SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  101
Télécharger pour lire hors ligne
Tragédie des Communs et
environnement
La fiscalité en réponse aux enjeux climatiques
Auteur : Héline MERTEN
Promoteur : Marie LAMENSCH
Lectrice : Alice PIRLOT
Année académique 2019-2020
Master en droit, Finalité Droit de l’entreprise
Plagiat et erreur méthodologique grave
* A ce sujet, voy. notamment http://www.uclouvain.be/plagiat.
Le plagiat, fût-il de texte non soumis à droit d’auteur, entraîne l’application de la section 7 des articles
87 à 90 du règlement général des études et des examens.
Le plagiat consiste à utiliser des idées, un texte ou une œuvre, même partiellement, sans en mentionner
précisément le nom de l’auteur et la source au moment et à l’endroit exact de chaque utilisation*.
En outre, la reproduction littérale de passages d’une œuvre sans les placer entre guillemets, quand bien
même l’auteur et la source de cette œuvre seraient mentionnés, constitue une erreur méthodologique
grave pouvant entraîner l’échec.
Remerciements
Je souhaiterais ici faire part de toute ma gratitude à M. LAMENSCH qui, en tant que professeur m’a donné
le goût de la fiscalité et, en tant que promotrice, m’a permis d’aiguiser cette affinité, qui ne fera que
grandir encore, j’en suis convaincue.
Je tiens également à manifester ma reconnaissance à D. DE SCHOUTHEETE, pour m’avoir introduite au
monde de l’économie et pour le partage de sa Thèse.
J’aimerais aussi remercier ma mère, C. LEROY, pour la gentillesse incomparable dont elle a fait preuve
lors de ses relectures assidues.
Je remercie également mes proches, qui m’ont encouragée tout au long de ma rédaction, et tout
particulièrement, S. NOTHOMB, pour son soutien inébranlable en toutes circonstances.
Enfin, je ne puis m’empêcher de remercier tous les auteurs qui m’ont indirectement épaulée durant
l’écriture de ce mémoire, en poussant ma soif de connaissances toujours plus loin.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ............................................................................................................. 1
Chapitre I. Constater : Le paradoxe des engagements climatiques............................... 3
Section 1 – Le clivage international de la protection du climat..................................... 4
§1 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques........ 4
§2 Le Protocole de Kyoto ........................................................................................ 5
§3 L’Accord de Paris ............................................................................................... 7
§4 Le leadership environnemental européen ........................................................... 9
Section 2 – Instruments européens contre le réchauffement climatique...................... 10
§1 L’écotaxe européenne, un projet laissé-pour-compte ....................................... 11
§2 La directive taxation de l’énergie, un attrait raboté .......................................... 12
§3 Le système d’échange de quotas d’émissions, un instrument désabusé ........... 14
§4 Les taxes carbones nationales, une solution disparate...................................... 18
Section 3 – Causes de la non-harmonisation de la fiscalité du carbone ..................... 20
§1 Le lobbysme intense ......................................................................................... 20
§2 L’unanimité inaccessible .................................................................................. 21
§3 La concurrence normative nuisible................................................................... 21
§4 Les obligation paralysantes du marché unique ................................................. 22
Section 4 – Conclusion du Chapitre I. ......................................................................... 23
Chapitre II. Réformer : Perspectives pour la fiscalité du carbone................................ 25
Section 1 – Les bénéfices d’une réforme environnementale de la fiscalité................. 26
§1 Le respect du Principe pollueur-payeur ............................................................ 26
§2 Le dividende environnemental, la réduction des émissions de GES ................ 27
§3 Le dividende économique, un gain collectif..................................................... 31
Section 2 – Réformes aux différents niveaux de la chaine de production................... 35
§1 La taxation « upstream »................................................................................... 36
§2 La taxation « midstream »................................................................................. 38
§3 La taxation « downstream ».............................................................................. 40
Section 3 – Conclusion du Chapitre II......................................................................... 42
Chapitre III. Exporter : L’ambition climatique au-delà des frontières........................ 43
Section 1 – Les effets négatifs d’un marché global ..................................................... 44
§1 La perte de compétitivité des entreprises européennes..................................... 44
§2 Les fuites de carbones vers les pays non vertueux ........................................... 46
§3 L’augmentation du carbone importé................................................................. 46
Section 2 – Problématiques liées à un ajustement aux frontières ................................ 48
§1 Une taxe de compensation pour les secteurs hautement émissifs..................... 49
§3 Une exemption du coût du carbone pour les exportations................................ 50
§2 Un droit de douane sur base des politiques environnementales ....................... 51
Section 3 : Dénouement par la Taxe sur le Carbone Ajouté........................................ 52
§1 Les modalités d’implémentation....................................................................... 52
§2 La détermination délicate de la base d’imposition ........................................... 57
§3 L’impact global sur les émissions de CO2 ....................................................... 60
Section 4 – Conclusion du Chapitre III........................................................................ 61
CONCLUSION................................................................................................................ 63
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................... 65
TABLE DES FIGURES
Figure 1 : Taux effectifs moyens de taxation du carbone par pays ......................................... 19
Figure 2 : Volumes des échanges de quotas d’émission de l’UE (en millions de tonnes) ...... 34
Figure 3 : Les plus grands flux interrégionaux d'émissions incorporées dans le commerce (en
million de tonnes de CO2) ....................................................................................................... 48
Figure 4 : Chaîne de production de panneaux de signalisation routière en acier intégrant la
TCA.......................................................................................................................................... 54
« Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des
soins les moins attentifs. L’homme prend le plus grand soin de ce qui
lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun. »
ARISTOTE
La Politique, Livre II, IVème siècle av. J.-C.1
1
Cité par F. OST, La nature hors la loi: L'écologie à l'épreuve du droit, Paris, La Découverte, 2003, pp. 130 et
131.
1
INTRODUCTION
Notre écosystème, regorgeant de ressources naturelles accessibles à tous, représente la
scène idéale d’une version globalisée de la Tragédie des Communs2
. Cette théorie
économique, établie par G. HARDIN il y a près d’un demi-siècle, explique avec clairvoyance
qu’en présence d’un bien commun, chaque individu déduira d’une réflexion rationnelle qu’il a
tout intérêt à en maximiser son propre emploi3
. L’absence universelle d’un sentiment de
responsabilité quant à la régularisation de l’usage de la ressource conduit donc inévitablement
au déclin de celle-ci4
. Du point de vue des économistes, il existe trois façons de résorber cette
fatalité ; soit par le biais d’un droit coercitif établi par une autorité omnipotente qui, faisant
preuve d’une légitimité indéniable, parvient à fixer des limites quant à l’utilisation de la
ressource ; soit par un mécanisme de taxation établissant un signal-prix adéquat pour
l’utilisation de la ressource, en ce compris des externalités négatives résultant de son
altération ; soit par une combinaison de ces deux solutions5
.
En tout état de cause, une action multilatérale est la condition sine qua non de la
préservation du bien commun que représente notre environnement6
, en ce qu’il est nécessaire,
pour y parvenir, que les États abandonnent volontairement 80 % de leur or noir7
. Toutefois, en
raison de l’économie carbone8
qui s’est enracinée dans notre monde, les passagers
clandestins des accords climatiques font la loi. Il est donc vain d’espérer que certains
renoncent à l’exploitation de leurs richesses lorsque d’autres obtiennent les fruits d’une
consommation décuplée. Nous considèrerons donc, au long de cette contribution, quelle
solution serait la plus à même de créer un incitant puissant, apte à enjoindre un usage avisé
des ressources naturelles, sans quoi, une amélioration de l’état du climat relève de l’utopie.
2
K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, « La lutte contre les changements climatiques. Des engagements
internationaux aux politiques régionales », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1915, n° 10, 2006, p. 8.
3
G. HARDIN, « The Tragedy of the Commons », Science, Vol. 162, n° 3859, 13 December 1968, p. 1244.
4
K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, op. cit., p. 8.
5
G. BERTRAM, « William Nordhaus’s climate club proposal: thinking globally about climate change
economics », Policy Quarterly, vol. 12, mai 2016, p. 24.
Voir aussi : G. HARDIN, op. cit., p. 1245.
6
S. MALJEAN-DUBOIS, « Le multilatéralisme est-il vraiment en crise ? Quelques réflexions à partir de l’exemple
des enjeux environnementaux », in Droit, humanité et environnement (sous la dir. de M. ALI MEKOUAR et M.
PRIEUR), Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 137.
7
Intervention de N. HULOT dans le documentaire « Climat : le grand bluff des multinationales », Cash
Investigation, 2016 (1h55’25’’). Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=SP5MYeBdxiE&t=5881s
8
K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, op. cit., p. 36.
2
Dans le Chapitre I., il sera constaté que la mise en place d’une autorité mondiale
capable de réfréner les États dans leur utilisation fiévreuse des richesses de la Terre est
destinée à rester à l’état chimérique, en raison de l’opposition incessante du développement
économique aux contraintes écologiques, qui entravent la mise en place de dispositifs
concrets. Aussi, il sera démontré qu’en raison de la même diallèle, l’avant-gardisme
environnemental, manifesté au niveau international par l’Union européenne, ne fait pas l’objet
d’une application aboutie à l’intérieur de ses frontières.
Dans le but d’amener l’UE à établir le signal-prix du carbone nécessaire au
dénouement de la Tragédie des Communs, le Chapitre II. mettra tout d’abord en exergue les
bénéfices qu’elle pourrait tirer d’une réforme fiscale environnementale. Si elle est opérée à
l’aune du Principe pollueur-payeur, la transformation du paysage fiscal européen peut en effet
conduire à l’obtention d’un double dividende propice à la lutte contre le réchauffement
climatique. Ensuite, un panorama des réformes éventuelles sera dressé, comparant les attributs
respectifs de taxations placées à différents niveaux de la chaine de production. Nous
remarquerons qu’une carence leur est conjointe, en ce que ces formes de taxation faillent à
considérer le mouvement de globalisation caractérisant le XXIème
siècle.
À cet égard, le Chapitre III. spécifiera, dans un premier temps, les effets engendrés
par l’existence d’un marché globalisé qui, lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, peuvent
réduire à néant les efforts effectués à l’occasion d’une politique environnementale. Dans un
second temps, il sera procédé à une analyse des propositions européennes de mécanismes
d’ajustement aux frontières, destinés à contrer ces effets. Nous nous attarderons, en dernier
lieu, sur l’idée innovante d’une Taxe sur le Carbone Ajouté, qui serait capable de créer un
levier fiscale décisif pour sortir de la ligne tracée par la Tragédie des Communs, menant tout
droit à un réchauffement climatique menaçant.
3
CHAPITRE I. CONSTATER : LE PARADOXE DES ENGAGEMENTS CLIMATIQUES
Dans le sillage de la théorie de G.HARDIN, de nombreux États s’accordèrent à Paris
sur des objectifs ambitieux de gestion des énergies non renouvelables. Ce faisant, ils
négligèrent toutefois la virulence des passagers clandestins, pourtant déjà à l’origine de
l’ineffectivité du protocole de Kyoto9
. Agir de la sorte permet en effet d’obtenir les bénéfices
d’une action sans y prendre part et sans supporter les coûts y associés10
. Ainsi, il existe non
seulement un gain économique pour les États à rester en marge des accords climatiques11
,
mais aussi à ne pas respecter leurs éventuels engagements. Ils peuvent alors exploiter leurs
ressources au maximum12
, tout en laissant à d’autres le soin de régler la note climatique.
En définitive, nous serions en présence d’un « ordre juridique international
schizophrène dont l’hémisphère économique incite à ne pas ratifier et appliquer des normes
dont son hémisphère social ou écologique proclame la nécessité et l’universalité13
». Les
accords se résument alors plutôt à de simples déclarations de volonté qu’à la mise en place
d’une réelle autorité capable de réguler la consommation graduelle des énergies fossiles.
L’Union Européenne (ci-après, UE) quant à elle, bien qu’ayant toujours fait preuve d’un
leadership environnemental sur le plan international, fait état d’une politique climatique
intérieure affaiblie, en raison d’intérêts hétérogènes qui érodent l’effectivité du marché
unique.
Le présent chapitre s’attachera donc à établir un historique non exhaustif des grands
accords climatiques internationaux, ainsi que des instruments existants au sein de l’UE. Il se
clôturera par une explication de l’origine des dissensions européennes, dans le but d’apporter
quelques éclaircissements quant à l’état léthargique de la protection de l’environnement.
9
G. BERTRAM, op.cit., p. 23.
10
N. G. MANKIW, Principles of Economics, 7e
éd., Stamford, Cengage Learning, 2015, p. 218.
11
J.L. COMBES, P. COMBES-MOTEL et S. SCHWARTZ, « Un survol de la théorie des biens communs », Revue
d'économie du développement, vol. 24, No. 3, 2016, p. 63.
12
M. GERMAIN et V. VAN STEENBERGHE, « Constraining Equitable Allocations of Tradable CO2 Emission
Quotas by Acceptability », Environmental and Resource Economics, No 26, 2003, p. 469.
13
Propos d’A. SUPIOT à l’occasion de la conférence d’ouverture du XXIe Congrès de la Société internationale de
droit du travail et de la sécurité sociale, cités dans : M. DUPRÉ, « Le commerce mondial à l’heure de la
transition », Esprit, No. 3, mars 2020, p. 61.
4
SECTION 1 – LE CLIVAGE INTERNATIONAL DE LA PROTECTION DU CLIMAT
A. DAHAN, directrice de recherche émérite au Centre National de la Recherche
Scientifique français, résume l’état de la gouvernance climatique en ces mots : « Ces
instances de gouvernance que sont les COP de la Convention sur le Changement Climatique
ont jusqu’à présent entretenu ce schisme [de réalité] en encourageant une sorte de faux
optimisme et une apparence de progrès, alors qu’en réalité, il y a un immobilisme de la prise
de décision pendant que s’accélère une dégradation inexorable du climat14
».
§1 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
Malgré que les premières preuves scientifiques datent de la fin du 19ème
siècle,
l’existence et les conséquences du réchauffement climatique furent longtemps étrangères à la
sphère politique. La première Conférence Mondiale sur le climat, tenue en 1979, fut pour
cette raison exclusivement constituée « d’experts du climat et du genre humain15
». Suite aux
pressions de la communauté scientifique quant à l’importance de l’implication des
gouvernements dans la problématique climatique16
, le Groupe d'experts intergouvernemental
sur l'évolution du climat (ci-après, GIEC) fut créé en 1988, avec pour mission d’orienter les
décisions politiques, par le biais de rapports réguliers sur le changement climatique17
.
Le premier rapport du GIEC, soumis en 1990, mit en exergue la nécessité pour les
Nations Unies d’adopter ce qui sera la future Convention-cadre sur les changements
climatiques18
(ci-après, CCNUCC). La préparation de cette dernière fut confiée à une
enceinte ad hoc de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui ne devrait que « tenir
compte », l’auteur insiste sur ces termes, des conclusions du GIEC19
. Ainsi, alors même que
14
Propos de A. DAHAN, relatés par : The Shift Project, « Schisme de la réalité » : Amy Dahan sur la
gouvernance climatique », 22 septembre 2015. Disponible sur : https://theshiftproject.org/article/schisme-de-la-
realite-amy-dahan-sur-la-gouvernance-climatique/
15
J. W. ZILLMAN, « Historique des activités climatologiques », Bulletin de l’Organisation météorologique
mondiale, Vol. 58, No. 3, juillet 2009, p.143.
16
J. JOUZEL, M. PETIT et V. MASSON-DELMOTTE , « Trente ans d’histoire du Giec », La Météorologie, n° 100,
février 2018, p. 120.
17
CNRS, « Les experts du climat », CNRS Le Journal, n° 274, septembre-octobre 2013, p. 21.
18
Nations Unies, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée à New York le
9 mai 1992. Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf
19
M. PALLEMAERTS, « Le cadre international et européen des politiques de lutte contre les changements
climatiques », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1858-1859, n° 33, 2004, p. 17.
5
le GIEC soutenait que les activités humaines risquaient d’engendrer une hausse anormale des
températures et du niveau des eaux20
, la CCNUCC recommanda simplement aux Parties
signataires de la CCNUCC (ci-après, Parties) de développer des politiques climatiques21
, en
des termes imprécis et sans qu’aucun délai ou niveau de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (ci-après, GES) ne soit entériné22
. En regardant de plus près la CCNUCC, force
est de constater que ses auteurs entendaient plutôt rappeler que les règles de lutte contre le
changement climatique doivent rester subordonnées, tant aux impératifs économiques et
commerciaux23
, qu’au principe de la souveraineté des États24
. Ce conflit implicite entre les
réalités scientifique et politique illustre les prémisses de la tension qui forgera chaque
décision prise depuis lors, lorsque le développement économique sera gêné par les contraintes
écologiques.
§2 Le Protocole de Kyoto
Afin de répondre aux inquiétudes scientifiques de plus en plus corroborées du second
rapport du GIEC25
, les représentants d’une centaine de pays, sur les 166 Parties, se sont réunis
en 1997 pour la 3ème
COP (pour Conference of the Parties). Ils parvinrent à s’accorder sur un
objectif climatique qui, bien que peu ambitieux, avait le mérite d’être clair et contraignant. En
effet, 37 pays étaient légalement tenus par le Protocole de Kyoto26
de respecter un objectif
20
GIEC, Premier Rapport d'évaluation du GIEC, Juin 1992, p. 51 et s.
Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/05/ipcc_90_92_assessments_far_full_report_fr.pdf
21
I. AJALA, « Le changement climatique, le protocole de Kyoto et les relations transatlantiques », Politique
étrangère, vol. 1, printemps 2009, p. 105.
22
Voir par exemple l’Art. 2 CCNUCC : « L'objectif ultime de la présente Convention […] est de stabiliser […]
les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d'atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour
que les écosystèmes puissent s'adapter naturellement aux changements climatiques, que la production
alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d'une manière
durable. »
23
Voir par exemple l'Art. 3 § 5 CCNUCC : « […] il convient d'éviter que les mesures prises pour lutter contre
les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d'imposer des
discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce
commerce. »
24
Voir par exemple le Préambule de la CCNUCC : « Réaffirmant que le principe de la souveraineté des États
doit présider à la coopération internationale destinée à faire face aux changements climatiques ».
25
GIEC, Deuxième Rapport d'évaluation du GIEC, décembre 1995. Ce rapport apporte la preuve que la mutation
substantielle du climat en un siècle est due à l’activité humaine et n'est pas exclusivement d'origine naturelle.
Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/06/2nd-assessment-fr-1.pdf
26
Nation Unies, Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques,
1998. Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/convkp/kpfrench.pdf
6
total de 5 % de réduction des émissions de GES27
, sous peine de devoir « rattraper la
différence au cours de la deuxième période d’engagement, avec une pénalité de 30 % de
réduction supplémentaire28
». Le Protocole de Kyoto n’entrera en vigueur que 8 ans plus
tard29
, l’essor médiatique suscité par le troisième rapport du GIEC30
ayant sans nul doute
jouer un rôle pour pallier aux ratifications timides des États31
.
L’on pourrait donc voir dans le protocole de Kyoto une représentation de la première
solution à la Tragédie des Communs, en ce qu’il limite l’utilisation des ressources naturelles
et y associe des sanctions. Toutefois, la première période du Protocole de Kyoto se solda par
une réussite pour le moins biaisée. En effet, même si l’Organisation des Nations Unies
estimait que la baisse des émissions de GES était de 24 %32
, les pays participants ne
représentaient que 18 % des émissions mondiales, étant donné que les plus gros émetteurs de
GES, à savoir les États-Unis33
, le Canada, la Chine et l’Inde, refusèrent de participer34
. La
deuxième période du Protocole de Kyoto devait être couverte par l’amendement de Doha35
,
conclu lors de la COP18 en 2012. Il prévoyait un objectif de réduction des émissions de GES
de 20 % pour la décennie suivante. Néanmoins, les 144 ratifications nécessaires à son entrée
en vigueur n’ont jamais été obtenues.
27
L’article 3 du Protocole de Kyoto prévoit que les Parties visée à l’Annexe I doivent « réduire le total de leurs
émissions de ces gaz d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d’engagement allant
de 2008 à 2012. »
28
F. COLLARD, « La Politique énergétique en Europe », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2403-2404, n°
38, 2018, p. 17. La menace d’une telle sanction conduira d’ailleurs au retrait du Canada en 2011.
29
UNFCC, Le Protocole de Kyoto entrera en vigueur le 16 février 2005, Communiqué de presse du 18
novembre 2004. Disponible sur :
https://unfccc.int/files/press/news_room/press_releases_and_advisories/application/pdf/press041118_fre.pdf
30
GIEC, Bilan 2001 des changements climatiques : Rapport de synthèse, Contribution des Groupes de travail I,
II, et III au Troisième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat,
2001. Ce rapport apporte la preuve que l’existence et les conséquences d’un réchauffement climatique ont des
origines anthropiques. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/TAR_syrfull_fr.pdf
31
L’article 25 § 1er
du Protocole de Kyoto prévoit que celui-ci doit être ratifié par un minimum de 55 pays
