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Le cinéma comme technique : le
montage
Notion de l’agencement1
:
-­‐ Disjonction image/son
-­‐ Intermédialité : mise en relation
d’éléments hétérogènes
-­‐ Perturber la linéarité et
l’enchainement discursif :
coupes sèches, jump cut, faux
raccords
Le montage devient non « une opération
d’association, mais de différenciation
[…], il faut qu’un potentiel s’établisse
entre les deux [plans choisis], qui soit
producteur d’un troisième ou de quelque
chose de nouveau »
Gilles Deleuze, L’image-temps, Editions
de Minuit, 1985, p. 234
Dialectique du regard
-­‐ Le regard est toujours dirigé
vers le spectateur, un regard qui
ne se détourne pas
-­‐ Regarder/Être regardé
-­‐ Plusieurs regards se croisent,
celui de la caméra (cinéaste,
ciné-œil), des personnages, du
spectateur
Le cinéma comme pensée des images
Notion de l’image-temps2
:
-­‐ Le regard camera
-­‐ Les images qui défilent d'une
forêt en automne
-­‐ Les écrans noirs
Sont des images-temps, des coupures
dites irrationnelles, qui n'appartiennent
ni à l'une ni à l'autre, et se mettent à
valoir pour elles-mêmes…Des interstices
qui prolifèrent partout, dans l’image
visuelle, l’image sonore, entre les deux.
Gilles Deleuze, L’image-temps, « La
pensée et le cinéma », Editions de
Minuit, 1985, p.236
Le cinéma comme pensée du cinéma
L'objet cinéma
1
L’agencement selon Gilles Deleuze : C'est la rencontre, la fusion, la confrontation de matières expressives différentes. Des éléments hétérogènes en coalescence. C'est la mise en rapport de médias différents de manière non
linéaire, non discursive. Un phénomène d'intermédialité où il est question de disjonction entre les composants visuels et sonores. Le décalage entre le son et l'image va créer des interstices dans lesquels ces éléments hétérogènes
vont se transformer les uns au contact des autres ; l'arrivée du sonore va affecter le sens du visuel et inversement. Le devenir de l’un dans sa promiscuité à l’autre va engendrer une expressivité hétéromorphe. L'agencement ouvre
un champ de devenir, où les changements, les mouvements vont en se multipliant, en s’intensifiant, en se complexifiant.
Le travail de Marcel Hanoun sur le rapport image/son assure cette transformation des éléments en créant un agencement producteur de sens.	
  
	
  
« La disjonction image/son c’est une idée cinématographique. On nous parle de quelque chose et on nous fait voir autre chose. Ça assure une véritable transformation des éléments […] C’est un nouveau sens de "lisible" qui
apparaît pour l’image visuelle, en même temps que l’acte de parole devient pour lui-même image sonore autonome » . G. Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ? Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation
Femis - 17/05/1987	
  
	
  
