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D.R.L. Zarebski
1
Forces et limites du pouvoir explicatif de la folk psychology dans le champ de la
pragmatique linguistique
On ne saurait faire l‟économie, avant même d‟aborder la question de son traitement dans la
pragmatique linguistique, d‟un bref rappel des présupposés qui accompagnent historiquement
la notion de folk psychology. Ce rappel s‟ouvrira sur la remarque la plus triviale qui soit. Si la
pratique, en tant que telle, de la psychologie populaire (comme nous la traduirons
littéralement sans plus de précaution que la présente fixation) pourrait être, au fond, aussi
vieille que l‟humanité elle-même1
, l‟occurrence du syntagme qui lui est associé, non
seulement est plus récente, ce qui va de soi, mais, point plus notable, augmente
paradoxalement dans une période plus volontiers matérialiste et neuroscientifique. Cette
curiosité sémantique admet au moins deux explications majeures ; l‟une évidente, l‟autre plus
subtile.
La première tient au fait que pour remettre en question une pratique, il est linguistiquement
plus commode de la nommer. De ce point de vue, on dirait volontiers que c‟est dans ce genre
de positionnement, osons le dire, dialectique, que se constitue une pensée comme celle de
l‟eliminativ materialism ; prenant tantôt pour cible la folk psychology2
, tantôt la common
sense psychology. La seconde n‟est jamais plus que l‟effet balancier de la première à savoir,
que ce type de concept devient alors un nouveau défit pour des théories concurrentes, en
l‟occurrence, dans le cas qui nous préoccupe, pour des matérialismes plus faibles ou modestes
tels que le fonctionnalisme.
Or c‟est sur ces théories positives de la folk psychology que porte la présente étude et, plus
précisément, sur l‟application de sa version naturalisée à la question de la pragmatique
linguistique qui en est le point de tension le plus évident de par la nature hautement complexe
et particulière de la communication verbale humaine.
I. Folk psychology en général : Theory-theory and Simulation
Il est nécessaire de fixer ici certains points de vocabulaire pour se garder des difficultés
inhérentes à la pluridisciplinarité, à l‟hétérogénéité des composants du paradigme folk-
psychologique. Un certains nombre de termes, tels que Mind reading, Theory of Mind gravite
autours de la notion dont nous tenterons tant bien que mal de définir les contours.
L‟agencement de ces notions, leurs imbrications mutuelles, bien que l‟on puisse
grossièrement en dégager de grandes lignes, diffèrent selon le background conceptuel des
différents protagonistes de ce débat. Placé devant un choix relevant de l‟intelligibilité du
1
Churchland 1981 p74
2
idem
D.R.L. Zarebski
2
propos, nous ne poserons pas, contrairement à Ian Ravenscroft3
, de synonymie entre entre
Mind reading et folk psychology prise en son seul sens de « theory of behavior represented in
the brain » ; définition trop restrictive qui exclut l‟hypothèse concurrente qu‟est la Simulation
theory dont nous dirons quelques mots.4
On entendra alors par commodité le Mind reading
comme un synonyme de folk psychology mais prise cette fois-ci au sens large de capacité
cognitive à attribuer des états mentaux, disons, à un autre humain5
, en vue de comprendre et
d‟expliciter son comportement. Ce partage peut paraitre pour l‟instant arbitraire, mais il
convient de circonscrire quelque peu le domaine inférentiel de cette folk psychology avant
seulement de penser pouvoir dégager les mécanismes supportant ces inférences quotidiennes ;
ce à quoi nous arrivons.
Présentons brièvement les deux théories concurrentes constituant, si l‟on en croit Stich6
,
l‟intégralité des choix possibles quant à la question du processus cognitif dont résulte
l‟explication comportementale naïve via l‟attribution de croyances et de motivations.
Une première manière de présenter l‟alternative consiste à poser les choses ainsi. Il y aurait
d‟un côté une conception qui affirmerait que la FP serait une activité inconsciente presque
théorique en ce qu‟elle prendrait la forme de l‟articulation d‟observation comportementale
avec une série de règles ou de lois implémentées, si l‟on ose dire, telles quelles dans le
cerveau (Theory-Theory) ; que ces règles soient accessibles par la conscience sous la forme
de leur formulation explicite ou au contraire tacites voire inaccessibles n‟entre pour l‟instant
pas en ligne de compte. L‟alternative, connue sous le nom de Simulation Theory pourrait se
résumer de la manière suivante : “There is no need for a special internalized knowledge
structure here; no tacit folk-psychological theory is being used. Rather, you are using (part
of) your own cognitive mechanism as a model for (part of) his”78
à la précision près que ce
raisonnement, cette dite simulation, ne suppose pas nécessairement de formulation consciente
complète, que : “this whole process may be largely unconscious »9
.
Une fois ce cadre très général posé, relativisons le avant de poursuivre. De même que
l‟homme moyen de Quetelet n‟existe pas, nous serions tentés de mettre en doute l‟existence de
facto de catégories à ce point imperméables. En effet, deux points doivent ici attirer notre
attention. Notons tout d‟abord l‟usage, au sein de la ST et non de la TT, de la notion ô
combien nécessaire de règle ou de maxime dans le cas de raisonnement contrefactuels (qui
constituent, en passant, la majorité des dites simulations). Le simple aperçu de la querelle
Gordon/Davidson10
devrait ici nous éclairer.
3
Ian Ravenscroft 2010
4
Un exemple illustrera mieux la raison de ce choix. Dans sa croisade contre la FP, il est manifeste que Churchland 1981 p 3
à 7 développe tous les efforts du monde pour montrer en quoi la FP est un theorie (I) avant de montrer en quoi il s‟agit d‟une
mauvaise theory (II). C‟est précisément sur ce point que Goldman 1989 essayera de lui couper l‟herbe sous le pied en
montrant en quoi FP n‟est pas une théorie mais une capacité pourvu à l‟appareil cognitif par une stimulation, le conduisant
alors à affirmer : « there is no such thing as folk psychology » (entendue en ce sens) (1995 p 71).
5
Nous écartons à dessein la question complexe de l’attribution d’états de conscience à d’autres être vivants
qui n’apporterait rien à l’actuel propos.
6
« The theory-theory is not the only game in town, but it is the only other game in town” Stich 1995 p 133
7
Stich 1995 p 127 qui décrit là les conceptions communes, à ce degré de généralité, de Goldman 1989 et Gordon 1986
8
« Using Oneself as a model » dit aussi Gordon 1995 in Davies/Stone p 114
9
ibid
10
Davidson 1963
D.R.L. Zarebski
3
I believe that Davidson, too, is mistaken. Just as by experimenting on a wind tunnel
model one can pick out which several conditions was actually a factor for the plane‟s
stall, so by counterfactual testing […] and similarly for the actions of others […] the
generality implicit in these explanations is furnished by a counterfactual supporting
rule or „maxim‟ (in the Kantian sense) rather than by a law11
Il n‟est que d‟apposer cette citation à ce qu‟explique Stich12
du tournant tacite de la TT
emprunté depuis le début des années 90 pour saisir la difficulté de la précédente distinction.
Comment mettre en évidence la différence entre une simulation et une théorie de l‟esprit sitôt
que l‟on admet que la théorie est inconsciente et qu‟une ambigüité demeure entre les notions
de loi et de règle. Mais autre chose rapproche plus encore les deux paradigmes quant à la
question précise à laquelle nous arrivons. Elles partagent en effet une certaine conception des
états mentaux attribués par un individu à un de ses semblables en vue d‟interpréter son
comportement, linguistique ou non.
