Constitution et d’un gouverneur nommé par lui afin de limiter cette tentation autonomiste. Ce gouverneur est remplacé le 5 juin 1967 par un commandant militaire israélien de la zone de Gaza-Nord Sinaï, à la suite de l’offensive israélienne. La résistance palestinienne y est particulièrement vivace jusqu’en 1971, année au cours de laquelle une opération militaire générale démantèle le « réseau terroriste » du territoire de Gaza et « pacifie » les camps et les quartiers en les perçant de larges travées et en déplaçant dans le Sinaï des familles entières. Après avoir été épuré, le personnel municipal est reconstitué cette même année par le commandement militaire. A la municipalité de Gaza même, le maire est déposé et le conseil municipal supprimé purement et simplement jusqu’en 1973. Des installations de colonisations et de peuplement juifs ont été implantées dans la zone de Gaza depuis 1967. Un Front national uni, d’inspiration communiste, a contribué à former, en relation avec le Fatah et le F.P.L.P, le front national des territoires occupés, qui a fait admettre par les Conseils nationaux palestiniens de 1974 et de 1977 la revendication d’un Etat palestinien limité aux territoires de Gaza et de Cisjordanie, aux côtés de l’Etat israélien qui aurait évacué ces deux territoires.1 La bande de Gaza a été, à partir de 1987, le théâtre du soulèvement palestinien dit de la première intifada. La bande de Gaza et l’enclave de Jéricho en Cisjordanie sont les premiers territoires palestiniens occupés par Israël à être passés sous le régime de l’autonomie limitée, en mai 1994, en vertu de l’accord d’Oslo. A l’exception des colonies juives, la police et l’administration palestiniennes de Yasser Arafat ont remplacé l’armée israélienne dans les zones autonomes. Les débuts de l’Autorité Palestinienne sont difficiles et il faut attendre les accords de Wye Plantation en octobre 1998 pour voir de timides avancées, notamment l’ouverture de l’aéroport de Gaza. Le déclenchement de la seconde intifada, en septembre 2000, entraine un regain de violence entre Israël et les territoires, tandis que la situation intérieur de Gaza se dégrade, la société palestinienne réclamant un assainissement des instances politiques et une démocratisation du régime, soutenue en cela par l’Union européenne, les Etats-Unis et Israël qui cherchent à marginaliser Yasser Arafat au profit de son numéro deux, Mahmoud Abbas2. En janvier 2005, celui-ci remplace Yasser Arafat, mort en novembre 2004. Ariel Sharon, le premier ministre israélien, pour sortir de l’impasse, a décidé en 2004 le retrait unilatéral de Gaza des 5000 à 8000 colons, qui est achevé en aout 2005, mais les israéliens restent maîtres du contrôle des frontières terrestres, aérienne et maritimes, ainsi que des flux de biens et de services. Le déclin économique se poursuit donc 1 http://www.universalis.fr/encyclopedie/bande-de-gaza/ 2 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 247
  • 8. 8 dans cette enclave surpeuplée avec 1,7 millions d’habitants soit une densité de plus de 4000hab/km2. Le taux de chômage en 2005 dépasse les 40 pour cent à cause de l’impossibilité pour les travailleurs détachés de Gaza de partir travailler en Israël. La victoire du Hamas aux élections municipales de 2005 puis législatives de 2006 contraint Mahmoud Abbas à cohabiter avec un gouvernement formé par le mouvement islamiste. Mais les divergences entre le Fatah et le Hamas ne tardent pas à prendre le dessus. Les violences entre les miliciens des deux camps redoublent entre janvier 2006 et juin 2007, date à laquelle le Hamas prend le contrôle armé de la bande de Gaza, tandis que le Fatah du président Mahmoud Abbas déploie ses forces en Cisjordanie. Les membres du Hamas se lancent alors dans une féroce épuration, pourchassant, molestant et exécutant les militants du Fatah. Pour fuir, un territoire bouclé à la fois par les islamistes et Israël, beaucoup se tournent vers les tunnels rejoignant l’Egypte. Durant quelques semaines, les souterrains courant sous le couloir Philadelphie, le couloir longeant la frontière entre Gaza et l’Egypte, prennent ainsi soudain une place tout à fait inattendue dans un conflit qui oppose maintenant des palestiniens entre eux. La contrebande et le trafic d’armes laissent place, pour un temps et moyennant quelque 20 dollars par tête, à l’exfiltration des militants du Fatah, une trentaine de minutes de reptation dans des boyaux surchauffés et poussiéreux leur permettant d’échapper au Hamas. Mais en décidant de renforcer le blocus de la bande de Gaza, dans le but notamment de couper le mouvement islamiste de son soutien populaire, Israël va ramener le business des tunnels et la contrebande au premier rang des préoccupations de gazaouis confrontés à un risque de pénurie généralisée. Le creusement de tunnels sous le couloir Philadelphie va atteindre une ampleur à peine imaginable, l’économie souterraine au sens propre prenant le contrôle progressif du territoire, surtout dans la région de Rafah et permettant au Hamas de se maintenir au pouvoir. Avant de nous intéresser au creusement et aux caractéristiques des tunnels de Rafah, le lecteur doit prendre en note que ce mémoire ne s’intéresse qu’aux tunnels de Rafah, c’est-à-dire en lien avec la frontière égyptienne. A Gaza, il existe d’autres tunnels le long de sa frontière avec Israël. En effet, à partir du déclenchement de la seconde intifada, certains gazaouis se sont également mis à creuser des souterrains sous les clôtures de sécurité marquant les frontière nord et est de Gaza pour mener des opérations suicides en Israël, en infiltrant sur le territoire hébreu des kamikazes chargés de perpétrer des attentats-suicide. Les combattants du Hamas ont également percé des tunnels sous cette clôture dans le cadre d’opérations-surprise à caractère plus militaire, visant à tuer ou enlever des soldats israéliens. Faire l’histoire de ces tunnels revient donc à faire une l’histoire militaire, d’étudier des
  • 9. 9 notions de stratégie militaire, comme les conflits asymétriques ce qui n’est pas le centre de mon sujet. En ce qui concerne les creusements et les caractéristiques des tunnels de Rafah, pour creuser les sous-sols sableux et friable de la bande de Gaza, les Palestiniens utilisent des outils de tous les jours, essentiellement de simples truelles ainsi que des perceuses électrique employées comme perforatrices 3 ; une main d’œuvre nombreuse et disponible, particulièrement débrouillarde du fait des pénuries en tout genre auxquelles elle est habituée, fait le reste. Les habitants de Rafah sont ainsi devenus, en quelques années et sous la pression des évènements, expert en travaux souterrains. Les tunnels sont généralement creusés depuis la bande de Gaza vers l’Egypte. Le premier travail qu’effectuent les mineurs des sables est d’établir ce qu’ils appellent « l’œil du tunnel », un puits d’accès s’enfonçant dans le sous-sol jusqu’à la profondeur requise pour faire démarrer le boyau qui est alors creusé à l’horizontale4 A partir de la prise du pouvoir par le Hamas, les tunnels de contrebande se multipliant et leur réalisation étant encouragée par les nouvelles autorités, les gazaouis se sont mis à creuser des puits plus près de la frontière, à découvert dans les zones ravagées par l’armée israélienne quelques années plus tôt. Pour les protéger des intempéries et échapper aux caméras des drones qui patrouillent dans le ciel de Rafah, ils en abritent les ouvertures sous des tentes de fortune recouvertes de bâches en plastique bleues ou blanches qui fleurissent tout au long du couloir Philadelphie. Parallèlement, les Palestiniens creusent leurs tunnels de plus en plus profondément afin qu’ils soient plus difficiles à détecter et plus résistants aux bombardements. Alors que les profondeurs évoquées en 2003 étaient généralement comprises entre 12 et 17 mètres, celles mentionnées fin 2008 sont plutôt de l’ordre de 25 ou 30 mètres Pour éviter qu’elles ne s’effondrent, les gazaouis pratiquent le boisage des parois de ces puits s’enfonçant dans le sable au fur et à mesure du creusement, certains puits de grand diamètre pouvant même être appareillés à l’aide d’éléments préfabriqués en béton scellés entre eux au mortier. Selon les objectifs et les moyens des entrepreneurs en travaux souterrains, les tunnels, longs de plusieurs centaines de mètres -jusqu’à 1,5 km pour certains- présentent des sections variés, du simple boyau presque informe dans lequel il faut ramper jusqu’au tunnel entièrement boisé, large de 0,8 mètre et haut de 1,70 mètre, en passant par toutes les configurations possibles. Ils sont plus ou moins spacieux, plus ou moins soignés et plus ou moins pérennes. A l’aide de tarières, on fore également tous les 100 à 150 mètres des trous ou des puits d’aération afin de faciliter la ventilation de ces longs couloirs. Le creusement de ces 3 http://www.lefigaro.fr/international/2009/01/10/01003-20090110ARTFIG00206-dans-le- secret-des-tunnels-de-gaza-.php 4 TRIOLET Jérôme et Laurent « La guerre souterraine : sous terre, on se bat aussi » Perrin 2011, p 337.
  • 10. 10 ouvrages génère des quantités considérables de déblais qu’il faut bien sûr évacuer au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Le sable est transporté dans des sceaux, des fûts en plastique découpés dans leur partie supérieur et équipés de poignées en cordage, ou conditionné dans des sacs à farine, avant d’être remonté en surface au moyen de poulies et de treuils. Ces dispositifs de levage sont actionnés par des moteurs thermiques ou électriques, parfois par de simples perceuses. Une fois ce sable en surface, les Palestiniens ne l’entreposent pas à proximité de l’entrée du tunnel, sans doute pour ne pas donner d’indications sur l’ampleur de l’ouvrage souterrain qu’ils sont en train de réaliser aux téléopérateurs des drones israéliens qui les espionnent en permanence. Ils préfèrent stocker ces déblais dans des bâtiments proches, ou les évacuer loin de la route. Une fois la frontière franchie, les mineurs poursuivent le creusement jusqu’à une rampe de sortie aménagée par les partenaires égyptiens5. Sous la direction des propriétaires qui se coordonnent par téléphone de part et d’autre de la frontière, et à raison de 6 à 12 mètres creusés quotidiennement par des équipes d’une dizaine d’hommes se relayant jour et nuit. Les gazaouis ont ainsi creusé des milliers de couloirs souterrains leur permettant de survivre en se jouant du blocus imposé en surface par leurs voisins. Cependant le pari de ce mémoire est de prouver que l’étude des tunnels ne doit pas ce limiter à une étude des techniques de construction. En effet, le but de ce mémoire est de répondre à un certain nombre de question qui tendent à montrer l’importance des tunnels, en tant qu’éléments de rupture dans l’histoire propre de l’enclave mais aussi dans son rapport avec la domination israélienne. Mon travail va donc tenter de répondre à un certain nombre d’interrogation. Quelle est l’histoire des tunnels ? Comment se créent les tunnels ? Qui sont les acteurs de cette économie souterraine ? Comment les tunnels ont permis au Hamas de passer d’un mouvement clandestin à un acteur ayant les attributs d’un Etat ? Est-il devenu un Etat ? Pourquoi les tunnels sont-ils un élément de rupture politique ? Comment les tunnels ont-ils sauvé les gazaouis du désastre humanitaire ? Pourquoi l’économie des tunnels est-elle une rupture majeure du processus de domination économique israélienne ? Comment les tunnels ont-ils permis un remplacement des élites à Gaza ? Les tunnels ont-ils joué un rôle régional ? Les tunnels ont-ils été utilisés par le Hamas pour gagner en influence sur la scène diplomatique ? 5 TRIOLET Jérôme et Laurent « La guerre souterraine : sous terre, on se bat aussi » Perrin 2011, p 337.
