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CENTRE D’ETUDES INTERNATIONALES DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE




    Les atteintes matérielles à
    l’œuvre musicale et à son
          interprétation




 Mémoire soutenu par Michel DONVAL, étudiant en master II recherche en droit de la
 propriété intellectuelle, sous la direction de Monsieur le Professeur Théo HASSLER


                                 Années 2008/2009
A mes parents,
    A Annaïg,
-REMERCIEMENTS-




A Monsieur le Professeur Théo HASSLER pour son enseignement et
pour m’avoir permis d’effectuer mes recherches sur un sujet aussi
passionnant.

A Madame le Professeur Joanna SCHMIDT-SZALEWSKI pour son
enseignement et pour m’avoir apporter des éclaircissements sur
certains points du sujet.

A Madame Stéphanie CARRE pour son enseignement et ses conseils
en droit d’auteur.

A Messieurs Yann LEBACLE et Maxime PAPILLON pour leurs
précieuses relectures.

A Monsieur Karlo FONSECA-TINOCO pour son amitié fidèle et son
soutien.

Et enfin, un remerciement particulier à Monsieur Peter SZENDY,
pour l’entretien qu’il m’a accordé.
-SOMMAIRE-

INTRODUCTION ............................................................................................................................................1




PARTIE I : LE PRINCIPE : LA GARANTIE DE L’INTEGRITE
MATERIELLE DE L’ŒUVRE ET DE L’INTERPRETATION ...............6


   CHAPITRE I : LA                      NOTION D’INTÉGRITÉ MATÉRIELLE DE L’ŒUVRE ET DE

   L’INTERPRÉTATION................................................................................................................................6

      Section 1/ La préservation de                                l’œuvre et l’interprétation dans son expression
      «corporelle» ..............................................................................................................................................6
      Section 2/ La préservation de l’œuvre et de l’interprétation durant leur vie publique ...............11
   CHAPITRE II : L’APPLICATION DU PRINCIPE............................................................................17
      Section 1/ Dans le cadre de l’exercice du droit de reproduction ....................................................17
      Section 2/ Dans le cadre de l’exercice du droit de représentation .................................................26




PARTIE II : LES MODIFICATIONS PERMISES DE L’ŒUVRE ......33


   CHAPITRE I : LES                        MODIFICATIONS PERMISES EN RAISON DE LA LIBERTÉ

   D’EXPRESSION ........................................................................................................................................33

      Section 1/ Le droit au respect face aux exceptions ...........................................................................33
      Section 2/ Le droit au respect des œuvres et interprétations du domaine public ..........................43
   CHAPITRE II : LES MODIFICATIONS PERMISES PAR CONTRAT.........................................49
      Section 1/ La conciliation de l'inaliénabilité du droit au respect et de la force obligatoire
      du contrat.................................................................................................................................................50
      Section 2/ L’inadaptation du principe d’inaliénabilité ...................................................................55



CONCLUSION...............................................................................................................................................59

BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................................................................61
INTRODUCTION
                                      WHAT HAVE THEY DONE TO MY SONG MA (Melanie Safka)
                                                                              (extrait)1


                                                                  “Look what they done to my song ma
                                                                        Look what they done to my song
                                                                                   Well it's the only thing
                                            That I could do half right and it's turning out all wrong ma
                                                                        Look what they done to my song

                                                                      Look what they done to my brain ma
                                                                          Look what they done to my brain
                                                                     Well they picked it like a chicken bone
                                                                                  I think i'm half insane ma
                                                                            Look what they done to my son
                                                                                                        (…)”

1.       Que ce soit par ses paroles2, ou bien par ses nombreuses utilisations3, cette chanson
illustre bien les différentes atteintes que peuvent subir une œuvre et une interprétation au
cours de sa vie publique. En effet, cette chanson, écrite, composée et interprétée par Melanie
Safka, en 1970, démontre le rapport délicat entre l’auteur ou l’interprète et l’industrie du
disque. Force est de constater que les intérêts de l’industrie phonographique peuvent différer
de celui de l’artiste. Dès lors, par un souci purement économique, l’industrie sera tentée de
procéder à certaines modifications de l’œuvre, et ce en dépit de la volonté de l’artiste.


2.       Afin de préserver la volonté de l’auteur sur l’avenir de son œuvre, le droit français,
fort d’une conception personnaliste du droit d’auteur, a toujours tenté de traduire
juridiquement les liens qui unissent à la fois l’auteur à son œuvre, et l’interprète à sa
prestation. Contrairement à une approche orientale du pouvoir de création4, la culture
occidentale considère que celui-ci revient à l’auteur. Et c’est parce que l’œuvre est le reflet de
sa pensée que l’auteur doit avoir la maîtrise de son art au même titre qu’est garantie la
maîtrise de sa pensée. Bien que le lien «naturel» entre l’auteur et son œuvre eût été démontré

1
  Copyright 1970 by Kama Rippa Music, Inc. and Amerlanie Music, Inc. All rights administered by Kama Rippa
Music, Inc.
2
  Regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, Ma, regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, c’est la seule chose que
je peux faire et ce n’est pas bon, regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, Ma Regarde ce qu’ils ont fait à mon
cerveau, Ma, regarde ce qu’ils ont fait à mon cerveau,, ils y ont pioché comme sur un pilon; je pense que je suis
à moitié folle, regarde ce qu’ils ont fait à mon fils, ma (...)
3
  Cette chanson a été réinterprétée à maintes reprises et traduite, notamment en français et en italien pour Dalida.
De manière assez paradoxale, les paroles ont été changées pour vanter les mérites d’une marque de céréales :
“Look what they’ve done to my oatmeal” dans les années 80 ; http://en.wikipedia.org/wiki/Melanie_Safka.
4
  Dans la culture asiatique, l’artiste est considéré comme étant traversé par une inspiration divine, il en résulte un
certain détachement entre l’œuvre et l’auteur, rapporté par D. GIOCANTI, Le droit au respect de l’œuvre en
droit français, Thèse, Paris II, 1989, p.4.
                                                                                                                     1
par Domat à la fin du XVIIème siècle, il fallut attendre le XIXème siècle pour que s’affirme une
dimension jus naturaliste et personnaliste du droit d’auteur.


3.      Jusqu’alors avait prédominé une approche purement patrimoniale du droit d’auteur, de
sorte que si l’auteur, depuis les lois révolutionnaires des 13-19 janvier 1791 et 19-24 juillet
1793, obtenait un monopole d’exploitation, et donc une complète maîtrise économique de son
art, il ne pouvait, néanmoins, s’opposer aux diverses altérations portées à l’œuvre. En effet,
dès 1784, un arrêt du Conseil du roi précisa les droits des auteurs d’œuvres représentées au
théâtre avant que la loi des 19/24 juillet 1793 ne reconnaisse les droits de propriété des
«compositeurs de musique». Cependant au XIXème siècle, le droit des compositeurs demeura
relativement limité dans la mesure où il était presque exclusivement cantonné à l’édition des
partitions. L’application du droit d’auteur aux œuvres musicales a fait l’objet de peu de
controverses avant l’introduction des systèmes de reproduction, de lecture ou de transmission
du son. Le développement et la commercialisation des boîtes à musiques et des pianos
mécaniques, vers 1860, puis des phonogrammes, à partir de 1889, a permis une exploitation
nouvelle et autonome des œuvres musicales, à l’instar de l’imprimerie pour les œuvres
littéraires. On retiendra à cet égard les propos qu’a tenus Titus Ricordi, éditeur de Verdi en
Italie, devant l’assemblée du premier Congrès international sur le droit d’auteur à Bruxelles
en 1858 : « il arrive souvent que les plus belles pensées de certains opéras non encore
représentés dans une ville, reçoivent d’avance la publicité par le moyen des musiciens
ambulants et des orgues de rue : d’ordinaire elles sont reproduites avec toutes sortes de
coupures avec d’horribles altérations d’harmonie et de modulations avec des arrangements
tellement mauvais , que non seulement la musique perd son caractère lyrique, dramatique et
vocal, mais encore les mélodies elles-mêmes subissent les plus étranges métamorphoses»5. La
jurisprudence a dégagé, pour tenir compte de cette évolution, le droit de représentation
publique6 juste après la création de la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de
Musique (SACEM)7. En 1905, la jurisprudence a reconnu le droit de reproduction mécanique.


4.      Parallèlement à l’évolution du droit patrimonial en matière musicale, l’apparition de la
conception jus naturaliste et personnaliste du droit d’auteur a permis le développement du
droit moral. La jurisprudence a commencé à dégager les composantes du droit moral. En
1928, la Cour d’appel de Paris a consacré le droit de divulgation pour une œuvre musicale8.

5
  Cité par P. SZENDY, Ecoute une histoire de nos oreilles, paradoxe, les éditions de minuits, 2001, p.93.
6
  Lyon, 7 janvier 1852 : S. 1852, 2, 138.
7
  Le 31 janvier 1751.
8
  Paris, 11 janvier 1928 : S. 1828, 2, 5.
                                                                                                            2
5.      Mais il fallut attendre 1957 pour que le droit moral soit consacré par la loi, et 1985
pour que certains attributs soient conférés aux artistes interprètes. Malgré une dispersion de
ces droits dans la loi, corrigée par la codification de 1992, et l’absence de traitement unitaire
du droit moral9, la jurisprudence et la doctrine ont pu dégager une théorie unitaire du droit
moral, de sorte que, notamment, l’inaliénabilité et la perpétuité du droit au respect prévues à
l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) ont été étendues aux autres
prérogatives du droit moral.


6.      Ainsi, il existe quatre prérogatives du droit moral. Le droit de divulgation, prévu à
l’article L121-2 du CPI, permet à l’auteur seul de décider s’il veut ou non porter à la
connaissance du public son œuvre. Ce droit n’a pas été conféré aux artistes interprètes. Son
pendant, le droit de retrait10 n’a pas non plus été transmis par la loi de 1985 aux artistes
interprètes. Il permet à l’auteur, seul, de retirer son œuvre, sous conditions, du marché.
L’auteur11 et l’interprète12 bénéficient du droit au respect de la paternité de leur œuvre et
interprétation. Ce droit peut être aussi bien exercé positivement - l’auteur ou l’interprète
assume la pleine et entière paternité de son art – que négativement - il refuse que son nom
soit apposé sur l’œuvre ou l’interprétation. Enfin la dernière prérogative, qui fera l’objet de
notre étude, est le droit au respect du à l’intégrité de l’œuvre ou de la prestation. Cette
prérogative permet à l’auteur13 ou à l’interprète14 d'empêcher toute mutilation aussi bien
spirituelle que matérielle à l’œuvre ou à l’interprétation.


7.      Au regard de son importance pour la défense des intérêts de l’auteur, le droit au
respect a été consacré, en 1928, par l’article 6 bis, §1 de la Convention de Berne qui stipule
qu’indépendamment des droits patrimoniaux et même après leur cession, l’auteur conserve le
droit de s’opposer à toute «déformation, mutilation ou autre modification de son œuvre ou à
toute atteinte à celle-ci, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation». La formulation se
caractérise par sa souplesse car elle laisse un large pouvoir d'interprétation aux Etats
signataires. Le droit est affirmé indépendamment de la disponibilité patrimoniale et doit être
accordé même après la cession des droits patrimoniaux.




9
  S. NERISSON, Le droit moral de l’auteur décédé en France et en Allemagne, cahier IRPI, 2003 p. 16.
10
   Art. L121-4 du CPI.
11
   Art. L121-2 du CPI.
12
   Art. L212-2 du CPI.
13
   Art. L121-2 du CPI.
14
   Art. L212-2 du CPI.
                                                                                                       3
8.      Le champ d’application de la Convention est large puisque est visée toute
déformation, mutilation ou autre modification ou toute atteinte préjudiciable à son honneur ou
à sa réputation. Si la Convention distingue entre les déformations et les atteintes, c’est quelle
semble vouloir séparer les atteintes matérielles à l’œuvre (la mutilation) et les atteintes à
l’esprit de l’œuvre (les atteintes). Ensuite, la Convention émet une restriction, en ce sens que
les atteintes doivent être préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. Ainsi le droit au
respect n'apparaît pas comme une faculté absolue de l’auteur à faire respecter son œuvre, mais
bien comme «une prérogative mise au service de certains intérêts déterminés»15. En effet, au
terme de la Convention, l’auteur n’est pas maître du constat des atteintes ; mais c’est bien le
juge qui caractérise l’atteinte en fonction de l’atteinte à l’honneur ou à la réputation de
l’auteur.


9.      Toutefois, on peut se demander s’il s’agit de l’ensemble des atteintes, matérielles ou
spirituelles à l’œuvre, qui doivent être observées en fonction de leur préjudice à l’honneur ou
à la réputation de l’auteur, ou bien si seules les atteintes spirituelles doivent être envisagées en
fonction de leur préjudice. Les atteintes matérielles sont en effet aisément identifiables, leur
caractérisation entraîne de facto un préjudice pour l’œuvre. A l’inverse la détermination de
l’atteinte spirituelle laissée à l’appréciation seule de l’auteur peut entraîner un certain abus. En
effet, l’esprit de l’œuvre est contenu à la fois dans la forme de l’œuvre et dans l’explication ou
la volonté que l’auteur a exprimée16. Or, il peut arriver, et c’est nécessaire, que cette vision de
l’œuvre, sa destination soit distincte de ce que le public ressent. Dans ce cas, la destination de
l’œuvre (ce que l’auteur a voulu) divergera de la destinée de l’œuvre (ce que le public en a
fait). La Convention de Berne réduit ce problème au risque d’une destinée portant atteinte à
l’honneur ou à la réputation de l’auteur. Le droit français a élargi le champ de la Convention
en n'omettant aucune restriction aux atteintes. Ainsi, en droit français, toute atteinte est
susceptible de contrevenir au droit au respect de l’auteur. Cette solution a été élargie aux
artistes interprètes.


10.     Réduire aux seules atteintes spirituelles la nécessité d’un préjudice permet d’éviter que
l’auteur, ou plus généralement les héritiers, n’aient trop de liberté dans la qualification de la
destination de l’œuvre. On retiendra à cet égard une affaire du Tribunal de Grande Instance
de Paris en date du 15 mai 199117. En l’espèce, l’œuvre de Jules Massenet, La méditation de
Thaïs a été utilisée dans un film publicitaire. Le jugement sanctionne cette utilisation sur le

15
   C. DOUTRELEPONT, Le droit moral de l’auteur et le droit communautaire, Bruylant-LGDJ, 1997, p. 256.
16
   F. POLLAUD-DULLIAN, L’esprit de l’œuvre et le droit moral de l’auteur : RIDA Janvier 2008, p.105.
17
   TGI Paris, 15 mai 1991 : JCP G II 1992, 21918, note X. DEVRAT.
                                                                                                         4
fondement du droit au respect au motif que la musique était d’inspiration religieuse et
étroitement liée au sens des mots qui l'accompagnent. Ce jugement, conforme à la tradition
française d’absence de jugement du mérite d’une œuvre, n’emporte pas moins une
contradiction entre la destination, estimée par l'héritière de Jules Massenet, et la destinée de
l’œuvre. Le risque d’arbitraire dans ce cas est important. En effet, il est jugé en l’espèce que :
«la méditation de Thaïs est une pièce instrumentale écrite pour le violon, qui trouve dans
cette mélodie un support privilégié destiné à faire «sonner» l’instrument ; qu’elle
accompagne les pensées de Thaïs sur scène ne détermine aucune corrélation directe avec des
mots et n’empêche pas qu’elle soit passée à la postérité grâce aux interprétations qui en sont
données dans les contextes et situations les plus divers»18. Ce décalage entre la vision de
l’héritière et la vision commune de l’œuvre n’aurait pas eu lieu si elle avait eu à démontrer un
préjudice au sens de la Convention de Berne.


11.        A l’inverse, dans le cadre d’une modification matérielle, nul besoin d’une telle
appréciation puisque l’atteinte est plus objectivement déterminable et n’impose pas de
«garde-fous». En revanche, il convient de se demander s’il existe des limites au principe
d’interdiction des atteintes matérielles à l’œuvre ou à l'interprétation.


12.        En effet, au regard de son principe et de ses caractéristiques, que sont l’inaliénabilité
et la perpétuité, ce droit semble d’application absolue. Toutefois, il est nécessaire de tenir
compte de la liberté d’expression, et de son pendant, la liberté de création ; mais également de
la liberté contractuelle pour déterminer les limites à l’exercice de ce droit.


13.        C’est pourquoi il convient d’étudier dans un premier temps le principe du droit au
respect appliqué aux œuvres et interprétations musicales (PARTIE I) pour ensuite établir les
modifications susceptibles d’être autorisées par la loi et/ou la jurisprudence de l’œuvre et de
son interprétation (PARTIE II).




18
     X. DEVRAT, L’absolutisme du droit moral, note sous jugement : JCP G, II 1992, 21918.
                                                                                                  5
PARTIE I : LE PRINCIPE : LA GARANTIE DE L’INTEGRITE
MATERIELLE DE L’ŒUVRE ET DE L’INTERPRETATION


14.    Le droit au respect garantit à l’auteur et à l’interprète la préservation de l’intelligibilité
de son œuvre et de son interprétation. Si cette intelligibilité passe par la compréhension de
l’œuvre, c’est-à-dire son aspect spirituel, elle passe dans un premier temps par la garantie de
son intégrité corporelle. Ainsi, lors de sa vie publique, l’auteur est, par l'existence de ce droit,
assuré de la pérennité de son œuvre telle qu’il l’a voulue, l'interprète également. Cependant, il
convient de déterminer dans un premier temps ce qu’on entend par la notion d’intégrité
matérielle (chapitre I) pour dans un second temps appliquer ce principe lors de l’exercice du
droit de reproduction et de représentation (chapitre II).


Chapitre I : La notion d’intégrité matérielle de l’œuvre et de l’interprétation


15.    L’objet du droit au respect est de garantir l'intégrité matérielle de l’œuvre et de
l’interprétation. Toutefois, il convient de délimiter l’objet de ce droit (section 1). Ce droit est
nécessaire pour préserver l’œuvre des atteintes que pourraient perpétrer les tiers durant sa vie
publique. Il convient donc d’étudier le champ d’application de ce droit (section 2).


Section 1/ La préservation de l’œuvre et l’interprétation dans son expression «corporelle»


16.    L'intelligibilité de l’œuvre musicale (A) est souvent transmise à l’écoute de tous par le
biais de son interprétation (B).


A/ L’œuvre musicale


17.    Si l’œuvre musicale peut s’envisager seule, comme le résultat d’une composition
originale (1°), et être diffusée sous la forme d’album (4°), elle peut également être le fruit
d’une collaboration (2°) ou encore se décliner sous la forme composite (3°).


1°) La musique


18.    La musique occidentale est une «structure complexe dans laquelle va s’instaurer une
dialectique entre la mélodie, l’harmonie, et le rythme qui la composent et qui peut se ramener


                                                                                                   6
à l’apparition d’une ou deux dominantes»19. La mélodie constitue généralement l’élément
dominant d’une composition musicale, soit l’air pour le néophyte, clairement reconnaissable
pour ce dernier. Tout emprunt, césure, modification sera facilement appréhendable.
L’harmonie est constituée d’accords. Il s’agit d’un ensemble de sons joués simultanément et
dans un enchaînement. Le rythme, enfin, est «le retour périodique des temps forts et des
temps faibles, la disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l’intensité et de
la durée) qui donne au morceau sa vitesse et son allure caractéristique»20.


19.     Cette «dissection» de la structure musicale est utilisée par le juriste pour établir une
contrefaçon. En effet, les similitudes de rythme, de mélodie ou d’harmonie permettent
d’établir cet acte21. En outre, l’utilisation, la modification, ou la suppression d’une des
composantes, permet au compositeur de faire valoir son droit à l’intégrité de l’œuvre. Il est
important de procéder à un tel découpage de la structure d’une œuvre musicale car l’évolution
des techniques numériques permet un échantillonnage des morceaux. Peut alors être emprunté
au morceau l’un de ses éléments caractéristiques, de sorte que le droit au respect peut être
avancé quand bien même l’atteinte ne porterait que sur l’un des éléments. Si une similitude de
rythme ne caractérise généralement pas un acte de contrefaçon, toute modification de celui-ci
dans le morceau entraînera une atteinte objective au morceau. En démontre un jugement du
Tribunal de Grande Instance de Paris dans une affaire d’échantillonnage musical concernant
la chanson Auteuil, Neuilly, Passy des Inconnus22.


20.     En l’espèce, le groupe d’humoristes avait utilisé plusieurs échantillons pour composer
leur «rap», et notamment des extraits d’une chanson de Macéo Parker, Southwik. L’emprunt
avait été utilisé pour servir de base rythmique à la chanson des Inconnus. Le juge a alors
déclaré que « le découpage de l’œuvre première selon le procédé de «sampling», que l’expert
a vérifié au moins à deux         endroits, caractérise une violation du droit à l’intégrité de
l’œuvre».




19
   B. EDELMAN sous Cass. 1ère civ., 1er juillet 1979 : RIDA 1971, n°68, p.213.
20
   Le Petit Robert à ce mot.
21
   A.R. BERTRAND., le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz, 2ème éd., 1999, p.728.
22
   TGI Paris, 2 décembre 1993, Société French Fried Music et autres c./ Société Production et Editions Paul
Lederman et autres, inédit : cité par C. NGUYEN DUC LONG, Intégrité et numérisation des œuvres de
l’esprit : RIDA 2000, p.45.
                                                                                                          7
2°) L’œuvre de collaboration


21.     Il est fréquent que le morceau, avec ou sans paroles, soit l’œuvre de plusieurs
personnes. Cette œuvre est la propriété commune des coauteurs23. Ces derniers exercent leur
droit d’un commun accord24. Dans cette perspective, il convient de se poser la question de
savoir si les différents coauteurs peuvent, ou non, exercer un droit sur leurs propres
contributions. En effet, l’article L113-3 alinéa 4 du CPI dispose que «lorsque la participation
de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun pourra, sauf convention
contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à
l’exploitation de l’œuvre commune». On devrait considérer que l’exercice individuel du droit
au respect sur sa propre contribution ne saurait être retenu lorsque celle-ci ne relève pas d’un
genre différent. Ainsi, qu’il s’agisse de musique ou de paroles, la défense du droit au respect
peut porter sur sa propre contribution.


