2. →
Port de Zeebrugge,
Belgique,
19 janvier 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Zeebrugge est une des voies
par laquelle les migrants
tentent de rejoindre la Grande-
Bretagne. Ils se cachent dans
les dunes afin d’esquiver les
policiers qui patrouillent dans
les parages. Une fois la nuit
tombée, les migrants se sont
comme volatilisés. Ils laissent
derrière eux leurs biens, leurs
papiers d’identité et de trans-
port et escaladent les grillages
qui les séparent des navires en
partance pour leur eldorado.
Quelques-uns de ces migrants
sont ce qu’on appelle des « cas
Dublin », ils ont introduit une
demande d’asile dans un autre
pays de l’Union européenne
et y ont parfois séjourné avant
de se diriger vers la Belgique.
Tous ces objets abandonnés
et ces documents déchiquetés
sur le sol témoignent de leur
présence récente près du port
belge et de leur enregistrement
dans un autre pays.
Introduction
#JeSuisHumain, c’est le travail du collec-
tif belge Huma de photographes qui s’est
associé à Amnesty International pour do-
cumenter la faculté de résilience de ces
hommes, femmes et enfants contraints de
fuir les violences et les persécutions, et
de partir chercher protection, ailleurs. Ces
personnes appelées « réfugiées », « mi-
grantes » ou « demandeuses d’asile » qui
n’ont eu d’autres choix que celui de re-
bondir au sein d’une société le plus sou-
vent hostile à leur accueil.
Les photographes du collectif sont par-
tis à leur rencontre « là-bas » dans les
camps de réfugiés au Liban, en Jordanie,
mais aussi ici en France et en Belgique.
À Calais, ils ont documenté leur vie quo-
tidienne dans la jungle avant son déman-
tèlement lors duquel ils étaient d’ailleurs
présents. En Belgique, ils ont aussi bien
sillonné la côte (la Panne, Zeebrugge)
que l’Office des étrangers avec ceux qui
y font la file en pleine nuit, pour photo-
graphier ce manque d’humanité quand il
s’agit de leur accueil. Et puis, ils ont suivi
quelques-uns des plus jeunes d’entre eux
arrivés en Belgique, où ils ont commen-
cé à reconstruire leur vie, faisant preuve
d’une détermination qui force le respect.
Au-delà du drame humain de ce parcours
migratoire, c’est la résilience de ces réfu-
giés et demandeurs d’asile qui est ici pho-
tographiée. Cette capacité à surmonter
les moments douloureux de l’existence et
à se développer en dépit de l’adversité.
En présentant ce reportage, le collec-
tif Huma et Amnesty International veulent
créer des ponts entre le public belge
et ces hommes et femmes, jeunes et
moins jeunes, qui vivent « chez nous ».
Ils cherchent à les présenter non pas
comme des victimes, mais comme des
acteurs de leur propre vie.
3.
4.
5.
6. Amer
Amer
court. À 20 ans, il est déjà
champion de décathlon junior, il était au-
paravant membre de l’équipe nationale
irakienne. Amer court. Il court derrière
son rêve de vivre en sécurité en Belgique
et de pouvoir réaliser son seul et unique
projet : être un athlète, gagner. C’est sans
doute cette compétition-là qui sera la
plus difficile. Amer a quitté l’Irak parce
que, dans son pays, dit-il, certains n’ai-
ment pas les sportifs de haut niveau. Sa
maison a été incendiée, on a cassé les
jambes de son frère qui, pour son mal-
heur, lui ressemble beaucoup. « Si j’étais
resté, je serais mort à l’heure actuelle »,
affirme-t-il. Son parcours est celui de la
majorité des réfugiés irakiens et syriens :
la Turquie, la dangereuse traversée entre
la Turquie et la Grèce puis la route vers
l’Europe : Macédoine, Croatie, Slovénie,
Autriche, Allemagne, Belgique. Amer
est encore très jeune. Il est d’un tempé-
rament optimiste et insouciant, mais il
n’oubliera jamais la traversée sur le ba-
teau pneumatique vers la Grèce : les en-
fants qui pleurent, les vagues qui me-
nacent à tout moment de renverser l’em-
barcation. « Notre pilote était habile. Ceux
qui ont traversé juste après nous ont cha-
viré. » Tout au long de son voyage, Amer
a continué... à courir. Comme si son en-
traînement avait seulement été interrom-
pu, comme si sa vie dépendait aussi de
sa condition physique future. Et quand
les autorités belges l’ont installé en oc-
tobre 2015 dans le centre très délabré de
Bredene (fermé depuis lors), il a conti-
nué à courir qu’il vente ou qu’il pleuve.
Mieux : il s’est trouvé un club d’athlétisme
pour l’accueillir, celui de Louvain. Tout au
long de l’examen de sa demande d’asile,
Amer a fait la navette quotidienne entre
Bredene et Louvain, soit une heure trente
de trajet en bus. Le jeune Irakien a per-
du près de huit kilos en un an, depuis son
départ d’Irak, mais il continue à s’entraî-
ner. Il a même commencé à faire du judo
à Louvain, mais sa spécialité, dit-il, c’est
le 400 mètres haies. Amer rêve de de-
venir champion du monde de décath-
lon et il est convaincu qu’un jour, il pour-
ra rapporter des médailles à la Belgique.
Alors, quand, en ce mois de février 2017,
sa seconde demande d’asile a été reje-
tée par le Commissariat général aux réfu-
giés (CGRA), le coup a été rude. Sa ville
natale n’est pas identifiée comme une
zone à risques. Mais lui, dit-il, a été me-
nacé en tant que sportif. Amer a subi
une défaite, mais il a repris l’entraîne-
ment et va se battre pour obtenir sa régu-
larisation. Le CGRA n’a pas cru le jeune
Irakien, mais son entraîneur à Louvain
croit en lui. Il va l’aider à gagner cette
course au droit de séjour. Amer entraîne
désormais les jeunes du club d’athlétisme
de Louvain, ce qui lui permettra de payer
les frais d’avocat, avancés par son entraî-
neur. « Amer est très apprécié », constate
Nacéra qui l’a hébergé après son départ
de Bredene. « Il se lie facilement avec les
autres et, au club de Louvain, les gens
l’adorent. » Amer, lui, aime surtout le côté
« très humain des Belges ». Les haies ne
se franchissent pas que sur les stades.
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Frédéric Pauwels,
interview Martine Vandemeulebrouck.
→
Plaine de la Bekaa, Liban,
30 juillet 2015,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Des réfugiés syriens dans un
camp de la plaine de la Bekaa
au Liban, durant l’été 2015. Le
Liban compte environ 1,5 mil-
lion de réfugiés syriens. Dans
ce pays de 4 millions d’ha-
bitants, les exilés s’installent
dans des camps « informels »,
seuls tolérés par l’État libanais,
c’est-à-dire des terrains privés
loués – souvent à des tarifs
prohibitifs – par des proprié-
taires libanais aux réfugiés ve-
nus de Syrie. Dans ces camps,
les hommes sont désœuvrés,
car le travail légal est interdit
aux réfugiés syriens au Liban.
