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Max	Marquer	(sous	la	direction	de	Philippe	Teillet)	
Master	Ingénierie	Et	Gouvernance	De	l’Action	Publique																											
Spécialité		Direction	De	Projets	Culturels	
Université	Grenoble	Alpes	-	Sciences	Po	Grenoble	-		2016/2017	
	
Pour	une	action	publique	respectueuse	
des	Droits	Culturels	:	les	apports	du	Design	
de	Politiques	Publiques	
MÉMOIRE	DE	RECHERCHE
2
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Université Grenoble Alpes
Sciences Po Grenoble
Master Ingénierie et Gouvernance de l’Action publique
Spécialité Direction de Projets Culturels
Max Marquer
Pour une action publique respectueuse des Droits
Culturels : les apports du Design de Politiques
Publiques
2016-2017
Sous la direction de Philippe Teillet
4	
REMERCIEMENTS	 5	
INTRODUCTION	 6	
LES	DROITS	CULTURELS,	FUTUR	PARADIGME	DE	L’ACTION	PUBLIQUE	?	 6	
LA	27EME
	REGION	:	PIONNIERS	DU	DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES	EN	FRANCE	 8	
LE	DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES	:	UNE	PRATIQUE	AUX	INFLUENCES	NOMBREUSES	 9	
UN	PARADIGME,	UNE	PRATIQUE	:	QUELS	LIENS	?	 12	
1	–	COMPRENDRE	ET	RECONNAITRE	LES	APPORTS	DES	USAGERS	 14	
1.1	–	LA	PHASE	IMMERSIVE	DANS	LES	DEMARCHES	DE	DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES	:	CAPTER	LES	USAGES	ET	
REPRESENTATIONS	POUR	MIEUX	LES	INTEGRER.	 15	
1.1.1	–	LES	ETAPES	DU	DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES	 15	
1.1.2	–	LA	PHASE	IMMERSIVE	DANS	LES	PROGRAMMES	DE	LA	27EME
	REGION	 15	
1.1.3	–	LA	RECHERCHE-ACTION,	ORIGINE	THEORIQUE	DE	L’IMMERSION	 16	
1.1.4	–	L’IMMERSION	DANS	LES	PROGRAMMES	DE	LA	27EME
	REGION	:	EXEMPLES	 17	
1.2	-	L’USAGER	EST-IL	UN	PARTICIPANT	?	 24	
1.2.1.	LES	FORMES	CLASSIQUES	DE	LA	PARTICIPATION	DE	L’USAGER	 25	
1.2.2.	«	PRENDRE	PART	»,	POUR	PARTICIPER.	 25	
1.2.3.	L’IMMERSION,	UN	MOYEN	DE	CREER	DU	«	PRENDRE	PART	»	 26	
1.3	–	INTEGRER	LES	USAGES	POUR	RECONNAITRE	LA	PLURALITE	DES	HUMANITES	 27	
1.3.1.	L’USAGE	COMME	COROLLAIRE	A	SON	EXPRESSION	CULTURELLE	 28	
1.3.2.	L’USAGE	COMME	PARTIE	INTEGRANTE	DE	NOTRE	IDENTITE	CULTURELLE	 29	
2	–	LA	CO-CONSTRUCTION	DES	POLITIQUES	PUBLIQUES,	UN	NOUVEL	ENJEU	DEMOCRATIQUE	 32	
2.1.	«	APPORTER	SA	PART	»,	OU	L’ENJEU	DEMOCRATIQUE	D’UNE	«	ADMINISTRATION	OUVERTE	»	 32	
2.1.1.	DISTINGUER	«	SOCIETES	OUVERTES	»	ET	«	SOCIETES	CLOSES	»	 32	
2.1.2.	L’ADMINISTRATION	PUBLIQUE,	UNE	«	INSTITUTION	CLOSE	»	?	 33	
2.1.3.	DES	OUTILS	POUR	FAIRE	DES	PARTICIPANTS	DES	«	GRANDS	HOMMES	»	 35	
2.2.	DES	OUTILS	POUR	STIMULER	LES	CONTRIBUTIONS	 35	
2.2.1.	DES	OUTILS	POUR	FACILITER	LA	RECOLTE	D’EXPERIENCES	ET	COMPRENDRE	LES	DYNAMIQUES	 36	
2.2.2.	DES	OUTILS	POUR	STIMULER	LA	CREATIVITE	 37	
2.3.	LE	DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES,	UNE	METHODE	POUR	REPENSER	LA	DEMOCRATIE	PARTICIPATIVE	?	 40	
2.3.1.	LA	DEMOCRATIE	PARTICIPATIVE	CRITIQUEE	 40	
2.3.2.	VERS	UNE	DEMOCRATIE	PARTICIPATIVE	RESPECTUEUSE	DES	DROITS	CULTURELS	:	L’APPORT	NECESSAIRE	DU	
DESIGN	DE	POLITIQUES	PUBLIQUES	 42	
CONCLUSION	 45	
BIBLIOGRAPHIE	 47	
OUVRAGES	 47	
ARTICLES	DE	REVUES	 48	
ARTICLES	DE	PRESSE	 48	
RESSOURCES	WEB	 49	
RESSOURCES	JURIDIQUES	 49
5	
Remerciements	
	
J’adresse mes sincères remerciements à tout ceux qui ont permis l’élaboration de ce mémoire.
En premier lieu, je tiens à remercier Philippe Teillet, maître de conférence à Sciences Po
Grenoble, directeur du Master Direction de Projets Culturel. En tant que directeur de mémoire,
ses conseils avisés et sa réactivité ont été précieux. Et en tant que professeur tout au long de
l’année, pour nous avoir introduit à la notion tellement importante de droits culturels.
Je remercie également Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème
Région pour son écoute
bienveillante, et l’intérêt qu’il a porté à mes recherches.
Je souhaite également remercier l’équipe de Plausible Possible, Grégoire Alix-Tabeling, Yoan
Ollivier et Marion Henry-Ringeval pour cette pause déjeuner très instructive à Superpublic qui
m’a notamment permis d’ouvrir ma réflexion sur la démocratie participative.
Et enfin à titre plus personnel je souhaite remercier ma compagne, mes amis et ma famille qui
par leurs questions m’ont permis de reformuler, redéfinir, et rendre intelligibles ces sujets si
techniques et parfois très abstraits.
6	
Introduction	
	
« Les gens veulent prendre part aux politiques qui leur sont destinées. Ils ont des idées.
Quand on crée une médiathèque sur un territoire, il faut les associer à son élaboration pour
qu’elle réponde au mieux à leurs besoins. Quand on invente des dispositifs culturels, il faut y
intégrer leurs pratiques. Les institutions n’ont pas compris ce raisonnement. Elles pensent que
les gens n’ont pas de capacité. »1
C’est par ces mots que Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème
Région, association
pionnière en matière de Design de politiques publiques en France, a évoqué l’inscription des
droits culturels dans la loi française, lors de la séance publique des « États Généreux de la
Culture Télérama » à Paris. Le fait que cette intervention émane d’un intervenant extérieur au
« champ culturel » classique, et qu’elle ait été la seule à évoquer les droits culturels, semble
significatif d’une relative méconnaissance et incompréhension de cette notion chez les
commentateurs et professionnels du milieu culturel2
. En revanche, ce nouveau cadre d’action
semble avoir été assez bien intégré par les tenants d’une autre notion encore assez méconnue
dans le champ de l’action publique : le Design de politiques publiques. Ce présent mémoire
mettant en relation ces deux concepts assez méconnus, une étape de définition et de défrichage
de ces derniers nous semble nécessaire.
Les	droits	culturels,	futur	paradigme	de	l’action	publique	?	
	
Les droits culturels sont avant tout des droits fondamentaux. Part entière des droits de
l’Homme ils sont issus de différents textes de droit international dont notamment : la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 ; le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
tout deux adoptés par les Nations Unies en 1966 ; la Déclaration universelle de l’UNESCO sur
la diversité culturelle de 2001 ; la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de
2003 et la Convention cadre sur la protection et promotion de la diversité des expressions
culturelles de 2005. Tous ces textes évoquent de manière plus ou moins diffuse la protection de
droits relatifs à la culture comprise comme « les valeurs, les croyances, les convictions, les
langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une
																																																								
1
Livre Blanc des États généreux de la Culture Télérama, février 2017 p.23
2
Voir à ce sujet la méconnaissance de la Ministre de la Culture et de la Communication
Audrey Azoulay, lors d’une journée d’étude autour des Droits culturels au Sénat le 14
novembre 2016. http://www.profession-spectacle.com/les-droits-culturels-ont-desormais-
force-de-loi/ (consulté le 21/04/17)
7	
personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence
et à son développement » 3
. Ces droits ont fait l’objet d’une réflexion approfondie
d’universitaires réunis dès 1991 sous la direction de Patrice Meyer-Bisch au sein de l’Institut
Interdisciplinaire d’éthique et de droits de l’homme de l’Université de Fribourg, et connus sous
l’appellation de « Groupe de Fribourg ». En 2007, ce groupe publie la Déclaration de Fribourg
ayant vocation à « rassembler [les droits culturels] pour en assurer la visibilité et la cohérence
et en favoriser l’effectivité »4
.
Ces droits et libertés fondamentaux décrits dans la Déclaration de Fribourg sont au nombre de
huit :
- La liberté de choisir ses références culturelles, d’établir des priorités et de les
changer
- La liberté d’exercer des activités culturelles, sous réserve du respect des droits
d’autrui
- Le droit de connaître les patrimoines
- Le droit de se référer, ou de ne pas se référer à une communauté culturelle
- Le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle, à commencer par la langue
- Le droit à l’éducation
- Le droit à une information adéquate
- Le droit de participer à la vie culturelle, et à ses politiques.
On comprend à la lecture de ces intitulés, que ces droits sont issus de traités internationaux, et
ont été initialement rédigés dans un objectif de protéger et préserver la diversité culturelle, et
notamment les minorités ethniques, religieuses ou encore linguistiques. Cependant, comme
tous les droits de l’Homme ils ont une vocation universaliste, sont indivisibles et
interdépendants, ils doivent donc tendre à s’appliquer à tous les états signataires de ces traités
internationaux. Dans le contexte français, les réflexions du Groupe de Fribourg, et les actions
volontaristes de certains élus ont permis l’inscription du respect des droits culturels dans la loi5
.
Ainsi l’article 103 de la loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (loi
NOTRe) d’août 2015, stipule que « la responsabilité en matière culturelle est exercée
conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels
énoncés par la convention sur la protection et promotion de la diversité des expressions
culturelles du 20 octobre 2005. » Il est de même pour l’article 3 de la loi relative à la liberté de
création à l’architecture et au patrimoine (loi CAP) de juillet 2016.
																																																								
3
Art.2 Déclaration de Fribourg, 2007.
4
Préambule Alinéa 9, Déclaration de Fribourg, 2007.
5
Carnet de la FNCC, Les étapes successives de la Réforme territoriale 2009/2015, 2016 p.81
8	
Cette inscription récente dans la loi offre la possibilité d’un changement radical de paradigme
des politiques culturelles françaises. En effet, alors que l’action culturelle héritée des ministères
Malraux et Lang apparaît comme restreinte aux seuls arts et industries créatives et
principalement tournée vers la découverte des œuvres et le soutien à leurs créateurs, les
politiques culturelles pensées dans une approche en terme de droits culturel ont une vocation
transversale et dépassant le seul Ministère de la Culture, et favorisent un enrichissement
individuel qui « a plus à voir avec les objectifs de l’éducation et de l’éducation populaire,
comme capacités ou compétences acquises, qu’avec les paris faits sur les impacts potentiels de
la production et de la (re)présentation des œuvres. »6
Cependant, la mise en œuvre de politiques publiques respectueuses des droits culturels reste
compliquée et les expériences peu nombreuses. C’est dans ce contexte qu’une réflexion sur les
modes innovants d’invention de l’action publique qui comprendraient les droits culturels peut
être enrichissante. C’est dans cet objectif, que nous avons décidé de nous intéresser aux
démarches de design de politiques publiques initiées notamment par la 27ème
Région.
La	27ème
	Région	:	pionniers	du	Design	de	politiques	publiques	en	France	
	
La 27ème
Région est une association incubée entre 2008 et 2011 au sein de la Fondation
Internet Nouvelle Génération, et créée formellement en 2012. Soutenue par l’Association des
Régions de France, elle se présente comme un « laboratoire de transformation publique ». Ses
fondateurs sont : Christian Paul aujourd’hui Président de l’Association, député socialiste de la
Nièvre et vice-président de la région Bourgogne jusqu’en 2015. Son travail parlementaire porte
principalement sur les questions du numérique et de l’internet. Politiquement il se situe plutôt
à la gauche du PS, soutien de longue date d’Arnaud Montebourg7
, il était le premier signataire
de la motion B, motion des « frondeurs » du Parti socialiste lors du congrès de Poitiers en 2015.
Parmi les fondateurs de la 27ème
Région, on trouve également Stéphane Vincent, consultant et
ancien fonctionnaire territorial, ainsi que Jacques-François Marchandise, philosophe et
consultant dans le domaine du numérique.
Les projets de la 27ème
Région, dont nous verrons les détails tout au long de ce mémoire,
prennent la forme de programmes de « recherche-action ». Les premiers, nommés « Territoires
en résidences » ont eu lieu entre 2009 et 2011. Inspirées par les résidences d’artistes, il s’agissait
d’immerger pendant plusieurs semaines des équipes pluridisciplinaires dans le but de concevoir
un projet avec les usagers.
																																																								
6
TEILLET Philippe, « Ce que les droits culturels f(er)ont aux politiques culturelles »,
L'Observatoire, la revue des politiques culturelles 2017/1 (N° 49), p. 22
7
Il a notamment été vice-président du courant Rénover maintenant porté par Arnaud
Montebourg en 2005.
9	
À partir de 2011, le programme « Territoires en résidences » devient « la Transfo » et, s’il a les
mêmes bases méthodologiques que le programme précédent, il s’accompagne de la création
d’un « Lab », un service de design de politiques publiques directement au sein de la Région
partenaire8
.
Enfin, le programme « les Éclaireurs » fait une recherche prospective sur l’avenir de l’action
publique, à travers des thèmes divers comme « l’évaluation engagée », « l’élu inoffensif » ou
« l’archéologue administratif »9
.
Toutes ses actions se revendiquent du design de politiques publiques. Nous allons donc nous
intéresser à la définition de ce concept, et aux influences revendiquées par la 27ème
Région.
	
Le	Design	de	politiques	publiques	:	une	pratique	aux	influences	nombreuses	
	
	
Il est malaisé de définir clairement le design de politiques publiques. En effet, ce mode
d’invention des politiques publiques est relativement récent, et n’a pas, ou peu, été théorisé en
amont. C’est avant tout une démarche inductive, et c’est par le terrain, qu’a émergé la
théorisation de la pratique. De fait sa définition ontologique se situe dans un flou entre pratique
et praxis, entre une méthodologie et une philosophie de la méthode. Pour aller plus loin, nous
allons repartir des influences, nombreuses que les designers de politiques publiques
revendiquent, en commençant par les champs du design dont ils s’inspirent.
Le terme de « design » ne connaît pas d’équivalent en français et sa définition reste floue.
D’autant plus que dans l’imaginaire collectif, le design reste associé au seul « design d’objets »,
à une catégorie esthétique popularisée entre autre par Philippe Starck en France. On pourrait de
façon très large définir le design comme une pratique à l’intersection entre l’ingénierie et l’art
qui associe l’ergonomie, la praticité et l’esthétique. Dès les années 1960, va se développer une
nouvelle forme de design, le « design de service », cette nouvelle pratique dépasse la seule
conception de l’objet pour s’intéresser aux interactions. Alain Findeli, designer et chercheur à
l’Université de Nîmes décrit cette démarche comme « considérer le produit et l’usager comme
une sorte de système écologique où il y a l’être humain et son environnement constitué de
produits. » 10
. De façon plus institutionnelle Birgit Mager, fondatrice du Service Design
Network, réseau international de designers de services, définit la pratique comme tel :
																																																								
8
La 27ème
Région, Chantiers ouverts au public, Paris : la Documentation Française, 2015
p.237-238
9
Site de la 27ème
Région : http://www.la27eregion.fr/prospective/ (consulté le 17/04/17)	
10
La 27ème
Région, Chantiers… op.cit. p.75
10	
« Le design de services consiste à étudier la fonctionnalité et la formes de certains
services en se plaçant du point de vue des clients. Avec comme objectif, de s’assurer
que les interfaces des services sont utiles, utilisables et attrayantes pour le client,
et sont propres au fournisseur. Les designers de services visualisent, formalisent et
scénarisent des solutions à des problèmes qui n’existe pas nécessairement
aujourd’hui ; ils observent et interprètent des besoins et schémas comportementaux
et les transforment en potentiels services futurs. »11
Le design de politiques publiques tel qu’il est revendiqué par la 27ème
Région, puise dans
cette discipline, mais ne l’applique pas telle quelle aux services publics. En effet, leur
pratique se situe à l’intersection entre design de services donc, et « design social ».
Le terme de « design social » regroupe l’ensemble des pratiques de design qui prennent
en compte les phénomènes sociaux, humains et environnementaux. Ce champ critique du
design a notamment été développé par le designer Victor Papanek, dans son ouvrage
Design for the real world. Human ecology and social change publié en 1971. Dans cet
ouvrage, Papanek défend un design responsable et préoccupé par son environnement, et
dénonce « la recherche [qui] se préoccupe moins de produire un objet répondant à un
besoin existant que d’amener les gens à éprouver le désir de ce qui a été produit. »12
Par
la suite, de nombreux designers et intellectuels vont prendre position dans ce sens, jusqu’à
la création du programme de l’UNESCO « Design 21 » en 1995 qui organise des concours
à destination des jeunes designers autour de thèmes sociaux13
. Au delà de la question des
valeurs portées par le « design social », un apport méthodologique important est l’usage
quasi systématique du codesign, notion qui « repose sur l’idée que c’est avec toutes les
parties prenantes qu’un projet doit se construire, et ce, dès l’amont, donc dès la
problématisation. »14
Mais les influences du design de politiques publiques tel que porté par la 27ème
Région ne se
limitent pas au seul champ du design, mais s’inspirent d’autres dynamiques sociales.
Ainsi la première de ces influences revendiquées est celle du mouvement des hackers. Apparu
à la fin des années 1970 aux Etats-Unis, le mouvement hacker se caractérise notamment par un
rapport très empirique au travail et à l’invention. Plus précisément Sébastien Broca définit
																																																								
11
Citation et traduction : La 27ème
Région, op.cit. p.69
12
PAPANEK Victor, Design pour un monde réel (Trad. N. Josset et R. Loult), Coll. Essais,
Paris : Mercure de France, 1974. p.350
13
Voir site de l’UNESCO : http://www.unesco.org/new/fr/culture/events/prizes-
celebrations/prizes/design-21/ (consulté le 14/04/17)	
14
La 27ème
Région, Chantiers… op.cit.. p.72
11	
« l’éthos du hacker » en trois points : un rapport au travail plus libéré car dépourvu de liens
hiérarchiques ; une créativité technique stimulée et encouragée ; et une libre circulation de
l’information15
. Et au delà de ces principes d’action, un état d’esprit spécifique ce dégage de ce
mouvement. Étudié par le philosophe finlandais Pekka Himanen et repris par le québécois
Laurent Simon16
, il se révèle en trois points : le hands on (en français « mettre la main à la
pâte ») c’est-à-dire une curiosité empirique et un apprentissage par « le faire » ; l’ingéniosité et
la capacité à réinterroger les modèles existants pour les améliorer, les adapter à son usage ; et
enfin l’esprit de jeu qui permet de trouver un aspect ludique au travail, et de prendre du plaisir
dans la résolution de problèmes. Tout ces principes d’action, et cet état d’esprit hacker se
retrouve dans les travaux de la 27ème
Région qui appelle à « hacker l’action publique » à travers
un « piratage bienveillant »17
.
Une autre inspiration invoquée est celle du mouvement Do it Yourself (DIY). Apparu lui aussi
dans les années 1970, lié au mouvement hacker mais également à la recherche d’une utopie
alternative au capitalisme, l’esprit DIY a été étudié par Étienne Delprat18
qui a dégagé cinq
caractéristiques. La première est la mise en avant d’une logique du faire, à l’instar des hackers,
le bricolage, et la « main à la pâte » sont au cœur du projet de société. La deuxième logique est
une logique du re : recycler, réutiliser, réinterroger, pour améliorer ou inventer de nouveaux
objets ou de nouveaux services. La troisième caractéristique, et le travail dans une « logique du
co », c’est-à-dire de façon collaborative, dans un esprit de co-construction et d’échanges. Enfin
les dernières caractéristiques sont un aspect esthétique « bricolé » assumé, et une portée critique
qui prône le DIY et ses microrévolutions comme alternative à une révolution globale. Et là
encore, on retrouve ces principes d’action dans les projets de Design de politiques publiques,
par exemple avec le « prototypage rapide », dont nous reparlerons, qui est un héritage direct du
mouvement DIY et qui se révèle être une étape indispensable dans les différents projets de la
27ème
région.
De plus, par ses méthodes et ses objectifs, la 27ème
Région se rapproche des démarches de
« recherche-action » issues des sciences sociales et qui prônent un chercheur impliqué dans la
transformation sociale, notamment à travers la démarche d’immersion, que nous verrons de
façon détaillée plus loin, et les compétences d’ethnographie qui sont mobilisées. Mais elle se
																																																								
15
BROCA Sébastien « L’ethos du Libre » in Utopie du logiciel libre – du bricolage
informatique à la réinvention sociale, Neuvy-en-Champagne : Le Passager clandestin, 2013
p.101-201.
16
SIMON Laurent, « Éthique hacker et management », Cahier de recherche n°05-19, HEC
Montréal, 2005.
17
La 27ème
Région, op.cit. p.47
18
DELPRAT Étienne, Système DIY – Faire soi-même à l’ère du 2.0., Paris : Editions
Alternatives, 2013.
12	
rapproche également des démarches de participation citoyenne, tout en prenant ses distances
avec une démocratie participative détournée de ses objectifs pour n’être qu’une façon de
« modifier les rapports entre fournisseurs de services et usagers/clients. »19
Ce faisant, la
démarche de la 27ème
Région s’inscrit dans une critique du néolibéralisme et de ses influences
sur l’action publique, notamment le new public management et la « Révision Générale des
Politiques Publiques »20
.
Un	paradigme,	une	pratique	:	quels	liens	?	
	