22.     Or, cet alinéa ne renvoie qu’à l’exploitation, c’est-à-dire l’exercice du droit
patrimonial sur les contributions de genres différents. Dès lors, rien n’empêche au coauteur de
faire valoir son droit au respect sur sa propre contribution25. En pratique, il apparaîtra difficile
pour le coauteur, lorsque les différents contributions ne relèvent pas d’un genre différent, de
définir les limites de sa propre création.


3°) L’œuvre composite


23.     L’œuvre composite est une œuvre nouvelle dans laquelle est incorporée une œuvre
préexistante sans le concours de l’auteur de cette dernière26. Cette incorporation peut se faire
de manière matérielle ou intellectuelle.        Dans le cas d’une incorporation matérielle, la
musique sera alors intégrée telle qu’écrite à l’origine et sans transformation (sauf coupure
éventuelle) dans une autre œuvre musicale ou dans une œuvre relevant d’un autre genre
artistique. Dans le cadre de la création musicale, il peut s’agir de variations, c’est-à-dire la
reprise d’un thème d’une chanson autour de développements nouveaux. Il peut s’agir encore
de la juxtaposition originale de divers morceaux afin d’en créer un nouveau. Cette méthode,



23
   Art. L113-3, al. 1er du CPI.
24
   Art. L113-3, al. 2 du CPI.
25
   A. MAFFRE-BAUGE, Quand l’arrangement de l’œuvre musicale dérange le coauteur de celle-ci, note sous
TGI Paris 16 mai 2007 : Lamy Droit de l’immatériel juillet 2007, n°29, n°939, p. 6.
26
   Art. L113-2 du CPI.
                                                                                                     8
utilisée par les dj’s, peut emprunter tout ou partie de l’œuvre ancienne, de manière plus ou
moins reconnaissable.


24.        A l’instar des arrangements, cette intégration peut être aussi intellectuelle. Quelle que
soit la création dérivée, le nouvel auteur dispose également d’un droit au respect. Cependant,
celui-ci doit s’exercer dans la limite des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante.


4°) Les albums


25.        Bien que la musique ait de plus en plus tendance à être appréciée œuvre par œuvre
(single par single) par le développement du Moving Picture Expert Group-1/2 Audio Layer 3
(MP3), les œuvres continuent à paraître sous forme d’albums.


26.        L’auteur peut-il se prévaloir d’un droit au respect uniquement sur l’œuvre envisagée
individuellement, ou sur la compilation d’œuvres ?


27.        Dans ce cadre, toute amputation d’une œuvre à l’album semblerait constituer une
atteinte à l’intégrité de celui-ci. Au terme de l’article L112-3 CPI, les recueils d’œuvres, par
leur agencement original, peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur : l’exploitation
individuelle de chacune des œuvres ne peut toutefois pas porter préjudice à la compilation27.
Cependant, cette exploitation est envisagée lorsque l’auteur de la compilation est différent de
celui des œuvres compilées.


28.        A l’inverse, en est-il de même lorsque l’auteur de la compilation, également auteur des
œuvres compilées, souhaite se prévaloir de son droit au respect vis-à-vis des modifications
effectuées sur l’album ? Il semblerait qu’il lui appartienne de démontrer que l’album tourne
«autour d’un concept artistique»28. Dans ce cas, estime la Cour d’appel de Paris, «l’atteinte
au droit moral peut ainsi tout autant être revendiquée sur chacune des œuvres comprises
dans l’album, que sur l’album en tant que compilation d’œuvres»29. L’auteur doit donc, pour
se prémunir de toute amputation, démontrer que l’album est un album «conceptuel»30.



27
     Paris, 11 décembre 1964 : JCP 1965, IV, 40.
28
     Paris, 14ème ch. A, 15 mars 2006, Salvador c/. Jacky Boy Music : n°05/17326.
29                                      ère
  Dans un sens contraire, TGI Paris, 1 ch., 3 janvier 1968 : RIDA 1968, n°LVI, p.126.
30
   Un grand nombre des albums de Serge GAINSBOURG peuvent être ainsi qualifiés, Melody Nelson et
L’homme à la tête de choux étant les exemples les plus probants.
                                                                                              9
B/ Le corps de l’interprétation


29.     Au terme de l’article L212-1 du CPI, l’artiste interprète est, en matière musicale, celui
«qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre
littéraire ou artistique». L’interprétation devrait être considérée comme le résultat de ces
activités. A la lumière de cet article, l’interprétation est envisagée de manière extrêmement
large. En effet, la prestation de l’artiste peut se faire par la voix, ou toute autre expression
corporelle, mais également par l’intervention d’instruments actionnés par l’activité humaine.
En revanche, la question s’est posée de savoir si l’exécution d’une œuvre par le biais
d’instruments électroniques pouvait être considérée comme une interprétation au sens de la
loi.


30.     La Cour d’appel de Paris a statué sur ce point31. Philippe Chany, co-auteur de
musiques de générique et d’éléments d’habillage sonore pour France 2, en assurait également
l’exécution au moyen de synthétiseurs et instruments électroniques à claviers. Il revendiquait
alors la qualité d’artiste interprète, en assignant la chaîne de télévision qui, à défaut d’avoir
recueilli son autorisation au titre des droits voisins32, était selon lui coupable de contrefaçon.
France 2 estimait, au contraire, que l’intéressé n’avait pas joué d’un quelconque instrument
pour interpréter une partition, mais seulement utilisé un programme de composition, en
donnant des instructions informatiques pour appeler des données sonores. Les premiers juges
avaient approuvé cette argumentation33. La Cour d’appel infirme le jugement au motif qu’il
était nécessaire de prendre en considération «l’apport des techniques informatiques tant dans
le domaine de la création que de l’interprétation».


31.     La lecture littérale de l’article L212-1 du CPI indique en effet, qu’il peut y avoir
interprétation hors de l’usage d’un instrument de musique au sens traditionnel. En usant de
l’expression «de toutes autres manière»34, il ouvre le champ à tous les modes d’expression
artistique.


32.     En définitive, si la conception de l’interprétation (à l’instar de celle de l’œuvre) est
évolutive et s’élargit en fonction des avancées technologiques, il n’en demeure pas moins que
l’interprétation correspond à la transcription sonore de l’œuvre, du moins en matière
31
   Paris, 4ème ch., 3 mai 2006 : RIDA octobre 2006, p.305.
32
   Autorisation écrite exigée par l’article L212-3 du CPI.
33
   TGI Paris, 16 septembre 2003, Sté des producteurs de phonogrammes en France c/ Top 50 : D. 2003, p.2758,
obs. P. SIRINELLI.
34
   X. DAVERAT, un an de droit de la musique : CCE n°4 avril 2007, 4.
                                                                                                        10
musicale. Par conséquent, il s’avère nécessaire de bien délimiter l’interprétation afin d’éviter
une confusion entre l’œuvre et son interprétation, mais également entre l'interprétation et
l’interprète. Dans le cadre de l’intégrité matérielle, il est d’autant plus difficile d'établir la
frontière entre ce qui relève d’une atteinte à l’œuvre et ce qui relève d’une atteinte à
l’interprétation. Ainsi, le juge doit manier les concepts avec une grande prudence, tant la
tentation est grande de préserver l’œuvre à travers la protection de l’interprétation et de
préserver l’interprétation à travers l’œuvre, ce qui constituerait un détournement des
instruments juridiques mis à la disposition des musiciens par le législateur.


Section 2/ La préservation de l’œuvre et de l’interprétation durant leur vie publique


33.    Il convient de se demander si ce droit, s’appliquant durant la vie publique de l’œuvre
et de l’interprétation (A), ne protège que des atteintes perceptibles par le public (B).


A/ L’application durant la vie publique de l’œuvre


34.    L’application durant la vie publique de l’œuvre suppose qu’il y ait un point de départ à
cette dernière, en l’occurrence le moment où l’auteur exerce son droit de divulgation (1°), et
une extinction possible, celui où il exerce son droit de retrait (2°).


1°) Le point de départ : la divulgation


35.    L’objet du droit au respect est l’œuvre ou l’interprétation telle que l’artiste l’a voulue.
Selon Desbois, le droit au respect intervient donc comme le corollaire du droit de divulgation.
En effet, en prenant la décision de rendre publique l’œuvre, il offre une vision de ce qu’il
estime bon au monde des arts, et à ce titre, il entend que cette vision personnelle soit
préservée. Ainsi, le point de départ de l’exercice du droit au respect serait non la création de
l’œuvre mais sa divulgation.


36.    Si cette théorie peut s’appliquer aux auteurs seuls, elle demeure incertaine pour les
œuvres créées en collaboration, et inexistante pour les interprètes. L’auteur seul peut, en
effet, prendre la décision personnelle de divulguer l’œuvre (les problèmes de préservation de
celle-ci avant la divulgation ne regardant que l’auteur). Soit l’œuvre est telle qu’il l’a voulue
et il prend la décision de la divulguer, soit elle ne correspond pas à ses attentes et il ne la
divulgue pas.

                                                                                               11
a) Les œuvres de collaboration


37.        L’œuvre de collaboration est, au titre de l’article L113-2 du CPI «l’œuvre à la
création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques». La définition «fait
apparaître que la qualification suppose la réunion de trois éléments»35 : les participants
doivent être des personnes physiques, leur contribution doit être de nature à leur donner la
qualité d’auteur et leur participation concertée.


38.        Une collaboration, quelle que soit l’animation qui la guide, artistique ou non, prend
naissance d’une volonté de mettre en commun les talents de chacun. Toutefois, il peut arriver
que les intérêts de chacun divergent, que la prestation d’un collaborateur ne correspond pas
aux attentes ou à la vision que les autres collaborateurs se faisaient du projet commun. Ainsi
le droit s’empare de ce conflit d'intérêts, dont la solution se trouve, dans une limitation des
libertés de chacun.


39.        En effet, «toute œuvre qui n’est pas personnelle à un seul auteur comporte une sorte
de mise en commun du droit moral qui est de la part de chacun une aliénation de ses
prérogatives personnelles»36. Le droit au respect d’un des auteurs se trouve donc limité et doit
se concilier avec l’exercice de celui des autres.


40.        Il se peut, au cours de l’élaboration de l’œuvre, qu’un des coauteurs ne soit pas
satisfait de l’apport d’un autre coauteur, et refuse de la divulguer. Dans ce cas, soit le coauteur
insatisfait modifie lui-même la contribution (l’autre auteur pouvant saisir le juge afin de
rétablir l’intégrité de l’œuvre commune), soit le conflit d’intérêts sera réglé par la voie
judiciaire.


41.        Cependant, la modification, voire la destruction de la contribution d’un des coauteurs
par un autre ne relève pas du droit au respect mais relèverait davantage du droit de
divulgation. En effet, si l’un des co-auteurs est insatisfait du travail final, en raison
notamment des atteintes portées à sa contribution, il ne donnera pas son accord à la
divulgation (celle ci devant s’exercer à l’unanimité). Le juge interviendra alors en amont afin
de statuer sur la divulgation ou non, de l’œuvre.



35
     A. et H.J. LUCAS, Traité de propriété littéraire et artistique 2006, 3ème ed., p.153.
36
     R. SAVATIER : JCP 1957, I, Doc. 1398, n°45.
                                                                                                12
b) Les interprétations


42.      A l’inverse de l’auteur, l’interprète ne dispose pas d’un droit de divulgation, ceci en
dépit des critiques doctrinales. En effet, le code est étonnamment silencieux sur l'existence
d’un droit de divulgation pour l’artiste interprète. Le rapprochement du régime du droit de
l’artiste interprète avec celui de l’auteur, laisserait cependant supposer qu’il existe bel et bien,
malgré cette omission. Selon certains auteurs, le droit de divulgation, étant «véritablement
fondamental, relèverait de l’essence même du droit moral et serait à ce point évident qu’il
s’appliquerait sans pour autant avoir été formellement énoncé»37. Toutefois, il est permis de
penser que si le législateur n’a pas mentionné ce droit à l’égard des artistes interprètes, c’est
bien qu’il en est dépourvu. Il s’agit d’un droit voisin du droit d’auteur, mais le fait que leurs
régimes soient proches ne doit cependant pas masquer une certaine hiérarchie entre les deux
droits. La doctrine majoritaire est alors encline à penser que l’interprète ne jouit pas d’un droit
de divulgation38. Une solution inverse reviendrait à conférer à l’artiste un droit sur
l’exploitation de l’œuvre, ce qui se révélerait peu compatible avec la situation de
subordination qui le lie à son employeur.


43.      Cependant, l’artiste interprète dispose d’un droit d’autorisation en vertu de l’article
L212-3 du CPI. S’il peut s’apparenter au droit de divulgation énoncé par l’article L121-2 du
même code, certains auteurs39 estiment qu’il n’est pas exprimé aussi singulièrement. Parce
qu’il s’agit d’un droit patrimonial, cette prérogative n’a pas le caractère absolu que pourrait
avoir un attribut du droit moral40. En effet ce droit est cessible et soumis aux exceptions du
droit de l’artiste interprète envisagées par l’article L211-3.


44.      Dès lors, l’artiste interprète ne pouvant mettre en œuvre un droit de divulgation, le
droit au respect interviendra dès la fixation de son interprétation. S’il a cédé son droit
d’autorisation prévu à l’article L212-3 du CPI, et que le producteur souhaite publier
l’interprétation, l’artiste interprète pourra, sur le fondement du droit au respect, obtenir, le cas
échéant, le retrait de l’interprétation litigieuse.




37
   T. AZZI, Le droit moral de l’artiste interprète : retour sur les silences troublants du législateur : Propr. Intell.
juillet 2008, n°28, p.281.
38
   A. et H.J. LUCAS, op. cit., n°1028 ; P. Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF Droit, collection
droit fondamental, 5ème édition, 2004, n°14 ; F. POLLAUD-DULLIAN, Le droit d’auteur, Economica, corpus
droit privé, 2004, n°1607.
39
   X. DAVERAT, Le droit moral de l’artiste interprète : J.-Cl. propriété littéraire et artistique, fasc.1430, n°20.
40
   T.AZZI, préc., p.286.
                                                                                                                    13
2°) L’extinction du droit au respect


a) L’auteur


45.     Le droit français, depuis la loi de 1957, a opté pour une conception dualiste du droit
d’auteur. Ce principe a pour effet de bien séparer les attributs patrimoniaux et moraux de
l’auteur. Ainsi, l'extinction des droits patrimoniaux au bout de 70 ans après la mort de
l’auteur41 n’emporte pas l’extinction de son droit moral. A l’article L121-1, le code confère au
droit moral une protection perpétuelle et imprescriptible. On peut toutefois noter un paradoxe
en ce que le code précise à l’alinéa 2 du même article que ce droit est attaché à la personne de
l’auteur. Comme tout droit de la personnalité, on pourrait en déduire que ce droit ne survit pas
à la mort de l’auteur. A l’inverse, les droits patrimoniaux, véritables droits de propriété,
cessibles et donc détachables de la personne de l’auteur, sont plus enclins à supporter
l’imprescriptibilité42 au-delà de la mort de ce dernier.


46.     Le droit au respect de l’œuvre est perpétuel. Toutefois, si l’auteur prend la décision de
retirer l’œuvre de sa vie publique, sur le fondement de l’article L121-4, toute modification de
l’œuvre devra dès lors être sanctionnée, non plus sur le fondement du droit au respect, mais
sur le fondement du droit de retrait de l’œuvre.


b) L’artiste interprète


47.     Concernant, l’artiste interprète, aucune précision n’est donnée sur le caractère
perpétuel du droit au respect. En effet, l’article L212-2 alinéa 2 du CPI précise que «ce droit
inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne». Cependant, l’alinéa 3 dispose que ce
droit «est transmissible à ses héritiers pour la protection de l’interprétation et de la mémoire
du défunt». Pour une partie de la doctrine cela signifierait qu’à l’inverse de ce que la loi
prévoit en matière de droit d’auteur, le droit moral s’éteindrait ici avec les droits
patrimoniaux43. Cette analyse unitaire est, à notre avis, en parfaite contradiction avec la loi de
1985, en ce qu’elle sépare le droit moral et le droit patrimonial de l’artiste interprète. De plus,
elle contredit la jurisprudence qui tend à calquer le régime du droit moral de l’artiste
interprète sur celui de l’auteur. Quel serait alors le but du rappel de l’imprescriptibilité de ce
droit si ce n’est pour lui conférer un caractère perpétuel ?

41
   Art. L123-1 du CPI.
42
   S. NERISSON, op. cit., p.28.
43
   « 50 ans après l’interprétation ou la communication au public », art. L211-4 du CPI.
                                                                                                14
48.     Par ailleurs, on peut se demander si l’arrêt des droits patrimoniaux n’emporte pas des
conséquences sur l’exercice du droit au respect. En effet, à l’inverse d’une conception
purement personnaliste du droit moral, on peut envisager que le fait pour une œuvre ou une
interprétation de tomber dans le domaine public puisse permettre une utilisation plus libre, sur
le fondement notamment de la liberté de création, corollaire de la liberté d’expression.
Cependant, dans une décision récente, la Cour de cassation , bien qu’ayant estimé que cette
liberté empêchait les héritiers d’interdire l’adaptation d’une œuvre tombée dans le domaine
public, a rappelé que cette liberté devait s’exercer dans la limite du droit au respect44.


49.     Ainsi, le droit au respect s’exerce de manière perpétuelle pendant toute la vie publique
de l’œuvre. Ce droit garantit une intangibilité de l’œuvre, nécessaire à la préservation de son
intelligibilité.


50.     Qu’il s’agisse d’une œuvre réalisée seul, d’une œuvre de collaboration ou d’une
interprétation, le droit au respect va protéger l’œuvre durant sa vie publique. Les atteintes
perpétrées, aussi bien au corps de l’œuvre, à l’interprétation, qu’à l’esprit, ne vont être
envisagées que si elles interfèrent avec la vision que l’artiste a voulu donner de son travail
lorsqu’il a autorisé sa communication publique.


B/ La préservation contre les atteintes publiques


51.     On peut se demander si l’appréciation de l’atteinte doit se faire par rapport au public
ou si son appréciation est éminemment subjective et reste de l’appréciation de l’auteur seul.
En effet, l’exercice du droit au respect doit être fondé sur une atteinte à l’intégrité matérielle
de l’œuvre. Cette atteinte est un fait juridique dont la réalité doit être prouvée. La
communication de l’œuvre se fait dans une forme musicale, intelligible par le public. C’est
cette intelligibilité de la pensée, des sentiments de l’auteur à travers la forme musicale qui ne
doit pas être viciée. Il est nécessaire pour vérifier l’atteinte de se référer au processus d’accès
à la chose.


52.     Si ce processus est déterminé par l’auteur seul, ce droit est considéré comme absolu, et
il appartient au juge de donner raison à l’auteur dès lors que celui-ci estime que la version
diffère de sa vision. A l’inverse, le considérer comme contingent nécessite de déterminer


44
 Cass. 1ère civ., 30 janvier 2007, n°04-15.543, SA Plon et a. c/ Pierre Hugo et a. : D. 2007, p.920, comm. S.
CHOISY ; JCP G n°7, 14 février 2007, II 10025, comm. C. CARON.
                                                                                                          15
l’atteinte. Ainsi, si ce fait modifie la forme intelligible de l’œuvre et est perceptible par le
public, alors l’atteinte sera qualifiée.


53.     Il est à noter que ce n’est pas le public qui peut se prévaloir de l’atteinte, et ce quand
bien même il souffrirait de la dénaturation45. En effet, la protection est instituée dans l’intérêt
de l’auteur. Il peut arriver, d’ailleurs, que l’intérêt du public diverge de celui de l’auteur. Ce
renvoi au public est nécessaire pour juger de l’effet produit par le fait reproché. Celui-ci se
conçoit comme un individu de compétence et d’exigence moyennes en rapport avec le mode
de communication envisagé46. Mais             il ne permet pas de juger de l’opportunité de la
procédure, ni du préjudice. L’existence de ce préjudice n’est d’ailleurs pas à rechercher
puisque dès lors que l’atteinte est caractérisée, il y a violation du droit moral.


54.     Dès lors, la mise sur support estimée de mauvaise qualité par l’auteur ne pourra être
accueillie par le juge que si la perception de ce défaut de qualité se fait sentir par le public.
Cependant, l’auditeur moyen doit il être considéré par rapport à l’œuvre musicale en général
ou par rapport à celle envisagée ? En effet, l’exigence d’un public de musique classique ne
sera pas la même qu’un public habitué du rock garage. La sensibilité recherchée par la
justesse des notes et la pureté du son des concertos pour piano de Bartok ne sera évidemment
pas la même que la qualité recherchée pour l’écoute de l’œuvre intégrale des Stooges.
Cependant, l'indifférence du mérite des œuvres obligerait à qualifier l’atteinte d’une façon
identique pour toutes les œuvres.