  • 11. 11 Pour pouvoir répondre à ces questions, nous avons divisé notre travail en trois grandes parties, représentatives selon l’auteur des différentes fonctions des tunnels. Sa première fonction est politique. Les tunnels ont entrainé une rupture politique majeure permettant au mouvement politique du Hamas d’asseoir sa domination sur l’enclave palestinienne. Grâce aux tunnels Gaza a mis fin à près de vingt années de domination du Fatah. L’histoire ne nous dira jamais si le Hamas aurait réussi sans les tunnels, mais une étude des fais montre que la réussite du Hamas a tenu dans sa capacité à prendre en main, a rationaliser et a administrer ce système souterrain. Evidemment cette réussite a entrainé certaines critiques, voir certaines tentative de déstabilisation que nous étudierons. La deuxième fonction est économique. Souhaitant dépasser l’analyse des avantages et des désavantages, cette partie montre, à travers une perspective historique, la rupture brutale que représentent les tunnels. Conceptualisant la domination économique d’Israël sur la bande de Gaza par le concept du « de-development », cette partie montre que les tunnels fut la première expérience de sortie du « de-development ». Pour cela une précision chronologique s’impose puisque la plus grande partie du temps, nous parlerons de la période dite de « l’économie des tunnels » entre 2007 et 2013. Cette période est la plus cruciale, puisque l’économie des tunnels est au plus fort, les tunnels prennent une dimension différente. En effet, ce système crée sa propre autonomie, ses propres réseaux, sa propre richesse. Il est puissant, permets d’amasser des fortunes et créer même de la croissance. Son existence est unique dans l’histoire de la Palestine et sa rareté doit être mise en avant. Les tunnels ont entrainé des bouleversements sociaux à travers l’apparition d’une nouvelle élite économique. Le mémoire retrace l’histoire de ces élites pour permettre aux lecteurs de mesurer la force politico-sociale de l’économie souterraine. Enfin nous tenterons de comprendre le rôle qu’ont pu jouer les tunnels dans les différentes problématiques régionales, que ce soit sur des questions liées aux enjeux diplomatiques du Hamas ou sur des questions sécuritaires vis-à-vis de l’insurrection du Sinaï. Elément qui doit toujours rester à l’esprit lorsque nous étudions les tunnels. Les sources sur le blocus de Gaza sont paradoxales. Le conflit israélo-palestinien est traité sur tous les supports : les analyses historiques, retraçant les grandes étapes et les solutions possibles, des photographies, des livres, des poèmes, des films…Ainsi le cadre général est très documenté, mais Gaza l’est beaucoup moins avec une seule œuvre d’historien6. En ce qui concerne le blocus et sa dureté, il existe des témoignages de journalistes, d’écrivains, d’humanitaire mais ces ouvrages se concentrent très souvent sur les périodes de guerres 6 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 436.
  • 12. 12 comme si Gaza ne devenait intéressante qu’en période de massacre. Les sources sur les tunnels sont quant à elles inexistantes ou presque. Il en existe quelque unes, toutes écrites par des économistes. Ces derniers ont été intéressés par les tunnels comme phénomène économique limitant leur étude à des considérations liées à la question du développement, de la croissance. Mon travail, en plus de considérer les tunnels comme un phénomène politique autant qu’économique, tente de replacer les tunnels dans une histoire, celle de la bande de Gaza. Ce n’est qu’à travers cette remise en perspective historique que l’on peut apprécier la singularité de la période des tunnels, moment de rupture majeur dans l’histoire de la bande de Gaza.
  • 13. 13 1. Les Tunnels : outils au service du Hamas 1.1 Les tunnels avant le Hamas 1.1.1 L’émergence des tunnels entre 1979 et 1994. Pendant des millénaires, Rafah était la première escale pour tous les marchands traversant l’Afrique en direction de l’Asie. Rafah était une, unie, indivisible, regroupant en son sein des tribus, des clans en grande partie d’origine bédouine. Ces populations se mélangeaient, se mariaient, se faisaient parfois la guerre mais un lien existait entre elles. Ce lien a résisté à la création d’Israël en 1948, à l’occupation égyptienne puis à celle israélienne en 19677. Les accords de Camp David, en 1979, marque la fin de la guerre entre l’Egypte et Israël8, L’Etat hébreu rétrocède le Sinaï à son ennemie d’hier mais souhaite la construction d’une frontière. Celle-ci est tracée entre les deux pays et divise la ville de Rafah en deux. Les soldats détruisent des maisons, des vergers et construisent une barrière9, séparant un monde unifié depuis des siècles. L’armée israélienne établit tout un dispositif de surveillance le long du « couloir de Philadelphie », ainsi qu’est désignée la zone de patrouille immédiatement frontalière de l’Egypte. A peine la frontière tracée et la barrière construite en 1981, les bédouins ont commencé à construire des tunnels le long de la ligne de séparation, grande de 14 kilomètres. Ces tunnels creusaient, en grande partie au milieu, où la terre est plus molle, commençaient dans les sous- sols des maisons jusqu'à une profondeur d’une quinzaine de mètres puis en direction du sud pendant une dizaine de kilomètres avant de ressortir du côté égyptien, soit dans une maison, dans un jardin ou dans un poulailler10. Les tunnels, à ce moment là, ne jouaient aucun rôle, et 7 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, p 2 8 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Conference-de-Camp-David.html 9 PORTEOUS Tom, « The divided people of Rafah » Middle East International, 1988, p.9 10 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, p 2
  • 14. 14 se comptaient sur les doigts d’une main, ils permettaient, en grande partie, aux familles de se réunir le temps d’un repas. Très rapidement et bien avant la fin des années 1990, les tunnels changent de nature, ils ne sont plus vraiment des tunnels familiaux mais un lieu de trafic, que ce soient des armes, de l’or ou de la drogue11. 1.1.1 Le début du succès entre 1994 et 2007. Destinés à rester marginaux, les tunnels vont connaître un succès de plus en plus important à partir des accords d’Oslo et de l’installation de l’Autorité palestinienne à Gaza en 1994. Les israéliens vont petit à petit encerclés la bande de Gaza. La fermeture de plus en plus fréquente des Postes-Frontières, les restrictions de circulation des hommes, des biens et des capitaux et la construction de barrières tout autour de la bande vont pousser les gazaouis à chercher des alternatives. En effet, le contexte politique est particulièrement violent au cours de ces années avec le début de l’intifada Al-Aqsa en 2000 où la destruction des barrières séparant Israël de la bande de Gaza font partie des premières demandes des manifestants12. En guise de réponse, les israéliens augmentent la hauteur et rendent les barrières encore plus infranchissables. La fermeture fréquente des terminaux par Israël puis la destruction du port maritime de Gaza et de l'aéroport en 2001, couplée à la militarisation de l'Intifada, ont intensifié une recherche de débouchés en très grande partie vers le Sud. D'où l'extension et la modernisation des tunnels, qui, pour la première fois ont servi de soupape de sécurité pour les grossistes pour atténuer les pénuries créées artificiellement par la fermeture des terminaux. Pour répondre aux besoins en armes et pour trouver des financements pour leurs opérations durant l’intifada, les divers factions politiques palestiniennes ont crée et fait fonctionner des tunnels plus long et plus profond. Les financiers ont cherché à coopérer et à travailler avec les clans le long de la frontière, ce qui fut chose facile. Sami abu Samhadana, membre important de l’autorité palestinienne à Rafah., chargé de la sécurité intérieur, lui-même issue d’une famille de bédouins de la région, a surveillé la majeure partie de l'expansion13. Cette fusion entre sécurité et intérêt économique, entre activité militante et entreprenariat privé, allait 11 Ibid 12 La « réussite » de la seconde intifada s’explique par l’alliance des classes populaires et de la petite bourgeoisie, en perte de vitesse depuis l’instauration des barrières, restreignant drastiquement les échanges et donc les profits. 13 BUCAILLE Laetitia, Gaza : la violence de la paix, Presses de Sciences Po, 1998, p77 à 79.
  • 15. 15 devenir une caractéristique du développement futur. Les stratégies militaires israéliennes visant à vaincre la deuxième Intifada passaient déjà par l’élimination des tunnels. Pour mettre en œuvre son plan unilatéral de retrait de Gaza en 2005, Israël a rasé, en mai 2004 près de quinze cents maisons palestiniennes le long du corridor Philadelphie entre Rafah et la frontière. L’armée a renforcé cette frontière en construisant un mur de sept mètre de haut. Les maisons détruites étaient souvent un lieu de passage de tunnels14. Le document d’Human Right Watch, paru en 2004 est extrêmement intéressant car il met en évidence le faible nombre de tunnels trouvés et détruits par l’armée lors du passage à Rafah. Et même si il est vrai et indéniable que le corridor Philadelphie fut déjà un lieu de trafic et de contrebande, paradoxalement, à cette époque, le corridor est beaucoup moins fréquenté que le reste de la frontière entre l’Egypte et le Néguev. Les trafiquants probablement préfèrent les israéliens, plus riches, et le désert, plus simple pour se cacher15. Il s’agit de mettre en valeur un point important, que ce soit dans les années 80, 90 et au début des années 2000, la contrebande entre l’Egypte et Gaza existe mais est d’une importance limitée et incomparable à celui du Néguev. En ce qui concerne les armes, celle-ci sont moins importées vers Gaza par les tunnels16 que par la mafia israélienne. Quant à l’Egypte, le régime de Moubarak a largement acquiescé à la construction du mur, en espérant qu'il permettrait de protéger son pays d'un débordement de l'Intifada ou d’attentats suicides qui menaçaient ses lucratives stations touristiques le long de la côte de la péninsule du Sinaï, sur la mer Rouge. En outre, il craint que le retrait israélien oblige l’Egypte à devoir prendre la responsabilité de 1,7 million d'habitants de Gaza, en déconnectant le territoire de la Cisjordanie, et mettant ainsi fin aux aspirations arabes d’un Etat palestinien intégral. En Janvier 2006, quatre mois après qu'Israël ait achevé son retrait de Gaza, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes. Israël a répondu en serrant systématiquement ses frontières. Le 12 Mars 2006, alors que le Hamas était en pleine négociation avec l’Autorité palestinienne pour former un gouvernement d'union, Israël a fermé le Poste-frontière d’Erez aux travailleurs gazaouis mettant 70 pour cent de la population active de Gaza au chômage. En Juin 2006, lorsque le soldat israélien Gilad Shalit a été capturé par des militants palestiniens (et escamoté par tunnel), Israël a fermé le terminal de Karni, passage primaire de 14 HUMAN RIGHT WATCH, Razing Rafah : Mass Home demolitions in the Gaza Strip, octobre 2004. 15 HUMAN RIGHT WATCH, Razing Rafah : Mass Home demolitions in the Gaza Strip, octobre 2004 p 48-49. 16 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015, p62.