Pour ces personnes, il est très
difficile de conserver leur di-
gnité, car la guerre et l’exil les
ont privés du rôle social de
soutien de famille.
→
Camps de réfugiés syriens
de Zaatari, Jordanie,
octobre 2013,
Johanna de Tessieres,
collectif Huma.
Une famille syrienne sort du
dispensaire de Handicap
International. La population sy-
rienne est quotidiennement
prise pour cible par les bom-
bardements qui visent des
zones peuplées. Traumatisée
physiquement et psycholo-
giquement, elle est la pre-
mière victime de la violence
du conflit. Sur les plus de
150 000 personnes prises
en charge par l’association
en quatre ans, 21% sont des
enfants.
7.
8. Rand
« En débarquant du bateau,
j’ai réalisé à quel point ma vie était pré-
cieuse et j’ai senti tout ce pouvoir que
j’ai en moi. » Rand a connu une autre vie
en Syrie. Heureuse d’abord quand elle
est partie étudier la flûte traversière au
conservatoire de Damas. « Damas était
une ville extraordinaire, pleine de vie, de
gens cultivés et généreux. Elle m’a rendue
sensible à la musique, aux arts, à la vie.
Damas m’a permis de réaliser des projets
et de cultiver mon humanité. » Mais l’in-
humanité de la guerre a fait basculer tous
les rêves de Rand. « Tout a commencé le
21 mars 2015, je revenais d’un cours de
musique que je donnais à des enfants. Je
me suis retrouvée face à une vision d’hor-
reur. Les bombes pleuvaient par cen-
taines sur la ville. » Rand annonce alors à
ses parents, restés à Swaida, sa ville na-
tale, qu’elle va prendre « la route des mi-
grants » (Turquie, Grèce, Macédoine,
Serbie ). Tant qu’à risquer de mourir tous
les jours, autant tenter d’atteindre l’Eu-
rope. Là, elle n’aura plus à survivre, elle
pourra vivre. Rand a d’abord été héber-
gée avec quatre autres Syriens dans une
famille belge. Cette famille lui a donné
tout ce dont elle avait besoin : de la com-
préhension, de l’écoute…et une flûte.
« Ils m’ont fait découvrir la culture belge
et un nouvel univers. J’ai commencé à
apprendre la photographie. » Rand s’in-
vestit aujourd’hui dans différentes initia-
tives artistiques et de soutien à d’autres
migrants. « Ce dont un réfugié a besoin,
dit-elle, ce n’est pas tant de vêtements
et de tentes, mais c’est d’être en sécu-
rité, qu’on l’aide à reprendre pied en re-
connaissant et en valorisant son poten-
tiel. Chacun devrait être considéré pour
ce qu’il est sans être réduit à son expé-
rience en tant que réfugié. » Face à la mé-
fiance qu’elle rencontre parfois à l’égard
des réfugiés, Rand estime que : « Nous
ne nous mettons pas assez à la place des
autres. Tout le monde parle de nous, mais
qui nous connaît ? Parfois, je me sens
considérée comme une zombie en quête
d’argent, d’un job à voler. » Elle-même re-
connaît que quand elle était en Syrie, elle
n’avait pas « vraiment conscience de ce
que vivent des personnes qui fuient des
zones de guerre ». La jeune femme n’avait
jamais imaginé un jour « passer de l’autre
côté de la barrière ». À présent, elle ne de-
mande rien pour elle-même, mais elle at-
tend des gouvernements européens une
implication plus active dans la recherche
de solutions politiques et humanitaires au
conflit syrien. Rand n’oublie pas ses pa-
rents. Elle se bat pour qu’ils puissent la
rejoindre et vivre eux aussi en sécurité. En
attendant, tous ses efforts se focalisent
sur l’apprentissage du français. « Mon
mot préféré, c’est “bougie”. C’est joli et j’ai
étudié à la bougie. » L’année prochaine,
elle veut commencer des études scien-
tifiques. Et puis, il y a aussi la photogra-
phie, apprise ici… et la flûte dont elle re-
joue petit à petit. Rand sait que son ave-
nir est encore incertain, mais, dit-elle, ses
décisions futures seront guidées par un
souci : « Comment puis-je faire pour être
un être humain bon ? »
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Frédéric Pauwels,
interview Laure Derenne.
Rand
9.
10. Yara,
28 ans, vivait au Koweït avec ses
parents lorsque la guerre en Syrie a écla-
té en 2011. « Mes parents tentaient de
se convaincre qu’on rentrerait au pays,
mais les nouvelles étaient des plus inquié-
tantes », raconte la jeune femme. Un coup
de téléphone de sa tante finit par ruiner
les espoirs : une bombe est tombée sur la
maison familiale et la terreur s’est installée
dans le village. La famille de Yara compte
de nombreux médecins qui viennent en
aide aux civils blessés, de quoi les dési-
gner comme cibles aux yeux du régime.
Certains sont enlevés, d’autres tués.
Tout pousse la jeune femme à deman-
der un visa pour la Belgique, car elle pos-
sède une chose rare : une offre d’emploi.
On recherche une personne parlant arabe
dans le domaine du design. Autour d’elle,
personne n’y croit, mais le précieux sé-
same arrive et Yara entre en Belgique en
2015 pour demander l’asile. Elle se sou-
vient des files devant l’Office des étran-
gers et de l’inquiétude sur le visage de
ceux qui attendent. « On se pose tous la
même question. Pourra-t-on rester ? Vont-
ils nous renvoyer dans notre pays ? » Yara
se rappelle aussi sa rencontre avec le
fonctionnaire de l’Office des étrangers,
son impression de devoir le convaincre
qu’elle est un être humain doté d’intelli-
gence et qu’elle n’a pas l’intention d’al-
ler se faire exploser en plein Bruxelles.
De l’étonnement de son interlocuteur de-
vant ses diplômes en design et stratégies
du design. Oui, même les Syriennes font
des études universitaires. « J’ai compris
sa réaction. Tout ce qui passe à la télévi-
sion donne cette image uniquement vio-
lente de mon pays », raconte-t-elle. « Mes
diplômes m’ont aidée. » Yara s’installe à
Anvers et est engagée comme consul-
tante par Deloitte Digital, ce qui fait la fier-
té de ses parents, mais ne la séduit pas.
Ce qu’elle veut, c’est pouvoir aider les
autres, être un acteur social. Elle démis-
sionne de son poste après un an et demi.