représentant au moins 55% des émissions de GES des Parties liées pour entrer en vigueur.
32
F. COLLARD, op.cit., p. 18.
33
Lors de la Présidence de George W. Bush, les États-Unis justifièrent leur refus sur base de l’absence de
contrainte pour les pays en développement, notamment la Chine et l’Inde.
Voir : R. S. AVI-YONAH et D. M. UHLMANN, « Combating Global Climate Change: Why a Carbon Tax is a
Better Response to Global Warming than Cap and Trade », Stanford Environmental Law Journal, vol. 28, n° 3,
2009, p. 18.
34
Site web officiel de l’Union européenne, 1re période d’engagement du protocole de Kyoto (2008-2012).
Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/progress/kyoto_1_fr
35
Nations Unies, Amendement au Protocole de Kyoto, adopté par la décision 1/CMP.8, le 8 décembre 2012.
Disponible sur : https://unfccc.int/files/kyoto_protocol/application/pdf/kp_doha_amendment_french.pdf
7
§3 L’Accord de Paris
Constatant l’absence avérée de convergence mondiale au sujet de la protection du
climat, dont l’une des illustrations est la non-adoption de l’accord de Copenhague lors de la
COP 15 en 200936
, les Parties adoptèrent l’Accord de Paris (ci-après, l’Accord) en 201537
, en
ayant recours à la notion de préoccupations communes à l’humanité38
. L’idée sous-jacente,
parallèle au raisonnement de la Tragédie des Communs est que, lorsqu’il s’agit de la
protection de l’environnement, certaines activités ou ressources, qui dépendent normalement
de la souveraineté des pays, peuvent être administrées via une gestion en coopération39
.
Toutefois, c’est sous le joug de la flexibilité40
qu’œuvrèrent les acteurs de la COP21, et cela
fait écho dans plusieurs aspects de l’Accord. Tout d’abord, les Parties se sont accordées sur
une cible à tout le moins nébuleuse. Il s’agit de limiter, dans les meilleurs délais41
, l’élévation
des températures à 2°C, en se rapprochant le plus possible des 1.5°C42
. Les Parties espèrent
atteindre cet objectif commun par des contributions déterminées au niveau national,
réévaluées tous les 5 ans43
. Or, il s’agit en réalité de promesses de réduction des émissions de
GES révocables à souhait et ne possédant pas les caractéristiques d’une obligation juridique,
en ce qu’elles sont inscrites dans un registre en marge de l’Accord44
.
36
Nations Unies, Rapport de la quinzième session de la Conférence des Parties tenue à Copenhague du 7 au 19
décembre 2009, 30 mars 2010. Il y est fait mention avant la retranscription de l’Accord de Copenhague, à la
page 4, que « La Conférence des Parties, Prend note de l’Accord de Copenhague du 18 décembre 2009. »
Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/2009/cop15/fre/11a01f.pdf#page=4
Pour plus de détails à ce sujet, voir : E. BURLESON, « Climate Change Consensus: Emerging International Law »,
William and Mary Environmental Law and Policy Review, vol. 34, n° 543, 2010, pp. 544-554.
37
Nations Unies, Accord de Paris, décembre 2015. Disponible sur :
https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_french_.pdf
38
T. LARGEY, Le statut juridique de l'air: Fondements pour une théorie de l'air en tant que chose commune, en
droit suisse et international, Berne, Stämpfli Verlag, 2017, p. 237.
39
OCDE, Principes et concepts environnementaux, OCDE/GD(95)124, Paris, 1995, p. 10. Disponible sur :
http://www.oecd.org/officialdocuments/publicdisplaydocumentpdf/?cote=OCDE/GD(95)124&docLanguage=Fr
40
Pour plus d’informations à ce sujet, voir : M. LEMOINE-SCHONNE, « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les
changements climatiques », Revue juridique de l’environnement, Vol. 41, n° 1, 2016, pp. 37 à 55.
41
Voir l’Art. 4 §1 de l’Accord : « En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé́ à l’article 2,
les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs
délais […] ».
42
Voir l’Art. 2 §1 de l’Accord : « Le présent Accord […] vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des
changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté́,
notamment en : a) Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C
par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température
à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les
effets des changements climatiques; […] ».
43
Voir l’Art. 4 §9 de l’Accord.
44
M. LEMOINE-SCHONNE, op. cit., p. 39.
8
L’approche latitudinaire adoptée dans le texte est aussi illustrée par l’absence de
sanction en cas de non-respect de l’Accord, ce qui marque l’écart par rapport au régime de
Kyoto. La seule crainte d’une Partie défaillante est celle de se retrouver sur le banc des
cancres du climat45
, place qu’occupent actuellement les États-Unis, depuis leur retrait de
l’Accord en juin 201746
. Étant donné que, selon la logique des passagers clandestins, les
participants à l’Accord ont, in fine, intérêt à ne pas respecter leurs engagements, un certain
pessimisme peut se faire sentir quant à la réelle observation des contributions nationales47
.
D’ailleurs, les différentes COP qui ont succédé à Paris ne furent guère synonyme de nouveaux
engagements contraignants48
, alors même que parvenir à cet objectif de 2°C nécessiterait,
selon le GIEC, « une réduction mondiale de 40 à 70 % des émissions anthropiques de GES
entre 2010 et 2050, et des émissions presque nulles, voire des émissions négatives en
210049
». L’inertie de la communauté internationale témoigne du fait que Paris n’était sans
doute que la clé ouvrant le passage vers une nouvelle ère de diplomatie climatique50
. L’ennui
est que, comme le disait C. DE GAULLE, « La diplomatie est l'art de faire durer indéfiniment
les carreaux fêlés51
». À une heure où les États pavent impunément un chemin menant tout
droit à un réchauffement climatique dangereux52
, la formation d’un front commun pour s’en
détourner est plus que jamais nécessaire.
45
S. LAVALLÉE et S. MALJEAN-DUBOIS, « L’Accord de Paris : Fin de la crise du multilatéralisme climatique ou
évolution en clair-obscur ? », Revue juridique de l’environnement, Vol. 41, n° 1, 2016, p. 27.
46
C. HUGLO, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 155.
47
J.L. COMBES, P. COMBES-MOTEL et S. SCHWARTZ, op.cit., p. 65.
48
Site fédéral belge « Climat.be », Politique climatique internationale – Conférences climatiques. Disponible
sur :
https://climat.be/politique-climatique/internationale/conferences-climatiques
49
GIEC, Cinquième rapport d’évaluation du GIEC, Changements climatiques 2014 : Rapport de synthèse, 14
novembre 2014, p. 21.
Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf
50
S. LAVALLÉE et S. MALJEAN-DUBOIS, op. cit., p. 36.
51
C. DE GAULLE, Lettres, notes et carnet, Tome 1, Paris, Plon, 1988, p. 88.
52
Service Copernicus concernant le changement climatique, Warming trend shows 11 of the 12 warmest years
occurred since 2000, according to the Copernicus European State of the Climate report, Communiqué de presse
du 22 Avril 2020. Disponible sur : https://climate.copernicus.eu/warming-trend-shows-11-12-warmest-years-
occurred-2000-according-copernicus-european-state-climate
9
§4 Le leadership environnemental européen
C’est au début des années 1970 que l’UE posa les premières pierres de sa lutte pour
l’environnement, qu’elle poursuit donc aujourd’hui depuis un demi-siècle53
. D’abord actrice
clé des négociations du Protocole de Kyoto54
, elle invoqua ensuite l’impérativité d’adopter un
nouvel accord juridique contraignant pour la « deuxième période Kyoto »55
, un appel à
l’action internationale qui, comme nous l’avons mentionné, restera vain. Toutefois, le front
commun européen porta ses fruits à Paris, lors de la COP21. Les États membres de l’UE (ci-
après, EM) ont non seulement soutenu avec ardeur l’importance de la prise d’engagements
nationaux rapides et élevés56
, mais parvinrent aussi à échafauder la construction d'une
coalition de haute ambition, comprenant les États-Unis, qui obtint la rédaction de l’objectif
subsidiaire de 1,5°C57
. Nonobstant, consciente des lacunes de ces accords internationaux,
considérés par certains comme un nouveau modèle de l’auberge espagnole58
, l’UE plaça la
lutte contre le changement climatique au premier rang de son agenda politique, asseyant sa
position de leader environnemental par la déclaration d’objectifs ambitieux59
. Elle parvint à
réduire ses émissions de GES de 23 %, tandis que son économie enregistrait une croissance de
61 % entre 1990 et 201860
. Ce faisant, elle prouva au monde entier qu’il est manifestement
possible d’allier un développement économique constant à une politique environnementale
exigeante.
53
Institute for European Environmental Policy, Report on the influence of EU policies on the environment, août
2013, p. 5. Disponible sur :
http://assets.wwf.org.uk/downloads/final_report___influence_of_eu_policies_on_the_environment.pdf
54
M. PALLEMAERTS, op. cit., p. 45.
55
T. ELOLA CALDERÓN ET E. VAN DEN ABEELE, « La présidence belge de l'Union européenne : organisation et
priorités » Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2072, n° 27, 2010, p. 39.
56
Par exemple, le discours de F. Hollande : « Le plus grand danger n’est pas que notre but soit trop élevé et que
nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignons. Alors plaçons, le plus haut possible, notre
ambition pour que nous puissions au moins l’approcher. C’est en visant haut que l’on décidera pour longtemps
de la vie sur notre planète. » Voir : F. HOLLANDE, Ouverture du « Leaders’ event » COP21, Paris-Le Bourget, 30
novembre 2015, p.7. Disponible sur :
https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/cop21cmp11_statement_hollande.pdf
57
A. BARICHELLA, « Comment l’Europe peut et doit devenir le gardien de l’Accord de Paris sur le changement
climatique », Fondation Robert Schuman - Question d'Europe, n° 450, 6 Novembre 2017, p. 3.
58
O. GODARD, « L’ajustement aux frontière, condition de la crédibilité d’une politique européenne du climat
ambitieuse », Revue de l’OFCE, vol. 1, n° 120, 2012, p. 178.
59
A. SAUSSAY, P. MALLIET, G.L. RIVERA (et al.), « Building a consistent European climate-energy policy », in
Report on the State of the European Union, (sous la dir. de J. CREEL, E. LAURENT et J. LE CACHEUX), Cham,
Palgrave Macmillan, 2018, p. 176.
60
Commission européenne, Questions et réponses sur la loi européenne sur le climat et le pacte européen pour
le climat, Bruxelles, le 4 mars 2020, p. 1.
10
C’est au début des années 2000 que les rouages de la puissance normative de l’UE
prirent de l’ampleur, avec notamment l’adoption de la Directive établissant le système
d’échange de quotas d’émission61
(ci-après, Directive SEQE) en 2005, et l’adoption du
Programme européen sur le changement climatique en 201162
. Suivirent ensuite, plus
ambitieux les uns que les autres, les Paquets Climat de 2007 et 2014, le Paquet Union de
l’énergie de 2015 et le Paquet énergie propre pour tous les Européens de 201663
. Le dernier
en date est le Pacte Vert pour l’Europe (ci-après, Pacte Vert), présenté par la « Commission
von der Leyen » le 11 décembre 201964
. Il a pour ambition de « faire de l'Europe le premier
continent neutre sur le plan climatique, avec des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles
d'ici 205065
».
SECTION 2 – INSTRUMENTS EUROPÉENS CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Toutefois, le leadership climatique, transparaissant dans l’ensemble des engagements
politiques précités, n’occasionne pas l’écho auquel on pourrait s’attendre dans le domaine de
la fiscalité environnementale. L. ÉLOI, économiste et conseiller scientifique à l’Observatoire
français des conjonctures économiques, compare en effet l’ambition climatique européenne à
une pyramide sans base, qui nécessiterait une réforme solide de la tarification carbone66
.
61
Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/ce du
Conseil, J.O.U.E., 25 Octobre 2003, L 275, p. 32.
62
« Le programme européen sur le changement climatique (PECC) est un programme de la Commission
européenne qui réunira toutes les parties intéressées et leur permettra de participer aux travaux préparatoires sur
les politiques et mesures communes et coordonnées destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. »
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les politiques et mesures
proposées par l'UE pour réduire les émissions de gaz à effet de serre: vers un programme européen sur le
changement climatique (PECC), C.O.M. (2000), 88 final.
Disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52000DC0088&from=FR
63
F. COLLARD, op. cit., pp. 8, 21, 23 et 25.
64
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité
économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final.
Disponible sur : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_fr.pdf
65
Site fédéral belge « Climat.be », Politique climatique européenne – Pacte vert.
Disponible sur : https://climat.be/politique-climatique/europeenne/pacte-vert
66
L. ÉLOI, « Faut-il négocier notre avenir climatique au moyen de quantités d’émissions ou de prix du
carbone ? », Négociations, vol. 24, No. 2, 2015, p. 44.
11
§1 L’écotaxe européenne, un projet laissé-pour-compte
Les fondements de l’UE que nous connaissons aujourd’hui proviennent de la
Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, créée en 1952, dont la Haute Autorité
était habilitée à établir des prélèvements sur la production d’acier et de charbon67
. Dans la
continuité de la création, par les pères fondateurs, d’une Europe harmonisée, une écotaxe
ayant pour objectif de taxer, au niveau européen, les émissions de CO2 et la consommation
d’énergie fut proposée en 199268
. Un rapport d’information69
, rédigé à cet effet, souligne que
cette « nouvelle taxe perçue cette fois sur le charbon et le pétrole consommés pour produire
de l'énergie, pourrait prendre le relais du prélèvement CECA », et ajoute qu’elle serait
« seulement parée de sa bonté intrinsèque de pénalisation d’une cause de pollution, selon le
principe du "pollueur-payeur" ».
Toutefois, les disparités socio-économiques des EM70
et l’hostilité des lobbys
industriels eurent raison de son adoption71
. Les politiques nationales fragmentées
remplacèrent donc rapidement la vision originelle européenne d’une utilisation coordonnée de
l’énergie72
. L’article 194 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (ci-après,
TFUE) ne fournit en effet pas les outils nécessaires pour assurer une harmonisation dans ce
domaine. Bien qu’il octroie à l’UE le droit de créer un cadre général en la matière, il réaffirme
en même temps le principe de souveraineté de chaque EM73
, quand il s’agit de « déterminer
les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes
sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique […]74
». Suite
à ce refus, le Conseil Ecofin, rassemblant les Ministres de l’Économie et des Finances,
67
Art. 49 du Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, signé à Paris le 18 avril 1951.
68
Proposition de directive du Conseil instaurant une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et sur
l'énergie, C.O.M. (1992) 226 final.
Disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:51992PC0226&from=LT
69
Rapport d’information sur la proposition modifée de directive du Conseil instaurant une taxe sur les émissions
de dioxyde de carbone et sur l'énergie, fait au nom de la délégation du Sénat pour l’Union européenne (Rapp. M.
P. FRANÇOIS), P.E. Doc, n° 210 (1995-1996) du 13 février 1996, p. 8.
70
B. DE KERCKHOVE, « Taxation des produits énergétiques et de l’électricité », in Environnement : Taxes et
subsides 2018, (sous la dir. de P. DE RIDDER), Liège, Wolters Kluwer, 2018, p. 335.
71
N. A. BRAATHEN, “The political economy of environmental taxation”, in Handbook of research on
Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012,
pp. 231 à 234 et 241.
72
T. PELLERIN-CARLIN, « L'Union de l'énergie aux prises avec les lobbies », L'Économie politique, vol. 74, No.
2, 2017, p. 55.
73
F. COLLARD, op. cit., p. 7.
74
Art. 194 §2 al. 2 TFUE
12
requerra de la Commission, en 1997, qu’elle présente un projet relatif à une autre forme de
taxation qui, bien que ne présentant pas les caractéristiques attachées à la définition stricte
d’une taxe carbone, maintiendrait la préservation de l’environnement comme objectif
principal75
.
§2 La directive taxation de l’énergie, un attrait raboté
C’est ainsi qu’une harmonisation timide vit finalement le jour dans le texte de la
Directive du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits
énergétiques et de l’électricité76
(ci-après, DTE). Il s’agit de droits d’accises que les EM
prélèvent pour leur propre compte, en respectant les taux minimaux établis par ladite DTE.
Son champ d’application couvre les produits énergétiques seulement lorsqu’ils sont employés
comme carburant ou combustible77
et exclut donc tout autre usage comme, par exemple, leur
utilisation en tant que matière première ou en tant que bien intermédiaire78
. Peu de temps
après son adoption, son contenu pourtant déjà étriqué fut d’avantage dénaturé par les EM, qui
multiplièrent les régimes de faveur pour leurs entreprises, sous le couvert de la protection des
économies européennes79
. Le point de friction réside donc dans l’existence de taux nationaux
disparates auxquels viennent se greffer une myriade d’exonérations et de réductions, dont la
combinaison donne lieu à ce que l’on peut qualifier de subventions aux combustibles fossiles,
une incompatibilité flagrante avec le Pacte Vert80
.
De surcroit, ces droits d’accises se basent uniquement sur la quantité consommée de
ces produits81
. Ce calcul ne tient donc pas compte de leur contenu énergétique, favorisant par
75
B. DE KERCKHOVE, op. cit., p. 335.
76
Directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des
produits énergétiques et de l'électricité, J.O.U.E., 31 octobre 2003, L 283, p. 51.
77
Art. 2 § 1er
de la DTE
78
Site web officiel de l’Union européenne, Évaluation du cadre de l’UE pour la taxation des produits
énergétiques et de l’électricité. Disponible sur : https://ec.europa.eu/info/consultations/evaluation-eu-framework-
taxation-energy-products-and-electricity_fr
Voir aussi l’Art. 2 § 4 de la DTE
79
S. CAUDAL, La fiscalité de l’environnement, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2014, p. 83.
80
CITEPA, Nouvelle tentative de la Commission de réviser la Directive sur la taxation de l’énergie
(consultation publique), 25 mars 2020. Disponible sur : https://www.citepa.org/fr/2020_03_a09/
81
Art. 2 et Art. 4 §2 de la DTE
13
conséquent certains produits par rapport à d’autres, et notamment, le charbon82
. Ce faisant, la
DTE ne considère pas non plus le contenu énergétique plus faible des produits issus de
sources renouvelables, qui sont alors taxés à un taux défavorable ; celui retenu pour le
combustible ou le carburant auxquels ils se substituent83
. Pour pallier ce manque de
cohérence, la Commission proposa en 2011 de distinguer deux composantes pour
l’élaboration du taux de taxation ; l’une relevant des émissions de CO2 résultant de la
consommation des produits concernés, l’autre fondée sur le contenu énergétique de ces
produits84
. Cette approche par le contenu, favorisant le nucléaire, était soutenue par la France
mais désapprouvée par les EM n’ayant plus recours au nucléaire, comme le Danemark ou
l’Autriche85
. À nouveau, les positions divergentes des EM conduisirent la Commission à
retirer sa proposition86
.
L’incohérence manifeste de la DTE fut, en fin de compte, reconnue vers la fin 201987
.
Une nouvelle phase de révision est en cours depuis lors, dont l’objectif principal est de
remédier aux déséquilibres créés par la DTE qui, en adressant des signaux-prix erronés,
découragent les consommateurs à s’orienter vers une forme d’énergie plus verte et plus
efficace88
. Selon la Commission, la révision de la DTE est l’un des moyens nécessaires pour
garantir la tarification correcte du carbone dans l’économie européenne, qui contribuera à
l’objectif de neutralité carbone fixé pour 205089
. Il s’agirait donc de rapprocher la DTE de
l’ambition climatique européenne, d’une part, en promouvant les énergies renouvelables ayant
fait leur entrée sur le marché, et d’autre part, en rationnalisant tant les exonérations en faveur
82
Proposition de Directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre
communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, Exposé des motifs, C.O.M. (2011) 169
final, p. 3.
83
Art. 2 § 3 de la DTE
84
Proposition de Directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre
communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, Exposé des motifs, C.O.M. (2011) 169
final, pp. 5 et 6.
85
S. C. AYKUT, « Gouverner le climat, construire l'Europe : l'histoire de la création d'un marché du carbone
(ETS) », Critique internationale, vol. 62, No. 1, 2014, p. 46.
86
CITEPA, Nouvelle tentative de la Commission de réviser la Directive sur la taxation de l’énergie
(consultation publique), 25 mars 2020. Disponible sur : https://www.citepa.org/fr/2020_03_a09/
87
Projet de conclusions du Conseil sur le cadre de l'UE en matière de taxation de l'énergie, OR-14608/19, 29
novembre 2019. Disponible sur : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14608-2019-INIT/en/pdf
88
Commission staff working document evaluation of the Council Directive 2003/96/EC of 27 October 2003
restructuring the Community framework for the taxation of energy products and electricity, S.W.D. (2019) 329
final, p. 37. Disponible sur : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/energy-tax-report-2019.pdf
89
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité
économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final, p. 6.
14
des carburants d’aviation et des combustibles maritimes, que les subventions dont bénéficient
encore aujourd’hui les énergies fossiles90
.
§3 Le système d’échange de quotas d’émissions, un instrument désabusé
Notion. La Commission, ayant d’abord opté pour l’utilisation d’instruments fiscaux
harmonisés avec sa proposition d’écotaxe, fut finalement contrainte de se tourner vers les
instruments économiques de nature non fiscale91
. C’est dont en 2005 qu’elle inaugura la mise
en place du Système d’échange de quotas d’émission de GES92
(ci-après, SEQE), en tant que
fer de lance de son action climatique. Il s’applique couramment dans les 27 EM de l'UE ainsi
qu’à l'Islande, au Liechtenstein, à la Norvège93
et jusqu’au 31 décembre 2020, au Royaume-
Uni94
. Par souci de clarté, nous utiliserons la notion d’EM lorsque nous ferons référence aux
pays participants. Le SEQE fonctionnant selon la logique du cap and trade, son but est de
plafonner les émissions de GES, en fixant une quantité maximale de quotas95
, pour les
entreprises de secteurs définis96
. Il s’agit des secteurs industriels à forte intensité énergétique,
tels que la métallurgie, la cimenterie, la production d'électricité, l’industrie manufacturière, la
chimie, ainsi que le secteur de l’aviation, ajouté ultérieurement97
. Le volume total des quotas
qui leurs sont alloués est ensuite réduit chaque année afin d’entrainer une hausse du prix du
carbone et d’inciter aux investissements verts98
. Enfin, un marché aux enchères permet aux
90
Agence Europe, “Official launch of work on revision of Energy Taxation Directive”, Europe Daily Bulletin
No. 12439, 5 mars 2020. Disponible sur : https://agenceurope.eu/en/bulletin/article/12439/17
91
M. PALLEMAERTS, op. cit., p. 52.
Pour une analyse complète de ce revirement voir : S. C. AYKUT, op.cit., pp. 39-55.
92
Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/ce du
Conseil, J.O.U.E., 25 Octobre 2003, L 275, p. 32. (citée : Directive SEQE)
93
Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE).
Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr
94
A partir de 2021, le Royaume-Uni aura son propre système d’échange de quotas d’émission. Voir : Lexology,
United Kingdom: Government publishes details of new post-Brexit Emissions Trading System, 17 juin 2020.
Disponible sur : https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=91f710a3-d34e-4e43-84f8-30ff8fdf0ce4
95
La Directive SEQE donne la définition suivante : « le quota autorisant à émettre une tonne d'équivalent-
dioxyde de carbone au cours d'une période spécifiée […] ». Elle précise ensuite qu’une tonne d'équivalent-
dioxyde de carbone correspond à « une tonne métrique de dioxyde de carbone (CO2) ou une quantité de tout
autre gaz à effet de serre visé à l'annexe II ayant un potentiel de réchauffement planétaire équivalent ».
Voir l’art. 3, a) et j) de la Directive SEQE.
96
Les secteurs et le seuils minimaux d’émissions sont définis dans l’Annexe I de la Directive SEQE.
97
Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE).
Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr
98
Union européenne, Le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS), Fiche
d’information de la Commission européenne, 2013. Disponible sur :
https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/factsheet_ets_fr.pdf
15
entreprises qui émettent un niveau inférieur aux quotas qui leur ont été alloués, de vendre
leurs surplus et, inversement, à celles qui auront dépassé leurs seuils, d’en acheter99
.
Fraudes. Toutefois, ce mécanisme n’est pas sans faille. Compte tenu du fait que la
TVA s’applique aux transactions de quotas100
, le SEQE fut tout d’abord la proie d’une fraude
carrousel sans pareille101
, mais la spécificité de cet instrument ouvrit la voie à d’autres
complications. Lors de la phase de lancement du SEQE, chaque EM reçut la tâche de
déterminer son plan national d’allocation, c’est-à-dire, le nombre de quotas nécessaires à
celles de ses industries qui sont couvertes par le SEQE102
. Les EM, subissant la pression
intense des différents lobbys industriels103
et, dans le même temps, désireux de prémunir leurs
entreprises contre les inconvénients liés à la naissance d’un prix associé à la pollution (voy.
infra. Chapitre III.), provoquèrent une sur-allocation de quotas104
. Dans cette même optique
de sécurité économique, ils décidèrent d’opter pour une distribution à titre gratuit de ces
quotas105
, à laquelle s’ajouta un pourcentage de réduction annuelle peu ambitieux106
. Cet
agencement permit à un grand nombre d’entreprises de profiter de ce système ; un groupe
cimentier européen empocha par exemple, entre 2010 et 2014, quelques 485 millions d’euros
en revendant la quantité excessive de quotas reçus à titre gratuit, sans qu’il fût possible de
vérifier si cette somme avait été utilisée pour financer des projets environnementaux107
.
99
J. RATNATUNGA et K. R. BALACHANDRAN, « Carbon Emissions Management and the Financial Implications
of Sustainability », in Corporate Sustainability, (sous la dir. de P. TATICCHI et al.), Berlin, Springer, 2013, p. 65.
100
Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen
du carbone, C.O.M. (2019) 557 final/2, p. 37. Disponible sur :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52019DC0557R(01)&from=EN
101
Pour plus d’information sur ce sujet, voir : X. RAUFER, « Aveugles, arnaqueurs et assassins : morts et
milliards de la ‘’taxe carbone‘’, 2008–... », Sécurité globale, vol. 11, n° 3, 2017, pp. 141-152.
102
F. VENMANS, « L'efficacité environnementale et économique du marché du carbone européen », in Courrier
hebdomadaire du CRISP, vol. 2099-2100, n° 14, 2011, p. 11.
103
Pour plus d’informations à ce sujet, voir : P. MARKUSSEN et G. T. SVENDSEN, “Industry lobbying and the
political economy of GHG trade in the European Union”, Energy Policy, vol. 33, Issue 2, January 2005.
Voir aussi : L. LOHMANN, « Carbon Trading. A critical Conversation on Climate Change, Privatisation and
Power », Development dialogue, No .48, Uppsala, Dag Hammarskjöld Foundation, 2006, pp. 81, 87 à 89 et 119.
104
F. VENMANS, op. cit., p. 11.
105
Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) -
Phases 1 et 2 (2005-2012). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/pre2013_fr
106
A savoir 1,74 %. Il passera à 2,2 % en 2021. Voir l’art. 9, al. 1er
de la Directive SEQE
107
L’ancien directeur général de la DG CLIMA, J. DELBEKE, après avoir pris connaissance de la fraude, reconnu
que son service ne disposait pas d’un mandat qui permettrait de procéder à une telle vérification. Propos relaté
dans le documentaire de Cash Investigation « Climat : le grand bluff des multinationales », 56 minutes.
Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=SP5MYeBdxiE
16
Signal-prix du carbone. De surcroit, cette sur-allocation engendra l’absence totale
d’un signal-prix du carbone108
, alors qu’il s’agit d’un outil primordial pour contrer
l’effervescence de la Tragédie des Communs. D’abord nul durant les premières années109
, le
signal-prix du carbone est resté très bas suite à la crise financière de 2008 et l’émergence des
énergies renouvelables, qui produisirent une baisse des émissions, tout en tronquant le
mécanisme du SEQE, alors gorgé de quotas non utilisés110
. De ces périodes de dépression du
prix du carbone, il résulte, sur le long terme, une augmentation générale des émissions de
GES. En effet, « tous les projets d'investissement qui avaient été élaborés sur la base d'un prix
plus élevé se trouvent financièrement mis en danger111
», mettant alors en péril les entreprises
à leur origine. En conséquence, à la fin d’une période de crise, seules restent présentes sur le
marché les entreprises non créatrices d’innovations vertes, dont les investissements n’ont pas
souffert de cette baisse du prix du carbone.
À partir de 2013112
, la mise aux enchères d’une partie des quotas, ceux des secteurs
qui ne sont pas exposés à un risque important de fuites de carbone113
(voy. infra Chapitre III.),
permit de rehausser le prix de la tonne de carbone, qui restera néanmoins plafonné à 10 euros
jusqu’en 2018114
. Depuis son entrée en vigueur en janvier 2019, une réserve de stabilité
permet de contrôler et d’ajuster la quantité de quotas disponibles115
. Cette dernière
amélioration permit au SEQE d’arborer un prix du carbone variant aux alentours de 25 euros
108
F. VENMANS, op. cit., p. 12.
109
Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) -
Phases 1 et 2 (2005-2012). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/pre2013_fr
110
A. GRANDJEAN et M. MARTINI, « Signal-prix carbone : où en est-on ? », Futuribles, vol. 418, n° 3, 2017, p.
53.
111
L. ÉLOI et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en
présence », in Revue de l'OFCE, vol. 116, No. 1, 2011, p. 399.
112
Règlement (UE) n° 1031/2010 de la Commission du 12 novembre 2010 relatif au calendrier, à la gestion et
aux autres aspects de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à la
directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, J.O.U.E., 18 novembre 2010, L 302, p. 1.
113
Les secteurs les plus exposés, déterminés par une décision de la Commission européenne, continueront de
bénéficier de l’allocation gratuite de leurs quotas jusqu’en 2030.
Voir à cet effet : Décision de la Commission du 27 octobre 2014 établissant, conformément à la directive
2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous-secteurs considérés comme
exposés à un risque important de fuite de carbone, pour la période 2015-2019, J.O.U.E., 29 octobre 2014, L 308,
p. 114.
114
B. CLAESSENS, « Hausse spectaculaire du prix de la tonne de carbone : quel impact pour le citoyen ? »,
Révolution Énergétique, 23 Août 2019. Disponible sur : https://www.revolution-energetique.com/hausse-
spectaculaire-du-prix-de-la-tonne-de-carbone-quel-impact-pour-le-citoyen/
115
Décision (UE) 2015/1814 du Parlement européen et du conseil du 6 octobre 2015 concernant la création et le
fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à
effet de serre de l'Union et modifiant la Directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 9 octobre 2015, L 264, p. 1.
17
depuis lors116
. Néanmoins, la Commission annonça en mai 2020 que le nombre de quotas en
surplus pour l’année 2019 s’élève à 1,38 milliard117
. Il en découle que certains aménagements
restent nécessaires, étant donné que la mise en réserve est activée à partir du moment où le
surplus de quotas est supérieur au seuil, bien moins élevé, de 833 millions118
. De plus, ce
mécanisme de réserve a été conçu pour faire face à des excédents accumulés antérieurement,
et sera donc impuissant face aux excédents qui résulteront de la crise sanitaire et financière de
2020, ayant déjà fait chuter le prix du carbone de 40%119
.
Force est de constater, comme le soulignait déjà le président d’Engie en 2016, que le
signal-prix du carbone créé par le SEQE est « incohérent et en contradiction avec l’Accord de
Paris120
». Pour empêcher que les températures mondiales atteignent un niveau dommageable,
le GIEC, dans son dernier rapport, préconise en effet un prix mondial du carbone variant entre
135 et 6 050 dollars américains en 2030, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C121
.
Même s’il est peu probable que les récentes modifications du SEQE occasionnent un tel
revirement de situation122
, il n’est pas avéré que, dans l’affirmative, les économies
européennes puissent répercuter un tel changement de prix, tout en restant attractives du point
de vue de la concurrence internationale. En parallèle, des prix qui ne sont pas assez élevés
n’incitent pas les entreprises à opérer une transformation via les technologies vertes123
. Nous
116
S. VAN DEN PLAS, « When COVID-19 met the EU ETS », Carbon Market Watch, 26 Mars 2020. Disponible
sur : https://carbonmarketwatch.org/2020/03/26/when-covid-19-met-the-eu-ets/
117
Communication de la Commission, Publication du nombre total de quotas en circulation en 2019 aux fins de
la réserve de stabilité du marché relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne
établi par la directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 13 mai 2020, C 164, p. 19.
118
Communication de la Commission, Publication du nombre total de quotas en circulation en 2019 aux fins de
la réserve de stabilité du marché relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne
établi par la directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 13 mai 2020, C 164, p. 17.
119
S. VAN DEN PLAS, op. cit.
Voir aussi M. MICCINILLI, « The covid-19 crisis: a crash test for EU energy and climate policies », Centre on
Regulation in Europe (CERRE), 23 mars 2020. Disponible sur : https://www.cerre.eu/news/covid-19-crisis-
crash-test-eu-energy-and-climate-policies
Cet article rapporte que le prix de la tonne de CO2 était de 16 EUR à la fin du mois de mars 2020.
120
The Shift Project, Rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet : mettre les prix du carbone en phase avec l’Accord
de Paris, 13 juillet 2016. Disponible sur : https://theshiftproject.org/article/rapport-canfin-grandjean-mestrallet-
mettre-les-prix-du-carbone-en-phase-avec-laccord-de-paris/
121
Ce prix devrait ensuite varier entre 245 et 14300 USD en 2050, entre 420 et 19300 USD en 2070 et enfin,
entre 690 et 30100 USD en 2100. Voir les chapitres 2 et 3 du rapport spécial du GIEC, Global warming of
1.5°C, 2018. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/sr15/
122
A. SAUSSAY, P. MALLIET, G.L. RIVERA (et al.), op.cit., pp. 179, 180.
123
Parlement européen, Le système d'échange de quotas d'émission et sa réforme, 13 février 2017. Disponible
sur : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20170213STO62208/le-systeme-d-echange-de-
quotas-d-emission-et-sa-reforme
18
voici donc en présence d’une parfaite illustration du clivage marquant les prétentions
climatiques.
§4 Les taxes carbones nationales, une solution disparate
Le choix de l’UE quant à l’implémentation du mécanisme SEQE résulta donc, nous
l’avons soulevé, de l’hostilité des EM et des lobbys industriels face à la création d’une
écotaxe européenne. S’extirpant du conflit, le législateur européen préféra laisser aux EM la
tâche d’établir une taxe carbone sur leur territoire124
. Toutefois, en agissant de la sorte, il
manqua d’appréhender la problématique de la rivalité intra-UE, qui paralyse toute forme de
mutation en la matière. Il existe en effet un nombre réduit de pays ayant recours à la taxation
du carbone125
, en raison du jeu de la concurrence fiscale auquel s’adonnent les EM126
.
L’OCDE souligne le peu d’initiatives en la matière, relevant que 85% des émissions de CO2
proviennent du secteur non routier, qui n’est lui-même taxé qu’à hauteur de 18%, à un taux
établissant un signal-prix insuffisant127
. Seulement 4 pays, le Danemark, les Pays-Bas, la
Norvège et la Suisse, appliquent un taux de taxe supérieur au taux optimal de 30€ par tonne
d’équivalent CO2128
(ci-après, tCO2). Ce constat est d’autant plus navrant qu’il existe de
nombreux avantages à la mise en place d’une taxe carbone en complément des droits
d’accises de la DTE. La Suisse, dont le taux de taxation de l'énergie fait partie des taux les
plus élevés, est par ailleurs le pays ayant le plus bas niveau d’émission de GES de l’OCDE129
.
L’exemple le plus saisissant néanmoins est celui de la taxe suédoise, créée en 1991. Il s’agit
de la première taxe carbone de l’UE ayant transféré le poids de la taxation affectant les
124
Á. ANTÓN ANTÓN et M. VILLAR EZCURRA, « Inherent logic of EU energy taxes: towards a balance between
market protection and environment protection », in Environmental Taxation and Green Fiscal Reform. Theory
and Impact (sous la dir. de L. Kreiser, S. Lee et al.), Cheltenham, Edward Elgar, 2014, pp. 59 et 60.
125
La Banque Mondial liste les pays recourant à un mécanisme de cap and trade complémenté d’une taxe
carbone : Danemark, Estonie, Finlande, France, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Norvège, Pologne, Portugal,
Slovénie, Espagne, Suède, Suisse et Royaume-Uni. Voir : Banque Mondiale et Ecofys, State and Trends of
Carbon Pricing 2018, Banque Mondiale, Washington, mai 2018, p. 19.
126
L. ÉLOI, et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en
présence », op. cit., p. 400.
127
OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, Éditions OCDE, Paris, 2019, p. 11.
128
Ibidem.
129
Z.-E. AKLIL, What the EU can learn from Swiss and Scandinavian carbon tax policies, Epicenter, 31 mars
2020. Disponible sur : http://www.epicenternetwork.eu/blog/what-the-eu-can-learn-from-swiss-and-
scandinavian-carbon-tax-policies/
19
revenus sur l’énergie et la pollution130
. Malgré qu’elle applique le taux de taxe le plus élevé
du monde131
, 110€/tCO2 en 2020132
, la Suède affiche une croissance de PIB de 78%133
.
Figure 1 : Taux effectifs moyens de taxation du carbone par pays
Sur base du tableau de l’OCDE134
recopié ci-dessus, l’on voit apparaître que la taxe
carbone, lorsqu’elle est présente, connaît des taux divers selon l’État où elle se trouve
implémentée. À l’inverse, les taux des droits d’accises, dont les minimas sont établis par la
DTE, subissent moins la pression de la concurrence au moins-disant fiscal. L’on peut donc
distinguer clairement les avantages associés à une harmonisation européenne. Pourtant, suite à
l’analyse des instruments en présence, nous constatons que l’harmonisation fiscale est loin
d’être le mot d’ordre de l’UE135
.
130
C. LONDON, Environnement et instruments économiques et fiscaux, Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 2001, p. 41.
131
Banque Mondiale, When it comes to emissions, Sweden has its cake and eats it too, 16 mai 2016. Disponible
sur : https://www.worldbank.org/en/news/feature/2016/05/16/when-it-comes-to-emissions-sweden-has-its-cake-
and-eats-it-too
132
Government Offices of Sweden, Sweden’s carbon tax, mis à jour le 25 février 2020. Disponible sur :
https://www.government.se/government-policy/taxes-and-tariffs/swedens-carbon-tax/
133
Chiffre relatif à l’année 2017. Voir : Government Offices of Sweden, Sweden’s carbon tax, op. cit.
134
OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, op. cit., p. 69.
135
A cet effet, L. Kovác, ancien commissaire européen de la fiscalité et de l’union douanière, souligne qu’il
regrette que les EM cherchent « à défendre les spécificités de leur propre système fiscal, au lieu de rechercher
20
SECTION 3 – CAUSES DE LA NON-HARMONISATION DE LA FISCALITÉ DU CARBONE
Cette absence d’harmonisation et partant, de législation fiscale environnementale
efficiente, proviennent du cercle vicieux dans lequel se trouve l’UE, où s’entremêlent les
intérêts de tout un chacun. Ces intérêts divergents sont, en outre, intensifiés par les risques de
perte de compétitivité des entreprises européennes et de fuites de carbone que nous
détaillerons dans le Chapitre III.
§1 Le lobbysme intense
Au sein de l’UE, s’opposent en premier lieu les prétentions corporatistes des secteurs
intensifs en énergie. Dans le cadre du SEQE par exemple, le secteur de l’électricité, qui n’est
pas soumis à une forte compétition internationale136
, exhorte les gouvernements à établir un
signal-prix fort du carbone. La motivation de ce secteur est qu’en l’absence d’un tel incitant,
il n’a pas l’opportunité de rentabiliser ses investissements verts alors qu’il serait capable de
« répercuter le coût du carbone dans le prix de l’électricité sans perte de compétitivité137
». A
l’opposé, les industries considérées comme grandes émettrices, s’opposent fermement à
l’augmentation du prix du carbone138
et prônent une flexibilité accrue, brandissant l’argument
de la perte de compétitivité (voy. infra Chapitre III.)139
. Au demeurant, les lobbyistes sont
donc à même de pratiquer de la regulatory capture, c’est-à-dire, de manipuler les EM dans le
sens de leurs intérêts140
. Il peut s’agir de bloquer le processus législatif, comme ce fut le cas,
tant pour le projet d’écotaxe, que pour les tentatives de réformer la DTE, ou encore,
d’influencer la réglementation à leurs avantages, ce qui conduisit, par exemple, à la sur-
allocation des quotas à titre gratuit141
.
une solution qui pourrait être appliquée dans toute l’Union ». Ces propos sont relatés dans : K. BERTHET,
L'évolution de la lutte contre les paradis fiscaux, Bruxelles, Éditions Larcier, 2015, p. 64.
136
A. GRANDJEAN et M. MARTINI, op. cit., p. 56.
137
P. CANFIN, A. GRANDJEAN et G. MESTRALLET, « Propositions pour des prix du carbone alignés avec l’Accord
de Paris », Rapport de la mission, remis à Ségolène Royal, présidente de la COP21, Juillet 2016, p. 39.
138
A. GRANDJEAN et M. MARTINI, op. cit., p. 56.
139
P. MARKUSSEN, et G. T. SVENDSEN, op. cit., pp. 250 et 251.
140
L. WREN-LEWIS, “Regulatory capture: Risks and solutions”, in Emerging Issues in Competition, Collusion
and Regulation of Network Industries, (sous la dir. de A. ESTACHE), London, Centre for Economic Policy
Research, 2011, p. 148.
141
F. VENMANS, op. cit., p. 74.
21
§2 L’unanimité inaccessible
En second lieu, s’opposent aussi les paysages géopolitiques extrêmement variés de
l’UE. Dans le contexte du Pacte Vert, par exemple, la Pologne, encore dépendante du
charbon, refusa de s’engager dans la neutralité carbone142
, tandis que la France, la Hongrie et
la République Tchèque, retardèrent les négociations suite à leur attachement au nucléaire143
.
Ces intérêts opposés ont des effets particulièrement fâcheux dans les matières fiscales, qui
requièrent l’unanimité du Conseil suivant la procédure législative spéciale de l’Art. 113 du
TFUE. Le domaine de la fiscalité environnementale n’y fait d’ailleurs pas exception selon la
lettre des Art. 192 § 2, 1er
alinéa et 194 § 3 du TFUE. Il n’est donc pas rare que les EM
fassent usage de leur droit de véto, dans le but d’obtenir des concessions favorables à leurs
intérêts nationaux144
. Afin de mitiger la difficulté d’obtenir l’unanimité, la Commission fit
resurgir, en 2019, un élément oublié du droit européen ; les clauses passerelles145
. Elles
permettent « au Parlement européen et au Conseil d’adopter des propositions dans ce domaine
au moyen de la procédure législative ordinaire à la majorité qualifiée plutôt qu’à
l’unanimité146
». L’une d’entre elles, spécifique aux politiques environnementales incluant des
dispositions fiscales147
, pourrait être utilisée pour faciliter la négociation d’une profonde
réforme européenne dans ce domaine.
§3 La concurrence normative nuisible
Cette condition contraignante d’unanimité provient, en réalité, du fait que les EM
voient dans la fiscalité le dernier bastion de leur souveraineté nationale148
. Toutefois, en
harmonisant certains domaines, mais en laissant leurs souverainetés aux EM dans d’autres,
142
A. MASSIOT, « Climat : une décision européenne d'ampleur bloquée par la Pologne », Libération, 21 juin
2019. Disponible sur : https://www.liberation.fr/planete/2019/06/21/climat-une-decision-europeenne-d-ampleur-
bloquee-par-la-pologne_1735063
143
Novethic, Neutralité climatique en 2050 : un accord européen sans la Pologne, 31 décembre 2019.
Disponible sur : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/neutralite-climatique-en-2050-
un-accord-europeen-sans-la-pologne-148008.html
144
M. PALLEMAERTS, op.cit., p. 50.
145
O. MARTY, « Fiscalité : L’unanimité à dépasser », Notre Europe, Institut Jacques Delors, 20 février 2019, pp.
1 à 6. Disponible sur ; https://institutdelors.eu/publications/fiscalite-lunanimite-a-depasser/
146
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité
économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final, p. 6.
147
Art. 192 (2), al. 2 du TFUE
148
A. PIRLOT et E. Traversa, « L’Union européenne et la fiscalité », Éconosphères (en ligne), 18 mai 2016.
Disponible sur : http://www.econospheres.be/L-Union-europeenne-et-la-fiscalite
22
l’UE est involontairement devenue un catalyseur de la concurrence normative149
. Une telle
pratique permet aux EM d’attirer des investissements étrangers150
, en se rendant plus attractifs
pour les acteurs économiques qui prospectent la législation fiscale la plus optimale151
.
Toutefois, poussée à son paroxysme depuis l’avènement de la libre circulation des facteurs de
production152
, la croisade à l’attractivité force à présent les EM à s’aligner sur les choix de
leurs voisins153
, dont le corolaire est la réduction drastique de leurs exigences154
. Ayant déjà
généré l’érosion de la base d’imposition de l’impôt des sociétés et le transfert de bénéfices155
,
ce nivellement par le bas fait pareillement obstacle au renforcement de la fiscalité
environnementale156
. Tel fut par exemple le cas en 1992, lorsque l’Espagne et le Royaume-
Uni, en signifiant leur intention de pratiquer de l’ecological dumping, refusèrent
l’implémentation de l’écotaxe157
. Partant, il n’est pas étonnant de constater que les recettes
fiscales de bases d’imposition liées à l’environnement ont diminué depuis 1995 dans les pays
de l’OCDE158
.
§4 Les obligation paralysantes du marché unique
A cette première cause d’inaptitude des EM à mener une lutte solitaire contre le
changement climatique, s’ajoute le droit de l’UE, dont l’objectif est d’aboutir à un marché
149
A. VAN WAEYENBERGE, « L’Union européenne comme catalyseur de la concurrence normative », in La
concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne (sous la dir. de E. CARPANO et al.),
Bruxelles, Éditions Larcier, 2016, pp. 57-76.
150
T. LAMARCHE, « Le territoire entre politique de développement et attractivité », Études de communication, N°
26, 2003, § 7. Disponible sur : https://journals.openedition.org/edc/122