  • 16. 16 Gaza pour les marchandises (déjà fermé pour la moitié des six mois précédents). Israël a également empêché l'utilisation du terminal de Rafah pour la circulation des hommes et sévèrement restreint l'accès à la mission de surveillance européenne, chargée de surveiller la frontière et le corridor Philadelphie17. Le fermeté d'Israël vis à vis des restrictions aux échanges, couplée à la nécessité d'atténuer la menace de frappes aériennes israéliennes punitives ciblant la zone de tunnel, ont rapidement incité les Palestiniens à développer des tunnels plus profonds et plus longs couvrant la largeur de la zone et donc moins vulnérable au sabotage. Le réseau de tunnels a continué de croître, et l'infrastructure améliorée. Même ainsi, les tunnels étaient mal préparés pour la hausse du trafic généré par le blocus imposé à Gaza par Israël et l'Egypte quand, en Juin 2007, le Hamas a pris le contrôle de la bande, démantelé les forces du Fatah, et chassé ses dirigeants. 1.2 Les tunnels après l’arrivée du Hamas 1.2.1 La recherche d’une porte de sortie, l’option égyptienne. La prise de contrôle de la bande de Gaza par le mouvement de la résistance islamique en juin 2007 marque un véritable tournant. De tunnels liés aux activités de contrebande, on passe à une véritable économie des tunnels. Le siège de la bande de Gaza qui a commencé des années auparavant, s’accélère. L’Egypte ferme le terminal de Rafah, Israël désigne Gaza comme « une entité hostile ». Des roquettes visent le sud d’Israël en novembre 2007. En janvier 2008, le blocus de la bande de Gaza devient total. L’Etat hébreu interdit quasiment tous les produits selon la logique du « double- usage », c’est-à-dire lorsqu’ils peuvent être utilisés à des fins civiles ou militaires. Pour rappel, le blocus est particulièrement brutal, à part le blé, la farine, le riz, le sucre, l’huile végétale et quelques légumes rien ne passe les terminaux israéliens. Le nombre de camions entrant dans Gaza est tombé de 12,000 par mois en 2005 à 7000 en 2006. Après la prise de contrôle de la bande par le Hamas, le nombre de camions passe à 20 par jours alors que les besoins des habitants de Gaza sont de 1000 camions par jours18. Le manque d’essence devient le symbole du blocus, les gazaouis abandonnent les voitures et achètent des ânes. Face au blocus israélien maritime et terrestre, et la fermeture du terminal Egyptien de Rafah, la crise humanitaire pointe son nez et menace déjà l’autorité du Hamas. 17 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, P 4. 18 GAL Yitzhak, “The Gates of Gaza and the Economic Power of Hamas”, Middle East Economy, Moshe Dayan Center for Middle Easter and African Affairs, Tel Aviv University, 3 juin 2011.
  • 17. 17 Les membres de la résistance islamique comprennent rapidement que l’Egypte reste le point faible face à « l’ogre » israélien. Pour tenter de mettre la pression sur le régime militaire du Caire, les forces du Hamas cassent, en janvier 2008, le mur de séparation à Rafah, permettant à des milliers de Palestiniens de passer et de se réapprovisionner dans le Sinaï19. Après onze jours d’efforts, les égyptiens réussissent à faire rentrer les palestiniens chez eux, à Gaza. Cependant, la réaction et la main de Moubarak se durcissent, un contingent de l’armée régulière s’installe en vue d’améliorer la surveillance de la frontière et surtout un nouveau mur plus grand est construit. La réaction égyptienne s’explique assez aisément. D’une part, le blocus de Gaza à reçu l’approbation de la communauté internationale et notamment des Etats- Unis d’Amérique. Ces derniers ont acheté la paix entre Le Caire et Tel-Aviv lors des accords de Camps David. Le prix ? 2,1 milliards de dollars d’aide annuelle, donc 1,3 milliard d’aide militaire et 800 millions d’aide civile 20 . L’Egypte est passé d’une économie de type planificatrice à l’époque de Nasser à une économie capitaliste, privée à l’époque de Sadate. Dans les deux cas, le pays n’a que peu réussi en matière de lutte contre le chômage, la population reste majoritairement pauvre et peu éduquée 21 . On peut donc comprendre aisément, à la vue d’ailleurs du déficit actuel de l’Etat central que les aides données par les Etats-Unis sont devenues indispensables dans un pays asphyxié économiquement. Cette raison n’est évidemment pas la seule, elle n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique étrangère égyptienne, mais elle reste importante et surtout permet d’expliquer la position du Caire vis-à-vis de Gaza pendant les trois présidences, celle de Moubarak, de Morsi et de Sissi22. D’autres raisons viennent s’ajouter, notamment la crainte de Moubarak puis de Sissi, d’une alliance entre le Hamas et les frères musulmans égyptiens. En effet, les deux mouvements se revendiquent de la même filiation politique celle de Hassan Al banna23. Face à un blocus imposé de toute part et à l’échec de l’option égyptienne, le Hamas va donc se tourner vers les tunnels mais à la différence du Fatah, les islamistes vont entreprendre une rationalisation complète du système. 19 http://www.ladepeche.fr/article/2008/01/25/429158-destruction-nouveau-pan-mur- frontalier-entre-gaza-egypte.html 20 AYAD Christophe, Géopolitique de l’Egypte, Complexe, Paris, 2002, p 26. 21 Ibid 22 Nous nous intéresserons d’une manière plus fouillée à la relation Egypte-Gaza lors du chapitre sur le Sinaï. 23 HROUB Khaled, Le Hamas, Demopolis, Paris, 1994, p 176.
  • 18. 18 1.2.2 Les attributs d’un Etat. Ici, nous comprenons le mot de rationalisation selon deux sens. Le premier est l’ensemble de moyens mis en œuvre dans le cadre d’un régime politique pour assurer une stabilité dans un pays. Le deuxième sens est le perfectionnement d’une organisation technique en vue de son meilleur fonctionnement. Nous proposons une hypothèse. Le Hamas a utilisé les tunnels pour affirmer et stabiliser son pouvoir en s’attribuant les prérogatives d’un Etat, en créant malgré tout des dissensions entre sa branche politique et militaire. En 2007, le principal objectif du mouvement islamiste est l’élimination de la faction rivale, le Fatah. Comble de l’ironie, les leaders du mouvement d’Arafat et notamment Mohammed Dahlan24, ont du s’enfuir en Egypte par ces mêmes tunnels qu’ils contrôlaient quelques jours avant. La brigade Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas s’approprie les tunnels du Fatah et en particulier ceux supervisés par Sami Abu Samhadana, qui a fui l’enclave25. La victoire de la brigade a donné un pouvoir politique et un prestige très important à Ahmed Jaabari26. La volonté de la brigade est de se garder les tunnels, d’en faire un lieu uniquement militaire, cachés des habitants et du gouvernement du Hamas. En effet il faut, avant tout, faire une distinction entre les tunnels militaires utilisés à des fins de réapprovisionnement ou d’embuscade en Egypte et les tunnels privés, principale source d’importation de biens ou de produits de consommation. Après une série d’affrontements violents et des batailles entre la police et la brigade, le gouvernement et donc le pouvoir civil a repris possession des tunnels privés et a laissé les tunnels militaires à la brigade27. Peut-être le lecteur sera-t-il choqué d’un tel « égoïsme », mais il faut bien comprendre que les membres de ces brigades, souvent recrutés jeunes, ne vivent que pour la lutte contre l’occupant, par conséquent plus ils ont de moyens mieux c’est. La dimension politique c’est-à-dire la question de la discussion ou des trêves avec l’ennemi israélien sont des éléments propres au pouvoir civil du Hamas. Ces questions restent un peu étrangères à la branche militaire, plus habituée à la clandestinité et à 24 Chef de la sécurité de l’Autorité Palestinienne, proche d’Arafat. Laetitia Bucaille a fait une magnifique biographie dans son ouvrage op.cit 25 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, 26 Leader de la brigade Izz al-din al-Qassam, mort en 2012. 27 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
  • 19. 19 la guerre.28. Ismaël Haniyeh, le chef du gouvernement civil, peut donc se réjouir. Il a éliminé ses principaux concurrents, le Fatah et Jaabari. Les tunnels ont permis aussi d’éliminer le prestige d’une Autorité Palestinienne basée à Ramallah. Son premier ministre Salam Fayyad, a stoppé les livraisons de combustible nécessaire au bon fonctionnement de la centrale électrique de Gaza au motif que le Hamas ne payait pas sa facture d’électricité. La réponse du mouvement de la résistance islamique fut sans précèdent puisqu’il put faire venir du diesel, en grande quantité et de meilleure qualité par les tunnels, limitant les pannes à 2 heures par jours alors qu’avant elles étaient de 12 heures . Même les rivaux du Hamas reconnaissent à contre cœur cette prouesse29. Ce coup de force ne doit pas être sous-estimé. La population palestinienne, de Cisjordanie actuellement et celle de Gaza de 1994 à 2007, vivait dans un système clientéliste où l’Autorité Palestinienne et ses relais locaux offraient des avantages selon des considérations politiciennes. Que ce soit sous le Hamas ou le Fatah, l’Etat joue un rôle clé pour trouver un travail, avoir accès à l’eau ou à l’électricité…La réussite du Hamas tient à sa capacité à avoir pu remplacer le Fatah….en reprenant son rôle. Dans un paradoxe confiant à l’absurde, le blocus aide sa cible prioritaire le Hamas et sapent le travail des organisations internationales qui auraient du être les « bénéficiaires » de cette situation de crise. En effet, ces dernières ne peuvent acheter des produits passés par les tunnels, considérés comme illégales par les donneurs de fond occidentaux (Américains et Européens en grande partie)30. Ce système à donc donner à la résistance islamique la première place en ce qui concerne la reconstruction de l’enclave31. Alors que les trois quarts des palestiniens de l’enclave dépendaient de l’agence des nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) pour se loger, se nourrir, les tunnels ont permis au Hamas de devenir les vrais protecteurs des réfugiés, créant une véritable dépendance de ces derniers au premier. Dans une tentative pour retrouver leur participation dans la chaine d’approvisionnement, les organisations humanitaires présentes à Gaza ont présenté un plan de réouverture des terminaux israéliens sans la participation Hamas et dans 28 Les stratégies du Hamas face aux israéliens, en terme purement politique, sont magnifiquement exposées dans la thèse de Leila Seurat : SEURAT, Laetitia Leila, La politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et processus de décision, Thèse de doctorat d’université, Paris : Institut d’études Politiques, 2014, p.381. 29 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information Project, 2011 30 https://mediterranee.revues.org/6550 31 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information Project, 2011