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Dans L'Image-temps, Deleuze oppose l'image-mouvement=action/réaction (cinéma classique), à l'image-temps=réflexion pure, plan qui est une situation optique et sonore pure (cinéma moderne)
L’AUTOMNE, UNE LEÇON DE CINÉMA ?
Comme beaucoup de films de Marcel Hanoun, L’Automne ne fonctionne que dans l’analyse de lui même.
Le film tout entier, ou presque, est un dispositif qui représente le cinéma et le questionne.
Qui fait la leçon ? Comment ? Pour qui ?
C’est bien Marcel Hanoun qui fait la leçon, mais la
transmission n’est pas directe, elle se fait par
intermédiaire.
L’instance médiatrice est dédoublée :
-­‐ incarnée par les personnages
-­‐ se manifeste à l’image à travers le montage
À travers :
-­‐ l’énoncé : paroles du cinéaste (Julien) et de sa
monteuse,
-­‐ l’énonciation : agencement des composants
visuels et sonores, joue avec les énoncés, les
images, les sons
Le spectateur
Les acteurs
Objet de la transmission
Objectif de la transmission
Montage comme pédagogie de la
perception
-­‐ Envisager les diverses
possibilités du montage
permettant de dissocier les
différents éléments et de
courcircuiter les modèles qui
guident la réception.
-­‐ Le décalage produit par la
disjonction de l'image et du son
maintient le spectateur éveillé et
le pousse à réfléchir et à
interpréter ce décalage.
-­‐ L’articulation entre les éléments
visuels et sonores est à
construire par le spectateur
Interroger le regard
Ne pas opposer le regard au savoir
Ne pas assimiler le regard du spectateur
à un état de passivité
Réflexion sur la possibilité d'un échange
plus direct entre le spectateur et le
cinéma
« Abandonner le mouvement qui vide
l'image de son poids et de sa matière,
pour un temps qui la transcende et la
réfléchi »
Gilles Deleuze, L’image-temps, « Les
cristaux de temps», Editions de Minuit,
1985, p.92
« Un film, ce n’est pas une image après
une autre, c’est une suite écrite, la
composition d’images pensées l’une
après l’autre, l’une avec l’autre. »
Marcel Hanoun, Cinema cinéastes, Notes
sur l’image écrite, Yellow Now, 2001,
p.32
Réflexion sur la transmission
Réflexion sur l'acte de création cinématographique
Interroger le processus filmique ; distance entre le
spectateur et le cinéma résorbée par l'effet de
distanciation (parole, transparence du jeu des
acteurs, regard caméra...)
Objectif global
Réflexion sur la capacité du cinéma à produire du sens, sur l'articulation de la pensée en image. « L’image cinématographique doit avoir un effet de choc sur la pensée, et forcer la
pensée à se penser elle même comme à penser le tout. C’est la définition même du sublime. » G . Deleuze, L’image-temps, « La pensée et le cinéma », Éditions de Minuit, 1985, p.206
Prendre conscience de la relativité du regard, susciter un « voir » autrement. « Vouloir recevoir un film, c'est d'abord ne pas se refuser à être soi même regardé, écouté, scruté,
interrogé (peut être même agressé?) » Marcel Hanoun in Cinéma de la modernité, Éditions Klincksieck, Paris, 1981, p.127
Réflexion sur l'acte de création comme acte de résistance ; interpellation éthique, provocation, entretenir un rapport plus direct avec le spectateur renforce l'efficacité politique du film.
« La création est en soi cri de non obéissance : « travail est le maitre mot de la création cinématographique, travail des mots, des sons et des images, par le sujet qui les crée, pour le
sujet qui les reçoit, en est travaillé à son tour et à son tour les travaille encore, travail métaphorique d’éveil, travail réellement politique. » Marcel Hanoun Cinéma, cinéastes, Notes
sur l’image écrite « la création est un cri politique », Éditions Yellow Now, 2001
Réflexion sur le rôle du spectateur (souvent privé de ses facultés de réflexion). Émancipation du spectateur, un spectateur pensant, produisant un nouveau sens. Interroger la position du
spectateur (passivité, contrainte...).
	
  