Un matin, dans un train, Yara aperçoit
une femme, avec quatre enfants, qui a
l’air complètement perdu. Elle se nomme
Harlam, elle est aussi syrienne. Elle lui ra-
conte son histoire, elle a dû fuir la ville
de Homs alors qu’elle était enceinte de
huit mois avec ses enfants et son mari.
C’est par cette rencontre entre deux exi-
lées que l’asbl « From Syria with love » est
née. D’autres femmes vont rejoindre l’as-
sociation comme Sabah et Abeer. Toutes
savent cuisiner pour des grandes fa-
milles et vont proposer un concept origi-
nal : un service traiteur de nourriture sy-
rienne. Très vite, les commandes arrivent.
Pour Yara, l’asbl est surtout l’occasion de
parler de son pays et de le faire connaître
autrement que par les mots « guerre » et
« violence ». « La nourriture, c’est ce qui
aide à briser la glace, c’est le langage du
cœur. » Tout récemment, le festival Mona
du film à Anvers lui demandé de restau-
rer 200 invités. Un succès, mais sa fon-
datrice veut aller plus loin. « From Syria
with love » doit aussi servir à rendre aux
femmes leur autonomie. « On travaille dur,
mais cela donne du sens à notre vie », ex-
plique Yara. La jeune femme veut chan-
ger l’image des réfugiés. « Ce travail, c’est
notre indépendance. L’aide sociale nous
fait suffoquer. Un réfugié n’a pas besoin
de pitié. Il a besoin qu’on lui laisse l’op-
portunité de montrer ce qu’il sait faire. »
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies et interview
Johanna de Tessières.
→
Centre Bonvena,
Hennuyères, Belgique,
septembre 2016,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Le centre Bonvena accueille
les mineurs étrangers non ac-
compagnés. On est dimanche
et Assama, 15 ans, vient de
terminer ses devoirs. Il profite
du reste de l’après-midi pour
jouer avec ses amis et s’entraî-
ner sur le mur d’escalade. Une
visite de Bruxelles est prévue
en fin d’après-midi. Les MENA
sont des personnes mineures
qui arrivent en Belgique sans
être accompagnées par une
personne exerçant sur eux
l’autorité parentale ou la tu-
telle civile. Ils ont parfois été
confiés à un membre de la
famille ou à un adulte qui
s’est engagé à les amener en
Belgique et poursuit ensuite
son exil. Leur prise en charge
dans le cadre du plan MENA
concerne en grande majori-
té des jeunes mineurs étran-
gers non accompagnés qui
ont les plus grandes chances
d’obtenir un titre de séjour en
Belgique – principalement de
jeunes Afghans.
« On observe un apaisement
des émotions. Certains pleu-
raient toutes les nuits, à cause
des horreurs qu’ils avaient
vues dans leur pays et vécues
au cours de leur exil. Du fait
de vivre en groupe, d’avoir un
cadre sécurisant, un accom-
pagnement et une écoute, ils
sont plus apaisés, même si le
traumatisme est encore pré-
sent. Dans leur comportement,
ils sont désormais plus en lien,
entre eux et avec les adultes »,
explique le directeur du centre.
Yara
11.
12. →
La Panne, Belgique,
février 2016,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Un jeune garçon irakien, origi-
naire de la ville de Kirkuk
prend le bus avec ses parents.
La famille épuisée compte re-
joindre la « jungle » de Calais
en France. Ce jour-là de nom-
breux contrôles de police ont
lieu à la Panne, suite à la déci-
sion de la France d’évacuer le
bidonville de Calais. Le mi-
nistre de l’Intérieur, Jan
Jambon, a déployé environ
300 policiers afin d’éviter l’ins-
tallation de camps comme ce-
lui de la « jungle ». Les
contrôles visent également les
personnes prenant les bus qui
permettent de relier Calais à
La Panne. « S’ils n’ont pas de
papiers, ils sont envoyés au
commissariat où ils recevront
un ordre de quitter le terri-
toire », explique l’un des
agents.
←
La « jungle » de Calais,
France,
18 février 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
La petite Rosita est née dans
la « jungle » de Calais. Ses pa-
rents, Mariam et Amir, habitent
le bidonville depuis cinq mois.
Leur amour les a contraints à
quitter l’Iran, car ils ont com-
mis la faute suprême : outre-
passer les prescrits religieux.
Mariam est musulmane alors
qu’Amir est chrétien. « L’État
allait m’arrêter et me trancher
la tête et ma femme aurait été
contrainte d’avorter », raconte
ce père de 29 ans. Le jeudi 25
février 2016, le tribunal admi-
nistratif a validé l’arrêté d’ex-
pulsion du sud de la « jungle »
de Calais.
←
Camp d’accueil Jules Ferry,
Calais, France,
13 octobre 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Dans le camp d’accueil Jules
Ferry, situé dans la « jungle »,
une file est réservée aux mi-
neurs étrangers non accompa-
gnés (les MENA) pour la dis-
tribution des repas. Ils doivent
montrer une carte verte plasti-
fiée pour recevoir leur petit co-
lis alimentaire préparé par des
bénévoles de « Vie active ».
Certains mineurs se remettent
dans la file dans l’espoir de re-
cevoir deux sachets de provi-
sions. Deux jeunes Afghans
consomment une préparation
à base de riz à proximité d’un
ancien bunker.
13.
14. ←
Camps de réfugiés syriens
de Zaatari, Jordanie,
7 février 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Selon une étude du HCR
(Haut Commissariat des
Nations Unies pour les
Réfugiés) plus de 50 % des
Syriens déplacés internes ou
réfugiés sont des enfants, et
75 % de ceux-ci ont moins de
12 ans. Certains ont été bles-
sés et beaucoup ont été té-
moins du conflit ou ont assisté
à la destruction de leurs mai-
sons et de leurs communau-
tés, en survivant aux déplace-
ments forcés, à la séparation
familiale et aux violences ré-
currentes. S’échapper de sa
tente, jouer et créer des rela-
tions avec les autres sont des
parenthèses d’insouciance
pour les enfants. À Zaatari,
des activités autour du football
permettent aux enfants, pen-
dant quelques heures, de re-
nouer avec leur vie d’enfant.
←
Mafraq, Jordanie,
octobre 2013
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Comme 46 écoles au nord
de la Jordanie (en 2013),
celle de Al Rubi Bint Muatr,
dans la ville de Mafraq, ac-
cueille les enfants réfugiés sy-
riens. Le matin, ce sont 900
élèves jordaniens qui étudient
et l’après-midi, l’école accueille
900 Syriens. Elle a été la pre-
mière de la ville à ouvrir ses
portes à ceux qui ont fui la
guerre. « Les Syriens sont nos
frères », nous explique la direc-
trice. Les enfants ont raté des
mois d’école, ils n’ont ni habits
ni matériel scolaire. Beaucoup
ont vu des horreurs et ont déjà
des cheveux blancs, mais,
dans leurs dessins, on sent
qu’ils vont mieux. Il n’y a pas
beaucoup de garçons, car ils
doivent parfois travailler pour
gagner finalement très peu
d’argent. C’est l’Unicef qui
paie les professeurs, les frais
de fonctionnement. Parce que
l’éducation est une urgence
humanitaire.