  • 20. 20 le même temps ont monté une campagne mettant en évidence les coûts humanitaires d’une économie de tunnel pointant du doigt le travail des enfants. Nous pouvons, sans faire de procès à quiconque, se poser la même question que celle du Général Arnaud Sainte-Claire Deville sur les organisations humanitaires, s’agit-il d’individus agissant selon des principes moraux et pour le bien commun ou plus prosaïquement pour sauver son emploi32 ? La question se pose car sans les tunnels la population de Gaza aurait vécu, dès 2008, une situation de famine. Malgré tout, au bout d’un an de blocus, le Hamas s’est débarrassé de ses ennemies politiques et s’est construit une assisse populaire indéniable33. Mais il a aussi construit une forteresse où seul ses alliés peuvent rentrer. En effet, le contrôle des tunnels a permis de limiter l’entrée d’individus considérés comme indésirables. En premier lieu et même si les tunnels n’ont que peu avoir, le Hamas considère que la bande de Gaza est un territoire libéré du joug israélien. En effet à partir de 2007, plus aucun israélien n’est sur place pas même des journalistes ou des humanitaires. Malgré eux, les israéliens ont rempli une promesse électorale du Hamas lors des élections de 2006. Les diplomates occidentaux, partis en 2007, ne peuvent revenir quant à eux qu’avec l’accord d’Ismaël Haniyeh. Les diplomates autorisés à venir sur le territoire gazaoui ont souvent été des amis idéologiques à l’image du Cheick Hamid Bin Khalifa Al-Thani, ex-emir du Qatar en juillet 201534. Enfin l’EUBAM, la mission d’assistance frontalière de l’Union européenne à Rafah suspend ses activités dès le 9 juin 2007. Cette mission mise en place à la suite de l’accord sur l’accès et le mouvement (AMA) en 2005 avait pour but de prendre la place des israéliens au poste-frontière de Rafah35. Seulement, l’AMA avait été signé entre Israël et l’Autorité Palestinienne et l’accord était donc vu, pour reprendre le mot d’Arafat, caduc pour le Hamas. Le départ de ces troupes, considérées comme pro-israélien par le Hamas, offrait aux palestiniens une vue dégagée en direction de l’Egypte. Pour terminer, les tunnels ont permis aux dirigeants de contourner les restrictions du trésor américain sur les transferts financiers à l’étranger36. Ainsi, dès la fin de l’année 2007, le Hamas est devenue le leader politique (élimination des rivaux), économique (contrôle des sources d’approvisionnement et à la tête de la reconstruction de l’enclave) et ayant une véritable assisse populaire. Il contrôle les entrées et sorties de son enclave et 32 Séminaire sous la direction de M. Forcade du 29 mars 2016. 33 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, 34 Https://www.youtube.com/watch?v=b-ZYmg_rIkI 35 http://www.operationspaix.net/25-historique-eubam-rafah.html 36 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011,
  • 21. 21 dispose d’une armée, d’une police et d’un gouvernement. Les tunnels ont donc permis au Hamas la conquête d’une (quasi) pleine souveraineté de la bande de gaza, mais aussi de passer d’un mouvement politique clandestin à un mouvement ayant beaucoup des attributs d’un Etat. Mais par quels moyens ont-ils réussi ce coup de force ? 1.2.3. Les clés du coffre-fort. Après la prise de contrôle de la bande de Gaza et l’expulsion des membres de la faction rivale, le Hamas a mis en place une commission des affaires spécialement chargée des tunnels. Baptisée jusqu’en septembre 2007, « Tunnels Commission » puis « The Border and Crossing Authority » (BCA), son siège se trouve à l’intérieur de la municipalité de Rafah37. La BCA a introduit une licence pour avoir ou pour creuser un tunnel. Au début, la volonté n’est pas de réguler des excédents (ce qui arrivera plus tard) mais plutôt d’éviter des constructions sur des zones relevant du domaine sécuritaire, en particulier près de la frontière israélienne où le Hamas craignait une surveillance. Ainsi les propriétaires de tunnels qui voulaient en construire de nouveaux devaient fournir des documents, soit le titre de propriété soit une autorisation du propriétaire qui donnait le droit d’utiliser sa terre. La BCA est également intervenue pour arbitrer des différends entre les marchands et les exploitants de tunnels et vérifier qu’aucun individu ne cache des produits pour en faire augmenter les prix. La commission a aussi diffusé une liste noire de produits. On y trouve des médicaments, des armes, des véhicules démontés, des drogues 38 . Le Hamas a aussi interdit le passage d’individus. Les violations sont punies. En 2009-2010, la commission a clos au moins cinq tunnels pour contrebande de Tramadol, un tranquillisant puissant et très consommé à Gaza et deux tunnels fermés pour non paiement des taxes. En septembre 2008, les autorités ont imposé progressivement des taxes sur une activité qui n’en avait jamais connu. Alors qu’Israël perçoit des droits de douanes sur les produits commerciaux passant par ses terminaux, le Hamas met en place un système de collecte de taxes pour générer ses propres revenues. En premier lieu, la municipalité de Rafah met en place des frais administratifs, avec l’introduction de licence nécessaire pour avoir un tunnel d’un prix de 10,000 shekel (NIS) soit 2, 850 dollars. A cela s’ajoute un supplément entre 1000 et 3000 NIS pour la connexion au réseau électrique. La commission a également introduit des 37 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information Project, 2011 38 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014.
  • 22. 22 prélèvements sur certains produits, en effet les propriétaires de tunnels ont déclaré que les fonctionnaires de la BCA recueillent une tonne de ciment par semaine, quelque soit le volume du trafic. En ce qui concerne l’essence, les taxes sont passées de 14 à 20% entre février 2010 et juin 2011, permettant aux autorités de recueillir près de 100,000 NIS par jours. D’autres charges existent notamment sur le gaz ou sur le tabac à hauteur de 30 NIS par mètre cube et 3 NIS par parquet de cigarette. Les autorités chargent également le transport de voiture à hauteur de 10,000 $ par voiture. Bien que les ouvriers des tunnels ne peuvent payer d’impôt sur le revenu, les autorités de Gaza taxe à hauteur de 14,5 % la valeur ajoutée de toutes les marchandises. Donc, plus les produits rentrent à l’intérieur de l’enclave, plus le Hamas s’enrichit39. Pour aider à l’application des taxes, les ministères de l’intérieur et de l’économie ont déployé des agents chargés de la surveillance, en les postant dans les intersections clés en direction du nord de l’enclave. Sous contrôle direct du ministère de l’intérieur, une première brigade est composée de 300 policiers qui patrouillent tout au long de la frontière égyptienne sur des motos. Un autre corps de fonctionnaire composée de 200 douaniers contrôle les cargaisons, les licences et le payement des taxes. Ces douaniers sont sous la supervision du ministre de l’économie Ala al-Rifati. Avant de sortir, les camionneurs font la queue pour enregistrer leurs charges devant les portes de la municipalité de Rafah. Chaque camion est alors vérifié : le poids contrôlé sur une bascule électronique incrustée dans le sable. Les camionneurs reçoivent une liste imprimée des résultats, puis si tout va bien peuvent quitter la zone en direction le plus souvent de Gaza city40. En ce qui concerne les moyens de transport autres que les camions, les inspections sont aléatoires, principalement destinées à vérifier la nature des marchandises mais aussi les permis et les certificats. Par exemple, les transporteurs de carburants sont priés de présenter une preuve quant aux paiements des taxes. Ainsi, nous pouvons affirmer que la raison principale du succès du Hamas tient à sa rationalisation d’un système autrefois complètement illicite, grâce à sa conquête fiscale. Ce système aurait permis au Hamas d’amasser en moyenne près de 300 millions de dollars par an entre 2007 et mi 2013 sur un marché d’environs 700 millions de dollars annuels41. De quoi dans la pratique politique palestinienne s’achetait des fidélités. Evidemment, ce succès indéniable entraine des réactions 39 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information Project, 2011 40 Ibid. 41 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunnel Complex » Middle East Research and Information Project, 2011
  • 23. 23 et des effets négatifs de la part de des deux voisins égyptien et israéliens mais aussi à l’intérieur du champ politique de l’enclave palestinienne. 1.3 Une activité risquée. 1.3.1 Des voisins en colère. Il y’a dès le début des activités de contrebande, des efforts de la part d’Israël et de l’Egypte pour contrôler puis contrecarrer la circulation des marchandises. Dès le début les acteurs régionaux ont tout de suite noté la possible menace que représente les tunnels pour la stabilité régionale42. Dans cette partie nous étudierons la réaction égyptienne puis israélienne. En ce qui concerne l’Egypte qui récupère le Sinaï en 1982 43 , nous pouvons diviser le comportement du Caire vis-vis des tunnels grâce à la chronologie. Une date importante est 2004 l’année de l’attentat à l’hôtel Hilton de Taba dans le sud de la péninsule du Sinaï44. Cet attentat est le premier revendiqué au nom de l’islamisme radical sunnite dans la péninsule depuis celui de Louxor en 1997. Ce mouvement se revendiquant d’Al-Qaida, se nomme Jamaa al-Tawhid al jihad et son leader est un dentiste originaire de Gaza, mais installé dans le Sinaï, Khaled Moussaed45. Avant cette date, les militaires égyptiens installés dans le Sinaï, fermaient les yeux ou pouvaient même participer, plus ou même directement (à travers la corruption) aux trafics d’armes. L’idée qui sous-tend cette politique consistait à garder un lien entre les activités politiques d’Arafat en contrôlant en partie son armurerie et d’avoir en même temps un moyen de pression sur Israël. De plus, l’Egypte gardait son rôle de médiateur du conflit israélo-palestinien, ce qui lui donnait un poids en matière régionale46. Nous pouvons citer les propos du Général Fouad Allam, à la tête de la SSI (State Security Investigation) dans le Sinaï jusqu’en 1985 : « L’Egypte à toujours été le seul et l’unique médiateur entre les palestiniens et les israéliens et je crois que la permission accordée aux transports des armes et aux opérations des tunneliers était une partie de la stratégie des autorités égyptiennes pour gérer le cas compliqué qu’est Gaza. C’était une manière de maintenir une stabilité et des 42 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18. 43 http://www.aleph99.info/La-restitution-de-la-peninsule-du.html 44 http://www.liberation.fr/planete/2004/10/08/egypte-au-moins-30-morts-dans-un-attentat- anti-israelien_495259 45 http://orientxxi.info/magazine/genealogie-du-djihadisme-au-sinai,0687 46 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015, p60.