II. Folk psychology et interprétation pragmatique linguistique
Au fond, l‟élocution n‟est jamais plus qu‟une action comme une autre dans une perspective
folk-psychologiste. C‟est du moins ce qu‟une bonne partie des psychologues populaires
s‟accordent à dire, à l‟instar de Stich :
« Included in this cluster is the ability to describe people and their behavior (including
their linguistic behavior) in intentional terms or to „interpret‟ them, as philosophers
sometimes say »13
.
Elle peut être le résultat du désir d‟un locuteur, remplir une fonction conditionnée par ses
motivations ainsi qu‟exprimer ses croyances aussi serait-on tenté de prêter à la FP le pouvoir
d‟interpréter le sens d‟un énoncé linguistique en dégageant les croyances ou les motivations
d‟un locuteur d‟après un certain contexte.
Prenons le cas trivial, et surement le mieux connu de la linguistique et ce, bien avant le
paradigme folk-psychologiste, de « Peux-tu me passer le sel ? ». Il est clair que seule
l‟attribution par H d‟un désir à S peut lui faire comprendre le sens réel de l‟énoncé et le porter
à agir plutôt que de lui répondre « oui » (sous entendu, je possède bien la capacité de la faire).
D‟un côté comme de l‟autre de la barrière théorétique, si l‟on voulait la nommer, du côté de la
TT comme de celui de la ST, la plupart des auteurs s‟accordent à rabattre l‟interprétation
pragmatique d‟énoncés linguistiques par un hearer14
au moyen de l‟attribution, par celui-ci, de
croyances ou d‟intentions au speaker15
.
On trouve en effet bon nombre de variantes de cette attribution de believes-desires,
notamment chez Goldman dans sa revendication du „humanity principle‟ de Grandy
11
Gordon 1995 in Davies/Stone p 117
12
Cf Stich 1995 p133
13
Stich 1995 p123
14
Que nous appellerons par commodité H
15
Que nous appellerons S
D.R.L. Zarebski
4
(1973)16
ainsi que dans le traitement qu‟il réserve aux recherches de Baron-Cohen, Leslie et
Frith (1985). On remarque en effet, dans le cas des enfants autistes, la corrélation de deux
faits significatifs que seraient, premièrement, leur manifeste difficulté à communiquer
(verbalement ou non) et, deuxièmement le fait que, dans le même temps et pour le même
échantillons de sujets, ces derniers réussissent à 86% le test de détection du syndrome de
Down (attestant alors du fait que leur pathologie ne consiste pas en un simple retard mental)
alors même qu‟ils ne réussissent qu‟à 20% le false test beliefs de Wimmer/Perner (1983).Les
résultats sont alors interprétés de la sorte.
« Baron-Cohen et al hypothesize that that autistic children as a group fail to acquire a
„theory of mind‟, an ability to impute beliefs to others and therefore predict their
behavior correctly. This would account for their social and communicational
impairment.”17
Sans prolonger indéfiniment la citation, notons que la seule réserve dont cette interprétation
fait l‟objet concerne uniquement la modularité de cette inférence, son caractère mécanique ou
théorique et non le fait que l‟interprétation du langage suppose l‟attribution de croyance ou
motivation de H vers S. De la même manière, Gopnik/Wellman se fait l‟écho de ce pattern
explicatif de la communication montrant la manière dont certaines erreurs d‟interprétations
d‟énoncés linguistiques par un enfant peuvent être expliquées à la lumière de leur capacité ou,
plus justement, de leur défaut de capacité à attribuer à autrui de fausses croyances.
“A child sees a blue cup, agrees that it is blue and not white, and sees the cup hidden
behind a screen. At this point another adult come into the room, and she says “I cannot
see the cup. Hmm, I think it is white.” Then the child is asked what color he thinks the
cup is and what color the adult think it is. To be correct, the child need only report the
adult‟s actual words, but three-years-olds err by attributing to the character a true
belief. […] “She thinks it‟s blue”” 18
III. Limites et critiques du pattern explicatif classique,
La question serait ici la suivante : dans quelle mesure est-il possible de tenir l‟analogie entre
l‟interprétation comportementale et l‟interprétation linguistique d‟un énoncé par un sujet ?
Sans même parler encore de Sperber ou de sa théorie de la relevance19
, il faut toutefois
remarquer que certaines spécificités de la communication verbale, telles que le phénomène
d‟aller et retour, auraient d‟ors et déjà pu attirer l‟attention sur une dimension particulière de
ce comportement particulier que l‟on nomme langage. Ainsi, lorsque H comprend l‟énoncé
« Beau temps, n‟est-ce pas ? », il ne lui suffit pas d‟attribuer à S la croyance qu‟à un temps t il
fait beau : il doit également, ce qu‟il fera surement, attribuer à S, mettons, la croyance que
16
Interpretation Psychologized 1995 p81 « Grandy proposes to replace charity principles with what he calls the „humanity
principle‟. This is the constraint imposed on translations that the imputed pattern of relations among beliefs, desires, and the
world be similar to our own as possible”
17
P 87
18
The child theory of Mind 1995 p242
19
Nous ferons ici le choix de ne pas traduire « relevance » par pertinence ou à-propos, mais à l‟aide d‟une traduction littérale
qui a le défaut de ses qualités : son étrangeté offre alors un relief au concept le rendant alors aisément identifiable.
D.R.L. Zarebski
5
cette croyance l‟intéressera, ou bien une motivation, celle d‟engager la conversation coute que
coute, ou encore un mixte des deux. Que dire s‟il pleut ?
Dans ce dernier cas, l‟exemple précédent peut se complexifier d‟avantage si l‟on précise que,
peu de temps auparavant, H a levé les yeux au ciel. Dans ce cas, H, pour comprendre
correctement S, doit imputer tout un chapelet de croyances telles que la croyance qu‟il ne fait
pas beau, la croyance quant à sa propre croyance (celle de B) qu‟il ne fait pas beau
(manifestée par son regard), ainsi que, et c‟est là que les choses se compliquent, les raisons de
cette contradiction volontaire de l‟énoncé avec les faits partagés ainsi que l‟idée que cette
contradiction aura un certain effet sur H, connu à l‟avance par S. Ainsi, l‟attribution de
croyance procède d‟une multiplicité de degrés, d‟aller et retours susceptibles de provoquer
sueurs froides et nuits blanches à qui voudrait expliquer en ces seuls termes toutes les
interprétations possibles de H.
La véritable question serait alors la suivante : comment se fait-il que, la majorité du temps H
parvienne à dégager le sens précis de la proposition étant donné la multiplicité
d‟interprétations possibles de l‟énoncé ? Cette question ne doit surtout pas être confondue
avec la précédente tenant aux raisons du succès prédictif d‟un sujet envers les actions d‟un
agent pour aux moins quatre raisons soulevées par Sperber/Wilson.
