1. 2012 - J'entends parler pour la première fois du projet d'implantation d'un Center-Parc au coeur
des bois de Chambarran, commune de Roybon, Isère. Les pours pensent qu'on ne crache pas sur
700 créations d'emploi, les contres qu'une multinationale à vocation capitaliste comme Pierre &
vacances n'a jamais enrichi aucun territoire.
2014 - Les Grands Projets Inutiles Notre-Dame-des-Landes ont médiatisé ces militant-es des
"Zones À Défendre". À l'occasion du meurtre de Rémy Fraisse en 2014, la sémantique a dérapé :
"jihadisme vert", "terrorisme vert", "black bloc". Plus prosaïquement, les médias cherchent à coller
aux zadistes une apparentée anarcho-libertaire ou altermondialiste. À peine sorti-ies du bois, les
zadistes sentent le souffre et la radicalisation.
Jeudi 16 juillet 2016 - Le Monde du vendredi 17 juillet 2016. "Le tribunal administratif de Grenoble
annule, au titre de la loi sur l'eau, un arrêté administratif indispensable à la construction du village
vacances, un projet de 990 habitations autour d'une bulle tropicale de 30 000 mètres cuves
chauffée à 29° toute l’année ».
Mardi 22 mars 2016 - L'Europe est sous le choc des attentats de Bruxelles et Paris. Je vais à leur
encontre, sans appareil photo ni carnet de notes. ILLES m'accueillent volontiers, échange de café
et de cigarettes. Plusieurs mois seront nécessaires pour se mettre d'accord sur un protocole de
validation des images qui respecte le droit à l'expression, le droit à l'image et la liberté de chacun.
Longtemps, je ne filmerai que des chiens, des mains et des outils et il faudra négocier les
interviews jusqu'à la dernière seconde. J'ai dormi là-bas, animé des ateliers de théâtre, de clown,
d'écriture, donné mon point de vue, accompagné certaines blessures car leur monde peut être
dangereux.
"Les principes ne sont bons que lorsqu'ils engendrent des actes." disait Vincent Van Gogh. Dans
mon monde on communique beaucoup, jusqu'à la sidération, jusqu'à regarder s'écraser nos
valeurs sous nos semelles de plomb. Dans le leur on expérimente, on plonge, jusqu'à l'épuisement
souvent mais c'est le prix de leur liberté. Liberté, le mot est lâché. Libre de monter l'objectif sur
leurs visages, de palabrer indéfiniment sur le sens d'une perception, de construire mon récit.
À propos de son film, La jetée, Chris Marker disait : "C'est une image de la conscience transformé
en perception.", est-ce consciemment que j'ai repris son procédé de reformage photographique ?
Ces arrêts sur images, ce brouillage des pistes qui a finalement traduit ma propre confusion vis à
vis d'un univers à percevoir plus qu'à comprendre.
J'ai filmé en noir et blanc parce que le vert des forêts me donnait un peu mal au coeur au montage
et que le fouillis des branches avalait mes personnages. J'ai parfois monté mes plans au hasard
sans cacher mon désarroi. J'ai regardé le récit s'organiser sous mes yeux.
Un jour, le tribunal administratif de Lyon à décrété que : « …/… la raison impérative d’intérêt public
majeur du projet…/… » n’était pas suffisante pour détruire des espèces protégées. Comme si un
camping de masse pouvait ne serait-ce qu’une seconde représenter un intérêt public majeur…
Fin de l’histoire, j’ai plié mes gaules. Gaz de schiste, déchets nucléaires, il y a d’autres combats
entre l’argent et les hommes à tenter de comprendre.