  • 24. 24 relations avec les deux voisins sans les perdre47. » De toute manière, le trafic d’arme par les tunnels est resté au stade embryonnaire jusque dans les 2000. A partir de 2004 et l’attentat de Taba (s’en suivra deux autres en 2005 à Charm el-Cheick48 et à Dahab le 24 avril 200649), Moubarak remplace son gouverneur du Sinaï Munir Shash, promoteur des droits des bédouins, historique habitants de la péninsule du Sinaï50, par Habib El-Hadly aussi appelé le « ministre de la torture 51». En effet, à part s’aliéner les populations locales bédouines par une politique répressive qui poussera une partie de la population dans les bras des djihadistes, les effets sur les tunnels peuvent être considérés comme nul. Au contraire, 2004 est aussi l’année de la mort d’Arafat et de la montée en puissance du Hamas, qui sentant monter l’inévitable bataille contre le Fatah décide comme ces derniers d’utilisait les tunnels pour s’armer encore plus lourdement. Les islamistes du Hamas mettent la main sur des tunnels qu’ils développent et agrandissent le volume du trafic d’arme. Pour Mohannad Sabry, l’échec des égyptiens s’explique par trois grands facteurs, une demande accrue en armes pour les gazaouis du à la militarisation de l’intifada al-Aqsa en 2000, les échecs de la répression combiné à une forte corruption du côté égyptien et à la déliquescence du Fatah notamment dû à la mort d’Arafat. Le désengagement israélien n’a fait qu’accélérer le trafic. Les contrebandiers du Sinaï qui n’étaient qu’une poignée jusqu’au début des années 2000, ont réussit dès 2004 à étendre leur réseau et à échapper totalement à la police égyptienne.52 Cette situation continuera jusqu’en 2008. En effet, sous la pression des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël à la suite de l’opération plomb-durci, entre fin 2008 et début 2009, l’Egypte intensifie sa lutte contre les activités des tunnels. Le Caire se lance dans la construction d’une barrière en acier de 25 mètres de profondeur sous terre le long de sa frontière avec Gaza53. Seulement l’Egypte connaît très rapidement des difficultés techniques et logistiques à cause d’un sol pierreux qui empêche le martèlement des plaques d’acier dans le sol. Au maximum ces plaques d’aciers peuvent aller à 4 mètres de profondeur, ce qui est insuffisant. De plus les creuseurs utilisent des chalumeaux pour faire des centaines de trous dans les plaques d’aciers installées ou creusent 47 Ibid. 48 http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/4709491.stm 49 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2006/04/24/la-station-balneaire-de-dahab-en-egypte- frappee-par-un-triple-attentat_764993_3212.html 50 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p16. 51 http://www.jadaliyya.com/pages/index/759/the-counter-revolution 52 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015 p 65. 53 ‘GazatunnelsmugglerscuttingthroughEgypt’swall’,Associated Press,22 Juillet 2010. 

  • 25. 25 des tunnels plus profond annulant du même coup un projet de plusieurs millions de dollars54. Mais les raisons de l’échec tenaient plus à une faible volonté politique qu’à une question technique. Les fonctionnaires de l’Etat Egyptien dans le nord-Sinaï, trouvaient avantageux pour des raisons financières que ce trafic puisse continuer. Les années Moubarak sont donc marquées par un laxisme important et lorsque la pression des américains ou des israéliens devenaient trop forte, les agents publics égyptiens se limitaient à détruire les tunnels les plus visibles, qui étaient souvent les moins importants55. Incapable de combattre le trafic ou de renverser le Hamas, le régime en fin de vie de Moubarak a accepté le fait accompli et à établi un modus operandi entre les autorités du Hamas et le ministère de l’intérieur du Caire. Cet accord consistait à envoyer une liste des individus quittant Gaza en échange les égyptiens laissaient passer des produits à des prix réduits. Le 25 janvier 2011, la présidence de Moubarak s’écroule, c’est le début de l’insurrection. Dans le nord-Sinaï, c’est-à-dire la région proche de la frontière palestinienne, composé de trois grandes villes du Sinaï : El-Arish, Sheikh Zuwayyed et Rafah côté Egyptien, le régime s’écroule et ses représentants chassés ou assassinés en pleine rue. Durant 5 jours, entre le 25 et le 30 janvier, de nombreux massacres ensanglantèrent la région. L’armée égyptienne mettra près de 18 jours pour « reconquérir » le nord-Sinaï56. Mais le Sinaï n’est plus une région pacifiée, touristique mais bien une zone de guerre encore aujourd’hui où les embuscades sont permanentes. Cette situation divise la société bédouine entre un camp qui appuie les forces gouvernementales et un autre proche de la rébellion dominée par un groupe islamiste Ansar Bait al-Maqdis, devenue en novembre 2014, Wilayat Sinai57. Il s’agit d’un moment clé car les autorités égyptiennes perçoivent les tunnels d’une autre manière. Vu comme un moyen de moyen de pression et de stabilité (ou d’enrichissement), la situation d’insurrection dans le nord-Sinaï à partir de 2011, pousse les égyptiens à percevoir les tunnels comme une menace majeure à la sécurité nationale. Pire, les autorités du Caire vont considérés que les tunnels sont la cause majeure de l’islamisation du Sinaï. Le Général Fouad Allam déclare en 2013 : « On a jamais rencontré d’islamistes dans le Sinaï jusqu’à ce que les 54 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18. 55 PELHAM Nicolas « Sinai : The Buffer Erodes » Chatham House, 2012 p18 56 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015 p 18 57 http://www.nytimes.com/2014/11/11/world/middleeast/egyptian-militant-group-pledges- loyalty-to-isis.html?_r=3
  • 26. 26 tunnels apparaissent (…) l’attentat de Taba en 2004 a été un avertissement clair (…). Il n’y a jamais eu d’histoire d’islamisme radicaux dans le Sinaï (..) les islamistes sont arrivés par les tunnels et une fois arrivés, il y‘a très peu de chance de les retrouver »58. Le 28 juin 2012, le premier président issu de la mouvance des frères musulmans est élu. Il s’agit de Mohamed Morsi. Le 5 aout 2012 a lieu la plus grande attaque terroriste sur le sol du Sinaï, depuis la rétrocession de la péninsule en 1982. C’est l’attaque du poste-frontière de Rafah, faisant 16 victimes, tous soldats égyptiens 59. Les assaillants sont pour la plupart originaire de la bande de Gaza, ils auraient eu des complicités avec les islamistes du Sinaï. Cet événement va profondément choquer le pays. La présidence de Mohamed Morsi sera une succession d’échec en matière de sécurité. Incapable d’éradiquer l’islamisme radical ou les tunnels, il va devoir supporter tout au long de sa présidence des accusations graves. Portées par des médias proches du pouvoir militaire, ces accusateurs lui reproche de faire le jeu du Hamas ou de vouloir donner le Sinaï aux palestiniens 60. Finalement le 3 juillet 2013, le ministre de la défense Al-Sissi réalise un coup d’état militaire et prend le pouvoir. Depuis la destitution de Morsi, les attentats sont quotidiens en Egypte. Le pouvoir est directement visé et menacé par Wilayat Sinaï. Le 24 avril 2014, vieille de la journée de la journée de célébration de la libération du Sinaï, l’armée avait affirmé que « la péninsule du Sinaï était totalement sous contrôle ». Cependant tout au long de l’année 2014 et 2015, des attentats visent régulièrement l’armée. Durant la présidence de Morsi, des attentats visant l’armée avait été de la même fréquence et sa démission avait été alors réclamée : il était accusée, comme nous l’avons vu, d’être incapable de combattre le terrorisme. Abdel Fattah Al-Sissi l’a dit et répété : il ne fait aucune distinction entre les frères musulmans, le Hamas et l’organisation de l’Etat islamique. Cet amalgame l’a conduit à isoler encore davantage les habitants du Sinaï et de la bande de Gaza. Une zone tampon a été créée au niveau de la ville de Rafah côté égyptien, isolant totalement cette enclave de 360 km2 encerclée de toutes parts. Des milliers de familles égyptiennes ont été expulsées de leur domicile puis détruites. Des civils ont été tués61. 58 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015 p 107. 59 http://www.lefigaro.fr/international/2012/08/05/01003-20120805ARTFIG00252-un- commando-penetre-en-israel-depuis-l-egypte.php 60 SABRY Mohannad, Egypt’s linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s nightmare, The American University in Cairo Press, 2015 p 156-157. 61 https://www.hrw.org/report/2015/09/22/look-another-homeland/forced-evictions-egypts- rafah
  • 27. 27 En ce qui concerne les tunnels, Sissi creuse un canal le long de la bande de Gaza avec la volonté d’y faire couler l’eau salée de la méditerranée. Cette eau détruit les plantations et l’agriculture62. Nous pouvons considérer que dès la mi-2013, l’économie des tunnels est morte. Pour paraphraser un journaliste franco-israélien : « Nombreux sont les israéliens qui en ont rêvé, le Caire la fait. »63 Le régime israélien, quant à lui, n’a pas toujours vu les tunnels de manière négative. Au contraire, certains analystes israéliens trouvaient que les tunnels permettaient à Tel-Aviv de se débarrasser de Gaza et d’offrir l’enclave à la responsabilité égyptienne. La surpopulation de Gaza aurait obligé les palestiniens à quitter l’enclave pour aller vivre dans le nord-Sinaï64. La réaction égyptienne a mis fin à cette hypothèse dès 2007. Pour Israël, l’économie des tunnels a permis d’accélérer sa politique de désengagement de Gaza, lancé en 2005 et ainsi de se séparer économiquement, logistiquement puis espérait-il politiquement du reste de la Palestine. Néanmoins, les intérêts israéliens dans le maintien de l’économie des tunnels n’ont pas empêché l’Etat hébreu de recourir à des actions militaires pour maximiser leur influence sur la bande de Gaza et de garder le Hamas sur la défensive. Au lendemain de 2007 et la prise en main de l’enclave par le Hamas, Israël a attaqué les tunnels de Gaza en utilisant des drones et des avions de chasse en réponse aux tirs de roquettes, quelque soit la faction responsable des attaques (Djihad Islamique, Hamas, Armée de l’Islam...). Selon le quotidien israélien Yedioth Ahronoth65, un tiers des 48 attaques israéliennes sur la bande de Gaza, durant l’année 2010, visaient des tunnels. Les attaques ont détruits du convoi alimentaire, cassé des lignes d’alimentation mais aussi blessé ou tué des ouvriers des tunnels66. Plus menaçante pour l’économie des tunnels fut le relâchement partiel du blocus sous la pression internationale après l’assaut violent de Tsahal contre la flottille turque en mai 2010. La petite bourgeoisie gazaouie déchue de sa position depuis le blocus et qui avait construit sa fortune grâce à ses partenaires économiques israéliens s’est hâtée de rétablir en 2010 ses liens et ses relations avec les anciens partenaires commerciaux israéliens. Les israéliens retirent de 62 http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-egypte-a-inonde-les-tunnels-de-gaza-a-la- demande-d-israel-assure-un-ministre-israelien_1761319.html 63 http://orientxxi.info/dossiers/l-egypte-deux-ans-de-pouvoir-du-marechal-sissi,0957 64 voir « l’option égyptienne ». 65 H. Greenberg, ‘IDF intensifies ‘terror tunnel’ attacks in Gaza’, Yedioth Achronoth, 1 July 2010. 