151
M. CHASTAGNARET, « La concurrence fiscale : comment les fiscalités de territoires souverains peuvent-elles
coexister ? », in La concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne, (sous la dir. de E.
CARPANO, M. CHASTAGNARET et E. MAZUYER) Bruxelles, Larcier, 2016, p. 283.
152
K. BERTHET, op. cit., p. 39.
153
E. BARDARO et N. MONNART, « L’Europe fiscale et un budget pour la zone euro : utopie ou nécessité ? »,
CEPESS Policy Paper, Avril 2016, p. 7.
154
B. FRYDMAN, « La concurrence normative européenne et globale », in La concurrence réglementaire, sociale
et fiscale dans l’Union européenne, (sous la dir. de E. CARPANO, M. CHASTAGNARET et E. MAZUYER) Bruxelles,
Larcier, 2016, p. 16
155
M. CHASTAGNARET, op. cit., p. 289.
156
L. ÉLOI, et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en
présence », op. cit., p. 401.
157
A. LIPIETZ, « Enclosing the global commons: global environmental negotiations in a North-South conflictual
approach », The North the South and the Environment (sous la dir. de V. BHASKAR), Londres, Routledge, 2014,
p. 140.
158
OCDE, Statistiques des recettes publiques 2019, Éditions OCDE, Paris, 2019, p. 14.
L’ensemble des données statistiques peut aussi être consulté sur le site de l’OCDE sur le lien suivant :
https://data.oecd.org/fr/envpolicy/taxes-liees-a-l-environnement.htm
23
unique débarrassé de toutes barrières internes159
. Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union
européenne datant de 1967160
, précise qu’en instituant l'ordre juridique communautaire, les
EM ont accepté qu’une limite soit apportée à leurs droits souverains, en ce compris le
domaine fiscal. Par ces mots, la CJUE rappelle que le droit de l’UE peut donc affecter des
pans non harmonisés de la fiscalité nationale161
. Ces limitations sont, par exemple,
l’interdiction des impositions intérieures et des subsides à l’exportation lorsqu’ils sont
discriminatoires ou protectionnistes162
. L’on comprend donc pourquoi un EM n’est pas incité
à implémenter seul une taxe carbone, étant empêché de compenser, a posteriori, la perte de
compétitivité que subiraient ses entreprises, tant via l’implémentation d’une taxe d’ajustement
pour les produits importés, que via l’octroi d’un subside à l’exportation. Nous mettrons en
évidence dans le Chapitre III. qu’un raisonnement analogue s’applique à l’échelle de l’UE
lorsqu’elle se meut dans le monde globalisé.
SECTION 4 – CONCLUSION DU CHAPITRE I.
La protection du climat souffre d’une léthargie persistante. Les formes de
coopérations mondiales actuelles ne sont pas empreintes de la force contraignante nécessaire
pour éviter le problème des passagers clandestins et conduire au multilatéralisme nécessaire
pour contrer la dangereuse hausse des températures mondiales. Le refus de consolider les
contraintes écologiques était, et demeure donc justifié, par la reconnaissance de la primauté de
la compétitivité des économies163
, tant au niveau des accords internationaux, qu’à l’intérieur
du marché unique. Au niveau européen, le signal-prix du carbone créé par le SEQE est
abusivement bas, et ceux établis par les taxes carbones nationales sont bien trop variés. À
l’examen, les instruments européens s’avèrent par conséquent insuffisants pour stopper
159
A. MAITROT DE LA MOTTE, « L’application du droit de l’Union européenne en matière fiscale », Titre VII,
vol. 2, No. 1, avril 2019, p. 61.
160
Firma Max Neumann contre Hauptzollamt Hof/Saale, C-17/67, EU:C:1967:56, pp. 579 et 589.
161
E. TRAVERSA et A. MAITROT DE LA MOTTE, « Le fédéralisme économique et la fiscalité dans l'Union
européenne » in L'Union européenne et le fédéralisme économique (sous la dir. de S. DE LA ROSA, F. MARTUCCI
et E. DUBOUT), Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 365.
162
Respectivement, Art 110 et 111 du TFUE
163
M. PRIEUR, « Le principe de non-régression face à la logique du marché », Marché et environnement (sous la
dir. de M-P. CAMPROUX DUFFRÈNE ET J. SOHNLE), Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 482.
Voir aussi : H. van ASSELT et M. MEHLING, « Border Carbon Adjustments in a Post-Paris World: Same Old,
Same Old, but Different? », Cool Heads in a Warming World: How Trade Policy Can Help Fight Climate
Change,Yale Center for Environmental Law & Policy. Disponible sur : https://envirocenter.yale.edu/cool-heads-
warming-world-part-one
24
l’engrenage contre lequel G. HARDIN nous mit en garde il y a déjà plus de 50 ans, certains
parlant même d’un « hiatus entre les ambitions et les moyens européens164
».
À une heure où 92 % des citoyens de l’UE estiment que les émissions devraient être
réduites afin que l’économie de l’UE soit neutre sur le plan climatique d’ici 2050165
, l’UE
devrait plus que jamais utiliser les moyens dont elle dispose pour faire converger les fiscalités
nationales disparates, afin d’atteindre cet objectif et d’adoucir la dangereuse ascension de la
Tragédie des Communs. À cette fin, elle devrait établir un signal-prix du carbone harmonisé,
qu’il n’est possible d’atteindre qu’en créant une neutralité fiscale au sein du marché unique,
par la voie d’une taxe dont la base d’imposition, le taux et les modalités de recouvrement
seraient similaires dans tous les EM166
.
164
J. LE CACHEUX et L. ÉLOI, « L'Union européenne dans la lutte contre le changement climatique », Regards
croisés sur l'économie, vol. 6, No. 2, 2009, spéc. p. 193 et pp.195 à 199.
165
Site web officiel de l’Union européenne, Soutien du public à l'action pour le climat – Sondage 2019.
Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/citizens/support_fr
166
A. MAITROT DE LA MOTTE, « L'impôt européen. Enjeux juridiques et politiques », Revue de l'OFCE, vol. 134,
no. 3, 2014, p. 153.
25
CHAPITRE II. RÉFORMER : PERSPECTIVES POUR LA FISCALITÉ DU CARBONE
Afin d’atténuer la pratique autodestructrice de la concurrence fiscale et de parvenir à
régler les ravages de la Tragédie des Communs, une large refonte du système établissant le
signal-prix du carbone est donc nécessaire. Pour que l’utilisation des énergies fossiles reflète
le coût réel éprouvé par la planète, la réforme doit se faire dans le respect du principe
économique du pollueur-payeur, qui souffre actuellement d’une application restreinte. Aux
États-Unis, 45 éminents économistes soutiennent l’implémentation d’une taxe sur le carbone,
dont le taux devrait augmenter chaque année, jusqu'à ce que les objectifs de réduction des
émissions soient atteints167
. Depuis lors, 3 000 économistes ont ajouté leurs signatures à cette
proposition168
. De nombreux auteurs soutiennent similairement que l’utilisation d’une taxe
serait bien plus efficiente qu’un mécanisme de cap and trade, d’un point de vue
environnemental169
.
Nous aborderons donc dans un premier temps la logique régissant le Principe pollueur-
payeur et, ensuite, l’existence du double dividende d’une réforme fiscale. Nous terminerons
par des perspectives quant aux possibilité de tarification du carbone à différents niveau de la
chaine de production. Nous gardons ici l’idée que la taxe serait prélevée par les États, pour
leurs comptes, et éviterons d’entrer dans le débat de la création d’un nouvel impôt européen,
pourtant soutenu par de nombreux auteurs, en ce qu’il serait profitable que l’UE détienne une
source propre de revenus pour une poursuite plus efficace de ses politiques170
.
167
Climate Leadership Council, Economists’ statement on carbon dividends, 17 janvier 2019. Disponible sur :
https://clcouncil.org/economists-statement/
168
M. BALTENSPERGER, The Economists’ Statement on Carbon Dividends and the Green New Deal, Bruegel, 25
février 2019. Disponible sur : https://www.bruegel.org/2019/02/the-economists-statement-on-carbon-dividends-
and-the-green-new-deal/
169
Voir dans ce sens : W. NORDHAUS, “To Tax or Not to Tax: Alternative Approaches to Slowing Global
Warming”, Review of Environmental Economics and Policy, vol. 1, 2007, pp. 26 à 44.
J. E. STIGLITZ, “Sharing the Burden of Saving the Planet: Global Social Justice for Sustainable Development:
Lessons from the Theory of Public Finance”, Initiatice for Policy Dialogue (IPD), Working Paper No. 150,
2008, pp. 1 à 27. Disponible sur : http://policydialogue.org/publications/working-papers/sharing-the-burden-of-
saving-the-planet/
A.-Y. S. REUVEN. et D. M. UHLMANN, op. cit., pp. 3 à 50
170
Voir : E. TRAVERSA et A. MAITROT DE LA MOTTE, op. cit., pp. 343-379.
A. KALLERGIS, « L’autonomie fiscale de l’Union européenne », Rev. Aff. Eur., No. 4, 2018, pp. 587 à 597.
O. CLERC, La gouvernance économique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 564 à 566.
A. MAITROT DE LA MOTTE, « L'impôt européen. Enjeux juridiques et politiques », op. cit., pp. 149 à 160.
26
SECTION 1 – LES BÉNÉFICES D’UNE RÉFORME ENVIRONNEMENTALE DE LA FISCALITÉ
Une réforme de la fiscalité à l’aune du Principe pollueur-payeur présente deux intérêts
évidents. Dans un premier temps, il s’agit de la réduction des émissions de GES par
l’internalisation des externalités considérées comme nuisibles à l’environnement171
. Dans un
second temps, il s’agit d’un gain collectif découlant de l’utilisation des recettes générées par
l’instrument choisi172
. Bien que certains auteurs émettent des réserves quant à l’existence
formelle de ces résultantes173
, l’analyse qui suit se basera sur l’opinion d’une majorité de la
doctrine174
, qui reconnaît l’existence de ce double dividende175
.
§1 Le respect du Principe pollueur-payeur
L’économiste anglais A. PIGOU, dans sa théorie générale sur les externalités, estime
que le juste prix d’un bien est celui qui reflète les coûts, positifs ou négatifs, générés par sa
production pour l’ensemble du marché176
. Le principe économique du pollueur-payeur est
habituellement perçu comme l’application en droit, de cette théorie, en ce qu’il permet
d’enjoindre l’auteur de l’externalité négative associée à la pollution, à internaliser les coûts
sociétaux de son action, à savoir, le dommage à l’environnement177
. Souvent envisagé pour
justifier l’utilisation d’instruments de marché178
, comme le SEQE par exemple, ce principe est
également employé pour asseoir l’existence des taxes carbones, auxquelles on se réfère
couramment sous la dénomination de taxes pigouviennes179
. Celles-ci établissent un prix
associé aux émissions de CO2, afin d’inciter un changement de comportement dans le chef de
171
D. PEARCE, « The Role of Carbon Taxes in Adjusting to Global Warming”, The Economic Journal, vol. 101,
No. 407, juillet 1991, p. 940.
172
R. CRASSOUS, P. QUIRION, F. GHERSI et E. COMBET, « Taxe carbone : Recyclage des recettes et double
dividende », Conseil économique pour le développement durable, Référence économique, No. 4, 2009, p. 1.
173
Pour une analyse des nuances apportées à l’hypothèse de double dividende, voir : M. CHIROLEU-ASSOULINE,
« Le double dividende. Les approches théoriques », Revue française d'économie, vol. 16, No. 2, 2001. pp. 119-
147.
174
Les auteurs cités ci-après se réfèrent couramment à l’article de L. H. GOULDER, « Environmental Taxation
and the Double Dividend: A Reader's Guide », International Tax and Public Finance, vol. 2, 1995, pp.157 à 176.
175
L’utilisation de ce terme provient de la publication précitée : D. PEARCE, op. cit., pp. 938-948.
176
S. CAUDAL, op. cit., p. 65.
177
Ibidem
178
N. CARUANA, La Fiscalité Environnementale. Entre impératifs fiscaux et objetifs environnementaux, une
approche conceptuelle de la fiscalité envrionnementale, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 78.
179
A. PAULUS, The Feasibility of Ecological Taxation, Anvers, Maklu, 1995, p. 29.
27
l’agent pollueur, alors forcé d’internaliser les coûts des externalités négatives qui, jusque-là,
n’étaient pas considérés dans les calculs économiques180
.
Le Principe pollueur-payeur est reconnu par l’UE depuis l’Acte unique de 1986181
,
ainsi que par l’OCDE depuis sa Recommandation de 1972182
, et subséquemment, par sa
Recommandation de 1991, qui entérina la règle de l’internalisation totale des coûts de
pollution183
. Malgré cette reconnaissance, il apparaît que les coûts sociétaux de la pollution
restent en marge des préoccupations législatives. Hormis lorsque les industries sont couvertes
par le SEQE, et dans les quelques rares pays qui ont recours à la taxation directe des
émissions de CO2, un manque à gagner persiste, par conséquent, dans la lutte contre le
changement climatique. Pourtant, une réforme de la fiscalité conduirait à l’obtention
d’avantages considérables, peu importe, a priori, qu’il s’agisse de la création d’une taxe
environnementale ou d’un mécanisme de cap and trade. Nous verrons toutefois qu’en l’état
présent, les déficiences du SEQE diminuent la probabilité de l’obtention de tels avantages.
§2 Le dividende environnemental, la réduction des émissions de GES
Certitude de bénéfice. Le SEQE (quantity instrument) et la taxe carbone (price
instrument) établissent chacun à leur manière un signal-prix du carbone184
, qui représente
l’une des solutions préconisées pour contourner l’effet de la Tragédie des Communs. L’on
peut donc se demander si le choix de l’UE quant au SEQE était bel et bien le plus adéquat. Le
principal argument des adhérents du cap and trade se réfère à la notion de certitude de
bénéfice, due à sa capacité à fixer une quantité déterminée d’émissions à ne pas dépasser185
. Il
180
N. G. MANKIW, op.cit., p. 203.
181
Désormais : Art. 191 (2) du TFUE
182
OCDE, Recommandation du Conseil sur la mise en oeuvre du Principe Pollueur-Payeur,
OECD/LEGAL/0132, 2020, p. 1.
183
S. CAUDAL, op. cit., p. 67.
Voir aussi : K. KOSONEN ET G. NICODÈME, « The role of Fiscal Instrument in Environmental policy », in Critical
issues in Environmental Taxation: International and Comparative Perspectives (sous la dir. de C. DIAS SOARES
et al.), vol. VIII, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 7.
184
D. G. DUFF et S-L. HSU, « Carbon taxation in Theory and Practice », in Critical issues in Environmental
Taxation: International and Comparative Perspectives (sous la dir. de C. DIAS SOARES et al.), vol. VIII, Oxford,
Oxford University Press, 2010, p. 263.
185
R. F. MANN, “The Case for the Carbon Tax: How to Overcome Politics and Find Our Green Destiny”,
Environmental Law Reporter, Vol. 39, No. 10118, 2009, p. 3.
28
est néanmoins rare que l’autorité publique soit en mesure de déterminer la quantité optimale
de la réduction à effectuer, qui sera soit trop haute, soit trop basse186
. Une cible déterminée
est, en adition, incompatible avec l’évolution permanente des avis scientifiques sur le
réchauffement climatique187
. En tout état de cause, suivant la logique économique, il est
insignifiant de réguler la quantité d’émissions d’année en année, étant donné l’infime portion
qu’une année représente sur le total des émissions de CO2188
.
En ce qui concerne le SEQE, l’allocation récurrente, qui est basée sur le volume
d’émissions antérieur des industries, biaise les opportunités de ces dernières qui, préférant
éviter de se voir attribuer un nombre inférieur de quotas, ne recherchent pas de nouvelles
technologies moins émettrices189
. De plus, nous avons pu constater que la quantité globale de
quotas alloués est couramment surestimée, ce qui restreint la capacité du SEQE à induire une
diminution des émissions de CO2. L’origine de cette surestimation provient en effet de
circonstances que le législateur peine à prendre en considération, à savoir, la sur-allocation
des quotas résultant de l’intense lobbysme, l’émergence des énergies renouvelables, ainsi que
des crises économiques et financières190
. Pour pallier cet inconvénient, une réserve de stabilité
a été mise en place. Pour l’instant, cette réserve est employée de sorte à diminuer le nombre
de quotas en surplus, mais qu’adviendra-t-il si, à l’inverse, la réserve est utilisée pour
augmenter le plafond des émissions lorsque les prix sont trop hauts ? La certitude de bénéfice
sera dissolue par l’allocation de nouveaux quotas191
.
Voir aussi: T. HOUSER, R. BRADLEY, B. CHILDS, J. WERKSMAN ET R. HEILMAYR, Leveling the carbon playing
field: international competition and US climate policy design, Washington, Peter G. Peterson Institute for
International Economics, 2008, p. 6.
186
L. KAPLOW, “Taxes, Permits, and Climate Change”, Harvard John M. Olin Discussion Paper Series, No.
675, août 2010, p. 4.
187
J. P. MELTZER, “A Carbon Tax as a Driver of Green Technology Innovation and the Implications for
International Trade” Energy Law Journal, vol. 35, No. 1, juin 2014, p. 52.
188
D. G. Duff et S-L. Hsu, op. cit., p. 263.
Voir aussi : J-P. BARDE et O. GODARD, « Economic principles of environmental fiscal reform », in Handbook of
research on Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE et M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward
Elgar, 2012, p. 50.
189
K. NEUHOFF, M. GRUBB, J.-C. HOURCADE et F. MATTHES, EU-ETS Post 2012: Submission to the EU Review,
Climate Strategie, Cambridge, 2007, p. 6.
190
C. KETTNER, “The EU emission trading scheme: first evidence on Phase 3”, in Carbon Princing. Design,
Experiences and Issues (sous la dir. de L. KREISER, M. SKOU ANDERSEN et al.), Cheltenham, Edward Elgar,
2015, p. 63.
191
A.-Y. S., REUVEN. ET D. M. UHLMANN, op. cit., p. 43.
29
Certitude de prix. Une taxe, garantissant une certitude de prix, est donc considérée
comme plus efficiente lorsqu’il s’agit de réguler le changement climatique, marqué par les
instabilités scientifique, politique et économique192
. Il existe en effet de nombreuses façons
de fixer un taux de taxe efficace, permettant d’atteindre un résultat déterminé193
. Qui plus est,
il est tout aussi aisé d’ajuster ce taux, s’il s’avère qu’il est insuffisant pour entrainer les
réductions escomptées194
. Effectivement, la fiscalité offre, en outre, la possibilité d’avoir
recours à des taux progressifs, comme c’est le cas par exemple pour les tranches d’imposition
de l’Impôt des Personnes Physiques, indexées chaque année195
. Un prix du CO2 régulé au
long terme, par l’intermédiaire d’une taxe, crée en définitive un incitant fort à l’innovation196
.
S’agissant du SEQE, nous avons remarqué, lors de son analyse, que la volatilité du signal-prix
du carbone qu’il crée est nuisible aux investissements197
et entrave donc l’obtention du
premier dividende. La taxe, forte d’une certitude de prix, prévient ce problème en assurant un
taux préalablement déterminé198
, imperméable aux lois de l’offre et de la demande. Elle
représente pour cette raison un incitant, plus efficient que le SEQE, qui oriente avec flexibilité
les entreprises vers les modes de substitution les moins polluants et les plus efficaces199
.
Finalité environnementale. Nonobstant, il apparaît que la taxe est habituellement
assimilée, de façon réductrice, au seul moyen de générer de nouvelles recettes pour l’État200
.
Cette vision est correcte pour certains types de taxations, mais la taxe environnementale est
avant tout conçue pour amener les consommateurs et les producteurs à prendre en compte le
192
W. NORDHAUS, “To Tax or Not to Tax: Alternative Approaches to Slowing Global Warming”, op. cit., p. 37.
L’auteur fait référence aux recherches de Weitzman (1974), Pizer (1999) et Hoel & Karp (2001).
193
De nombreuses approches sont proposées dans : Partnership for Market Readiness (PMR), Carbon Tax
Guide: A Handbook for Policy Makers, Banque Mondiale, Washington, 2017, pp. 89 à 97.
Voir aussi : O. KUIK, L. BRANDER et R. S. J. TOL, « Marginal abatement costs of greenhouse gas emissions: A
meta-analysis », Energy Policy, vol. 37, No. 4, Avril 2009, pp. 1395 à 1403.
Voir aussi les propositions de : L. KAPLOW, op. cit., pp. 4 à 8.
194
R. F. MANN, op. cit., p. 7.
Voir aussi: R. S. AVI-YONAH et D. M. UHLMANN, op. cit., p. 7.
195
F. VENMANS, op. cit., p. 69.
196
D. BUREAU, F. HENRIET, ET K. SCHUBERT, « Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe », Notes du
conseil d’analyse économique, vol. 50, No. 2, 2019, p. 57.
197
K. NEUHOFF, M. GRUBB, J.-C. HOURCADE et F. MATTHES, EU-ETS Post 2012: Submission to the EU Review,
op. cit., pp. 3 et 6.
Voir aussi : F. Venmans, op. cit., pp. 60 et 69.
198
T. HOUSER, R. BRADLEY, B. CHILDS, J. WERKSMAN et R. HEILMAYR, op. cit., p. 6.
199
K. KOSONEN ET G. NICODÈME, op. cit., p. 5.
Voir aussi : J. JACOB, « Prévention ou innovation ? Vers une nouvelle définition de la gestion publique des
risques technologiques », Revue d'économie politique, vol. 126, No. 4, 2016, p. 60.
200
P. M. HERRERA MOLINA, “Design, options and their rationales”, in Handbook of research on Environmental
Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012, p. 86.
30
coût véritable de leurs actions sur l’environnement201
. La preuve en est que, lorsque le
changement de comportement survient, l’assiette de la taxe diminue voire disparait202
. La taxe
carbone instaurée en Suisse depuis 2008 sur les combustibles fournit une belle illustration de
la finalité environnementale des taxes pigouviennes. Elle se fonde sur un taux directement lié
aux objectifs nationaux de réduction de CO2, définis par secteurs203
. Ce taux se trouve donc
automatiquement augmenté, sur base d’une formule prédéfinie, lorsque les objectifs ne sont
pas atteints204
. Ainsi, la taxe qui équivalait en 2008 à 10€/tCO2 a augmenté graduellement
jusqu’à 90€ en 2018205
. Selon l’OCDE, la Suisse, qui fait partie des pays ayant le plus haut
taux de taxe carbone, compte parmi les économies les moins émettrices de carbone206
. Cette
taxe élevée fait effectivement office d’incitant fort, tant pour les ménages que pour l’industrie,
à remplacer les énergie fossiles par d’autres produits énergétiques moins polluants207
. Ce
puissant signal-prix du carbone, en créant une conscience accrue quant à la problématique
climatique, amorce des résultats optimaux pour l’obtention d’un dividende environnemental,
dont les effets ne sont pas encore épuisés208
.
201
K. KOSONEN, “Regressivity of environmental taxation: myth or reality?”, in Handbook of research on
Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012,
p. 161.
Voir aussi : D. DE SCHOUTHEETE, Control of Carbon Emissions and Energy Fiscal Reform in Spain : A
Computable General Equilibrium Assessment (multig.), Thèse, Barcelone, 2012, p. 19.
202
S.-A. JOSEPH, « Environmental taxes – definitional analysis: behavioural change or revenue raising”, in
Environmental Taxation and Green Fiscal Reform. Theory and Impact (sous la dir. de L. Kreiser, S. Lee et all.),
Cheltenham, Edward Elgar, 2014, p. 198.
203
Partnership for Market Readiness (PMR), op. cit., p. 96.
204
Ibidem
205
Office fédéral de l’environnement (OFEV), Taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles. Disponible sur :
https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/politique-climatique/taxe-sur-le-
co2/taxe-sur-le-co2-prelevee-sur-les-combustibles.html
206
OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, op. cit., p. 29.
207
Office fédéral de l'environnement (OFEV), Fiche d’information. Estimation de l’effet et évaluation de la taxe
sur le CO2 prélevée sur les combustibles, 19 février 2018, p. 2. Disponible en téléchargement sur :
https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/politique-climatique/taxe-sur-le-
co2.html
208
Des analyses démontrent, par exemple, que les effets globaux cumulés dans la période étudiée (2005 à 2015)
se situent entre 4,1 et 8,6 millions de tonnes de CO2. Voir : Office fédéral de l'environnement (OFEV), Fiche
d’information. Estimation de l’effet et évaluation de la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles, op.cit., p.
2.
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN
The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN

Contenu connexe

Similaire à The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN

Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecce
Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecceLes écoquartiers dupuis stéphane-licence ecce
Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecceMigration WEB
 
201010 diagnostic type1_prof_fr
201010 diagnostic type1_prof_fr201010 diagnostic type1_prof_fr
201010 diagnostic type1_prof_frennouri-marwa
 
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivité
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivitéRapport de Louis Gallois sur la compétitivité
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivitéAtlantico
 
Rapport gallois
Rapport galloisRapport gallois
Rapport galloisFreelance
 
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française Nathalie SALLES
 
Rapport-pacte-compétitivité-gallois
Rapport-pacte-compétitivité-galloisRapport-pacte-compétitivité-gallois
Rapport-pacte-compétitivité-galloisLe Point
 
L'année du dpe de l'amdpas
L'année du dpe de l'amdpasL'année du dpe de l'amdpas
L'année du dpe de l'amdpaspascaljan
 
3. etude d'impact zac ecopôle
3. etude d'impact   zac ecopôle3. etude d'impact   zac ecopôle
3. etude d'impact zac ecopôleanthonyeffroy
 
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013GIP GERRI
 
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016yann le gigan
 
France Assured Access To Space
France Assured Access To SpaceFrance Assured Access To Space
France Assured Access To Spaceguest16e6c65
 
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009rafikstein
 
Rapport sénat prélèvement à la source
Rapport sénat prélèvement à la sourceRapport sénat prélèvement à la source
Rapport sénat prélèvement à la sourceSociété Tripalio
 
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPD
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPDRapport sur l'adaptation du droit français au RGPD
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPDSociété Tripalio
 
Rapport - La valeur de l'action pour le climat
Rapport - La valeur de l'action pour le climatRapport - La valeur de l'action pour le climat
Rapport - La valeur de l'action pour le climatFrance Stratégie
 
Politique climatique : une nouvelle architecture internationale
Politique climatique : une nouvelle architecture internationalePolitique climatique : une nouvelle architecture internationale
Politique climatique : une nouvelle architecture internationaleEricFreymond
 
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...wOrldconnected
 
Guide Invest Algeria
Guide Invest AlgeriaGuide Invest Algeria
Guide Invest Algeriaredsouad
 

Similaire à The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN (20)

Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecce
Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecceLes écoquartiers dupuis stéphane-licence ecce
Les écoquartiers dupuis stéphane-licence ecce
 
Formation prix alimentaires du producteur au consommateur 2009
Formation prix alimentaires du producteur au consommateur 2009Formation prix alimentaires du producteur au consommateur 2009
Formation prix alimentaires du producteur au consommateur 2009
 
201010 diagnostic type1_prof_fr
201010 diagnostic type1_prof_fr201010 diagnostic type1_prof_fr
201010 diagnostic type1_prof_fr
 
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivité
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivitéRapport de Louis Gallois sur la compétitivité
Rapport de Louis Gallois sur la compétitivité
 
Rapport gallois
Rapport galloisRapport gallois
Rapport gallois
 
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française
Rapport Gallois : Pacte pour la compétitivité de l’industrie française
 
Rapport-pacte-compétitivité-gallois
Rapport-pacte-compétitivité-galloisRapport-pacte-compétitivité-gallois
Rapport-pacte-compétitivité-gallois
 
L'année du dpe de l'amdpas
L'année du dpe de l'amdpasL'année du dpe de l'amdpas
L'année du dpe de l'amdpas
 
3. etude d'impact zac ecopôle
3. etude d'impact   zac ecopôle3. etude d'impact   zac ecopôle
3. etude d'impact zac ecopôle
 
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013
Chiffres clés du climat France et Monde Édition 2013
 
Rapport Terrasse, 2016
Rapport Terrasse, 2016Rapport Terrasse, 2016
Rapport Terrasse, 2016
 
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016
Rapport Terrasse sur l'économie collaborative - Février 2016
 
France Assured Access To Space
France Assured Access To SpaceFrance Assured Access To Space
France Assured Access To Space
 
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009
Fs H Rapport Capitalisation Zp V0 30mars2009
 
Rapport sénat prélèvement à la source
Rapport sénat prélèvement à la sourceRapport sénat prélèvement à la source
Rapport sénat prélèvement à la source
 
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPD
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPDRapport sur l'adaptation du droit français au RGPD
Rapport sur l'adaptation du droit français au RGPD
 
Rapport - La valeur de l'action pour le climat
Rapport - La valeur de l'action pour le climatRapport - La valeur de l'action pour le climat
Rapport - La valeur de l'action pour le climat
 
Politique climatique : une nouvelle architecture internationale
Politique climatique : une nouvelle architecture internationalePolitique climatique : une nouvelle architecture internationale
Politique climatique : une nouvelle architecture internationale
 
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...
CHINE : Les objets connectés comme solution aux défis de l’environnement. #...
 
