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Secrets de famille, Pascal Ladhalle
Un petit extrait...
Chapitre 1
J’ai quitté la route 90 pour enfiler la 65 et la pluie a fait son apparition. J’ai actionné
les essuie-glaces et leur balayage incessant m’a replongé dans mon enfance. À cette
époque, je devais avoir à peine plus de trois ans et mon oncle Gary était venu me
chercher à l’école avec son pick-up délabré. C’était la veille de sa disparition. Gary, le
petit frère de ma mère, n’avait pas de travail officiel. Il bricolait des voitures à
gauche, à droite, et vivait de cette marginalité. Quand il est venu me chercher à
l’école ce jour-là, je suis montée à bord de son pick-up pour rentrer. C’était un peu
stupide, on serait arrivé bien plus vite à pied en traversant par le parc. J’ai cru qu’il
allait me dire quelque chose, mais ma grand-mère est apparue au loin et elle m’a
ordonné de descendre pour la rejoindre, alors je suis descendue de la voiture et c’est
elle qui m’a ramenée chez nous. J’ai entendu les pneus du pick-up crisser et c’est la
dernière fois que j’ai vu oncle Gary. Un mois plus tard, on apprenait que le tueur de
l’Ohio venait de faire une deuxième victime : la fille des Garison, les voisins de deux
maisons plus loin. C’est à ce moment que la police a commencé à parler de tueur en
série. Au début, les enquêteurs ne voulaient pas faire de rapprochement entre ces
deux jeunes femmes, mais la signature du tueur était identique sur chacun des corps.
Ma grand-mère était paniquée. L’idée qu’une adolescente se fasse violer et tuer si
près de chez nous la rendait encore plus angoissée. Car à bien y réfléchir maintenant,
j’ai toujours connu ma grand-mère avec un visage fermé, comme si elle portait une
lourde charge morale en permanence. Elle n’adressait la parole à personne et fermait
la porte à double tour dès que nous rentrions nous terrer dans sa maison.
Durant mon adolescence j’ai demandé à ma grand-mère ce qu’était devenu oncle
Gary, alors qu’elle me tenait la main pour traverser la rue :
— Il est où oncle Gary ?
— Il est mort.
— Mais il devait m’emmener au parc !
Ce qu’il y avait de bien — ou de mal, c’est selon, — c’est qu’avec ma grand-mère
maternelle, il n’y avait pas de détour pour dire les choses. Elle me parlait comme à
une adulte et elle s’occupait très bien de moi. Il faut dire que ma mère n’a pas eu le
temps de me voir grandir. À tout juste vingt-deux ans, elle a été internée après mon
deuxième anniversaire dans un centre de santé mentale, à Mason, dans un service
psychiatrique situé à 24 milles de chez nous. D’après Donna, elle n’était plus en
mesure de s’occuper de moi. Les rares fois où je la voyais, c’était uniquement dans
son lit d’hôpital. Ma grand-mère et moi passions la journée là-bas. Nous partions tôt
le matin pour prendre le bus 78 après un quart d’heure de marche et une heure de
route plus tard sur un siège inconfortable, nous arrivions à l’hôpital.

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