“However, while it is true that an utterance is a type of action, and a speaker's meaning
is a type of intention, we want to argue that neither the rationalisation nor the
simulation view of mind-reading adequately accounts for the hearer‟s ability to
retrieve the speaker's meaning”20
La première et la plus évidente concerne de plus près la question du succès interprétatif et
consiste à souligner que, du simple point de vue de la probabilité, la somme des sens possibles
de chaque énoncé dépasse de loin celle de chaque action particulière ; ce qui mettrait à mal
une interprétation exclusivement intensionnelle d‟un énoncé. « More generally, the problem
of applying a general procedure for inferring intentions from actions to the special case of
inferring speaker's meanings from utterances is that speaker's meanings typically carry a
vastly greater amount of information than more ordinary intentions. »21
Entre également en ligne de compte un argument connexe, bien que d‟avantage dirigé contre
la ST, consistant à mettre en avant l‟incapacité de compréhension de contenus informationnels
inattendus si, véritablement, l‟interprétation pragmatique d‟un énoncé ne reposait que sur
l‟attribution par H d‟une intention à S conforme à ce que pourrait être la sienne propre dans
un cas semblable. « Again, this would only work in cases where the hearer already has a
fairly good idea of what the speaker is likely to mean. On this approach [simulation], the
routine communication of genuinely unanticipated contents would be difficult or impossible to
explain.”22
20
Sperber/Wilson 2002 p15
21
Sperber/Wilson 2002 p16
22
Idem
D.R.L. Zarebski
6
Mais la TT n‟est pas en reste pour autant23
. Son cas propre, ou plus justement, la critique de
son cas consiste à remarquer que, la plupart du temps, et ce même chez des auteurs qui
adopteraient une version extrémiste de la tacit theory avec l‟idée que l‟inférence produite ne
prend jamais la forme de l‟articulation explicite d‟une série de prémisse avec une
conclusion24
, la theory-theory ne peut se dépêtrer d‟une pensée en deux temps : 1)dégager
l‟effet que l‟agent à pu désirer et prédire de son action, 2)affirmer qu‟il s‟agissait bien là de
l‟effet que poursuivait l‟agent. Or, Sperber et Wilson remarquent une faille presque logique à
cette inférence qui tient à la collusion de ces deux étapes, au fait que, précisément, dans le cas
de la communication, l‟effet poursuivi par S est précisément la reconnaissance par H de
l‟intention de S. Il existe, comme nous l‟avons montré plus tôt, une circularité propre à la
communication sur laquelle il serait bon ici de revenir.
Le fait est qu‟un comportement non-communicationnel se passe en lui-même
d‟interprétation. Je n‟ai aucun besoin d‟être vu et de savoir que je suis vu pour, mettons, me
mettre à courir, poursuivi par un prédateur : je le fais pour certaines raisons miennes, tenant à
mon vouloir vivre qu‟autrui peut potentiellement interpréter ainsi, bien que le fait qu‟il le
puisse ne change rien à mon action dont l‟interprétation d‟autrui n‟est qu‟accident. Il en va
tout autrement dans le cas de la communication. Toutefois, une digression sur ce dernier point
mérite d‟être faite avant de poursuivre.
Il se trouve que ce critère de démarcation de l‟action avec la communication offre un champ
d‟investigation que Sperber et Wilson ne semblent pas investir pleinement dans cet article,
aussi le soulèverons-nous avant de revenir au commentaire de leurs thèses. A partir du
moment où l‟on soutient que ce qui différencie la communication d‟autres comportements est
le fait que la reconnaissance de l‟intention soit précisément l‟effet recherché par l‟agent via
son action, on inclura volontiers dans le champ de la communication certaines pratiques
jusqu‟alors qualifiées plutôt de comportements. Il y avait bien sûr jusqu‟à présent une pensée
de la communication non verbale ; le fait est qu‟en levant la main, en souriant, je
communique. Mais des comportements plus complexes tels que certaines attitudes
autodestructrices, le port ou le maintient, le fait d‟ouvrir une porte d‟une certaine manière
dans un certain lieu sous le regard des différents spectateurs pourrait faire l‟objet d‟un
semblable traitement et se voir accorder le statut mixte de comportement-communicationnels.
De ce point se vue, il pourrait même ne jamais y avoir eu de comportements véritables
autrement que dans la plus profonde solitude, à supposer que celle-ci existe si l‟on pense à
certaines réflexions que l‟on peut avoir, dans l‟intimité, quant à son maintient face à un
spectateur possible et par là-même réifié.
Mais, pour en revenir aux limites du pattern explicatif désir-croyance, notons deux contre-
arguments supplémentaires avant de présenter le mind-reading de Sperber/Wilson. Le
problème, commun cette fois à TT et ST, à savoir le caractère partial voire trivial de leurs
23
« […]which differs from the „folk-psychology‟ of philosophers not so much in its logic as in the fact that it is modularized”
Sperber/Wilson 2002 p 15
24
Cf Stich 1995 p123
D.R.L. Zarebski
7
exemples communs, est au fond un argument si classique et si puissant qu‟il n‟est pas même
nécessaire de le commenter.
“There is no corresponding facilitation in the attribution of speaker's meanings. It is
simply not clear how the standard procedures for intention attribution could yield
attributions of speaker's meanings, except in easy and trivial cases.”25
Enfin, le dernier argument, au fond conséquence des trois premiers consiste à présenter
l‟incapacité des visions traditionnelles de l‟inférence pragmatique à dégager les modalités
exactes de la multiplicité de niveaux de méta-représentation à l‟œuvre dans les cas plus
complexes d‟interprétation d‟un énoncé26
. Nous laisserons de côté les arguments modulaires
que présentent Sperber et Wilson en vue de relativiser la pertinence du pattern explicatif
classique. Bien que l‟on puisse les citer à la volée (argument des sub-modules, de
l‟articulation de modules innés tels que celui du eye direction detector de Baron-Cohen 1995
avec une série d‟acquis) ils ne sont ni nécessaires pour comprendre les arguments ici
présentés, ni pertinents pour une étude qui tente de ne pas exclure certains tenant de ST,
attirés bien malgré eux sur ce terrain de la modularité27
.
IV. Vers une version élargie de la folk-psychology : mind-reading, métacomunication et
principe de relevance.
Que proposer d‟autre dans ce cas ? Nous présenterons brièvement la version élargie du mind-
reading de Sperber/Wilson avant d‟en tirer les conclusions qui s‟imposent quant à la folk
psychology d‟un point de vue plus général. Précisons, premier point, que tout ce qui va suivre
se place dans une perspective massivement évolutionniste assumée voire revendiquée comme
telle.28
En partant du principe que tout être vivant poursuit comme fin, pour des raisons évolutives, de
maximiser sa capacité de traitement de l‟information qui l‟entoure, se pose alors le problème,
de par certaines raisons tenant à l‟implémentation du programme, d‟une limite tenant au
traitement de ces informations (ainsi, bien sur, qu‟à la vitesse et au cout énergétique). Il est
donc nécessaire pour cet organisme de développer un moyen de discriminer à l‟avance les
informations pertinentes en vue de minimiser le coût du traitement. Nous retrouvons là un
paradoxe augustinien bien connu qui consiste à dire que, pour chercher, il nous faut déjà
savoir quoi chercher. Or, ce qui fait dans ce cas office dans le cas présent de notitia ou de
« pré-connaissance de la Grace », c‟est la sélection de modules présentant l‟avantage sélectif
de ne pas supposer pour tout traitement de l‟information un recours au CPU qui ne peut, pour
des raisons biologiques, tout traiter à la fois.
25
Sperber/Wilson 2002 p17
26
Il s‟agit là de l‟héritage post-gricien (1989) revendiqué par Sperber /Wilson p 12-14
27
Le ton modulaire est en effet bien plus propice à une forme de TT bien que Sperber Wilson incluent volontiers la ST
comme l‟une des deux formes possibles de la folk psychology envisagée comme module ou ensemble de modules cognitifs.
Cf p 15
28
“In the next section, we will outline these claims, adopting an evolutionary perspective.” p19
D.R.L. Zarebski
8
“The result is an attentional bottleneck: only a fraction of the monitored environmental
information can be attentionally processed, and only a fraction of the memorised
information can be brought to bear on it.”29
La relevance est donc la propriété d‟un souvenir ou d‟un stimulus extérieur à attirer notre
attention en vertu de certaines de ses propriétés reconnues et reconnaissables par certains
modules cognitif. A l‟aide d‟une semblable définition de la relevance, il est alors possible de
proposer un pattern différent de l‟explication du fonctionnement de la pragmatique
linguistique. Avant de parler de linguistique présentons le cas du mind-reading en général. Un
individu A est alors capable de prévoir :
(1) Quel stimulus dans l‟environnement de B est susceptible d‟attirer son attention (« the
most relevant stimulus »)
(2) Quelle information de sa mémoire B est susceptible d‟extraire pour traiter ce stimulus
(« background information most relevant »)
(3) Quelle inférence B tirera
Présentons l‟exemple de Mary et Peter avant de le commenter30
. Imaginons que Peter et Mary
se promènent au parc, engagés en pleine conversation au milieu des fleurs, des oiseaux et des
autres promeneurs. Soudain, alors qu‟il aperçoit John au milieu d‟un groupe, Peter pourra
prédire que Mary le remarquera, se souviendra que celui-ci est parti pour l‟Australie trois
mois plus tôt et infèrera qu‟il doit y avoir quelque raison de son retours précoce à Londres et
conclura qu‟il serait à propos de le lui demander.