55.     Il nous semble que l'indifférence du mérite de l’œuvre ne devrait jouer que dans
l’accès à la protection. Ainsi, le juge devrait regagner une certaine forme d’appréciation
artistique pour la caractérisation de l’atteinte. Ce que d’ailleurs il a déjà fait. En effet, dans
l’arrêt en date du 7 novembre 200647, le juge suprême a estimé, au sujet d’une œuvre de
Pierre Perret intégrée à un karaoké, que « le groupe d’artistes l’interprétait classiquement, la
livrant au public sans déformation, mutilation ou autre modification, et que ni la
superposition du texte aux images ni le cadre général de l’œuvre audiovisuelle ne modifiait
l’esprit de l’œuvre particulière, chanson populaire comme les treize autres, ni n’était de
nature à la dévaloriser». Force est alors de constater que le juge confirme ici la Cour d’appel

45
   En 1853, le comte Thadée Tyszkiewics poursuivis en justice l’académie impériale de musique pour avoir eu
les «oreilles abîmées» par une représentation du Freyschutz de Weber. Plainte reproduite par P. SZENDY, op.
cit., p.43.
46
   S. GREGOIRE, Le droit au respect : J.Cl. propriété littéraire et artistique, Fasc, 1213.
47
   Cass. 1ère civ., 7 novembre 2006 : D. 2006, 417, note P. ALLAYES ; CCE 2006, comm. n°152, note C.
CARON.
                                                                                                         16
dans son appréciation artistique d’une atteinte à l’œuvre, tant dans l’atteinte matérielle
alléguée par l’auteur («son interprétation en play back, par un groupe totalement anonyme,
chantant au surplus faux») que dans sa dénaturation.


Chapitre II : L’application du principe


56.       Comme nous l’avons vu précédemment, le droit au respect a vocation à s’appliquer
lors de la vie publique de l’œuvre. La vie publique correspond, généralement, à son
exploitation, c’est pourquoi il convient d’étudier précisément le droit au respect en fonction
des modes d’exploitation d’une œuvre et d’une interprétation musicale.              Aussi nous
étudierons ces modes d’exploitation selon le découpage traditionnel à savoir le droit de
reproduction (Section 1) et le droit de représentation (Section 2).


Section 1/ Dans le cadre de l’exercice du droit de reproduction


57.       Le droit de reproduction correspond à «l’intercalation d’un support entre l’œuvre
incorporelle et le public, qui y accédera, «de manière indirecte», par son intermédiaire»48 .
Ce droit est, le plus souvent, transmis par l’auteur ou l’interprète à un tiers en vue de la mise
sur support. Dans le cadre d’une œuvre musicale, deux acteurs interviennent : l’éditeur
responsable de la fabrication en nombre du support (A) et le producteur responsable de la
première fixation sonore (B). Il convient donc d’étudier les obligations de chacun de ces
acteurs par rapport au droit au respect.


A/ Les obligations relatives à l'éditeur


58.       Défini à l’article L132-1 du CPI, «le contrat d’édition est le contrat par lequel
l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une
personne appelée éditeur le droit de faire fabriquer en nombre, des exemplaires de l’œuvre, à
charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion». Traditionnellement envisagé
pour la matière littéraire, ce contrat est employé en matière musicale à la fois pour l’édition
graphique des partitions musicales et pour l’édition phonographique.


59.       En vertu de l’alinéa 2 de l’article L132-11 du CPI, l’éditeur «ne peut, sans
autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’œuvre aucune modification». On peut se
48
     P.-Y. GAUTHIER, op. cit., n°152.
                                                                                              17
demander en quoi cette obligation diffère du droit au respect envisagé de manière générale à
l’article L121-1 du CPI. La doctrine s’accorde à penser qu’avec cet alinéa, le législateur a
souhaité contraster avec la cession du droit de reproduction. En effet, il réaffirme le caractère
inaliénable du droit au respect, de sorte que la cession du droit de reproduction n’emporte pas
la cession du droit au respect. Ce simple «écho»49 de l’article L121-1 ne doit donc pas être
envisagé comme une obligation accrue à l’égard de l’éditeur. Il convient toutefois de
distinguer entre l’édition graphique (1°) et l’édition phonographique (2°).


1°) Dans le cadre de l’édition graphique


60.     Le droit au respect, en raison des risques assumés par l’éditeur, justifie certains
aménagements. Il est d’une part «tenu d’une obligation de conseil au terme de laquelle il doit,
sauf à engager sa responsabilité, corriger les fautes d’orthographe ou de sémantique relevées
dans le manuscrit ou les signaler à l’auteur»50. Si cette obligation s’apprécie facilement dans
le cadre des œuvres littéraires, elle parait plus compliquée à satisfaire dans le cadre de
l’édition graphique musicale.


61.     Les erreurs communes en matière d’édition graphique sont les erreurs portant sur les
clefs, les signes, la mesure ou encore l’oubli de la mention du tempo retenu. Ces
modifications, à l’inverse des corrections en matière littéraire, devront toujours faire l’objet
d’une demande de la part de l’éditeur tant le droit moral est menacé par ce genre de
correction. En effet, les fautes d’orthographe ne dépendent (normalement) pas du libre arbitre
de l’auteur, tandis qu’en matière musicale le choix d’un tempo, d’une tonalité dépend d’un
choix éclairé du musicien51. Ainsi, si Desbois pensait les éditeurs fondés, dans des ouvrages
d’histoire ou de biographie, à redresser les erreurs flagrantes d’orthographe ou de syntaxe,
mais aussi les inexactitudes d’information, qui échappent à toute discussion52, nous ne
pensons pas que cette liberté puisse être élargie à l’édition phonographique pour justifier la
correction des oublis de l’auteur, quand bien même celle-ci ne prêterait à aucune discussion.


62.     Une solution inverse doit toutefois être envisagée lorsque la partition comporte
également les paroles, auquel cas l’éditeur doit comme dans le cadre de l’édition littéraire,
corriger les fautes graves d’orthographe.
49
   A. et H. J. LUCAS, op. cit., p.511.
50
   Toulouse, 2ème ch., 22 février 1993 : juris-data n°1993-0400928 ; Paris, 4ème ch., 4 février 1988 ; D. 1989,
somm. Comm. 49, obs. C. COLOMBET.
51
   G. BOUCHE, L’édition d’œuvre musicales, thèse, Nantes, 2003, p.209.
52
   DESBOIS, Le droit d’auteur en France, 3ème édition, Dalloz, n°448.
                                                                                                            18
2°) Dans le cadre de l’édition phonographique


63.      On peut se poser la question de savoir si, dans le cadre de l’édition phonographique,
l’éditeur, peut, dans un souci d’éviter une condamnation civile ou pénale ultérieure, apporter
des modifications à l’œuvre ou à l’interprétation.


64.      Une affaire retiendra notre attention. Par un jugement en date du 3 janvier 196853, le
Tribunal de Grande Instance de Paris a estimé que l’œuvre protégée par le droit moral est la
chanson et non l’album. Dès lors, l’éditeur ne porte pas atteinte au droit moral en décidant la
suppression de l’une des chansons du disque en raison du caractère diffamatoire de celle-ci.


65.      En effet, en 1967 en exécution d’un contrat d’enregistrement passé en 1966, l’auteur
compositeur interprète Léo Ferré enregistre treize chansons. Or, l’une des chansons intitulée A
une chanteuse morte porte clairement atteinte à l'impresario d’Edith Piaf, en l’accusant de se
servir de la mort de la chanteuse pour promouvoir une nouvelle artiste. L’éditeur décide de
retirer cette chanson du catalogue. Il était mentionné dans le contrat d’enregistrement que si
«le choix des titres sera déterminé d’un commun accord», en outre, «la compagnie (l’éditeur),
est seul juge pour décider si les enregistrements sont réussis et susceptibles de figurer à son
catalogue».


66.      Léo Ferré n’a pas réussi à démontrer que les chansons tournaient autour d’un thème
unique. La suppression porte selon lui préjudice à l’œuvre que constitue le disque et rompt
l'intelligibilité de celui-ci. Or en raison du contrat, le choix du catalogue était laissé à la libre
appréciation de l’éditeur. De plus, «la simple volonté d’un auteur de donner à plusieurs
œuvres distinctes le caractère d’œuvre unique ne suffit pas. Cette volonté doit s’exprimer de
manière concrète. On retrouve bien la logique du droit d’auteur qui pose comme principe
fondamental que l’idée soit incarnée en une forme perceptible aux sens afin de donner prise
au monopole d’exploitation»54.


67.      Toutefois, une jurisprudence plus ancienne avait considéré55 que l’éditeur ne peut
exercer une censure des auteurs qu’il édite, même pour expurger de leurs œuvres les propos
diffamatoires susceptibles d’entraîner pour lui, éditeur, des poursuites civiles ou pénales.
L’activité d’éditeur n’est donc pas sans risques. Ainsi, si l’éditeur ne peut procéder lui même

53
   TGI Paris, 1ère ch., 3 janvier 1968 : RIDA 1968 n°LVI, p.126.
54
   G. BOUCHE, op. cit., p.214.
55
   T.Civ. Seine, 12 février 1922 : annales 1923, p.323.
                                                                                                  19
à la suppression des paroles susceptibles de lui porter préjudice, il peut refuser l’édition d’une
œuvre si elle ne s’inclut pas dans un ensemble constituant un «tout artistique», conférant au
disque la qualité d’œuvre.


B/ Les obligations relatives au producteur


68.    Le producteur est celui qui prend l’initiative et la responsabilité de la fixation d’une
œuvre musicale. Dès lors, il s’engage à respecter les intentions de l’auteur, notamment dans
l’exercice de son droit moral.


69.    La réalisation d’un exemplaire phonographique peut porter atteinte à l’œuvre en
question, dans un premier temps dans la qualité de l’interprétation. Les artistes interprètes
étant subordonnés, dans l’exercice du contrat de travail, au producteur, celui-ci s’engage à ce
que l’interprétation soit conforme à l’intention de l’auteur.
70.    Dans un second temps, le producteur s’engage, notamment au regard des techniques
de fixation, à respecter l’œuvre. Ces réserves concernant le droit moral sont évoquées dans les
contrats d’édition sonore, notamment dans les contrats types BIEM/IFPI pour l’industrie
phonographique. L’article III de ces contrats stipule que «les modifications que le producteur
croirait devoir apporter à une œuvre pour satisfaire aux nécessités de l’enregistrement ne
devront jamais avoir pour effet d'altérer le caractère de l’œuvre, et la société réserve
expressément le droit moral des auteurs.»


71.    L’exemple de la numérisation correspond bien au type d’atteintes que l’œuvre et
l’interprétation peuvent subir dans le cadre de l’enregistrement (1°). Nous étudierons par la
suite les atteintes du fait du karaoké (2°) et des sonneries téléphoniques (3°)


1°) La numérisation des œuvres


72.    La prise en considération de l’évolution technique dans le domaine musical nous
oblige à envisager la numérisation dans le cadre des atteintes à l’œuvre et à l’interprétation.
En effet, qu’il s’agisse de nouveaux modes d’enregistrement ou de nouveaux modes de
stockage, la numérisation a désormais pris le «monopole de l’exploitation musicale». Elle a
pour finalité d’assurer la reproduction pure et simple des œuvres ou des interprétations. A ce
titre, le droit au respect de l’intégrité ne devrait pas avoir à s’appliquer. Il ne faut cependant
pas oublier que le droit au respect entraîne des obligations très strictes à la charge du

                                                                                               20
producteur et de l’éditeur. Dès lors, de quelle manière l’auteur ou l’interprète est-il fondé à se
prévaloir de son droit au respect à l’intégrité pour une opération ayant pour but la
reproduction pure et simple des œuvres ou interprétations ?


73.     Que ce soit au niveau de l’enregistrement réalisé par le producteur, au moment de la
fabrication des exemplaires ou du stockage, la numérisation consiste en une «conversion d’un
objet réel en une suite de nombres permettant de représenter cet objet en informatique ou en
électronique numérique. On utilise parfois le terme franglais de digitalisation»56. En
musique, elle consiste à convertir un signal analogique en un signal numérique. Or, un signal
analogique est par définition d’une précision infinie, à la fois en temps et en valeur. Dès lors,
pour permettre une définition exacte en temps du signal afin de le stocker numériquement, on
va réduire ce signal à une suite de points discrets. C’est-à-dire, pour simplifier, que le signal
numérique est une représentation imparfaite et approximative du signal analogique.


74.     Si cette imprécision est souvent imperceptible à l’oreille, la jurisprudence a toutefois
rappelé avec constance que «toute modification, quelle qu’en soit l’importance, apportée à
une œuvre de l’esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci». Cette
formule est applicable à l’œuvre57 et à l’interprétation58. Toutefois, la première fixation
numérique, n’emportera pas les mêmes conséquences qu’il s’agisse de l’œuvre ou de
l’interprétation. En effet, la Cour de cassation a déjà rappelé que la finalité de l’œuvre était
d’être interprétée59, elle n'hésite pas d’ailleurs à apprécier la qualité de l’interprétation60. A ce
titre, il est probable qu’elle n’apprécie que la qualité de l’enregistrement, d’autant plus s’il
s’agit du premier enregistrement. L’élément de comparaison est absent, seule l’impression de
l’auteur peut être retenue. Dès lors, le juge devra apprécier entre ce que l’auteur a voulu et le
résultat de l’enregistrement numérique.


75.     L’interprète quant à lui est, le plus souvent, subordonné au producteur par un contrat
de travail prévu à l’article L762-1 du Code du travail. L’engagement du droit au respect en
raison d’un enregistrement numérique serait peu compatible avec cette subordination.
D’autant plus qu’en vertu de l’article L212-3 du CPI, la fixation de sa prestation est soumise à


56
   http://fr.wikipedia.org/wiki/Numerisation.
57
   Cass. 1ère civ, 24 février 1998 : D. 98, p.471 note FRANCON ; Cass. 1ère civ., 5 décembre 2006 : CCE., n°2,
février 2007, comm. 18 C. CARON.
58
   Cass. Soc., 8 février 2006 : Légipresse, n°232, juin 2006, comm. P. TAFFOREAU.
59
   Paris, 4ème ch., 23 janvier 2004, Edition Musicales Alpha, Jacques Dutronc et autres c/ Sté Case production :
RIDA 2/2005, p.308.
60
   Cass. 1ère civ., 7 novembre 2006, préc.
                                                                                                             21
autorisation. C’est en raison de ce droit que l’artiste interprète agira et non sur le fondement
de son droit au respect.


76.     En outre, la pochette de l’album est également présente sur le support numérique.
L’ «art numérique» offre donc une myriade de possibilités pour présenter avec l’œuvre un
certain nombre d’informations, qu’elles soient d’ordre visuel ou sonore, voire non
perceptibles par les sens comme par exemple les DRM (Digital Right Management), qui
permettent à l’éditeur d'empêcher la reproduction ou de limiter l’usage de l’œuvre à un ou
plusieurs supports. Ces clefs numériques sont présentes sur le disque ou directement sur le
morceau dématérialisé.


77.     On peut se poser la question de savoir si cette présence aux côtés de l’œuvre
reproduite sous forme de code peut porter matériellement atteinte à l’œuvre. A notre avis en
aucune façon, dans le sens où elle ne modifie ni l’œuvre, ni l’interprétation dans sa
perception. Dès lors, elle ne peut constituer une atteinte matérielle à l’œuvre. La pratique a
cependant révélé que la présence de ces programmes pouvait faire apparaître sur certains
matériels d’écoute des sauts, des clics ou distorsions, auquel cas l’atteinte est clairement
avérée ; l’artiste peut donc s’en prévaloir61.


78.     Il est donc peu probable que les producteurs et éditeurs puissent se prévaloir de la
notion de contraintes techniques pour justifier ces atteintes à l’œuvre ou l’interprétation.
Cependant, comme le relève très justement Christine Nguyen Duc Long, si la numérisation
fait craindre de nombreuses atteintes à l’œuvre, chacune des parties devra prendre
«conscience des contraintes de l’autre partie»62.


79.     En revanche, il arrive que certains producteurs décident de remettre au goût du jour
certains morceaux. Ils procèdent ainsi au remastering. Le remastering est une technique de
post-production utilisée dans les industries musicales et cinématographiques. L'objectif est
d'améliorer la qualité d'enregistrement sonore ou audiovisuel vieillissant. Comme son nom
l’indique, il s’agit d’un nouveau mastering, qui est un procédé permettant de regrouper les
instruments enregistrés indépendamment (les pistes), pour rendre un ensemble cohérent à



61
   «Question : Pourquoi les fichiers copiés du disque avec Microsoft® Windows Media® Player comportent-ils
des clics, sauts ou distorsions? Réponse : Ceci est dû à la technologie Copy Control contenue sur le disque,
destinée à empêcher toute copie numérique» : http://www.emimusic.info/fr_FR/ccontrol.html#a15.
62
   C. NGUYEN DU LONG, préc., p.97.
                                                                                                         22
l’écoute de l’œuvre63. On procède alors à la numérisation indépendante des pistes, si celles-ci
ont été conservées ; si les bandes ont été perdues, on se contentera des pistes gauche et droite
pour un enregistrement en stéréophonie ou de l’unique piste monophonique. Généralement, le
remastering ne consiste pas en une unique numérisation des œuvres. On procède également à
des corrections sonores de l’œuvre, consistant en la suppression du souffle, l’amélioration de
la dynamique afin de pouvoir augmenter le volume de l’enregistrement sans souffrir des effets
de distorsion, et enfin une nouvelle égalisation. Les modifications ainsi faites ont pour but
d’améliorer la qualité d’écoute d’une œuvre, d’en faire ressortir des variations, des sons qui
n’étaient pas présents sur le premier enregistrement, en raison de la mauvaise qualité
technique de l’époque.


80.        Louable ou non, l’auteur et l’interprète peuvent s’en plaindre, car elles consistent en
une modification de l’œuvre ou de l’interprétation. Cette technique peut en effet faire
apparaître les défauts de l’interprète, ou révéler certaines incohérences de l’œuvre, auquel cas
l’auteur et l'interprète doivent être, une nouvelle fois, expressément sollicités par le
producteur qui souhaite retravailler cette œuvre.


2°) Le karaoké : entre destruction du lien harmonique et simple compilation


81.        Le karaoké est l’exemple le plus probant d’atteinte matérielle. La       Société pour
l’administration du Droit de Reproduction Mécanique (SDRM) définit ce procédé comme
«tout support de son, de texte ou d’image y compris numérique, reproduisant pour une œuvre
donnée, l’interprétation musicale et le défilement concurrent du texte des paroles et/ou de la
partition de ladite œuvre, et dont l’objet est de permettre l'interprétation chantée de cette
dernière par l’utilisateur grâce au défilement sur écran du texte des paroles et/ou de la
partition simultanément à la diffusion de l’interprétation musicale»64.


82.        Ce procédé d’origine japonaise consiste plus généralement en une suppression des
paroles chantées de l’œuvre, laquelle est réduite à son orchestration, afin que l’utilisateur du
vidéogramme puisse interpréter la chanson en fonction du défilement des paroles. Les juges
du fond sont souvent saisis de telles affaires par des auteurs faisant prévaloir leur droit au
respect. Les juges donnaient, d’ailleurs, souvent raison à ces auteurs, en estimant que cette
exploitation portait préjudice «du fait notamment de la suppression partielle de la ligne


63
     http://fr.wikipedia.org/wiki/Remastering.
64
     Cité par P. ALLAEYES, préc., p.417.
                                                                                               23
mélodique, de la synchronisation de la musique d’accompagnement avec des images et un
texte fragmenté et colorié»65 .


83.     Cependant, alors qu’il paraissait clair pour la doctrine que l’exploitation sous forme de
karaoké portait atteinte à l’œuvre, la Cour de cassation dans une affaire assez proche du
procédé karaoké avait estimé «qu’une chanson constituait un tout indivisible, par l’union de
ses textes et musique, et dont l’exploitation, séparée, portait atteinte au droit moral»66.
Pourtant, elle est revenue récemment sur cette jurisprudence. Le 7 novembre 2006, la Haute
cour a estimé que le karaoké pouvait s'apparenter à une compilation, laquelle est «un mode
d’exercice du droit patrimonial cédé», que celle ci «n’est de nature à porter atteinte au droit
moral de l’auteur, requérant alors son accord préalable, qu’en tant qu’elle risque d’altérer
l’œuvre ou de déconsidérer l’auteur».


84.     En l’espèce, la société Warner Chappell Music France, sous-cessionnaire des droits
d’exploitation de la chanson Les jolies colonies de vacances, dont M. Pierre Perret est l’auteur
compositeur et l’interprète habituel, a autorisé la société Polygram vidéo à intégrer l’œuvre
dans une vidéocassette, intitulée Kara Ok !. Dans ce vidéogramme la chanson était interprétée
par un groupe d’artistes. Or, à l’inverse des karaokés traditionnels, la chanson était interprétée
intégralement, de sorte M. Pierre Perret ne pouvait se prévaloir d’une atteinte matérielle à son
œuvre, puisque «le groupe d’artiste l’interprétait classiquement, la livrant au public sans
déformation, mutilation ou autre modification».


85.     Dès lors, il est nécessaire de distinguer, dans le cadre du karaoké,                      le karaoké
classique, c’est-à-dire avec suppression du chant, et les karaokés sans suppression. La Cour
d’appel de Paris avait en effet révélé dans une autre affaire que le droit au respect de l’œuvre
n’est pas en cause lorsqu’un groupe d’artistes interprète une chanson, dont le texte défile
simultanément avec le son, en superposition des images67. Le but d’une œuvre musicale étant
d’être interprétée, l’auteur, en l’absence de modification, ou si ces modifications ont été
autorisées par contrat, ne peut se prévaloir d’une atteinte à son œuvre. A l’inverse, dans le
cadre de paroles dissociées, le juge devra retenir que «le procédé karaoké détruit le lien
harmonique naturel existant avec la ligne mélodique de l’œuvre initiale compte tenu de la


65
   Paris, 4ème chambre A., 14 mars 2001 : D. 2001, somm. P.2556, obs. P. SIRINELLI. Dans le même sens, Paris
 ère
1 ch., 7 mai 2001, Jacques Brel c/ Petraco : RIDA 4/2001, obs A. KEREVER.
66
   Cass. 1ère civ., 15 février 2005, Femme Libérée : CCE 2005, comm. n°61, obs. C. CARON.
67
   Paris, 4ème ch., 23 Janvier 2004, Edition Musicales Alpha, Jacques Dutronc et autres c/ Sté Case Production :
RIDA, 2/2005, p 308.
                                                                                                             24
transcription exclusivement graphique des paroles et de la reproduction partielle de la
musique»68.