15. →
Hôpital d’Erbil, Irak,
décembre 2016,
Virginie Nguyen Hoang,
collectif Huma.
Mouhmin Safwan Ahmed, âgé
de 13 ans, est allongé sur un
lit de l’hôpital d’urgence d’Er-
bil après avoir été blessé dans
un attentat à la voiture piégée
perpétré par Daesh à Mossoul.
Ses parents sont décédés dans
l’attaque.
→
La « jungle » de Calais,
France, octobre 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Ce lundi 24 octobre
2016 sonne la fin de
la « jungle » de Calais.
Le démantèlement a
commencé et, dès 6 h du
matin, les migrants, chargés
de leurs biens personnels,
sont nombreux à faire la
file à proximité du camp.
Un bracelet de couleur
sur lequel est annoté un
numéro est attaché autour
de leur poignet. Celui-ci
indique le centre qui leur
a été attribué parmi les
454 répartis sur le territoire
français. À l’extérieur du
bâtiment, il n’est pas rare
d’être confronté à des
adieux déchirants. Bien
que la préfecture assure
tenter de diriger les groupes
d’amis vers les mêmes
centres, ce n’est pas
toujours possible. Les amis
de longue date ou ceux qui
se sont rencontrés dans la
« jungle » se prennent dans
les bras de longs moments.
16. Bassel
est violoncelliste. En 2015, dans
une Syrie en guerre, il fonde le projet
Qotob. Avec trois amis, il compose un al-
bum pour montrer au monde que Damas
est encore vivante.
En août, il doit quitter son pays. Alors
qu’il s’était imaginé rejoindre une Europe
« des droits de l’Homme », Bassel se voit
empêtré dans une longue procédure de
demande d’asile. Sa vie est comme « sus-
pendue ». Il loge dans un centre d’accueil
qu’il compare à « une prison au milieu de
nulle part ». Bassel sait que ça peut pa-
raître ingrat, mais souligne qu’il n’a pas
choisi de devenir un réfugié et qu’il s’est
senti mal considéré. Il est finalement ac-
cueilli par une famille pendant un an.
« Je n’ai peut-être pas vu les droits de
l’Homme en arrivant, mais il y a eu ma fa-
mille belge, symbole d’humanité. Ils ont
changé mon chemin, mes valeurs ... Ils
m’ont donné un toit, de l’amour, une sé-
curité. Tout. » Aujourd’hui, Bassel loue un
appartement et retrouve un peu de sta-
bilité. Avant ça, il y avait toujours un pro-
blème à résoudre : survivre, partir, obte-
nir des papiers, trouver un logement et
un travail, apprendre le néerlandais, etc.
Bassel s’est toujours concentré sur son
avenir. À 20 ans, il fait un maximum pour
assurer son indépendance financière : « Je
sais ce que je veux faire et mon parcours
m’a rendu encore plus déterminé. Je suis
heureux de ce que j’ai déjà pu accom-
plir comme le fait de jouer à l’Ancienne
Belgique ou dans des festivals connus. »
D’un autre côté, Bassel pense plus sou-
vent à son passé et des souvenirs trau-
matisants ressurgissent : « J’avais 14 ans
quand la guerre a commencé. Je vivais
dans un petit quartier qui a été frappé par
25 voitures piégées et 3200 roquettes en
cinq ans. Au début, c’est effrayant et puis
tu t’habitues. Il y a des jours où tu es sous
pression, tu dois trouver de quoi man-
ger, protéger les tiens. Et puis, des jours
où tu dis “Il y a encore eu une roquette.
Et sinon, on fait quoi ce soir ? On joue aux
cartes ?” En fait, ta vie ne tient qu’à un
fil. Si tu survis tel jour, c’est juste parce
qu’un ami t’a arrêté un moment en rue
pour causer un peu. Ou parce que tu as
pris un peu plus de temps que d’habitude
pour t’habiller. » Aujourd’hui, Bassel sent
qu’il a besoin d’être plus souvent seul. « Il
y a des jours où je n’arrive pas à trouver
l’énergie de me lever. » Face à ce tourbil-
lon émotionnel, il tente de se fixer des ob-
jectifs simples et progressifs. Bassel té-
moigne de son parcours, mais reste as-
sez pessimiste. « J’apprécie toutes les ini-
tiatives qui tendent vers plus d’humani-
té. Ça peut changer des vies, ça a chan-
gé la mienne. Si cette expo peut susci-
ter des réflexions, tant mieux. Ça rendra
les choses meilleures. Ou moins mau-
vaises. » Ce qu’il aurait à dire au secrétaire
d’État à l’Asile et la Migration ? Un peu dé-
sabusé, Bassel ne se sent pas l’âme d’un
porte-parole. Mais il répond avec un sou-
rire : « Si je rencontrais Théo, je lui offrirais
mon CD. J’espère que ça lui apportera un
peu de joie. Peut-être même qu’il se dira :
“ Ça déchire, ce Bassel assure grave ! ” ».
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Johanna de Tessières,
interview Laure Derenne.
Bassel →
La « jungle » de Calais,
France, janvier 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Installés sur une ancienne
décharge, les migrants ne
disposaient à l’ouverture
d’aucune infrastructure
sanitaire. Les tentes ne
suffisent généralement pas
aux migrants à se protéger
des intempéries. Ils fixent
des bâches par-dessus leur
logement de fortune. Bien
que le soleil fasse parfois
son apparition au-dessus
de la « jungle », le vent de
la Côte vient frapper les
tentes fragiles. Il n’est pas
rare de croiser des migrants
habillés de couvertures
pour se protéger du froid,
mais pourtant chaussés de
simples tongs.
17.
18. ←
Église Saint Roch, Belgique,
novembre 2015,
Virginie Nguyen Hoang,
collectif Huma.
Des réfugiés dorment dans
la pièce principale de l’église
Saint Roch. Depuis le début
de l’hiver, l’église Saint Roch
accueille environ 150 réfu-
giés chaque nuit. La plupart
d’entre eux viennent d’Afgha-
nistan, d’Irak et de Syrie.
L’église Saint-Roch se trouve à
moins de cent mètres de l’Of-
fice des étrangers. Elle a été
en première ligne lors de la
crise de l’accueil. Quelques
150 personnes y ont trou-
vé un refuge pendant près de
trois mois. Les volontaires de
la Plateforme Citoyenne se re-
layaient tous les soirs pour leur
apporter à manger. Des pa-
roissiens aussi.