A la question « comment se fait-il que Peter puisse prédire avec une telle aisance la flux de
pensée de Mary », une première réponse tentante consisterait à rabattre ce phénomène sur la
capacité de Peter à attribuer à Mary des croyances et des désirs : ceux de savoir pourquoi John
se trouve à Londres alors qu‟elle le croyait en Australie. Mais cela ne dit en rien pour quelle
raison John attribue précisément ce souvenir plutôt qu‟un autre, cette croyance plutôt qu‟une
autre. Une toute autre manière de présenter la chose consiste à dire que Peter possède la
capacité de reconnaitre, tant dans les stimuli environnementaux que dans les souvenirs de
Mary, les éléments les plus pertinents qui retiendront l‟attention de Mary au détriment
d‟autres au regard d‟un contexte particulier et que c‟est ainsi qu‟il pourra mener à bien son
inférence. Notons alors qu‟il n‟est pas ici seulement question d‟attribution de croyance mais
de spéculations justifiées sur l‟attention d‟autrui à un stimulus et les raisons de celles-ci, ce
qui est très différent31
.
29
P 20
30
P 22
31
Sperber/Wilson propose une expérience concurrente du false-belief task que serait le „disjoint attention task‟ dans lequel
les sujets devraient identifier le détail environnemental qui devrait attirer l‟attention d‟un personnage. Ils prévoient alors que
les enfants devraient être capables de réussir bien plus tôt ce test ce qui tendrait à prouver qu‟il faudrait plutôt entendre cette
capacité particulière qu‟est le mind-reading comme la capacité à identifier ce que serait l‟information relevante pour un autre
individu.
D.R.L. Zarebski
9
C‟est donc, appliqué au champ de la communication, une transmission d‟information basée
sur l‟attention32
que proposent ici Sperber et Wilson ; non plus basée sur l‟attribution par H de
croyances et de motivations à S mais sur, à la fois, une capacité de S, producteur de simuli,
d‟attirer l‟attention de H au vue de ce qu‟il pense être pour lui les informations les plus
relevantes étant donné un certain contexte mais également sur une capacité de H à détecter la
part intensionnelle de certains signaux qui deviennent alors relevant pour lui.
Il va de soi, d‟une part, que le stimulus peut donc être discret (dans le cas d‟interlocuteurs qui
se connaitraient bien un simple le passage du regard de H à un objet quelconque suffit) et que,
d‟autre part, cet effet balancier transparait dans un semblable pattern explicatif. Mais, du point
de vue de la communication verbale, également qualifiée d‟ostensive-inferential
communication33
, on peut alors remarquer que chaque énoncé supporte donc sa propre
relevance de par le simple fait que prononcer un énoncé est signaler explicitement que
l‟attention d‟autrui est alors requise34
: S sait que le stimulus produit attirera plus l‟attention
de H que le reste de son environnement, si riche soit-il.
Terminons en dégageant le mécanisme par lequel H dégage le véritable sens d‟un énoncé
avant de conclure sur la portée de cette théorie de la relevance. De par le Second principe de
Relevance, contrairement à tout autre signal non-ostensif35
, une procédure d‟interprétation se
met donc en route automatiquement en raison de la relevance du signal. Cette procédure
s‟achemine d‟elle-même vers l‟interprétation la plus simple et la plus évidente pour H pour
les raisons évoquées précédemment. Mais cela ne veut pas pour autant dire que S n‟opère
aucune sélection dans le choix de son signal. Bien au contraire, dans le cas de la
communication, ce n‟est plus seulement H qui lit en S mais, conjointement, S qui lit en H,
spécule adéquatement sur ses aspérités intensionnelles tant pour son environnement que pour
ses souvenirs supposés : l‟efficience de la communication provient donc de l‟entrelacement de
ces deux facultés intrinsèquement liées, voire accordées par le design de l‟espèce. Il y a bien
là attribution d‟états mentaux, mais en un sens plus large.
V. Conclusion
Partis d‟un système d‟attribution de croyances et de désirs majoritairement partagé par les
deux penchants « historiques » du paradigme folk-psychologique36
, nous sommes arrivés à en
dégager les limites soulignées par une version plus large et systématique de mind reading plus
à même, semble-t-il, de rendre raison de cas complexes d‟attribution d‟états conscience à
autrui. Que conclure donc des forces et limites du pouvoir explicatif de la folk psychology si
ce n‟est que l‟investissement de cette notion reste problématique à bien des égards ? On
32
Il y a, pour être plus précis, plusieurs degrés de communication selon le degré d‟ostension du signal produit par S bien que
nous ne puissions ici développer d‟avantage ce point Cf Sperber/Wilson 2002 p23 24
33
Sperber/Wilson 2002
34
Il s‟agit là du Second principe de Relevance p26
35
Le fait est que je ne cherche pas en permanence à dégager l‟intention communicationnelle de chaque action de mes
semblables. Je peux aisément passer à côté de signaux qui me sont pourtant adressés car mon esprit ne saurait être alerte à la
totalité des stimuli extérieurs à la fois.
36
Il faut toutefois noter, pour être tout à fait juste, une anticipation non développée de ce concept de relevance chez Goldman
p 94
D.R.L. Zarebski
10
remarque en effet que, définie largement comme attribution d‟états mentaux, les tenants de
cette notion positive focalisent bien plus volontiers sur certains d‟entre eux alors même que
d‟autres auteurs, tels que Sperber/Wilson, en développant une version élargie de mind-
reading, ne revendiquent pas pour eux-mêmes ce concept en raison de son usage passé trop
partial. Reste à savoir s‟il est juste de faire de ce mind-reading précis une folk psychology
contre une acception plus traditionnelle de cette faculté cognitive. Cette question ne saurait
être traitée ici de par la nature encore fluide et instable de vocables n‟attendant qu‟une
cristallisation par l‟usage.
Sources
S. Baron-Cohen, A. M Leslie et U. Frith, „Does the Autistic Child Have A‟, Cognition,
21 (1985), 37–46.
P. M Churchland, „Eliminative Materialism and the Propositional Attitudes‟, The
Journal of Philosophy, 1981, 67–90.
D. Davidson, „Actions, Reasons, and Causes‟, The Journal of Philosophy, 60 (1963),
685–700.
M. Davies et T. Stone, Folk Psychology: The Theory of Mind Debate (Blackwell,
1995).
A. I Goldman, „Interpretation Psychologized‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The
Theory of Mind Debate, 1995, 74-99.
A. Gopnik et H. M Wellman, „Why the Child's Theory of Mind Really Is a Theory‟, In
Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 232-258.
R. M Gordon, „Folk Psychology as Simulation‟, In Davis & Stone Folk Psychology:
The Theory of Mind Debate, 1995, 60-73.
R. M Gordon, „The Simulation Theory: Objections and Misconceptions‟, In Davis &
Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 100-122.
R. Grandy, „Reference, Meaning, and Belief‟, The Journal of Philosophy, 70 (1973),
439–452.