3°) Les sonneries téléphoniques


86.     Dans un jugement du 7 novembre 200369, le Tribunal de Grande Instance de Paris a
eu à connaître de l’exploitation d’une œuvre musicale sous forme de sonnerie téléphonique. Il
s’agissait, en l’espèce, d’une œuvre écrite et composée par M. Claude M’B (dit Mc Solaar) et
d’autres coauteurs. Ceux-ci avaient fondé leur action sur l’atteinte au droit moral. Le Tribunal
de Grande Instance a estimé que les œuvres étaient réduites à «une simple ligne mélodique
numérisée, passée en boucle». En outre, «les chansons considérées relèvent d’un genre, le
rap, dans lequel une importance particulière est accordée aux paroles et qu’ils n’entendent
donc pas que les textes puissent être dissociés de leur accompagnement musical». Le juge a
donc estimé que cette exploitation de l’œuvre constituait une atteinte au droit au respect.


87.     On peut s’interroger sur la portée en 2008 d’une telle solution, tant les sonneries
téléphoniques ont évolué. En effet, aujourd’hui, la technologie est telle que désormais il est
possible d’utiliser le morceau, numériquement compressé, en guise de sonnerie. Le format
désormais employé est soit le format dit Hifi, soit directement l’emploi de morceaux
compressés au format Mp3. Mais, au-delà de ce fait, on peut se poser la question de savoir si
le format extrêmement court imposé par la nature de la sonnerie téléphonique ne doit pas être
envisagé également comme une atteinte matérielle.


88.     Lorsque le morceau est proposé par des distributeurs en téléchargement Hifi, la
musique est coupée afin de correspondre au format imposé par la sonnerie. Dès lors, étant
donné les coupures effectuées, le juge devra retenir une atteinte à l’œuvre originale. En outre,
lorsque celui-ci est proposé en format Mp3, la musique n’est amputée que par l’utilisation qui
en est faite par la personne. Dès lors, cette exploitation ne portera atteinte à l’esprit de l’œuvre
que dans la mesure où l’exploitation qui en est faite est contraire à la destination de l’œuvre
telle que voulue par l’auteur.




68
    TGI Paris, 3ème chambre, 1ère sect., 28 mai 2003, Pierre Perret c/ Ibach Distribution : n°99/18209.
Concernant également l’exploitation de la chanson Les jolies colonies de vacances mais dans un karaoké
traditionnel sans interprétation vocale.
69
   TGI Paris, 3ème chambre, 2ème section, 7 novembre 2003 : Légipresse, Mars 2004, p.38, note J.-P. HUGOT.
                                                                                                           25
Section 2/ Dans le cadre de l’exercice du droit de représentation


89.    Le droit de représentation consiste en une transmission directe au public. Cette
communication au public peut se faire soit par le biais d’une interprétation publique, auquel
cas il conviendra d’étudier les différentes atteintes que peut perpétrer une interprétation, à
l’œuvre mais également à une interprétation plus ancienne (C). Cette communication peut se
faire également par une «représentation mécanique», c’est à dire par le biais du support,
préalablement reproduit. Cette représentation peut être soumise, plus que dans le cadre de
l’exercice du droit de reproduction, à des impératifs techniques qui pourront venir porter
atteinte à l’œuvre et à l’interprétation (A). Enfin, la communication au public peut se faire en
«ligne», il conviendra, une nouvelle fois, de mesurer l’impact du numérique sur le droit au
respect dans ces nouveaux modes de communication (B).


A/ Les impératifs techniques


90.   Au même titre que l’éditeur, voire le producteur, l’entrepreneur de spectacle est tenu de
garantir à l’auteur et à l’interprète le respect de son œuvre ou interprétation. Le code rappelle,
à l’instar de l’éditeur, cette obligation à l’article L132-22. On notera toutefois la différence de
rédaction entre l’article L132-11 et l’article L132-22 du CPI, ce dernier évoquant «les
conditions techniques propres à garantir le respect des droits intellectuels et moraux de
l’auteur», tandis que l’article L132-11 estime quant à lui que l’éditeur ne peut apporter, sans
le consentement de l’auteur, aucune modification.


91.   Il ne faut pas, pour autant, en déduire une différence de régime. Le code instaure à
l’article L121-1 un régime général de respect des œuvres (ainsi que son pendant pour les
interprétations à l’article L212-2). La différence de rédaction rappelle le caractère propre des
deux activités. En effet, l’éditeur est plus à même d’apporter des modifications, tandis que
l’entrepreneur de spectacle, ou tout diffuseur public de l’œuvre ou de ses interprétations, n’est
pas en mesure d’effectuer des modifications, ou alors de manière plus sporadique. Ce dernier
est, cependant, tenu de diffuser l’œuvre de manière idoine compte tenu des techniques de
diffusion.


92.   Le juge doit ainsi vérifier que les conditions techniques de diffusion correspondent à un
idéal, c’est à dire à des conditions moyennes à l’instant des faits. Ainsi, il n’est pas fait
référence aux modifications, lesquelles sont, de toute évidence, constitutives d’un défaut de

                                                                                                26
respect. Mais il est fait référence, à la qualité de diffusion publique de l’œuvre ou de
l’interprétation, laquelle doit être vérifiée en fonction des caractéristiques techniques à
l’époque de la diffusion litigieuse.


93.   Ces propos méritent, cependant, d’être nuancés à la lumière de la jurisprudence
Rostropovitch70. En l’espèce, le célèbre violoncelliste avait interprété la bande originale du
film Boris Godounov d’Andreï Zulawski, tiré de l’opéra de Modeste Mousorgsky. Or, ce
dernier se plaignait que le réalisateur ait procédé, lors du montage final, à la superposition de
bruit sur la bande originale, ainsi qu’à des variations sonores et à l’utilisation de
l’enregistrement pour illustrer des scènes non prévues au livret.


94.   Le tribunal distingue entre les différents griefs opposés au réalisateur. Pour les scènes
ajoutées au livret, l’interprète n’est pas recevable à les critiquer : cela relève du droit moral
sur l’œuvre de Mousorgsky. Quant aux deux autres griefs, la décision se réfère à «l’essence
de l’art cinématographique», aux «nécessités propres au cinéma». La variation du volume
sonore étant une de ces nécessités, l’interprète ne peut s’en plaindre. Au contraire, «la
superposition du bruitage à l'interprétation du chef d’orchestre (...) peut, dans certaines
circonstances, porter atteinte au droit au respect de celle-ci (...) ; certains sons critiqués (...)
égarent l’attention du spectateur et dénaturent l’appréciation de l’œuvre interprétée par
Rostropovitch, sans que ce procédé soit imposé par les nécessités propres au cinéma».


95.   Le tribunal a estimé d’une part que la superposition de bruits de crachat, de jets d’urine,
de cris de volupté relevait d’une atteinte au droit moral (on notera que cette atteinte n’a pas
donné lieu à la correction ni au retrait du film, mais à la simple apposition du désaccord de
l’interprète en fin de film). D’autre part, le juge a considéré que les variations du volume
sonore relevaient des obligations de l’art cinématographique, qu’il n’y avait pas lieu de
sanctionner l’auteur du film pour cet acte. Si ce jugement fait référence en la matière, c’est
parce qu’il permet de résoudre la règle de conflit entre droit d’auteur et droit de l’artiste
interprète. Ce n’est pas cette hypothèse qui retiendra notre attention.


96.   Le jugement évoque ici les variations sonores comme nécessaires à l’art
cinématographique, et donc inévitables. Il est important de relever que ces atteintes se
déroulaient dans un acte de création d’une œuvre dérivée et non de collaboration. Il en aurait


70
  TGI Paris, 10 janvier 1990 : RIDA juillet 1990, n°145. 368 ; D. 1991, somm.99, obs. C. COLOMBET, 206,
note B. EDELMAN.
                                                                                                     27
été autrement si Rostropovitch avait composé lui même la bande originale. Ainsi, la qualité
d’auteur du responsable de ces atteintes a servi sa cause. On peut se poser la question de
savoir si en l’absence d’acte de création la solution aurait été identique. D’aucuns pensent que
non71. Nous pensons, à l’inverse, que l’article L132-22 du CPI n'empêche nullement, et même
conseille de prendre en considération les contraintes techniques inévitables au mode de
diffusion pour apprécier les atteintes à l’œuvre ou l’interprétation.


97.      Il est vrai qu’on peut y voir une certaine contradiction avec les solutions proposées lors
de l’étude du droit au respect envisagé sous l’angle du droit de reproduction. Cependant, il ne
s’agit nullement d’une modification de l’œuvre telle qu’elle pourrait être faite dans le cadre de
la numérisation, mais bien de technique de diffusion. En soi, l’œuvre n’est pas modifiée,
toutefois la technique de diffusion ne permet pas une écoute optimale de l’œuvre musicale.
Cet aspect objectif ne peut être laissé à l’appréciation du seul auteur ou interprète.


98.      Ainsi, un conflit probable entre l’auteur, l'interprète et le diffuseur ne se résoudrait pas,
comme certains le laissent présager, par la prise en compte des différents intérêts
économiques ; mais bien par une appréciation objective des éléments techniques nécessaires à
la diffusion.


B/ Le numérique


99.      Le numérique, nous l’avons vu précédemment, permet une modification de l’ensemble
de l’œuvre ou de l’interprétation (par coupure, ajout...) au moment du stockage, c’est à dire
lors de l’exercice du droit de reproduction. Il en est de même lors de l’exercice du droit de
représentation. Le diffuseur d’une œuvre numérisée est-il tenu pour autant aux mêmes
obligations que l’éditeur lors de l’exercice du droit de reproduction ?


100. Celui-ci, si la numérisation a déjà été faite par le producteur, peut procéder à la
compression de l’œuvre numérique afin de distribuer l’œuvre sur les nouveaux réseaux. En
effet, le diffuseur en charge de distribuer les œuvres procédera à un nouveau traitement afin
qu’en terme de capacité numérique, l’œuvre prenne moins de place et qu’ainsi sa distribution
sur le réseau Internet ou de téléphonie mobile soit facilitée. Il s’agit alors de transformer un
morceau dont la taille est de 42 mégaoctets environ pour un morceau de musique de 4 minutes
en un morceau d’une capacité de 4 à 5 mégaoctets une fois compressé. Pour cela il est

71
     C. NGUYEN DUCLONG, préc., p. 37 ; P.-Y. GAUTHIER, op. cit., p. 250.
                                                                                                   28
nécessaire de procéder à une compression destructive, c’est à dire qu’on va procéder à la
destruction d’informations jugées inutiles72.


101.    Le numérique permet également à la personne qui souhaite diffuser les œuvres et
interprétations dont elle a la charge, de stocker avec elles un certain nombre d’informations.
En effet, le compact disc est appelé à disparaître pour laisser place aux œuvres numérisées et
dématérialisées directement disponibles sur l’Internet. Ainsi, sur un même morceau numérisé
peut apparaître à la fois le nom de l’œuvre, celui du ou des auteurs, du compositeur, de
l’interprète.


C/ L’interprétation


102. Il convient de distinguer en l’espèce entre l’atteinte à l’œuvre du fait de l’interprétation
(1°) et l’atteinte à l’interprétation du fait d’une nouvelle interprétation (2°).


1°) L’atteinte à l’œuvre du fait de l’interprétation


103. La question est de savoir ici si, par le fait même de l’interprétation, l’auteur peut se
prévaloir d’une atteinte à son œuvre.


104.    Il importe pour cela de revenir sur la qualité d’artiste interprète. En effet, celui-ci
dispose d’un droit voisin du droit d’auteur, l’interprétation n’étant pas une œuvre de l’esprit.
Il n’y a pas, a priori, de création dans l’interprétation, tout au plus une empreinte de
personnalité importante. L’artiste interprète, nous l’avons vu en introduction, a pour rôle la
restitution sonore de l’œuvre musicale. Il est le traducteur de la musique énoncée sous forme
de signes dont la compréhension est limitée à un certain nombre de personnes, à la musique
sous forme sonore, pour la compréhension de tous.


105.    Cette traduction emporte nécessairement une modification (même infime) de l’œuvre
et donc porte atteinte au respect de l’œuvre.

72
   «L’une des propriétés les plus intéressantes parmi celles utilisées pour ne pas " encoder l'inutile " est la
technique de masquage. Le seuil à partir duquel l'oreille humaine perçoit un son dépend énormément de la
fréquence de ce son. Par exemple, nous percevons beaucoup plus facilement un son faible à 4 kHz qu'à 50 Hz ou
15 kHz. De plus, à partir de 25 kHz, quel que soit le niveau sonore, l'oreille humaine ne perçoit plus aucun son.
Le Mp3, tout comme le Mini-Disc et le Dolby, utilise donc la technique de masquage : si deux sons de
fréquences proches sont joués avec une intensité très différente, on pourra supprimer le son le plus faible qui
sera de toute façon masqué et ignoré par l'oreille humaine» :
http://mao.audiofanzine.com/apprendre/dossiers/index,idossier,31,page,1.html.
                                                                                                               29
106.       Il semble néanmoins qu’il faille distinguer les hypothèses. En effet, si l'interprète ne
fait qu’exécuter la partition suivant les indications précises de l’auteur, l’infime variation de
ces notations (par exemple de tempo) pourra être considérée comme une atteinte à la volonté
de l’auteur dans la réalisation de son œuvre. A fortiori, si l'interprète prend la liberté de
modifier la partition, au-delà des indications d’interprétation, en modifiant l’œuvre au fond, il
exécutera des arrangements, pour lesquels il ne pourra se passer de l’accord exprès de
l’auteur, que ce soit a posteriori pour le droit patrimonial ou a priori en ce qui concerne le
droit moral.


107.       Le problème est différent lorsque la notation de la partition est limitée dans les
indications d’interprétation. La liberté de l’interprète y est forcément plus grande. Dans ce
cas, l’auteur peut-il faire valoir de la même manière son droit au respect ? Comme le relève
M. Bouché, le répertoire contemporain, notamment, a marqué une certaine volonté
d’estomper la distance entre le compositeur et l’interprète. «Il apparaît donc manifeste que
dans certaines œuvres la volonté de l’auteur soit l’absence de linéarité au profit d’une
certaine latitude laissée à l’artiste interprète, à qui des pistes sont ouvertes et à qui différents
itinéraires sonores sont proposés»73. L’auteur peut-il se prévaloir d’une atteinte à son œuvre
alors même qu’il a fait preuve d’une certaine volonté de liberté donnée à l’interprète ? Il nous
semble que cette distance prise avec l'interprétation de son œuvre devrait être prise en compte
dans l’appréciation de l’atteinte au respect de l’œuvre.


108.       En résumé, l’auteur ne pourra se prévaloir d’une atteinte au respect de l’œuvre par
l'interprétation qui en est faite que s’il a limité l’arbitraire de l’interprète. La comparaison
devra s’effectuer par rapport à la partition voulue par l’auteur. Il est à noter que la musique
populaire, à l’inverse de la musique dite sérieuse, s'affranchit de plus en plus de la partition.
Dès lors, l’élément comparatif devrait être l’enregistrement fait par l’auteur lui-même. Dès
lors, la liberté est moins grande que celle laissée par la partition, puisque l’auteur établit lui-
même une ébauche de ce que devrait être l’interprétation optimale de son œuvre.
L’interprétation est donc limitée par la volonté de l’auteur. Toute variation de cette
interprétation optimale entraînerait une violation de son droit au respect. L’artiste interprète
habituel peut également servir de point de repère à cette interprétation optimale : dès lors que
l’auteur a accepté une interprétation comme n’entraînant pas une violation de son droit moral,
une interprétation s’en rapprochant fortement ne pourra pas constituer une atteinte à son droit
moral.

73
     G. BOUCHE, op. cit., p. 219.
                                                                                                 30
2°) L’atteinte à l’interprétation par une nouvelle interprétation


109.     L’interprétation d’une œuvre, en la restituant au public, «incarne et contient
l’œuvre»74. Il en résulte une certaine difficulté à séparer l’œuvre de son interprétation.
L’évolution contemporaine de la musique nous le prouve d’ailleurs : il n’est pas rare
aujourd’hui d’attribuer une chanson à un interprète plus qu’à un auteur. Le rapport d’un
interprète à une œuvre est parfois si intense qu’il supplante même le rapport de l’auteur à cette
œuvre, alors que, lorsqu’une œuvre est ré-interprétée par un autre, seul l’auteur serait habilité
à intervenir sur cette nouvelle interprétation. Or, dans l’esprit du public, au-delà même d’un
rapport de comparaison, une certaine forme de confusion naîtra. Cependant, l’objet de la
protection est l’interprétation de l’œuvre. En raisonnant a contrario de l’arrêt La fraternité
blanche75, le bénéfice de cette protection ne devrait donc pas revenir indirectement à la
personnalité de l’artiste interprète. Il n’y a pas à proprement parler d’atteinte à une
interprétation puisque l’interprétation n’est pas présente. Tout au plus s’agira-t-il d’une
atteinte à la personnalité de l’artiste ou d’un acte de concurrence déloyale, contre lesquels
l’artiste interprète pourra agir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil du moins s’il
est capable de rapporter une faute.


110.     Pourtant il semble que la jurisprudence souhaite attribuer un droit moral à l’artiste
interprète alors même que l’interprétation n’est pas compromise. Dans l’arrêt Pierre Perret, le
juge estime que la fausse attribution à M. Pierre Perret de l’interprétation qui est faite de son
œuvre au cours du karaoké constitue une atteinte à son droit moral. Certes, il peut s’agir
négativement du droit au respect du nom. Celui-ci signifierait que l’artiste interprète doit se
voir à la fois, attribuer la paternité de son interprétation, mais également qu’on ne lui attribue
pas la paternité d’une autre interprétation. En l’absence d’interprétation, il aurait été plus aisé
de statuer sur le terrain des droits de la personnalité et non sur celui de l’interprétation. M.
Allayes appuie cette argumentation avec un propos tout à fait pertinent : «Qu’en serait-il de la
fausse attribution au détriment d’un individu qui n’a jamais été auteur ou artiste interprète ?
Une telle entrée dans la propriété littéraire et artistique serait curieuse». Dès lors, il ne serait
pas impossible d’admettre que l’interprétation d’un artiste soit violée en l’absence même de
celle-ci.



74
   P. TAFFAOREAU, La notion d’interprétation en droit de la propriété littéraire et artistique : Propr. intell.
janvier 2006, n°18, p.50.
75
   Cass. 1ère civ., 10 mars 1993, Association La Fraternité blanche universelle c./ Boizeau et a. : JCP 1993, II,
22161, note J. RAYNARD.
                                                                                                                31
111.       Comme dans ce jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris76, dans lequel les
juges ont estimé, à propos d’une utilisation publicitaire d’une œuvre, que «la chanson était
associée dans l’esprit du public à la chanteuse compte tenu du succès considérable qu’elle a
rencontré» et que «le téléspectateur ne peut pas identifier à la seule écoute du spot
publicitaire qu’il ne s’agit pas de l’enregistrement de Nicoletta, sa voix et celle du chœur
étant mêlées indistinctement». Ce renvoi à la notoriété d’une chanson à travers son
interprétation est pertinente : elle permettrait à un artiste notoirement connu de faire valoir son
droit moral, non seulement en ce qui concerne la fausse attribution de paternité, mais
également en ce qui concerne une atteinte à l’esprit de son interprétation première.


112.       Si au regard de la jurisprudence cette possibilité est offerte, elle n’est pas opportune.
D’une part au regard du droit moral puisque celui-ci ne peut s’exercer sans l’objet de sa
protection. Mais d’autre part et surtout au regard de la perpétuité, désormais, des
enregistrements, et la perpétuité avérée du droit moral de l’artiste interprète. Il ne faudrait pas
qu’une telle conception vienne empêcher la libre création et a fortiori la libre interprétation.
En effet, considérer qu’une interprétation puisse être atteinte dans son intégrité morale par le
fait d’une autre interprétation, reviendrait à permettre à l’artiste interprète habituel et notoire
d'empêcher la réalisation d’une nouvelle interprétation de l’œuvre et à en compromettre dans
l’avenir toute nouvelle et libre interprétation. Car s’il est vrai que personne ne se souvient des
interprétations de Bach à son époque, tout le monde se souviendra des interprétations d’Edith
Piaf. Pour autant, si à l’heure actuelle c’est l’artiste interprète qui est le plus généralement
porteur d’une œuvre, il ne doit pas pouvoir empêcher les autres interprétations autorisées par
l’auteur, ou empêcher les interprétations d’œuvres tombées dans le domaine public. Sauf
éventuellement si son interprétation est tellement originale qu’elle bascule dans le giron du
droit d’auteur par le biais de l’arrangement. Dans ce cas, l’artiste interprète cumulerait les
deux protections et pourrait faire protéger, perpétuellement, cette œuvre secondaire.


113.       Un droit au respect envisagé de manière trop absolue conduit donc à de trop grandes
dérives. Une surprotection de l’artiste viendrait à la fois à figer l’œuvre de manière
irréductible, et à remettre en cause les conventions passées par l’artiste. Aussi, il convient
d’envisager une limitation du droit au respect.




76
     TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 12 oct. 2005 : n°04/02594.
                                                                                                 32
PARTIE II : LES MODIFICATIONS PERMISES DE L’ŒUVRE


114.   L’œuvre ou l’interprétation subit, nous l’avons vu, au cours de sa vie publique un
nombre d’atteintes qui mettent en péril sa pérennité. Toutefois, la pérennité de l’œuvre ou de
l’interprétation est assurée par sa mise sur support. L’original de la fixation doit donc être
préservé afin de garantir l’œuvre et l’interprétation. Ainsi, cet original préservé, les
différentes mutilations que pourrait subir une œuvre en vue d’une nouvelle création (que cette
création soit envisagée dans un cadre critique, parodique, ou tout simplement purement
artistique), ont moins d’impacts. De plus, il se peut que l’auteur ou l’interprète autorise, de
son propre chef, la modification par un tiers de son travail. Dès lors, la limitation du droit au
respect apparaît comme une nécessité au regard de la création défendue par la liberté
d’expression (Chapitre I) ; mais également au regard du respect de la liberté contractuelle, et
des conventions passées par l’artiste. (Chapitre II).