Cette étape de définition nous a permis de mieux cerner ce qui peut rapprocher d’une part
les droits culturels comme paradigme encadrant l’action publique et d’autre part le design de
politiques publiques tel que porté par la 27ème
Région comme méthode d’ingénierie et
d’innovation publique. C’est notamment l’importance de la participation des usagers, tant dans
le diagnostic que dans l’élaboration des dispositifs qui nous semble pertinente à analyser. Cette
participation est inscrite à l’article 8 de la Déclaration de Fribourg dans ces termes :
Toute personne, seule ou en commun, a droit de participer selon des procédures
démocratiques :
- Au développement culturel des communautés dont elle est membre ;
- À l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des décisions qui la concernent
et qui ont un impact sur l’exercice de ses droits culturels ;
- Au développement de la coopération culturelle à ses différents niveaux.21
Cependant, cette participation citoyenne demande à être définie plus précisément. Ainsi,
une partie de ce mémoire se basera sur l’analyse de la philosophe d’influence deweyenne
Joëlle Zask. Dans son ouvrage Participer22
, Joëlle Zask propose une définition en trois
parties de la participation : « prendre part ; apporter sa part ; recevoir sa part ». Nous
reviendrons donc plus en détails par la suite sur les enjeux de cette trichotomie.
Mais cette association entre design de politiques publiques et droits culturels, au delà de
son intérêt scientifique revêt plusieurs enjeux. En effet, d’une part comme nous l’avons
évoqué plus haut, les programmes de la 27ème
Région peuvent être une inspiration pour
mettre en pratique des droits culturels inscrits dans la loi mais encore peu mis en pratique.
																																																								
19
ALLEGRETTI Giovanni, « Une refondation politique et culturelle » Le Monde
diplomatique, oct. 2011 : https://www.monde-diplomatique.fr/2011/10/ALLEGRETTI/21111
(consulté le 14/04/17)
20
La 27ème
Région, Chantiers… op.cit. p.114-119	
21
Art. 8 Déclaration de Fribourg, 2007.
22
ZASK Joëlle, Participer – Essai sur les formes démocratiques de la participation, Coll. Les
voies du politique, Lormont : Le Bord de l’Eau, 2011.
13	
D’autre part, les pratiques de design de politiques publiques sont encore très marginales
dans l’action publique, et pourraient donc trouver dans les droits culturels un appui et une
légitimité juridique pour se multiplier.
De façon plus générale, la question des droits culturels et sa mise en pratique nous fait
entrevoir la possibilité d’un changement radical de conception des politiques publiques
culturelles en France. En effet, depuis la création du Ministère de la Culture d’André
Malraux en 1959, ces politiques publiques se sont distinguées par une construction très
nettement descendante (ou top-bottom), décidée à Paris par les ministres et leur cabinet23
,
dans une volonté de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’Humanité, et d’abord
de la France au plus grand nombre possible de français. »24
Ce paradigme que l’on a, a
posteriori qualifié de « démocratisation culturelle » se distingue paradoxalement par son
manque de démocratie puisqu’un petit nombre d’experts professionnalisés, devient de
facto détenteur de la légitimité culturelle. Pratiquement soixante ans plus tard, ce
paradigme a évolué, par l’ouverture du Ministère aux arts émergents et à l’amateurisme
à la faveur des alternances de 1981 et 1997, ainsi que par l’activisme de certains élus
locaux (notamment maires de grandes villes) qui va impulser un dynamisme culturel
local. Enfin, depuis les années 1990, on constate l’apparition dans le débat d’acteurs
nouveaux issus de l’économie sociale et solidaire25
et du développement durable.26
Mais
ces évolutions restent limitées, et la participation des citoyens aux politiques culturelles
qui leur sont destinées reste une exception. Dans ce contexte, les apports des droits
culturels comme des pratiques de design de politiques publiques apparaissent comme un
possible catalyseur permettant une plus grande participation des citoyens dans
l’élaboration des politiques culturelles.
Nous nous demanderons donc, tout au long de ce mémoire, de quelle manière le design
de politiques publiques tel que proposé par la 27ème
Région permet une élaboration de
services publiques plus respectueuse des droits culturels, notamment à travers la question
des différentes formes de participation qu’il met en jeu. Ainsi dans un premier temps nous
analyserons la reconnaissance des apports des usagers à travers le prisme cultuel, puis
																																																								
23
URFALINO Philippe, L’invention de la politique culturelle, Coll. Pluriel, Paris : Fayard,
2004.
24
Art. 1 Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du Ministère chargé des
Affaires culturelles	
25
Voir à titre d’exemple, le Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture signé
par l’UFISC en 2007.
26
L’Agenda 21 de la Culture, élaboré en 2002 sous l’égide du CGLU (Cités et
Gouvernements Locaux Unis) fait ainsi de la Culture le quatrième pilier du développement
durable.
14	
dans une seconde partie, nous aborderons l’enjeu démocratique d’une co-construction des
politiques publiques.
1	–	Comprendre	et	reconnaître	les	
apports	des	usagers	
	
Les politiques publiques cultivent une ambiguïté intrinsèque. Car si elles sont, en
théorie, des instruments issus de la décision démocratique, le processus de bureaucratisation et
de technicisation qu’elles ont subi a éloignés les citoyens de leur élaboration. Ce processus de
bureaucratisation qui a été théorisé sous forme d’idéaltype par Max Weber en 192127
, repose
en effet sur une autorité légale-rationnelle. Les règles qui s’appliquent à l’administration se
doivent donc d’être rationnelles, écrites, impersonnelles, et l’organisation de cette dernière doit
être très hiérarchisée. Dans le contexte français, ce processus de bureaucratisation a permis de
consolider l’Etat, et notamment l’Etat républicain, en faisant de l’administration un instrument
neutre, avec une forte séparation entre le politique et l’administratif. À l’inverse par exemple,
du système étatsunien du spoil system où l’administration change à chaque alternance politique.
Ce processus de neutralisation et de rationalisation va produire une administration très
technique, ce qui va éloigner de la décision les citoyens.
L’un des enjeux majeurs de l’intégration des droits culturels dans les pratiques d’élaboration de
politiques publiques, va donc être de réintégrer les citoyens dans les processus décisionnels.
Mais le premier obstacle est celui de la compétence, qui est à la base de la légitimité des
fonctionnaires recrutés selon leurs compétences sur concours.
Nous allons donc voir dans un premier temps qu’il est nécessaire, pour faire participer les
citoyens à l’élaboration des politiques publiques, de reconnaître leurs apports et que leur
expérience constitue en soi une légitimité.
																																																								
27
WEBER Max, Économie et société tome 1 : Les catégories de la sociologie (1921), Paris :
Plon, 2009.
15	
1.1	–	La	phase	immersive	dans	les	démarches	de	Design	de	Politiques	
Publiques	:	capter	les	usages	et	représentations	pour	mieux	les	
intégrer.	
	
1.1.1	–	Les	étapes	du	Design	de	Politiques	Publiques	
	
Comme nous l’avons vu en introduction, le Design de Politiques Publiques est à la fois
une méthode, et une philosophie de la méthode. En effet, et les membres de la 27ème
Région
insistent beaucoup sur ce point, il n’y a pas de « méthode universelle »28
, pas de pas-à-pas
applicable tel quel à tous les projets. À un problème public donné, les acteurs sollicités, les
outils mis en place et les résultats produits seront bien sûr différents. On peut toutefois définir
une trame méthodologique générale en cinq étapes29
.
La première étape, qui nous intéresse plus particulièrement dans cette partie et donc que nous
approfondirons, est celle de la « compréhension des expériences “utilisateurs“ », à travers
notamment les outils issus de l’ethnographie et principalement l’immersion.
La deuxième étape est celle de « l’idéation ». Elle vise à passer du constat issu de l’immersion,
à la production d’idées nouvelles, de scénarios nouveaux, en stimulant la créativité des acteurs.
Troisième étape : le prototypage rapide. Cette étape, import du mouvement Do it yourself, vise
à tester rapidement et de façon un peu « bricolée » le nouveau dispositif imaginé lors de la phase
précédente, à une échelle réduite afin d’observer si l’idée est pertinente avant d’engager tout le
processus bureaucratique de mise en place.
La quatrième étape consiste en la visualisation des résultats du prototypage, mais également
des problèmes qui sont apparus durant le processus de réflexion.
Enfin la cinquième étape vise à développer une approche systémique du problème public pour
prendre du recul sur ce dernier et « faire ressortir les bonnes questions » pour développer les
solutions adéquates.
1.1.2	–	La	phase	immersive	dans	les	programmes	de	la	27ème
	Région	
	
Comme nous l’avons dit plus haut, la première phase de tous les programmes menés par
la 27ème
Région est une phase de compréhension des usages. Cette première étape, consiste pour
les équipes pluridisciplinaires appelés les « résidents » à s’immerger dans la problématique tant
intellectuellement que physiquement. Ces équipes sont composées systématiquement, outre un
ou plusieurs designers, de chercheurs en sciences humaines. Ainsi dans la série de programme
																																																								
28
La 27ème
Région, Chantiers… op.cit. p.144
29
ibid. p.144-146
16	
« Transfo », deux sociologues, une psychosociologue, une chercheuse en sciences de
l’éducation ou encore un anthropologue agronome ont intégré les équipes. Ces chercheurs,
outre leurs connaissances et leur recul, apportent à l’équipe des outils d’ethnographie classiques
de la recherche en sciences humaines comme l’observation participante, l’entretien semi-
directif ou encore le questionnaire.
L’objectif de cette phase d’immersion est double. Pour les « résidents » il s’agit dans un premier
temps de s’acclimater à l’institution, à connaître les acteurs et les actions mises en place par
cette dernière. Mais cette immersion dans l’institution permet aussi aux agents de connaître et
reconnaître l’équipe de résidents. Le deuxième objectif est de rencontrer sur le terrain les
acteurs et utilisateurs des services publics concernés, « aussi bien les agents et élus que les
habitants, les citoyens, les acteurs associatifs, les salariés comme les entrepreneurs. »30
Et en
comparant les points de vue, permettre de comprendre « comment les gens [perçoivent] l’action
publique en utilisant ou non ses services, et comment il [peuvent] contribuer à la produire et à
la conduire selon leurs postures. »31
Mais outre les rencontres formelles, les immersions sont également l’occasion de constat
sensibles, sur des ambiances et des dynamiques. Elles permettent également de réinterroger les
routines en adoptant un point de vue extérieur.
1.1.3	–	La	recherche-action,	origine	théorique	de	l’immersion	
	
Pour appuyer sa démarche immersive, la 27ème
Région revendique s’inspirer de la
recherche-action. Derrière ce terme de « recherche-action », se cache une myriade de
définitions, de méthodes et de soubassement théoriques. Dans le Dictionnaire critique et
interdisciplinaire de la participation, Alexia Morvan donne une définition minimale : « les
théorisations de la recherche-action considèrent l’expérience, l’action (ou l’activité) comme
source de connaissance et assument une posture d’engagement du chercheur dans la
transformation de la réalité (ou d’efficacité pratique de la recherche). »32
Les chercheurs
pratiquant ces méthodes vont donc à rebours de l’épistémologie des sciences sociales qui
demande d’établir une distance entre le chercheur et son sujet. On peut par ailleurs, comme le
																																																								
30
La 27ème
Région, Les Villages du Futur – Projection collective et créative dans les
territoires de Bourgogne, Paris : La Documentation Française, 2016 p.31
31
Ibid.	
32
MORVAN Alexia, « Recherche-action », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L.,
CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.),
Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris : GIS Démocratie et
Participation, 2013, Disponible sur : http://www.dicopart.fr/fr/dico/recherche-action (consulté
le 04/05/17)
17	
fait Morvan distinguer d’une part les chercheurs-praticiens qui s’inscrivent dans un courant
plutôt anglo-saxons, d’influence deweyenne et qui font dépendre la valeur d’une théorie
scientifique à son efficacité pratique. En somme, ces chercheurs préfèrent l’action à la
recherche. Le deuxième courant est lui plutôt d’inspiration marxienne, appelé recherche
impliquée ou « recherche-action participative », c’est ce courant qui inspire la 27ème
Région.
L’objectif des chercheurs de ce modèle est de permettre, par l’implication des sujets dans la
recherche, une stimulation de leur pouvoir d’agir. Il n’est donc pas étonnant que ces dispositifs
se soient développés en premier lieu sur des terrains propices à la critique sociale. Du point de
vue épistémologique, ces modèles revendiquent une forme de « démocratie
épistémologique »33
et une coproduction des savoirs. Ce modèle de recherche impliquée va par
ailleurs trouver écho dans les domaines de l’éducation populaire et des sciences de l’éducation.
Enfin, par son objectif intrinsèque d’émancipation des individus, il n’est pas étonnant de voir
que le Réseau Culture 21 et l’IIEDH ont lancés en juin 2016 une recherche-action autour de la
question des droits culturels comme levier pour développer le pouvoir d’agir34
. Cette démarche
a impliqué non seulement des chercheurs comme Patrice Meyer-Bisch et Jean-Pierre Worms,
mais également de nombreux agents des collectivités concernés par la démarche Paideia, ou
encore des artistes. Et son objectif était clairement de transformer l’action publique dans un
sens plus favorable aux droits culturels et stimulant le pouvoir d’agir.
1.1.4	–	L’immersion	dans	les	programmes	de	la	27ème
	Région	:	exemples	
	
Comme nous l’avons vu plus haut, la phase d’immersion est systématiquement la
première étape à tous les programmes de résidence menés par la 27ème
Région. Nous allons
donc voir plus précisément quelles ont été les conditions d’immersion dans trois résidences.
Les deux premières ont fait partie du programme « Territoires en Résidences », et sont des
résidences courtes de trois fois une semaine. La troisième démarche présentée fera, elle partie
du programme « La Transfo », qui consiste en des résidences plus longues qui visent à mieux
intégrer les agents des Régions concernées afin d’engager la mise en place d’un service
d’innovation par le design dans les Régions.
																																																								
33
Ibid.
34
Voir le site du réseau Culture 21 : http://reseauculture21.fr/blog/2016/06/14/les-droits-
culturels-un-levier-pour-developper-le-pouvoir-dagir-2/ (consulté le 04/05/17)
18	
Territoires en résidences : Vers un campus ouvert à Revin (Champagne-Ardenne)35
La résidence « Vers un campus ouvert » a eu lieu en 2009 à Revin, au Nord de la région
Champagne-Ardenne, près de la frontière belge. L’équipe de résidents était composée de
Matthew Marino et Denis Pellerin, designer au sein de l’agence User Studio et Elise Duvignaud,
programmiste architecturale. Ils étaient encadrés par François Jegou, designer et directeur
scientifique extérieur de la 27ème
Région, et par Romain Thévenet, designer également, et
responsable du programme pour la 27ème
Région. L’objectif de la résidence, la première du
programme « Territoires en résidences », était d’entamer une réflexion sur les nouveaux usages
du lycée Jean Moulin, à Revin. En effet, le lycée, sis dans des bâtiments vétustes, connaît une
baisse des inscriptions et des difficultés de fonctionnement, du fait du déclin de ce territoire au
passé industriel. L’objectif est donc d’imaginer avec les acteurs du lycée, des solutions à la fois
pour améliorer le quotidien immédiat des élèves, mais également pour enrichir le projet de
reconstruction du lycée prévu quatre ans plus tard.
Comme pour toutes les résidences de ce programme, les résidents ont été immergé trois fois
une semaine au sein du lycée. C’est particulièrement la première semaine qui va nous intéresser
dans un premier temps, puisqu’il s’agit de la mise en exergue d’une problématique issue des
rencontres avec les « habitants du lycée ».
Du point de vue méthodologique, les résidents ont donc vécu véritablement dans le lycée
pendant trois semaines. Dormant à l’internat, mangeant à la cantine, partageant le quotidien de
tous les acteurs du lycée : élèves, professeurs, personnels administratifs, personnels TOS…
Mais l’équipe est également sortie du lycée pour rencontrer les associations présentes aux
alentours, et les différents acteurs du quartier. Au fil des rencontres et des discussions -
spontanées ou plus organisées - se met en place une relation de confiance et une « conversation
continue » pendant toute la durée du projet. Pour enrichir les conversations, l’équipe met en
place des « Cartes chances » qui interrogent les lycéens sur le mode « Si je pouvais… » :
dépenser 500 euros pour le lycée ; organiser une journée au lycée ; aménager le lycée pour
d’autres élèves…
																																																								
35
La 27ème
Région, Livret de restitution de résidence « Revin, vers un campus ouvert », 2009.
Disponible en ligne : http://www.la27eregion.fr/cas-pratiques/le-campus-ouvert/ (consulté le
07/05/17)
19	
À partir de ces rencontres, une cartographie d’acteurs est créée afin de visualiser les relations
entre les différents « habitants du lycée ».
	
Figure	1	:	Cartographie	des	habitants	du	lycée	Jean	Moulin	à	Revin	-	Crédits	:	la	27ème	Région
Suite à ces conversations, deux enjeux majeurs vont être mis au cœur de la résidence :
« améliorer l’image du lycée, perçu comme un lycée où il ne fait pas bon faire ses études, et
reconnecter le lycée avec son environnement ». C’est à partir de ces réflexions que la
thématique du « Campus ouvert » va émerger et devenir le fil conducteur du projet.
Puis, à partir des discussions, et de l’identification des acteurs, des Histoires projectives » vont
être créées par les résidents, sous forme de témoignages fictifs présentant différentes visions
d’un Campus ouvert. Ces « histoires projectives », présentées aux acteurs du lycée a permis de
les faire réagir, entamant des nouvelles discussions pour engager la phase d’idéation,
transformant des visions du lycée, en projets concrets.
20	
Territoires en résidences : Les nouveaux usages de la médiathèque à Lezoux (Auvergne)36
Il nous paraît intéressant de compléter la présentation précédente par la présentation d’une autre
résidence du programme « Territoires en résidences », concernant la création d’une
médiathèque à Lezoux. En effet, ce projet diffère du précédent à plusieurs titres. D’une part car
le « lieu physique » au cœur du projet n’existe pas au moment de la résidence, une multitude
de lieux et d’espaces vont donc être arpentés par les résidents, à l’inverse du projet précédent
centré autour du lycée. De fait donc, les méthodes d’immersion sont différentes, et permettent
ainsi d’enrichir notre réflexion. Enfin, le thème de la lecture publique, plus proche des
conceptions classiques des politiques culturelles nous permettra de mieux comprendre l’intérêt
de cette démarche, puisqu’elle concerne un domaine que nous connaissons mieux.
La résidence a donc été menée entre juin et novembre 2012 à raison de trois fois une semaine.
L’équipe de résidents était constituée de Damien Roffat et Adrien Demay, designers et
fondateurs du cabinet Design-Territoire-Alternatives ; d’Elisa Dumay, sociologue, médiatrice
culturelle et directrice de l’association De l’Aire qui entre autre met en place des projets créatifs
et participatifs d’aménagement du territoire ; de Blandine Scherer, sociologue et spécialiste en
« collecte et valorisation d’histoires de vie », et enfin l’équipe est complétée ponctuellement
par Stéphane Vincent, le directeur de la 27ème
Région. Le projet prend place au sein de la
communauté de communes entre Dore et Allier dans le département du Puy-de-Dôme, et
particulièrement dans la ville principale de Lezoux. Nous sommes dans un territoire entre rural
et péri-urbain, situé dans la lointaine banlieue de Clermont-Ferrand. La communauté de
communes a sollicité la 27ème
Région dans le cadre de la création d’une médiathèque
intercommunale à Lezoux sui vise à remplacer les 12 bibliothèques communales du territoire
qui sont toutes gérées bénévolement et qui peinent à trouver leur public (3,5% de la population
est touchée par leur action, contre 18% en moyenne nationale).
Comme précédemment, nous allons particulièrement nous intéresser à la première semaine de
résidence, consacrer à l’exploration du territoire par l’immersion. Contrairement à la démarche
de Revin, la résidence de Lezoux a été menée dans un territoire « ouvert », la question des
méthodes pour rencontrer les habitants a donc été primordiale. L’équipe de résidents s’est donc
installée à Lezoux, ville-centre de la communauté de communes, en investissant le « Point Info
Tourisme », au cœur de la ville pour en faire son quartier-général. Mais également, en
																																																								
36
La 27ème
Région, Livret de restitution de résidence « Les nouveaux usages de la
médiathèque, penser les médiathèques de demain », 2012. Disponible en ligne :
http://www.la27eregion.fr/cas-pratiques/les-nouveaux-usages-de-la-mediatheque/ (consulté le
07/05/17)
21	
investissant le trottoir, pour faire sortir la démarche et « installer symboliquement la
médiathèque sur la place publique ». Cette installation va permettre des rencontres informelles
avec les habitants, communiquer autour du projet par le bouche-à-oreille etc. Une première
rencontre formelle est organisée sous la forme d’une « foire aux expériences » conviviale.
L’objectif ici, est de présenter rapidement une vingtaine d’expériences inspirantes issues du
monde entier, en mobilisant la méthode du « pecha kucha. »37
Cette première rencontre permet
d’une part de faire connaissance avec les habitants, et de déclencher des premières réactions,
des premières discussions sur les valeurs de la future médiathèque. Les résidents ont ensuite
rencontré les bénévoles des bibliothèques communales, pour écouter leurs espoirs (la possibilité
d’élargir le fond…), et leurs craintes (être exclus du nouveau projet…). Puis les résidents sont
allés à la médiathèque départementale de prêt pour se rendre compte des enjeux logistiques
complexes à l’œuvre.
Au fur et à mesure de ces rencontres, un « mur d’analyse » composé de post-it émerge. Il
reprend à la fois les initiatives innovantes présentées plus tôt, les constats des agents, les idées
et réflexions récoltées tant durant les moments consacrés que dans les conversations
informelles…
	