←
Plaine de la Bekaa, Liban,
31 juillet 2015,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Sobhye Omysh, 50 ans, ren-
contrée durant l’été 2015 dans
un camp de réfugiés syriens,
au Liban, à Qabelias, dans
la plaine de la Bekaa. Cette
Syrienne a tenté de faire de sa
tente précaire un lieu coquet,
en recouvrant l’intérieur de tis-
sus colorés. Sobhye Omysh
a fui la Syrie avec son mari et
ses enfants, après avoir été
touchée au bras et à la jambe
par une balle perdue, lors de
combats dans son village. Elle
est restée alitée pendant un
an et demi à la suite de cette
blessure.
19. →
Plaine de la Bekaa, Liban,
30 juillet 2015,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Des enfants syriens dans un
camp de réfugiés de la plaine
de la Bekaa, au Liban, du-
rant l’été 2015. Au Liban, seuls
40 % des enfants syriens sont
scolarisés. Pas facile de trou-
ver une place dans les écoles
qui alternent les horaires sco-
laires afin d’accueillir les éco-
liers libanais et syriens au sein
des mêmes établissements.
Certains réfugiés syriens, pro-
fesseurs, enseignent dans ces
camps. « C’est une façon de
garantir un futur à ces enfants,
mais aussi de leur permettre
de s’évader de l’ambiance fa-
miliale où les discussions au-
tour de la guerre sont omnipré-
sentes », explique un de ces
professeurs.
→
Parc Maximilien de
Bruxelles, Belgique,
6 septembre 2015,
Frédéric Pauwels,
collectif Huma.
Les tentes à l’avant-plan par-
mi les gratte-ciels du centre-
ville de Bruxelles ont transfor-
mé le parc Maximilien. Celui-
ci accueille plusieurs centaines
de réfugiés qui campent dans
le parc en attendant de pou-
voir s'enregistrer à l'Office des
étrangers. Les conditions sont
difficiles, et sur place, des
bénévoles de la Plateforme
Citoyenne veillent à ce que la
situation ne vire pas au drame.
Un appel aux dons a été lan-
cé, ce qui a permis aux asso-
ciations de commencer à fa-
briquer quelques infrastruc-
tures solides.
20. Abdalla
est le dernier d’une famille sy-
rienne de sept enfants. Malgré leurs re-
venus moyens, ses parents lui ont permis
d’étudier la littérature anglaise et l’art vi-
suel tout en développant son talent pour
la peinture. En 2011, les premières ma-
nifestations éclatent pour « enfin dire non
au pouvoir dictatorial ». Abdalla se sou-
vient d’une période exaltante : « Pour la
première fois, nous étions capables de
faire savoir ce que nous voulions et ce
que nous ne voulions plus. Nous croyions
énormément au changement. » Jusqu’à
ce que toute cette « idée romantique »
s’effondre avec les violences qui s’en sont
suivies. « La belle histoire était finie, la
guerre était là. »
La carrière d’Abdalla prend alors
un nouveau tournant. « Avant, je pei-
gnais pour moi, des choses très person-
nelles. J’ai commencé à exposer des por-
traits d’enfants en montrant les effets de
la guerre. » Ces peintures n’ont évidem-
ment pas plu au régime qui arrêtait la plu-
part des activistes et des manifestants.
« Mon galeriste à Damas m’a prévenu
que des hommes étaient venus lui poser
des questions sur moi. » Ajoutant à cette
menace le fait qu’il était appelé au ser-
vice militaire et qu’il était hors de ques-
tion pour lui de participer aux violences,
Abdalla en arrive à cette conclusion inévi-
table : il doit quitter le pays.
Tout s’est fait très vite. Il plie l’essentiel
de sa vie en trois valises et un petit sac
contenant un disque dur, la mémoire de
ses « sept dernières années ». Abdalla ne
se souvient pas bien de ce qu’il a ressen-
ti à l’instant où il a dit au revoir à sa mère
avant qu’un taxi ne l’emmène à la fron-
tière : « Je ne savais pas comment réagir.
C’était irréel. Je ne voulais pas penser que
ce serait peut-être la dernière fois que je
la verrais. Je crois qu’elle pleurait, mais j’ai
regardé ailleurs, j’ai évité son regard. »
Abdalla arrive d’abord en Géorgie où
il reste deux ans. Puis en Belgique, où il
reçoit un permis de résidence trois mois
après sa demande d’asile. Il se souvient
de ses premières impressions : « Je suis
arrivé à Bruxelles par la gare du Midi, j’ai
été frappé par le cosmopolitisme ambiant.
Une adolescente, que sa maman venait
chercher en voiture, m’a proposé de l’aide
pour me conduire à un hôtel. Je me sou-
viendrai toujours de ces quelques minutes
d’échange chaleureux. »
Abdalla réalise à quel point des évé-
nements incontrôlables ont eu un impact
énorme sur sa vie ces cinq dernières an-
nées : « Tu ne fais plus de choix, ils sont
faits pour toi. » Il pense à celles et ceux
qui continuent d’arriver après avoir été for-
cés de quitter leur pays pour la première
fois de leur vie. « Ces personnes savent
qu’elles ont tout à recommencer et sont
conscientes des efforts énormes qui les
attendent. Elles sont déterminées et en
même temps démunies. Tout leur est in-
connu. La façon dont elles se sentent ac-
cueillies est cruciale. Chaque être hu-
main réagit en fonction de son expé-
rience et de la manière dont il est traité. »
La confiance, l’empathie et la responsa-
bilisation : voilà ce qu’Abdalla a ressen-
ti en Belgique. « Les réfugiés sont parfois
ignorés par les gens qui se disent “c’est
au gouvernement de gérer, je paie des
taxes pour ça”. En fait, il est important de
comprendre que chacun peut faciliter les
choses et que ça passe par de tout pe-
tits gestes. »
Abdalla avait déjà une certaine recon-
naissance artistique lorsqu’il est arrivé en
Belgique. Celle-ci n’a fait que grandir. Un
de ses tableaux représente Obama en
sans-abri et démarre une série intitulée
« Vulnérabilité ». Parce que « le fait de se
présenter à l’autre, désarmé et vulnérable
est l’un de nos pouvoirs les plus pré-
cieux. » Cette peinture est aujourd’hui ex-
posée à l’Institut du monde arabe à Paris
et bientôt à Dubaï.
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Virginie Nguyen Hoang,
interview Laure Derenne.
→
La « jungle » de Calais,
France, 2015-2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Tahed, 8 ans, téléphone à sa
maman restée en Afghanistan.
Il a quitté son village afghan il
y a un an. L’enfant a traversé
l’Iran, la Turquie, le sud-est de
l’Europe avant d’échouer sur
les bords de la Manche avec
un objectif en vue : passer
au Royaume-Uni. Pourquoi ?
« Parce que j’ai appris l’anglais
pendant deux ans », élude-t-il.