Chapitre I : Les modifications permises en raison de la liberté d’expression


115.   La liberté d’expression est garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen (DDHC), ainsi que par l’article 10 de la Convention Européenne de
Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Son pendant, la
liberté de création permet à tous la garantie d’expression de son pouvoir créatif, en d’autres
termes de pouvoir exprimer ses idées sous une forme créative. S’il est vrai que ce droit, que
ce soit dans la DDHC ou dans la CESDH est limité au respect des droits d’autrui (en
l’occurrence le droit d’auteur), il n’en demeure pas moins que le droit au respect doit être
concilié avec la liberté de création dans les cadres prévus par la loi. En l’espèce, il s’agit de
conjuguer le droit au respect avec les exceptions au droit d’auteur mentionnées aux articles
L122-5 et L211-3 du CPI, qui prévoient notamment la liberté de critique, de citation et de
parodie de l’œuvre et de l’interprétation essentielles à la liberté d’expression (Section 1).
Enfin il s’agit également de conjuguer le droit au respect des œuvres du domaine public dans
le cadre de nouvelles créations (Section 2).


Section 1/ Le droit au respect face aux exceptions


116.   Il convient dans un premier temps d’étudier l’exercice du droit au respect dans le
cadre prévu par les exceptions au droit d’auteur (A), pour ensuite nous intéresser au cas
particulier des exceptions de parodies et de courtes citations (B).
                                                                                              33
Les atteintes matérielles à l\'oeuvre musicale et à son interprétation
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Les atteintes matérielles à l\'oeuvre musicale et à son interprétation