Figure	2	:	Mur	d'analyse	du	projet	de	médiathèque	de	Lezoux	-	Crédits	:	la	27ème	Région
																																																								
37
Type de présentations orales concises sous forme d’un « Power Point » de vingt slides se
succédant toutes les 20 secondes, obligeant le présentateur à être concis et dynamique.
22	
Ce mur va être enrichi lors de la restitution publique de la première semaine, grâce à des
méthodes de participation et de réflexion collectives. Ainsi, les résidents vont demander au
public présent d’écrire ce que représente pour eux une médiathèque en seulement trois mots,
qui ont par la suite été lus à haute voix. Puis, les réactions des habitants ont été stimulées par
l’utilisation de cartes questions du type « Vous entrez dans une médiathèque en 2040, que
voyez-vous ? », « Quels types d’événements la médiathèque pourrait-elle accueillir ? ».
À l’issue de cette semaine de travail, les résidents ont pu faire émerger des « valeurs » souhaitée
pour la médiathèque : citoyenneté, développement et mise en valeur des cultures locales,
pédagogie active et ouverture culturelle. Et de façon plus concrète, ils ont pu décliner ces
valeurs en principes d’action : pratiques numériques créatives, fonds participatifs, échanges de
savoir-faire…
Ces principes d’action vont par la suite eux-mêmes être déclinés en projet-tests dans une phase
d’idéation.
La Transfo : Les Villages du Futur en Bourgogne38
Le troisième et dernier exemple de phase d’immersion que nous allons présenter fait partie du
deuxième programme de la 27ème
Région appelé « la Transfo » que nous avons présenté plus
haut. Cette résidence a eu lieu entre juillet 2011 et mars 2013 dans la région Bourgogne et avait
pour thématique la ruralité et plus précisément la question des villages et de leur avenir.
L’équipe de résidents était composée de Yoan Ollivier et Grégoire Alix-Tabeling designers de
service et fondateurs de l’agence Plausible Possible ; Fanny Herbert, sociologue spécialisée
dans le monde rural et dans les démarches participatives ; Laura Gorre, anthropologue
spécialiste des projets d’aménagement publics et Romain Thévenet. Et tout au long de la
démarche, des spécialistes qu’ils soient du monde du design ou des sciences humaines sont
venus apporter de façon ponctuelles leurs compétences et connaissances.
La phase d’immersion a duré un an, de septembre 2011 à 2012 mais les temps d’immersion des
résidents ont été discontinus pendant cette période.
La première étape d’immersion a été de s’immerger dans l’administration du Conseil Régional,
comprendre son fonctionnement, ses dynamiques et ses acteurs. La dimension par nature
transversale de la thématique choisie a poussé les résidents à travailler plus particulièrement
																																																								
38
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit.
23	
avec les agents de la DATH39
, et ont ainsi intégré une dizaine d’agents du service dans
l’immersion. Puis, afin de prendre la mesure des enjeux dans un territoire aussi vaste que la
région Bourgogne, et comprendre quelle représentation du territoire avaient les agents, l’équipe
a organisé des « ateliers de cartographie », mêlant données empiriques et réactions sensibles.
Des entretiens semi-directifs sont également menés auprès des agents pour enrichir la réflexion,
connaître leurs attentes, la vision qu’ils ont de leur métier…
L’autre face de l’immersion, est bien évidemment l’immersion dans les différents villages
bourguignons. Une quarantaine d’entre eux seront arpentés, ils ont été choisis pour former un
panel représentatif des différentes réalités du territoire. Durant ces visites, les résidents et les
agents de la Région vont mettre en place différentes méthodes pour récolter les paroles et
visions des acteurs locaux, mais aussi les dynamiques et signes visibles de déclin :
déambulation libre, stand sur le marché, « safari photo », entretiens longs avec les acteurs
locaux (commerçants, directeurs d’écoles, médecins...). Dans des moments de rencontre plus
institutionnalisés, des outils comme les « cartes à réaction », les entretiens collectifs autour de
photographies ou les parcours commentés, sont mobilisés pour susciter une réaction sensible,
qui stimule l’imaginaire et la créativité des participants. La diversité, tant des méthodes que des
regards, a permis de dégager des problématiques, et des dynamiques à l’œuvre sur le territoire.
À partir de ces dynamiques et « signaux faibles », une typologie de « villages extrêmes »,
scénarii exagérés des différents types de villages du futur va être créée par les résidents. Parmi
cette dizaine de villages on va trouver : « le village prison », « le village des vieux jours », « le
village hors-ondes », « le village fantôme », … Ces projections, parfois absurdes, parfois
catastrophiques, parfois positives, permettent à la fois d’inspirer et de souligner les garde-fous
à mettre en place, les dynamiques à endiguer ou celles à soutenir… Ces projections, point
d’orgue de la résidence vont servir de base pour l’étape d’idéation et de proposition de solutions
et de projets concrets.
																																																								
39
Direction Aménagement du Territoire et Habitat
24	
	
Figure	3	:	Atelier	avec	habitants	et	élus	au	cœur	d'un	village	–	Crédits	:	La	27
ème
	Région
À la suite de ces trois exemples qui nous ont montré concrètement comment se passent les
phases d’immersion dans les résidences de la 27ème
Région, et quels pouvaient être les apports
des participants, usagers, agents, élus dans ces démarches, nous allons maintenant nous
demander quelle valeur peut-on donner à ces immersions. Peut-on vraiment parler de
participation ? En effet, les usagers/habitants/citoyens sont questionnés, interrogés, donnent
leurs avis et leurs réflexions, mais peut-on considérer cette démarche comme de la
participation ?
1.2	-	L’usager	est-il	un	participant	?	
	
	
Dans son ouvrage Participer, Joëlle Zask décline la participation en trois volets :
prendre part, apporter sa part, recevoir sa part. Nous allons donc nous poser la question
suivante : les agents et usagers qui organisent et utilisent un service public, y participent-ils ?
Si la réponse est plus simple à trouver dans le cas des agents qui travaillent dans le service,
même si, comme nous le verrons dans la seconde partie de ce mémoire, les administrations sont
25	
des institutions difficiles à faire évoluer. En revanche, en ce qui concerne les usagers, une
réponse positive n’a rien d’évident a priori.
1.2.1.	Les	formes	classiques	de	la	participation	de	l’usager	
	
De façon minimale, usager lambda participe aux services publics qu’il utilise, déjà par
le principe de redistribution de l’Etat-Providence. Il « apporte sa part » de prélèvements
obligatoires pour « recevoir sa part » sous la forme de services publics, et ainsi « prends part »
à la communauté nationale.
De même, on peut considérer que l’usager participe à la prise de décision qui affecte ses
politiques publiques par la démocratie représentative : « prenant part » aux élections, il
« apporte sa part » sous la forme d’un bulletin de vote et peut ainsi « recevoir sa part » en
profitant de politiques publiques mises en place par ceux qu’il a élu, et donc potentiellement
conforme à ses convictions. Or, on peut constater que ce modèle de participation a des défauts.
D’une part, et comme l’a montré Anthony Downs dans un modèle économique resté célèbre,
d’un point de vue strictement rationnel, les individus n’ont pas intérêts, à l’issue d’un calcul
coût-avantage à aller voter, leur voix individuelle ayant peu de chance de faire basculer
l’élection40
. D’autre part, la technicisation de l’administration mais aussi la professionnalisation
du personnel politique ont rendu la représentation des mandants par leur mandataire de plus en
plus ténue, et le pouvoir des citoyens à agir sur leurs politiques publiques de plus en plus faible.
Ce modèle de participation par le vote est donc de plus en plus contesté, et faveur d’une
démocratie plus « participative » où les citoyens/usagers auraient plus leur place.
1.2.2.	«	Prendre	part	»,	pour	participer.	
Prendre part pour Joëlle Zask se définit comme être membre d’un groupe dans « une
configuration où les participants d’un côté et les activités auxquelles ils participent de l’autre
sont conditionnés mutuellement et ne peuvent pas être séparés »41
. Ainsi, l’exemple que la
philosophe va donner, est celui d’un groupe de randonneurs : des individus disparates, qui
peuvent être hétérogènes socialement ou culturellement mais qui se rassemblent pour une
activité commune, la randonnée. Sans randonnée, il n’y aurait donc pas de randonneurs, et
inversement. Mais cette définition minimale se doit d’être enrichie, en effet dans ce cas il n’y a
																																																								
40
DOWNS Anthony, Une théorie économique de la démocratie (1957) (Trad. P-L. Van
Berg), Coll. UBLire, Bruxelles : Université de Bruxelles, 2013.	
41
ZASK Joëlle, op. cit. p.44
26	
pas de lycée sans lycéens, on peut donc considérer que les lycéens prennent part à la vie de leur
lycée en allant en cours, ce qui nous donne une définition assez faible de la participation.
Joëlle Zask va donc ajouter d’autres dimensions à sa définition, tout d’abord en distinguant
« prendre part » de « faire partie ». En effet, dans le second cas (« faire partie d’une famille,
d’un clan, d’une nation »)42
, le groupe préexiste à l’individu. À l’inverse donc du « prendre
part » où l’association est le résultat d’une mise en commun des aspirations individuelles. Ainsi,
pour reprendre l’exemple des lycéens, en effet s’il n’y a pas d’élève le lycée ferme, mais pour
autant ça n’est pas le rassemblement volontaire et spécifique de jeunes gens souhaitant étudier
qui a mené à l’ouverture du lycée et à son organisation. L’entité et le concept de lycée préexiste
donc aux lycéens.
Une autre dimension de la définition du « prendre part » est ce que Joëlle Zask appelle
« l’interdépendance entre individualité et activités conjointes ». D’une part, les individus qui
prennent part à l’activité d’un groupe ne sont pas des anonymes qui n’apportent rien de plus
que leur présence, mais apportent leur individualité. Ils enrichissent ainsi le groupe de leur
subjectivité, ce qui va être déterminant pour singulariser la part qu’ils vont apporter dans la
définition et le modelage du commun. Ce commun, ces activités conjointes enrichies des
expériences de chacun de ses participants, va également impacter les individus. En effet, si les
participants enrichissent de leur présence les activités communes, l’exercice de des activités va
enrichir en expériences les participants.
Il nous paraît important de souligner à ce stade qu’une activité conjointe ne va pas produire des
expériences identiques à tous les individus. En effet, de la même manière que chacun enrichit
le commun de sa subjectivité, l’exercice des activités conjointes va produire une pluralité
d’expériences subjectives et individuelles. La notion « d’expérience » étant comprise ici au sens
que lui donne John Dewey, c’est-à-dire comme « un processus déployé dans le temps qui
consiste pour un sujet à reconstruire sa propre unité après avoir été en quelque sorte scindée. »43
En clair, l’expérience est vue comme l’intégration dans la linéarité de l’existence d’un ensemble
d’événements qui l’ont rompue et de leurs conséquences.
1.2.3.	L’immersion,	un	moyen	de	créer	du	«	prendre	part	»	
Nous l’avons vu, la participation est au centre des démarches de design de politiques
publiques, et particulièrement dans les programmes de la 27ème
Région. Et en effet, il nous
																																																								
42
Ibid. p.17	
43
Ibid. p.48
27	
semble que, particulièrement durant la première phase d’immersion, décrite plus haut, les
résidents agissent sur la capacité des usagers et agents à « prendre part » à l’élaboration de leurs
politiques publiques.
Pour reprendre l’exemple du lycée, nous avons vu que de manière générale, on peut dire que
les lycéens, professeurs et personnels administratifs « font partie » d’un lycée. Or, lors du
programme « Territoires en Résidences » mené au lycée de Revin, les résidents par leur action
ont transformé ce « faire partie » en « prendre part ». On peut décomposer cette transformation
en plusieurs temps, qui ne sont pas forcément chronologique ou clairement séparés. Le premier
temps consiste à souligner l’existence d’une « communauté d’usage » regroupant aussi biens
les usagers que les agents (lycéens, enseignants, surveillants…). Cette activation découle de la
présence même des résidents et de la multiplicité de leurs interlocuteurs. Au fil de leurs
entretiens, ils peuvent établir une cartographie des acteurs, et repérer mais aussi faire repérer
aux individus, leur appartenance à une « collectivité du lycée » à laquelle ils « font partie ». Le
deuxième temps consiste, toujours par les entretiens, à subjectiver cette « communauté
d’usage », c’est-à-dire à transformer un ensemble anonyme d’usagers et d’agents en individus
sensibles qui peuvent partager leur expérience du lycée. Cette subjectivation de la communauté
va s’illustrer par l’utilisation de « cartes à réaction » pour stimuler la parole des interrogés, puis
par la création de témoignages fictifs et projectifs reprenant les résultats des discussions
précédentes. Enfin, à la suite de cette subjectivation, les résidents vont s’inspirer de ces
expériences partagées pour proposer des solutions, et ainsi impacter l’expérience du lycée
qu’ont les acteurs de l’établissement. Ici, c’est la création de « cartes-solutions » proposant des
projets concrets, qui va être utilisée. C’est par ailleurs le début de la phase d’idéation qui va
permettre aux usagers de véritablement « apporter leur part ».
Mais la question qui se pose maintenant est la suivante : à quoi les usagers « prennent-ils
part » ? En effet, on peut se demander si les usagers participent à la résidence, à l’immersion,
ou bel et bien à l’élaboration de leurs services publics. Ici, la réponse ne peut pas être uniforme
selon les expériences. Car si, en effet à la base, tous participent à une résidence, à un programme
spécifique, c’est le futur de ce qui va sortir des résidences, et la pérennité, tant de la méthode
que des projets qui vont définir le degré de participation effective des usagers.
1.3	–	Intégrer	les	usages	pour	reconnaître	la	pluralité	des	humanités	
	
Nous venons de le voir, inviter les usagers à prendre part à l’élaboration des services
publics les concernant implique pour ces derniers d’intégrer l’expérience des usagers. C’est ici
28	
que se fait véritablement le lien avec les droits culturels. En effet, on peut considérer que les
usages d’un service public sont des éléments constitutifs de notre culture.
	
1.3.1.	L’usage	comme	corollaire	à	son	expression	culturelle	
	
La définition de la culture utilisée dans la Déclaration de Fribourg le montre bien : est
culturel tout ce qui permet à l’individu d’exprimer son humanité. On peut dès lors poser la
question des usages en terme culturels à travers deux angles.
Le premier angle, consiste à considérer l’usage que l’on fait d’un service public comme un
corollaire de notre culture. Pour illustrer cette assertion, nous allons prendre le contrepoint du
non-usage des services publics. On peut ainsi prendre l’exemple de la « lutte contre la
pauvreté » présentée par Patrice Meyer-Bisch comme un domaine où une approche en terme de
droits culturels serait un levier efficace44
. Pour cela, il part d’une définition de la « pauvreté
culturelle ». Bien sûr cette pauvreté culturelle n’est pas invoquée dans une vision normative.
Patrice Meyer-Bisch la définit ainsi : « une personne est culturellement pauvre dans la mesure
de la faiblesse et de la rareté de ses liens ».45
L’individu pauvre, coupé de tous liens se trouve
dans une double situation de dénuement et de désœuvrement empêchant à la fois la
reconnaissance de sa propre humanité, mais aussi de son utilité sociale. Dès lors l’individu
pauvre se retrouve dans l’impossibilité d’avoir recours à des ressources externes46
. C’est, selon
Patrice Meyer-Bisch ce qui explique l’échec de toutes les politiques publiques visant à lutter
contre la pauvreté en cherchant à régler seulement les difficultés matérielles de façon plus ou
moins ponctuelles. À l’inverse, les politiques dites de housing first consistent à louer
gratuitement un logement autonome à des individus sans domicile fixe, et ce comme préalable
à une réinsertion dans la vie sociale47
. Cette première étape permet ainsi à l’individu de recréer
du lien, et petit à petit de sortir de son dénuement culturel. Et c’est en sortant ainsi de sa pauvreté
culturelle que l’individu va avoir la capacité de faire les démarches pour avoir accès aux autres
aides publiques.
Dans le cadre des projets que nous avons étudié, cette question de l’usage comme
corollaire à son expression culturelle nous semble particulièrement pertinente dans le cadre du
																																																								
44
MEYER-BISCH Patrice, Le droit de participer à la vie culturelle, premier facteur de
liberté et d’inclusion sociale, in : Le rôle de la culture dans la lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale, 2013, Bruxelles, Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Service
général de la Jeunesse et de l’Education permanente, No19, pp. 53-76.
45
Ibid. p.56
46
Ibid. p.61
47
KAAKINEN Juha, « Mettre fin au sans-abrisme en Finlande », Vie sociale et traitement,
ERES, 2014/2 (n°122), p.115-120.
29	
programme de Transfo « les villages du futur » en Bourgogne. Dans ce programme, il n’est pas
question d’un seul service public, mais d’un territoire rural particulier : les villages. L’objectif
étant de faire un travail de prospective afin d’imaginer quelle pourrait être l’action de la Région
sur ces territoires. Au cours de l’immersion, une typologie de « villages extrêmes » va être
créée. Cette typologie exacerbe les différentes formes d’usage des villages, ces dernières étant
très liées aux populations qui habitent ces territoires. Dans cette typologie de seize scénarii
décrit sous le mode publicitaire, on trouve par exemple le « Village ultraconnecté » :
« Les avantages des techniques de pointe de sont pas forcément réservés aux
centres urbains. Les villages ultraconnectés offrent des possibilités grandissantes
d’organisation de séminaires, de conférences et autres activités professionnelles
grâce à leur équipement technique dernier cri. De grands espaces à prix de location
raisonnable, de grands bureaux aux connectiques ultraperfectionnées permettent
la communication à distance avec n’importe quel point du monde. La qualité de
l’hébergement et de la restauration, qui ont néanmoins su garder leur charme
authentique, assure à ces villages high-tech une fréquentation en hausse de la
matière grise internationale, qui en raffole ! »48
Ce scénario extrême, amplifie ainsi les signaux faibles de l’installation dans les villages de
néoruraux, professions intellectuelles supérieures, pratiquant le télétravail. Ces habitants, qui
cherchent dans les villages un cadre de vie plus agréable, ont tout de même besoin d’une
connexion internet haut-débit de qualité, et vont être à la recherche d’un compromis entre
authenticité de la vie rurale, et praticité de la vie urbaine. Leur usage du village, et des services
publics que les collectivités proposent va donc être très spécifique.
1.3.2.	L’usage	comme	partie	intégrante	de	notre	identité	culturelle	
	
Nous venons de le voir, l’usage ou le non-usage qu’un individu fait d’un service public,
mais aussi ses attentes quant à l’évolution de ce service dépend en partie de son identité
culturelle. Mais il ne faut pas négliger un autre aspect de la question de l’usage à travers le
prisme de l’identité culturelle, l’usage d’un service public comme une partie intégrante de son
identité culturelle.
Cette intégration du service public dans son identité culturelle, est bien sûr très forte dans le cas
d’institutions semi-totales49
comme l’école ou le lycée où l’usager voit son identité culturelle
																																																								
48
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit, p.114
49
Nous reprenons ici la définition d’Erving Goffman de l’institution totale comme « lieu de
résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés
du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse
30	
fortement marqué par l’institution. Sa qualité de lycéen occupe chez l’individu une place
importante dans la définition de son humanité et de sa place dans la société, ainsi, que les
rapports qu’il entretient avec l’institution, et les différents usages qu’il fait de celle-ci.
Mais cette relation d’identification entre l’individu et le service public qu’il utilise peut être
élargie à l’ensemble des services publics. Elle est bien sûr d’autant plus forte que l’usage est
volontaire et non subi. Il semble en effet plus simple de se définir comme usager d’une
médiathèque que comme allocataire du RSA.
Cette définition que l’on fait de son humanité est également variable selon les contextes. Par
exemple, lors d’un « comité de ligne » mis en place par la Région pour consulter les usagers
d’une ligne de TER, chacun aura tendance à se définir selon son usage de la ligne de chemin de
fer. De même lors d’un mouvement social, par exemple d’intermittents du spectacle ou de
chômeurs, ces derniers vont mettre en avant cette identité de cotisant au régime des
intermittents, ou d’allocataires de l’assurance chômage.
Étudier les usages des individus, permet donc d’accéder à une facette de ce qui constitue leur
identité culturelle, sans pour autant bien sûr que cet usage ne définisse l’ipséité de l’individu.
Les équipes de résidents de la 27ème
Région, par leur immersion permettent de révéler ces
usages, et de rencontrer non seulement ceux qui ont véritablement intégré et exprimé cet usage
comme part de leur identité, mais également les usagers chez qui cette facette n’a pas été mise
en avant a priori. Ce qui a pour effet d’une part de capter les usages de façon bruts, seulement
déformés par le regard du sociologue qui l’observe, et donc de reconnaître les expressions
culturelles dans leur forme la plus pure, au delà de leur verbalisation et intellectualisation par
l’individu. Enfin, cela permet d’élargir le champ des participants, et donc d’enrichir la réflexion
menée avec les usagers.
Nous avons donc vu que la phase d’immersion était le cœur des programmes de design
de politiques publiques menés par la 27ème
Région. Par ces immersions, les designers permettent
aux usagers de véritablement « prendre part » aux projets qui les concernent en témoignant de
leur expérience. Se faisant, ces démarches permettent la reconnaissance d’une pluralité
d’expériences sensibles du service public, et donc d’une diversité culturelle. Nous sommes donc
																																																								
dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (GOFFMAN Ercing,
Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris : Les
éditions de Minuit, 1979. p.41)
L’institution scolaire, lorsque l’enfant rentre chez lui à la fin de la journée, ne peut donc
prétendre totalement à cette définition, nous lui préfèrerons donc le terme d’institution « semi-
totale ».
31	
bien dans l’esprit de la Déclaration de Fribourg, dont la reconnaissance de ces différentes
humanités constitue les fondations. On pourrait donc considérer que le fait qu’il existe un
« prendre part » constitue en soi une participation à l’élaboration des politiques culturelles, telle
que le suggère la Déclaration de Fribourg. Mais comment aller plus loin dans cette
participation ? Comment faire passer l’usager d’un participant « passif » que l’on consulte à un
participant « actif » qui co-construit les politiques publiques, et qui en somme « apporte sa
part » à l’édifice ? C’est ce que nous tâcherons de voir dans la seconde partie de ce mémoire.
32	
2	–	La	co-construction	des	politiques	
publiques,	un	nouvel	enjeu	démocratique	
Au delà du « prendre part », nécessaire préalable à toute participation des usagers
puisqu’il permet la reconnaissance d’une communauté d’usage et d’une capacité d’influence de
ces derniers, il nous apparaît nécessaire de mettre en place les conditions permettant aux usagers
de véritablement « apporter leur part ». Nous verrons donc dans un premier temps quels sont
les enjeux démocratiques de cette facette de la participation, puis dans un deuxième temps nous
verrons quels outils sont utilisés par la 27ème
Région pour stimuler cet apport. Enfin, nous nous
interrogerons sur l’utilisation de ces outils pour dépasser la démocratie participative et la
repenser dans une approche respectueuse des droits culturels de chacun.
2.1.	«	Apporter	sa	part	»,	ou	l’enjeu	démocratique	d’une	
«	administration	ouverte	»50
	
	
Au delà de la question du respect des droits culturels, la participation des individus à
l’élaboration des politiques publiques qui les concernent relève d’un enjeu démocratique fort,
celui « d’ouvrir » l’administration. Nous verrons donc successivement la dichotomie entre
« société ouverte » et « société close » proposée notamment par Bergson et Popper, et comment
l’administration s’inscrit dans cette dichotomie. Puis nous verrons comment les outils du design
peuvent permettre « l’ouverture » de cette administration.
	