 66 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014.
  • 28. 28 la liste noire certains produits comme l’aluminium, le verre, les insecticides, les shampoings… cette relative ouverture a conduit à une réduction des commandes par les tunnels. Un important grossiste alimentaire de Gaza a indiqué que de 2007 à 2010 il importait 95% de ses produits par les tunnels. Dès la fin de 2010, 85% de ses importations provenaient des terminaux israéliens. Un autre grossiste, explique que les stocks arrivant des tunnels avaient chutés de 70 à 50% entre 2007 et fin 201067. Entre 2011 et 2013, la politique israélienne consistait à attaquer encore et encore les tunnels jusqu’à la prise de pouvoir du Sissi en Egypte. 1.3.2 Des critiques en interne. La conquête fiscale et les efforts du Hamas visant à réglementer les tunnels ne se sont pas réalisés sans contestation, surtout dans un secteur dominé par l’illicite et où la notion d’impôt n’existait pas. Les familles et les clans bédouins sont historiquement réticents envers toutes formes de dominations et notamment étatiques. A la fin du moi de novembre 2007, des affrontement armés ont éclatés entre les forces gouvernementales du Hamas et des membres de la famille Al-Sha’ir de Rafah après que la destruction de leurs tunnels par les premiers68. Cela dit, la véritable limite n’est pas celle-ci. Les tunnels ont surtout terni la réputation du Hamas. Les critiques pointent du doigt un manque de transparence, des erreurs de gestion et une corruption très importante. Pour un économiste de Gaza, « le Hamas est devenu une entreprise »69. Les autorités du Hamas ont été largement critiquées sur le fonctionnement opaque de l’administration chargée de la délivrance des licences. En effet, les membres de cette administration auraient délivré des licences à des prix réduits en échange d’une nomination dans les conseils d’administration des coopératives des tunnels, dont nous expliquerions plus tard le fonctionnement. Le Hamas a aussi joué un rôle important dans un scandale en 2007-2008. Avec des tunnels coûtant entre 80,000 et 200,000$, des mosquées et des réseaux caritatifs, proche du Hamas, ont offert en échange d’une participation financière importante des taux élevés de retour. Ce système, promouvant un plan de type pyramide de Ponzi70 s’est écroulé lors de l’opération plomb-durci en 2008-2009. En effet, les investisseurs se sont tous retournés pour récupérer la mise initiale, détruisant d’un coup tout l’édifice. 67 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014. 68 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011, 69 Ibid. 70 http://www.sec.gov/answers/ponzi.htm
  • 29. 29 Bernard Madoff a exactement utilisé le même système. Face à la polémique, le Hamas a refusé puis remboursé aux alentours de 15% la somme investie71. Cet événement a détérioré considérablement la crédibilité du mouvement. Par la suite, les islamistes salafistes (mouvement à droite du Hamas) et opposants laïques ont accusé sans discontinuer le Hamas d’être un mouvement corrompu. Certains éléments de la branche armée du Hamas ont acquis une réputation de profiteurs à l’image de Mohammed Dahlan et sa force de sécurité préventive. Plusieurs responsables de premier plan comme le bédouin et porte-parole du Hamas Fawzi Barhum a été accusé de protéger les intérêts de sa seule famille, impliquée dans l’économie des tunnels. Nicolas Pelham a recueilli un témoignage saisissant d’un salafiste de Gaza : « Avant le Hamas était axé sur le religieux, leurs membres connaissaient par cœur le Coran. Maintenant ils sont plus intéressés par l’argent et la fraude. Avant le Hamas parlait du paradis, mais maintenant ses membres pensent aux achats de maisons, de terrains ou de voitures ». Ce salafiste va plus loin car il considère que l’argent a perverti la société et son chef les Imams « Après les prières du soir on étudiait, maintenant l’Iman explique les moyens de s’enrichir, de faire de l’argent »72. Cette citation met en avant la radicalisation d’une partie des habitants de Gaza vers l’islam de l’Etat Islamique. Les tunnels ne sont sûrement pas la cause principale mais peuvent y jouer un rôle. Ainsi lorsque des leaders politiques islamistes roulent en grosse berline, il n’est pas inimaginable de penser que cela puisse créer un fossé. Le Hamas est aussi accusé de manquer de transparence quant à son utilisation des revenues des tunnels. Alors que les responsables du Hamas expliquent que sur les 300 millions de dollars, la moitié vont dans le budget annuel, certains hommes d’affaires ont calculé des recettes plus importantes, ce qui soulèvent des questions quant aux destinations et destinataires de ces fonds, notamment aux vues des lacunes et des retards des paiements des salaires des agents de la fonction publique73. Enfin le Hamas s’est attiré les foudres, et nous l’avons vu, des organisations internationales à cause de l’utilisation des enfants. Les nombreuses vidéos disponibles des tunnels et de leurs constructions ne permettent pas de voir des enfants dans les tunnels. Mais l’auteur Nicolas 71 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011 72 Ibid 73 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014
  • 30. 30 Pelham, qui a voyagé et a vu les tunnels en décembre 2011 compare dans son article les enfants de Gaza aux enfants à l’époque victorienne dans les mines de charbon74. Tout compte fait, les tunnels ont donné une image positive et négative du mouvement de la résistance islamique (Hamas). Alors que ces détracteurs louent, même à contrecœur, son succès dans la réduction de la strangulation israélienne et donc de diminuer la souffrance du peuple gazaoui, certains ont perçu et dénoncé un mouvement miné par la corruption. Pendant les pénuries de carburant en 2012, de nombreuses rumeurs circulaient que les familles des membres du Hamas ne connurent jamais de pénurie d’électricité et que les stations d’essence ont continué à fonctionner à l’usage exclusif du Hamas75. Vrai ou pas, ils se sont nourri d’une rumeur tenace, celle d’un Hamas enrichie par le blocus. Pour finir, les tunnels ont été à double tranchant pour le mouvement d’Haniyeh, loué d’une part et critiqué de l’autre. 2. Les tunnels : d’une réponse au blocus au bouleversement des structures sociales. 2.1 Coopérative, avantages et désavantages des tunnels. 2.1.1 La mise en place des coopératives. Comme nous l’avons vu les événements se sont accélérés très rapidement entre l’année 2006 et 2007 pour l’enclave palestinienne. La mise en place du blocus suite à la prise de pouvoir par le Hamas en juin 2007 et la fin de l’option égyptienne ont poussé les gazaouis vers le sud et à réactiver les tunnels de contrebande. Les israéliens ont mis en place un blocus particulièrement violent et asphyxiant pour une enclave dépendante économiquement de l’Etat hébreu. Pour résumer les conséquences du blocus et dont les premiers symptômes se sont faits sentir dès les premières semaines, les premières restrictions visaient la libre circulation des personnes. Parmi ces individus, certains avaient un traitement médical, d’autres étaient étudiants mais la grande majorité travaillait en Israël. Le chômage est en 2015 74 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011 75 Ibid.