  • 1. CENTRE D’ETUDES INTERNATIONALES DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE Les atteintes matérielles à l’œuvre musicale et à son interprétation Mémoire soutenu par Michel DONVAL, étudiant en master II recherche en droit de la propriété intellectuelle, sous la direction de Monsieur le Professeur Théo HASSLER Années 2008/2009
  • 2.
  • 3. A mes parents, A Annaïg,
  • 4.
  • 5. -REMERCIEMENTS- A Monsieur le Professeur Théo HASSLER pour son enseignement et pour m’avoir permis d’effectuer mes recherches sur un sujet aussi passionnant. A Madame le Professeur Joanna SCHMIDT-SZALEWSKI pour son enseignement et pour m’avoir apporter des éclaircissements sur certains points du sujet. A Madame Stéphanie CARRE pour son enseignement et ses conseils en droit d’auteur. A Messieurs Yann LEBACLE et Maxime PAPILLON pour leurs précieuses relectures. A Monsieur Karlo FONSECA-TINOCO pour son amitié fidèle et son soutien. Et enfin, un remerciement particulier à Monsieur Peter SZENDY, pour l’entretien qu’il m’a accordé.
  • 6.
  • 7. -SOMMAIRE- INTRODUCTION ............................................................................................................................................1 PARTIE I : LE PRINCIPE : LA GARANTIE DE L’INTEGRITE MATERIELLE DE L’ŒUVRE ET DE L’INTERPRETATION ...............6 CHAPITRE I : LA NOTION D’INTÉGRITÉ MATÉRIELLE DE L’ŒUVRE ET DE L’INTERPRÉTATION................................................................................................................................6 Section 1/ La préservation de l’œuvre et l’interprétation dans son expression «corporelle» ..............................................................................................................................................6 Section 2/ La préservation de l’œuvre et de l’interprétation durant leur vie publique ...............11 CHAPITRE II : L’APPLICATION DU PRINCIPE............................................................................17 Section 1/ Dans le cadre de l’exercice du droit de reproduction ....................................................17 Section 2/ Dans le cadre de l’exercice du droit de représentation .................................................26 PARTIE II : LES MODIFICATIONS PERMISES DE L’ŒUVRE ......33 CHAPITRE I : LES MODIFICATIONS PERMISES EN RAISON DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ........................................................................................................................................33 Section 1/ Le droit au respect face aux exceptions ...........................................................................33 Section 2/ Le droit au respect des œuvres et interprétations du domaine public ..........................43 CHAPITRE II : LES MODIFICATIONS PERMISES PAR CONTRAT.........................................49 Section 1/ La conciliation de l'inaliénabilité du droit au respect et de la force obligatoire du contrat.................................................................................................................................................50 Section 2/ L’inadaptation du principe d’inaliénabilité ...................................................................55 CONCLUSION...............................................................................................................................................59 BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................................................................61
  • 8. INTRODUCTION WHAT HAVE THEY DONE TO MY SONG MA (Melanie Safka) (extrait)1 “Look what they done to my song ma Look what they done to my song Well it's the only thing That I could do half right and it's turning out all wrong ma Look what they done to my song Look what they done to my brain ma Look what they done to my brain Well they picked it like a chicken bone I think i'm half insane ma Look what they done to my son (…)” 1. Que ce soit par ses paroles2, ou bien par ses nombreuses utilisations3, cette chanson illustre bien les différentes atteintes que peuvent subir une œuvre et une interprétation au cours de sa vie publique. En effet, cette chanson, écrite, composée et interprétée par Melanie Safka, en 1970, démontre le rapport délicat entre l’auteur ou l’interprète et l’industrie du disque. Force est de constater que les intérêts de l’industrie phonographique peuvent différer de celui de l’artiste. Dès lors, par un souci purement économique, l’industrie sera tentée de procéder à certaines modifications de l’œuvre, et ce en dépit de la volonté de l’artiste. 2. Afin de préserver la volonté de l’auteur sur l’avenir de son œuvre, le droit français, fort d’une conception personnaliste du droit d’auteur, a toujours tenté de traduire juridiquement les liens qui unissent à la fois l’auteur à son œuvre, et l’interprète à sa prestation. Contrairement à une approche orientale du pouvoir de création4, la culture occidentale considère que celui-ci revient à l’auteur. Et c’est parce que l’œuvre est le reflet de sa pensée que l’auteur doit avoir la maîtrise de son art au même titre qu’est garantie la maîtrise de sa pensée. Bien que le lien «naturel» entre l’auteur et son œuvre eût été démontré 1 Copyright 1970 by Kama Rippa Music, Inc. and Amerlanie Music, Inc. All rights administered by Kama Rippa Music, Inc. 2 Regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, Ma, regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, c’est la seule chose que je peux faire et ce n’est pas bon, regarde ce qu’ils ont fait à ma chanson, Ma Regarde ce qu’ils ont fait à mon cerveau, Ma, regarde ce qu’ils ont fait à mon cerveau,, ils y ont pioché comme sur un pilon; je pense que je suis à moitié folle, regarde ce qu’ils ont fait à mon fils, ma (...) 3 Cette chanson a été réinterprétée à maintes reprises et traduite, notamment en français et en italien pour Dalida. De manière assez paradoxale, les paroles ont été changées pour vanter les mérites d’une marque de céréales : “Look what they’ve done to my oatmeal” dans les années 80 ; http://en.wikipedia.org/wiki/Melanie_Safka. 4 Dans la culture asiatique, l’artiste est considéré comme étant traversé par une inspiration divine, il en résulte un certain détachement entre l’œuvre et l’auteur, rapporté par D. GIOCANTI, Le droit au respect de l’œuvre en droit français, Thèse, Paris II, 1989, p.4. 1
  • 9. par Domat à la fin du XVIIème siècle, il fallut attendre le XIXème siècle pour que s’affirme une dimension jus naturaliste et personnaliste du droit d’auteur. 3. Jusqu’alors avait prédominé une approche purement patrimoniale du droit d’auteur, de sorte que si l’auteur, depuis les lois révolutionnaires des 13-19 janvier 1791 et 19-24 juillet 1793, obtenait un monopole d’exploitation, et donc une complète maîtrise économique de son art, il ne pouvait, néanmoins, s’opposer aux diverses altérations portées à l’œuvre. En effet, dès 1784, un arrêt du Conseil du roi précisa les droits des auteurs d’œuvres représentées au théâtre avant que la loi des 19/24 juillet 1793 ne reconnaisse les droits de propriété des «compositeurs de musique». Cependant au XIXème siècle, le droit des compositeurs demeura relativement limité dans la mesure où il était presque exclusivement cantonné à l’édition des partitions. L’application du droit d’auteur aux œuvres musicales a fait l’objet de peu de controverses avant l’introduction des systèmes de reproduction, de lecture ou de transmission du son. Le développement et la commercialisation des boîtes à musiques et des pianos mécaniques, vers 1860, puis des phonogrammes, à partir de 1889, a permis une exploitation nouvelle et autonome des œuvres musicales, à l’instar de l’imprimerie pour les œuvres littéraires. On retiendra à cet égard les propos qu’a tenus Titus Ricordi, éditeur de Verdi en Italie, devant l’assemblée du premier Congrès international sur le droit d’auteur à Bruxelles en 1858 : « il arrive souvent que les plus belles pensées de certains opéras non encore représentés dans une ville, reçoivent d’avance la publicité par le moyen des musiciens ambulants et des orgues de rue : d’ordinaire elles sont reproduites avec toutes sortes de coupures avec d’horribles altérations d’harmonie et de modulations avec des arrangements tellement mauvais , que non seulement la musique perd son caractère lyrique, dramatique et vocal, mais encore les mélodies elles-mêmes subissent les plus étranges métamorphoses»5. La jurisprudence a dégagé, pour tenir compte de cette évolution, le droit de représentation publique6 juste après la création de la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM)7. En 1905, la jurisprudence a reconnu le droit de reproduction mécanique. 4. Parallèlement à l’évolution du droit patrimonial en matière musicale, l’apparition de la conception jus naturaliste et personnaliste du droit d’auteur a permis le développement du droit moral. La jurisprudence a commencé à dégager les composantes du droit moral. En 1928, la Cour d’appel de Paris a consacré le droit de divulgation pour une œuvre musicale8. 5 Cité par P. SZENDY, Ecoute une histoire de nos oreilles, paradoxe, les éditions de minuits, 2001, p.93. 6 Lyon, 7 janvier 1852 : S. 1852, 2, 138. 7 Le 31 janvier 1751. 8 Paris, 11 janvier 1928 : S. 1828, 2, 5. 2
  • 10. 5. Mais il fallut attendre 1957 pour que le droit moral soit consacré par la loi, et 1985 pour que certains attributs soient conférés aux artistes interprètes. Malgré une dispersion de ces droits dans la loi, corrigée par la codification de 1992, et l’absence de traitement unitaire du droit moral9, la jurisprudence et la doctrine ont pu dégager une théorie unitaire du droit moral, de sorte que, notamment, l’inaliénabilité et la perpétuité du droit au respect prévues à l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) ont été étendues aux autres prérogatives du droit moral. 6. Ainsi, il existe quatre prérogatives du droit moral. Le droit de divulgation, prévu à l’article L121-2 du CPI, permet à l’auteur seul de décider s’il veut ou non porter à la connaissance du public son œuvre. Ce droit n’a pas été conféré aux artistes interprètes. Son pendant, le droit de retrait10 n’a pas non plus été transmis par la loi de 1985 aux artistes interprètes. Il permet à l’auteur, seul, de retirer son œuvre, sous conditions, du marché. L’auteur11 et l’interprète12 bénéficient du droit au respect de la paternité de leur œuvre et interprétation. Ce droit peut être aussi bien exercé positivement - l’auteur ou l’interprète assume la pleine et entière paternité de son art – que négativement - il refuse que son nom soit apposé sur l’œuvre ou l’interprétation. Enfin la dernière prérogative, qui fera l’objet de notre étude, est le droit au respect du à l’intégrité de l’œuvre ou de la prestation. Cette prérogative permet à l’auteur13 ou à l’interprète14 d'empêcher toute mutilation aussi bien spirituelle que matérielle à l’œuvre ou à l’interprétation. 7. Au regard de son importance pour la défense des intérêts de l’auteur, le droit au respect a été consacré, en 1928, par l’article 6 bis, §1 de la Convention de Berne qui stipule qu’indépendamment des droits patrimoniaux et même après leur cession, l’auteur conserve le droit de s’opposer à toute «déformation, mutilation ou autre modification de son œuvre ou à toute atteinte à celle-ci, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation». La formulation se caractérise par sa souplesse car elle laisse un large pouvoir d'interprétation aux Etats signataires. Le droit est affirmé indépendamment de la disponibilité patrimoniale et doit être accordé même après la cession des droits patrimoniaux. 9 S. NERISSON, Le droit moral de l’auteur décédé en France et en Allemagne, cahier IRPI, 2003 p. 16. 10 Art. L121-4 du CPI. 11 Art. L121-2 du CPI. 12 Art. L212-2 du CPI. 13 Art. L121-2 du CPI. 14 Art. L212-2 du CPI. 3
  • 11. 8. Le champ d’application de la Convention est large puisque est visée toute déformation, mutilation ou autre modification ou toute atteinte préjudiciable à son honneur ou à sa réputation. Si la Convention distingue entre les déformations et les atteintes, c’est quelle semble vouloir séparer les atteintes matérielles à l’œuvre (la mutilation) et les atteintes à l’esprit de l’œuvre (les atteintes). Ensuite, la Convention émet une restriction, en ce sens que les atteintes doivent être préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. Ainsi le droit au respect n'apparaît pas comme une faculté absolue de l’auteur à faire respecter son œuvre, mais bien comme «une prérogative mise au service de certains intérêts déterminés»15. En effet, au terme de la Convention, l’auteur n’est pas maître du constat des atteintes ; mais c’est bien le juge qui caractérise l’atteinte en fonction de l’atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. 9. Toutefois, on peut se demander s’il s’agit de l’ensemble des atteintes, matérielles ou spirituelles à l’œuvre, qui doivent être observées en fonction de leur préjudice à l’honneur ou à la réputation de l’auteur, ou bien si seules les atteintes spirituelles doivent être envisagées en fonction de leur préjudice. Les atteintes matérielles sont en effet aisément identifiables, leur caractérisation entraîne de facto un préjudice pour l’œuvre. A l’inverse la détermination de l’atteinte spirituelle laissée à l’appréciation seule de l’auteur peut entraîner un certain abus. En effet, l’esprit de l’œuvre est contenu à la fois dans la forme de l’œuvre et dans l’explication ou la volonté que l’auteur a exprimée16. Or, il peut arriver, et c’est nécessaire, que cette vision de l’œuvre, sa destination soit distincte de ce que le public ressent. Dans ce cas, la destination de l’œuvre (ce que l’auteur a voulu) divergera de la destinée de l’œuvre (ce que le public en a fait). La Convention de Berne réduit ce problème au risque d’une destinée portant atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. Le droit français a élargi le champ de la Convention en n'omettant aucune restriction aux atteintes. Ainsi, en droit français, toute atteinte est susceptible de contrevenir au droit au respect de l’auteur. Cette solution a été élargie aux artistes interprètes. 10. Réduire aux seules atteintes spirituelles la nécessité d’un préjudice permet d’éviter que l’auteur, ou plus généralement les héritiers, n’aient trop de liberté dans la qualification de la destination de l’œuvre. On retiendra à cet égard une affaire du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 15 mai 199117. En l’espèce, l’œuvre de Jules Massenet, La méditation de Thaïs a été utilisée dans un film publicitaire. Le jugement sanctionne cette utilisation sur le 15 C. DOUTRELEPONT, Le droit moral de l’auteur et le droit communautaire, Bruylant-LGDJ, 1997, p. 256. 16 F. POLLAUD-DULLIAN, L’esprit de l’œuvre et le droit moral de l’auteur : RIDA Janvier 2008, p.105. 17 TGI Paris, 15 mai 1991 : JCP G II 1992, 21918, note X. DEVRAT. 4
  • 12. fondement du droit au respect au motif que la musique était d’inspiration religieuse et étroitement liée au sens des mots qui l'accompagnent. Ce jugement, conforme à la tradition française d’absence de jugement du mérite d’une œuvre, n’emporte pas moins une contradiction entre la destination, estimée par l'héritière de Jules Massenet, et la destinée de l’œuvre. Le risque d’arbitraire dans ce cas est important. En effet, il est jugé en l’espèce que : «la méditation de Thaïs est une pièce instrumentale écrite pour le violon, qui trouve dans cette mélodie un support privilégié destiné à faire «sonner» l’instrument ; qu’elle accompagne les pensées de Thaïs sur scène ne détermine aucune corrélation directe avec des mots et n’empêche pas qu’elle soit passée à la postérité grâce aux interprétations qui en sont données dans les contextes et situations les plus divers»18. Ce décalage entre la vision de l’héritière et la vision commune de l’œuvre n’aurait pas eu lieu si elle avait eu à démontrer un préjudice au sens de la Convention de Berne. 11. A l’inverse, dans le cadre d’une modification matérielle, nul besoin d’une telle appréciation puisque l’atteinte est plus objectivement déterminable et n’impose pas de «garde-fous». En revanche, il convient de se demander s’il existe des limites au principe d’interdiction des atteintes matérielles à l’œuvre ou à l'interprétation. 12. En effet, au regard de son principe et de ses caractéristiques, que sont l’inaliénabilité et la perpétuité, ce droit semble d’application absolue. Toutefois, il est nécessaire de tenir compte de la liberté d’expression, et de son pendant, la liberté de création ; mais également de la liberté contractuelle pour déterminer les limites à l’exercice de ce droit. 13. C’est pourquoi il convient d’étudier dans un premier temps le principe du droit au respect appliqué aux œuvres et interprétations musicales (PARTIE I) pour ensuite établir les modifications susceptibles d’être autorisées par la loi et/ou la jurisprudence de l’œuvre et de son interprétation (PARTIE II). 18 X. DEVRAT, L’absolutisme du droit moral, note sous jugement : JCP G, II 1992, 21918. 5
  • 13. PARTIE I : LE PRINCIPE : LA GARANTIE DE L’INTEGRITE MATERIELLE DE L’ŒUVRE ET DE L’INTERPRETATION 14. Le droit au respect garantit à l’auteur et à l’interprète la préservation de l’intelligibilité de son œuvre et de son interprétation. Si cette intelligibilité passe par la compréhension de l’œuvre, c’est-à-dire son aspect spirituel, elle passe dans un premier temps par la garantie de son intégrité corporelle. Ainsi, lors de sa vie publique, l’auteur est, par l'existence de ce droit, assuré de la pérennité de son œuvre telle qu’il l’a voulue, l'interprète également. Cependant, il convient de déterminer dans un premier temps ce qu’on entend par la notion d’intégrité matérielle (chapitre I) pour dans un second temps appliquer ce principe lors de l’exercice du droit de reproduction et de représentation (chapitre II). Chapitre I : La notion d’intégrité matérielle de l’œuvre et de l’interprétation 15. L’objet du droit au respect est de garantir l'intégrité matérielle de l’œuvre et de l’interprétation. Toutefois, il convient de délimiter l’objet de ce droit (section 1). Ce droit est nécessaire pour préserver l’œuvre des atteintes que pourraient perpétrer les tiers durant sa vie publique. Il convient donc d’étudier le champ d’application de ce droit (section 2). Section 1/ La préservation de l’œuvre et l’interprétation dans son expression «corporelle» 16. L'intelligibilité de l’œuvre musicale (A) est souvent transmise à l’écoute de tous par le biais de son interprétation (B). A/ L’œuvre musicale 17. Si l’œuvre musicale peut s’envisager seule, comme le résultat d’une composition originale (1°), et être diffusée sous la forme d’album (4°), elle peut également être le fruit d’une collaboration (2°) ou encore se décliner sous la forme composite (3°). 1°) La musique 18. La musique occidentale est une «structure complexe dans laquelle va s’instaurer une dialectique entre la mélodie, l’harmonie, et le rythme qui la composent et qui peut se ramener 6
  • 14. à l’apparition d’une ou deux dominantes»19. La mélodie constitue généralement l’élément dominant d’une composition musicale, soit l’air pour le néophyte, clairement reconnaissable pour ce dernier. Tout emprunt, césure, modification sera facilement appréhendable. L’harmonie est constituée d’accords. Il s’agit d’un ensemble de sons joués simultanément et dans un enchaînement. Le rythme, enfin, est «le retour périodique des temps forts et des temps faibles, la disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l’intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse et son allure caractéristique»20. 19. Cette «dissection» de la structure musicale est utilisée par le juriste pour établir une contrefaçon. En effet, les similitudes de rythme, de mélodie ou d’harmonie permettent d’établir cet acte21. En outre, l’utilisation, la modification, ou la suppression d’une des composantes, permet au compositeur de faire valoir son droit à l’intégrité de l’œuvre. Il est important de procéder à un tel découpage de la structure d’une œuvre musicale car l’évolution des techniques numériques permet un échantillonnage des morceaux. Peut alors être emprunté au morceau l’un de ses éléments caractéristiques, de sorte que le droit au respect peut être avancé quand bien même l’atteinte ne porterait que sur l’un des éléments. Si une similitude de rythme ne caractérise généralement pas un acte de contrefaçon, toute modification de celui-ci dans le morceau entraînera une atteinte objective au morceau. En démontre un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris dans une affaire d’échantillonnage musical concernant la chanson Auteuil, Neuilly, Passy des Inconnus22. 20. En l’espèce, le groupe d’humoristes avait utilisé plusieurs échantillons pour composer leur «rap», et notamment des extraits d’une chanson de Macéo Parker, Southwik. L’emprunt avait été utilisé pour servir de base rythmique à la chanson des Inconnus. Le juge a alors déclaré que « le découpage de l’œuvre première selon le procédé de «sampling», que l’expert a vérifié au moins à deux endroits, caractérise une violation du droit à l’intégrité de l’œuvre». 19 B. EDELMAN sous Cass. 1ère civ., 1er juillet 1979 : RIDA 1971, n°68, p.213. 20 Le Petit Robert à ce mot. 21 A.R. BERTRAND., le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz, 2ème éd., 1999, p.728. 22 TGI Paris, 2 décembre 1993, Société French Fried Music et autres c./ Société Production et Editions Paul Lederman et autres, inédit : cité par C. NGUYEN DUC LONG, Intégrité et numérisation des œuvres de l’esprit : RIDA 2000, p.45. 7
  • 15. 2°) L’œuvre de collaboration 21. Il est fréquent que le morceau, avec ou sans paroles, soit l’œuvre de plusieurs personnes. Cette œuvre est la propriété commune des coauteurs23. Ces derniers exercent leur droit d’un commun accord24. Dans cette perspective, il convient de se poser la question de savoir si les différents coauteurs peuvent, ou non, exercer un droit sur leurs propres contributions. En effet, l’article L113-3 alinéa 4 du CPI dispose que «lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun pourra, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune». On devrait considérer que l’exercice individuel du droit au respect sur sa propre contribution ne saurait être retenu lorsque celle-ci ne relève pas d’un genre différent. Ainsi, qu’il s’agisse de musique ou de paroles, la défense du droit au respect peut porter sur sa propre contribution. 22. Or, cet alinéa ne renvoie qu’à l’exploitation, c’est-à-dire l’exercice du droit patrimonial sur les contributions de genres différents. Dès lors, rien n’empêche au coauteur de faire valoir son droit au respect sur sa propre contribution25. En pratique, il apparaîtra difficile pour le coauteur, lorsque les différents contributions ne relèvent pas d’un genre différent, de définir les limites de sa propre création. 3°) L’œuvre composite 23. L’œuvre composite est une œuvre nouvelle dans laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans le concours de l’auteur de cette dernière26. Cette incorporation peut se faire de manière matérielle ou intellectuelle. Dans le cas d’une incorporation matérielle, la musique sera alors intégrée telle qu’écrite à l’origine et sans transformation (sauf coupure éventuelle) dans une autre œuvre musicale ou dans une œuvre relevant d’un autre genre artistique. Dans le cadre de la création musicale, il peut s’agir de variations, c’est-à-dire la reprise d’un thème d’une chanson autour de développements nouveaux. Il peut s’agir encore de la juxtaposition originale de divers morceaux afin d’en créer un nouveau. Cette méthode, 23 Art. L113-3, al. 1er du CPI. 24 Art. L113-3, al. 2 du CPI. 25 A. MAFFRE-BAUGE, Quand l’arrangement de l’œuvre musicale dérange le coauteur de celle-ci, note sous TGI Paris 16 mai 2007 : Lamy Droit de l’immatériel juillet 2007, n°29, n°939, p. 6. 26 Art. L113-2 du CPI. 8
  • 16. utilisée par les dj’s, peut emprunter tout ou partie de l’œuvre ancienne, de manière plus ou moins reconnaissable. 24. A l’instar des arrangements, cette intégration peut être aussi intellectuelle. Quelle que soit la création dérivée, le nouvel auteur dispose également d’un droit au respect. Cependant, celui-ci doit s’exercer dans la limite des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante. 4°) Les albums 25. Bien que la musique ait de plus en plus tendance à être appréciée œuvre par œuvre (single par single) par le développement du Moving Picture Expert Group-1/2 Audio Layer 3 (MP3), les œuvres continuent à paraître sous forme d’albums. 26. L’auteur peut-il se prévaloir d’un droit au respect uniquement sur l’œuvre envisagée individuellement, ou sur la compilation d’œuvres ? 27. Dans ce cadre, toute amputation d’une œuvre à l’album semblerait constituer une atteinte à l’intégrité de celui-ci. Au terme de l’article L112-3 CPI, les recueils d’œuvres, par leur agencement original, peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur : l’exploitation individuelle de chacune des œuvres ne peut toutefois pas porter préjudice à la compilation27. Cependant, cette exploitation est envisagée lorsque l’auteur de la compilation est différent de celui des œuvres compilées. 28. A l’inverse, en est-il de même lorsque l’auteur de la compilation, également auteur des œuvres compilées, souhaite se prévaloir de son droit au respect vis-à-vis des modifications effectuées sur l’album ? Il semblerait qu’il lui appartienne de démontrer que l’album tourne «autour d’un concept artistique»28. Dans ce cas, estime la Cour d’appel de Paris, «l’atteinte au droit moral peut ainsi tout autant être revendiquée sur chacune des œuvres comprises dans l’album, que sur l’album en tant que compilation d’œuvres»29. L’auteur doit donc, pour se prémunir de toute amputation, démontrer que l’album est un album «conceptuel»30. 27 Paris, 11 décembre 1964 : JCP 1965, IV, 40. 28 Paris, 14ème ch. A, 15 mars 2006, Salvador c/. Jacky Boy Music : n°05/17326. 29 ère Dans un sens contraire, TGI Paris, 1 ch., 3 janvier 1968 : RIDA 1968, n°LVI, p.126. 30 Un grand nombre des albums de Serge GAINSBOURG peuvent être ainsi qualifiés, Melody Nelson et L’homme à la tête de choux étant les exemples les plus probants. 9
  • 17. B/ Le corps de l’interprétation 29. Au terme de l’article L212-1 du CPI, l’artiste interprète est, en matière musicale, celui «qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique». L’interprétation devrait être considérée comme le résultat de ces activités. A la lumière de cet article, l’interprétation est envisagée de manière extrêmement large. En effet, la prestation de l’artiste peut se faire par la voix, ou toute autre expression corporelle, mais également par l’intervention d’instruments actionnés par l’activité humaine. En revanche, la question s’est posée de savoir si l’exécution d’une œuvre par le biais d’instruments électroniques pouvait être considérée comme une interprétation au sens de la loi. 30. La Cour d’appel de Paris a statué sur ce point31. Philippe Chany, co-auteur de musiques de générique et d’éléments d’habillage sonore pour France 2, en assurait également l’exécution au moyen de synthétiseurs et instruments électroniques à claviers. Il revendiquait alors la qualité d’artiste interprète, en assignant la chaîne de télévision qui, à défaut d’avoir recueilli son autorisation au titre des droits voisins32, était selon lui coupable de contrefaçon. France 2 estimait, au contraire, que l’intéressé n’avait pas joué d’un quelconque instrument pour interpréter une partition, mais seulement utilisé un programme de composition, en donnant des instructions informatiques pour appeler des données sonores. Les premiers juges avaient approuvé cette argumentation33. La Cour d’appel infirme le jugement au motif qu’il était nécessaire de prendre en considération «l’apport des techniques informatiques tant dans le domaine de la création que de l’interprétation». 31. La lecture littérale de l’article L212-1 du CPI indique en effet, qu’il peut y avoir interprétation hors de l’usage d’un instrument de musique au sens traditionnel. En usant de l’expression «de toutes autres manière»34, il ouvre le champ à tous les modes d’expression artistique. 32. En définitive, si la conception de l’interprétation (à l’instar de celle de l’œuvre) est évolutive et s’élargit en fonction des avancées technologiques, il n’en demeure pas moins que l’interprétation correspond à la transcription sonore de l’œuvre, du moins en matière 31 Paris, 4ème ch., 3 mai 2006 : RIDA octobre 2006, p.305. 32 Autorisation écrite exigée par l’article L212-3 du CPI. 33 TGI Paris, 16 septembre 2003, Sté des producteurs de phonogrammes en France c/ Top 50 : D. 2003, p.2758, obs. P. SIRINELLI. 34 X. DAVERAT, un an de droit de la musique : CCE n°4 avril 2007, 4. 10