2.1.1.	Distinguer	«	sociétés	ouvertes	»	et	«	sociétés	closes	»	
	
Nous l’avons vu plus haut, l’usager, quel qu’il soit, participe d’une certaine manière à
l’élaboration de ses politiques publiques par le vote, et l’élection de représentants qui eux vont
engager une action publique. Mais cette participation est bornée, très limitée aux règles de la
démocratie représentative. La part apportée par le citoyen sous forme de vote, reste minime.
Pour Joëlle Zask, on ne peut même pas vraiment parler de participation dans ces cas là. En effet
selon elle, le contributeur doit avoir la possibilité de changer les règles même de sa
participation. Elle indique :
																																																								
50
	Cette partie se base principalement sur le chapitre II.1 de l’ouvrage de Joëlle Zask
Participer, et intitulé « société close et société ouverte : qui contribue ? » p.117 à 126.
33	
« […] que les individus participent à un groupe dont les fins, les
méthodes et les intérêts sont déterminés d’avance, voire incarnés dans
sa structure institutionnelle, permet certes de s’affilier […] mais
borne la participation dans des limites telles que le groupe, ou
certains de ses constituants ne peut guère être modifiés. Quand
l’institué est de nature à empêcher l’instituant, prendre part et
contribuer sont dissociés, et l’une des conditions essentielles de la
démocratie comme mode de vie personnel est gravement absente. »51
L’objectif est donc à la fois de conserver les structures de base du groupe, à travers le prendre
part, tout en permettant une certaine souplesse dans les finalités de celui-ci par la contribution
de chacun. Cette différence de degré dans la capacité des contributeurs à modifier les règles de
leur contribution, participe à la définition d’une dichotomie entre « société ouverte » et
« société close ». Cette dichotomie a été pensée à l’origine par le philosophe Henri Bergson.
Bergson va ainsi dissocier les sociétés closes qui sont soumises aux tabous, aux superstitions.
Très hiérarchisées, et statiques les sociétés closes sont également refermées sur elles-mêmes. À
l’inverse, les sociétés ouvertes sont plus favorables à l’individu, à la créativité, à l’intuition.
Elles s’avèrent plus dynamiques, plus libres, et plus démocratiques.52
Cette dichotomie va être
reprise et enrichies par les philosophes libéraux, parmi lesquels Friedrich Hayek et surtout Karl
Popper. Pour ce dernier, les sociétés closes se distinguent par leur structure qui intrinsèquement
est pensée pour enserrer l’individu53
, l’empêcher de penser par lui même et de prendre des
initiatives. Caractérisées par un certain obscurantisme, « la société ”fermée” repose sur des
valeurs et des fins qui ne sont pas questionnées mais font autorité. »54
. À l’inverse donc des
sociétés ouvertes qui favorisent la recherche, aussi bien individuelle que collective de ses
propres fins et de ses propres moyens de les atteindre.
2.1.2.	L’administration	publique,	une	«	institution	close	»	?	
	
En reprenant les définitions que nous venons de voir, et en effectuant un changement
d’échelle, nous pouvons analyser les institutions de la même manière. Nous pouvons ainsi
définir des « institutions ouvertes » qui permettent la contribution de ses membres à la
définition réelle des objectifs, et des moyens pour les atteindre de façon libérée des tabous et
																																																								
51
ZASK Joëlle, op.cit. p.118
52
BERGSON Henri, Les deux sources de la morale et de la religion (1932), Paris : PUF,
2008.
53
POPPER Karl, La Société Ouverte et ses ennemis (1945), Paris : Seuil, 1979.
54
ZASK Joëlle op. cit. p.120
34	
des croyances. À l’inverse, on peut définir les « institutions closes » comme des espaces sociaux
gouvernés par des valeurs intouchables, des croyances qui définissent les fins de l’action
commune, et les moyens pour y parvenir.
Dès lors, qu’en est-il de l’administration publique ? Par ce terme, très générique, nous
désignerons l’institution idéal-typique de création et de mise en place des actions publiques. Si
l’on reprend la définition de Max Weber, l’administration semble être protégée de la
« fermeture » car les règles qui dirigent son action se basent sur une légitimité légale-
rationnelle. Elle serait donc, a priori exempte de croyances mise à part celle de l’intérêt général.
Pourtant, cette administration apparaît souvent comme très statique, ses règles absconses et sa
capacité d’adaptation très faible. Les explications de cette inertie de l’administration ont fait
l’objet de nombreuses recherches, et plusieurs éléments remettent en cause la rationalité absolue
de l’administration. La première de ces explications est la path dependence. Ce concept, issu
de l’économie, part du constat que souvent, alors qu’il existe une technologie plus efficace, le
choix est fait de poursuivre sur la voie précédemment tracée, afin d’éviter les coûts financiers
et sociaux d’adaptation à une nouvelle technologie. Ce concept, importé dans le domaine de
l’étude des politiques publiques notamment par Douglass C. North dans les années 199055
, va
permettre de montrer que cette dépendance ne vient pas tant de la nature des technologies que
du comportement des agents qui, face à un problème public nouveau, vont appliquer des
solutions déjà existantes plutôt que de tenter d’en inventer des nouvelles. La rationalité des
agents est donc limitée par l’influence des actions de leurs prédécesseurs. De même, on peut
constater l’existence de paradigmes structurant l’action publique. Ces paradigmes s’ils peuvent
venir des élus, et donc indirectement des citoyens, sont la plupart du temps importé dans le
champ de l’action publique par les fonctionnaires eux-mêmes56
. Tout ces éléments réduisent la
rationalité des agents publics et peuvent s’apparenter à des croyances, des dogmes qui ne sont
pas remis en question par les agents et qui pour autant font autorité.
Par ces aspects, l’administration publique peut être rapprochée des « sociétés closes » de
Bergson et Popper. Dès lors, comment « ouvrir » cette institution ? Comment faire pour que les
agents sortent de la dépendance au sentier, s’émancipent des paradigmes, et contribuent
pleinement aux services publics ? Et du côté des usagers, comment faire pour à la fois leur
permettre de contribuer pleinement à l’élaboration des politiques publiques les concernant, tout
																																																								
55
NORTH Douglas C., Institutions, Institutional Change and Economic Performance,
Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
56
SMITH Andy. « Paradigme », Dictionnaire des politiques publiques. 4e édition précédée
d’un nouvel avant-propos, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2014, pp. 404-411.
35	
en conservant la stabilité de l’institution ? Les outils du design de politiques publiques peuvent
nous donner des pistes de réponses.
2.1.3.	Des	outils	pour	faire	des	participants	des	«	grands	hommes	»	
	
Selon Bergson, le seul moyen pour une société de passer du statut de fermée à celui
d’ouvert est l’action des « grands hommes » qui par leurs qualités et leurs actions arrivent à
sortir des sentiers battus, imprimer leur marque dans la société et la réinterroger en profondeur.
Cette conception est bien sûr très historiciste et marquée par les préjugés de son temps,57
mais
on peut également la rapprocher de la définition de « l’entrepreneur » chez Schumpeter, qui par
son action individuelle, et ses capacité à sortir des paradigmes existants permet de lancer le
processus de destruction-créatrice58
. Mais cette « ouverture » de la société n’est que temporaire
pour Bergson. Très vite, la société intègre la nouveauté et modifie son fonctionnement.
À l’échelle de l’administration, on peut donc dire que les « grands hommes » sont ceux qui
arrivent, à leur échelle à sortir du cadre restreint de pensée et d’outils pour réinventer l’action
publique et ainsi ouvrir une brèche dans l’institution pour modifier les façons de faire en son
sein.
Cette capacité à sortir du cadre, à désaxer la pensée, on va la retrouver chez les participants aux
programmes de la 27ème
Région. Mais, alors que chez Bergson et Schumpeter les capacités du
« grand homme » sont individuelles, et tiennent quasiment du génie mystique, elles sont ici
apportées par l’immersion, la pluridisciplinarité, et par des outils spécifiques qui stimulent la
créativité des participants. La nature de la contribution va donc changer. En effet, dans le cas
d’un « grand homme », sa contribution est personnelle, elle est le reflet de sa seule humanité.
En revanche dans le cas d’une pluralité de participants, on va retrouver dans la contribution
finale une combinaison des contributions personnelles de chacun. L’enjeu dès lors, est de
permettre à chacune des humanités de s’exprimer, et à chacun des contributeurs d’apporter leur
part. C’est tout l’intérêt des outils de la 27ème
Région, qui vont favoriser la créativité des agents
et leur permettre de repenser leur cadre de travail, et les solutions à mettre en place. Tout en
s’appuyant sur une pluralité de subjectivités à la fois des agents, et des usagers.
2.2.	Des	outils	pour	stimuler	les	contributions
	
																																																								
57
Notamment car chez Bergson, l’exemple absolu d’une société close est une « société
primitive » qui par l’action des « grands hommes » passe de la sauvagerie, à la barbarie pour
atteindre la civilisation.
58
	SCHUMPETER Joseph, Théorie de l'évolution économique (1912) (Trad. J-J. Anstett),
Paris : Dalloz, 1999.
36	
Au cours de leurs différents programmes, les designers de la 27ème
Région ont mis au
point de nombreux outils et méthodologie pour stimuler les contributions, pour recueillir les
avis, et enrichir la réflexion globale du projet. Nous allons en présenter quelques uns dans les
lignes qui vont suivre. Une mise en garde semble cependant nécessaire : ces outils, utilisés tels
quels et de façon indépendante ne constituent pas une démarche de design de politiques
publiques. S’il elle constitue probablement sa partie la plus « spectaculaire » et la plus
rapprochée de ce que nous connaissons du design, l’utilisation de ces outils n’est bien qu’une
étape de la démarche. Enfin, si l’on peut regrouper tous les outils utilisés en différentes
catégories, il ne faut pas éluder le fait que chacun d’entre eux ont été créés spécialement pour
chaque programme, portés par les réflexions issues de l’immersion entre autre. Ces outils sont
construits principalement à destination des agents et utilisés à l’intersection entre la phase
d’immersion et la phase d’idéation.
Ces outils mobilisent la médiation par le dessin, qui est au cœur bien sûr de toute démarche de
design. Dans le contexte des démarches initiées par la 27ème
Région l’objectif était à la fois de
faciliter la compréhension des dynamiques locales et de stimuler l’innovation en invitant les
agents à sortir de leur méthodologie habituelle. Ils ont particulièrement été mobilisés dans le
cadre des programmes « Transfo » afin de permettre aux agents de s’approprier la démarche et
« réoutiller l’action publique de l’intérieur »59
.
	
2.2.1.	Des	outils	pour	faciliter	la	récolte	d’expériences	et	comprendre	les	dynamiques	
	
Nous allons d’abord revenir plus précisément sur les outils utilisés par les résidents,
principalement dans la phase d’immersion, pour d’une part établir un diagnostic sensible
commun et pour d’autre part stimuler et récolter la parole des usagers.
Ainsi, durant la Transfo « Les villages du futur » en Bourgogne, un « atelier cartographie » a
été organisé afin de confronter données empiriques et territoires sensibles. Les participants ont
été invité à commenter, redessiner, compléter des cartes thématiques de la Région imprimées
en grand format60
. Puis lors, de rencontres mêlant agents, élus, associations… Et enrichie par
l’intervention d’un chercheur en économie spécialisé dans le monde rural, les participants ont
été invité à établir une typologie d’archétypes de villages qu’ils ont maquettés et identifié
visuellement à l’aide de photos et de croquis.
Cette première étape a permis, notamment en utilisant les outils visuels de la carte et de la
maquette, que chacun puisse avoir une vision globale du territoire, de ses disparités. Mais cette
																																																								
59
La 27ème
Région, Chantiers…, op.cit. p.326
60
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit. p.47
37	
vision globale a été construite par les agents eux-mêmes qui ont pu s’exprimer sur le territoire
et modeler le diagnostic.
Afin de mieux saisir l’expérience usager, des outils ont également été mis en place. Ainsi dans
le cadre de la Transfo Champagne-Ardenne, qui a eu lieu en 2012 autour de la refondation du
dispositif Lycéo61
, les agents ont été invité à faire une « filature photo »62
. L’objectif était de
repérer toutes les traces du dispositif dans la vie quotidienne des lycéens (logo, tracts,
affiches…). L’idée est alors de sortir le dispositif de son aspect purement technique pour tenter
de comprendre comment il est perçu par les usagers eux-mêmes. D’autres méthodes permettent
de stimuler la participation des usagers, cette fois-ci de façon plus directe. Il s’agit notamment
des « cartes à réaction ». Beaucoup utilisées, on les retrouve dans le programme « Territoires
en résidences » sur le lycée de Revin, mais également dans la Transfo Bourgogne sur les
Villages du Futur sous la forme de photomontages accompagnés d’une question volontairement
un peu polémique63
. Dans le cadre de ce programme, des entretiens collectifs vont être
organisés, toujours avec la médiation de la photographie, et des photomontages, afin de faire
émerger les points de convergence et de divergence des acteurs64
.
Tout ces outils mobilisent l’image pour faire réagir, la plupart du temps avec succès. La
méthode permet en effet pour les agents de sortir du cadre très « rédigé » et contraint de
l’administration, et donc de libérer la parole et stimuler la créativité. De la même manière,
l’image permet aux usagers qui ne connaissent pas forcément les prérogatives de la Région de
se projeter, et de comprendre très rapidement les enjeux de l’intervention. À la suite de ces
diagnostics et récoltes d’expériences, la phase d’idéation à proprement parler peut commencer,
avec là encore son lot d’outils.
	
2.2.2.	Des	outils	pour	stimuler	la	créativité	
	
L’objectif des outils que nous allons présenter est de permettre aux agents, après avoir
identifier des problématiques, d’y répondre de manière innovante en stimulant leur créativité.
L’objectif est là encore de leur permettre de sortir du cadre, d’explorer au delà du sentier
préalablement tracé. Pour favoriser cela, l’utilisation d’objets concrets (maquettes,
																																																								
61
Le dispositif Lycéo est une carte offerte aux lycéens et apprentis de la Région, leur offrant
un crédit à utiliser dans des établissements culturels, pour l’achat de manuels scolaires… Il
s’approche du dispositif rhônalpin de la Carte M’Ra
62
La 27ème
Région, Chantiers…, op.cit p.336
63
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit. p.82
64
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit. p.84
38	
photomontages, figurines Playmobil…) va être mobilisée. Ainsi, durant le programme Transfo
Bourgogne « Les Villages du futur », des ateliers de co-construction des solutions vont être mis
en place appelés « Chantiers-villages »65
. Ces ateliers en petits groupes ont lieu en deux temps :
d’abord un partage d’un constat à travers la description d’un village réel ou fictif avec l’aide
d’objets concrets. Puis les participants sont amenés à répondre aux problématiques soulevées
par le village avec une mesure concrète qu’ils doivent élaborer ensemble et rapidement,
toujours à l’aide de ces objets qui servent de medium. Le résultat de ces ateliers va ensuite être
synthétisé dans les « Cartes postales du futur », et vont donner des résultats qui sortent des
solutions habituelles de l’action publique. À noter que ces dernières ne s’attachent pas
seulement aux prérogatives des régions66
, mais à l’ensemble des projets que la collectivité
territoriale pourrait soutenir. Les solutions ont été thématisées en cinq entrées : village rêvé,
village connecté, village retraité, village cultivé, village mouillé. À titre d’exemple, nous allons
présenter une carte postale par entrée thématique, sur la quarantaine de projets issus des
ateliers :
- Village rêvé : cette thématique visait « à s’interroger sur les difficultés d’aujourd’hui
à se projeter sur un avenir désirable pour les territoires ruraux. »67
Elle a beaucoup
tourné également autour de la question de la collectivité, du respect des rêves et
aspirations de chacun, et de la recherche du compromis. Les solutions qui ont
émergé le prouve bien. À l’image de la « monnaie TEMPS, une monnaie fondante
indexée sur le temps passé et réservée à l’échange de coups de mains entre
habitants »68
- Village connecté69
: la question de la connexion avec les réseaux de communication
aussi bien numériques que réels est ici posée. Parmi les solutions proposées, nous
retiendrons la « Fondation des champs » qui vise à « capter l’épargne locale » pour
financer des micro-projets locaux. Les agents de la région deviennent ainsi des
conseillers techniques et juridiques pour la mise en place d’une telle fondation qui
peut également servir d’organisme de micro-crédits.
																																																								
65
La 27ème
Région, Les villages du futur…, op.cit. p.129
66
La Transfo a d’ailleurs eu lieu dans une période de flou autour de ces dernières, entre 2011
et 2013, avec la suppression de la clause générale de compétence actée en 2010 pour une
effectivité au 1er
janvier 2015. Suppression elle-même annulée en 2014 par la loi MAPTAM,
puis réintégrée en 2015 à la loi NOTRe.
67
Ibid. p.138
68
Ibid. p.152	
69
Ibid. pp. 154-169
39	
- Village retraité70
: ici la question du vieillissement des territoires ruraux est bien sûr
évoquée, avec l’idée de faciliter la vie des personnes âgées marginalisées dans des
territoires où il est de plus en plus difficile de trouver de la proximité. Un exemple
de projets, bien plus simple à réaliser que les précédents : la cantine
intergénérationnelle qui regroupe la cantine scolaire et celle de l’EHPAD.
- Village cultivé71
: ici la thématique aborde la question « agri-culturelle », c’est-à-
dire la question double de l’avenir de l’agriculture, et des différentes visions de
l’agriculture qui peuvent se heurter, entre agriculteurs expansifs installés de longue
date, et néo-ruraux en quête de mode de production alternatif. L’enjeu derrière cette
question est donc le partage culturel pour éviter les conflits, et redynamiser les
villages. Parmi les nombreuses solutions intéressantes proposées sur cette question,
nous retiendrons peut-être la plus technique : la ZAA, zone d’activités agricoles qui
vise à regrouper les petites fermes pour éviter la solitude bien souvent inhérente au
métier d’agriculteur, mais aussi permettre de partager des pratiques des idées,
éventuellement du matériel, des ressources…
- Village mouillé 72
: la thématique traitée ici est assez spécifique au territoire
bourguignon, il s’agit de la question des canaux et de leur reconversion. L’idée
principale est l’usage touristique, tout en essayant de capter l’intérêt des visiteurs
sur les visages en bordure. Ainsi la création d’un festival autour de l’écluse du
village, avec des projections de films en plein air, des sons et lumière… a été
proposée par les participants aux ateliers.
Toutes ces solutions ont avant tout une visée prospective, même si certaine d’entre-elles
peuvent être mises en place plus facilement que d’autres. Elles sont inspirées de dynamiques
existantes, tant sur le territoire bourguignon qu’ailleurs. Leur formalisation sous forme de cartes
postales, présentant des photomontages un peu grossiers permet à la fois de se projeter en se
disant « c’est possible », tout en comprenant bien que le chemin à parcourir reste long.
Ces outils nous semblent pertinent dans la question de l’intégration des droits culturels pour
plusieurs raisons. D’une part, lorsqu’ils sont utilisés pour récolter les expériences des usagers,
ils permettent à ces derniers de façon plus ou moins grande de contribuer au projet. Cette
contribution étant différente selon la nature des programmes : l’usager a ainsi eu plus de poids
																																																								
70
Ibid. pp. 170-181
71
Ibid. pp.181-192
72
Ibid. pp.193-204
40	
dans les résidences sur le lycée de Revin, ou la médiathèque de Lezoux que dans la Transfo sur
les villages bourguignons. Mais dans tous les cas c’est l’expérience des usagers qui est à la base
des problématiques abordées et qui oriente la suite des réflexions. D’autre part, quand ils sont
utilisés pour stimuler la créativité des agents territoriaux, ils permettent à ces derniers
d’exprimer plus librement leur identité culturelle, leur humanité, qu’ils ne le pourraient dans le
cadre plus codifié et restreint de l’action publique classique. Ainsi, en repensant la place tant
des usagers que des professionnels dans les processus de décision publique, les équipes de la
27ème
région permettent de repenser le concept de démocratie participative.
2.3.	Le	design	de	politiques	publiques,	une	méthode	pour	repenser	la	
démocratie	participative	?	
	