Tahed a vécu ici un mois avec
son « oncle pakistanais ». Il a
déjà tenté de traverser, mais
a échoué à trois reprises. La
quatrième aura été la bonne
: le 3 juillet, le petit afghan a
sauté d’un camion sur le sol
anglais.
→
Calais, France,
octobre 2016,
Johanna de Tessieres,
collectif Huma.
Lors du démantèlement de
Calais un groupe de per-
sonnes d’Érythrée et d’Éthio-
pie marchent vers les bus qui
les achemineront vers dif-
férents centres d’accueil en
France. Ceux qui ont décidé
de rester ou de partir plus tard
soutiennent ceux qui partent.
C’est un moment particuliè-
rement difficile pour ces per-
sonnes qui ne savent pas où
elles vont et qui doivent quit-
ter une fois de plus les per-
sonnes qui leur sont proches.
L’Erythrée est considérée
comme l’une des dictatures
les plus brutales au monde.
Abdalla
21.
22. Gailan,
24 ans, vit à Bruxelles depuis
trois ans. Le premier mot qui lui vient à
l’esprit au sujet de sa ville d’adoption,
c’est « merci » : « Merci d’avoir permis au
Gailan un peu perdu que j’étais de s’ex-
primer, de s’écouter, de savoir clairement
ce qu’il veut faire dans sa vie et de trouver
des moyens pour y arriver. »
Arrivé avec son frère en Belgique via
l’aéroport de Charleroi, Gailan a deman-
dé l’asile au vu des risques qu’il cou-
rait dans son pays natal, l’Irak. Il a obte-
nu un avis positif en une dizaine de jours.
Alors qu’il a droit au CPAS, Gailan refuse
d’y faire appel : « Je vais bien, je peux me
débrouiller et travailler. D’autres en ont
plus besoin que moi. » Il noue rapidement
contact avec un autre Irakien qui le sou-
tient dans ses démarches pour trouver un
logement et qui compte aujourd’hui parmi
ses cinq meilleurs amis.
Gailan aime chanter et réunir ses amis
autour de la musique. « C’est un don
que j’ai envie de partager et d’offrir aux
autres. J’aime voir les gens danser, rire,
partager un moment de fête et de joie. »
Gailan chante de plus en plus en français.
Avec un ami, il aimerait enregistrer une
chanson franco-arabe pour « l’offrir aux
Bruxellois ». Grâce au français, Gailan es-
père pouvoir entrer à l’université l’an pro-
chain, en tant qu’ingénieur en électromé-
canique. Quant à son frère, il vient d’être
accepté dans une formation à Charleroi
pour devenir pilote : « Il travaille dans un
snack de 6 à 14h, puis il va à sa forma-
tion. Il dort dans le train de retour et re-
part travailler. C’est fatigant, mais il va y
arriver. Moi aussi, je réaliserai mes rêves.
Parce qu’ici, en Belgique, si on veut, on
peut. »
Gailan a rencontré Olivia, avec qui il
vit depuis quelques mois : « C’est mon al-
ter ego, on a une connexion très forte. Je
me sens vraiment chanceux de l’avoir ren-
contrée : elle est magnifique, elle a un
grand cœur. » Ensemble, ils sont allés en
Italie : « On est passé par la route. J’avais
oublié mes papiers, mais nous n’avons
pas croisé une seule personne en uni-
forme. C’est quelque chose d’incroyable
pour moi. » Gailan se souvient d’une autre
anecdote surprenante : « Un jour, j’ai vu
le roi Philippe et sa famille passer dans
Bruxelles. Il n’avait pas d’escorte visible.
Je lui ai fait un signe de la main et il m’a
répondu. »
Quand il pense à l’Irak, Gailan ex-
plique : « Je voudrais tellement que mon
pays aille bien. C’est comme quelque
chose que tu veux vraiment très fort, mais
que tu ne peux pas avoir... » Et d’ajou-
ter : « Saddam Hussein était un sale
type, mais aujourd’hui, c’est comme s’il
y avait 100 Saddam Hussein dans mon
pays. Quand j’ai mon père au téléphone,
il me dit combien il est désolé que j’aie
dû fuir. Je lui réponds que je vais bien
ici, que c’est moi qui suis désolé de la si-
tuation qu’il subit là-bas. Même pour al-
ler voir son propre père qui vit à deux ki-
lomètres, c’est très compliqué. La plupart
du temps, les gens se terrent chez eux, il
n’y a aucune liberté. » Le plus grand rêve
de Gailan est que sa famille puisse le re-
joindre. « C’est difficile, je ne sais pas si
ce sera possible un jour. » Gailan sou-
haite de tout cœur que l’Europe par-
vienne à préserver ses valeurs de démo-
cratie et d’ouverture. « Je suis Arabe mu-
sulman. Parfois, je me fais aborder par
des inconnus dans la rue qui me tiennent
des propos anti-chrétiens ou anti-occi-
dentaux. Ça me révolte. Je ne comprends
pas qu’on puisse faire ça dans un pays
qui te donne toutes les possibilités. Le
jour des attentats de Bruxelles, j’ai pleuré.
J’ai fui Daech, ce qu’ils font est terrible. Je
ne veux pas que l’Europe connaisse ça. »
Gailan considère la Belgique comme son
pays à part entière, au même titre que
l’Irak. Il conclut comme il a commencé :
« Encore merci ! Pour tout. Tout ce que j’ai
gagné à l’intérieur de moi en venant ici. »
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Olivier Papegnies,
interview Laure Derenne.
Gailan
23.
24. Hussein,
joueur de luth oriental,
quitte l’Irak par la « route des migrants »
(Turquie, Grèce, Macédoine, Hongrie,
Serbie, Autriche, Allemagne). Il arrive à
Bruxelles pendant l’été 2015 et se re-
trouve au parc Maximilien. Une impor-
tante mobilisation citoyenne s’est mise en
place pour améliorer les conditions d’ac-
cueil des personnes qui dorment dans le
parc en attendant de pouvoir introduire
une demande d’asile. Dès son deuxième
jour en Belgique, Hussein rejoint les bé-
névoles : « J’ai vu plein d’Européens ai-
der et j’ai eu envie de faire partie de ce
mouvement. » Il obtient une place dans
un centre d’accueil de Fedasil près de
Ciney. Il noue des contacts avec de nom-
breux demandeurs d’asile, mais les pos-
sibilités d’échange avec des Belges, en
particulier d’autres jeunes, sont plus li-
mitées. Obtenant un statut de réfu-
gié, Hussein retourne vivre à Bruxelles
et prend part à des projets artistiques,
dont celui de Muziekpublique « Refugees
for refugees ». Il intègre une tournée de
concerts et participe à l’enregistrement
d’un CD qui rassemble des virtuoses ve-
nus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, du
Pakistan et du Tibet. Hussein porte la
profonde conviction que la migration est
une chance lorsqu’elle permet la ren-
contre entre des êtres humains ouverts
les uns aux autres. Il aime profondément
découvrir et apprendre des autres. Ses
nombreux sourires appuient sa pensée :
la confiance, la générosité, l’engagement
sont des clés. « C’est un peu comme si tu
étais à une fête. Tu peux choisir de dan-
ser avec les autres ou de rester dans ton
coin. » Hussein apprécie Bruxelles et le
dynamisme culturel qui y règne. Selon
lui, l’éducation et la culture sont les pi-
liers d’une société. Ce sont des moyens
d’offrir à chacun un espace d’expression
et de réalisation de son potentiel. Sa mu-
sique, Hussein désire la mettre au ser-
vice de rencontres. Depuis 2016, il ras-
semble autour de lui des artistes de dif-
férentes tendances (classique, jazz, tra-
ditionnelle) pour monter son propre pro-
jet « Nawaris » : « Mouettes » en arabe. Un
symbole qui fait référence à un monde
où les hommes pourraient eux aussi tra-
verser les mers pour se rapprocher de
leurs rêves sans se soucier des frontières.