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  • 1. Le cinéma comme technique : le montage Notion de l’agencement1 : -­‐ Disjonction image/son -­‐ Intermédialité : mise en relation d’éléments hétérogènes -­‐ Perturber la linéarité et l’enchainement discursif : coupes sèches, jump cut, faux raccords Le montage devient non « une opération d’association, mais de différenciation […], il faut qu’un potentiel s’établisse entre les deux [plans choisis], qui soit producteur d’un troisième ou de quelque chose de nouveau » Gilles Deleuze, L’image-temps, Editions de Minuit, 1985, p. 234 Dialectique du regard -­‐ Le regard est toujours dirigé vers le spectateur, un regard qui ne se détourne pas -­‐ Regarder/Être regardé -­‐ Plusieurs regards se croisent, celui de la caméra (cinéaste, ciné-œil), des personnages, du spectateur Le cinéma comme pensée des images Notion de l’image-temps2 : -­‐ Le regard camera -­‐ Les images qui défilent d'une forêt en automne -­‐ Les écrans noirs Sont des images-temps, des coupures dites irrationnelles, qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre, et se mettent à valoir pour elles-mêmes…Des interstices qui prolifèrent partout, dans l’image visuelle, l’image sonore, entre les deux. Gilles Deleuze, L’image-temps, « La pensée et le cinéma », Editions de Minuit, 1985, p.236 Le cinéma comme pensée du cinéma L'objet cinéma 1 L’agencement selon Gilles Deleuze : C'est la rencontre, la fusion, la confrontation de matières expressives différentes. Des éléments hétérogènes en coalescence. C'est la mise en rapport de médias différents de manière non linéaire, non discursive. Un phénomène d'intermédialité où il est question de disjonction entre les composants visuels et sonores. Le décalage entre le son et l'image va créer des interstices dans lesquels ces éléments hétérogènes vont se transformer les uns au contact des autres ; l'arrivée du sonore va affecter le sens du visuel et inversement. Le devenir de l’un dans sa promiscuité à l’autre va engendrer une expressivité hétéromorphe. L'agencement ouvre un champ de devenir, où les changements, les mouvements vont en se multipliant, en s’intensifiant, en se complexifiant. Le travail de Marcel Hanoun sur le rapport image/son assure cette transformation des éléments en créant un agencement producteur de sens.     « La disjonction image/son c’est une idée cinématographique. On nous parle de quelque chose et on nous fait voir autre chose. Ça assure une véritable transformation des éléments […] C’est un nouveau sens de "lisible" qui apparaît pour l’image visuelle, en même temps que l’acte de parole devient pour lui-même image sonore autonome » . G. Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ? Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis - 17/05/1987     2 Dans L'Image-temps, Deleuze oppose l'image-mouvement=action/réaction (cinéma classique), à l'image-temps=réflexion pure, plan qui est une situation optique et sonore pure (cinéma moderne) L’AUTOMNE, UNE LEÇON DE CINÉMA ? Comme beaucoup de films de Marcel Hanoun, L’Automne ne fonctionne que dans l’analyse de lui même. Le film tout entier, ou presque, est un dispositif qui représente le cinéma et le questionne. Qui fait la leçon ? Comment ? Pour qui ? C’est bien Marcel Hanoun qui fait la leçon, mais la transmission n’est pas directe, elle se fait par intermédiaire. L’instance médiatrice est dédoublée : -­‐ incarnée par les personnages -­‐ se manifeste à l’image à travers le montage À travers : -­‐ l’énoncé : paroles du cinéaste (Julien) et de sa monteuse, -­‐ l’énonciation : agencement des composants visuels et sonores, joue avec les énoncés, les images, les sons Le spectateur Les acteurs Objet de la transmission
  • 2. Objectif de la transmission Montage comme pédagogie de la perception -­‐ Envisager les diverses possibilités du montage permettant de dissocier les différents éléments et de courcircuiter les modèles qui guident la réception. -­‐ Le décalage produit par la disjonction de l'image et du son maintient le spectateur éveillé et le pousse à réfléchir et à interpréter ce décalage. -­‐ L’articulation entre les éléments visuels et sonores est à construire par le spectateur Interroger le regard Ne pas opposer le regard au savoir Ne pas assimiler le regard du spectateur à un état de passivité Réflexion sur la possibilité d'un échange plus direct entre le spectateur et le cinéma « Abandonner le mouvement qui vide l'image de son poids et de sa matière, pour un temps qui la transcende et la réfléchi » Gilles Deleuze, L’image-temps, « Les cristaux de temps», Editions de Minuit, 1985, p.92 « Un film, ce n’est pas une image après une autre, c’est une suite écrite, la composition d’images pensées l’une après l’autre, l’une avec l’autre. » Marcel Hanoun, Cinema cinéastes, Notes sur l’image écrite, Yellow Now, 2001, p.32 Réflexion sur la transmission Réflexion sur l'acte de création cinématographique Interroger le processus filmique ; distance entre le spectateur et le cinéma résorbée par l'effet de distanciation (parole, transparence du jeu des acteurs, regard caméra...) Objectif global Réflexion sur la capacité du cinéma à produire du sens, sur l'articulation de la pensée en image. « L’image cinématographique doit avoir un effet de choc sur la pensée, et forcer la pensée à se penser elle même comme à penser le tout. C’est la définition même du sublime. » G . Deleuze, L’image-temps, « La pensée et le cinéma », Éditions de Minuit, 1985, p.206 Prendre conscience de la relativité du regard, susciter un « voir » autrement. « Vouloir recevoir un film, c'est d'abord ne pas se refuser à être soi même regardé, écouté, scruté, interrogé (peut être même agressé?) » Marcel Hanoun in Cinéma de la modernité, Éditions Klincksieck, Paris, 1981, p.127 Réflexion sur l'acte de création comme acte de résistance ; interpellation éthique, provocation, entretenir un rapport plus direct avec le spectateur renforce l'efficacité politique du film. « La création est en soi cri de non obéissance : « travail est le maitre mot de la création cinématographique, travail des mots, des sons et des images, par le sujet qui les crée, pour le sujet qui les reçoit, en est travaillé à son tour et à son tour les travaille encore, travail métaphorique d’éveil, travail réellement politique. » Marcel Hanoun Cinéma, cinéastes, Notes sur l’image écrite « la création est un cri politique », Éditions Yellow Now, 2001 Réflexion sur le rôle du spectateur (souvent privé de ses facultés de réflexion). Émancipation du spectateur, un spectateur pensant, produisant un nouveau sens. Interroger la position du spectateur (passivité, contrainte...).