P. Grice, Studies in the Way of Words (Harvard Univ Pr, 1989).
Ian Ravenscroft, „Folk Psychology as a Theory‟
<http://plato.stanford.edu/entries/folkpsych-theory/> [accédé 28 Novembre 2010].
D. Sperber et D. Wilson, „Pragmatics, Modularity and Mind-Reading‟, Mind &
Language, 17 (2002), 3–23.
S. Stich et S. Nichols, „Folk Psychology: Simulation or Tacit Theory?‟, In Davis &
Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 123-158.
H. Wimmer et J. Perner, „Beliefs About Beliefs: Representation and Constraining
Function of Wrong Beliefs in Young Children's Understanding of Deception‟,
Cognition, 13 (1983), 103–128.

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  • 1. D.R.L. Zarebski 1 Forces et limites du pouvoir explicatif de la folk psychology dans le champ de la pragmatique linguistique On ne saurait faire l‟économie, avant même d‟aborder la question de son traitement dans la pragmatique linguistique, d‟un bref rappel des présupposés qui accompagnent historiquement la notion de folk psychology. Ce rappel s‟ouvrira sur la remarque la plus triviale qui soit. Si la pratique, en tant que telle, de la psychologie populaire (comme nous la traduirons littéralement sans plus de précaution que la présente fixation) pourrait être, au fond, aussi vieille que l‟humanité elle-même1 , l‟occurrence du syntagme qui lui est associé, non seulement est plus récente, ce qui va de soi, mais, point plus notable, augmente paradoxalement dans une période plus volontiers matérialiste et neuroscientifique. Cette curiosité sémantique admet au moins deux explications majeures ; l‟une évidente, l‟autre plus subtile. La première tient au fait que pour remettre en question une pratique, il est linguistiquement plus commode de la nommer. De ce point de vue, on dirait volontiers que c‟est dans ce genre de positionnement, osons le dire, dialectique, que se constitue une pensée comme celle de l‟eliminativ materialism ; prenant tantôt pour cible la folk psychology2 , tantôt la common sense psychology. La seconde n‟est jamais plus que l‟effet balancier de la première à savoir, que ce type de concept devient alors un nouveau défit pour des théories concurrentes, en l‟occurrence, dans le cas qui nous préoccupe, pour des matérialismes plus faibles ou modestes tels que le fonctionnalisme. Or c‟est sur ces théories positives de la folk psychology que porte la présente étude et, plus précisément, sur l‟application de sa version naturalisée à la question de la pragmatique linguistique qui en est le point de tension le plus évident de par la nature hautement complexe et particulière de la communication verbale humaine. I. Folk psychology en général : Theory-theory and Simulation Il est nécessaire de fixer ici certains points de vocabulaire pour se garder des difficultés inhérentes à la pluridisciplinarité, à l‟hétérogénéité des composants du paradigme folk- psychologique. Un certains nombre de termes, tels que Mind reading, Theory of Mind gravite autours de la notion dont nous tenterons tant bien que mal de définir les contours. L‟agencement de ces notions, leurs imbrications mutuelles, bien que l‟on puisse grossièrement en dégager de grandes lignes, diffèrent selon le background conceptuel des différents protagonistes de ce débat. Placé devant un choix relevant de l‟intelligibilité du 1 Churchland 1981 p74 2 idem
  • 2. D.R.L. Zarebski 2 propos, nous ne poserons pas, contrairement à Ian Ravenscroft3 , de synonymie entre entre Mind reading et folk psychology prise en son seul sens de « theory of behavior represented in the brain » ; définition trop restrictive qui exclut l‟hypothèse concurrente qu‟est la Simulation theory dont nous dirons quelques mots.4 On entendra alors par commodité le Mind reading comme un synonyme de folk psychology mais prise cette fois-ci au sens large de capacité cognitive à attribuer des états mentaux, disons, à un autre humain5 , en vue de comprendre et d‟expliciter son comportement. Ce partage peut paraitre pour l‟instant arbitraire, mais il convient de circonscrire quelque peu le domaine inférentiel de cette folk psychology avant seulement de penser pouvoir dégager les mécanismes supportant ces inférences quotidiennes ; ce à quoi nous arrivons. Présentons brièvement les deux théories concurrentes constituant, si l‟on en croit Stich6 , l‟intégralité des choix possibles quant à la question du processus cognitif dont résulte l‟explication comportementale naïve via l‟attribution de croyances et de motivations. Une première manière de présenter l‟alternative consiste à poser les choses ainsi. Il y aurait d‟un côté une conception qui affirmerait que la FP serait une activité inconsciente presque théorique en ce qu‟elle prendrait la forme de l‟articulation d‟observation comportementale avec une série de règles ou de lois implémentées, si l‟on ose dire, telles quelles dans le cerveau (Theory-Theory) ; que ces règles soient accessibles par la conscience sous la forme de leur formulation explicite ou au contraire tacites voire inaccessibles n‟entre pour l‟instant pas en ligne de compte. L‟alternative, connue sous le nom de Simulation Theory pourrait se résumer de la manière suivante : “There is no need for a special internalized knowledge structure here; no tacit folk-psychological theory is being used. Rather, you are using (part of) your own cognitive mechanism as a model for (part of) his”78 à la précision près que ce raisonnement, cette dite simulation, ne suppose pas nécessairement de formulation consciente complète, que : “this whole process may be largely unconscious »9 . Une fois ce cadre très général posé, relativisons le avant de poursuivre. De même que l‟homme moyen de Quetelet n‟existe pas, nous serions tentés de mettre en doute l‟existence de facto de catégories à ce point imperméables. En effet, deux points doivent ici attirer notre attention. Notons tout d‟abord l‟usage, au sein de la ST et non de la TT, de la notion ô combien nécessaire de règle ou de maxime dans le cas de raisonnement contrefactuels (qui constituent, en passant, la majorité des dites simulations). Le simple aperçu de la querelle Gordon/Davidson10 devrait ici nous éclairer. 3 Ian Ravenscroft 2010 4 Un exemple illustrera mieux la raison de ce choix. Dans sa croisade contre la FP, il est manifeste que Churchland 1981 p 3 à 7 développe tous les efforts du monde pour montrer en quoi la FP est un theorie (I) avant de montrer en quoi il s‟agit d‟une mauvaise theory (II). C‟est précisément sur ce point que Goldman 1989 essayera de lui couper l‟herbe sous le pied en montrant en quoi FP n‟est pas une théorie mais une capacité pourvu à l‟appareil cognitif par une stimulation, le conduisant alors à affirmer : « there is no such thing as folk psychology » (entendue en ce sens) (1995 p 71). 5 Nous écartons à dessein la question complexe de l’attribution d’états de conscience à d’autres être vivants qui n’apporterait rien à l’actuel propos. 6 « The theory-theory is not the only game in town, but it is the only other game in town” Stich 1995 p 133 7 Stich 1995 p 127 qui décrit là les conceptions communes, à ce degré de généralité, de Goldman 1989 et Gordon 1986 8 « Using Oneself as a model » dit aussi Gordon 1995 in Davies/Stone p 114 9 ibid 10 Davidson 1963