Guide Invest Algeria
Guide Invest AlgeriaGuide Invest Algeria
Guide Invest Algeria
 

The Tragedy of the Commons and the environment. Fiscal policy in response to climate change issues - Thesis H. MERTEN

  • 1. Tragédie des Communs et environnement La fiscalité en réponse aux enjeux climatiques Auteur : Héline MERTEN Promoteur : Marie LAMENSCH Lectrice : Alice PIRLOT Année académique 2019-2020 Master en droit, Finalité Droit de l’entreprise
  • 2.
  • 3. Plagiat et erreur méthodologique grave * A ce sujet, voy. notamment http://www.uclouvain.be/plagiat. Le plagiat, fût-il de texte non soumis à droit d’auteur, entraîne l’application de la section 7 des articles 87 à 90 du règlement général des études et des examens. Le plagiat consiste à utiliser des idées, un texte ou une œuvre, même partiellement, sans en mentionner précisément le nom de l’auteur et la source au moment et à l’endroit exact de chaque utilisation*. En outre, la reproduction littérale de passages d’une œuvre sans les placer entre guillemets, quand bien même l’auteur et la source de cette œuvre seraient mentionnés, constitue une erreur méthodologique grave pouvant entraîner l’échec.
  • 4. Remerciements Je souhaiterais ici faire part de toute ma gratitude à M. LAMENSCH qui, en tant que professeur m’a donné le goût de la fiscalité et, en tant que promotrice, m’a permis d’aiguiser cette affinité, qui ne fera que grandir encore, j’en suis convaincue. Je tiens également à manifester ma reconnaissance à D. DE SCHOUTHEETE, pour m’avoir introduite au monde de l’économie et pour le partage de sa Thèse. J’aimerais aussi remercier ma mère, C. LEROY, pour la gentillesse incomparable dont elle a fait preuve lors de ses relectures assidues. Je remercie également mes proches, qui m’ont encouragée tout au long de ma rédaction, et tout particulièrement, S. NOTHOMB, pour son soutien inébranlable en toutes circonstances. Enfin, je ne puis m’empêcher de remercier tous les auteurs qui m’ont indirectement épaulée durant l’écriture de ce mémoire, en poussant ma soif de connaissances toujours plus loin.
  • 5. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ............................................................................................................. 1 Chapitre I. Constater : Le paradoxe des engagements climatiques............................... 3 Section 1 – Le clivage international de la protection du climat..................................... 4 §1 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques........ 4 §2 Le Protocole de Kyoto ........................................................................................ 5 §3 L’Accord de Paris ............................................................................................... 7 §4 Le leadership environnemental européen ........................................................... 9 Section 2 – Instruments européens contre le réchauffement climatique...................... 10 §1 L’écotaxe européenne, un projet laissé-pour-compte ....................................... 11 §2 La directive taxation de l’énergie, un attrait raboté .......................................... 12 §3 Le système d’échange de quotas d’émissions, un instrument désabusé ........... 14 §4 Les taxes carbones nationales, une solution disparate...................................... 18 Section 3 – Causes de la non-harmonisation de la fiscalité du carbone ..................... 20 §1 Le lobbysme intense ......................................................................................... 20 §2 L’unanimité inaccessible .................................................................................. 21 §3 La concurrence normative nuisible................................................................... 21 §4 Les obligation paralysantes du marché unique ................................................. 22 Section 4 – Conclusion du Chapitre I. ......................................................................... 23 Chapitre II. Réformer : Perspectives pour la fiscalité du carbone................................ 25 Section 1 – Les bénéfices d’une réforme environnementale de la fiscalité................. 26 §1 Le respect du Principe pollueur-payeur ............................................................ 26 §2 Le dividende environnemental, la réduction des émissions de GES ................ 27 §3 Le dividende économique, un gain collectif..................................................... 31 Section 2 – Réformes aux différents niveaux de la chaine de production................... 35 §1 La taxation « upstream »................................................................................... 36
  • 6. §2 La taxation « midstream »................................................................................. 38 §3 La taxation « downstream ».............................................................................. 40 Section 3 – Conclusion du Chapitre II......................................................................... 42 Chapitre III. Exporter : L’ambition climatique au-delà des frontières........................ 43 Section 1 – Les effets négatifs d’un marché global ..................................................... 44 §1 La perte de compétitivité des entreprises européennes..................................... 44 §2 Les fuites de carbones vers les pays non vertueux ........................................... 46 §3 L’augmentation du carbone importé................................................................. 46 Section 2 – Problématiques liées à un ajustement aux frontières ................................ 48 §1 Une taxe de compensation pour les secteurs hautement émissifs..................... 49 §3 Une exemption du coût du carbone pour les exportations................................ 50 §2 Un droit de douane sur base des politiques environnementales ....................... 51 Section 3 : Dénouement par la Taxe sur le Carbone Ajouté........................................ 52 §1 Les modalités d’implémentation....................................................................... 52 §2 La détermination délicate de la base d’imposition ........................................... 57 §3 L’impact global sur les émissions de CO2 ....................................................... 60 Section 4 – Conclusion du Chapitre III........................................................................ 61 CONCLUSION................................................................................................................ 63 BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................... 65 TABLE DES FIGURES Figure 1 : Taux effectifs moyens de taxation du carbone par pays ......................................... 19 Figure 2 : Volumes des échanges de quotas d’émission de l’UE (en millions de tonnes) ...... 34 Figure 3 : Les plus grands flux interrégionaux d'émissions incorporées dans le commerce (en million de tonnes de CO2) ....................................................................................................... 48 Figure 4 : Chaîne de production de panneaux de signalisation routière en acier intégrant la TCA.......................................................................................................................................... 54
  • 7. « Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des soins les moins attentifs. L’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre, il a tendance à négliger ce qui est commun. » ARISTOTE La Politique, Livre II, IVème siècle av. J.-C.1 1 Cité par F. OST, La nature hors la loi: L'écologie à l'épreuve du droit, Paris, La Découverte, 2003, pp. 130 et 131.
  • 8.
  • 9. 1 INTRODUCTION Notre écosystème, regorgeant de ressources naturelles accessibles à tous, représente la scène idéale d’une version globalisée de la Tragédie des Communs2 . Cette théorie économique, établie par G. HARDIN il y a près d’un demi-siècle, explique avec clairvoyance qu’en présence d’un bien commun, chaque individu déduira d’une réflexion rationnelle qu’il a tout intérêt à en maximiser son propre emploi3 . L’absence universelle d’un sentiment de responsabilité quant à la régularisation de l’usage de la ressource conduit donc inévitablement au déclin de celle-ci4 . Du point de vue des économistes, il existe trois façons de résorber cette fatalité ; soit par le biais d’un droit coercitif établi par une autorité omnipotente qui, faisant preuve d’une légitimité indéniable, parvient à fixer des limites quant à l’utilisation de la ressource ; soit par un mécanisme de taxation établissant un signal-prix adéquat pour l’utilisation de la ressource, en ce compris des externalités négatives résultant de son altération ; soit par une combinaison de ces deux solutions5 . En tout état de cause, une action multilatérale est la condition sine qua non de la préservation du bien commun que représente notre environnement6 , en ce qu’il est nécessaire, pour y parvenir, que les États abandonnent volontairement 80 % de leur or noir7 . Toutefois, en raison de l’économie carbone8 qui s’est enracinée dans notre monde, les passagers clandestins des accords climatiques font la loi. Il est donc vain d’espérer que certains renoncent à l’exploitation de leurs richesses lorsque d’autres obtiennent les fruits d’une consommation décuplée. Nous considèrerons donc, au long de cette contribution, quelle solution serait la plus à même de créer un incitant puissant, apte à enjoindre un usage avisé des ressources naturelles, sans quoi, une amélioration de l’état du climat relève de l’utopie. 2 K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, « La lutte contre les changements climatiques. Des engagements internationaux aux politiques régionales », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1915, n° 10, 2006, p. 8. 3 G. HARDIN, « The Tragedy of the Commons », Science, Vol. 162, n° 3859, 13 December 1968, p. 1244. 4 K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, op. cit., p. 8. 5 G. BERTRAM, « William Nordhaus’s climate club proposal: thinking globally about climate change economics », Policy Quarterly, vol. 12, mai 2016, p. 24. Voir aussi : G. HARDIN, op. cit., p. 1245. 6 S. MALJEAN-DUBOIS, « Le multilatéralisme est-il vraiment en crise ? Quelques réflexions à partir de l’exemple des enjeux environnementaux », in Droit, humanité et environnement (sous la dir. de M. ALI MEKOUAR et M. PRIEUR), Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 137. 7 Intervention de N. HULOT dans le documentaire « Climat : le grand bluff des multinationales », Cash Investigation, 2016 (1h55’25’’). Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=SP5MYeBdxiE&t=5881s 8 K. MARÉCHAL et V. CHOQUETTE, op. cit., p. 36.
  • 10. 2 Dans le Chapitre I., il sera constaté que la mise en place d’une autorité mondiale capable de réfréner les États dans leur utilisation fiévreuse des richesses de la Terre est destinée à rester à l’état chimérique, en raison de l’opposition incessante du développement économique aux contraintes écologiques, qui entravent la mise en place de dispositifs concrets. Aussi, il sera démontré qu’en raison de la même diallèle, l’avant-gardisme environnemental, manifesté au niveau international par l’Union européenne, ne fait pas l’objet d’une application aboutie à l’intérieur de ses frontières. Dans le but d’amener l’UE à établir le signal-prix du carbone nécessaire au dénouement de la Tragédie des Communs, le Chapitre II. mettra tout d’abord en exergue les bénéfices qu’elle pourrait tirer d’une réforme fiscale environnementale. Si elle est opérée à l’aune du Principe pollueur-payeur, la transformation du paysage fiscal européen peut en effet conduire à l’obtention d’un double dividende propice à la lutte contre le réchauffement climatique. Ensuite, un panorama des réformes éventuelles sera dressé, comparant les attributs respectifs de taxations placées à différents niveaux de la chaine de production. Nous remarquerons qu’une carence leur est conjointe, en ce que ces formes de taxation faillent à considérer le mouvement de globalisation caractérisant le XXIème siècle. À cet égard, le Chapitre III. spécifiera, dans un premier temps, les effets engendrés par l’existence d’un marché globalisé qui, lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, peuvent réduire à néant les efforts effectués à l’occasion d’une politique environnementale. Dans un second temps, il sera procédé à une analyse des propositions européennes de mécanismes d’ajustement aux frontières, destinés à contrer ces effets. Nous nous attarderons, en dernier lieu, sur l’idée innovante d’une Taxe sur le Carbone Ajouté, qui serait capable de créer un levier fiscale décisif pour sortir de la ligne tracée par la Tragédie des Communs, menant tout droit à un réchauffement climatique menaçant.
  • 11. 3 CHAPITRE I. CONSTATER : LE PARADOXE DES ENGAGEMENTS CLIMATIQUES Dans le sillage de la théorie de G.HARDIN, de nombreux États s’accordèrent à Paris sur des objectifs ambitieux de gestion des énergies non renouvelables. Ce faisant, ils négligèrent toutefois la virulence des passagers clandestins, pourtant déjà à l’origine de l’ineffectivité du protocole de Kyoto9 . Agir de la sorte permet en effet d’obtenir les bénéfices d’une action sans y prendre part et sans supporter les coûts y associés10 . Ainsi, il existe non seulement un gain économique pour les États à rester en marge des accords climatiques11 , mais aussi à ne pas respecter leurs éventuels engagements. Ils peuvent alors exploiter leurs ressources au maximum12 , tout en laissant à d’autres le soin de régler la note climatique. En définitive, nous serions en présence d’un « ordre juridique international schizophrène dont l’hémisphère économique incite à ne pas ratifier et appliquer des normes dont son hémisphère social ou écologique proclame la nécessité et l’universalité13 ». Les accords se résument alors plutôt à de simples déclarations de volonté qu’à la mise en place d’une réelle autorité capable de réguler la consommation graduelle des énergies fossiles. L’Union Européenne (ci-après, UE) quant à elle, bien qu’ayant toujours fait preuve d’un leadership environnemental sur le plan international, fait état d’une politique climatique intérieure affaiblie, en raison d’intérêts hétérogènes qui érodent l’effectivité du marché unique. Le présent chapitre s’attachera donc à établir un historique non exhaustif des grands accords climatiques internationaux, ainsi que des instruments existants au sein de l’UE. Il se clôturera par une explication de l’origine des dissensions européennes, dans le but d’apporter quelques éclaircissements quant à l’état léthargique de la protection de l’environnement. 9 G. BERTRAM, op.cit., p. 23. 10 N. G. MANKIW, Principles of Economics, 7e éd., Stamford, Cengage Learning, 2015, p. 218. 11 J.L. COMBES, P. COMBES-MOTEL et S. SCHWARTZ, « Un survol de la théorie des biens communs », Revue d'économie du développement, vol. 24, No. 3, 2016, p. 63. 12 M. GERMAIN et V. VAN STEENBERGHE, « Constraining Equitable Allocations of Tradable CO2 Emission Quotas by Acceptability », Environmental and Resource Economics, No 26, 2003, p. 469. 13 Propos d’A. SUPIOT à l’occasion de la conférence d’ouverture du XXIe Congrès de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale, cités dans : M. DUPRÉ, « Le commerce mondial à l’heure de la transition », Esprit, No. 3, mars 2020, p. 61.
  • 12. 4 SECTION 1 – LE CLIVAGE INTERNATIONAL DE LA PROTECTION DU CLIMAT A. DAHAN, directrice de recherche émérite au Centre National de la Recherche Scientifique français, résume l’état de la gouvernance climatique en ces mots : « Ces instances de gouvernance que sont les COP de la Convention sur le Changement Climatique ont jusqu’à présent entretenu ce schisme [de réalité] en encourageant une sorte de faux optimisme et une apparence de progrès, alors qu’en réalité, il y a un immobilisme de la prise de décision pendant que s’accélère une dégradation inexorable du climat14 ». §1 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques Malgré que les premières preuves scientifiques datent de la fin du 19ème siècle, l’existence et les conséquences du réchauffement climatique furent longtemps étrangères à la sphère politique. La première Conférence Mondiale sur le climat, tenue en 1979, fut pour cette raison exclusivement constituée « d’experts du climat et du genre humain15 ». Suite aux pressions de la communauté scientifique quant à l’importance de l’implication des gouvernements dans la problématique climatique16 , le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (ci-après, GIEC) fut créé en 1988, avec pour mission d’orienter les décisions politiques, par le biais de rapports réguliers sur le changement climatique17 . Le premier rapport du GIEC, soumis en 1990, mit en exergue la nécessité pour les Nations Unies d’adopter ce qui sera la future Convention-cadre sur les changements climatiques18 (ci-après, CCNUCC). La préparation de cette dernière fut confiée à une enceinte ad hoc de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui ne devrait que « tenir compte », l’auteur insiste sur ces termes, des conclusions du GIEC19 . Ainsi, alors même que 14 Propos de A. DAHAN, relatés par : The Shift Project, « Schisme de la réalité » : Amy Dahan sur la gouvernance climatique », 22 septembre 2015. Disponible sur : https://theshiftproject.org/article/schisme-de-la- realite-amy-dahan-sur-la-gouvernance-climatique/ 15 J. W. ZILLMAN, « Historique des activités climatologiques », Bulletin de l’Organisation météorologique mondiale, Vol. 58, No. 3, juillet 2009, p.143. 16 J. JOUZEL, M. PETIT et V. MASSON-DELMOTTE , « Trente ans d’histoire du Giec », La Météorologie, n° 100, février 2018, p. 120. 17 CNRS, « Les experts du climat », CNRS Le Journal, n° 274, septembre-octobre 2013, p. 21. 18 Nations Unies, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, adoptée à New York le 9 mai 1992. Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf 19 M. PALLEMAERTS, « Le cadre international et européen des politiques de lutte contre les changements climatiques », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1858-1859, n° 33, 2004, p. 17.
  • 13. 5 le GIEC soutenait que les activités humaines risquaient d’engendrer une hausse anormale des températures et du niveau des eaux20 , la CCNUCC recommanda simplement aux Parties signataires de la CCNUCC (ci-après, Parties) de développer des politiques climatiques21 , en des termes imprécis et sans qu’aucun délai ou niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre (ci-après, GES) ne soit entériné22 . En regardant de plus près la CCNUCC, force est de constater que ses auteurs entendaient plutôt rappeler que les règles de lutte contre le changement climatique doivent rester subordonnées, tant aux impératifs économiques et commerciaux23 , qu’au principe de la souveraineté des États24 . Ce conflit implicite entre les réalités scientifique et politique illustre les prémisses de la tension qui forgera chaque décision prise depuis lors, lorsque le développement économique sera gêné par les contraintes écologiques. §2 Le Protocole de Kyoto Afin de répondre aux inquiétudes scientifiques de plus en plus corroborées du second rapport du GIEC25 , les représentants d’une centaine de pays, sur les 166 Parties, se sont réunis en 1997 pour la 3ème COP (pour Conference of the Parties). Ils parvinrent à s’accorder sur un objectif climatique qui, bien que peu ambitieux, avait le mérite d’être clair et contraignant. En effet, 37 pays étaient légalement tenus par le Protocole de Kyoto26 de respecter un objectif 20 GIEC, Premier Rapport d'évaluation du GIEC, Juin 1992, p. 51 et s. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/05/ipcc_90_92_assessments_far_full_report_fr.pdf 21 I. AJALA, « Le changement climatique, le protocole de Kyoto et les relations transatlantiques », Politique étrangère, vol. 1, printemps 2009, p. 105. 22 Voir par exemple l’Art. 2 CCNUCC : « L'objectif ultime de la présente Convention […] est de stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d'atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s'adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d'une manière durable. » 23 Voir par exemple l'Art. 3 § 5 CCNUCC : « […] il convient d'éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d'imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce. » 24 Voir par exemple le Préambule de la CCNUCC : « Réaffirmant que le principe de la souveraineté des États doit présider à la coopération internationale destinée à faire face aux changements climatiques ». 25 GIEC, Deuxième Rapport d'évaluation du GIEC, décembre 1995. Ce rapport apporte la preuve que la mutation substantielle du climat en un siècle est due à l’activité humaine et n'est pas exclusivement d'origine naturelle. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/06/2nd-assessment-fr-1.pdf 26 Nation Unies, Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, 1998. Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/convkp/kpfrench.pdf
  • 14. 6 total de 5 % de réduction des émissions de GES27 , sous peine de devoir « rattraper la différence au cours de la deuxième période d’engagement, avec une pénalité de 30 % de réduction supplémentaire28 ». Le Protocole de Kyoto n’entrera en vigueur que 8 ans plus tard29 , l’essor médiatique suscité par le troisième rapport du GIEC30 ayant sans nul doute jouer un rôle pour pallier aux ratifications timides des États31 . L’on pourrait donc voir dans le protocole de Kyoto une représentation de la première solution à la Tragédie des Communs, en ce qu’il limite l’utilisation des ressources naturelles et y associe des sanctions. Toutefois, la première période du Protocole de Kyoto se solda par une réussite pour le moins biaisée. En effet, même si l’Organisation des Nations Unies estimait que la baisse des émissions de GES était de 24 %32 , les pays participants ne représentaient que 18 % des émissions mondiales, étant donné que les plus gros émetteurs de GES, à savoir les États-Unis33 , le Canada, la Chine et l’Inde, refusèrent de participer34 . La deuxième période du Protocole de Kyoto devait être couverte par l’amendement de Doha35 , conclu lors de la COP18 en 2012. Il prévoyait un objectif de réduction des émissions de GES de 20 % pour la décennie suivante. Néanmoins, les 144 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur n’ont jamais été obtenues. 27 L’article 3 du Protocole de Kyoto prévoit que les Parties visée à l’Annexe I doivent « réduire le total de leurs émissions de ces gaz d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012. » 28 F. COLLARD, « La Politique énergétique en Europe », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2403-2404, n° 38, 2018, p. 17. La menace d’une telle sanction conduira d’ailleurs au retrait du Canada en 2011. 29 UNFCC, Le Protocole de Kyoto entrera en vigueur le 16 février 2005, Communiqué de presse du 18 novembre 2004. Disponible sur : https://unfccc.int/files/press/news_room/press_releases_and_advisories/application/pdf/press041118_fre.pdf 30 GIEC, Bilan 2001 des changements climatiques : Rapport de synthèse, Contribution des Groupes de travail I, II, et III au Troisième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2001. Ce rapport apporte la preuve que l’existence et les conséquences d’un réchauffement climatique ont des origines anthropiques. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/TAR_syrfull_fr.pdf 31 L’article 25 § 1er du Protocole de Kyoto prévoit que celui-ci doit être ratifié par un minimum de 55 pays représentant au moins 55% des émissions de GES des Parties liées pour entrer en vigueur. 32 F. COLLARD, op.cit., p. 18. 33 Lors de la Présidence de George W. Bush, les États-Unis justifièrent leur refus sur base de l’absence de contrainte pour les pays en développement, notamment la Chine et l’Inde. Voir : R. S. AVI-YONAH et D. M. UHLMANN, « Combating Global Climate Change: Why a Carbon Tax is a Better Response to Global Warming than Cap and Trade », Stanford Environmental Law Journal, vol. 28, n° 3, 2009, p. 18. 34 Site web officiel de l’Union européenne, 1re période d’engagement du protocole de Kyoto (2008-2012). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/progress/kyoto_1_fr 35 Nations Unies, Amendement au Protocole de Kyoto, adopté par la décision 1/CMP.8, le 8 décembre 2012. Disponible sur : https://unfccc.int/files/kyoto_protocol/application/pdf/kp_doha_amendment_french.pdf
  • 15. 7 §3 L’Accord de Paris Constatant l’absence avérée de convergence mondiale au sujet de la protection du climat, dont l’une des illustrations est la non-adoption de l’accord de Copenhague lors de la COP 15 en 200936 , les Parties adoptèrent l’Accord de Paris (ci-après, l’Accord) en 201537 , en ayant recours à la notion de préoccupations communes à l’humanité38 . L’idée sous-jacente, parallèle au raisonnement de la Tragédie des Communs est que, lorsqu’il s’agit de la protection de l’environnement, certaines activités ou ressources, qui dépendent normalement de la souveraineté des pays, peuvent être administrées via une gestion en coopération39 . Toutefois, c’est sous le joug de la flexibilité40 qu’œuvrèrent les acteurs de la COP21, et cela fait écho dans plusieurs aspects de l’Accord. Tout d’abord, les Parties se sont accordées sur une cible à tout le moins nébuleuse. Il s’agit de limiter, dans les meilleurs délais41 , l’élévation des températures à 2°C, en se rapprochant le plus possible des 1.5°C42 . Les Parties espèrent atteindre cet objectif commun par des contributions déterminées au niveau national, réévaluées tous les 5 ans43 . Or, il s’agit en réalité de promesses de réduction des émissions de GES révocables à souhait et ne possédant pas les caractéristiques d’une obligation juridique, en ce qu’elles sont inscrites dans un registre en marge de l’Accord44 . 36 Nations Unies, Rapport de la quinzième session de la Conférence des Parties tenue à Copenhague du 7 au 19 décembre 2009, 30 mars 2010. Il y est fait mention avant la retranscription de l’Accord de Copenhague, à la page 4, que « La Conférence des Parties, Prend note de l’Accord de Copenhague du 18 décembre 2009. » Disponible sur : https://unfccc.int/resource/docs/2009/cop15/fre/11a01f.pdf#page=4 Pour plus de détails à ce sujet, voir : E. BURLESON, « Climate Change Consensus: Emerging International Law », William and Mary Environmental Law and Policy Review, vol. 34, n° 543, 2010, pp. 544-554. 37 Nations Unies, Accord de Paris, décembre 2015. Disponible sur : https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_french_.pdf 38 T. LARGEY, Le statut juridique de l'air: Fondements pour une théorie de l'air en tant que chose commune, en droit suisse et international, Berne, Stämpfli Verlag, 2017, p. 237. 39 OCDE, Principes et concepts environnementaux, OCDE/GD(95)124, Paris, 1995, p. 10. Disponible sur : http://www.oecd.org/officialdocuments/publicdisplaydocumentpdf/?cote=OCDE/GD(95)124&docLanguage=Fr 40 Pour plus d’informations à ce sujet, voir : M. LEMOINE-SCHONNE, « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques », Revue juridique de l’environnement, Vol. 41, n° 1, 2016, pp. 37 à 55. 41 Voir l’Art. 4 §1 de l’Accord : « En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé́ à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais […] ». 42 Voir l’Art. 2 §1 de l’Accord : « Le présent Accord […] vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté́, notamment en : a) Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques; […] ». 43 Voir l’Art. 4 §9 de l’Accord. 44 M. LEMOINE-SCHONNE, op. cit., p. 39.
  • 16. 8 L’approche latitudinaire adoptée dans le texte est aussi illustrée par l’absence de sanction en cas de non-respect de l’Accord, ce qui marque l’écart par rapport au régime de Kyoto. La seule crainte d’une Partie défaillante est celle de se retrouver sur le banc des cancres du climat45 , place qu’occupent actuellement les États-Unis, depuis leur retrait de l’Accord en juin 201746 . Étant donné que, selon la logique des passagers clandestins, les participants à l’Accord ont, in fine, intérêt à ne pas respecter leurs engagements, un certain pessimisme peut se faire sentir quant à la réelle observation des contributions nationales47 . D’ailleurs, les différentes COP qui ont succédé à Paris ne furent guère synonyme de nouveaux engagements contraignants48 , alors même que parvenir à cet objectif de 2°C nécessiterait, selon le GIEC, « une réduction mondiale de 40 à 70 % des émissions anthropiques de GES entre 2010 et 2050, et des émissions presque nulles, voire des émissions négatives en 210049 ». L’inertie de la communauté internationale témoigne du fait que Paris n’était sans doute que la clé ouvrant le passage vers une nouvelle ère de diplomatie climatique50 . L’ennui est que, comme le disait C. DE GAULLE, « La diplomatie est l'art de faire durer indéfiniment les carreaux fêlés51 ». À une heure où les États pavent impunément un chemin menant tout droit à un réchauffement climatique dangereux52 , la formation d’un front commun pour s’en détourner est plus que jamais nécessaire. 45 S. LAVALLÉE et S. MALJEAN-DUBOIS, « L’Accord de Paris : Fin de la crise du multilatéralisme climatique ou évolution en clair-obscur ? », Revue juridique de l’environnement, Vol. 41, n° 1, 2016, p. 27. 46 C. HUGLO, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 155. 47 J.L. COMBES, P. COMBES-MOTEL et S. SCHWARTZ, op.cit., p. 65. 48 Site fédéral belge « Climat.be », Politique climatique internationale – Conférences climatiques. Disponible sur : https://climat.be/politique-climatique/internationale/conferences-climatiques 49 GIEC, Cinquième rapport d’évaluation du GIEC, Changements climatiques 2014 : Rapport de synthèse, 14 novembre 2014, p. 21. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf 50 S. LAVALLÉE et S. MALJEAN-DUBOIS, op. cit., p. 36. 51 C. DE GAULLE, Lettres, notes et carnet, Tome 1, Paris, Plon, 1988, p. 88. 52 Service Copernicus concernant le changement climatique, Warming trend shows 11 of the 12 warmest years occurred since 2000, according to the Copernicus European State of the Climate report, Communiqué de presse du 22 Avril 2020. Disponible sur : https://climate.copernicus.eu/warming-trend-shows-11-12-warmest-years- occurred-2000-according-copernicus-european-state-climate