Lorsque l’on interroge Stéphane Vincent, de la 27ème
Région, ou les fondateurs de
l’agence Plausible Possible, au sujet de la démocratie participative, leur réponse est sans
équivoque : « nous ne faisons pas de démocratie participative. » On ressent une véritable
volonté de se détacher de ce concept un peu galvaudé qui a émergé dans les années 1990-2000
en France. D’abord car les équipes de designers de politiques publiques se voient avant tout en
maitrise d’ouvrage, en techniciens élaborateurs de solutions concrètes73
qui certes impliquent
les usagers dans leur processus créatif, mais qui ne constitue pas leur « cœur de métier ». Puis,
certains d’entre eux se reconnaissent dans les critiques apportées aux dispositifs de démocratie
participative, et que nous allons détailler ci-dessous.
2.3.1.	La	démocratie	participative	critiquée
	
Dans son article « La démocratie participative sous conditions et malgré tout »74
, Loïc
Blondiaux, chercheur au CNRS et professeur à l’IEP de Lille, synthétise les différentes critiques
qui ont émergé à propos de la démocratie participative, mise sur le devant de la scène lors de la
campagne présidentielle de 2007 par Ségolène Royal. Il définit d’ailleurs le concept très flou
de démocratie participative comme l’idée « de compléter l’arsenal institutionnel de la
démocratie représentative par des lieux où le déploiement de cette délibération démocratique
élargie est possible, où cette participation du plus grand nombre à cette discussion des choix
collectifs est encouragée. » Il insiste d’ailleurs sur le fait que ses dispositifs sont conçus en
																																																								
73
La 27ème
région a par ailleurs publié un guide « petits conseils pratiques à l’attention des
acheteurs de “design de politiques publiques” »
74
BLONDIAUX Loïc « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un
plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation démocratique », Mouvements 2007/2 (n° 50), p.
118-129.
Pour une action publique respectueuse des Droits Culturels : les apports du Design de politiques publiques
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Pour une action publique respectueuse des Droits Culturels : les apports du Design de politiques publiques