  • 18. musicale. Par conséquent, il s’avère nécessaire de bien délimiter l’interprétation afin d’éviter une confusion entre l’œuvre et son interprétation, mais également entre l'interprétation et l’interprète. Dans le cadre de l’intégrité matérielle, il est d’autant plus difficile d'établir la frontière entre ce qui relève d’une atteinte à l’œuvre et ce qui relève d’une atteinte à l’interprétation. Ainsi, le juge doit manier les concepts avec une grande prudence, tant la tentation est grande de préserver l’œuvre à travers la protection de l’interprétation et de préserver l’interprétation à travers l’œuvre, ce qui constituerait un détournement des instruments juridiques mis à la disposition des musiciens par le législateur. Section 2/ La préservation de l’œuvre et de l’interprétation durant leur vie publique 33. Il convient de se demander si ce droit, s’appliquant durant la vie publique de l’œuvre et de l’interprétation (A), ne protège que des atteintes perceptibles par le public (B). A/ L’application durant la vie publique de l’œuvre 34. L’application durant la vie publique de l’œuvre suppose qu’il y ait un point de départ à cette dernière, en l’occurrence le moment où l’auteur exerce son droit de divulgation (1°), et une extinction possible, celui où il exerce son droit de retrait (2°). 1°) Le point de départ : la divulgation 35. L’objet du droit au respect est l’œuvre ou l’interprétation telle que l’artiste l’a voulue. Selon Desbois, le droit au respect intervient donc comme le corollaire du droit de divulgation. En effet, en prenant la décision de rendre publique l’œuvre, il offre une vision de ce qu’il estime bon au monde des arts, et à ce titre, il entend que cette vision personnelle soit préservée. Ainsi, le point de départ de l’exercice du droit au respect serait non la création de l’œuvre mais sa divulgation. 36. Si cette théorie peut s’appliquer aux auteurs seuls, elle demeure incertaine pour les œuvres créées en collaboration, et inexistante pour les interprètes. L’auteur seul peut, en effet, prendre la décision personnelle de divulguer l’œuvre (les problèmes de préservation de celle-ci avant la divulgation ne regardant que l’auteur). Soit l’œuvre est telle qu’il l’a voulue et il prend la décision de la divulguer, soit elle ne correspond pas à ses attentes et il ne la divulgue pas. 11
  • 19. a) Les œuvres de collaboration 37. L’œuvre de collaboration est, au titre de l’article L113-2 du CPI «l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques». La définition «fait apparaître que la qualification suppose la réunion de trois éléments»35 : les participants doivent être des personnes physiques, leur contribution doit être de nature à leur donner la qualité d’auteur et leur participation concertée. 38. Une collaboration, quelle que soit l’animation qui la guide, artistique ou non, prend naissance d’une volonté de mettre en commun les talents de chacun. Toutefois, il peut arriver que les intérêts de chacun divergent, que la prestation d’un collaborateur ne correspond pas aux attentes ou à la vision que les autres collaborateurs se faisaient du projet commun. Ainsi le droit s’empare de ce conflit d'intérêts, dont la solution se trouve, dans une limitation des libertés de chacun. 39. En effet, «toute œuvre qui n’est pas personnelle à un seul auteur comporte une sorte de mise en commun du droit moral qui est de la part de chacun une aliénation de ses prérogatives personnelles»36. Le droit au respect d’un des auteurs se trouve donc limité et doit se concilier avec l’exercice de celui des autres. 40. Il se peut, au cours de l’élaboration de l’œuvre, qu’un des coauteurs ne soit pas satisfait de l’apport d’un autre coauteur, et refuse de la divulguer. Dans ce cas, soit le coauteur insatisfait modifie lui-même la contribution (l’autre auteur pouvant saisir le juge afin de rétablir l’intégrité de l’œuvre commune), soit le conflit d’intérêts sera réglé par la voie judiciaire. 41. Cependant, la modification, voire la destruction de la contribution d’un des coauteurs par un autre ne relève pas du droit au respect mais relèverait davantage du droit de divulgation. En effet, si l’un des co-auteurs est insatisfait du travail final, en raison notamment des atteintes portées à sa contribution, il ne donnera pas son accord à la divulgation (celle ci devant s’exercer à l’unanimité). Le juge interviendra alors en amont afin de statuer sur la divulgation ou non, de l’œuvre. 35 A. et H.J. LUCAS, Traité de propriété littéraire et artistique 2006, 3ème ed., p.153. 36 R. SAVATIER : JCP 1957, I, Doc. 1398, n°45. 12
  • 20. b) Les interprétations 42. A l’inverse de l’auteur, l’interprète ne dispose pas d’un droit de divulgation, ceci en dépit des critiques doctrinales. En effet, le code est étonnamment silencieux sur l'existence d’un droit de divulgation pour l’artiste interprète. Le rapprochement du régime du droit de l’artiste interprète avec celui de l’auteur, laisserait cependant supposer qu’il existe bel et bien, malgré cette omission. Selon certains auteurs, le droit de divulgation, étant «véritablement fondamental, relèverait de l’essence même du droit moral et serait à ce point évident qu’il s’appliquerait sans pour autant avoir été formellement énoncé»37. Toutefois, il est permis de penser que si le législateur n’a pas mentionné ce droit à l’égard des artistes interprètes, c’est bien qu’il en est dépourvu. Il s’agit d’un droit voisin du droit d’auteur, mais le fait que leurs régimes soient proches ne doit cependant pas masquer une certaine hiérarchie entre les deux droits. La doctrine majoritaire est alors encline à penser que l’interprète ne jouit pas d’un droit de divulgation38. Une solution inverse reviendrait à conférer à l’artiste un droit sur l’exploitation de l’œuvre, ce qui se révélerait peu compatible avec la situation de subordination qui le lie à son employeur. 43. Cependant, l’artiste interprète dispose d’un droit d’autorisation en vertu de l’article L212-3 du CPI. S’il peut s’apparenter au droit de divulgation énoncé par l’article L121-2 du même code, certains auteurs39 estiment qu’il n’est pas exprimé aussi singulièrement. Parce qu’il s’agit d’un droit patrimonial, cette prérogative n’a pas le caractère absolu que pourrait avoir un attribut du droit moral40. En effet ce droit est cessible et soumis aux exceptions du droit de l’artiste interprète envisagées par l’article L211-3. 44. Dès lors, l’artiste interprète ne pouvant mettre en œuvre un droit de divulgation, le droit au respect interviendra dès la fixation de son interprétation. S’il a cédé son droit d’autorisation prévu à l’article L212-3 du CPI, et que le producteur souhaite publier l’interprétation, l’artiste interprète pourra, sur le fondement du droit au respect, obtenir, le cas échéant, le retrait de l’interprétation litigieuse. 37 T. AZZI, Le droit moral de l’artiste interprète : retour sur les silences troublants du législateur : Propr. Intell. juillet 2008, n°28, p.281. 38 A. et H.J. LUCAS, op. cit., n°1028 ; P. Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF Droit, collection droit fondamental, 5ème édition, 2004, n°14 ; F. POLLAUD-DULLIAN, Le droit d’auteur, Economica, corpus droit privé, 2004, n°1607. 39 X. DAVERAT, Le droit moral de l’artiste interprète : J.-Cl. propriété littéraire et artistique, fasc.1430, n°20. 40 T.AZZI, préc., p.286. 13
  • 21. 2°) L’extinction du droit au respect a) L’auteur 45. Le droit français, depuis la loi de 1957, a opté pour une conception dualiste du droit d’auteur. Ce principe a pour effet de bien séparer les attributs patrimoniaux et moraux de l’auteur. Ainsi, l'extinction des droits patrimoniaux au bout de 70 ans après la mort de l’auteur41 n’emporte pas l’extinction de son droit moral. A l’article L121-1, le code confère au droit moral une protection perpétuelle et imprescriptible. On peut toutefois noter un paradoxe en ce que le code précise à l’alinéa 2 du même article que ce droit est attaché à la personne de l’auteur. Comme tout droit de la personnalité, on pourrait en déduire que ce droit ne survit pas à la mort de l’auteur. A l’inverse, les droits patrimoniaux, véritables droits de propriété, cessibles et donc détachables de la personne de l’auteur, sont plus enclins à supporter l’imprescriptibilité42 au-delà de la mort de ce dernier. 46. Le droit au respect de l’œuvre est perpétuel. Toutefois, si l’auteur prend la décision de retirer l’œuvre de sa vie publique, sur le fondement de l’article L121-4, toute modification de l’œuvre devra dès lors être sanctionnée, non plus sur le fondement du droit au respect, mais sur le fondement du droit de retrait de l’œuvre. b) L’artiste interprète 47. Concernant, l’artiste interprète, aucune précision n’est donnée sur le caractère perpétuel du droit au respect. En effet, l’article L212-2 alinéa 2 du CPI précise que «ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne». Cependant, l’alinéa 3 dispose que ce droit «est transmissible à ses héritiers pour la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt». Pour une partie de la doctrine cela signifierait qu’à l’inverse de ce que la loi prévoit en matière de droit d’auteur, le droit moral s’éteindrait ici avec les droits patrimoniaux43. Cette analyse unitaire est, à notre avis, en parfaite contradiction avec la loi de 1985, en ce qu’elle sépare le droit moral et le droit patrimonial de l’artiste interprète. De plus, elle contredit la jurisprudence qui tend à calquer le régime du droit moral de l’artiste interprète sur celui de l’auteur. Quel serait alors le but du rappel de l’imprescriptibilité de ce droit si ce n’est pour lui conférer un caractère perpétuel ? 41 Art. L123-1 du CPI. 42 S. NERISSON, op. cit., p.28. 43 « 50 ans après l’interprétation ou la communication au public », art. L211-4 du CPI. 14
  • 22. 48. Par ailleurs, on peut se demander si l’arrêt des droits patrimoniaux n’emporte pas des conséquences sur l’exercice du droit au respect. En effet, à l’inverse d’une conception purement personnaliste du droit moral, on peut envisager que le fait pour une œuvre ou une interprétation de tomber dans le domaine public puisse permettre une utilisation plus libre, sur le fondement notamment de la liberté de création, corollaire de la liberté d’expression. Cependant, dans une décision récente, la Cour de cassation , bien qu’ayant estimé que cette liberté empêchait les héritiers d’interdire l’adaptation d’une œuvre tombée dans le domaine public, a rappelé que cette liberté devait s’exercer dans la limite du droit au respect44. 49. Ainsi, le droit au respect s’exerce de manière perpétuelle pendant toute la vie publique de l’œuvre. Ce droit garantit une intangibilité de l’œuvre, nécessaire à la préservation de son intelligibilité. 50. Qu’il s’agisse d’une œuvre réalisée seul, d’une œuvre de collaboration ou d’une interprétation, le droit au respect va protéger l’œuvre durant sa vie publique. Les atteintes perpétrées, aussi bien au corps de l’œuvre, à l’interprétation, qu’à l’esprit, ne vont être envisagées que si elles interfèrent avec la vision que l’artiste a voulu donner de son travail lorsqu’il a autorisé sa communication publique. B/ La préservation contre les atteintes publiques 51. On peut se demander si l’appréciation de l’atteinte doit se faire par rapport au public ou si son appréciation est éminemment subjective et reste de l’appréciation de l’auteur seul. En effet, l’exercice du droit au respect doit être fondé sur une atteinte à l’intégrité matérielle de l’œuvre. Cette atteinte est un fait juridique dont la réalité doit être prouvée. La communication de l’œuvre se fait dans une forme musicale, intelligible par le public. C’est cette intelligibilité de la pensée, des sentiments de l’auteur à travers la forme musicale qui ne doit pas être viciée. Il est nécessaire pour vérifier l’atteinte de se référer au processus d’accès à la chose. 52. Si ce processus est déterminé par l’auteur seul, ce droit est considéré comme absolu, et il appartient au juge de donner raison à l’auteur dès lors que celui-ci estime que la version diffère de sa vision. A l’inverse, le considérer comme contingent nécessite de déterminer 44 Cass. 1ère civ., 30 janvier 2007, n°04-15.543, SA Plon et a. c/ Pierre Hugo et a. : D. 2007, p.920, comm. S. CHOISY ; JCP G n°7, 14 février 2007, II 10025, comm. C. CARON. 15
  • 23. l’atteinte. Ainsi, si ce fait modifie la forme intelligible de l’œuvre et est perceptible par le public, alors l’atteinte sera qualifiée. 53. Il est à noter que ce n’est pas le public qui peut se prévaloir de l’atteinte, et ce quand bien même il souffrirait de la dénaturation45. En effet, la protection est instituée dans l’intérêt de l’auteur. Il peut arriver, d’ailleurs, que l’intérêt du public diverge de celui de l’auteur. Ce renvoi au public est nécessaire pour juger de l’effet produit par le fait reproché. Celui-ci se conçoit comme un individu de compétence et d’exigence moyennes en rapport avec le mode de communication envisagé46. Mais il ne permet pas de juger de l’opportunité de la procédure, ni du préjudice. L’existence de ce préjudice n’est d’ailleurs pas à rechercher puisque dès lors que l’atteinte est caractérisée, il y a violation du droit moral. 54. Dès lors, la mise sur support estimée de mauvaise qualité par l’auteur ne pourra être accueillie par le juge que si la perception de ce défaut de qualité se fait sentir par le public. Cependant, l’auditeur moyen doit il être considéré par rapport à l’œuvre musicale en général ou par rapport à celle envisagée ? En effet, l’exigence d’un public de musique classique ne sera pas la même qu’un public habitué du rock garage. La sensibilité recherchée par la justesse des notes et la pureté du son des concertos pour piano de Bartok ne sera évidemment pas la même que la qualité recherchée pour l’écoute de l’œuvre intégrale des Stooges. Cependant, l'indifférence du mérite des œuvres obligerait à qualifier l’atteinte d’une façon identique pour toutes les œuvres. 55. Il nous semble que l'indifférence du mérite de l’œuvre ne devrait jouer que dans l’accès à la protection. Ainsi, le juge devrait regagner une certaine forme d’appréciation artistique pour la caractérisation de l’atteinte. Ce que d’ailleurs il a déjà fait. En effet, dans l’arrêt en date du 7 novembre 200647, le juge suprême a estimé, au sujet d’une œuvre de Pierre Perret intégrée à un karaoké, que « le groupe d’artistes l’interprétait classiquement, la livrant au public sans déformation, mutilation ou autre modification, et que ni la superposition du texte aux images ni le cadre général de l’œuvre audiovisuelle ne modifiait l’esprit de l’œuvre particulière, chanson populaire comme les treize autres, ni n’était de nature à la dévaloriser». Force est alors de constater que le juge confirme ici la Cour d’appel 45 En 1853, le comte Thadée Tyszkiewics poursuivis en justice l’académie impériale de musique pour avoir eu les «oreilles abîmées» par une représentation du Freyschutz de Weber. Plainte reproduite par P. SZENDY, op. cit., p.43. 46 S. GREGOIRE, Le droit au respect : J.Cl. propriété littéraire et artistique, Fasc, 1213. 47 Cass. 1ère civ., 7 novembre 2006 : D. 2006, 417, note P. ALLAYES ; CCE 2006, comm. n°152, note C. CARON. 16
  • 24. dans son appréciation artistique d’une atteinte à l’œuvre, tant dans l’atteinte matérielle alléguée par l’auteur («son interprétation en play back, par un groupe totalement anonyme, chantant au surplus faux») que dans sa dénaturation. Chapitre II : L’application du principe 56. Comme nous l’avons vu précédemment, le droit au respect a vocation à s’appliquer lors de la vie publique de l’œuvre. La vie publique correspond, généralement, à son exploitation, c’est pourquoi il convient d’étudier précisément le droit au respect en fonction des modes d’exploitation d’une œuvre et d’une interprétation musicale. Aussi nous étudierons ces modes d’exploitation selon le découpage traditionnel à savoir le droit de reproduction (Section 1) et le droit de représentation (Section 2). Section 1/ Dans le cadre de l’exercice du droit de reproduction 57. Le droit de reproduction correspond à «l’intercalation d’un support entre l’œuvre incorporelle et le public, qui y accédera, «de manière indirecte», par son intermédiaire»48 . Ce droit est, le plus souvent, transmis par l’auteur ou l’interprète à un tiers en vue de la mise sur support. Dans le cadre d’une œuvre musicale, deux acteurs interviennent : l’éditeur responsable de la fabrication en nombre du support (A) et le producteur responsable de la première fixation sonore (B). Il convient donc d’étudier les obligations de chacun de ces acteurs par rapport au droit au respect. A/ Les obligations relatives à l'éditeur 58. Défini à l’article L132-1 du CPI, «le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de faire fabriquer en nombre, des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion». Traditionnellement envisagé pour la matière littéraire, ce contrat est employé en matière musicale à la fois pour l’édition graphique des partitions musicales et pour l’édition phonographique. 59. En vertu de l’alinéa 2 de l’article L132-11 du CPI, l’éditeur «ne peut, sans autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’œuvre aucune modification». On peut se 48 P.-Y. GAUTHIER, op. cit., n°152. 17
  • 25. demander en quoi cette obligation diffère du droit au respect envisagé de manière générale à l’article L121-1 du CPI. La doctrine s’accorde à penser qu’avec cet alinéa, le législateur a souhaité contraster avec la cession du droit de reproduction. En effet, il réaffirme le caractère inaliénable du droit au respect, de sorte que la cession du droit de reproduction n’emporte pas la cession du droit au respect. Ce simple «écho»49 de l’article L121-1 ne doit donc pas être envisagé comme une obligation accrue à l’égard de l’éditeur. Il convient toutefois de distinguer entre l’édition graphique (1°) et l’édition phonographique (2°). 1°) Dans le cadre de l’édition graphique 60. Le droit au respect, en raison des risques assumés par l’éditeur, justifie certains aménagements. Il est d’une part «tenu d’une obligation de conseil au terme de laquelle il doit, sauf à engager sa responsabilité, corriger les fautes d’orthographe ou de sémantique relevées dans le manuscrit ou les signaler à l’auteur»50. Si cette obligation s’apprécie facilement dans le cadre des œuvres littéraires, elle parait plus compliquée à satisfaire dans le cadre de l’édition graphique musicale. 61. Les erreurs communes en matière d’édition graphique sont les erreurs portant sur les clefs, les signes, la mesure ou encore l’oubli de la mention du tempo retenu. Ces modifications, à l’inverse des corrections en matière littéraire, devront toujours faire l’objet d’une demande de la part de l’éditeur tant le droit moral est menacé par ce genre de correction. En effet, les fautes d’orthographe ne dépendent (normalement) pas du libre arbitre de l’auteur, tandis qu’en matière musicale le choix d’un tempo, d’une tonalité dépend d’un choix éclairé du musicien51. Ainsi, si Desbois pensait les éditeurs fondés, dans des ouvrages d’histoire ou de biographie, à redresser les erreurs flagrantes d’orthographe ou de syntaxe, mais aussi les inexactitudes d’information, qui échappent à toute discussion52, nous ne pensons pas que cette liberté puisse être élargie à l’édition phonographique pour justifier la correction des oublis de l’auteur, quand bien même celle-ci ne prêterait à aucune discussion. 62. Une solution inverse doit toutefois être envisagée lorsque la partition comporte également les paroles, auquel cas l’éditeur doit comme dans le cadre de l’édition littéraire, corriger les fautes graves d’orthographe. 49 A. et H. J. LUCAS, op. cit., p.511. 50 Toulouse, 2ème ch., 22 février 1993 : juris-data n°1993-0400928 ; Paris, 4ème ch., 4 février 1988 ; D. 1989, somm. Comm. 49, obs. C. COLOMBET. 51 G. BOUCHE, L’édition d’œuvre musicales, thèse, Nantes, 2003, p.209. 52 DESBOIS, Le droit d’auteur en France, 3ème édition, Dalloz, n°448. 18
  • 26. 2°) Dans le cadre de l’édition phonographique 63. On peut se poser la question de savoir si, dans le cadre de l’édition phonographique, l’éditeur, peut, dans un souci d’éviter une condamnation civile ou pénale ultérieure, apporter des modifications à l’œuvre ou à l’interprétation. 64. Une affaire retiendra notre attention. Par un jugement en date du 3 janvier 196853, le Tribunal de Grande Instance de Paris a estimé que l’œuvre protégée par le droit moral est la chanson et non l’album. Dès lors, l’éditeur ne porte pas atteinte au droit moral en décidant la suppression de l’une des chansons du disque en raison du caractère diffamatoire de celle-ci. 65. En effet, en 1967 en exécution d’un contrat d’enregistrement passé en 1966, l’auteur compositeur interprète Léo Ferré enregistre treize chansons. Or, l’une des chansons intitulée A une chanteuse morte porte clairement atteinte à l'impresario d’Edith Piaf, en l’accusant de se servir de la mort de la chanteuse pour promouvoir une nouvelle artiste. L’éditeur décide de retirer cette chanson du catalogue. Il était mentionné dans le contrat d’enregistrement que si «le choix des titres sera déterminé d’un commun accord», en outre, «la compagnie (l’éditeur), est seul juge pour décider si les enregistrements sont réussis et susceptibles de figurer à son catalogue». 66. Léo Ferré n’a pas réussi à démontrer que les chansons tournaient autour d’un thème unique. La suppression porte selon lui préjudice à l’œuvre que constitue le disque et rompt l'intelligibilité de celui-ci. Or en raison du contrat, le choix du catalogue était laissé à la libre appréciation de l’éditeur. De plus, «la simple volonté d’un auteur de donner à plusieurs œuvres distinctes le caractère d’œuvre unique ne suffit pas. Cette volonté doit s’exprimer de manière concrète. On retrouve bien la logique du droit d’auteur qui pose comme principe fondamental que l’idée soit incarnée en une forme perceptible aux sens afin de donner prise au monopole d’exploitation»54. 67. Toutefois, une jurisprudence plus ancienne avait considéré55 que l’éditeur ne peut exercer une censure des auteurs qu’il édite, même pour expurger de leurs œuvres les propos diffamatoires susceptibles d’entraîner pour lui, éditeur, des poursuites civiles ou pénales. L’activité d’éditeur n’est donc pas sans risques. Ainsi, si l’éditeur ne peut procéder lui même 53 TGI Paris, 1ère ch., 3 janvier 1968 : RIDA 1968 n°LVI, p.126. 54 G. BOUCHE, op. cit., p.214. 55 T.Civ. Seine, 12 février 1922 : annales 1923, p.323. 19
  • 27. à la suppression des paroles susceptibles de lui porter préjudice, il peut refuser l’édition d’une œuvre si elle ne s’inclut pas dans un ensemble constituant un «tout artistique», conférant au disque la qualité d’œuvre. B/ Les obligations relatives au producteur 68. Le producteur est celui qui prend l’initiative et la responsabilité de la fixation d’une œuvre musicale. Dès lors, il s’engage à respecter les intentions de l’auteur, notamment dans l’exercice de son droit moral. 69. La réalisation d’un exemplaire phonographique peut porter atteinte à l’œuvre en question, dans un premier temps dans la qualité de l’interprétation. Les artistes interprètes étant subordonnés, dans l’exercice du contrat de travail, au producteur, celui-ci s’engage à ce que l’interprétation soit conforme à l’intention de l’auteur. 70. Dans un second temps, le producteur s’engage, notamment au regard des techniques de fixation, à respecter l’œuvre. Ces réserves concernant le droit moral sont évoquées dans les contrats d’édition sonore, notamment dans les contrats types BIEM/IFPI pour l’industrie phonographique. L’article III de ces contrats stipule que «les modifications que le producteur croirait devoir apporter à une œuvre pour satisfaire aux nécessités de l’enregistrement ne devront jamais avoir pour effet d'altérer le caractère de l’œuvre, et la société réserve expressément le droit moral des auteurs.» 71. L’exemple de la numérisation correspond bien au type d’atteintes que l’œuvre et l’interprétation peuvent subir dans le cadre de l’enregistrement (1°). Nous étudierons par la suite les atteintes du fait du karaoké (2°) et des sonneries téléphoniques (3°) 1°) La numérisation des œuvres 72. La prise en considération de l’évolution technique dans le domaine musical nous oblige à envisager la numérisation dans le cadre des atteintes à l’œuvre et à l’interprétation. En effet, qu’il s’agisse de nouveaux modes d’enregistrement ou de nouveaux modes de stockage, la numérisation a désormais pris le «monopole de l’exploitation musicale». Elle a pour finalité d’assurer la reproduction pure et simple des œuvres ou des interprétations. A ce titre, le droit au respect de l’intégrité ne devrait pas avoir à s’appliquer. Il ne faut cependant pas oublier que le droit au respect entraîne des obligations très strictes à la charge du 20
  • 28. producteur et de l’éditeur. Dès lors, de quelle manière l’auteur ou l’interprète est-il fondé à se prévaloir de son droit au respect à l’intégrité pour une opération ayant pour but la reproduction pure et simple des œuvres ou interprétations ? 73. Que ce soit au niveau de l’enregistrement réalisé par le producteur, au moment de la fabrication des exemplaires ou du stockage, la numérisation consiste en une «conversion d’un objet réel en une suite de nombres permettant de représenter cet objet en informatique ou en électronique numérique. On utilise parfois le terme franglais de digitalisation»56. En musique, elle consiste à convertir un signal analogique en un signal numérique. Or, un signal analogique est par définition d’une précision infinie, à la fois en temps et en valeur. Dès lors, pour permettre une définition exacte en temps du signal afin de le stocker numériquement, on va réduire ce signal à une suite de points discrets. C’est-à-dire, pour simplifier, que le signal numérique est une représentation imparfaite et approximative du signal analogique. 74. Si cette imprécision est souvent imperceptible à l’oreille, la jurisprudence a toutefois rappelé avec constance que «toute modification, quelle qu’en soit l’importance, apportée à une œuvre de l’esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci». Cette formule est applicable à l’œuvre57 et à l’interprétation58. Toutefois, la première fixation numérique, n’emportera pas les mêmes conséquences qu’il s’agisse de l’œuvre ou de l’interprétation. En effet, la Cour de cassation a déjà rappelé que la finalité de l’œuvre était d’être interprétée59, elle n'hésite pas d’ailleurs à apprécier la qualité de l’interprétation60. A ce titre, il est probable qu’elle n’apprécie que la qualité de l’enregistrement, d’autant plus s’il s’agit du premier enregistrement. L’élément de comparaison est absent, seule l’impression de l’auteur peut être retenue. Dès lors, le juge devra apprécier entre ce que l’auteur a voulu et le résultat de l’enregistrement numérique. 75. L’interprète quant à lui est, le plus souvent, subordonné au producteur par un contrat de travail prévu à l’article L762-1 du Code du travail. L’engagement du droit au respect en raison d’un enregistrement numérique serait peu compatible avec cette subordination. D’autant plus qu’en vertu de l’article L212-3 du CPI, la fixation de sa prestation est soumise à 56 http://fr.wikipedia.org/wiki/Numerisation. 57 Cass. 1ère civ, 24 février 1998 : D. 98, p.471 note FRANCON ; Cass. 1ère civ., 5 décembre 2006 : CCE., n°2, février 2007, comm. 18 C. CARON. 58 Cass. Soc., 8 février 2006 : Légipresse, n°232, juin 2006, comm. P. TAFFOREAU. 59 Paris, 4ème ch., 23 janvier 2004, Edition Musicales Alpha, Jacques Dutronc et autres c/ Sté Case production : RIDA 2/2005, p.308. 60 Cass. 1ère civ., 7 novembre 2006, préc. 21
  • 29. autorisation. C’est en raison de ce droit que l’artiste interprète agira et non sur le fondement de son droit au respect. 76. En outre, la pochette de l’album est également présente sur le support numérique. L’ «art numérique» offre donc une myriade de possibilités pour présenter avec l’œuvre un certain nombre d’informations, qu’elles soient d’ordre visuel ou sonore, voire non perceptibles par les sens comme par exemple les DRM (Digital Right Management), qui permettent à l’éditeur d'empêcher la reproduction ou de limiter l’usage de l’œuvre à un ou plusieurs supports. Ces clefs numériques sont présentes sur le disque ou directement sur le morceau dématérialisé. 77. On peut se poser la question de savoir si cette présence aux côtés de l’œuvre reproduite sous forme de code peut porter matériellement atteinte à l’œuvre. A notre avis en aucune façon, dans le sens où elle ne modifie ni l’œuvre, ni l’interprétation dans sa perception. Dès lors, elle ne peut constituer une atteinte matérielle à l’œuvre. La pratique a cependant révélé que la présence de ces programmes pouvait faire apparaître sur certains matériels d’écoute des sauts, des clics ou distorsions, auquel cas l’atteinte est clairement avérée ; l’artiste peut donc s’en prévaloir61. 78. Il est donc peu probable que les producteurs et éditeurs puissent se prévaloir de la notion de contraintes techniques pour justifier ces atteintes à l’œuvre ou l’interprétation. Cependant, comme le relève très justement Christine Nguyen Duc Long, si la numérisation fait craindre de nombreuses atteintes à l’œuvre, chacune des parties devra prendre «conscience des contraintes de l’autre partie»62. 79. En revanche, il arrive que certains producteurs décident de remettre au goût du jour certains morceaux. Ils procèdent ainsi au remastering. Le remastering est une technique de post-production utilisée dans les industries musicales et cinématographiques. L'objectif est d'améliorer la qualité d'enregistrement sonore ou audiovisuel vieillissant. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un nouveau mastering, qui est un procédé permettant de regrouper les instruments enregistrés indépendamment (les pistes), pour rendre un ensemble cohérent à 61 «Question : Pourquoi les fichiers copiés du disque avec Microsoft® Windows Media® Player comportent-ils des clics, sauts ou distorsions? Réponse : Ceci est dû à la technologie Copy Control contenue sur le disque, destinée à empêcher toute copie numérique» : http://www.emimusic.info/fr_FR/ccontrol.html#a15. 62 C. NGUYEN DU LONG, préc., p.97. 22