  • 31. 31 le plus élevé au monde avec 44 pour cent. De plus, l’entrave à l’entrée des matériaux empêchait tout construction ou toute reconstruction. Environ 800,000 camions de matériaux de construction sont indispensables pour construire des maisons, des écoles ou des structures sanitaires. Le taux d’entrée de matériaux de construction n’est que de 0,2 pour cent76. On assiste à l’effondrement économique de Gaza. L’interdiction d’exporter ou d’importer des produits nécessaires aux industries a provoqué en 2015 la faillite de 72% des usines à Gaza. Les pertes de PIB depuis l’imposition du blocus sont estimées à plus de 50 pour cent. Le blocus a entrainé aussi, une destruction de l’agriculture et des moyens de subsistance comme la pêche. Enfin il faut noter l’effondrement de l’infrastructure d’eau et d’assainissement77. Ce bref résumé de la situation de l’enclave en 2015 a pour but de mettre en évidence les réalités, le développement des tunnels avait pour but de s’en prévenir. Hélas malgré des début encourageants, les tunnels n’ont pas réussi à sauver la bande de Gaza d’un désastre annoncé. Privé de ressources et des routes traditionnelles de commerce, le Hamas s’est donc tourné vers le développement des tunnels. Ces derniers sont devenus le seul moyen pour les entrepreneurs de Gaza d’acheminer puis de vendre les produits nécessaire à la subsistance. La demande a donc été très forte dès le début. Au soir de l’opération plomb-durci en décembre 2008, le nombre de tunnels est passé de quelques douzaines à la mi-2007 à près de 500. Concentrés sur 8 kilomètres des 14 kilomètres du corridor Philadelphie. Les tunnels se trouvent en grande partie entre Tel-Zagreb à l’ouest et le point de passage de Rafah à l’est, où l’argile est plus souple. Les tunnels sont souvent creusés les uns des autres, parfois les uns sur les autres. L’économie des tunnels était estimée à 30 millions de dollars par an à la moitié des années 90 puis à près de 40 millions de dollars par moi à la fin de l’année 2008. Cependant, à ce moment là on est loin des 2 milliard d’échange annuel entre la bande de Gaza et Tel-Aviv. Pour répondre à la demande, les contrebandiers qui étaient jusque là spécialisés dans la contrebande d’armes, ont du se diversifié en important du riz, des pâtes ou des produits alimentaires de base. Quand Israël a coupé l’approvisionnement en carburant, les contrebandiers ont commencé à faire passer de l’essence égyptienne dans des bouteilles en plastique. Mais les prix étaient tellement gonflés et l’essence de mauvaise qualité, qu’il a fallut l’intervention du Hamas pour arrêter cette escroquerie. Ce dernier a mis en place un oléoduc78. En quelques mois, les tunnels avaient remplacé les terminaux israéliens comme 76 OXFAM, les reconstructions cruciales à Gaza pourraient prendre un siècle, février 2015. 77 http://www.ism-france.org/analyses/Le-Blocus-de-Gaza-en-Chiffres-Deni-et-Privation- continuelsRapport-du-14-juin-2015-article-19619 78 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014
  • 32. 32 route commerciale principale. Même si le Hamas, en tant qu’acteur administratif joue un rôle important dans le succès des tunnels, la plus grosse part vient du secteur privé. Les investisseurs privés, y compris des membres du Hamas, ont soulevé des capitaux qu’ils ont mis en commun avec des familles égyptiennes installés de l’autre côté de la frontière. En ce qui concerne les acteurs égyptiens, on peut les diviser en trois catégories : les égyptiens d’origine palestinienne, les bédouins du Sinaï propriétaire de terre à Rafah et les égyptiens qui habitent à Rafah79. Après un accord verbal entre les gazaouis et les égyptiens, les avocats rédigent des contrats pour créer juridiquement une coopérative et pour permettre le début de l’exploitation des tunnels commerciaux. Les contrats détaillent le nombre de partenaires (généralement de quatre à quinze), la valeur des parts respectives et le mécanisme de distribution des bénéfices. Un partenariat typique englobait une partie de la société gazaouie. On y trouvait, par exemple, un douanier de Rafah, un agent de sécurité dans l’ancienne administration de l’autorité palestinienne, un travailleur agricole, un diplômé universitaire, un employé d’une organisation non-gouvernemental et des creuseurs. Nicolas Pelham, nous donne l’exemple de Abu Ahmas, qui gagnait entre 30 et 70 NIS par jour comme chauffeur de taxi. Il a investi les bijoux de sa femme, d’une valeur de 20,000 dollars et s’est associé avec neuf autres partenaires80. Généralement les investisseurs pouvaient récupérer la mise initiale assez rapidement. En effet, en 2007, un investissement de 100,000 dollars permettait de construite un tunnel long de 300 mètres et avec une capacité journalière de 40 tonnes. La même somme investie en 2010 permettait de construire un tunnel quatre fois plus grand et quatre fois plus large. En 2011, les tunnels pouvaient atteindre jusqu’à 1,5 kilomètres de long, une hauteur de 1,5 mètres et avaient une capacité journalière de 170,000 tonnes. Entièrement opérationnelle, un tunnel engrangeait des bénéfices en un mois. Evidemment les bénéfices devaient être divisés avec les fournisseurs égyptiens. Pour être plus précis, nous pouvons ajouter que les propriétaires des tunnels sont souvent des jeunes entre 25 et 40 ans, motivés par des bénéfices rapides et la plupart sont souvent politiquement des sympathisants du Hamas, même si on peut douter légitimement de leur sincérité. Bien que les tunnels jouent un rôle important dans la baisse du chômage, les gazaouis les appellent les « tunnels de la mort » en raison du nombre important de morts, notamment chez les creuseurs. Malgré les risques 79 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011 80 PELHAM Nicolas « Gaza’s tunel Phenomenon : the Unintended Dynamics of Israel’s siege » Journal of Palestine Studies, Vol 41, 2011
  • 33. 33 associés au travail dans les tunnels, ce travail a continué en raison de la nécessité et le pourcentage élevé du chômage. De nombreux travailleurs disent qu’ils se sentaient comme dans une tombe à l’intérieur du tunnel, où la mort pouvait arriver à tout moment. 2.1.2. Les avantages des tunnels : une réponse partielle à la crise humanitaire. L’économie des tunnels a comme principal avantage d’avoir été une réponse partielle aux problèmes humanitaires. Ils sont permis un réapprovisionnement d’un certain nombre de produits indispensables. Nous avons déjà cité l’essence, mais les produits les plus importés étaient les détergents, la nourriture, le riz , les pâtes, les générateurs, les bicyclettes, les pièces de rechange pour les voitures, des outils de plomberie, des chaussures, des habits pour bébé, du ciment, des produits pharmaceutiques, des cigarettes, des bombonnes de gaz, mais aussi des animaux comme les veaux ou les moutons 81 . Ainsi à la fin de l’année 2010, les contrebandiers affirment que 68 pour cent des produits présent à Gaza proviennent des tunnels. Ce chiffre augmente à 90 pour cent en ce qui concerne les matériaux de construction et l’essence. 70 pour cent en ce qui concerne les habits, 60 pour cent pour la nourriture et 17 pour cent pour les médicaments. Les tunnels ont aussi un impact macroéconomique très important. Dans une économie marquée par un chômage massif suite à l’impossibilité des travailleurs d’aller en Israël, le bombardement des entreprises et l’impossibilité d’exporter, les tunnels sont devenus le premier employeur privé et le premier employeur des plus jeunes. Lorsqu’un tunnel fonctionnait pleinement, il faisait travailler entre 20 et 30 personnes. On estimait que près de 25,000 personnes travaillaient directement ou indirectement grâce aux tunnels. Il y’ avait les propriétaires, les creuseurs, les transporteurs et les vendeurs. Au delà de ces individus, il faut imaginer que ce système permettait aux familles de ces individus de vivre, soit près de 150,000 personnes. Le chômage a baissé de 50 à 20 pour cent dans la ville de Rafah, la principale bénéficiaire des tunnels, entre juin 2007 et décembre 2008. Pendant un temps, les ouvriers des tunnels était les mieux payés de tout Gaza. En 2008, le salaire moyen d’un ouvrier des tunnels était de 75$, près de 5 fois supérieur au salaire moyen82. Les tunnels de Gaza se sont donc révélés être devenus le véritable poumon économique de l’enclave face aux restrictions et au blocus. Elle a permis d’aider Gaza à se reconstruire après l’opération plomb-durci. Selon les nations-unis, les opérations de reconstruction nécessitaient 81 http://home.birzeit.edu/cds/new- cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf 82 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014
  • 34. 34 l’entrée sur l’enclave palestinienne de près d’1 million de camions. Le refus israélien combiné à l’interdiction pour les ONG d’utiliser les tunnels n’aurait pas permis cette reconstruction. Les tunnels, à ce moment là, ont joué un rôle fondamental. Le travail, l’intelligence dans la construction de nouveaux tunnels ont permis aux gazaouis de reconstruire une partie de l’enclave en moins de 2 ans. Les tunnels sont devenus plus grands, plus large, plus profond et moins détectable. Sans les tunnels, l’enclave ne se serait jamais reconstruite en si peu de temps. Les tunnels ont été une réponse contre l’interdiction de sortir de la bande de Gaza. Que ce soit les israéliens, les égyptiens et l’autorité palestinienne (refus de délivrer des passeports), tous ont refusé aux gazaouis d’aller se soigner, travailler, d’aller voir des amis ou même voyager à l’extérieur. Alors les habitants de l’enclave ont crée des agences de voyage qui offraient des séjours sur la riviera du sud Sinaï avec évidemment un passage dans les tunnels aller-retour compris. Le Hamas avait même des tunnels VIP avec les tapis rouges. Entre 2007 et 2013, les tunnels ont permis à gaza de se développer, ou tout du moins de tenter de relancer une économie. Même si les tunnels ont surtout servi à l’importation, il est important de préciser que des exportations eurent lieu, notamment à la période de la chute de Moubarak. Evidemment, les égyptiens avaient comme politique de surtaxer les produits de la bande de Gaza. L’expérience fut peu concluante mais elle a le mérite d’avoir été tenté. En 2011, les exportations ont surtout servi à relancer un secteur agraire et de manufacture en grande difficulté. On y exportait en grande partie des pommes ou des habits. Parfois les gazaouis venaient venir des produits égyptiens en petite quantité qu’ils copiaient pour pouvoir relancer leurs propres industries, notamment textiles. En grande partie, cette expérience d’une économie des tunnels a surtout évité à une crise humanitaire de devenir un désastre humanitaire. Elle a permis à 1, 7 millions de personnes de ne pas mourir de faim ou de froid et honnêtement c’est quelque chose de très remarquable. 2.1.3. Les désavantages des tunnels : un développement impossible. Nous adoptons dans ce chapitre une position critique qui a pour but de juger un système économique entre 2007 et 2013. Trois ans sont passés depuis la fin de l’économie des tunnels. L’historien peut en tirer des conclusions. Le but est de tenter de montrer les limites d’un système en terme de développement sur le long terme. Face à la situation dramatique de l’enclave en 2007, nous reconnaissons le rôle salvateur des tunnels et n’adoptons pas ici, une position morale quant au bien fondé de son utilisation.