  • 2. 2
  • 3. 3 Université Grenoble Alpes Sciences Po Grenoble Master Ingénierie et Gouvernance de l’Action publique Spécialité Direction de Projets Culturels Max Marquer Pour une action publique respectueuse des Droits Culturels : les apports du Design de Politiques Publiques 2016-2017 Sous la direction de Philippe Teillet
  • 4. 4 REMERCIEMENTS 5 INTRODUCTION 6 LES DROITS CULTURELS, FUTUR PARADIGME DE L’ACTION PUBLIQUE ? 6 LA 27EME REGION : PIONNIERS DU DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES EN FRANCE 8 LE DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES : UNE PRATIQUE AUX INFLUENCES NOMBREUSES 9 UN PARADIGME, UNE PRATIQUE : QUELS LIENS ? 12 1 – COMPRENDRE ET RECONNAITRE LES APPORTS DES USAGERS 14 1.1 – LA PHASE IMMERSIVE DANS LES DEMARCHES DE DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES : CAPTER LES USAGES ET REPRESENTATIONS POUR MIEUX LES INTEGRER. 15 1.1.1 – LES ETAPES DU DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES 15 1.1.2 – LA PHASE IMMERSIVE DANS LES PROGRAMMES DE LA 27EME REGION 15 1.1.3 – LA RECHERCHE-ACTION, ORIGINE THEORIQUE DE L’IMMERSION 16 1.1.4 – L’IMMERSION DANS LES PROGRAMMES DE LA 27EME REGION : EXEMPLES 17 1.2 - L’USAGER EST-IL UN PARTICIPANT ? 24 1.2.1. LES FORMES CLASSIQUES DE LA PARTICIPATION DE L’USAGER 25 1.2.2. « PRENDRE PART », POUR PARTICIPER. 25 1.2.3. L’IMMERSION, UN MOYEN DE CREER DU « PRENDRE PART » 26 1.3 – INTEGRER LES USAGES POUR RECONNAITRE LA PLURALITE DES HUMANITES 27 1.3.1. L’USAGE COMME COROLLAIRE A SON EXPRESSION CULTURELLE 28 1.3.2. L’USAGE COMME PARTIE INTEGRANTE DE NOTRE IDENTITE CULTURELLE 29 2 – LA CO-CONSTRUCTION DES POLITIQUES PUBLIQUES, UN NOUVEL ENJEU DEMOCRATIQUE 32 2.1. « APPORTER SA PART », OU L’ENJEU DEMOCRATIQUE D’UNE « ADMINISTRATION OUVERTE » 32 2.1.1. DISTINGUER « SOCIETES OUVERTES » ET « SOCIETES CLOSES » 32 2.1.2. L’ADMINISTRATION PUBLIQUE, UNE « INSTITUTION CLOSE » ? 33 2.1.3. DES OUTILS POUR FAIRE DES PARTICIPANTS DES « GRANDS HOMMES » 35 2.2. DES OUTILS POUR STIMULER LES CONTRIBUTIONS 35 2.2.1. DES OUTILS POUR FACILITER LA RECOLTE D’EXPERIENCES ET COMPRENDRE LES DYNAMIQUES 36 2.2.2. DES OUTILS POUR STIMULER LA CREATIVITE 37 2.3. LE DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES, UNE METHODE POUR REPENSER LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE ? 40 2.3.1. LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE CRITIQUEE 40 2.3.2. VERS UNE DEMOCRATIE PARTICIPATIVE RESPECTUEUSE DES DROITS CULTURELS : L’APPORT NECESSAIRE DU DESIGN DE POLITIQUES PUBLIQUES 42 CONCLUSION 45 BIBLIOGRAPHIE 47 OUVRAGES 47 ARTICLES DE REVUES 48 ARTICLES DE PRESSE 48 RESSOURCES WEB 49 RESSOURCES JURIDIQUES 49
  • 5. 5 Remerciements J’adresse mes sincères remerciements à tout ceux qui ont permis l’élaboration de ce mémoire. En premier lieu, je tiens à remercier Philippe Teillet, maître de conférence à Sciences Po Grenoble, directeur du Master Direction de Projets Culturel. En tant que directeur de mémoire, ses conseils avisés et sa réactivité ont été précieux. Et en tant que professeur tout au long de l’année, pour nous avoir introduit à la notion tellement importante de droits culturels. Je remercie également Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème Région pour son écoute bienveillante, et l’intérêt qu’il a porté à mes recherches. Je souhaite également remercier l’équipe de Plausible Possible, Grégoire Alix-Tabeling, Yoan Ollivier et Marion Henry-Ringeval pour cette pause déjeuner très instructive à Superpublic qui m’a notamment permis d’ouvrir ma réflexion sur la démocratie participative. Et enfin à titre plus personnel je souhaite remercier ma compagne, mes amis et ma famille qui par leurs questions m’ont permis de reformuler, redéfinir, et rendre intelligibles ces sujets si techniques et parfois très abstraits.
  • 6. 6 Introduction « Les gens veulent prendre part aux politiques qui leur sont destinées. Ils ont des idées. Quand on crée une médiathèque sur un territoire, il faut les associer à son élaboration pour qu’elle réponde au mieux à leurs besoins. Quand on invente des dispositifs culturels, il faut y intégrer leurs pratiques. Les institutions n’ont pas compris ce raisonnement. Elles pensent que les gens n’ont pas de capacité. »1 C’est par ces mots que Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème Région, association pionnière en matière de Design de politiques publiques en France, a évoqué l’inscription des droits culturels dans la loi française, lors de la séance publique des « États Généreux de la Culture Télérama » à Paris. Le fait que cette intervention émane d’un intervenant extérieur au « champ culturel » classique, et qu’elle ait été la seule à évoquer les droits culturels, semble significatif d’une relative méconnaissance et incompréhension de cette notion chez les commentateurs et professionnels du milieu culturel2 . En revanche, ce nouveau cadre d’action semble avoir été assez bien intégré par les tenants d’une autre notion encore assez méconnue dans le champ de l’action publique : le Design de politiques publiques. Ce présent mémoire mettant en relation ces deux concepts assez méconnus, une étape de définition et de défrichage de ces derniers nous semble nécessaire. Les droits culturels, futur paradigme de l’action publique ? Les droits culturels sont avant tout des droits fondamentaux. Part entière des droits de l’Homme ils sont issus de différents textes de droit international dont notamment : la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 ; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tout deux adoptés par les Nations Unies en 1966 ; la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle de 2001 ; la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de 2003 et la Convention cadre sur la protection et promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Tous ces textes évoquent de manière plus ou moins diffuse la protection de droits relatifs à la culture comprise comme « les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une 1 Livre Blanc des États généreux de la Culture Télérama, février 2017 p.23 2 Voir à ce sujet la méconnaissance de la Ministre de la Culture et de la Communication Audrey Azoulay, lors d’une journée d’étude autour des Droits culturels au Sénat le 14 novembre 2016. http://www.profession-spectacle.com/les-droits-culturels-ont-desormais- force-de-loi/ (consulté le 21/04/17)
  • 7. 7 personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement » 3 . Ces droits ont fait l’objet d’une réflexion approfondie d’universitaires réunis dès 1991 sous la direction de Patrice Meyer-Bisch au sein de l’Institut Interdisciplinaire d’éthique et de droits de l’homme de l’Université de Fribourg, et connus sous l’appellation de « Groupe de Fribourg ». En 2007, ce groupe publie la Déclaration de Fribourg ayant vocation à « rassembler [les droits culturels] pour en assurer la visibilité et la cohérence et en favoriser l’effectivité »4 . Ces droits et libertés fondamentaux décrits dans la Déclaration de Fribourg sont au nombre de huit : - La liberté de choisir ses références culturelles, d’établir des priorités et de les changer - La liberté d’exercer des activités culturelles, sous réserve du respect des droits d’autrui - Le droit de connaître les patrimoines - Le droit de se référer, ou de ne pas se référer à une communauté culturelle - Le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle, à commencer par la langue - Le droit à l’éducation - Le droit à une information adéquate - Le droit de participer à la vie culturelle, et à ses politiques. On comprend à la lecture de ces intitulés, que ces droits sont issus de traités internationaux, et ont été initialement rédigés dans un objectif de protéger et préserver la diversité culturelle, et notamment les minorités ethniques, religieuses ou encore linguistiques. Cependant, comme tous les droits de l’Homme ils ont une vocation universaliste, sont indivisibles et interdépendants, ils doivent donc tendre à s’appliquer à tous les états signataires de ces traités internationaux. Dans le contexte français, les réflexions du Groupe de Fribourg, et les actions volontaristes de certains élus ont permis l’inscription du respect des droits culturels dans la loi5 . Ainsi l’article 103 de la loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (loi NOTRe) d’août 2015, stipule que « la responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. » Il est de même pour l’article 3 de la loi relative à la liberté de création à l’architecture et au patrimoine (loi CAP) de juillet 2016. 3 Art.2 Déclaration de Fribourg, 2007. 4 Préambule Alinéa 9, Déclaration de Fribourg, 2007. 5 Carnet de la FNCC, Les étapes successives de la Réforme territoriale 2009/2015, 2016 p.81
  • 8. 8 Cette inscription récente dans la loi offre la possibilité d’un changement radical de paradigme des politiques culturelles françaises. En effet, alors que l’action culturelle héritée des ministères Malraux et Lang apparaît comme restreinte aux seuls arts et industries créatives et principalement tournée vers la découverte des œuvres et le soutien à leurs créateurs, les politiques culturelles pensées dans une approche en terme de droits culturel ont une vocation transversale et dépassant le seul Ministère de la Culture, et favorisent un enrichissement individuel qui « a plus à voir avec les objectifs de l’éducation et de l’éducation populaire, comme capacités ou compétences acquises, qu’avec les paris faits sur les impacts potentiels de la production et de la (re)présentation des œuvres. »6 Cependant, la mise en œuvre de politiques publiques respectueuses des droits culturels reste compliquée et les expériences peu nombreuses. C’est dans ce contexte qu’une réflexion sur les modes innovants d’invention de l’action publique qui comprendraient les droits culturels peut être enrichissante. C’est dans cet objectif, que nous avons décidé de nous intéresser aux démarches de design de politiques publiques initiées notamment par la 27ème Région. La 27ème Région : pionniers du Design de politiques publiques en France La 27ème Région est une association incubée entre 2008 et 2011 au sein de la Fondation Internet Nouvelle Génération, et créée formellement en 2012. Soutenue par l’Association des Régions de France, elle se présente comme un « laboratoire de transformation publique ». Ses fondateurs sont : Christian Paul aujourd’hui Président de l’Association, député socialiste de la Nièvre et vice-président de la région Bourgogne jusqu’en 2015. Son travail parlementaire porte principalement sur les questions du numérique et de l’internet. Politiquement il se situe plutôt à la gauche du PS, soutien de longue date d’Arnaud Montebourg7 , il était le premier signataire de la motion B, motion des « frondeurs » du Parti socialiste lors du congrès de Poitiers en 2015. Parmi les fondateurs de la 27ème Région, on trouve également Stéphane Vincent, consultant et ancien fonctionnaire territorial, ainsi que Jacques-François Marchandise, philosophe et consultant dans le domaine du numérique. Les projets de la 27ème Région, dont nous verrons les détails tout au long de ce mémoire, prennent la forme de programmes de « recherche-action ». Les premiers, nommés « Territoires en résidences » ont eu lieu entre 2009 et 2011. Inspirées par les résidences d’artistes, il s’agissait d’immerger pendant plusieurs semaines des équipes pluridisciplinaires dans le but de concevoir un projet avec les usagers. 6 TEILLET Philippe, « Ce que les droits culturels f(er)ont aux politiques culturelles », L'Observatoire, la revue des politiques culturelles 2017/1 (N° 49), p. 22 7 Il a notamment été vice-président du courant Rénover maintenant porté par Arnaud Montebourg en 2005.
  • 9. 9 À partir de 2011, le programme « Territoires en résidences » devient « la Transfo » et, s’il a les mêmes bases méthodologiques que le programme précédent, il s’accompagne de la création d’un « Lab », un service de design de politiques publiques directement au sein de la Région partenaire8 . Enfin, le programme « les Éclaireurs » fait une recherche prospective sur l’avenir de l’action publique, à travers des thèmes divers comme « l’évaluation engagée », « l’élu inoffensif » ou « l’archéologue administratif »9 . Toutes ses actions se revendiquent du design de politiques publiques. Nous allons donc nous intéresser à la définition de ce concept, et aux influences revendiquées par la 27ème Région. Le Design de politiques publiques : une pratique aux influences nombreuses Il est malaisé de définir clairement le design de politiques publiques. En effet, ce mode d’invention des politiques publiques est relativement récent, et n’a pas, ou peu, été théorisé en amont. C’est avant tout une démarche inductive, et c’est par le terrain, qu’a émergé la théorisation de la pratique. De fait sa définition ontologique se situe dans un flou entre pratique et praxis, entre une méthodologie et une philosophie de la méthode. Pour aller plus loin, nous allons repartir des influences, nombreuses que les designers de politiques publiques revendiquent, en commençant par les champs du design dont ils s’inspirent. Le terme de « design » ne connaît pas d’équivalent en français et sa définition reste floue. D’autant plus que dans l’imaginaire collectif, le design reste associé au seul « design d’objets », à une catégorie esthétique popularisée entre autre par Philippe Starck en France. On pourrait de façon très large définir le design comme une pratique à l’intersection entre l’ingénierie et l’art qui associe l’ergonomie, la praticité et l’esthétique. Dès les années 1960, va se développer une nouvelle forme de design, le « design de service », cette nouvelle pratique dépasse la seule conception de l’objet pour s’intéresser aux interactions. Alain Findeli, designer et chercheur à l’Université de Nîmes décrit cette démarche comme « considérer le produit et l’usager comme une sorte de système écologique où il y a l’être humain et son environnement constitué de produits. » 10 . De façon plus institutionnelle Birgit Mager, fondatrice du Service Design Network, réseau international de designers de services, définit la pratique comme tel : 8 La 27ème Région, Chantiers ouverts au public, Paris : la Documentation Française, 2015 p.237-238 9 Site de la 27ème Région : http://www.la27eregion.fr/prospective/ (consulté le 17/04/17) 10 La 27ème Région, Chantiers… op.cit. p.75
  • 10. 10 « Le design de services consiste à étudier la fonctionnalité et la formes de certains services en se plaçant du point de vue des clients. Avec comme objectif, de s’assurer que les interfaces des services sont utiles, utilisables et attrayantes pour le client, et sont propres au fournisseur. Les designers de services visualisent, formalisent et scénarisent des solutions à des problèmes qui n’existe pas nécessairement aujourd’hui ; ils observent et interprètent des besoins et schémas comportementaux et les transforment en potentiels services futurs. »11 Le design de politiques publiques tel qu’il est revendiqué par la 27ème Région, puise dans cette discipline, mais ne l’applique pas telle quelle aux services publics. En effet, leur pratique se situe à l’intersection entre design de services donc, et « design social ». Le terme de « design social » regroupe l’ensemble des pratiques de design qui prennent en compte les phénomènes sociaux, humains et environnementaux. Ce champ critique du design a notamment été développé par le designer Victor Papanek, dans son ouvrage Design for the real world. Human ecology and social change publié en 1971. Dans cet ouvrage, Papanek défend un design responsable et préoccupé par son environnement, et dénonce « la recherche [qui] se préoccupe moins de produire un objet répondant à un besoin existant que d’amener les gens à éprouver le désir de ce qui a été produit. »12 Par la suite, de nombreux designers et intellectuels vont prendre position dans ce sens, jusqu’à la création du programme de l’UNESCO « Design 21 » en 1995 qui organise des concours à destination des jeunes designers autour de thèmes sociaux13 . Au delà de la question des valeurs portées par le « design social », un apport méthodologique important est l’usage quasi systématique du codesign, notion qui « repose sur l’idée que c’est avec toutes les parties prenantes qu’un projet doit se construire, et ce, dès l’amont, donc dès la problématisation. »14 Mais les influences du design de politiques publiques tel que porté par la 27ème Région ne se limitent pas au seul champ du design, mais s’inspirent d’autres dynamiques sociales. Ainsi la première de ces influences revendiquées est celle du mouvement des hackers. Apparu à la fin des années 1970 aux Etats-Unis, le mouvement hacker se caractérise notamment par un rapport très empirique au travail et à l’invention. Plus précisément Sébastien Broca définit 11 Citation et traduction : La 27ème Région, op.cit. p.69 12 PAPANEK Victor, Design pour un monde réel (Trad. N. Josset et R. Loult), Coll. Essais, Paris : Mercure de France, 1974. p.350 13 Voir site de l’UNESCO : http://www.unesco.org/new/fr/culture/events/prizes- celebrations/prizes/design-21/ (consulté le 14/04/17) 14 La 27ème Région, Chantiers… op.cit.. p.72
  • 11. 11 « l’éthos du hacker » en trois points : un rapport au travail plus libéré car dépourvu de liens hiérarchiques ; une créativité technique stimulée et encouragée ; et une libre circulation de l’information15 . Et au delà de ces principes d’action, un état d’esprit spécifique ce dégage de ce mouvement. Étudié par le philosophe finlandais Pekka Himanen et repris par le québécois Laurent Simon16 , il se révèle en trois points : le hands on (en français « mettre la main à la pâte ») c’est-à-dire une curiosité empirique et un apprentissage par « le faire » ; l’ingéniosité et la capacité à réinterroger les modèles existants pour les améliorer, les adapter à son usage ; et enfin l’esprit de jeu qui permet de trouver un aspect ludique au travail, et de prendre du plaisir dans la résolution de problèmes. Tout ces principes d’action, et cet état d’esprit hacker se retrouve dans les travaux de la 27ème Région qui appelle à « hacker l’action publique » à travers un « piratage bienveillant »17 . Une autre inspiration invoquée est celle du mouvement Do it Yourself (DIY). Apparu lui aussi dans les années 1970, lié au mouvement hacker mais également à la recherche d’une utopie alternative au capitalisme, l’esprit DIY a été étudié par Étienne Delprat18 qui a dégagé cinq caractéristiques. La première est la mise en avant d’une logique du faire, à l’instar des hackers, le bricolage, et la « main à la pâte » sont au cœur du projet de société. La deuxième logique est une logique du re : recycler, réutiliser, réinterroger, pour améliorer ou inventer de nouveaux objets ou de nouveaux services. La troisième caractéristique, et le travail dans une « logique du co », c’est-à-dire de façon collaborative, dans un esprit de co-construction et d’échanges. Enfin les dernières caractéristiques sont un aspect esthétique « bricolé » assumé, et une portée critique qui prône le DIY et ses microrévolutions comme alternative à une révolution globale. Et là encore, on retrouve ces principes d’action dans les projets de Design de politiques publiques, par exemple avec le « prototypage rapide », dont nous reparlerons, qui est un héritage direct du mouvement DIY et qui se révèle être une étape indispensable dans les différents projets de la 27ème région. De plus, par ses méthodes et ses objectifs, la 27ème Région se rapproche des démarches de « recherche-action » issues des sciences sociales et qui prônent un chercheur impliqué dans la transformation sociale, notamment à travers la démarche d’immersion, que nous verrons de façon détaillée plus loin, et les compétences d’ethnographie qui sont mobilisées. Mais elle se 15 BROCA Sébastien « L’ethos du Libre » in Utopie du logiciel libre – du bricolage informatique à la réinvention sociale, Neuvy-en-Champagne : Le Passager clandestin, 2013 p.101-201. 16 SIMON Laurent, « Éthique hacker et management », Cahier de recherche n°05-19, HEC Montréal, 2005. 17 La 27ème Région, op.cit. p.47 18 DELPRAT Étienne, Système DIY – Faire soi-même à l’ère du 2.0., Paris : Editions Alternatives, 2013.
  • 12. 12 rapproche également des démarches de participation citoyenne, tout en prenant ses distances avec une démocratie participative détournée de ses objectifs pour n’être qu’une façon de « modifier les rapports entre fournisseurs de services et usagers/clients. »19 Ce faisant, la démarche de la 27ème Région s’inscrit dans une critique du néolibéralisme et de ses influences sur l’action publique, notamment le new public management et la « Révision Générale des Politiques Publiques »20 . Un paradigme, une pratique : quels liens ? Cette étape de définition nous a permis de mieux cerner ce qui peut rapprocher d’une part les droits culturels comme paradigme encadrant l’action publique et d’autre part le design de politiques publiques tel que porté par la 27ème Région comme méthode d’ingénierie et d’innovation publique. C’est notamment l’importance de la participation des usagers, tant dans le diagnostic que dans l’élaboration des dispositifs qui nous semble pertinente à analyser. Cette participation est inscrite à l’article 8 de la Déclaration de Fribourg dans ces termes : Toute personne, seule ou en commun, a droit de participer selon des procédures démocratiques : - Au développement culturel des communautés dont elle est membre ; - À l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des décisions qui la concernent et qui ont un impact sur l’exercice de ses droits culturels ; - Au développement de la coopération culturelle à ses différents niveaux.21 Cependant, cette participation citoyenne demande à être définie plus précisément. Ainsi, une partie de ce mémoire se basera sur l’analyse de la philosophe d’influence deweyenne Joëlle Zask. Dans son ouvrage Participer22 , Joëlle Zask propose une définition en trois parties de la participation : « prendre part ; apporter sa part ; recevoir sa part ». Nous reviendrons donc plus en détails par la suite sur les enjeux de cette trichotomie. Mais cette association entre design de politiques publiques et droits culturels, au delà de son intérêt scientifique revêt plusieurs enjeux. En effet, d’une part comme nous l’avons évoqué plus haut, les programmes de la 27ème Région peuvent être une inspiration pour mettre en pratique des droits culturels inscrits dans la loi mais encore peu mis en pratique. 19 ALLEGRETTI Giovanni, « Une refondation politique et culturelle » Le Monde diplomatique, oct. 2011 : https://www.monde-diplomatique.fr/2011/10/ALLEGRETTI/21111 (consulté le 14/04/17) 20 La 27ème Région, Chantiers… op.cit. p.114-119 21 Art. 8 Déclaration de Fribourg, 2007. 22 ZASK Joëlle, Participer – Essai sur les formes démocratiques de la participation, Coll. Les voies du politique, Lormont : Le Bord de l’Eau, 2011.
  • 13. 13 D’autre part, les pratiques de design de politiques publiques sont encore très marginales dans l’action publique, et pourraient donc trouver dans les droits culturels un appui et une légitimité juridique pour se multiplier. De façon plus générale, la question des droits culturels et sa mise en pratique nous fait entrevoir la possibilité d’un changement radical de conception des politiques publiques culturelles en France. En effet, depuis la création du Ministère de la Culture d’André Malraux en 1959, ces politiques publiques se sont distinguées par une construction très nettement descendante (ou top-bottom), décidée à Paris par les ministres et leur cabinet23 , dans une volonté de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’Humanité, et d’abord de la France au plus grand nombre possible de français. »24 Ce paradigme que l’on a, a posteriori qualifié de « démocratisation culturelle » se distingue paradoxalement par son manque de démocratie puisqu’un petit nombre d’experts professionnalisés, devient de facto détenteur de la légitimité culturelle. Pratiquement soixante ans plus tard, ce paradigme a évolué, par l’ouverture du Ministère aux arts émergents et à l’amateurisme à la faveur des alternances de 1981 et 1997, ainsi que par l’activisme de certains élus locaux (notamment maires de grandes villes) qui va impulser un dynamisme culturel local. Enfin, depuis les années 1990, on constate l’apparition dans le débat d’acteurs nouveaux issus de l’économie sociale et solidaire25 et du développement durable.26 Mais ces évolutions restent limitées, et la participation des citoyens aux politiques culturelles qui leur sont destinées reste une exception. Dans ce contexte, les apports des droits culturels comme des pratiques de design de politiques publiques apparaissent comme un possible catalyseur permettant une plus grande participation des citoyens dans l’élaboration des politiques culturelles. Nous nous demanderons donc, tout au long de ce mémoire, de quelle manière le design de politiques publiques tel que proposé par la 27ème Région permet une élaboration de services publiques plus respectueuse des droits culturels, notamment à travers la question des différentes formes de participation qu’il met en jeu. Ainsi dans un premier temps nous analyserons la reconnaissance des apports des usagers à travers le prisme cultuel, puis 23 URFALINO Philippe, L’invention de la politique culturelle, Coll. Pluriel, Paris : Fayard, 2004. 24 Art. 1 Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du Ministère chargé des Affaires culturelles 25 Voir à titre d’exemple, le Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture signé par l’UFISC en 2007. 26 L’Agenda 21 de la Culture, élaboré en 2002 sous l’égide du CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) fait ainsi de la Culture le quatrième pilier du développement durable.
  • 14. 14 dans une seconde partie, nous aborderons l’enjeu démocratique d’une co-construction des politiques publiques. 1 – Comprendre et reconnaître les apports des usagers Les politiques publiques cultivent une ambiguïté intrinsèque. Car si elles sont, en théorie, des instruments issus de la décision démocratique, le processus de bureaucratisation et de technicisation qu’elles ont subi a éloignés les citoyens de leur élaboration. Ce processus de bureaucratisation qui a été théorisé sous forme d’idéaltype par Max Weber en 192127 , repose en effet sur une autorité légale-rationnelle. Les règles qui s’appliquent à l’administration se doivent donc d’être rationnelles, écrites, impersonnelles, et l’organisation de cette dernière doit être très hiérarchisée. Dans le contexte français, ce processus de bureaucratisation a permis de consolider l’Etat, et notamment l’Etat républicain, en faisant de l’administration un instrument neutre, avec une forte séparation entre le politique et l’administratif. À l’inverse par exemple, du système étatsunien du spoil system où l’administration change à chaque alternance politique. Ce processus de neutralisation et de rationalisation va produire une administration très technique, ce qui va éloigner de la décision les citoyens. L’un des enjeux majeurs de l’intégration des droits culturels dans les pratiques d’élaboration de politiques publiques, va donc être de réintégrer les citoyens dans les processus décisionnels. Mais le premier obstacle est celui de la compétence, qui est à la base de la légitimité des fonctionnaires recrutés selon leurs compétences sur concours. Nous allons donc voir dans un premier temps qu’il est nécessaire, pour faire participer les citoyens à l’élaboration des politiques publiques, de reconnaître leurs apports et que leur expérience constitue en soi une légitimité. 27 WEBER Max, Économie et société tome 1 : Les catégories de la sociologie (1921), Paris : Plon, 2009.
  • 15. 15 1.1 – La phase immersive dans les démarches de Design de Politiques Publiques : capter les usages et représentations pour mieux les intégrer. 1.1.1 – Les étapes du Design de Politiques Publiques Comme nous l’avons vu en introduction, le Design de Politiques Publiques est à la fois une méthode, et une philosophie de la méthode. En effet, et les membres de la 27ème Région insistent beaucoup sur ce point, il n’y a pas de « méthode universelle »28 , pas de pas-à-pas applicable tel quel à tous les projets. À un problème public donné, les acteurs sollicités, les outils mis en place et les résultats produits seront bien sûr différents. On peut toutefois définir une trame méthodologique générale en cinq étapes29 . La première étape, qui nous intéresse plus particulièrement dans cette partie et donc que nous approfondirons, est celle de la « compréhension des expériences “utilisateurs“ », à travers notamment les outils issus de l’ethnographie et principalement l’immersion. La deuxième étape est celle de « l’idéation ». Elle vise à passer du constat issu de l’immersion, à la production d’idées nouvelles, de scénarios nouveaux, en stimulant la créativité des acteurs. Troisième étape : le prototypage rapide. Cette étape, import du mouvement Do it yourself, vise à tester rapidement et de façon un peu « bricolée » le nouveau dispositif imaginé lors de la phase précédente, à une échelle réduite afin d’observer si l’idée est pertinente avant d’engager tout le processus bureaucratique de mise en place. La quatrième étape consiste en la visualisation des résultats du prototypage, mais également des problèmes qui sont apparus durant le processus de réflexion. Enfin la cinquième étape vise à développer une approche systémique du problème public pour prendre du recul sur ce dernier et « faire ressortir les bonnes questions » pour développer les solutions adéquates. 1.1.2 – La phase immersive dans les programmes de la 27ème Région Comme nous l’avons dit plus haut, la première phase de tous les programmes menés par la 27ème Région est une phase de compréhension des usages. Cette première étape, consiste pour les équipes pluridisciplinaires appelés les « résidents » à s’immerger dans la problématique tant intellectuellement que physiquement. Ces équipes sont composées systématiquement, outre un ou plusieurs designers, de chercheurs en sciences humaines. Ainsi dans la série de programme 28 La 27ème Région, Chantiers… op.cit. p.144 29 ibid. p.144-146