  • 3. D.R.L. Zarebski 3 I believe that Davidson, too, is mistaken. Just as by experimenting on a wind tunnel model one can pick out which several conditions was actually a factor for the plane‟s stall, so by counterfactual testing […] and similarly for the actions of others […] the generality implicit in these explanations is furnished by a counterfactual supporting rule or „maxim‟ (in the Kantian sense) rather than by a law11 Il n‟est que d‟apposer cette citation à ce qu‟explique Stich12 du tournant tacite de la TT emprunté depuis le début des années 90 pour saisir la difficulté de la précédente distinction. Comment mettre en évidence la différence entre une simulation et une théorie de l‟esprit sitôt que l‟on admet que la théorie est inconsciente et qu‟une ambigüité demeure entre les notions de loi et de règle. Mais autre chose rapproche plus encore les deux paradigmes quant à la question précise à laquelle nous arrivons. Elles partagent en effet une certaine conception des états mentaux attribués par un individu à un de ses semblables en vue d‟interpréter son comportement, linguistique ou non. II. Folk psychology et interprétation pragmatique linguistique Au fond, l‟élocution n‟est jamais plus qu‟une action comme une autre dans une perspective folk-psychologiste. C‟est du moins ce qu‟une bonne partie des psychologues populaires s‟accordent à dire, à l‟instar de Stich : « Included in this cluster is the ability to describe people and their behavior (including their linguistic behavior) in intentional terms or to „interpret‟ them, as philosophers sometimes say »13 . Elle peut être le résultat du désir d‟un locuteur, remplir une fonction conditionnée par ses motivations ainsi qu‟exprimer ses croyances aussi serait-on tenté de prêter à la FP le pouvoir d‟interpréter le sens d‟un énoncé linguistique en dégageant les croyances ou les motivations d‟un locuteur d‟après un certain contexte. Prenons le cas trivial, et surement le mieux connu de la linguistique et ce, bien avant le paradigme folk-psychologiste, de « Peux-tu me passer le sel ? ». Il est clair que seule l‟attribution par H d‟un désir à S peut lui faire comprendre le sens réel de l‟énoncé et le porter à agir plutôt que de lui répondre « oui » (sous entendu, je possède bien la capacité de la faire). D‟un côté comme de l‟autre de la barrière théorétique, si l‟on voulait la nommer, du côté de la TT comme de celui de la ST, la plupart des auteurs s‟accordent à rabattre l‟interprétation pragmatique d‟énoncés linguistiques par un hearer14 au moyen de l‟attribution, par celui-ci, de croyances ou d‟intentions au speaker15 . On trouve en effet bon nombre de variantes de cette attribution de believes-desires, notamment chez Goldman dans sa revendication du „humanity principle‟ de Grandy 11 Gordon 1995 in Davies/Stone p 117 12 Cf Stich 1995 p133 13 Stich 1995 p123 14 Que nous appellerons par commodité H 15 Que nous appellerons S
  • 4. D.R.L. Zarebski 4 (1973)16 ainsi que dans le traitement qu‟il réserve aux recherches de Baron-Cohen, Leslie et Frith (1985). On remarque en effet, dans le cas des enfants autistes, la corrélation de deux faits significatifs que seraient, premièrement, leur manifeste difficulté à communiquer (verbalement ou non) et, deuxièmement le fait que, dans le même temps et pour le même échantillons de sujets, ces derniers réussissent à 86% le test de détection du syndrome de Down (attestant alors du fait que leur pathologie ne consiste pas en un simple retard mental) alors même qu‟ils ne réussissent qu‟à 20% le false test beliefs de Wimmer/Perner (1983).Les résultats sont alors interprétés de la sorte. « Baron-Cohen et al hypothesize that that autistic children as a group fail to acquire a „theory of mind‟, an ability to impute beliefs to others and therefore predict their behavior correctly. This would account for their social and communicational impairment.”17 Sans prolonger indéfiniment la citation, notons que la seule réserve dont cette interprétation fait l‟objet concerne uniquement la modularité de cette inférence, son caractère mécanique ou théorique et non le fait que l‟interprétation du langage suppose l‟attribution de croyance ou motivation de H vers S. De la même manière, Gopnik/Wellman se fait l‟écho de ce pattern explicatif de la communication montrant la manière dont certaines erreurs d‟interprétations d‟énoncés linguistiques par un enfant peuvent être expliquées à la lumière de leur capacité ou, plus justement, de leur défaut de capacité à attribuer à autrui de fausses croyances. “A child sees a blue cup, agrees that it is blue and not white, and sees the cup hidden behind a screen. At this point another adult come into the room, and she says “I cannot see the cup. Hmm, I think it is white.” Then the child is asked what color he thinks the cup is and what color the adult think it is. To be correct, the child need only report the adult‟s actual words, but three-years-olds err by attributing to the character a true belief. […] “She thinks it‟s blue”” 18 III. Limites et critiques du pattern explicatif classique, La question serait ici la suivante : dans quelle mesure est-il possible de tenir l‟analogie entre l‟interprétation comportementale et l‟interprétation linguistique d‟un énoncé par un sujet ? Sans même parler encore de Sperber ou de sa théorie de la relevance19 , il faut toutefois remarquer que certaines spécificités de la communication verbale, telles que le phénomène d‟aller et retour, auraient d‟ors et déjà pu attirer l‟attention sur une dimension particulière de ce comportement particulier que l‟on nomme langage. Ainsi, lorsque H comprend l‟énoncé « Beau temps, n‟est-ce pas ? », il ne lui suffit pas d‟attribuer à S la croyance qu‟à un temps t il fait beau : il doit également, ce qu‟il fera surement, attribuer à S, mettons, la croyance que 16 Interpretation Psychologized 1995 p81 « Grandy proposes to replace charity principles with what he calls the „humanity principle‟. This is the constraint imposed on translations that the imputed pattern of relations among beliefs, desires, and the world be similar to our own as possible” 17 P 87 18 The child theory of Mind 1995 p242 19 Nous ferons ici le choix de ne pas traduire « relevance » par pertinence ou à-propos, mais à l‟aide d‟une traduction littérale qui a le défaut de ses qualités : son étrangeté offre alors un relief au concept le rendant alors aisément identifiable.
