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QUESTION
Qu’est-ce qu’on attend pour
ÊTRE HEUREUSE?
Pendant les heures qui ont suivi, interrogations et
doutes se sont bousculés dans mon esprit. Moi qui
tente quotidiennement de faire rentrer 24 heures
dans 16 en jonglant avec mes obligations
personnelles, sociales, virtuelles et professionnelles,
suis-je heureuse? Euh... Est-ce que j’aimerais ça?
Oui. Alors, pourquoi je n’arrive pas à l’être? Paresse?
Blocage? Manque de pratique? Manque d’habiletés?
Piquée au vif, je suis partie en quête de réponses et
de motivation auprès d’experts: Pierre Côté,
fondateur de l’indice relatif de bonheur (IRB), et
Christophe André, psychiatre et psychothérapeute
spécialisé en psychologie du bonheur. Ce dernier
m’a rassurée sur mon manque de motivation:
«Souvent, c’est au moment du diagnostic d’une
maladie grave ou de la mort d’un proche que les gens
réalisent l’importance de profiter de la vie, m’a-t-il
expliqué. Il y a urgence à connaître le bonheur parce
qu’on peut mourir d’un instant à l’autre.» Les
résultats d’une étude de l’IRB menée auprès de gens
en contact avec des proches gravement malades le
confirment. «On se rend compte que le niveau de
bonheur des gens qui font face à la maladie d’un
proche est plus élevé», soutient Pierre Côté.
Le bonheur, c’est du boulot
Mais moi qui n’ai pas vu la mort de près, quels
arguments pourraient me motiver à poursuivre ma
quête? Christophe André est très clair: même si nous
pouvons tous y arriver en travaillant, «atteindre le
bonheur, ce n’est pas facile». Il y a des éléments hors
de notre contrôle, alors «les efforts ne sont pas une
garantie», précise-t-il. Ouch! On est loin de la partie
de plaisir... ou pas, selon le point de vue qu’on
J’étais en pleine séance de luminothérapie, dévorant un livre qui me rendrait heureuse en 10 leçons
pratiques, quand on m’a demandé: «Y a-t-il urgence à atteindre le bonheur?» Les deux bras m’en
sont tombés. Quelle question! La vie est bien trop courte et fragile! C’est évident, non? Eh bien,
peut-être pas tant que ça après tout... par karine charbonneau
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QUESTION
adopte. En feuilletant Les états d’âme du Dr
André, j’ai
découvert que ces «efforts pour nous rapprocher du
bonheur nous font eux-mêmes du bien». Résultat?
Nous vivons mieux et plus longtemps. Voilà un bon
argument! Mais encore faut-il être en santé. «On est
à peu près sûrs que les émotions positives sont
bonnes pour la santé», m’explique justement le
psychiatre, qui utilise la psychologie positive comme
outil de prévention des rechutes. Les études faisant
des liens entre bonheur et santé pullulent: être
heureux serait, entre autres, bon pour le cœur
(University College, London, 2005), diminuerait les
risques de développer un cancer du sein (Université
du Néguev, 2008) et favoriserait le sommeil
(Université de Pittsburgh, 2008)! Trois autres
bonnes raisons!
J’ai ensuite découvert que ma propre quête du
bonheur pouvait faire celui de mes proches. Des
chercheurs ont en effet démontré que cet état de
conscience se propage chez nos voisins et nos
amis. Risques de contagion? Voilà qui me donne
envie de provoquer une épidémie! La bonté est
aussi l’un des 23 critères d’influence de bonheur de
l’IRB. Selon Pierre Côté, les altruistes sont plus
heureux: «Les gens gagnent plus à donner qu’à
recevoir.» En étant généreuse, je ferai donc d’une
pierre deux coups? J’achète!
Le bonheur en société
Mais comment vivre pleinement mon bonheur dans
une société surmenée, dont l’économie est ankylosée
et l’environnement, éreinté? Si le bonheur est bon
pour moi, peut-il être bon pour ma société? Les
Bhoutanais, eux, en sont convaincus. En 1972, leur
roi a troqué le produit national brut (PNB) contre le
bonheur national brut (BNB), qui redéfinit le niveau
de vie en des termes plus psychologiques et
holistiques. Les politiques du pays ont pour but le
bonheur du peuple. Ça semble être concluant
puisqu’en novembre dernier le premier ministre du
pays déclarait fièrement: «Nous sommes un peuple
[de plus en plus] heureux qui va continuer à se
développer économiquement et spirituellement.»
Les Bhoutanais ne sont cependant pas les plus
heureux du monde. La carte du bonheur de
l’Université de Leicester et la base de données sur le
bonheur des nations de l’Université Erasmus placent
plutôt le Danemark en tête de liste. Démocratie,
égalité sociale et atmosphère paisible seraient les
principales clés du bonheur danois. Et le Québec?
Selon un récent sondage de l’IRB, 73 % des
Québécois se disent influencés par la société. Nous
avons donc intérêt à ce que notre bonheur se trouve
au top des priorités de nos élus! Pierre Côté croit que
son IRB peut justement aider les dirigeants en ce
sens: «Il faut que les décisions soient prises en
fonction des gens et de ce qu’ils veulent», soutient-il.
Super! Mais d’ici à ce qu’une loi du bonheur
soit adoptée, est-ce que, à part contaminer
mes concitoyens avec ma bonne humeur, je peux
faire quelque chose pour ma société? Selon Pierre
Côté, les Québécois préoccupés par l’état de
l’environnement sont souvent plus heureux. Ses
sondages laissent aussi entrevoir une hausse du
niveau de bonheur chez ceux qui aimeraient
pouvoir s’identifier à un projet collectif. «Quand tu
as la foi en un projet et quand tu es impliqué, ça se
traduit par des améliorations globales, individuelles
et collectives», m’a-t-il précisé. Se rapprocher du
bonheur global en se mobilisant pour sauver la
planète... Quelle heureuse idée!
Le bonheur, ça presse
Mais une dernière chose me chicote: urgence et
bonheur sont-ils vraiment compatibles? Une
réflexion de Pierre Côté m’a accrochée: «Il y en a qui
veulent être heureux à tout prix. On ne peut pas tout
contrôler. Il y a urgence à être soi-même, et c’est ce
qui attirera le bonheur.» Certains philosophes
contemporains dénoncent ce qu’ils appellent «la
dictature du bonheur, la culpabilisation de ceux qui
ne sont pas heureux», souligne Christophe André. Il
n’y a qu’à penser à Éric Wilson, auteur de Against
Happiness (Contre le bonheur), ou au Français Pascal
Bruckner, qui voit le fait d’être heureux comme un
devoir qui tyrannise les individus et qui contribue à
les déprimer. Qu’on soit d’accord ou non, c’est vrai
que, perçue comme une obligation, la notion
d’urgence peut nous mettre de la pression. Dans
cette optique, je modifierais ma réponse à la question
de départ: je ne sais pas s’il y a urgence à goûter au
bonheur, mais je connais l’importance qu’il mérite et
je sais que je vais lui donner toute la place dès
maintenant! Et vous? I
Qu’est-ce que le bonheur?
Christophe André définit le bonheur comme
«l’état de la conscience pleinement
satisfaite»: il faut donc prendre le temps de
savourer notre bien-être et d’en profiter à
100 %. Mais les clefs de ce bonheur sont
différentes pour chacun de nous. Oublions
les recettes magiques. Le dalaï-lama propose
plutôt d’«atteindre le bonheur en entraînant
nos cœurs et nos esprits, en modifiant nos
attitudes et nos perceptions».
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