« Je pense que la musique peut chan-
ger beaucoup de choses et rapprocher
les gens », souligne Hussein. Le 22 mars,
il est allé jouer du luth à la Bourse de
Bruxelles. « Quelqu’un m’a filmé et a par-
tagé la séquence qui a été vue par des
milliers de personnes. Je n’ai pas parti-
culièrement bien joué ce jour-là, mais ce
moment, ce message, a ému pas mal de
monde. Peut-être aussi que ça a changé
certains points de vue. » C’est aussi grâce
à la musique qu’Hussein vit une belle his-
toire d’amour avec Juliette, une violoncel-
liste bordelaise qui l’a rejoint dans l’aven-
ture « Nawaris ». Elle raconte : « Nous
étions tous les deux à une fête et nous
avons joué de la musique ensemble. C’est
ce qui nous a connectés. » Elle ajoute, le
sourire aux lèvres : « Mes années d’école
en anglais étaient bien loin, mais j’ai été
très motivée pour réapprendre à parler ra-
pidement. » Hussein aimerait pouvoir faire
des projets musicaux en Irak, mais la si-
tuation est encore trop difficile et impré-
visible. « C’est une zone pleine d’intérêts
stratégiques. La guerre est un business
qui a détruit tant de rêves et d’opportuni-
tés. » En Belgique, Hussein se sent libre
et veut contribuer à cultiver la démocratie
en prenant part activement à cette société
plurielle et ouverte.
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Frédéric Pauwels,
interview Laure Derenne.
→
Camps de réfugiés syriens
de Zaatari, Jordanie,
8 octobre 2013,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Fahti Addad Ibrahim, 60 ans
reçoit des soins de l'ONG
Handicap International. Avant
la guerre, Fahti était berger
dans la région de Al Zour. Il
a été blessé par un tir de sni-
per et a dû fuir son village. Il
vit sous cette tente avec sa
femme et ses deux enfants.
En attendant, avec anxiété,
des nouvelles du reste de sa
famille.
→
Office des étrangers
de Bruxelles, Belgique,
décembre 2015,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Des jeunes Afghans, Syriens et
Irakiens font la file toute la nuit
sous la pluie et dans le froid
devant l’Office des étrangers
afin de remplir les premières
formalités de leur demande
d’asile. Certains devront reve-
nir faire la file la nuit suivante.
« Ce moment est très impor-
tant pour moi. Mon avenir se
joue aujourd’hui, dans cette
file. Dans deux heures, si j’ai
de la chance, je pourrai être
interrogé et les dés seront je-
tés », nous confie l’un deux.
Hussein
25.
26. Chinara
Si vous pouviez rencontrer
Chinara, elle aimerait certainement vous
écouter parler de votre histoire et de ce
que vous pourriez lui apprendre. Elle vien-
drait chercher ce qu’il y a de plus humain
en vous en s’intéressant à ce qui vous
plaît dans la vie, à ce que vous trouvez
important.
Son ouverture et sa sensibilité, Chinara
la tient sans doute de sa propre histoire
qu’elle partage à sa manière, à travers ses
dessins et ses peintures : « Tous mes ta-
bleaux racontent quelque chose. C’est
ma façon de m’exprimer sur mon vécu
et ma vision du monde. » Chinara dé-
crit par exemple une œuvre sur laquelle
on voit une maison dans un paysage as-
sez sombre. Des fleurs colorées sont en
train de grimper au bas du tableau. Dans
le ciel, il y a un nuage qui a la forme de
la Belgique. Et tout en bas, dans un coin,
une coccinelle. « Une coccinelle, c’est pe-
tit. Beaucoup de gens passeraient près
d’elle sans y faire attention. Certains trou-
veraient ça mignon, d’autres seraient em-
bêtés. Mais si on la laisse voler, cette coc-
cinelle peut embellir le paysage et aller
plus loin. Cette coccinelle, c’est moi. » Elle
poursuit : « La Belgique est dans le ciel
parce que la décision de savoir si je pour-
rai continuer à vivre dans ce pays viendra
de là-haut. »
Arrivée avec sa famille d’Azerbaïdjan
en 2014, Chinara attend une réponse à
sa troisième demande d’asile. « Mon pays
n’est pas en guerre, mais notre vie était
devenue impossible. Quand j’étais enfant,
ma mère, musulmane, a épousé en se-
cond mariage un chrétien que je consi-
dère comme mon père. Les mariages
mixtes sont très mal vus. Nous avons fait
l’objet de harcèlement, de rejet et de me-
naces quotidiennes. Tout ça nous a vrai-
ment cassés. » Chinara se souvient du
jour du départ : « On a confié nos vies à
quelqu’un qu’on ne connaissait absolu-
ment pas et on a roulé en voiture pen-
dant cinq jours, sans savoir où on allait.
Malheureusement, on nous a menti en
nous disant que mon père nous suivait. Il
n’est jamais arrivé. Nous n’avons pas de
nouvelles de lui. »
Face à l’adversité, Chinara a toujours
gardé l’espoir et la force de se mettre en
mouvement. En Belgique, elle s’est vite
entourée d’amis et s’est investie dans
1001 projets. Elle qui parlait déjà quatre
langues, maîtrise maintenant le français
et s’est mise au néerlandais. Elle aime dé-
couvrir la culture et l’histoire belge en vi-
sitant des villes ou des musées. Elle a
aussi rencontré Mohammed, un homme
qui partage ses valeurs de bienveillance
et d’optimisme, avec qui elle se mariera
dans quelques mois.