  • 5. D.R.L. Zarebski 5 cette croyance l‟intéressera, ou bien une motivation, celle d‟engager la conversation coute que coute, ou encore un mixte des deux. Que dire s‟il pleut ? Dans ce dernier cas, l‟exemple précédent peut se complexifier d‟avantage si l‟on précise que, peu de temps auparavant, H a levé les yeux au ciel. Dans ce cas, H, pour comprendre correctement S, doit imputer tout un chapelet de croyances telles que la croyance qu‟il ne fait pas beau, la croyance quant à sa propre croyance (celle de B) qu‟il ne fait pas beau (manifestée par son regard), ainsi que, et c‟est là que les choses se compliquent, les raisons de cette contradiction volontaire de l‟énoncé avec les faits partagés ainsi que l‟idée que cette contradiction aura un certain effet sur H, connu à l‟avance par S. Ainsi, l‟attribution de croyance procède d‟une multiplicité de degrés, d‟aller et retours susceptibles de provoquer sueurs froides et nuits blanches à qui voudrait expliquer en ces seuls termes toutes les interprétations possibles de H. La véritable question serait alors la suivante : comment se fait-il que, la majorité du temps H parvienne à dégager le sens précis de la proposition étant donné la multiplicité d‟interprétations possibles de l‟énoncé ? Cette question ne doit surtout pas être confondue avec la précédente tenant aux raisons du succès prédictif d‟un sujet envers les actions d‟un agent pour aux moins quatre raisons soulevées par Sperber/Wilson. “However, while it is true that an utterance is a type of action, and a speaker's meaning is a type of intention, we want to argue that neither the rationalisation nor the simulation view of mind-reading adequately accounts for the hearer‟s ability to retrieve the speaker's meaning”20 La première et la plus évidente concerne de plus près la question du succès interprétatif et consiste à souligner que, du simple point de vue de la probabilité, la somme des sens possibles de chaque énoncé dépasse de loin celle de chaque action particulière ; ce qui mettrait à mal une interprétation exclusivement intensionnelle d‟un énoncé. « More generally, the problem of applying a general procedure for inferring intentions from actions to the special case of inferring speaker's meanings from utterances is that speaker's meanings typically carry a vastly greater amount of information than more ordinary intentions. »21 Entre également en ligne de compte un argument connexe, bien que d‟avantage dirigé contre la ST, consistant à mettre en avant l‟incapacité de compréhension de contenus informationnels inattendus si, véritablement, l‟interprétation pragmatique d‟un énoncé ne reposait que sur l‟attribution par H d‟une intention à S conforme à ce que pourrait être la sienne propre dans un cas semblable. « Again, this would only work in cases where the hearer already has a fairly good idea of what the speaker is likely to mean. On this approach [simulation], the routine communication of genuinely unanticipated contents would be difficult or impossible to explain.”22 20 Sperber/Wilson 2002 p15 21 Sperber/Wilson 2002 p16 22 Idem
  • 6. D.R.L. Zarebski 6 Mais la TT n‟est pas en reste pour autant23 . Son cas propre, ou plus justement, la critique de son cas consiste à remarquer que, la plupart du temps, et ce même chez des auteurs qui adopteraient une version extrémiste de la tacit theory avec l‟idée que l‟inférence produite ne prend jamais la forme de l‟articulation explicite d‟une série de prémisse avec une conclusion24 , la theory-theory ne peut se dépêtrer d‟une pensée en deux temps : 1)dégager l‟effet que l‟agent à pu désirer et prédire de son action, 2)affirmer qu‟il s‟agissait bien là de l‟effet que poursuivait l‟agent. Or, Sperber et Wilson remarquent une faille presque logique à cette inférence qui tient à la collusion de ces deux étapes, au fait que, précisément, dans le cas de la communication, l‟effet poursuivi par S est précisément la reconnaissance par H de l‟intention de S. Il existe, comme nous l‟avons montré plus tôt, une circularité propre à la communication sur laquelle il serait bon ici de revenir. Le fait est qu‟un comportement non-communicationnel se passe en lui-même d‟interprétation. Je n‟ai aucun besoin d‟être vu et de savoir que je suis vu pour, mettons, me mettre à courir, poursuivi par un prédateur : je le fais pour certaines raisons miennes, tenant à mon vouloir vivre qu‟autrui peut potentiellement interpréter ainsi, bien que le fait qu‟il le puisse ne change rien à mon action dont l‟interprétation d‟autrui n‟est qu‟accident. Il en va tout autrement dans le cas de la communication. Toutefois, une digression sur ce dernier point mérite d‟être faite avant de poursuivre. Il se trouve que ce critère de démarcation de l‟action avec la communication offre un champ d‟investigation que Sperber et Wilson ne semblent pas investir pleinement dans cet article, aussi le soulèverons-nous avant de revenir au commentaire de leurs thèses. A partir du moment où l‟on soutient que ce qui différencie la communication d‟autres comportements est le fait que la reconnaissance de l‟intention soit précisément l‟effet recherché par l‟agent via son action, on inclura volontiers dans le champ de la communication certaines pratiques jusqu‟alors qualifiées plutôt de comportements. Il y avait bien sûr jusqu‟à présent une pensée de la communication non verbale ; le fait est qu‟en levant la main, en souriant, je communique. Mais des comportements plus complexes tels que certaines attitudes autodestructrices, le port ou le maintient, le fait d‟ouvrir une porte d‟une certaine manière dans un certain lieu sous le regard des différents spectateurs pourrait faire l‟objet d‟un semblable traitement et se voir accorder le statut mixte de comportement-communicationnels. De ce point se vue, il pourrait même ne jamais y avoir eu de comportements véritables autrement que dans la plus profonde solitude, à supposer que celle-ci existe si l‟on pense à certaines réflexions que l‟on peut avoir, dans l‟intimité, quant à son maintient face à un spectateur possible et par là-même réifié. Mais, pour en revenir aux limites du pattern explicatif désir-croyance, notons deux contre- arguments supplémentaires avant de présenter le mind-reading de Sperber/Wilson. Le problème, commun cette fois à TT et ST, à savoir le caractère partial voire trivial de leurs 23 « […]which differs from the „folk-psychology‟ of philosophers not so much in its logic as in the fact that it is modularized” Sperber/Wilson 2002 p 15 24 Cf Stich 1995 p123
  • 7. D.R.L. Zarebski 7 exemples communs, est au fond un argument si classique et si puissant qu‟il n‟est pas même nécessaire de le commenter. “There is no corresponding facilitation in the attribution of speaker's meanings. It is simply not clear how the standard procedures for intention attribution could yield attributions of speaker's meanings, except in easy and trivial cases.”25 Enfin, le dernier argument, au fond conséquence des trois premiers consiste à présenter l‟incapacité des visions traditionnelles de l‟inférence pragmatique à dégager les modalités exactes de la multiplicité de niveaux de méta-représentation à l‟œuvre dans les cas plus complexes d‟interprétation d‟un énoncé26 . Nous laisserons de côté les arguments modulaires que présentent Sperber et Wilson en vue de relativiser la pertinence du pattern explicatif classique. Bien que l‟on puisse les citer à la volée (argument des sub-modules, de l‟articulation de modules innés tels que celui du eye direction detector de Baron-Cohen 1995 avec une série d‟acquis) ils ne sont ni nécessaires pour comprendre les arguments ici présentés, ni pertinents pour une étude qui tente de ne pas exclure certains tenant de ST, attirés bien malgré eux sur ce terrain de la modularité27 . IV. Vers une version élargie de la folk-psychology : mind-reading, métacomunication et principe de relevance. Que proposer d‟autre dans ce cas ? Nous présenterons brièvement la version élargie du mind- reading de Sperber/Wilson avant d‟en tirer les conclusions qui s‟imposent quant à la folk psychology d‟un point de vue plus général. Précisons, premier point, que tout ce qui va suivre se place dans une perspective massivement évolutionniste assumée voire revendiquée comme telle.28 En partant du principe que tout être vivant poursuit comme fin, pour des raisons évolutives, de maximiser sa capacité de traitement de l‟information qui l‟entoure, se pose alors le problème, de par certaines raisons tenant à l‟implémentation du programme, d‟une limite tenant au traitement de ces informations (ainsi, bien sur, qu‟à la vitesse et au cout énergétique). Il est donc nécessaire pour cet organisme de développer un moyen de discriminer à l‟avance les informations pertinentes en vue de minimiser le coût du traitement. Nous retrouvons là un paradoxe augustinien bien connu qui consiste à dire que, pour chercher, il nous faut déjà savoir quoi chercher. Or, ce qui fait dans ce cas office dans le cas présent de notitia ou de « pré-connaissance de la Grace », c‟est la sélection de modules présentant l‟avantage sélectif de ne pas supposer pour tout traitement de l‟information un recours au CPU qui ne peut, pour des raisons biologiques, tout traiter à la fois. 25 Sperber/Wilson 2002 p17 26 Il s‟agit là de l‟héritage post-gricien (1989) revendiqué par Sperber /Wilson p 12-14 27 Le ton modulaire est en effet bien plus propice à une forme de TT bien que Sperber Wilson incluent volontiers la ST comme l‟une des deux formes possibles de la folk psychology envisagée comme module ou ensemble de modules cognitifs. Cf p 15 28 “In the next section, we will outline these claims, adopting an evolutionary perspective.” p19