  • 16. 16 « Transfo », deux sociologues, une psychosociologue, une chercheuse en sciences de l’éducation ou encore un anthropologue agronome ont intégré les équipes. Ces chercheurs, outre leurs connaissances et leur recul, apportent à l’équipe des outils d’ethnographie classiques de la recherche en sciences humaines comme l’observation participante, l’entretien semi- directif ou encore le questionnaire. L’objectif de cette phase d’immersion est double. Pour les « résidents » il s’agit dans un premier temps de s’acclimater à l’institution, à connaître les acteurs et les actions mises en place par cette dernière. Mais cette immersion dans l’institution permet aussi aux agents de connaître et reconnaître l’équipe de résidents. Le deuxième objectif est de rencontrer sur le terrain les acteurs et utilisateurs des services publics concernés, « aussi bien les agents et élus que les habitants, les citoyens, les acteurs associatifs, les salariés comme les entrepreneurs. »30 Et en comparant les points de vue, permettre de comprendre « comment les gens [perçoivent] l’action publique en utilisant ou non ses services, et comment il [peuvent] contribuer à la produire et à la conduire selon leurs postures. »31 Mais outre les rencontres formelles, les immersions sont également l’occasion de constat sensibles, sur des ambiances et des dynamiques. Elles permettent également de réinterroger les routines en adoptant un point de vue extérieur. 1.1.3 – La recherche-action, origine théorique de l’immersion Pour appuyer sa démarche immersive, la 27ème Région revendique s’inspirer de la recherche-action. Derrière ce terme de « recherche-action », se cache une myriade de définitions, de méthodes et de soubassement théoriques. Dans le Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Alexia Morvan donne une définition minimale : « les théorisations de la recherche-action considèrent l’expérience, l’action (ou l’activité) comme source de connaissance et assument une posture d’engagement du chercheur dans la transformation de la réalité (ou d’efficacité pratique de la recherche). »32 Les chercheurs pratiquant ces méthodes vont donc à rebours de l’épistémologie des sciences sociales qui demande d’établir une distance entre le chercheur et son sujet. On peut par ailleurs, comme le 30 La 27ème Région, Les Villages du Futur – Projection collective et créative dans les territoires de Bourgogne, Paris : La Documentation Française, 2016 p.31 31 Ibid. 32 MORVAN Alexia, « Recherche-action », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris : GIS Démocratie et Participation, 2013, Disponible sur : http://www.dicopart.fr/fr/dico/recherche-action (consulté le 04/05/17)
  • 17. 17 fait Morvan distinguer d’une part les chercheurs-praticiens qui s’inscrivent dans un courant plutôt anglo-saxons, d’influence deweyenne et qui font dépendre la valeur d’une théorie scientifique à son efficacité pratique. En somme, ces chercheurs préfèrent l’action à la recherche. Le deuxième courant est lui plutôt d’inspiration marxienne, appelé recherche impliquée ou « recherche-action participative », c’est ce courant qui inspire la 27ème Région. L’objectif des chercheurs de ce modèle est de permettre, par l’implication des sujets dans la recherche, une stimulation de leur pouvoir d’agir. Il n’est donc pas étonnant que ces dispositifs se soient développés en premier lieu sur des terrains propices à la critique sociale. Du point de vue épistémologique, ces modèles revendiquent une forme de « démocratie épistémologique »33 et une coproduction des savoirs. Ce modèle de recherche impliquée va par ailleurs trouver écho dans les domaines de l’éducation populaire et des sciences de l’éducation. Enfin, par son objectif intrinsèque d’émancipation des individus, il n’est pas étonnant de voir que le Réseau Culture 21 et l’IIEDH ont lancés en juin 2016 une recherche-action autour de la question des droits culturels comme levier pour développer le pouvoir d’agir34 . Cette démarche a impliqué non seulement des chercheurs comme Patrice Meyer-Bisch et Jean-Pierre Worms, mais également de nombreux agents des collectivités concernés par la démarche Paideia, ou encore des artistes. Et son objectif était clairement de transformer l’action publique dans un sens plus favorable aux droits culturels et stimulant le pouvoir d’agir. 1.1.4 – L’immersion dans les programmes de la 27ème Région : exemples Comme nous l’avons vu plus haut, la phase d’immersion est systématiquement la première étape à tous les programmes de résidence menés par la 27ème Région. Nous allons donc voir plus précisément quelles ont été les conditions d’immersion dans trois résidences. Les deux premières ont fait partie du programme « Territoires en Résidences », et sont des résidences courtes de trois fois une semaine. La troisième démarche présentée fera, elle partie du programme « La Transfo », qui consiste en des résidences plus longues qui visent à mieux intégrer les agents des Régions concernées afin d’engager la mise en place d’un service d’innovation par le design dans les Régions. 33 Ibid. 34 Voir le site du réseau Culture 21 : http://reseauculture21.fr/blog/2016/06/14/les-droits- culturels-un-levier-pour-developper-le-pouvoir-dagir-2/ (consulté le 04/05/17)
  • 18. 18 Territoires en résidences : Vers un campus ouvert à Revin (Champagne-Ardenne)35 La résidence « Vers un campus ouvert » a eu lieu en 2009 à Revin, au Nord de la région Champagne-Ardenne, près de la frontière belge. L’équipe de résidents était composée de Matthew Marino et Denis Pellerin, designer au sein de l’agence User Studio et Elise Duvignaud, programmiste architecturale. Ils étaient encadrés par François Jegou, designer et directeur scientifique extérieur de la 27ème Région, et par Romain Thévenet, designer également, et responsable du programme pour la 27ème Région. L’objectif de la résidence, la première du programme « Territoires en résidences », était d’entamer une réflexion sur les nouveaux usages du lycée Jean Moulin, à Revin. En effet, le lycée, sis dans des bâtiments vétustes, connaît une baisse des inscriptions et des difficultés de fonctionnement, du fait du déclin de ce territoire au passé industriel. L’objectif est donc d’imaginer avec les acteurs du lycée, des solutions à la fois pour améliorer le quotidien immédiat des élèves, mais également pour enrichir le projet de reconstruction du lycée prévu quatre ans plus tard. Comme pour toutes les résidences de ce programme, les résidents ont été immergé trois fois une semaine au sein du lycée. C’est particulièrement la première semaine qui va nous intéresser dans un premier temps, puisqu’il s’agit de la mise en exergue d’une problématique issue des rencontres avec les « habitants du lycée ». Du point de vue méthodologique, les résidents ont donc vécu véritablement dans le lycée pendant trois semaines. Dormant à l’internat, mangeant à la cantine, partageant le quotidien de tous les acteurs du lycée : élèves, professeurs, personnels administratifs, personnels TOS… Mais l’équipe est également sortie du lycée pour rencontrer les associations présentes aux alentours, et les différents acteurs du quartier. Au fil des rencontres et des discussions - spontanées ou plus organisées - se met en place une relation de confiance et une « conversation continue » pendant toute la durée du projet. Pour enrichir les conversations, l’équipe met en place des « Cartes chances » qui interrogent les lycéens sur le mode « Si je pouvais… » : dépenser 500 euros pour le lycée ; organiser une journée au lycée ; aménager le lycée pour d’autres élèves… 35 La 27ème Région, Livret de restitution de résidence « Revin, vers un campus ouvert », 2009. Disponible en ligne : http://www.la27eregion.fr/cas-pratiques/le-campus-ouvert/ (consulté le 07/05/17)
  • 19. 19 À partir de ces rencontres, une cartographie d’acteurs est créée afin de visualiser les relations entre les différents « habitants du lycée ». Figure 1 : Cartographie des habitants du lycée Jean Moulin à Revin - Crédits : la 27ème Région Suite à ces conversations, deux enjeux majeurs vont être mis au cœur de la résidence : « améliorer l’image du lycée, perçu comme un lycée où il ne fait pas bon faire ses études, et reconnecter le lycée avec son environnement ». C’est à partir de ces réflexions que la thématique du « Campus ouvert » va émerger et devenir le fil conducteur du projet. Puis, à partir des discussions, et de l’identification des acteurs, des Histoires projectives » vont être créées par les résidents, sous forme de témoignages fictifs présentant différentes visions d’un Campus ouvert. Ces « histoires projectives », présentées aux acteurs du lycée a permis de les faire réagir, entamant des nouvelles discussions pour engager la phase d’idéation, transformant des visions du lycée, en projets concrets.
  • 20. 20 Territoires en résidences : Les nouveaux usages de la médiathèque à Lezoux (Auvergne)36 Il nous paraît intéressant de compléter la présentation précédente par la présentation d’une autre résidence du programme « Territoires en résidences », concernant la création d’une médiathèque à Lezoux. En effet, ce projet diffère du précédent à plusieurs titres. D’une part car le « lieu physique » au cœur du projet n’existe pas au moment de la résidence, une multitude de lieux et d’espaces vont donc être arpentés par les résidents, à l’inverse du projet précédent centré autour du lycée. De fait donc, les méthodes d’immersion sont différentes, et permettent ainsi d’enrichir notre réflexion. Enfin, le thème de la lecture publique, plus proche des conceptions classiques des politiques culturelles nous permettra de mieux comprendre l’intérêt de cette démarche, puisqu’elle concerne un domaine que nous connaissons mieux. La résidence a donc été menée entre juin et novembre 2012 à raison de trois fois une semaine. L’équipe de résidents était constituée de Damien Roffat et Adrien Demay, designers et fondateurs du cabinet Design-Territoire-Alternatives ; d’Elisa Dumay, sociologue, médiatrice culturelle et directrice de l’association De l’Aire qui entre autre met en place des projets créatifs et participatifs d’aménagement du territoire ; de Blandine Scherer, sociologue et spécialiste en « collecte et valorisation d’histoires de vie », et enfin l’équipe est complétée ponctuellement par Stéphane Vincent, le directeur de la 27ème Région. Le projet prend place au sein de la communauté de communes entre Dore et Allier dans le département du Puy-de-Dôme, et particulièrement dans la ville principale de Lezoux. Nous sommes dans un territoire entre rural et péri-urbain, situé dans la lointaine banlieue de Clermont-Ferrand. La communauté de communes a sollicité la 27ème Région dans le cadre de la création d’une médiathèque intercommunale à Lezoux sui vise à remplacer les 12 bibliothèques communales du territoire qui sont toutes gérées bénévolement et qui peinent à trouver leur public (3,5% de la population est touchée par leur action, contre 18% en moyenne nationale). Comme précédemment, nous allons particulièrement nous intéresser à la première semaine de résidence, consacrer à l’exploration du territoire par l’immersion. Contrairement à la démarche de Revin, la résidence de Lezoux a été menée dans un territoire « ouvert », la question des méthodes pour rencontrer les habitants a donc été primordiale. L’équipe de résidents s’est donc installée à Lezoux, ville-centre de la communauté de communes, en investissant le « Point Info Tourisme », au cœur de la ville pour en faire son quartier-général. Mais également, en 36 La 27ème Région, Livret de restitution de résidence « Les nouveaux usages de la médiathèque, penser les médiathèques de demain », 2012. Disponible en ligne : http://www.la27eregion.fr/cas-pratiques/les-nouveaux-usages-de-la-mediatheque/ (consulté le 07/05/17)
  • 21. 21 investissant le trottoir, pour faire sortir la démarche et « installer symboliquement la médiathèque sur la place publique ». Cette installation va permettre des rencontres informelles avec les habitants, communiquer autour du projet par le bouche-à-oreille etc. Une première rencontre formelle est organisée sous la forme d’une « foire aux expériences » conviviale. L’objectif ici, est de présenter rapidement une vingtaine d’expériences inspirantes issues du monde entier, en mobilisant la méthode du « pecha kucha. »37 Cette première rencontre permet d’une part de faire connaissance avec les habitants, et de déclencher des premières réactions, des premières discussions sur les valeurs de la future médiathèque. Les résidents ont ensuite rencontré les bénévoles des bibliothèques communales, pour écouter leurs espoirs (la possibilité d’élargir le fond…), et leurs craintes (être exclus du nouveau projet…). Puis les résidents sont allés à la médiathèque départementale de prêt pour se rendre compte des enjeux logistiques complexes à l’œuvre. Au fur et à mesure de ces rencontres, un « mur d’analyse » composé de post-it émerge. Il reprend à la fois les initiatives innovantes présentées plus tôt, les constats des agents, les idées et réflexions récoltées tant durant les moments consacrés que dans les conversations informelles… Figure 2 : Mur d'analyse du projet de médiathèque de Lezoux - Crédits : la 27ème Région 37 Type de présentations orales concises sous forme d’un « Power Point » de vingt slides se succédant toutes les 20 secondes, obligeant le présentateur à être concis et dynamique.
  • 22. 22 Ce mur va être enrichi lors de la restitution publique de la première semaine, grâce à des méthodes de participation et de réflexion collectives. Ainsi, les résidents vont demander au public présent d’écrire ce que représente pour eux une médiathèque en seulement trois mots, qui ont par la suite été lus à haute voix. Puis, les réactions des habitants ont été stimulées par l’utilisation de cartes questions du type « Vous entrez dans une médiathèque en 2040, que voyez-vous ? », « Quels types d’événements la médiathèque pourrait-elle accueillir ? ». À l’issue de cette semaine de travail, les résidents ont pu faire émerger des « valeurs » souhaitée pour la médiathèque : citoyenneté, développement et mise en valeur des cultures locales, pédagogie active et ouverture culturelle. Et de façon plus concrète, ils ont pu décliner ces valeurs en principes d’action : pratiques numériques créatives, fonds participatifs, échanges de savoir-faire… Ces principes d’action vont par la suite eux-mêmes être déclinés en projet-tests dans une phase d’idéation. La Transfo : Les Villages du Futur en Bourgogne38 Le troisième et dernier exemple de phase d’immersion que nous allons présenter fait partie du deuxième programme de la 27ème Région appelé « la Transfo » que nous avons présenté plus haut. Cette résidence a eu lieu entre juillet 2011 et mars 2013 dans la région Bourgogne et avait pour thématique la ruralité et plus précisément la question des villages et de leur avenir. L’équipe de résidents était composée de Yoan Ollivier et Grégoire Alix-Tabeling designers de service et fondateurs de l’agence Plausible Possible ; Fanny Herbert, sociologue spécialisée dans le monde rural et dans les démarches participatives ; Laura Gorre, anthropologue spécialiste des projets d’aménagement publics et Romain Thévenet. Et tout au long de la démarche, des spécialistes qu’ils soient du monde du design ou des sciences humaines sont venus apporter de façon ponctuelles leurs compétences et connaissances. La phase d’immersion a duré un an, de septembre 2011 à 2012 mais les temps d’immersion des résidents ont été discontinus pendant cette période. La première étape d’immersion a été de s’immerger dans l’administration du Conseil Régional, comprendre son fonctionnement, ses dynamiques et ses acteurs. La dimension par nature transversale de la thématique choisie a poussé les résidents à travailler plus particulièrement 38 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit.
  • 23. 23 avec les agents de la DATH39 , et ont ainsi intégré une dizaine d’agents du service dans l’immersion. Puis, afin de prendre la mesure des enjeux dans un territoire aussi vaste que la région Bourgogne, et comprendre quelle représentation du territoire avaient les agents, l’équipe a organisé des « ateliers de cartographie », mêlant données empiriques et réactions sensibles. Des entretiens semi-directifs sont également menés auprès des agents pour enrichir la réflexion, connaître leurs attentes, la vision qu’ils ont de leur métier… L’autre face de l’immersion, est bien évidemment l’immersion dans les différents villages bourguignons. Une quarantaine d’entre eux seront arpentés, ils ont été choisis pour former un panel représentatif des différentes réalités du territoire. Durant ces visites, les résidents et les agents de la Région vont mettre en place différentes méthodes pour récolter les paroles et visions des acteurs locaux, mais aussi les dynamiques et signes visibles de déclin : déambulation libre, stand sur le marché, « safari photo », entretiens longs avec les acteurs locaux (commerçants, directeurs d’écoles, médecins...). Dans des moments de rencontre plus institutionnalisés, des outils comme les « cartes à réaction », les entretiens collectifs autour de photographies ou les parcours commentés, sont mobilisés pour susciter une réaction sensible, qui stimule l’imaginaire et la créativité des participants. La diversité, tant des méthodes que des regards, a permis de dégager des problématiques, et des dynamiques à l’œuvre sur le territoire. À partir de ces dynamiques et « signaux faibles », une typologie de « villages extrêmes », scénarii exagérés des différents types de villages du futur va être créée par les résidents. Parmi cette dizaine de villages on va trouver : « le village prison », « le village des vieux jours », « le village hors-ondes », « le village fantôme », … Ces projections, parfois absurdes, parfois catastrophiques, parfois positives, permettent à la fois d’inspirer et de souligner les garde-fous à mettre en place, les dynamiques à endiguer ou celles à soutenir… Ces projections, point d’orgue de la résidence vont servir de base pour l’étape d’idéation et de proposition de solutions et de projets concrets. 39 Direction Aménagement du Territoire et Habitat
  • 24. 24 Figure 3 : Atelier avec habitants et élus au cœur d'un village – Crédits : La 27 ème Région À la suite de ces trois exemples qui nous ont montré concrètement comment se passent les phases d’immersion dans les résidences de la 27ème Région, et quels pouvaient être les apports des participants, usagers, agents, élus dans ces démarches, nous allons maintenant nous demander quelle valeur peut-on donner à ces immersions. Peut-on vraiment parler de participation ? En effet, les usagers/habitants/citoyens sont questionnés, interrogés, donnent leurs avis et leurs réflexions, mais peut-on considérer cette démarche comme de la participation ? 1.2 - L’usager est-il un participant ? Dans son ouvrage Participer, Joëlle Zask décline la participation en trois volets : prendre part, apporter sa part, recevoir sa part. Nous allons donc nous poser la question suivante : les agents et usagers qui organisent et utilisent un service public, y participent-ils ? Si la réponse est plus simple à trouver dans le cas des agents qui travaillent dans le service, même si, comme nous le verrons dans la seconde partie de ce mémoire, les administrations sont
  • 25. 25 des institutions difficiles à faire évoluer. En revanche, en ce qui concerne les usagers, une réponse positive n’a rien d’évident a priori. 1.2.1. Les formes classiques de la participation de l’usager De façon minimale, usager lambda participe aux services publics qu’il utilise, déjà par le principe de redistribution de l’Etat-Providence. Il « apporte sa part » de prélèvements obligatoires pour « recevoir sa part » sous la forme de services publics, et ainsi « prends part » à la communauté nationale. De même, on peut considérer que l’usager participe à la prise de décision qui affecte ses politiques publiques par la démocratie représentative : « prenant part » aux élections, il « apporte sa part » sous la forme d’un bulletin de vote et peut ainsi « recevoir sa part » en profitant de politiques publiques mises en place par ceux qu’il a élu, et donc potentiellement conforme à ses convictions. Or, on peut constater que ce modèle de participation a des défauts. D’une part, et comme l’a montré Anthony Downs dans un modèle économique resté célèbre, d’un point de vue strictement rationnel, les individus n’ont pas intérêts, à l’issue d’un calcul coût-avantage à aller voter, leur voix individuelle ayant peu de chance de faire basculer l’élection40 . D’autre part, la technicisation de l’administration mais aussi la professionnalisation du personnel politique ont rendu la représentation des mandants par leur mandataire de plus en plus ténue, et le pouvoir des citoyens à agir sur leurs politiques publiques de plus en plus faible. Ce modèle de participation par le vote est donc de plus en plus contesté, et faveur d’une démocratie plus « participative » où les citoyens/usagers auraient plus leur place. 1.2.2. « Prendre part », pour participer. Prendre part pour Joëlle Zask se définit comme être membre d’un groupe dans « une configuration où les participants d’un côté et les activités auxquelles ils participent de l’autre sont conditionnés mutuellement et ne peuvent pas être séparés »41 . Ainsi, l’exemple que la philosophe va donner, est celui d’un groupe de randonneurs : des individus disparates, qui peuvent être hétérogènes socialement ou culturellement mais qui se rassemblent pour une activité commune, la randonnée. Sans randonnée, il n’y aurait donc pas de randonneurs, et inversement. Mais cette définition minimale se doit d’être enrichie, en effet dans ce cas il n’y a 40 DOWNS Anthony, Une théorie économique de la démocratie (1957) (Trad. P-L. Van Berg), Coll. UBLire, Bruxelles : Université de Bruxelles, 2013. 41 ZASK Joëlle, op. cit. p.44
  • 26. 26 pas de lycée sans lycéens, on peut donc considérer que les lycéens prennent part à la vie de leur lycée en allant en cours, ce qui nous donne une définition assez faible de la participation. Joëlle Zask va donc ajouter d’autres dimensions à sa définition, tout d’abord en distinguant « prendre part » de « faire partie ». En effet, dans le second cas (« faire partie d’une famille, d’un clan, d’une nation »)42 , le groupe préexiste à l’individu. À l’inverse donc du « prendre part » où l’association est le résultat d’une mise en commun des aspirations individuelles. Ainsi, pour reprendre l’exemple des lycéens, en effet s’il n’y a pas d’élève le lycée ferme, mais pour autant ça n’est pas le rassemblement volontaire et spécifique de jeunes gens souhaitant étudier qui a mené à l’ouverture du lycée et à son organisation. L’entité et le concept de lycée préexiste donc aux lycéens. Une autre dimension de la définition du « prendre part » est ce que Joëlle Zask appelle « l’interdépendance entre individualité et activités conjointes ». D’une part, les individus qui prennent part à l’activité d’un groupe ne sont pas des anonymes qui n’apportent rien de plus que leur présence, mais apportent leur individualité. Ils enrichissent ainsi le groupe de leur subjectivité, ce qui va être déterminant pour singulariser la part qu’ils vont apporter dans la définition et le modelage du commun. Ce commun, ces activités conjointes enrichies des expériences de chacun de ses participants, va également impacter les individus. En effet, si les participants enrichissent de leur présence les activités communes, l’exercice de des activités va enrichir en expériences les participants. Il nous paraît important de souligner à ce stade qu’une activité conjointe ne va pas produire des expériences identiques à tous les individus. En effet, de la même manière que chacun enrichit le commun de sa subjectivité, l’exercice des activités conjointes va produire une pluralité d’expériences subjectives et individuelles. La notion « d’expérience » étant comprise ici au sens que lui donne John Dewey, c’est-à-dire comme « un processus déployé dans le temps qui consiste pour un sujet à reconstruire sa propre unité après avoir été en quelque sorte scindée. »43 En clair, l’expérience est vue comme l’intégration dans la linéarité de l’existence d’un ensemble d’événements qui l’ont rompue et de leurs conséquences. 1.2.3. L’immersion, un moyen de créer du « prendre part » Nous l’avons vu, la participation est au centre des démarches de design de politiques publiques, et particulièrement dans les programmes de la 27ème Région. Et en effet, il nous 42 Ibid. p.17 43 Ibid. p.48
  • 27. 27 semble que, particulièrement durant la première phase d’immersion, décrite plus haut, les résidents agissent sur la capacité des usagers et agents à « prendre part » à l’élaboration de leurs politiques publiques. Pour reprendre l’exemple du lycée, nous avons vu que de manière générale, on peut dire que les lycéens, professeurs et personnels administratifs « font partie » d’un lycée. Or, lors du programme « Territoires en Résidences » mené au lycée de Revin, les résidents par leur action ont transformé ce « faire partie » en « prendre part ». On peut décomposer cette transformation en plusieurs temps, qui ne sont pas forcément chronologique ou clairement séparés. Le premier temps consiste à souligner l’existence d’une « communauté d’usage » regroupant aussi biens les usagers que les agents (lycéens, enseignants, surveillants…). Cette activation découle de la présence même des résidents et de la multiplicité de leurs interlocuteurs. Au fil de leurs entretiens, ils peuvent établir une cartographie des acteurs, et repérer mais aussi faire repérer aux individus, leur appartenance à une « collectivité du lycée » à laquelle ils « font partie ». Le deuxième temps consiste, toujours par les entretiens, à subjectiver cette « communauté d’usage », c’est-à-dire à transformer un ensemble anonyme d’usagers et d’agents en individus sensibles qui peuvent partager leur expérience du lycée. Cette subjectivation de la communauté va s’illustrer par l’utilisation de « cartes à réaction » pour stimuler la parole des interrogés, puis par la création de témoignages fictifs et projectifs reprenant les résultats des discussions précédentes. Enfin, à la suite de cette subjectivation, les résidents vont s’inspirer de ces expériences partagées pour proposer des solutions, et ainsi impacter l’expérience du lycée qu’ont les acteurs de l’établissement. Ici, c’est la création de « cartes-solutions » proposant des projets concrets, qui va être utilisée. C’est par ailleurs le début de la phase d’idéation qui va permettre aux usagers de véritablement « apporter leur part ». Mais la question qui se pose maintenant est la suivante : à quoi les usagers « prennent-ils part » ? En effet, on peut se demander si les usagers participent à la résidence, à l’immersion, ou bel et bien à l’élaboration de leurs services publics. Ici, la réponse ne peut pas être uniforme selon les expériences. Car si, en effet à la base, tous participent à une résidence, à un programme spécifique, c’est le futur de ce qui va sortir des résidences, et la pérennité, tant de la méthode que des projets qui vont définir le degré de participation effective des usagers. 1.3 – Intégrer les usages pour reconnaître la pluralité des humanités Nous venons de le voir, inviter les usagers à prendre part à l’élaboration des services publics les concernant implique pour ces derniers d’intégrer l’expérience des usagers. C’est ici
  • 28. 28 que se fait véritablement le lien avec les droits culturels. En effet, on peut considérer que les usages d’un service public sont des éléments constitutifs de notre culture. 1.3.1. L’usage comme corollaire à son expression culturelle La définition de la culture utilisée dans la Déclaration de Fribourg le montre bien : est culturel tout ce qui permet à l’individu d’exprimer son humanité. On peut dès lors poser la question des usages en terme culturels à travers deux angles. Le premier angle, consiste à considérer l’usage que l’on fait d’un service public comme un corollaire de notre culture. Pour illustrer cette assertion, nous allons prendre le contrepoint du non-usage des services publics. On peut ainsi prendre l’exemple de la « lutte contre la pauvreté » présentée par Patrice Meyer-Bisch comme un domaine où une approche en terme de droits culturels serait un levier efficace44 . Pour cela, il part d’une définition de la « pauvreté culturelle ». Bien sûr cette pauvreté culturelle n’est pas invoquée dans une vision normative. Patrice Meyer-Bisch la définit ainsi : « une personne est culturellement pauvre dans la mesure de la faiblesse et de la rareté de ses liens ».45 L’individu pauvre, coupé de tous liens se trouve dans une double situation de dénuement et de désœuvrement empêchant à la fois la reconnaissance de sa propre humanité, mais aussi de son utilité sociale. Dès lors l’individu pauvre se retrouve dans l’impossibilité d’avoir recours à des ressources externes46 . C’est, selon Patrice Meyer-Bisch ce qui explique l’échec de toutes les politiques publiques visant à lutter contre la pauvreté en cherchant à régler seulement les difficultés matérielles de façon plus ou moins ponctuelles. À l’inverse, les politiques dites de housing first consistent à louer gratuitement un logement autonome à des individus sans domicile fixe, et ce comme préalable à une réinsertion dans la vie sociale47 . Cette première étape permet ainsi à l’individu de recréer du lien, et petit à petit de sortir de son dénuement culturel. Et c’est en sortant ainsi de sa pauvreté culturelle que l’individu va avoir la capacité de faire les démarches pour avoir accès aux autres aides publiques. Dans le cadre des projets que nous avons étudié, cette question de l’usage comme corollaire à son expression culturelle nous semble particulièrement pertinente dans le cadre du 44 MEYER-BISCH Patrice, Le droit de participer à la vie culturelle, premier facteur de liberté et d’inclusion sociale, in : Le rôle de la culture dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, 2013, Bruxelles, Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Service général de la Jeunesse et de l’Education permanente, No19, pp. 53-76. 45 Ibid. p.56 46 Ibid. p.61 47 KAAKINEN Juha, « Mettre fin au sans-abrisme en Finlande », Vie sociale et traitement, ERES, 2014/2 (n°122), p.115-120.