Particulièrement attentive au bien-être
des autres, Chinara rêve d’étudier la psy-
chologie tout en continuant à développer
son art. Grâce à « Refugees got talent »,
Chinara a pu participer à de nombreuses
expositions. Elle a déjà vendu quelques
tableaux. Dont un sur lequel on voit une
maison à l’envers. « J’aime la vie, j’aime
les gens, mais des fois, je me dis vrai-
ment qu’on fait tout le contraire de ce
qui compte vraiment pour nous en tant
qu’êtres humains. On vit de plus en plus
comme des robots, déconnectés les uns
des autres, repliés sur nous-mêmes et sur
nos propres intérêts. L’argent devient un
moteur trop important et nous fait perdre
le vrai sens des choses. »
Chinara veut mettre son art et sa per-
sonnalité au service d’un monde meilleur,
mais pas seule ! C’est pour ça qu’elle par-
ticipe à l’exposition « #JeSuisHumain ».
Elle montre une de ses mains : « Tu vois,
avec une main, je ne peux pas faire de
bruit. Avec deux mains, je peux produire
un son. Et si on était des millions à s’unir
au-delà de nos différences, tu imagines
quelle voix pourrait sortir de nous. »
Bruxelles, le 1 janvier 2017,
photographies Olivier Papegnies,
interview Laure Derenne.
→
Calais, Belgique,
janvier 2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
La « Jungle » compte plusieurs
quartiers, eux-mêmes com-
posés de micro-campements
de quelques tentes d’amis, re-
groupées ensemble. Les mi-
grants se lavent sommaire-
ment dans leur campement,
penchés au-dessus de bas-
sines d’eau glacée et s’en-
traident lorsqu’il s’agit de se
couper les cheveux. Bien
qu’ils logent dans des condi-
tions extrêmes, ils continuent
à prendre soin de leur image
afin de garder leur dignité.
Calais, Belgique,
octobre 2016,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Calais, premier jour du dé-
mantèlement de la jungle, de
jeunes garçons jouent avec un
tigre en peluche. Malgré l’am-
biance lourde du départ vers
de nouvelles incertitudes, les
rires fusent.
Chinara
→
27.
28. Mafraq, Jordanie
10 octobre 2013,
Johanna de Tessières,
collectif Huma.
Voici le logement de Rania,de
son mari Mahmoud et de leurs
trois enfants. En juin 2013, ils
ont été contraints de fuir leur
maison située dans la ville de
Homs. Ils ont passé un mois
dans le camp de réfugiés de
Zaatari situé à la frontière entre
les deux pays. La famille a dé-
cidé de quitter le camp en rai-
son des conditions de vie trop
précaires. En Syrie, Mahmoud
était boulanger, mais il a reçu
une balle dans le ventre et ne
peut plus travailler. La famille
peine à réunir les 150 dollars
de loyer, un montant 50% plus
élevé que pour une famille jor-
danienne, pour un logement
insalubre
29.
30.
31.
32. Ces entretiens ont été réalisés en jan-
vier et février 2017 par le collectif belge
Huma, composé de six photographes et
d’une rédactrice. Passionnés par l’his-
toire, la grande et la petite, celle qui se
construit au quotidien, motivés par une
soif de comprendre, ils montrent ceux
dont la vie a basculé par un engrenage
de coups durs, une rupture, par une pho-
tographie respectueuse, qui parle d’hu-
manité. Une photographie intime, émo-
tionnelle qui montre de près pour com-
prendre de loin. Huma s’attache aussi
à capter les ressorts de la résilience so-
ciale ou individuelle : au travers des ob-
jectifs, traquer la joie et le bonheur là où
ils surgissent, parfois de façon inatten-
due, parce que convaincus que le monde
a besoin d’optimisme.
www.collectifhuma.com
Photo de couverture :
La «jungle» de Calais, France,
2015-2016,
Olivier Papegnies,
collectif Huma.
Les membres du Collectif Huma qui parti-
cipent à ce projet :
Virginie Nguyen Hoang : À travers ses
photos, elle raconte des histoires touchant
à l’exclusion sociale et aux conséquences
d’un conflit sur une population locale.
En 2012, elle reçoit un Nikon Press
Award Benelux dans la catégorie Young
Promising photographer-Stories avec son
sujet sur les Roms à Bruxelles. Elle vient
de publier «Gaza the aftermath» aux édi-
tions CDP. Elle a reçu le prix des lycéens
et apprentis de Normandie, catégorie té-
lévision au festival Bayeux des correspon-
dants de guerre.
Frédéric Pauwels : Membre fonda-
teur de Huma et professeur à l’Ate-
lier Obscura. Persuadé que la photo-
graphie dénonce mieux que les mots, il
aime travailler sur le long terme. Il s’inté-
resse entre autres au quotidien du milieu
de la prostitution ainsi qu’aux stigmates
de la première et deuxième guerre mon-
diale. Il est lauréat du 16e
Prix National
Photographie Ouverte avec le prix du
Patrimoine / Amis de l’Unesco pour son
travail sur Doel.
Olivier Papegnies : Ses reportages sont
publiés dans la presse belge et internatio-
nale. Il collabore avec La Libre Belgique,
Le Monde ainsi qu’avec différentes ONG
telles que Médecins du Monde, Special
Olympics. Il a reçu le Prix Dexia en 2009,
le Nikon Photo Press Awards 2010 pour
son reportage sur le tremblement de
terre en Haïti, le Prix du journalisme du
Parlement Wallonie-Bruxelles en 2012
pour son travail sur l’amour, la sexualité et
le handicap mental.
Johanna de Tessières : Elle photo-
graphie régulièrement pour La Libre
Belgique ainsi que pour la presse interna-
tionale. Elle collabore avec des ONG telles
que Handicap International et Amnesty
International. Sa photographie est souvent
centrée sur les questions humanitaires et
les droits de l’Homme à travers le monde.
Elle a travaillé sur le viol comme arme de
guerre en RDC et s’est rendue en Iraq afin
de récolter les témoignages des femmes
Yezidis enlevées par Daech. Elle a publié
un livre sur les petites mains de la Haute
Couture Française et n’hésite pas à pas-
ser d’un univers à l’autre avec curiosité.
Laure Derenne : Formée en psycholo-
gie et impliquée dans le milieu associatif,
Laure aime aller à la rencontre d’histoires
personnelles et découvrir des projets col-
lectifs porteurs de sens. Par ses textes,
elle fait écho à ce qui peut nous inspirer
dans la construction d’un monde plus hu-
main et plus durable.
Retrouvez l’ensemble de l’exposition dans
sa version digitale sur www.jesuishumain.be
Pour plus d’informations sur les exposi-
tions itinérantes #JeSuisHumain à par-
tir de janvier 2018 : www.amnesty.be/je-
suishumain
Les témoignages recueillis par le collectif
Huma n’ont pas fait l’objet d’une enquête
spécifique de la part de l’organisation de
défense des droits humains.
Une publication d’Amnesty International
Belgique francophone,
en association avec La Libre Belgique.
Design éditorial : Speculoos
Éditeur responsable : François Graas
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que vous ne le pensez.
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avec la communication
« je suis humain ».