  • 35. 35 Les désavantages des tunnels en terme économique sont nombreux. Elle a transformé la bande de Gaza en un énorme marché de consommateur. En effet, les exportations sont tellement faibles, qu’elle n’a pas permis de créer un cercle vertueux permettant un développement massif. Les économistes ont conceptualisé la bande de Gaza durant la période des tunnels, comme une économie souffrant de la maladie hollandaise. L’économie palestinienne et celle de Gaza en particulier ont toujours souffert de problèmes économiques et sociaux. Au cours des vingt dernières années, la Palestine a été affecté par cette maladie hollandaise. L’économie de la Hollande et les hollandais furent touchés par un état de paresse à la suite de la découverte dans les années 1960 de grands gisements de gaz et de pétroles en mer du nord83. Cette découverte a entrainé un augmentation de la consommation notamment de produits de luxe et après l’épuisement des ressources, la hollande a connu une augmentation de la pauvreté et du chômage. Ce concept met donc en relation un boum économique puis un repli, une désindustrialisation et l’augmentation du chômage 84. Dans le cas hollandais, ce phénomène est suscité par l’accroissement des recettes d’exportation, qui a provoqué l’appréciation de la devise. Le résultat est que dans les autres secteurs, les exportations deviennent moins favorables que les importations. Evidemment, la Palestine ne possède pas de ressource naturelle comme le Pays-Bas ou le Qatar, ainsi la maladie hollandaise s’applique dans une forme différente. Durant la période 2009-2013, la maladie a émergé à Gaza en raison du monopole par un petit groupe des tunnels. Ces propriétaires avaient un contrôle sur les prix et sur les entrées de la plupart des besoins de base. Ce phénomène a entrainé une accumulation importante de richesse dans les mains de quelques individus. Malheureusement, cet argent a été investi dans des projets non productifs comme l’immobilier, la consommation, la construction de villa ou d’hôtel de luxe. De plus cet investissement parfois un peu absurde, comme la construction d’un hôtel de luxe à Gaza 85 , ne s’est pas toujours fait au sein de l’enclave mais aussi beaucoup en dehors, notamment dans le nord-Sinaï. Cet argent non investi a entrainé, comme en Hollande une 83 CORDEN W. Max et NEARY Peter J, Booming Sector and De-Industrialisation in a small Open Economy, The Economic Journal Vol.92, No. 368 ( Dec, 1982), p 825-848. 84 http://www.lactualite.com/lactualite-affaires/la-maladie-hollandaise-cest-quoi/ 85 Une visite de cet hôtel en 2011: https://www.youtube.com/watch?v=2J5JVyz1A-k
  • 36. 36 augmentation du chômage et de la pauvreté86. Ainsi d’une manière assez paradoxale, les tunnels ont affaibli l’économie nationale, car ils ont conduit a une baisse de la production dans le secteur de l’agriculture et de l’industrie à cause de ce manque d’investissement dans ces secteurs. D’ailleurs les clients des tunnels ne sont pas les seuls à voir la situation économique se retourner. Dès la mi-2010, les propriétaires des tunnels sont devenus les victimes de leurs propres tunnels. Après la guerre de 2008-2009, les tunnels se sont améliorés en terme d’infrastructure. Leur capacité de transport a été multipliée, parfois par trois. Après deux années de croissance extraordinaire, les grossistes avaient largement réapprovisionné leurs stocks et retourné très souvent leurs commandes. Ce phénomène couplé avec une demande plus faible à entrainé une importante chute des prix. Cette baisse des prix a entrainé des changements chez les propriétaires de tunnels, beaucoup ont fait faillite et d’autres ont du tout simplement limogé. Ainsi en février 2010, le nombre de tunnels serait passé de 1,200 à 20087. Les tunnels ont entrainé d’autres désavantages, puisqu’ils ont réduit la pression sur Israël. Le succès des tunnels n’a pas permis la réouverture des terminaux ou la fin du blocus. Les tunnels ont permis à Israël, de se débarrasser doucement mais surement de la bande de Gaza au détriment de l’Egypte. L’Etat hébreu n’a pas voulu prendre ses responsabilité en tant que pays occupant et à au contraire a fait le maximum pour se décharger de sa responsabilité, ce qui a entrainé une séparation importante entre Gaza et la Cisjordanie. Le phénomène des tunnels est devenue un facteur permanent de friction entre l’Egypte et la bande de Gaza. De plus, les tunnels ont accéléré l’isolement de la bande de Gaza vis-à-vis du monde extérieur, et ceci à la lumière du silence de la communauté internationale et des pays du monde arabe. Enfin, les tunnels ont été un véritable cimetière pour les jeunes ouvriers. Les chiffres sont peu connus mais certaines sources affirment que de 2007 à mai 2013, les morts se comptent au nombre de 232, en grande partie à cause des mesures de sécurité inexistantes et du peu d’expérience des équipes de secours88. 86 http://home.birzeit.edu/cds/new- cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf 87 PELHAM Nicolas « The Role of the tunnel Economy in Redeveloping Gaza », Mandy Turner and Omar Schweiki edition, 2014 88 http://home.birzeit.edu/cds/new- cds/sites/default/files/sites/default/files/publications/tunnels.pdf
  • 37. 37 2.2. Première expérience de Gaza hors du « de-development » 2.2.1 Le concept du « de-development ». Le concept du « de-development » a été formulé pour l’économiste américaine Sara Roy dans un premier article de 198789 puis étayé dans un livre en 199590. L’universitaire définit le « de- development » comme un processus qui sape et affaiblit la possibilité pour une économie de grandir et de s’étendre en l’empêchant d’accéder et d’utiliser ses ressources essentielles pour promouvoir une croissance interne au delà d’un niveau critique, lui-même jugée par Israël. A Gaza, la politique de « de-development » transforme la bande de Gaza en auxiliaire de l’Etat hébreu. Evidemment, les gouvernements israéliens considèrent que cette interaction des économies palestiniennes et israéliennes a été bénéfique au peuple palestinien et gazaouie. L’accroissement du revenu par habitant, l’arrivée de la télévision ou de la radio, la disparition de certaines maladies ou le haut niveau de scolarisation sont souvent cités comme exemples. L’argumentaire de Sara Roy affirme le contraire. Les critiques font valoir que l’interaction est plutôt une intégration forcée de la structure économique de la bande de Gaza en Israël, et que les résultats indiquent que cela nuit à Gaza et bénéficie à Tel-Aviv. En effet, les résultats montrent la régression du secteur clé de l’économie de la bande de Gaza l’agriculture mais aussi l’industrie. La dépendance a produit une croissance, mais celle-ci est désarticulée et surtout orientée selon les besoins d’Israël. Pour s’en convaincre, il faut revenir en arrière. En 1948, l’économie de la bande de Gaza était sur le point de s’écrouler. La déclaration de l’Etat d’Israël, la première guerre arabe ont poussé des milliers de palestiniens vers la bande de Gaza. Le secteur agricole n’a pas pu absorber cet afflux massif. On parle d’une arrivée de 200,000 réfugiés installés dans huit camps, pour une population totale de 80,000. En effet, il n’y a que 14 pour cent des gazaouis qui peuvent vivre de la terre et 20 à 25 pour cent de ces terres sont concentrées dans les mains 89 ROY Sara, « The Gaza Strip : A case of Economic De-Development », Journal of Palestine Studies, 17 (1), 1987, p56-88. 90 ROY Sara, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372
  • 38. 38 d’un petit nombre de famille. L’agriculture, entre 1948 et 1967, est la première activité économique. Le secteur industriel existe mais est véritablement à un stade embryonnaire. Quelques jours avant l’occupation israélienne en 1967, les infrastructures économiques de la bande de gaza sont rudimentaires, et en l’absence d’un marché intérieur et d’une main d’œuvre qualifiée, l’économie stagne. L’occupation israélienne de la bande de Gaza pousse l’économie de l’enclave en contact direct avec l’économie de Tel Aviv. Cette rencontre va représenter une autre dislocation majeure. Petite, mal organisée et largement agricole, l’économie de Gaza possède peu de moyen pour résister aux effets d’une économie très industrialisée et technologiquement avancée comme celle d’Israël. En 1967, le produit intérieur brut de la bande de Gaza et de la Cisjordanie réunie (PIB) c’est-à-dire la production annuelle de richesse correspond à 2,6 pour cent de celui d’Israël. Dans les première année de l’occupation c’est-à-dire entre 1968 et 1973, l’économie de Gaza atteint un niveau de croissance extrêmement haut, en raison des revenus générés par l’arrivée de l’économie israélienne. Après 1973, ce taux de croissance descend à cause du début de la récession d’Israël. Les salaires des ouvriers gazaouis travaillant en Israël, sont responsables et contribuent directement à l’augmentation de la croissance du PIB de l’enclave. Cette contribution n’était que de 2 pour cent en 1967, elle est de 31 pour cent en 1973, 44 pour cent en 1984 et enfin de 70 pour cent en 2007. Ces faits éclairent d’une part la véritable base de l’économie de la bande de Gaza (les salaires des travailleurs détachés), et surtout prouvent la véracité de la dépendance économique de l’enclave à Israël. Les salariés de la bande de Gaza détachés en Israël a fortement augmenté au fil des années. Entre 1970 et 1985, les détachés en Israël sont passés de 10 pour cent à 45 pour cent, c’est-à-dire une augmentation de l’ordre de 600 pour cent. D’ailleurs ces chiffres sont surement sous-estimés car beaucoup de gazaouis travaillent en Israël de manière illégale, sans parler du travail des enfants. L’économie d’Israël a profité des avantages de la situation économique désastreuse de la Palestine et de la bande de Gaza. La possibilité d’avoir un accès illimité à une main d’œuvre pas qualifiée ou peu qualifiée a offert à Israël une réserve de travailleurs importante qu’il pouvait soit utiliser ou marginaliser sans risque pour sa propre économie. En période de prospérité, l’accès à cette main d’œuvre permettait de stabiliser les effets sur les salaires et notamment vers la hausse et en cas de récession, elle était facilement jetable. Cette dépendance des palestiniens à l’économie israélienne rendait la Palestine complètement vulnérable et démunis en termes économiques, sociales et politiques face aux exigences des israéliens. Au delà de cette dépendance économique transformée en dépendance politique, le
  • 39. 39 « de-development » entrainait des effets et des changements perceptibles dans de nombreux secteurs de l’économie de la bande de Gaza. En premier lieu, le secteur agricole. Entre 1948 et 1967, comme nous l’avons vu l’agriculture était la principale source de revenus de l’économie de l’enclave. Elle contribuait à plus d’un tiers du PIB, entre 33 et 40 pour cent de l’emploi et 90 pour cent de toutes les exportations. Entre 1967 et 1970 la part du secteur agricole dans le PIB de Gaza était de 8,8 pour cent et entre 1979 et 1981 ce taux est descendu à 0,9 pour cent à cause de l’afflux des travailleurs gazaouis détachés en Israël. Même chose pour les travailleurs du secteur avait un taux de 32 pour cent en 1970 pour arriver à moins de 18 pour cent en 1985. On retrouve une chute tout aussi importante quant aux terres utilisées. Il y’ avait de terres utilisées en 1968, près de 360500m2, en 1985 ce chiffre tombe à 100000m2. Israël a aussi décidé de réaliser un certain nombre de restriction, notamment en ce qui concerne les exportations. Les agriculteurs de Gaza ont interdiction d’exporter la plupart des fruits et des légumes sur le marché israélien, pour des raisons de compétitivité. Seuls certains produits, comme les framboises, les aubergines et les courgettes sont autorisées à entrer sur le marché israélien, car elles ne sont pas compétitives avec les produits israéliens. De l’autre côté, les producteurs israéliens ont un accès illimité au marché de la bande de Gaza. Les prix des fruits et légumes israéliens sont extrêmes compétitifs et rendent la vente de produits de l’enclave difficiles. Cette structure commerciale unilatérale a effectivement transformé la bande de Gaza en un dépotoir pour les produits israéliens et a crée une situation dans laquelle Gaza et la Cisjordanie sont les deuxièmes importateurs de produits israéliens (derrière les USA) alors que le marché palestinien, incapable de rivaliser, continue à avoir les plus hauts coûts de production et le marché le plus faible. Les restrictions touchent aussi le secteur de l’eau. En 2010, à Gaza, la consommation d’eau avoisine 100 à 120 millions de mètres cube par an. Sur ce total, 80 pour cent de l’eau sert à l’irrigation et les 20 pour cent restant à la consommation. En Israël, les chiffres sont différents puisque 57 pour cent de la consommation de l’eau sert à l’agriculture, 6 pour cent à l’industrie et 37 pour cent pour les usages domestiques 91 . A Gaza, les agriculteurs dépendent en grande partie des réservoirs d’eau situés à l’intérieur de l’enclave, mais où les puits sont très mal gérés, les réservoirs de plus en plus vides, et l’eau de mauvaise qualités à cause de son contact avec la mer méditerranéenne salée. Ils dépendent aussi des réserves du Néguev orientale mais où le sol est poreux et aride Par conséquent l’eau de plus en plus salée a détruit une partie des terres agricoles de la bande de Gaza. Malgré cette situation catastrophique, la société d’eau publique israélienne, Mekorot, a choisit de continuer 91 https://www.youtube.com/watch?v=TraIaxdFSBw