  • 17. 9 §4 Le leadership environnemental européen C’est au début des années 1970 que l’UE posa les premières pierres de sa lutte pour l’environnement, qu’elle poursuit donc aujourd’hui depuis un demi-siècle53 . D’abord actrice clé des négociations du Protocole de Kyoto54 , elle invoqua ensuite l’impérativité d’adopter un nouvel accord juridique contraignant pour la « deuxième période Kyoto »55 , un appel à l’action internationale qui, comme nous l’avons mentionné, restera vain. Toutefois, le front commun européen porta ses fruits à Paris, lors de la COP21. Les États membres de l’UE (ci- après, EM) ont non seulement soutenu avec ardeur l’importance de la prise d’engagements nationaux rapides et élevés56 , mais parvinrent aussi à échafauder la construction d'une coalition de haute ambition, comprenant les États-Unis, qui obtint la rédaction de l’objectif subsidiaire de 1,5°C57 . Nonobstant, consciente des lacunes de ces accords internationaux, considérés par certains comme un nouveau modèle de l’auberge espagnole58 , l’UE plaça la lutte contre le changement climatique au premier rang de son agenda politique, asseyant sa position de leader environnemental par la déclaration d’objectifs ambitieux59 . Elle parvint à réduire ses émissions de GES de 23 %, tandis que son économie enregistrait une croissance de 61 % entre 1990 et 201860 . Ce faisant, elle prouva au monde entier qu’il est manifestement possible d’allier un développement économique constant à une politique environnementale exigeante. 53 Institute for European Environmental Policy, Report on the influence of EU policies on the environment, août 2013, p. 5. Disponible sur : http://assets.wwf.org.uk/downloads/final_report___influence_of_eu_policies_on_the_environment.pdf 54 M. PALLEMAERTS, op. cit., p. 45. 55 T. ELOLA CALDERÓN ET E. VAN DEN ABEELE, « La présidence belge de l'Union européenne : organisation et priorités » Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2072, n° 27, 2010, p. 39. 56 Par exemple, le discours de F. Hollande : « Le plus grand danger n’est pas que notre but soit trop élevé et que nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignons. Alors plaçons, le plus haut possible, notre ambition pour que nous puissions au moins l’approcher. C’est en visant haut que l’on décidera pour longtemps de la vie sur notre planète. » Voir : F. HOLLANDE, Ouverture du « Leaders’ event » COP21, Paris-Le Bourget, 30 novembre 2015, p.7. Disponible sur : https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/cop21cmp11_statement_hollande.pdf 57 A. BARICHELLA, « Comment l’Europe peut et doit devenir le gardien de l’Accord de Paris sur le changement climatique », Fondation Robert Schuman - Question d'Europe, n° 450, 6 Novembre 2017, p. 3. 58 O. GODARD, « L’ajustement aux frontière, condition de la crédibilité d’une politique européenne du climat ambitieuse », Revue de l’OFCE, vol. 1, n° 120, 2012, p. 178. 59 A. SAUSSAY, P. MALLIET, G.L. RIVERA (et al.), « Building a consistent European climate-energy policy », in Report on the State of the European Union, (sous la dir. de J. CREEL, E. LAURENT et J. LE CACHEUX), Cham, Palgrave Macmillan, 2018, p. 176. 60 Commission européenne, Questions et réponses sur la loi européenne sur le climat et le pacte européen pour le climat, Bruxelles, le 4 mars 2020, p. 1.
  • 18. 10 C’est au début des années 2000 que les rouages de la puissance normative de l’UE prirent de l’ampleur, avec notamment l’adoption de la Directive établissant le système d’échange de quotas d’émission61 (ci-après, Directive SEQE) en 2005, et l’adoption du Programme européen sur le changement climatique en 201162 . Suivirent ensuite, plus ambitieux les uns que les autres, les Paquets Climat de 2007 et 2014, le Paquet Union de l’énergie de 2015 et le Paquet énergie propre pour tous les Européens de 201663 . Le dernier en date est le Pacte Vert pour l’Europe (ci-après, Pacte Vert), présenté par la « Commission von der Leyen » le 11 décembre 201964 . Il a pour ambition de « faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique, avec des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d'ici 205065 ». SECTION 2 – INSTRUMENTS EUROPÉENS CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE Toutefois, le leadership climatique, transparaissant dans l’ensemble des engagements politiques précités, n’occasionne pas l’écho auquel on pourrait s’attendre dans le domaine de la fiscalité environnementale. L. ÉLOI, économiste et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques, compare en effet l’ambition climatique européenne à une pyramide sans base, qui nécessiterait une réforme solide de la tarification carbone66 . 61 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/ce du Conseil, J.O.U.E., 25 Octobre 2003, L 275, p. 32. 62 « Le programme européen sur le changement climatique (PECC) est un programme de la Commission européenne qui réunira toutes les parties intéressées et leur permettra de participer aux travaux préparatoires sur les politiques et mesures communes et coordonnées destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. » Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les politiques et mesures proposées par l'UE pour réduire les émissions de gaz à effet de serre: vers un programme européen sur le changement climatique (PECC), C.O.M. (2000), 88 final. Disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52000DC0088&from=FR 63 F. COLLARD, op. cit., pp. 8, 21, 23 et 25. 64 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final. Disponible sur : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_fr.pdf 65 Site fédéral belge « Climat.be », Politique climatique européenne – Pacte vert. Disponible sur : https://climat.be/politique-climatique/europeenne/pacte-vert 66 L. ÉLOI, « Faut-il négocier notre avenir climatique au moyen de quantités d’émissions ou de prix du carbone ? », Négociations, vol. 24, No. 2, 2015, p. 44.
  • 19. 11 §1 L’écotaxe européenne, un projet laissé-pour-compte Les fondements de l’UE que nous connaissons aujourd’hui proviennent de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, créée en 1952, dont la Haute Autorité était habilitée à établir des prélèvements sur la production d’acier et de charbon67 . Dans la continuité de la création, par les pères fondateurs, d’une Europe harmonisée, une écotaxe ayant pour objectif de taxer, au niveau européen, les émissions de CO2 et la consommation d’énergie fut proposée en 199268 . Un rapport d’information69 , rédigé à cet effet, souligne que cette « nouvelle taxe perçue cette fois sur le charbon et le pétrole consommés pour produire de l'énergie, pourrait prendre le relais du prélèvement CECA », et ajoute qu’elle serait « seulement parée de sa bonté intrinsèque de pénalisation d’une cause de pollution, selon le principe du "pollueur-payeur" ». Toutefois, les disparités socio-économiques des EM70 et l’hostilité des lobbys industriels eurent raison de son adoption71 . Les politiques nationales fragmentées remplacèrent donc rapidement la vision originelle européenne d’une utilisation coordonnée de l’énergie72 . L’article 194 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, TFUE) ne fournit en effet pas les outils nécessaires pour assurer une harmonisation dans ce domaine. Bien qu’il octroie à l’UE le droit de créer un cadre général en la matière, il réaffirme en même temps le principe de souveraineté de chaque EM73 , quand il s’agit de « déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique […]74 ». Suite à ce refus, le Conseil Ecofin, rassemblant les Ministres de l’Économie et des Finances, 67 Art. 49 du Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, signé à Paris le 18 avril 1951. 68 Proposition de directive du Conseil instaurant une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et sur l'énergie, C.O.M. (1992) 226 final. Disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:51992PC0226&from=LT 69 Rapport d’information sur la proposition modifée de directive du Conseil instaurant une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et sur l'énergie, fait au nom de la délégation du Sénat pour l’Union européenne (Rapp. M. P. FRANÇOIS), P.E. Doc, n° 210 (1995-1996) du 13 février 1996, p. 8. 70 B. DE KERCKHOVE, « Taxation des produits énergétiques et de l’électricité », in Environnement : Taxes et subsides 2018, (sous la dir. de P. DE RIDDER), Liège, Wolters Kluwer, 2018, p. 335. 71 N. A. BRAATHEN, “The political economy of environmental taxation”, in Handbook of research on Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012, pp. 231 à 234 et 241. 72 T. PELLERIN-CARLIN, « L'Union de l'énergie aux prises avec les lobbies », L'Économie politique, vol. 74, No. 2, 2017, p. 55. 73 F. COLLARD, op. cit., p. 7. 74 Art. 194 §2 al. 2 TFUE
  • 20. 12 requerra de la Commission, en 1997, qu’elle présente un projet relatif à une autre forme de taxation qui, bien que ne présentant pas les caractéristiques attachées à la définition stricte d’une taxe carbone, maintiendrait la préservation de l’environnement comme objectif principal75 . §2 La directive taxation de l’énergie, un attrait raboté C’est ainsi qu’une harmonisation timide vit finalement le jour dans le texte de la Directive du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité76 (ci-après, DTE). Il s’agit de droits d’accises que les EM prélèvent pour leur propre compte, en respectant les taux minimaux établis par ladite DTE. Son champ d’application couvre les produits énergétiques seulement lorsqu’ils sont employés comme carburant ou combustible77 et exclut donc tout autre usage comme, par exemple, leur utilisation en tant que matière première ou en tant que bien intermédiaire78 . Peu de temps après son adoption, son contenu pourtant déjà étriqué fut d’avantage dénaturé par les EM, qui multiplièrent les régimes de faveur pour leurs entreprises, sous le couvert de la protection des économies européennes79 . Le point de friction réside donc dans l’existence de taux nationaux disparates auxquels viennent se greffer une myriade d’exonérations et de réductions, dont la combinaison donne lieu à ce que l’on peut qualifier de subventions aux combustibles fossiles, une incompatibilité flagrante avec le Pacte Vert80 . De surcroit, ces droits d’accises se basent uniquement sur la quantité consommée de ces produits81 . Ce calcul ne tient donc pas compte de leur contenu énergétique, favorisant par 75 B. DE KERCKHOVE, op. cit., p. 335. 76 Directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, J.O.U.E., 31 octobre 2003, L 283, p. 51. 77 Art. 2 § 1er de la DTE 78 Site web officiel de l’Union européenne, Évaluation du cadre de l’UE pour la taxation des produits énergétiques et de l’électricité. Disponible sur : https://ec.europa.eu/info/consultations/evaluation-eu-framework- taxation-energy-products-and-electricity_fr Voir aussi l’Art. 2 § 4 de la DTE 79 S. CAUDAL, La fiscalité de l’environnement, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2014, p. 83. 80 CITEPA, Nouvelle tentative de la Commission de réviser la Directive sur la taxation de l’énergie (consultation publique), 25 mars 2020. Disponible sur : https://www.citepa.org/fr/2020_03_a09/ 81 Art. 2 et Art. 4 §2 de la DTE
  • 21. 13 conséquent certains produits par rapport à d’autres, et notamment, le charbon82 . Ce faisant, la DTE ne considère pas non plus le contenu énergétique plus faible des produits issus de sources renouvelables, qui sont alors taxés à un taux défavorable ; celui retenu pour le combustible ou le carburant auxquels ils se substituent83 . Pour pallier ce manque de cohérence, la Commission proposa en 2011 de distinguer deux composantes pour l’élaboration du taux de taxation ; l’une relevant des émissions de CO2 résultant de la consommation des produits concernés, l’autre fondée sur le contenu énergétique de ces produits84 . Cette approche par le contenu, favorisant le nucléaire, était soutenue par la France mais désapprouvée par les EM n’ayant plus recours au nucléaire, comme le Danemark ou l’Autriche85 . À nouveau, les positions divergentes des EM conduisirent la Commission à retirer sa proposition86 . L’incohérence manifeste de la DTE fut, en fin de compte, reconnue vers la fin 201987 . Une nouvelle phase de révision est en cours depuis lors, dont l’objectif principal est de remédier aux déséquilibres créés par la DTE qui, en adressant des signaux-prix erronés, découragent les consommateurs à s’orienter vers une forme d’énergie plus verte et plus efficace88 . Selon la Commission, la révision de la DTE est l’un des moyens nécessaires pour garantir la tarification correcte du carbone dans l’économie européenne, qui contribuera à l’objectif de neutralité carbone fixé pour 205089 . Il s’agirait donc de rapprocher la DTE de l’ambition climatique européenne, d’une part, en promouvant les énergies renouvelables ayant fait leur entrée sur le marché, et d’autre part, en rationnalisant tant les exonérations en faveur 82 Proposition de Directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, Exposé des motifs, C.O.M. (2011) 169 final, p. 3. 83 Art. 2 § 3 de la DTE 84 Proposition de Directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, Exposé des motifs, C.O.M. (2011) 169 final, pp. 5 et 6. 85 S. C. AYKUT, « Gouverner le climat, construire l'Europe : l'histoire de la création d'un marché du carbone (ETS) », Critique internationale, vol. 62, No. 1, 2014, p. 46. 86 CITEPA, Nouvelle tentative de la Commission de réviser la Directive sur la taxation de l’énergie (consultation publique), 25 mars 2020. Disponible sur : https://www.citepa.org/fr/2020_03_a09/ 87 Projet de conclusions du Conseil sur le cadre de l'UE en matière de taxation de l'énergie, OR-14608/19, 29 novembre 2019. Disponible sur : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14608-2019-INIT/en/pdf 88 Commission staff working document evaluation of the Council Directive 2003/96/EC of 27 October 2003 restructuring the Community framework for the taxation of energy products and electricity, S.W.D. (2019) 329 final, p. 37. Disponible sur : https://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/energy-tax-report-2019.pdf 89 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final, p. 6.
  • 22. 14 des carburants d’aviation et des combustibles maritimes, que les subventions dont bénéficient encore aujourd’hui les énergies fossiles90 . §3 Le système d’échange de quotas d’émissions, un instrument désabusé Notion. La Commission, ayant d’abord opté pour l’utilisation d’instruments fiscaux harmonisés avec sa proposition d’écotaxe, fut finalement contrainte de se tourner vers les instruments économiques de nature non fiscale91 . C’est dont en 2005 qu’elle inaugura la mise en place du Système d’échange de quotas d’émission de GES92 (ci-après, SEQE), en tant que fer de lance de son action climatique. Il s’applique couramment dans les 27 EM de l'UE ainsi qu’à l'Islande, au Liechtenstein, à la Norvège93 et jusqu’au 31 décembre 2020, au Royaume- Uni94 . Par souci de clarté, nous utiliserons la notion d’EM lorsque nous ferons référence aux pays participants. Le SEQE fonctionnant selon la logique du cap and trade, son but est de plafonner les émissions de GES, en fixant une quantité maximale de quotas95 , pour les entreprises de secteurs définis96 . Il s’agit des secteurs industriels à forte intensité énergétique, tels que la métallurgie, la cimenterie, la production d'électricité, l’industrie manufacturière, la chimie, ainsi que le secteur de l’aviation, ajouté ultérieurement97 . Le volume total des quotas qui leurs sont alloués est ensuite réduit chaque année afin d’entrainer une hausse du prix du carbone et d’inciter aux investissements verts98 . Enfin, un marché aux enchères permet aux 90 Agence Europe, “Official launch of work on revision of Energy Taxation Directive”, Europe Daily Bulletin No. 12439, 5 mars 2020. Disponible sur : https://agenceurope.eu/en/bulletin/article/12439/17 91 M. PALLEMAERTS, op. cit., p. 52. Pour une analyse complète de ce revirement voir : S. C. AYKUT, op.cit., pp. 39-55. 92 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/ce du Conseil, J.O.U.E., 25 Octobre 2003, L 275, p. 32. (citée : Directive SEQE) 93 Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr 94 A partir de 2021, le Royaume-Uni aura son propre système d’échange de quotas d’émission. Voir : Lexology, United Kingdom: Government publishes details of new post-Brexit Emissions Trading System, 17 juin 2020. Disponible sur : https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=91f710a3-d34e-4e43-84f8-30ff8fdf0ce4 95 La Directive SEQE donne la définition suivante : « le quota autorisant à émettre une tonne d'équivalent- dioxyde de carbone au cours d'une période spécifiée […] ». Elle précise ensuite qu’une tonne d'équivalent- dioxyde de carbone correspond à « une tonne métrique de dioxyde de carbone (CO2) ou une quantité de tout autre gaz à effet de serre visé à l'annexe II ayant un potentiel de réchauffement planétaire équivalent ». Voir l’art. 3, a) et j) de la Directive SEQE. 96 Les secteurs et le seuils minimaux d’émissions sont définis dans l’Annexe I de la Directive SEQE. 97 Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr 98 Union européenne, Le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS), Fiche d’information de la Commission européenne, 2013. Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/factsheet_ets_fr.pdf
  • 23. 15 entreprises qui émettent un niveau inférieur aux quotas qui leur ont été alloués, de vendre leurs surplus et, inversement, à celles qui auront dépassé leurs seuils, d’en acheter99 . Fraudes. Toutefois, ce mécanisme n’est pas sans faille. Compte tenu du fait que la TVA s’applique aux transactions de quotas100 , le SEQE fut tout d’abord la proie d’une fraude carrousel sans pareille101 , mais la spécificité de cet instrument ouvrit la voie à d’autres complications. Lors de la phase de lancement du SEQE, chaque EM reçut la tâche de déterminer son plan national d’allocation, c’est-à-dire, le nombre de quotas nécessaires à celles de ses industries qui sont couvertes par le SEQE102 . Les EM, subissant la pression intense des différents lobbys industriels103 et, dans le même temps, désireux de prémunir leurs entreprises contre les inconvénients liés à la naissance d’un prix associé à la pollution (voy. infra. Chapitre III.), provoquèrent une sur-allocation de quotas104 . Dans cette même optique de sécurité économique, ils décidèrent d’opter pour une distribution à titre gratuit de ces quotas105 , à laquelle s’ajouta un pourcentage de réduction annuelle peu ambitieux106 . Cet agencement permit à un grand nombre d’entreprises de profiter de ce système ; un groupe cimentier européen empocha par exemple, entre 2010 et 2014, quelques 485 millions d’euros en revendant la quantité excessive de quotas reçus à titre gratuit, sans qu’il fût possible de vérifier si cette somme avait été utilisée pour financer des projets environnementaux107 . 99 J. RATNATUNGA et K. R. BALACHANDRAN, « Carbon Emissions Management and the Financial Implications of Sustainability », in Corporate Sustainability, (sous la dir. de P. TATICCHI et al.), Berlin, Springer, 2013, p. 65. 100 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le fonctionnement du marché européen du carbone, C.O.M. (2019) 557 final/2, p. 37. Disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52019DC0557R(01)&from=EN 101 Pour plus d’information sur ce sujet, voir : X. RAUFER, « Aveugles, arnaqueurs et assassins : morts et milliards de la ‘’taxe carbone‘’, 2008–... », Sécurité globale, vol. 11, n° 3, 2017, pp. 141-152. 102 F. VENMANS, « L'efficacité environnementale et économique du marché du carbone européen », in Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2099-2100, n° 14, 2011, p. 11. 103 Pour plus d’informations à ce sujet, voir : P. MARKUSSEN et G. T. SVENDSEN, “Industry lobbying and the political economy of GHG trade in the European Union”, Energy Policy, vol. 33, Issue 2, January 2005. Voir aussi : L. LOHMANN, « Carbon Trading. A critical Conversation on Climate Change, Privatisation and Power », Development dialogue, No .48, Uppsala, Dag Hammarskjöld Foundation, 2006, pp. 81, 87 à 89 et 119. 104 F. VENMANS, op. cit., p. 11. 105 Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) - Phases 1 et 2 (2005-2012). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/pre2013_fr 106 A savoir 1,74 %. Il passera à 2,2 % en 2021. Voir l’art. 9, al. 1er de la Directive SEQE 107 L’ancien directeur général de la DG CLIMA, J. DELBEKE, après avoir pris connaissance de la fraude, reconnu que son service ne disposait pas d’un mandat qui permettrait de procéder à une telle vérification. Propos relaté dans le documentaire de Cash Investigation « Climat : le grand bluff des multinationales », 56 minutes. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=SP5MYeBdxiE
  • 24. 16 Signal-prix du carbone. De surcroit, cette sur-allocation engendra l’absence totale d’un signal-prix du carbone108 , alors qu’il s’agit d’un outil primordial pour contrer l’effervescence de la Tragédie des Communs. D’abord nul durant les premières années109 , le signal-prix du carbone est resté très bas suite à la crise financière de 2008 et l’émergence des énergies renouvelables, qui produisirent une baisse des émissions, tout en tronquant le mécanisme du SEQE, alors gorgé de quotas non utilisés110 . De ces périodes de dépression du prix du carbone, il résulte, sur le long terme, une augmentation générale des émissions de GES. En effet, « tous les projets d'investissement qui avaient été élaborés sur la base d'un prix plus élevé se trouvent financièrement mis en danger111 », mettant alors en péril les entreprises à leur origine. En conséquence, à la fin d’une période de crise, seules restent présentes sur le marché les entreprises non créatrices d’innovations vertes, dont les investissements n’ont pas souffert de cette baisse du prix du carbone. À partir de 2013112 , la mise aux enchères d’une partie des quotas, ceux des secteurs qui ne sont pas exposés à un risque important de fuites de carbone113 (voy. infra Chapitre III.), permit de rehausser le prix de la tonne de carbone, qui restera néanmoins plafonné à 10 euros jusqu’en 2018114 . Depuis son entrée en vigueur en janvier 2019, une réserve de stabilité permet de contrôler et d’ajuster la quantité de quotas disponibles115 . Cette dernière amélioration permit au SEQE d’arborer un prix du carbone variant aux alentours de 25 euros 108 F. VENMANS, op. cit., p. 12. 109 Site web officiel de l’Union européenne, Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) - Phases 1 et 2 (2005-2012). Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/pre2013_fr 110 A. GRANDJEAN et M. MARTINI, « Signal-prix carbone : où en est-on ? », Futuribles, vol. 418, n° 3, 2017, p. 53. 111 L. ÉLOI et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en présence », in Revue de l'OFCE, vol. 116, No. 1, 2011, p. 399. 112 Règlement (UE) n° 1031/2010 de la Commission du 12 novembre 2010 relatif au calendrier, à la gestion et aux autres aspects de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, J.O.U.E., 18 novembre 2010, L 302, p. 1. 113 Les secteurs les plus exposés, déterminés par une décision de la Commission européenne, continueront de bénéficier de l’allocation gratuite de leurs quotas jusqu’en 2030. Voir à cet effet : Décision de la Commission du 27 octobre 2014 établissant, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous-secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone, pour la période 2015-2019, J.O.U.E., 29 octobre 2014, L 308, p. 114. 114 B. CLAESSENS, « Hausse spectaculaire du prix de la tonne de carbone : quel impact pour le citoyen ? », Révolution Énergétique, 23 Août 2019. Disponible sur : https://www.revolution-energetique.com/hausse- spectaculaire-du-prix-de-la-tonne-de-carbone-quel-impact-pour-le-citoyen/ 115 Décision (UE) 2015/1814 du Parlement européen et du conseil du 6 octobre 2015 concernant la création et le fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union et modifiant la Directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 9 octobre 2015, L 264, p. 1.
  • 25. 17 depuis lors116 . Néanmoins, la Commission annonça en mai 2020 que le nombre de quotas en surplus pour l’année 2019 s’élève à 1,38 milliard117 . Il en découle que certains aménagements restent nécessaires, étant donné que la mise en réserve est activée à partir du moment où le surplus de quotas est supérieur au seuil, bien moins élevé, de 833 millions118 . De plus, ce mécanisme de réserve a été conçu pour faire face à des excédents accumulés antérieurement, et sera donc impuissant face aux excédents qui résulteront de la crise sanitaire et financière de 2020, ayant déjà fait chuter le prix du carbone de 40%119 . Force est de constater, comme le soulignait déjà le président d’Engie en 2016, que le signal-prix du carbone créé par le SEQE est « incohérent et en contradiction avec l’Accord de Paris120 ». Pour empêcher que les températures mondiales atteignent un niveau dommageable, le GIEC, dans son dernier rapport, préconise en effet un prix mondial du carbone variant entre 135 et 6 050 dollars américains en 2030, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C121 . Même s’il est peu probable que les récentes modifications du SEQE occasionnent un tel revirement de situation122 , il n’est pas avéré que, dans l’affirmative, les économies européennes puissent répercuter un tel changement de prix, tout en restant attractives du point de vue de la concurrence internationale. En parallèle, des prix qui ne sont pas assez élevés n’incitent pas les entreprises à opérer une transformation via les technologies vertes123 . Nous 116 S. VAN DEN PLAS, « When COVID-19 met the EU ETS », Carbon Market Watch, 26 Mars 2020. Disponible sur : https://carbonmarketwatch.org/2020/03/26/when-covid-19-met-the-eu-ets/ 117 Communication de la Commission, Publication du nombre total de quotas en circulation en 2019 aux fins de la réserve de stabilité du marché relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne établi par la directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 13 mai 2020, C 164, p. 19. 118 Communication de la Commission, Publication du nombre total de quotas en circulation en 2019 aux fins de la réserve de stabilité du marché relevant du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne établi par la directive 2003/87/CE, J.O.U.E., 13 mai 2020, C 164, p. 17. 119 S. VAN DEN PLAS, op. cit. Voir aussi M. MICCINILLI, « The covid-19 crisis: a crash test for EU energy and climate policies », Centre on Regulation in Europe (CERRE), 23 mars 2020. Disponible sur : https://www.cerre.eu/news/covid-19-crisis- crash-test-eu-energy-and-climate-policies Cet article rapporte que le prix de la tonne de CO2 était de 16 EUR à la fin du mois de mars 2020. 120 The Shift Project, Rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet : mettre les prix du carbone en phase avec l’Accord de Paris, 13 juillet 2016. Disponible sur : https://theshiftproject.org/article/rapport-canfin-grandjean-mestrallet- mettre-les-prix-du-carbone-en-phase-avec-laccord-de-paris/ 121 Ce prix devrait ensuite varier entre 245 et 14300 USD en 2050, entre 420 et 19300 USD en 2070 et enfin, entre 690 et 30100 USD en 2100. Voir les chapitres 2 et 3 du rapport spécial du GIEC, Global warming of 1.5°C, 2018. Disponible sur : https://www.ipcc.ch/sr15/ 122 A. SAUSSAY, P. MALLIET, G.L. RIVERA (et al.), op.cit., pp. 179, 180. 123 Parlement européen, Le système d'échange de quotas d'émission et sa réforme, 13 février 2017. Disponible sur : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20170213STO62208/le-systeme-d-echange-de- quotas-d-emission-et-sa-reforme
  • 26. 18 voici donc en présence d’une parfaite illustration du clivage marquant les prétentions climatiques. §4 Les taxes carbones nationales, une solution disparate Le choix de l’UE quant à l’implémentation du mécanisme SEQE résulta donc, nous l’avons soulevé, de l’hostilité des EM et des lobbys industriels face à la création d’une écotaxe européenne. S’extirpant du conflit, le législateur européen préféra laisser aux EM la tâche d’établir une taxe carbone sur leur territoire124 . Toutefois, en agissant de la sorte, il manqua d’appréhender la problématique de la rivalité intra-UE, qui paralyse toute forme de mutation en la matière. Il existe en effet un nombre réduit de pays ayant recours à la taxation du carbone125 , en raison du jeu de la concurrence fiscale auquel s’adonnent les EM126 . L’OCDE souligne le peu d’initiatives en la matière, relevant que 85% des émissions de CO2 proviennent du secteur non routier, qui n’est lui-même taxé qu’à hauteur de 18%, à un taux établissant un signal-prix insuffisant127 . Seulement 4 pays, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et la Suisse, appliquent un taux de taxe supérieur au taux optimal de 30€ par tonne d’équivalent CO2128 (ci-après, tCO2). Ce constat est d’autant plus navrant qu’il existe de nombreux avantages à la mise en place d’une taxe carbone en complément des droits d’accises de la DTE. La Suisse, dont le taux de taxation de l'énergie fait partie des taux les plus élevés, est par ailleurs le pays ayant le plus bas niveau d’émission de GES de l’OCDE129 . L’exemple le plus saisissant néanmoins est celui de la taxe suédoise, créée en 1991. Il s’agit de la première taxe carbone de l’UE ayant transféré le poids de la taxation affectant les 124 Á. ANTÓN ANTÓN et M. VILLAR EZCURRA, « Inherent logic of EU energy taxes: towards a balance between market protection and environment protection », in Environmental Taxation and Green Fiscal Reform. Theory and Impact (sous la dir. de L. Kreiser, S. Lee et al.), Cheltenham, Edward Elgar, 2014, pp. 59 et 60. 125 La Banque Mondial liste les pays recourant à un mécanisme de cap and trade complémenté d’une taxe carbone : Danemark, Estonie, Finlande, France, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Norvège, Pologne, Portugal, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse et Royaume-Uni. Voir : Banque Mondiale et Ecofys, State and Trends of Carbon Pricing 2018, Banque Mondiale, Washington, mai 2018, p. 19. 126 L. ÉLOI, et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en présence », op. cit., p. 400. 127 OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, Éditions OCDE, Paris, 2019, p. 11. 128 Ibidem. 129 Z.-E. AKLIL, What the EU can learn from Swiss and Scandinavian carbon tax policies, Epicenter, 31 mars 2020. Disponible sur : http://www.epicenternetwork.eu/blog/what-the-eu-can-learn-from-swiss-and- scandinavian-carbon-tax-policies/
  • 27. 19 revenus sur l’énergie et la pollution130 . Malgré qu’elle applique le taux de taxe le plus élevé du monde131 , 110€/tCO2 en 2020132 , la Suède affiche une croissance de PIB de 78%133 . Figure 1 : Taux effectifs moyens de taxation du carbone par pays Sur base du tableau de l’OCDE134 recopié ci-dessus, l’on voit apparaître que la taxe carbone, lorsqu’elle est présente, connaît des taux divers selon l’État où elle se trouve implémentée. À l’inverse, les taux des droits d’accises, dont les minimas sont établis par la DTE, subissent moins la pression de la concurrence au moins-disant fiscal. L’on peut donc distinguer clairement les avantages associés à une harmonisation européenne. Pourtant, suite à l’analyse des instruments en présence, nous constatons que l’harmonisation fiscale est loin d’être le mot d’ordre de l’UE135 . 130 C. LONDON, Environnement et instruments économiques et fiscaux, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2001, p. 41. 131 Banque Mondiale, When it comes to emissions, Sweden has its cake and eats it too, 16 mai 2016. Disponible sur : https://www.worldbank.org/en/news/feature/2016/05/16/when-it-comes-to-emissions-sweden-has-its-cake- and-eats-it-too 132 Government Offices of Sweden, Sweden’s carbon tax, mis à jour le 25 février 2020. Disponible sur : https://www.government.se/government-policy/taxes-and-tariffs/swedens-carbon-tax/ 133 Chiffre relatif à l’année 2017. Voir : Government Offices of Sweden, Sweden’s carbon tax, op. cit. 134 OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, op. cit., p. 69. 135 A cet effet, L. Kovác, ancien commissaire européen de la fiscalité et de l’union douanière, souligne qu’il regrette que les EM cherchent « à défendre les spécificités de leur propre système fiscal, au lieu de rechercher