  • 29. 29 programme de Transfo « les villages du futur » en Bourgogne. Dans ce programme, il n’est pas question d’un seul service public, mais d’un territoire rural particulier : les villages. L’objectif étant de faire un travail de prospective afin d’imaginer quelle pourrait être l’action de la Région sur ces territoires. Au cours de l’immersion, une typologie de « villages extrêmes » va être créée. Cette typologie exacerbe les différentes formes d’usage des villages, ces dernières étant très liées aux populations qui habitent ces territoires. Dans cette typologie de seize scénarii décrit sous le mode publicitaire, on trouve par exemple le « Village ultraconnecté » : « Les avantages des techniques de pointe de sont pas forcément réservés aux centres urbains. Les villages ultraconnectés offrent des possibilités grandissantes d’organisation de séminaires, de conférences et autres activités professionnelles grâce à leur équipement technique dernier cri. De grands espaces à prix de location raisonnable, de grands bureaux aux connectiques ultraperfectionnées permettent la communication à distance avec n’importe quel point du monde. La qualité de l’hébergement et de la restauration, qui ont néanmoins su garder leur charme authentique, assure à ces villages high-tech une fréquentation en hausse de la matière grise internationale, qui en raffole ! »48 Ce scénario extrême, amplifie ainsi les signaux faibles de l’installation dans les villages de néoruraux, professions intellectuelles supérieures, pratiquant le télétravail. Ces habitants, qui cherchent dans les villages un cadre de vie plus agréable, ont tout de même besoin d’une connexion internet haut-débit de qualité, et vont être à la recherche d’un compromis entre authenticité de la vie rurale, et praticité de la vie urbaine. Leur usage du village, et des services publics que les collectivités proposent va donc être très spécifique. 1.3.2. L’usage comme partie intégrante de notre identité culturelle Nous venons de le voir, l’usage ou le non-usage qu’un individu fait d’un service public, mais aussi ses attentes quant à l’évolution de ce service dépend en partie de son identité culturelle. Mais il ne faut pas négliger un autre aspect de la question de l’usage à travers le prisme de l’identité culturelle, l’usage d’un service public comme une partie intégrante de son identité culturelle. Cette intégration du service public dans son identité culturelle, est bien sûr très forte dans le cas d’institutions semi-totales49 comme l’école ou le lycée où l’usager voit son identité culturelle 48 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit, p.114 49 Nous reprenons ici la définition d’Erving Goffman de l’institution totale comme « lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse
  • 30. 30 fortement marqué par l’institution. Sa qualité de lycéen occupe chez l’individu une place importante dans la définition de son humanité et de sa place dans la société, ainsi, que les rapports qu’il entretient avec l’institution, et les différents usages qu’il fait de celle-ci. Mais cette relation d’identification entre l’individu et le service public qu’il utilise peut être élargie à l’ensemble des services publics. Elle est bien sûr d’autant plus forte que l’usage est volontaire et non subi. Il semble en effet plus simple de se définir comme usager d’une médiathèque que comme allocataire du RSA. Cette définition que l’on fait de son humanité est également variable selon les contextes. Par exemple, lors d’un « comité de ligne » mis en place par la Région pour consulter les usagers d’une ligne de TER, chacun aura tendance à se définir selon son usage de la ligne de chemin de fer. De même lors d’un mouvement social, par exemple d’intermittents du spectacle ou de chômeurs, ces derniers vont mettre en avant cette identité de cotisant au régime des intermittents, ou d’allocataires de l’assurance chômage. Étudier les usages des individus, permet donc d’accéder à une facette de ce qui constitue leur identité culturelle, sans pour autant bien sûr que cet usage ne définisse l’ipséité de l’individu. Les équipes de résidents de la 27ème Région, par leur immersion permettent de révéler ces usages, et de rencontrer non seulement ceux qui ont véritablement intégré et exprimé cet usage comme part de leur identité, mais également les usagers chez qui cette facette n’a pas été mise en avant a priori. Ce qui a pour effet d’une part de capter les usages de façon bruts, seulement déformés par le regard du sociologue qui l’observe, et donc de reconnaître les expressions culturelles dans leur forme la plus pure, au delà de leur verbalisation et intellectualisation par l’individu. Enfin, cela permet d’élargir le champ des participants, et donc d’enrichir la réflexion menée avec les usagers. Nous avons donc vu que la phase d’immersion était le cœur des programmes de design de politiques publiques menés par la 27ème Région. Par ces immersions, les designers permettent aux usagers de véritablement « prendre part » aux projets qui les concernent en témoignant de leur expérience. Se faisant, ces démarches permettent la reconnaissance d’une pluralité d’expériences sensibles du service public, et donc d’une diversité culturelle. Nous sommes donc dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (GOFFMAN Ercing, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris : Les éditions de Minuit, 1979. p.41) L’institution scolaire, lorsque l’enfant rentre chez lui à la fin de la journée, ne peut donc prétendre totalement à cette définition, nous lui préfèrerons donc le terme d’institution « semi- totale ».
  • 31. 31 bien dans l’esprit de la Déclaration de Fribourg, dont la reconnaissance de ces différentes humanités constitue les fondations. On pourrait donc considérer que le fait qu’il existe un « prendre part » constitue en soi une participation à l’élaboration des politiques culturelles, telle que le suggère la Déclaration de Fribourg. Mais comment aller plus loin dans cette participation ? Comment faire passer l’usager d’un participant « passif » que l’on consulte à un participant « actif » qui co-construit les politiques publiques, et qui en somme « apporte sa part » à l’édifice ? C’est ce que nous tâcherons de voir dans la seconde partie de ce mémoire.
  • 32. 32 2 – La co-construction des politiques publiques, un nouvel enjeu démocratique Au delà du « prendre part », nécessaire préalable à toute participation des usagers puisqu’il permet la reconnaissance d’une communauté d’usage et d’une capacité d’influence de ces derniers, il nous apparaît nécessaire de mettre en place les conditions permettant aux usagers de véritablement « apporter leur part ». Nous verrons donc dans un premier temps quels sont les enjeux démocratiques de cette facette de la participation, puis dans un deuxième temps nous verrons quels outils sont utilisés par la 27ème Région pour stimuler cet apport. Enfin, nous nous interrogerons sur l’utilisation de ces outils pour dépasser la démocratie participative et la repenser dans une approche respectueuse des droits culturels de chacun. 2.1. « Apporter sa part », ou l’enjeu démocratique d’une « administration ouverte »50 Au delà de la question du respect des droits culturels, la participation des individus à l’élaboration des politiques publiques qui les concernent relève d’un enjeu démocratique fort, celui « d’ouvrir » l’administration. Nous verrons donc successivement la dichotomie entre « société ouverte » et « société close » proposée notamment par Bergson et Popper, et comment l’administration s’inscrit dans cette dichotomie. Puis nous verrons comment les outils du design peuvent permettre « l’ouverture » de cette administration. 2.1.1. Distinguer « sociétés ouvertes » et « sociétés closes » Nous l’avons vu plus haut, l’usager, quel qu’il soit, participe d’une certaine manière à l’élaboration de ses politiques publiques par le vote, et l’élection de représentants qui eux vont engager une action publique. Mais cette participation est bornée, très limitée aux règles de la démocratie représentative. La part apportée par le citoyen sous forme de vote, reste minime. Pour Joëlle Zask, on ne peut même pas vraiment parler de participation dans ces cas là. En effet selon elle, le contributeur doit avoir la possibilité de changer les règles même de sa participation. Elle indique : 50 Cette partie se base principalement sur le chapitre II.1 de l’ouvrage de Joëlle Zask Participer, et intitulé « société close et société ouverte : qui contribue ? » p.117 à 126.
  • 33. 33 « […] que les individus participent à un groupe dont les fins, les méthodes et les intérêts sont déterminés d’avance, voire incarnés dans sa structure institutionnelle, permet certes de s’affilier […] mais borne la participation dans des limites telles que le groupe, ou certains de ses constituants ne peut guère être modifiés. Quand l’institué est de nature à empêcher l’instituant, prendre part et contribuer sont dissociés, et l’une des conditions essentielles de la démocratie comme mode de vie personnel est gravement absente. »51 L’objectif est donc à la fois de conserver les structures de base du groupe, à travers le prendre part, tout en permettant une certaine souplesse dans les finalités de celui-ci par la contribution de chacun. Cette différence de degré dans la capacité des contributeurs à modifier les règles de leur contribution, participe à la définition d’une dichotomie entre « société ouverte » et « société close ». Cette dichotomie a été pensée à l’origine par le philosophe Henri Bergson. Bergson va ainsi dissocier les sociétés closes qui sont soumises aux tabous, aux superstitions. Très hiérarchisées, et statiques les sociétés closes sont également refermées sur elles-mêmes. À l’inverse, les sociétés ouvertes sont plus favorables à l’individu, à la créativité, à l’intuition. Elles s’avèrent plus dynamiques, plus libres, et plus démocratiques.52 Cette dichotomie va être reprise et enrichies par les philosophes libéraux, parmi lesquels Friedrich Hayek et surtout Karl Popper. Pour ce dernier, les sociétés closes se distinguent par leur structure qui intrinsèquement est pensée pour enserrer l’individu53 , l’empêcher de penser par lui même et de prendre des initiatives. Caractérisées par un certain obscurantisme, « la société ”fermée” repose sur des valeurs et des fins qui ne sont pas questionnées mais font autorité. »54 . À l’inverse donc des sociétés ouvertes qui favorisent la recherche, aussi bien individuelle que collective de ses propres fins et de ses propres moyens de les atteindre. 2.1.2. L’administration publique, une « institution close » ? En reprenant les définitions que nous venons de voir, et en effectuant un changement d’échelle, nous pouvons analyser les institutions de la même manière. Nous pouvons ainsi définir des « institutions ouvertes » qui permettent la contribution de ses membres à la définition réelle des objectifs, et des moyens pour les atteindre de façon libérée des tabous et 51 ZASK Joëlle, op.cit. p.118 52 BERGSON Henri, Les deux sources de la morale et de la religion (1932), Paris : PUF, 2008. 53 POPPER Karl, La Société Ouverte et ses ennemis (1945), Paris : Seuil, 1979. 54 ZASK Joëlle op. cit. p.120
  • 34. 34 des croyances. À l’inverse, on peut définir les « institutions closes » comme des espaces sociaux gouvernés par des valeurs intouchables, des croyances qui définissent les fins de l’action commune, et les moyens pour y parvenir. Dès lors, qu’en est-il de l’administration publique ? Par ce terme, très générique, nous désignerons l’institution idéal-typique de création et de mise en place des actions publiques. Si l’on reprend la définition de Max Weber, l’administration semble être protégée de la « fermeture » car les règles qui dirigent son action se basent sur une légitimité légale- rationnelle. Elle serait donc, a priori exempte de croyances mise à part celle de l’intérêt général. Pourtant, cette administration apparaît souvent comme très statique, ses règles absconses et sa capacité d’adaptation très faible. Les explications de cette inertie de l’administration ont fait l’objet de nombreuses recherches, et plusieurs éléments remettent en cause la rationalité absolue de l’administration. La première de ces explications est la path dependence. Ce concept, issu de l’économie, part du constat que souvent, alors qu’il existe une technologie plus efficace, le choix est fait de poursuivre sur la voie précédemment tracée, afin d’éviter les coûts financiers et sociaux d’adaptation à une nouvelle technologie. Ce concept, importé dans le domaine de l’étude des politiques publiques notamment par Douglass C. North dans les années 199055 , va permettre de montrer que cette dépendance ne vient pas tant de la nature des technologies que du comportement des agents qui, face à un problème public nouveau, vont appliquer des solutions déjà existantes plutôt que de tenter d’en inventer des nouvelles. La rationalité des agents est donc limitée par l’influence des actions de leurs prédécesseurs. De même, on peut constater l’existence de paradigmes structurant l’action publique. Ces paradigmes s’ils peuvent venir des élus, et donc indirectement des citoyens, sont la plupart du temps importé dans le champ de l’action publique par les fonctionnaires eux-mêmes56 . Tout ces éléments réduisent la rationalité des agents publics et peuvent s’apparenter à des croyances, des dogmes qui ne sont pas remis en question par les agents et qui pour autant font autorité. Par ces aspects, l’administration publique peut être rapprochée des « sociétés closes » de Bergson et Popper. Dès lors, comment « ouvrir » cette institution ? Comment faire pour que les agents sortent de la dépendance au sentier, s’émancipent des paradigmes, et contribuent pleinement aux services publics ? Et du côté des usagers, comment faire pour à la fois leur permettre de contribuer pleinement à l’élaboration des politiques publiques les concernant, tout 55 NORTH Douglas C., Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990. 56 SMITH Andy. « Paradigme », Dictionnaire des politiques publiques. 4e édition précédée d’un nouvel avant-propos, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2014, pp. 404-411.
  • 35. 35 en conservant la stabilité de l’institution ? Les outils du design de politiques publiques peuvent nous donner des pistes de réponses. 2.1.3. Des outils pour faire des participants des « grands hommes » Selon Bergson, le seul moyen pour une société de passer du statut de fermée à celui d’ouvert est l’action des « grands hommes » qui par leurs qualités et leurs actions arrivent à sortir des sentiers battus, imprimer leur marque dans la société et la réinterroger en profondeur. Cette conception est bien sûr très historiciste et marquée par les préjugés de son temps,57 mais on peut également la rapprocher de la définition de « l’entrepreneur » chez Schumpeter, qui par son action individuelle, et ses capacité à sortir des paradigmes existants permet de lancer le processus de destruction-créatrice58 . Mais cette « ouverture » de la société n’est que temporaire pour Bergson. Très vite, la société intègre la nouveauté et modifie son fonctionnement. À l’échelle de l’administration, on peut donc dire que les « grands hommes » sont ceux qui arrivent, à leur échelle à sortir du cadre restreint de pensée et d’outils pour réinventer l’action publique et ainsi ouvrir une brèche dans l’institution pour modifier les façons de faire en son sein. Cette capacité à sortir du cadre, à désaxer la pensée, on va la retrouver chez les participants aux programmes de la 27ème Région. Mais, alors que chez Bergson et Schumpeter les capacités du « grand homme » sont individuelles, et tiennent quasiment du génie mystique, elles sont ici apportées par l’immersion, la pluridisciplinarité, et par des outils spécifiques qui stimulent la créativité des participants. La nature de la contribution va donc changer. En effet, dans le cas d’un « grand homme », sa contribution est personnelle, elle est le reflet de sa seule humanité. En revanche dans le cas d’une pluralité de participants, on va retrouver dans la contribution finale une combinaison des contributions personnelles de chacun. L’enjeu dès lors, est de permettre à chacune des humanités de s’exprimer, et à chacun des contributeurs d’apporter leur part. C’est tout l’intérêt des outils de la 27ème Région, qui vont favoriser la créativité des agents et leur permettre de repenser leur cadre de travail, et les solutions à mettre en place. Tout en s’appuyant sur une pluralité de subjectivités à la fois des agents, et des usagers. 2.2. Des outils pour stimuler les contributions 57 Notamment car chez Bergson, l’exemple absolu d’une société close est une « société primitive » qui par l’action des « grands hommes » passe de la sauvagerie, à la barbarie pour atteindre la civilisation. 58 SCHUMPETER Joseph, Théorie de l'évolution économique (1912) (Trad. J-J. Anstett), Paris : Dalloz, 1999.
  • 36. 36 Au cours de leurs différents programmes, les designers de la 27ème Région ont mis au point de nombreux outils et méthodologie pour stimuler les contributions, pour recueillir les avis, et enrichir la réflexion globale du projet. Nous allons en présenter quelques uns dans les lignes qui vont suivre. Une mise en garde semble cependant nécessaire : ces outils, utilisés tels quels et de façon indépendante ne constituent pas une démarche de design de politiques publiques. S’il elle constitue probablement sa partie la plus « spectaculaire » et la plus rapprochée de ce que nous connaissons du design, l’utilisation de ces outils n’est bien qu’une étape de la démarche. Enfin, si l’on peut regrouper tous les outils utilisés en différentes catégories, il ne faut pas éluder le fait que chacun d’entre eux ont été créés spécialement pour chaque programme, portés par les réflexions issues de l’immersion entre autre. Ces outils sont construits principalement à destination des agents et utilisés à l’intersection entre la phase d’immersion et la phase d’idéation. Ces outils mobilisent la médiation par le dessin, qui est au cœur bien sûr de toute démarche de design. Dans le contexte des démarches initiées par la 27ème Région l’objectif était à la fois de faciliter la compréhension des dynamiques locales et de stimuler l’innovation en invitant les agents à sortir de leur méthodologie habituelle. Ils ont particulièrement été mobilisés dans le cadre des programmes « Transfo » afin de permettre aux agents de s’approprier la démarche et « réoutiller l’action publique de l’intérieur »59 . 2.2.1. Des outils pour faciliter la récolte d’expériences et comprendre les dynamiques Nous allons d’abord revenir plus précisément sur les outils utilisés par les résidents, principalement dans la phase d’immersion, pour d’une part établir un diagnostic sensible commun et pour d’autre part stimuler et récolter la parole des usagers. Ainsi, durant la Transfo « Les villages du futur » en Bourgogne, un « atelier cartographie » a été organisé afin de confronter données empiriques et territoires sensibles. Les participants ont été invité à commenter, redessiner, compléter des cartes thématiques de la Région imprimées en grand format60 . Puis lors, de rencontres mêlant agents, élus, associations… Et enrichie par l’intervention d’un chercheur en économie spécialisé dans le monde rural, les participants ont été invité à établir une typologie d’archétypes de villages qu’ils ont maquettés et identifié visuellement à l’aide de photos et de croquis. Cette première étape a permis, notamment en utilisant les outils visuels de la carte et de la maquette, que chacun puisse avoir une vision globale du territoire, de ses disparités. Mais cette 59 La 27ème Région, Chantiers…, op.cit. p.326 60 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit. p.47
  • 37. 37 vision globale a été construite par les agents eux-mêmes qui ont pu s’exprimer sur le territoire et modeler le diagnostic. Afin de mieux saisir l’expérience usager, des outils ont également été mis en place. Ainsi dans le cadre de la Transfo Champagne-Ardenne, qui a eu lieu en 2012 autour de la refondation du dispositif Lycéo61 , les agents ont été invité à faire une « filature photo »62 . L’objectif était de repérer toutes les traces du dispositif dans la vie quotidienne des lycéens (logo, tracts, affiches…). L’idée est alors de sortir le dispositif de son aspect purement technique pour tenter de comprendre comment il est perçu par les usagers eux-mêmes. D’autres méthodes permettent de stimuler la participation des usagers, cette fois-ci de façon plus directe. Il s’agit notamment des « cartes à réaction ». Beaucoup utilisées, on les retrouve dans le programme « Territoires en résidences » sur le lycée de Revin, mais également dans la Transfo Bourgogne sur les Villages du Futur sous la forme de photomontages accompagnés d’une question volontairement un peu polémique63 . Dans le cadre de ce programme, des entretiens collectifs vont être organisés, toujours avec la médiation de la photographie, et des photomontages, afin de faire émerger les points de convergence et de divergence des acteurs64 . Tout ces outils mobilisent l’image pour faire réagir, la plupart du temps avec succès. La méthode permet en effet pour les agents de sortir du cadre très « rédigé » et contraint de l’administration, et donc de libérer la parole et stimuler la créativité. De la même manière, l’image permet aux usagers qui ne connaissent pas forcément les prérogatives de la Région de se projeter, et de comprendre très rapidement les enjeux de l’intervention. À la suite de ces diagnostics et récoltes d’expériences, la phase d’idéation à proprement parler peut commencer, avec là encore son lot d’outils. 2.2.2. Des outils pour stimuler la créativité L’objectif des outils que nous allons présenter est de permettre aux agents, après avoir identifier des problématiques, d’y répondre de manière innovante en stimulant leur créativité. L’objectif est là encore de leur permettre de sortir du cadre, d’explorer au delà du sentier préalablement tracé. Pour favoriser cela, l’utilisation d’objets concrets (maquettes, 61 Le dispositif Lycéo est une carte offerte aux lycéens et apprentis de la Région, leur offrant un crédit à utiliser dans des établissements culturels, pour l’achat de manuels scolaires… Il s’approche du dispositif rhônalpin de la Carte M’Ra 62 La 27ème Région, Chantiers…, op.cit p.336 63 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit. p.82 64 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit. p.84
  • 38. 38 photomontages, figurines Playmobil…) va être mobilisée. Ainsi, durant le programme Transfo Bourgogne « Les Villages du futur », des ateliers de co-construction des solutions vont être mis en place appelés « Chantiers-villages »65 . Ces ateliers en petits groupes ont lieu en deux temps : d’abord un partage d’un constat à travers la description d’un village réel ou fictif avec l’aide d’objets concrets. Puis les participants sont amenés à répondre aux problématiques soulevées par le village avec une mesure concrète qu’ils doivent élaborer ensemble et rapidement, toujours à l’aide de ces objets qui servent de medium. Le résultat de ces ateliers va ensuite être synthétisé dans les « Cartes postales du futur », et vont donner des résultats qui sortent des solutions habituelles de l’action publique. À noter que ces dernières ne s’attachent pas seulement aux prérogatives des régions66 , mais à l’ensemble des projets que la collectivité territoriale pourrait soutenir. Les solutions ont été thématisées en cinq entrées : village rêvé, village connecté, village retraité, village cultivé, village mouillé. À titre d’exemple, nous allons présenter une carte postale par entrée thématique, sur la quarantaine de projets issus des ateliers : - Village rêvé : cette thématique visait « à s’interroger sur les difficultés d’aujourd’hui à se projeter sur un avenir désirable pour les territoires ruraux. »67 Elle a beaucoup tourné également autour de la question de la collectivité, du respect des rêves et aspirations de chacun, et de la recherche du compromis. Les solutions qui ont émergé le prouve bien. À l’image de la « monnaie TEMPS, une monnaie fondante indexée sur le temps passé et réservée à l’échange de coups de mains entre habitants »68 - Village connecté69 : la question de la connexion avec les réseaux de communication aussi bien numériques que réels est ici posée. Parmi les solutions proposées, nous retiendrons la « Fondation des champs » qui vise à « capter l’épargne locale » pour financer des micro-projets locaux. Les agents de la région deviennent ainsi des conseillers techniques et juridiques pour la mise en place d’une telle fondation qui peut également servir d’organisme de micro-crédits. 65 La 27ème Région, Les villages du futur…, op.cit. p.129 66 La Transfo a d’ailleurs eu lieu dans une période de flou autour de ces dernières, entre 2011 et 2013, avec la suppression de la clause générale de compétence actée en 2010 pour une effectivité au 1er janvier 2015. Suppression elle-même annulée en 2014 par la loi MAPTAM, puis réintégrée en 2015 à la loi NOTRe. 67 Ibid. p.138 68 Ibid. p.152 69 Ibid. pp. 154-169
  • 39. 39 - Village retraité70 : ici la question du vieillissement des territoires ruraux est bien sûr évoquée, avec l’idée de faciliter la vie des personnes âgées marginalisées dans des territoires où il est de plus en plus difficile de trouver de la proximité. Un exemple de projets, bien plus simple à réaliser que les précédents : la cantine intergénérationnelle qui regroupe la cantine scolaire et celle de l’EHPAD. - Village cultivé71 : ici la thématique aborde la question « agri-culturelle », c’est-à- dire la question double de l’avenir de l’agriculture, et des différentes visions de l’agriculture qui peuvent se heurter, entre agriculteurs expansifs installés de longue date, et néo-ruraux en quête de mode de production alternatif. L’enjeu derrière cette question est donc le partage culturel pour éviter les conflits, et redynamiser les villages. Parmi les nombreuses solutions intéressantes proposées sur cette question, nous retiendrons peut-être la plus technique : la ZAA, zone d’activités agricoles qui vise à regrouper les petites fermes pour éviter la solitude bien souvent inhérente au métier d’agriculteur, mais aussi permettre de partager des pratiques des idées, éventuellement du matériel, des ressources… - Village mouillé 72 : la thématique traitée ici est assez spécifique au territoire bourguignon, il s’agit de la question des canaux et de leur reconversion. L’idée principale est l’usage touristique, tout en essayant de capter l’intérêt des visiteurs sur les visages en bordure. Ainsi la création d’un festival autour de l’écluse du village, avec des projections de films en plein air, des sons et lumière… a été proposée par les participants aux ateliers. Toutes ces solutions ont avant tout une visée prospective, même si certaine d’entre-elles peuvent être mises en place plus facilement que d’autres. Elles sont inspirées de dynamiques existantes, tant sur le territoire bourguignon qu’ailleurs. Leur formalisation sous forme de cartes postales, présentant des photomontages un peu grossiers permet à la fois de se projeter en se disant « c’est possible », tout en comprenant bien que le chemin à parcourir reste long. Ces outils nous semblent pertinent dans la question de l’intégration des droits culturels pour plusieurs raisons. D’une part, lorsqu’ils sont utilisés pour récolter les expériences des usagers, ils permettent à ces derniers de façon plus ou moins grande de contribuer au projet. Cette contribution étant différente selon la nature des programmes : l’usager a ainsi eu plus de poids 70 Ibid. pp. 170-181 71 Ibid. pp.181-192 72 Ibid. pp.193-204
  • 40. 40 dans les résidences sur le lycée de Revin, ou la médiathèque de Lezoux que dans la Transfo sur les villages bourguignons. Mais dans tous les cas c’est l’expérience des usagers qui est à la base des problématiques abordées et qui oriente la suite des réflexions. D’autre part, quand ils sont utilisés pour stimuler la créativité des agents territoriaux, ils permettent à ces derniers d’exprimer plus librement leur identité culturelle, leur humanité, qu’ils ne le pourraient dans le cadre plus codifié et restreint de l’action publique classique. Ainsi, en repensant la place tant des usagers que des professionnels dans les processus de décision publique, les équipes de la 27ème région permettent de repenser le concept de démocratie participative. 2.3. Le design de politiques publiques, une méthode pour repenser la démocratie participative ? Lorsque l’on interroge Stéphane Vincent, de la 27ème Région, ou les fondateurs de l’agence Plausible Possible, au sujet de la démocratie participative, leur réponse est sans équivoque : « nous ne faisons pas de démocratie participative. » On ressent une véritable volonté de se détacher de ce concept un peu galvaudé qui a émergé dans les années 1990-2000 en France. D’abord car les équipes de designers de politiques publiques se voient avant tout en maitrise d’ouvrage, en techniciens élaborateurs de solutions concrètes73 qui certes impliquent les usagers dans leur processus créatif, mais qui ne constitue pas leur « cœur de métier ». Puis, certains d’entre eux se reconnaissent dans les critiques apportées aux dispositifs de démocratie participative, et que nous allons détailler ci-dessous. 2.3.1. La démocratie participative critiquée Dans son article « La démocratie participative sous conditions et malgré tout »74 , Loïc Blondiaux, chercheur au CNRS et professeur à l’IEP de Lille, synthétise les différentes critiques qui ont émergé à propos de la démocratie participative, mise sur le devant de la scène lors de la campagne présidentielle de 2007 par Ségolène Royal. Il définit d’ailleurs le concept très flou de démocratie participative comme l’idée « de compléter l’arsenal institutionnel de la démocratie représentative par des lieux où le déploiement de cette délibération démocratique élargie est possible, où cette participation du plus grand nombre à cette discussion des choix collectifs est encouragée. » Il insiste d’ailleurs sur le fait que ses dispositifs sont conçus en 73 La 27ème région a par ailleurs publié un guide « petits conseils pratiques à l’attention des acheteurs de “design de politiques publiques” » 74 BLONDIAUX Loïc « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation démocratique », Mouvements 2007/2 (n° 50), p. 118-129.