  • 30. l’écoute de l’œuvre63. On procède alors à la numérisation indépendante des pistes, si celles-ci ont été conservées ; si les bandes ont été perdues, on se contentera des pistes gauche et droite pour un enregistrement en stéréophonie ou de l’unique piste monophonique. Généralement, le remastering ne consiste pas en une unique numérisation des œuvres. On procède également à des corrections sonores de l’œuvre, consistant en la suppression du souffle, l’amélioration de la dynamique afin de pouvoir augmenter le volume de l’enregistrement sans souffrir des effets de distorsion, et enfin une nouvelle égalisation. Les modifications ainsi faites ont pour but d’améliorer la qualité d’écoute d’une œuvre, d’en faire ressortir des variations, des sons qui n’étaient pas présents sur le premier enregistrement, en raison de la mauvaise qualité technique de l’époque. 80. Louable ou non, l’auteur et l’interprète peuvent s’en plaindre, car elles consistent en une modification de l’œuvre ou de l’interprétation. Cette technique peut en effet faire apparaître les défauts de l’interprète, ou révéler certaines incohérences de l’œuvre, auquel cas l’auteur et l'interprète doivent être, une nouvelle fois, expressément sollicités par le producteur qui souhaite retravailler cette œuvre. 2°) Le karaoké : entre destruction du lien harmonique et simple compilation 81. Le karaoké est l’exemple le plus probant d’atteinte matérielle. La Société pour l’administration du Droit de Reproduction Mécanique (SDRM) définit ce procédé comme «tout support de son, de texte ou d’image y compris numérique, reproduisant pour une œuvre donnée, l’interprétation musicale et le défilement concurrent du texte des paroles et/ou de la partition de ladite œuvre, et dont l’objet est de permettre l'interprétation chantée de cette dernière par l’utilisateur grâce au défilement sur écran du texte des paroles et/ou de la partition simultanément à la diffusion de l’interprétation musicale»64. 82. Ce procédé d’origine japonaise consiste plus généralement en une suppression des paroles chantées de l’œuvre, laquelle est réduite à son orchestration, afin que l’utilisateur du vidéogramme puisse interpréter la chanson en fonction du défilement des paroles. Les juges du fond sont souvent saisis de telles affaires par des auteurs faisant prévaloir leur droit au respect. Les juges donnaient, d’ailleurs, souvent raison à ces auteurs, en estimant que cette exploitation portait préjudice «du fait notamment de la suppression partielle de la ligne 63 http://fr.wikipedia.org/wiki/Remastering. 64 Cité par P. ALLAEYES, préc., p.417. 23
  • 31. mélodique, de la synchronisation de la musique d’accompagnement avec des images et un texte fragmenté et colorié»65 . 83. Cependant, alors qu’il paraissait clair pour la doctrine que l’exploitation sous forme de karaoké portait atteinte à l’œuvre, la Cour de cassation dans une affaire assez proche du procédé karaoké avait estimé «qu’une chanson constituait un tout indivisible, par l’union de ses textes et musique, et dont l’exploitation, séparée, portait atteinte au droit moral»66. Pourtant, elle est revenue récemment sur cette jurisprudence. Le 7 novembre 2006, la Haute cour a estimé que le karaoké pouvait s'apparenter à une compilation, laquelle est «un mode d’exercice du droit patrimonial cédé», que celle ci «n’est de nature à porter atteinte au droit moral de l’auteur, requérant alors son accord préalable, qu’en tant qu’elle risque d’altérer l’œuvre ou de déconsidérer l’auteur». 84. En l’espèce, la société Warner Chappell Music France, sous-cessionnaire des droits d’exploitation de la chanson Les jolies colonies de vacances, dont M. Pierre Perret est l’auteur compositeur et l’interprète habituel, a autorisé la société Polygram vidéo à intégrer l’œuvre dans une vidéocassette, intitulée Kara Ok !. Dans ce vidéogramme la chanson était interprétée par un groupe d’artistes. Or, à l’inverse des karaokés traditionnels, la chanson était interprétée intégralement, de sorte M. Pierre Perret ne pouvait se prévaloir d’une atteinte matérielle à son œuvre, puisque «le groupe d’artiste l’interprétait classiquement, la livrant au public sans déformation, mutilation ou autre modification». 85. Dès lors, il est nécessaire de distinguer, dans le cadre du karaoké, le karaoké classique, c’est-à-dire avec suppression du chant, et les karaokés sans suppression. La Cour d’appel de Paris avait en effet révélé dans une autre affaire que le droit au respect de l’œuvre n’est pas en cause lorsqu’un groupe d’artistes interprète une chanson, dont le texte défile simultanément avec le son, en superposition des images67. Le but d’une œuvre musicale étant d’être interprétée, l’auteur, en l’absence de modification, ou si ces modifications ont été autorisées par contrat, ne peut se prévaloir d’une atteinte à son œuvre. A l’inverse, dans le cadre de paroles dissociées, le juge devra retenir que «le procédé karaoké détruit le lien harmonique naturel existant avec la ligne mélodique de l’œuvre initiale compte tenu de la 65 Paris, 4ème chambre A., 14 mars 2001 : D. 2001, somm. P.2556, obs. P. SIRINELLI. Dans le même sens, Paris ère 1 ch., 7 mai 2001, Jacques Brel c/ Petraco : RIDA 4/2001, obs A. KEREVER. 66 Cass. 1ère civ., 15 février 2005, Femme Libérée : CCE 2005, comm. n°61, obs. C. CARON. 67 Paris, 4ème ch., 23 Janvier 2004, Edition Musicales Alpha, Jacques Dutronc et autres c/ Sté Case Production : RIDA, 2/2005, p 308. 24
  • 32. transcription exclusivement graphique des paroles et de la reproduction partielle de la musique»68. 3°) Les sonneries téléphoniques 86. Dans un jugement du 7 novembre 200369, le Tribunal de Grande Instance de Paris a eu à connaître de l’exploitation d’une œuvre musicale sous forme de sonnerie téléphonique. Il s’agissait, en l’espèce, d’une œuvre écrite et composée par M. Claude M’B (dit Mc Solaar) et d’autres coauteurs. Ceux-ci avaient fondé leur action sur l’atteinte au droit moral. Le Tribunal de Grande Instance a estimé que les œuvres étaient réduites à «une simple ligne mélodique numérisée, passée en boucle». En outre, «les chansons considérées relèvent d’un genre, le rap, dans lequel une importance particulière est accordée aux paroles et qu’ils n’entendent donc pas que les textes puissent être dissociés de leur accompagnement musical». Le juge a donc estimé que cette exploitation de l’œuvre constituait une atteinte au droit au respect. 87. On peut s’interroger sur la portée en 2008 d’une telle solution, tant les sonneries téléphoniques ont évolué. En effet, aujourd’hui, la technologie est telle que désormais il est possible d’utiliser le morceau, numériquement compressé, en guise de sonnerie. Le format désormais employé est soit le format dit Hifi, soit directement l’emploi de morceaux compressés au format Mp3. Mais, au-delà de ce fait, on peut se poser la question de savoir si le format extrêmement court imposé par la nature de la sonnerie téléphonique ne doit pas être envisagé également comme une atteinte matérielle. 88. Lorsque le morceau est proposé par des distributeurs en téléchargement Hifi, la musique est coupée afin de correspondre au format imposé par la sonnerie. Dès lors, étant donné les coupures effectuées, le juge devra retenir une atteinte à l’œuvre originale. En outre, lorsque celui-ci est proposé en format Mp3, la musique n’est amputée que par l’utilisation qui en est faite par la personne. Dès lors, cette exploitation ne portera atteinte à l’esprit de l’œuvre que dans la mesure où l’exploitation qui en est faite est contraire à la destination de l’œuvre telle que voulue par l’auteur. 68 TGI Paris, 3ème chambre, 1ère sect., 28 mai 2003, Pierre Perret c/ Ibach Distribution : n°99/18209. Concernant également l’exploitation de la chanson Les jolies colonies de vacances mais dans un karaoké traditionnel sans interprétation vocale. 69 TGI Paris, 3ème chambre, 2ème section, 7 novembre 2003 : Légipresse, Mars 2004, p.38, note J.-P. HUGOT. 25
  • 33. Section 2/ Dans le cadre de l’exercice du droit de représentation 89. Le droit de représentation consiste en une transmission directe au public. Cette communication au public peut se faire soit par le biais d’une interprétation publique, auquel cas il conviendra d’étudier les différentes atteintes que peut perpétrer une interprétation, à l’œuvre mais également à une interprétation plus ancienne (C). Cette communication peut se faire également par une «représentation mécanique», c’est à dire par le biais du support, préalablement reproduit. Cette représentation peut être soumise, plus que dans le cadre de l’exercice du droit de reproduction, à des impératifs techniques qui pourront venir porter atteinte à l’œuvre et à l’interprétation (A). Enfin, la communication au public peut se faire en «ligne», il conviendra, une nouvelle fois, de mesurer l’impact du numérique sur le droit au respect dans ces nouveaux modes de communication (B). A/ Les impératifs techniques 90. Au même titre que l’éditeur, voire le producteur, l’entrepreneur de spectacle est tenu de garantir à l’auteur et à l’interprète le respect de son œuvre ou interprétation. Le code rappelle, à l’instar de l’éditeur, cette obligation à l’article L132-22. On notera toutefois la différence de rédaction entre l’article L132-11 et l’article L132-22 du CPI, ce dernier évoquant «les conditions techniques propres à garantir le respect des droits intellectuels et moraux de l’auteur», tandis que l’article L132-11 estime quant à lui que l’éditeur ne peut apporter, sans le consentement de l’auteur, aucune modification. 91. Il ne faut pas, pour autant, en déduire une différence de régime. Le code instaure à l’article L121-1 un régime général de respect des œuvres (ainsi que son pendant pour les interprétations à l’article L212-2). La différence de rédaction rappelle le caractère propre des deux activités. En effet, l’éditeur est plus à même d’apporter des modifications, tandis que l’entrepreneur de spectacle, ou tout diffuseur public de l’œuvre ou de ses interprétations, n’est pas en mesure d’effectuer des modifications, ou alors de manière plus sporadique. Ce dernier est, cependant, tenu de diffuser l’œuvre de manière idoine compte tenu des techniques de diffusion. 92. Le juge doit ainsi vérifier que les conditions techniques de diffusion correspondent à un idéal, c’est à dire à des conditions moyennes à l’instant des faits. Ainsi, il n’est pas fait référence aux modifications, lesquelles sont, de toute évidence, constitutives d’un défaut de 26
  • 34. respect. Mais il est fait référence, à la qualité de diffusion publique de l’œuvre ou de l’interprétation, laquelle doit être vérifiée en fonction des caractéristiques techniques à l’époque de la diffusion litigieuse. 93. Ces propos méritent, cependant, d’être nuancés à la lumière de la jurisprudence Rostropovitch70. En l’espèce, le célèbre violoncelliste avait interprété la bande originale du film Boris Godounov d’Andreï Zulawski, tiré de l’opéra de Modeste Mousorgsky. Or, ce dernier se plaignait que le réalisateur ait procédé, lors du montage final, à la superposition de bruit sur la bande originale, ainsi qu’à des variations sonores et à l’utilisation de l’enregistrement pour illustrer des scènes non prévues au livret. 94. Le tribunal distingue entre les différents griefs opposés au réalisateur. Pour les scènes ajoutées au livret, l’interprète n’est pas recevable à les critiquer : cela relève du droit moral sur l’œuvre de Mousorgsky. Quant aux deux autres griefs, la décision se réfère à «l’essence de l’art cinématographique», aux «nécessités propres au cinéma». La variation du volume sonore étant une de ces nécessités, l’interprète ne peut s’en plaindre. Au contraire, «la superposition du bruitage à l'interprétation du chef d’orchestre (...) peut, dans certaines circonstances, porter atteinte au droit au respect de celle-ci (...) ; certains sons critiqués (...) égarent l’attention du spectateur et dénaturent l’appréciation de l’œuvre interprétée par Rostropovitch, sans que ce procédé soit imposé par les nécessités propres au cinéma». 95. Le tribunal a estimé d’une part que la superposition de bruits de crachat, de jets d’urine, de cris de volupté relevait d’une atteinte au droit moral (on notera que cette atteinte n’a pas donné lieu à la correction ni au retrait du film, mais à la simple apposition du désaccord de l’interprète en fin de film). D’autre part, le juge a considéré que les variations du volume sonore relevaient des obligations de l’art cinématographique, qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner l’auteur du film pour cet acte. Si ce jugement fait référence en la matière, c’est parce qu’il permet de résoudre la règle de conflit entre droit d’auteur et droit de l’artiste interprète. Ce n’est pas cette hypothèse qui retiendra notre attention. 96. Le jugement évoque ici les variations sonores comme nécessaires à l’art cinématographique, et donc inévitables. Il est important de relever que ces atteintes se déroulaient dans un acte de création d’une œuvre dérivée et non de collaboration. Il en aurait 70 TGI Paris, 10 janvier 1990 : RIDA juillet 1990, n°145. 368 ; D. 1991, somm.99, obs. C. COLOMBET, 206, note B. EDELMAN. 27
  • 35. été autrement si Rostropovitch avait composé lui même la bande originale. Ainsi, la qualité d’auteur du responsable de ces atteintes a servi sa cause. On peut se poser la question de savoir si en l’absence d’acte de création la solution aurait été identique. D’aucuns pensent que non71. Nous pensons, à l’inverse, que l’article L132-22 du CPI n'empêche nullement, et même conseille de prendre en considération les contraintes techniques inévitables au mode de diffusion pour apprécier les atteintes à l’œuvre ou l’interprétation. 97. Il est vrai qu’on peut y voir une certaine contradiction avec les solutions proposées lors de l’étude du droit au respect envisagé sous l’angle du droit de reproduction. Cependant, il ne s’agit nullement d’une modification de l’œuvre telle qu’elle pourrait être faite dans le cadre de la numérisation, mais bien de technique de diffusion. En soi, l’œuvre n’est pas modifiée, toutefois la technique de diffusion ne permet pas une écoute optimale de l’œuvre musicale. Cet aspect objectif ne peut être laissé à l’appréciation du seul auteur ou interprète. 98. Ainsi, un conflit probable entre l’auteur, l'interprète et le diffuseur ne se résoudrait pas, comme certains le laissent présager, par la prise en compte des différents intérêts économiques ; mais bien par une appréciation objective des éléments techniques nécessaires à la diffusion. B/ Le numérique 99. Le numérique, nous l’avons vu précédemment, permet une modification de l’ensemble de l’œuvre ou de l’interprétation (par coupure, ajout...) au moment du stockage, c’est à dire lors de l’exercice du droit de reproduction. Il en est de même lors de l’exercice du droit de représentation. Le diffuseur d’une œuvre numérisée est-il tenu pour autant aux mêmes obligations que l’éditeur lors de l’exercice du droit de reproduction ? 100. Celui-ci, si la numérisation a déjà été faite par le producteur, peut procéder à la compression de l’œuvre numérique afin de distribuer l’œuvre sur les nouveaux réseaux. En effet, le diffuseur en charge de distribuer les œuvres procédera à un nouveau traitement afin qu’en terme de capacité numérique, l’œuvre prenne moins de place et qu’ainsi sa distribution sur le réseau Internet ou de téléphonie mobile soit facilitée. Il s’agit alors de transformer un morceau dont la taille est de 42 mégaoctets environ pour un morceau de musique de 4 minutes en un morceau d’une capacité de 4 à 5 mégaoctets une fois compressé. Pour cela il est 71 C. NGUYEN DUCLONG, préc., p. 37 ; P.-Y. GAUTHIER, op. cit., p. 250. 28
  • 36. nécessaire de procéder à une compression destructive, c’est à dire qu’on va procéder à la destruction d’informations jugées inutiles72. 101. Le numérique permet également à la personne qui souhaite diffuser les œuvres et interprétations dont elle a la charge, de stocker avec elles un certain nombre d’informations. En effet, le compact disc est appelé à disparaître pour laisser place aux œuvres numérisées et dématérialisées directement disponibles sur l’Internet. Ainsi, sur un même morceau numérisé peut apparaître à la fois le nom de l’œuvre, celui du ou des auteurs, du compositeur, de l’interprète. C/ L’interprétation 102. Il convient de distinguer en l’espèce entre l’atteinte à l’œuvre du fait de l’interprétation (1°) et l’atteinte à l’interprétation du fait d’une nouvelle interprétation (2°). 1°) L’atteinte à l’œuvre du fait de l’interprétation 103. La question est de savoir ici si, par le fait même de l’interprétation, l’auteur peut se prévaloir d’une atteinte à son œuvre. 104. Il importe pour cela de revenir sur la qualité d’artiste interprète. En effet, celui-ci dispose d’un droit voisin du droit d’auteur, l’interprétation n’étant pas une œuvre de l’esprit. Il n’y a pas, a priori, de création dans l’interprétation, tout au plus une empreinte de personnalité importante. L’artiste interprète, nous l’avons vu en introduction, a pour rôle la restitution sonore de l’œuvre musicale. Il est le traducteur de la musique énoncée sous forme de signes dont la compréhension est limitée à un certain nombre de personnes, à la musique sous forme sonore, pour la compréhension de tous. 105. Cette traduction emporte nécessairement une modification (même infime) de l’œuvre et donc porte atteinte au respect de l’œuvre. 72 «L’une des propriétés les plus intéressantes parmi celles utilisées pour ne pas " encoder l'inutile " est la technique de masquage. Le seuil à partir duquel l'oreille humaine perçoit un son dépend énormément de la fréquence de ce son. Par exemple, nous percevons beaucoup plus facilement un son faible à 4 kHz qu'à 50 Hz ou 15 kHz. De plus, à partir de 25 kHz, quel que soit le niveau sonore, l'oreille humaine ne perçoit plus aucun son. Le Mp3, tout comme le Mini-Disc et le Dolby, utilise donc la technique de masquage : si deux sons de fréquences proches sont joués avec une intensité très différente, on pourra supprimer le son le plus faible qui sera de toute façon masqué et ignoré par l'oreille humaine» : http://mao.audiofanzine.com/apprendre/dossiers/index,idossier,31,page,1.html. 29
  • 37. 106. Il semble néanmoins qu’il faille distinguer les hypothèses. En effet, si l'interprète ne fait qu’exécuter la partition suivant les indications précises de l’auteur, l’infime variation de ces notations (par exemple de tempo) pourra être considérée comme une atteinte à la volonté de l’auteur dans la réalisation de son œuvre. A fortiori, si l'interprète prend la liberté de modifier la partition, au-delà des indications d’interprétation, en modifiant l’œuvre au fond, il exécutera des arrangements, pour lesquels il ne pourra se passer de l’accord exprès de l’auteur, que ce soit a posteriori pour le droit patrimonial ou a priori en ce qui concerne le droit moral. 107. Le problème est différent lorsque la notation de la partition est limitée dans les indications d’interprétation. La liberté de l’interprète y est forcément plus grande. Dans ce cas, l’auteur peut-il faire valoir de la même manière son droit au respect ? Comme le relève M. Bouché, le répertoire contemporain, notamment, a marqué une certaine volonté d’estomper la distance entre le compositeur et l’interprète. «Il apparaît donc manifeste que dans certaines œuvres la volonté de l’auteur soit l’absence de linéarité au profit d’une certaine latitude laissée à l’artiste interprète, à qui des pistes sont ouvertes et à qui différents itinéraires sonores sont proposés»73. L’auteur peut-il se prévaloir d’une atteinte à son œuvre alors même qu’il a fait preuve d’une certaine volonté de liberté donnée à l’interprète ? Il nous semble que cette distance prise avec l'interprétation de son œuvre devrait être prise en compte dans l’appréciation de l’atteinte au respect de l’œuvre. 108. En résumé, l’auteur ne pourra se prévaloir d’une atteinte au respect de l’œuvre par l'interprétation qui en est faite que s’il a limité l’arbitraire de l’interprète. La comparaison devra s’effectuer par rapport à la partition voulue par l’auteur. Il est à noter que la musique populaire, à l’inverse de la musique dite sérieuse, s'affranchit de plus en plus de la partition. Dès lors, l’élément comparatif devrait être l’enregistrement fait par l’auteur lui-même. Dès lors, la liberté est moins grande que celle laissée par la partition, puisque l’auteur établit lui- même une ébauche de ce que devrait être l’interprétation optimale de son œuvre. L’interprétation est donc limitée par la volonté de l’auteur. Toute variation de cette interprétation optimale entraînerait une violation de son droit au respect. L’artiste interprète habituel peut également servir de point de repère à cette interprétation optimale : dès lors que l’auteur a accepté une interprétation comme n’entraînant pas une violation de son droit moral, une interprétation s’en rapprochant fortement ne pourra pas constituer une atteinte à son droit moral. 73 G. BOUCHE, op. cit., p. 219. 30
  • 38. 2°) L’atteinte à l’interprétation par une nouvelle interprétation 109. L’interprétation d’une œuvre, en la restituant au public, «incarne et contient l’œuvre»74. Il en résulte une certaine difficulté à séparer l’œuvre de son interprétation. L’évolution contemporaine de la musique nous le prouve d’ailleurs : il n’est pas rare aujourd’hui d’attribuer une chanson à un interprète plus qu’à un auteur. Le rapport d’un interprète à une œuvre est parfois si intense qu’il supplante même le rapport de l’auteur à cette œuvre, alors que, lorsqu’une œuvre est ré-interprétée par un autre, seul l’auteur serait habilité à intervenir sur cette nouvelle interprétation. Or, dans l’esprit du public, au-delà même d’un rapport de comparaison, une certaine forme de confusion naîtra. Cependant, l’objet de la protection est l’interprétation de l’œuvre. En raisonnant a contrario de l’arrêt La fraternité blanche75, le bénéfice de cette protection ne devrait donc pas revenir indirectement à la personnalité de l’artiste interprète. Il n’y a pas à proprement parler d’atteinte à une interprétation puisque l’interprétation n’est pas présente. Tout au plus s’agira-t-il d’une atteinte à la personnalité de l’artiste ou d’un acte de concurrence déloyale, contre lesquels l’artiste interprète pourra agir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil du moins s’il est capable de rapporter une faute. 110. Pourtant il semble que la jurisprudence souhaite attribuer un droit moral à l’artiste interprète alors même que l’interprétation n’est pas compromise. Dans l’arrêt Pierre Perret, le juge estime que la fausse attribution à M. Pierre Perret de l’interprétation qui est faite de son œuvre au cours du karaoké constitue une atteinte à son droit moral. Certes, il peut s’agir négativement du droit au respect du nom. Celui-ci signifierait que l’artiste interprète doit se voir à la fois, attribuer la paternité de son interprétation, mais également qu’on ne lui attribue pas la paternité d’une autre interprétation. En l’absence d’interprétation, il aurait été plus aisé de statuer sur le terrain des droits de la personnalité et non sur celui de l’interprétation. M. Allayes appuie cette argumentation avec un propos tout à fait pertinent : «Qu’en serait-il de la fausse attribution au détriment d’un individu qui n’a jamais été auteur ou artiste interprète ? Une telle entrée dans la propriété littéraire et artistique serait curieuse». Dès lors, il ne serait pas impossible d’admettre que l’interprétation d’un artiste soit violée en l’absence même de celle-ci. 74 P. TAFFAOREAU, La notion d’interprétation en droit de la propriété littéraire et artistique : Propr. intell. janvier 2006, n°18, p.50. 75 Cass. 1ère civ., 10 mars 1993, Association La Fraternité blanche universelle c./ Boizeau et a. : JCP 1993, II, 22161, note J. RAYNARD. 31
  • 39. 111. Comme dans ce jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris76, dans lequel les juges ont estimé, à propos d’une utilisation publicitaire d’une œuvre, que «la chanson était associée dans l’esprit du public à la chanteuse compte tenu du succès considérable qu’elle a rencontré» et que «le téléspectateur ne peut pas identifier à la seule écoute du spot publicitaire qu’il ne s’agit pas de l’enregistrement de Nicoletta, sa voix et celle du chœur étant mêlées indistinctement». Ce renvoi à la notoriété d’une chanson à travers son interprétation est pertinente : elle permettrait à un artiste notoirement connu de faire valoir son droit moral, non seulement en ce qui concerne la fausse attribution de paternité, mais également en ce qui concerne une atteinte à l’esprit de son interprétation première. 112. Si au regard de la jurisprudence cette possibilité est offerte, elle n’est pas opportune. D’une part au regard du droit moral puisque celui-ci ne peut s’exercer sans l’objet de sa protection. Mais d’autre part et surtout au regard de la perpétuité, désormais, des enregistrements, et la perpétuité avérée du droit moral de l’artiste interprète. Il ne faudrait pas qu’une telle conception vienne empêcher la libre création et a fortiori la libre interprétation. En effet, considérer qu’une interprétation puisse être atteinte dans son intégrité morale par le fait d’une autre interprétation, reviendrait à permettre à l’artiste interprète habituel et notoire d'empêcher la réalisation d’une nouvelle interprétation de l’œuvre et à en compromettre dans l’avenir toute nouvelle et libre interprétation. Car s’il est vrai que personne ne se souvient des interprétations de Bach à son époque, tout le monde se souviendra des interprétations d’Edith Piaf. Pour autant, si à l’heure actuelle c’est l’artiste interprète qui est le plus généralement porteur d’une œuvre, il ne doit pas pouvoir empêcher les autres interprétations autorisées par l’auteur, ou empêcher les interprétations d’œuvres tombées dans le domaine public. Sauf éventuellement si son interprétation est tellement originale qu’elle bascule dans le giron du droit d’auteur par le biais de l’arrangement. Dans ce cas, l’artiste interprète cumulerait les deux protections et pourrait faire protéger, perpétuellement, cette œuvre secondaire. 113. Un droit au respect envisagé de manière trop absolue conduit donc à de trop grandes dérives. Une surprotection de l’artiste viendrait à la fois à figer l’œuvre de manière irréductible, et à remettre en cause les conventions passées par l’artiste. Aussi, il convient d’envisager une limitation du droit au respect. 76 TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 12 oct. 2005 : n°04/02594. 32
  • 40. PARTIE II : LES MODIFICATIONS PERMISES DE L’ŒUVRE 114. L’œuvre ou l’interprétation subit, nous l’avons vu, au cours de sa vie publique un nombre d’atteintes qui mettent en péril sa pérennité. Toutefois, la pérennité de l’œuvre ou de l’interprétation est assurée par sa mise sur support. L’original de la fixation doit donc être préservé afin de garantir l’œuvre et l’interprétation. Ainsi, cet original préservé, les différentes mutilations que pourrait subir une œuvre en vue d’une nouvelle création (que cette création soit envisagée dans un cadre critique, parodique, ou tout simplement purement artistique), ont moins d’impacts. De plus, il se peut que l’auteur ou l’interprète autorise, de son propre chef, la modification par un tiers de son travail. Dès lors, la limitation du droit au respect apparaît comme une nécessité au regard de la création défendue par la liberté d’expression (Chapitre I) ; mais également au regard du respect de la liberté contractuelle, et des conventions passées par l’artiste. (Chapitre II). Chapitre I : Les modifications permises en raison de la liberté d’expression 115. La liberté d’expression est garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), ainsi que par l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Son pendant, la liberté de création permet à tous la garantie d’expression de son pouvoir créatif, en d’autres termes de pouvoir exprimer ses idées sous une forme créative. S’il est vrai que ce droit, que ce soit dans la DDHC ou dans la CESDH est limité au respect des droits d’autrui (en l’occurrence le droit d’auteur), il n’en demeure pas moins que le droit au respect doit être concilié avec la liberté de création dans les cadres prévus par la loi. En l’espèce, il s’agit de conjuguer le droit au respect avec les exceptions au droit d’auteur mentionnées aux articles L122-5 et L211-3 du CPI, qui prévoient notamment la liberté de critique, de citation et de parodie de l’œuvre et de l’interprétation essentielles à la liberté d’expression (Section 1). Enfin il s’agit également de conjuguer le droit au respect des œuvres du domaine public dans le cadre de nouvelles créations (Section 2). Section 1/ Le droit au respect face aux exceptions 116. Il convient dans un premier temps d’étudier l’exercice du droit au respect dans le cadre prévu par les exceptions au droit d’auteur (A), pour ensuite nous intéresser au cas particulier des exceptions de parodies et de courtes citations (B). 33