  • 28. 20 SECTION 3 – CAUSES DE LA NON-HARMONISATION DE LA FISCALITÉ DU CARBONE Cette absence d’harmonisation et partant, de législation fiscale environnementale efficiente, proviennent du cercle vicieux dans lequel se trouve l’UE, où s’entremêlent les intérêts de tout un chacun. Ces intérêts divergents sont, en outre, intensifiés par les risques de perte de compétitivité des entreprises européennes et de fuites de carbone que nous détaillerons dans le Chapitre III. §1 Le lobbysme intense Au sein de l’UE, s’opposent en premier lieu les prétentions corporatistes des secteurs intensifs en énergie. Dans le cadre du SEQE par exemple, le secteur de l’électricité, qui n’est pas soumis à une forte compétition internationale136 , exhorte les gouvernements à établir un signal-prix fort du carbone. La motivation de ce secteur est qu’en l’absence d’un tel incitant, il n’a pas l’opportunité de rentabiliser ses investissements verts alors qu’il serait capable de « répercuter le coût du carbone dans le prix de l’électricité sans perte de compétitivité137 ». A l’opposé, les industries considérées comme grandes émettrices, s’opposent fermement à l’augmentation du prix du carbone138 et prônent une flexibilité accrue, brandissant l’argument de la perte de compétitivité (voy. infra Chapitre III.)139 . Au demeurant, les lobbyistes sont donc à même de pratiquer de la regulatory capture, c’est-à-dire, de manipuler les EM dans le sens de leurs intérêts140 . Il peut s’agir de bloquer le processus législatif, comme ce fut le cas, tant pour le projet d’écotaxe, que pour les tentatives de réformer la DTE, ou encore, d’influencer la réglementation à leurs avantages, ce qui conduisit, par exemple, à la sur- allocation des quotas à titre gratuit141 . une solution qui pourrait être appliquée dans toute l’Union ». Ces propos sont relatés dans : K. BERTHET, L'évolution de la lutte contre les paradis fiscaux, Bruxelles, Éditions Larcier, 2015, p. 64. 136 A. GRANDJEAN et M. MARTINI, op. cit., p. 56. 137 P. CANFIN, A. GRANDJEAN et G. MESTRALLET, « Propositions pour des prix du carbone alignés avec l’Accord de Paris », Rapport de la mission, remis à Ségolène Royal, présidente de la COP21, Juillet 2016, p. 39. 138 A. GRANDJEAN et M. MARTINI, op. cit., p. 56. 139 P. MARKUSSEN, et G. T. SVENDSEN, op. cit., pp. 250 et 251. 140 L. WREN-LEWIS, “Regulatory capture: Risks and solutions”, in Emerging Issues in Competition, Collusion and Regulation of Network Industries, (sous la dir. de A. ESTACHE), London, Centre for Economic Policy Research, 2011, p. 148. 141 F. VENMANS, op. cit., p. 74.
  • 29. 21 §2 L’unanimité inaccessible En second lieu, s’opposent aussi les paysages géopolitiques extrêmement variés de l’UE. Dans le contexte du Pacte Vert, par exemple, la Pologne, encore dépendante du charbon, refusa de s’engager dans la neutralité carbone142 , tandis que la France, la Hongrie et la République Tchèque, retardèrent les négociations suite à leur attachement au nucléaire143 . Ces intérêts opposés ont des effets particulièrement fâcheux dans les matières fiscales, qui requièrent l’unanimité du Conseil suivant la procédure législative spéciale de l’Art. 113 du TFUE. Le domaine de la fiscalité environnementale n’y fait d’ailleurs pas exception selon la lettre des Art. 192 § 2, 1er alinéa et 194 § 3 du TFUE. Il n’est donc pas rare que les EM fassent usage de leur droit de véto, dans le but d’obtenir des concessions favorables à leurs intérêts nationaux144 . Afin de mitiger la difficulté d’obtenir l’unanimité, la Commission fit resurgir, en 2019, un élément oublié du droit européen ; les clauses passerelles145 . Elles permettent « au Parlement européen et au Conseil d’adopter des propositions dans ce domaine au moyen de la procédure législative ordinaire à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité146 ». L’une d’entre elles, spécifique aux politiques environnementales incluant des dispositions fiscales147 , pourrait être utilisée pour faciliter la négociation d’une profonde réforme européenne dans ce domaine. §3 La concurrence normative nuisible Cette condition contraignante d’unanimité provient, en réalité, du fait que les EM voient dans la fiscalité le dernier bastion de leur souveraineté nationale148 . Toutefois, en harmonisant certains domaines, mais en laissant leurs souverainetés aux EM dans d’autres, 142 A. MASSIOT, « Climat : une décision européenne d'ampleur bloquée par la Pologne », Libération, 21 juin 2019. Disponible sur : https://www.liberation.fr/planete/2019/06/21/climat-une-decision-europeenne-d-ampleur- bloquee-par-la-pologne_1735063 143 Novethic, Neutralité climatique en 2050 : un accord européen sans la Pologne, 31 décembre 2019. Disponible sur : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/neutralite-climatique-en-2050- un-accord-europeen-sans-la-pologne-148008.html 144 M. PALLEMAERTS, op.cit., p. 50. 145 O. MARTY, « Fiscalité : L’unanimité à dépasser », Notre Europe, Institut Jacques Delors, 20 février 2019, pp. 1 à 6. Disponible sur ; https://institutdelors.eu/publications/fiscalite-lunanimite-a-depasser/ 146 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, C.O.M. (2019) 640 final, p. 6. 147 Art. 192 (2), al. 2 du TFUE 148 A. PIRLOT et E. Traversa, « L’Union européenne et la fiscalité », Éconosphères (en ligne), 18 mai 2016. Disponible sur : http://www.econospheres.be/L-Union-europeenne-et-la-fiscalite
  • 30. 22 l’UE est involontairement devenue un catalyseur de la concurrence normative149 . Une telle pratique permet aux EM d’attirer des investissements étrangers150 , en se rendant plus attractifs pour les acteurs économiques qui prospectent la législation fiscale la plus optimale151 . Toutefois, poussée à son paroxysme depuis l’avènement de la libre circulation des facteurs de production152 , la croisade à l’attractivité force à présent les EM à s’aligner sur les choix de leurs voisins153 , dont le corolaire est la réduction drastique de leurs exigences154 . Ayant déjà généré l’érosion de la base d’imposition de l’impôt des sociétés et le transfert de bénéfices155 , ce nivellement par le bas fait pareillement obstacle au renforcement de la fiscalité environnementale156 . Tel fut par exemple le cas en 1992, lorsque l’Espagne et le Royaume- Uni, en signifiant leur intention de pratiquer de l’ecological dumping, refusèrent l’implémentation de l’écotaxe157 . Partant, il n’est pas étonnant de constater que les recettes fiscales de bases d’imposition liées à l’environnement ont diminué depuis 1995 dans les pays de l’OCDE158 . §4 Les obligation paralysantes du marché unique A cette première cause d’inaptitude des EM à mener une lutte solitaire contre le changement climatique, s’ajoute le droit de l’UE, dont l’objectif est d’aboutir à un marché 149 A. VAN WAEYENBERGE, « L’Union européenne comme catalyseur de la concurrence normative », in La concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne (sous la dir. de E. CARPANO et al.), Bruxelles, Éditions Larcier, 2016, pp. 57-76. 150 T. LAMARCHE, « Le territoire entre politique de développement et attractivité », Études de communication, N° 26, 2003, § 7. Disponible sur : https://journals.openedition.org/edc/122 151 M. CHASTAGNARET, « La concurrence fiscale : comment les fiscalités de territoires souverains peuvent-elles coexister ? », in La concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne, (sous la dir. de E. CARPANO, M. CHASTAGNARET et E. MAZUYER) Bruxelles, Larcier, 2016, p. 283. 152 K. BERTHET, op. cit., p. 39. 153 E. BARDARO et N. MONNART, « L’Europe fiscale et un budget pour la zone euro : utopie ou nécessité ? », CEPESS Policy Paper, Avril 2016, p. 7. 154 B. FRYDMAN, « La concurrence normative européenne et globale », in La concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne, (sous la dir. de E. CARPANO, M. CHASTAGNARET et E. MAZUYER) Bruxelles, Larcier, 2016, p. 16 155 M. CHASTAGNARET, op. cit., p. 289. 156 L. ÉLOI, et J. LE CACHEUX, « Réforme de la fiscalité du carbone dans l'Union européenne. Les options en présence », op. cit., p. 401. 157 A. LIPIETZ, « Enclosing the global commons: global environmental negotiations in a North-South conflictual approach », The North the South and the Environment (sous la dir. de V. BHASKAR), Londres, Routledge, 2014, p. 140. 158 OCDE, Statistiques des recettes publiques 2019, Éditions OCDE, Paris, 2019, p. 14. L’ensemble des données statistiques peut aussi être consulté sur le site de l’OCDE sur le lien suivant : https://data.oecd.org/fr/envpolicy/taxes-liees-a-l-environnement.htm
  • 31. 23 unique débarrassé de toutes barrières internes159 . Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne datant de 1967160 , précise qu’en instituant l'ordre juridique communautaire, les EM ont accepté qu’une limite soit apportée à leurs droits souverains, en ce compris le domaine fiscal. Par ces mots, la CJUE rappelle que le droit de l’UE peut donc affecter des pans non harmonisés de la fiscalité nationale161 . Ces limitations sont, par exemple, l’interdiction des impositions intérieures et des subsides à l’exportation lorsqu’ils sont discriminatoires ou protectionnistes162 . L’on comprend donc pourquoi un EM n’est pas incité à implémenter seul une taxe carbone, étant empêché de compenser, a posteriori, la perte de compétitivité que subiraient ses entreprises, tant via l’implémentation d’une taxe d’ajustement pour les produits importés, que via l’octroi d’un subside à l’exportation. Nous mettrons en évidence dans le Chapitre III. qu’un raisonnement analogue s’applique à l’échelle de l’UE lorsqu’elle se meut dans le monde globalisé. SECTION 4 – CONCLUSION DU CHAPITRE I. La protection du climat souffre d’une léthargie persistante. Les formes de coopérations mondiales actuelles ne sont pas empreintes de la force contraignante nécessaire pour éviter le problème des passagers clandestins et conduire au multilatéralisme nécessaire pour contrer la dangereuse hausse des températures mondiales. Le refus de consolider les contraintes écologiques était, et demeure donc justifié, par la reconnaissance de la primauté de la compétitivité des économies163 , tant au niveau des accords internationaux, qu’à l’intérieur du marché unique. Au niveau européen, le signal-prix du carbone créé par le SEQE est abusivement bas, et ceux établis par les taxes carbones nationales sont bien trop variés. À l’examen, les instruments européens s’avèrent par conséquent insuffisants pour stopper 159 A. MAITROT DE LA MOTTE, « L’application du droit de l’Union européenne en matière fiscale », Titre VII, vol. 2, No. 1, avril 2019, p. 61. 160 Firma Max Neumann contre Hauptzollamt Hof/Saale, C-17/67, EU:C:1967:56, pp. 579 et 589. 161 E. TRAVERSA et A. MAITROT DE LA MOTTE, « Le fédéralisme économique et la fiscalité dans l'Union européenne » in L'Union européenne et le fédéralisme économique (sous la dir. de S. DE LA ROSA, F. MARTUCCI et E. DUBOUT), Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 365. 162 Respectivement, Art 110 et 111 du TFUE 163 M. PRIEUR, « Le principe de non-régression face à la logique du marché », Marché et environnement (sous la dir. de M-P. CAMPROUX DUFFRÈNE ET J. SOHNLE), Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 482. Voir aussi : H. van ASSELT et M. MEHLING, « Border Carbon Adjustments in a Post-Paris World: Same Old, Same Old, but Different? », Cool Heads in a Warming World: How Trade Policy Can Help Fight Climate Change,Yale Center for Environmental Law & Policy. Disponible sur : https://envirocenter.yale.edu/cool-heads- warming-world-part-one
  • 32. 24 l’engrenage contre lequel G. HARDIN nous mit en garde il y a déjà plus de 50 ans, certains parlant même d’un « hiatus entre les ambitions et les moyens européens164 ». À une heure où 92 % des citoyens de l’UE estiment que les émissions devraient être réduites afin que l’économie de l’UE soit neutre sur le plan climatique d’ici 2050165 , l’UE devrait plus que jamais utiliser les moyens dont elle dispose pour faire converger les fiscalités nationales disparates, afin d’atteindre cet objectif et d’adoucir la dangereuse ascension de la Tragédie des Communs. À cette fin, elle devrait établir un signal-prix du carbone harmonisé, qu’il n’est possible d’atteindre qu’en créant une neutralité fiscale au sein du marché unique, par la voie d’une taxe dont la base d’imposition, le taux et les modalités de recouvrement seraient similaires dans tous les EM166 . 164 J. LE CACHEUX et L. ÉLOI, « L'Union européenne dans la lutte contre le changement climatique », Regards croisés sur l'économie, vol. 6, No. 2, 2009, spéc. p. 193 et pp.195 à 199. 165 Site web officiel de l’Union européenne, Soutien du public à l'action pour le climat – Sondage 2019. Disponible sur : https://ec.europa.eu/clima/citizens/support_fr 166 A. MAITROT DE LA MOTTE, « L'impôt européen. Enjeux juridiques et politiques », Revue de l'OFCE, vol. 134, no. 3, 2014, p. 153.
  • 33. 25 CHAPITRE II. RÉFORMER : PERSPECTIVES POUR LA FISCALITÉ DU CARBONE Afin d’atténuer la pratique autodestructrice de la concurrence fiscale et de parvenir à régler les ravages de la Tragédie des Communs, une large refonte du système établissant le signal-prix du carbone est donc nécessaire. Pour que l’utilisation des énergies fossiles reflète le coût réel éprouvé par la planète, la réforme doit se faire dans le respect du principe économique du pollueur-payeur, qui souffre actuellement d’une application restreinte. Aux États-Unis, 45 éminents économistes soutiennent l’implémentation d’une taxe sur le carbone, dont le taux devrait augmenter chaque année, jusqu'à ce que les objectifs de réduction des émissions soient atteints167 . Depuis lors, 3 000 économistes ont ajouté leurs signatures à cette proposition168 . De nombreux auteurs soutiennent similairement que l’utilisation d’une taxe serait bien plus efficiente qu’un mécanisme de cap and trade, d’un point de vue environnemental169 . Nous aborderons donc dans un premier temps la logique régissant le Principe pollueur- payeur et, ensuite, l’existence du double dividende d’une réforme fiscale. Nous terminerons par des perspectives quant aux possibilité de tarification du carbone à différents niveau de la chaine de production. Nous gardons ici l’idée que la taxe serait prélevée par les États, pour leurs comptes, et éviterons d’entrer dans le débat de la création d’un nouvel impôt européen, pourtant soutenu par de nombreux auteurs, en ce qu’il serait profitable que l’UE détienne une source propre de revenus pour une poursuite plus efficace de ses politiques170 . 167 Climate Leadership Council, Economists’ statement on carbon dividends, 17 janvier 2019. Disponible sur : https://clcouncil.org/economists-statement/ 168 M. BALTENSPERGER, The Economists’ Statement on Carbon Dividends and the Green New Deal, Bruegel, 25 février 2019. Disponible sur : https://www.bruegel.org/2019/02/the-economists-statement-on-carbon-dividends- and-the-green-new-deal/ 169 Voir dans ce sens : W. NORDHAUS, “To Tax or Not to Tax: Alternative Approaches to Slowing Global Warming”, Review of Environmental Economics and Policy, vol. 1, 2007, pp. 26 à 44. J. E. STIGLITZ, “Sharing the Burden of Saving the Planet: Global Social Justice for Sustainable Development: Lessons from the Theory of Public Finance”, Initiatice for Policy Dialogue (IPD), Working Paper No. 150, 2008, pp. 1 à 27. Disponible sur : http://policydialogue.org/publications/working-papers/sharing-the-burden-of- saving-the-planet/ A.-Y. S. REUVEN. et D. M. UHLMANN, op. cit., pp. 3 à 50 170 Voir : E. TRAVERSA et A. MAITROT DE LA MOTTE, op. cit., pp. 343-379. A. KALLERGIS, « L’autonomie fiscale de l’Union européenne », Rev. Aff. Eur., No. 4, 2018, pp. 587 à 597. O. CLERC, La gouvernance économique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 564 à 566. A. MAITROT DE LA MOTTE, « L'impôt européen. Enjeux juridiques et politiques », op. cit., pp. 149 à 160.
  • 34. 26 SECTION 1 – LES BÉNÉFICES D’UNE RÉFORME ENVIRONNEMENTALE DE LA FISCALITÉ Une réforme de la fiscalité à l’aune du Principe pollueur-payeur présente deux intérêts évidents. Dans un premier temps, il s’agit de la réduction des émissions de GES par l’internalisation des externalités considérées comme nuisibles à l’environnement171 . Dans un second temps, il s’agit d’un gain collectif découlant de l’utilisation des recettes générées par l’instrument choisi172 . Bien que certains auteurs émettent des réserves quant à l’existence formelle de ces résultantes173 , l’analyse qui suit se basera sur l’opinion d’une majorité de la doctrine174 , qui reconnaît l’existence de ce double dividende175 . §1 Le respect du Principe pollueur-payeur L’économiste anglais A. PIGOU, dans sa théorie générale sur les externalités, estime que le juste prix d’un bien est celui qui reflète les coûts, positifs ou négatifs, générés par sa production pour l’ensemble du marché176 . Le principe économique du pollueur-payeur est habituellement perçu comme l’application en droit, de cette théorie, en ce qu’il permet d’enjoindre l’auteur de l’externalité négative associée à la pollution, à internaliser les coûts sociétaux de son action, à savoir, le dommage à l’environnement177 . Souvent envisagé pour justifier l’utilisation d’instruments de marché178 , comme le SEQE par exemple, ce principe est également employé pour asseoir l’existence des taxes carbones, auxquelles on se réfère couramment sous la dénomination de taxes pigouviennes179 . Celles-ci établissent un prix associé aux émissions de CO2, afin d’inciter un changement de comportement dans le chef de 171 D. PEARCE, « The Role of Carbon Taxes in Adjusting to Global Warming”, The Economic Journal, vol. 101, No. 407, juillet 1991, p. 940. 172 R. CRASSOUS, P. QUIRION, F. GHERSI et E. COMBET, « Taxe carbone : Recyclage des recettes et double dividende », Conseil économique pour le développement durable, Référence économique, No. 4, 2009, p. 1. 173 Pour une analyse des nuances apportées à l’hypothèse de double dividende, voir : M. CHIROLEU-ASSOULINE, « Le double dividende. Les approches théoriques », Revue française d'économie, vol. 16, No. 2, 2001. pp. 119- 147. 174 Les auteurs cités ci-après se réfèrent couramment à l’article de L. H. GOULDER, « Environmental Taxation and the Double Dividend: A Reader's Guide », International Tax and Public Finance, vol. 2, 1995, pp.157 à 176. 175 L’utilisation de ce terme provient de la publication précitée : D. PEARCE, op. cit., pp. 938-948. 176 S. CAUDAL, op. cit., p. 65. 177 Ibidem 178 N. CARUANA, La Fiscalité Environnementale. Entre impératifs fiscaux et objetifs environnementaux, une approche conceptuelle de la fiscalité envrionnementale, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 78. 179 A. PAULUS, The Feasibility of Ecological Taxation, Anvers, Maklu, 1995, p. 29.
  • 35. 27 l’agent pollueur, alors forcé d’internaliser les coûts des externalités négatives qui, jusque-là, n’étaient pas considérés dans les calculs économiques180 . Le Principe pollueur-payeur est reconnu par l’UE depuis l’Acte unique de 1986181 , ainsi que par l’OCDE depuis sa Recommandation de 1972182 , et subséquemment, par sa Recommandation de 1991, qui entérina la règle de l’internalisation totale des coûts de pollution183 . Malgré cette reconnaissance, il apparaît que les coûts sociétaux de la pollution restent en marge des préoccupations législatives. Hormis lorsque les industries sont couvertes par le SEQE, et dans les quelques rares pays qui ont recours à la taxation directe des émissions de CO2, un manque à gagner persiste, par conséquent, dans la lutte contre le changement climatique. Pourtant, une réforme de la fiscalité conduirait à l’obtention d’avantages considérables, peu importe, a priori, qu’il s’agisse de la création d’une taxe environnementale ou d’un mécanisme de cap and trade. Nous verrons toutefois qu’en l’état présent, les déficiences du SEQE diminuent la probabilité de l’obtention de tels avantages. §2 Le dividende environnemental, la réduction des émissions de GES Certitude de bénéfice. Le SEQE (quantity instrument) et la taxe carbone (price instrument) établissent chacun à leur manière un signal-prix du carbone184 , qui représente l’une des solutions préconisées pour contourner l’effet de la Tragédie des Communs. L’on peut donc se demander si le choix de l’UE quant au SEQE était bel et bien le plus adéquat. Le principal argument des adhérents du cap and trade se réfère à la notion de certitude de bénéfice, due à sa capacité à fixer une quantité déterminée d’émissions à ne pas dépasser185 . Il 180 N. G. MANKIW, op.cit., p. 203. 181 Désormais : Art. 191 (2) du TFUE 182 OCDE, Recommandation du Conseil sur la mise en oeuvre du Principe Pollueur-Payeur, OECD/LEGAL/0132, 2020, p. 1. 183 S. CAUDAL, op. cit., p. 67. Voir aussi : K. KOSONEN ET G. NICODÈME, « The role of Fiscal Instrument in Environmental policy », in Critical issues in Environmental Taxation: International and Comparative Perspectives (sous la dir. de C. DIAS SOARES et al.), vol. VIII, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 7. 184 D. G. DUFF et S-L. HSU, « Carbon taxation in Theory and Practice », in Critical issues in Environmental Taxation: International and Comparative Perspectives (sous la dir. de C. DIAS SOARES et al.), vol. VIII, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 263. 185 R. F. MANN, “The Case for the Carbon Tax: How to Overcome Politics and Find Our Green Destiny”, Environmental Law Reporter, Vol. 39, No. 10118, 2009, p. 3.
  • 36. 28 est néanmoins rare que l’autorité publique soit en mesure de déterminer la quantité optimale de la réduction à effectuer, qui sera soit trop haute, soit trop basse186 . Une cible déterminée est, en adition, incompatible avec l’évolution permanente des avis scientifiques sur le réchauffement climatique187 . En tout état de cause, suivant la logique économique, il est insignifiant de réguler la quantité d’émissions d’année en année, étant donné l’infime portion qu’une année représente sur le total des émissions de CO2188 . En ce qui concerne le SEQE, l’allocation récurrente, qui est basée sur le volume d’émissions antérieur des industries, biaise les opportunités de ces dernières qui, préférant éviter de se voir attribuer un nombre inférieur de quotas, ne recherchent pas de nouvelles technologies moins émettrices189 . De plus, nous avons pu constater que la quantité globale de quotas alloués est couramment surestimée, ce qui restreint la capacité du SEQE à induire une diminution des émissions de CO2. L’origine de cette surestimation provient en effet de circonstances que le législateur peine à prendre en considération, à savoir, la sur-allocation des quotas résultant de l’intense lobbysme, l’émergence des énergies renouvelables, ainsi que des crises économiques et financières190 . Pour pallier cet inconvénient, une réserve de stabilité a été mise en place. Pour l’instant, cette réserve est employée de sorte à diminuer le nombre de quotas en surplus, mais qu’adviendra-t-il si, à l’inverse, la réserve est utilisée pour augmenter le plafond des émissions lorsque les prix sont trop hauts ? La certitude de bénéfice sera dissolue par l’allocation de nouveaux quotas191 . Voir aussi: T. HOUSER, R. BRADLEY, B. CHILDS, J. WERKSMAN ET R. HEILMAYR, Leveling the carbon playing field: international competition and US climate policy design, Washington, Peter G. Peterson Institute for International Economics, 2008, p. 6. 186 L. KAPLOW, “Taxes, Permits, and Climate Change”, Harvard John M. Olin Discussion Paper Series, No. 675, août 2010, p. 4. 187 J. P. MELTZER, “A Carbon Tax as a Driver of Green Technology Innovation and the Implications for International Trade” Energy Law Journal, vol. 35, No. 1, juin 2014, p. 52. 188 D. G. Duff et S-L. Hsu, op. cit., p. 263. Voir aussi : J-P. BARDE et O. GODARD, « Economic principles of environmental fiscal reform », in Handbook of research on Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE et M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012, p. 50. 189 K. NEUHOFF, M. GRUBB, J.-C. HOURCADE et F. MATTHES, EU-ETS Post 2012: Submission to the EU Review, Climate Strategie, Cambridge, 2007, p. 6. 190 C. KETTNER, “The EU emission trading scheme: first evidence on Phase 3”, in Carbon Princing. Design, Experiences and Issues (sous la dir. de L. KREISER, M. SKOU ANDERSEN et al.), Cheltenham, Edward Elgar, 2015, p. 63. 191 A.-Y. S., REUVEN. ET D. M. UHLMANN, op. cit., p. 43.
  • 37. 29 Certitude de prix. Une taxe, garantissant une certitude de prix, est donc considérée comme plus efficiente lorsqu’il s’agit de réguler le changement climatique, marqué par les instabilités scientifique, politique et économique192 . Il existe en effet de nombreuses façons de fixer un taux de taxe efficace, permettant d’atteindre un résultat déterminé193 . Qui plus est, il est tout aussi aisé d’ajuster ce taux, s’il s’avère qu’il est insuffisant pour entrainer les réductions escomptées194 . Effectivement, la fiscalité offre, en outre, la possibilité d’avoir recours à des taux progressifs, comme c’est le cas par exemple pour les tranches d’imposition de l’Impôt des Personnes Physiques, indexées chaque année195 . Un prix du CO2 régulé au long terme, par l’intermédiaire d’une taxe, crée en définitive un incitant fort à l’innovation196 . S’agissant du SEQE, nous avons remarqué, lors de son analyse, que la volatilité du signal-prix du carbone qu’il crée est nuisible aux investissements197 et entrave donc l’obtention du premier dividende. La taxe, forte d’une certitude de prix, prévient ce problème en assurant un taux préalablement déterminé198 , imperméable aux lois de l’offre et de la demande. Elle représente pour cette raison un incitant, plus efficient que le SEQE, qui oriente avec flexibilité les entreprises vers les modes de substitution les moins polluants et les plus efficaces199 . Finalité environnementale. Nonobstant, il apparaît que la taxe est habituellement assimilée, de façon réductrice, au seul moyen de générer de nouvelles recettes pour l’État200 . Cette vision est correcte pour certains types de taxations, mais la taxe environnementale est avant tout conçue pour amener les consommateurs et les producteurs à prendre en compte le 192 W. NORDHAUS, “To Tax or Not to Tax: Alternative Approaches to Slowing Global Warming”, op. cit., p. 37. L’auteur fait référence aux recherches de Weitzman (1974), Pizer (1999) et Hoel & Karp (2001). 193 De nombreuses approches sont proposées dans : Partnership for Market Readiness (PMR), Carbon Tax Guide: A Handbook for Policy Makers, Banque Mondiale, Washington, 2017, pp. 89 à 97. Voir aussi : O. KUIK, L. BRANDER et R. S. J. TOL, « Marginal abatement costs of greenhouse gas emissions: A meta-analysis », Energy Policy, vol. 37, No. 4, Avril 2009, pp. 1395 à 1403. Voir aussi les propositions de : L. KAPLOW, op. cit., pp. 4 à 8. 194 R. F. MANN, op. cit., p. 7. Voir aussi: R. S. AVI-YONAH et D. M. UHLMANN, op. cit., p. 7. 195 F. VENMANS, op. cit., p. 69. 196 D. BUREAU, F. HENRIET, ET K. SCHUBERT, « Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe », Notes du conseil d’analyse économique, vol. 50, No. 2, 2019, p. 57. 197 K. NEUHOFF, M. GRUBB, J.-C. HOURCADE et F. MATTHES, EU-ETS Post 2012: Submission to the EU Review, op. cit., pp. 3 et 6. Voir aussi : F. Venmans, op. cit., pp. 60 et 69. 198 T. HOUSER, R. BRADLEY, B. CHILDS, J. WERKSMAN et R. HEILMAYR, op. cit., p. 6. 199 K. KOSONEN ET G. NICODÈME, op. cit., p. 5. Voir aussi : J. JACOB, « Prévention ou innovation ? Vers une nouvelle définition de la gestion publique des risques technologiques », Revue d'économie politique, vol. 126, No. 4, 2016, p. 60. 200 P. M. HERRERA MOLINA, “Design, options and their rationales”, in Handbook of research on Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012, p. 86.
  • 38. 30 coût véritable de leurs actions sur l’environnement201 . La preuve en est que, lorsque le changement de comportement survient, l’assiette de la taxe diminue voire disparait202 . La taxe carbone instaurée en Suisse depuis 2008 sur les combustibles fournit une belle illustration de la finalité environnementale des taxes pigouviennes. Elle se fonde sur un taux directement lié aux objectifs nationaux de réduction de CO2, définis par secteurs203 . Ce taux se trouve donc automatiquement augmenté, sur base d’une formule prédéfinie, lorsque les objectifs ne sont pas atteints204 . Ainsi, la taxe qui équivalait en 2008 à 10€/tCO2 a augmenté graduellement jusqu’à 90€ en 2018205 . Selon l’OCDE, la Suisse, qui fait partie des pays ayant le plus haut taux de taxe carbone, compte parmi les économies les moins émettrices de carbone206 . Cette taxe élevée fait effectivement office d’incitant fort, tant pour les ménages que pour l’industrie, à remplacer les énergie fossiles par d’autres produits énergétiques moins polluants207 . Ce puissant signal-prix du carbone, en créant une conscience accrue quant à la problématique climatique, amorce des résultats optimaux pour l’obtention d’un dividende environnemental, dont les effets ne sont pas encore épuisés208 . 201 K. KOSONEN, “Regressivity of environmental taxation: myth or reality?”, in Handbook of research on Environmental Taxation (sous la dir. de J. E. MILNE ET M. SKOU ANDERSEN), Cheltenham, Edward Elgar, 2012, p. 161. Voir aussi : D. DE SCHOUTHEETE, Control of Carbon Emissions and Energy Fiscal Reform in Spain : A Computable General Equilibrium Assessment (multig.), Thèse, Barcelone, 2012, p. 19. 202 S.-A. JOSEPH, « Environmental taxes – definitional analysis: behavioural change or revenue raising”, in Environmental Taxation and Green Fiscal Reform. Theory and Impact (sous la dir. de L. Kreiser, S. Lee et all.), Cheltenham, Edward Elgar, 2014, p. 198. 203 Partnership for Market Readiness (PMR), op. cit., p. 96. 204 Ibidem 205 Office fédéral de l’environnement (OFEV), Taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles. Disponible sur : https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/politique-climatique/taxe-sur-le- co2/taxe-sur-le-co2-prelevee-sur-les-combustibles.html 206 OCDE, Taxing Energy Use 2019: Using Taxes for Climate Action, op. cit., p. 29. 207 Office fédéral de l'environnement (OFEV), Fiche d’information. Estimation de l’effet et évaluation de la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles, 19 février 2018, p. 2. Disponible en téléchargement sur : https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/politique-climatique/taxe-sur-le- co2.html 208 Des analyses démontrent, par exemple, que les effets globaux cumulés dans la période étudiée (2005 à 2015) se situent entre 4,1 et 8,6 millions de tonnes de CO2. Voir : Office fédéral de l'environnement (OFEV), Fiche d’information. Estimation de l’effet et évaluation de la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles, op.cit., p. 2.