  • 8. D.R.L. Zarebski 8 “The result is an attentional bottleneck: only a fraction of the monitored environmental information can be attentionally processed, and only a fraction of the memorised information can be brought to bear on it.”29 La relevance est donc la propriété d‟un souvenir ou d‟un stimulus extérieur à attirer notre attention en vertu de certaines de ses propriétés reconnues et reconnaissables par certains modules cognitif. A l‟aide d‟une semblable définition de la relevance, il est alors possible de proposer un pattern différent de l‟explication du fonctionnement de la pragmatique linguistique. Avant de parler de linguistique présentons le cas du mind-reading en général. Un individu A est alors capable de prévoir : (1) Quel stimulus dans l‟environnement de B est susceptible d‟attirer son attention (« the most relevant stimulus ») (2) Quelle information de sa mémoire B est susceptible d‟extraire pour traiter ce stimulus (« background information most relevant ») (3) Quelle inférence B tirera Présentons l‟exemple de Mary et Peter avant de le commenter30 . Imaginons que Peter et Mary se promènent au parc, engagés en pleine conversation au milieu des fleurs, des oiseaux et des autres promeneurs. Soudain, alors qu‟il aperçoit John au milieu d‟un groupe, Peter pourra prédire que Mary le remarquera, se souviendra que celui-ci est parti pour l‟Australie trois mois plus tôt et infèrera qu‟il doit y avoir quelque raison de son retours précoce à Londres et conclura qu‟il serait à propos de le lui demander. A la question « comment se fait-il que Peter puisse prédire avec une telle aisance la flux de pensée de Mary », une première réponse tentante consisterait à rabattre ce phénomène sur la capacité de Peter à attribuer à Mary des croyances et des désirs : ceux de savoir pourquoi John se trouve à Londres alors qu‟elle le croyait en Australie. Mais cela ne dit en rien pour quelle raison John attribue précisément ce souvenir plutôt qu‟un autre, cette croyance plutôt qu‟une autre. Une toute autre manière de présenter la chose consiste à dire que Peter possède la capacité de reconnaitre, tant dans les stimuli environnementaux que dans les souvenirs de Mary, les éléments les plus pertinents qui retiendront l‟attention de Mary au détriment d‟autres au regard d‟un contexte particulier et que c‟est ainsi qu‟il pourra mener à bien son inférence. Notons alors qu‟il n‟est pas ici seulement question d‟attribution de croyance mais de spéculations justifiées sur l‟attention d‟autrui à un stimulus et les raisons de celles-ci, ce qui est très différent31 . 29 P 20 30 P 22 31 Sperber/Wilson propose une expérience concurrente du false-belief task que serait le „disjoint attention task‟ dans lequel les sujets devraient identifier le détail environnemental qui devrait attirer l‟attention d‟un personnage. Ils prévoient alors que les enfants devraient être capables de réussir bien plus tôt ce test ce qui tendrait à prouver qu‟il faudrait plutôt entendre cette capacité particulière qu‟est le mind-reading comme la capacité à identifier ce que serait l‟information relevante pour un autre individu.
  • 9. D.R.L. Zarebski 9 C‟est donc, appliqué au champ de la communication, une transmission d‟information basée sur l‟attention32 que proposent ici Sperber et Wilson ; non plus basée sur l‟attribution par H de croyances et de motivations à S mais sur, à la fois, une capacité de S, producteur de simuli, d‟attirer l‟attention de H au vue de ce qu‟il pense être pour lui les informations les plus relevantes étant donné un certain contexte mais également sur une capacité de H à détecter la part intensionnelle de certains signaux qui deviennent alors relevant pour lui. Il va de soi, d‟une part, que le stimulus peut donc être discret (dans le cas d‟interlocuteurs qui se connaitraient bien un simple le passage du regard de H à un objet quelconque suffit) et que, d‟autre part, cet effet balancier transparait dans un semblable pattern explicatif. Mais, du point de vue de la communication verbale, également qualifiée d‟ostensive-inferential communication33 , on peut alors remarquer que chaque énoncé supporte donc sa propre relevance de par le simple fait que prononcer un énoncé est signaler explicitement que l‟attention d‟autrui est alors requise34 : S sait que le stimulus produit attirera plus l‟attention de H que le reste de son environnement, si riche soit-il. Terminons en dégageant le mécanisme par lequel H dégage le véritable sens d‟un énoncé avant de conclure sur la portée de cette théorie de la relevance. De par le Second principe de Relevance, contrairement à tout autre signal non-ostensif35 , une procédure d‟interprétation se met donc en route automatiquement en raison de la relevance du signal. Cette procédure s‟achemine d‟elle-même vers l‟interprétation la plus simple et la plus évidente pour H pour les raisons évoquées précédemment. Mais cela ne veut pas pour autant dire que S n‟opère aucune sélection dans le choix de son signal. Bien au contraire, dans le cas de la communication, ce n‟est plus seulement H qui lit en S mais, conjointement, S qui lit en H, spécule adéquatement sur ses aspérités intensionnelles tant pour son environnement que pour ses souvenirs supposés : l‟efficience de la communication provient donc de l‟entrelacement de ces deux facultés intrinsèquement liées, voire accordées par le design de l‟espèce. Il y a bien là attribution d‟états mentaux, mais en un sens plus large. V. Conclusion Partis d‟un système d‟attribution de croyances et de désirs majoritairement partagé par les deux penchants « historiques » du paradigme folk-psychologique36 , nous sommes arrivés à en dégager les limites soulignées par une version plus large et systématique de mind reading plus à même, semble-t-il, de rendre raison de cas complexes d‟attribution d‟états conscience à autrui. Que conclure donc des forces et limites du pouvoir explicatif de la folk psychology si ce n‟est que l‟investissement de cette notion reste problématique à bien des égards ? On 32 Il y a, pour être plus précis, plusieurs degrés de communication selon le degré d‟ostension du signal produit par S bien que nous ne puissions ici développer d‟avantage ce point Cf Sperber/Wilson 2002 p23 24 33 Sperber/Wilson 2002 34 Il s‟agit là du Second principe de Relevance p26 35 Le fait est que je ne cherche pas en permanence à dégager l‟intention communicationnelle de chaque action de mes semblables. Je peux aisément passer à côté de signaux qui me sont pourtant adressés car mon esprit ne saurait être alerte à la totalité des stimuli extérieurs à la fois. 36 Il faut toutefois noter, pour être tout à fait juste, une anticipation non développée de ce concept de relevance chez Goldman p 94
  • 10. D.R.L. Zarebski 10 remarque en effet que, définie largement comme attribution d‟états mentaux, les tenants de cette notion positive focalisent bien plus volontiers sur certains d‟entre eux alors même que d‟autres auteurs, tels que Sperber/Wilson, en développant une version élargie de mind- reading, ne revendiquent pas pour eux-mêmes ce concept en raison de son usage passé trop partial. Reste à savoir s‟il est juste de faire de ce mind-reading précis une folk psychology contre une acception plus traditionnelle de cette faculté cognitive. Cette question ne saurait être traitée ici de par la nature encore fluide et instable de vocables n‟attendant qu‟une cristallisation par l‟usage. Sources S. Baron-Cohen, A. M Leslie et U. Frith, „Does the Autistic Child Have A‟, Cognition, 21 (1985), 37–46. P. M Churchland, „Eliminative Materialism and the Propositional Attitudes‟, The Journal of Philosophy, 1981, 67–90. D. Davidson, „Actions, Reasons, and Causes‟, The Journal of Philosophy, 60 (1963), 685–700. M. Davies et T. Stone, Folk Psychology: The Theory of Mind Debate (Blackwell, 1995). A. I Goldman, „Interpretation Psychologized‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 74-99. A. Gopnik et H. M Wellman, „Why the Child's Theory of Mind Really Is a Theory‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 232-258. R. M Gordon, „Folk Psychology as Simulation‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 60-73. R. M Gordon, „The Simulation Theory: Objections and Misconceptions‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 100-122. R. Grandy, „Reference, Meaning, and Belief‟, The Journal of Philosophy, 70 (1973), 439–452. P. Grice, Studies in the Way of Words (Harvard Univ Pr, 1989). Ian Ravenscroft, „Folk Psychology as a Theory‟ <http://plato.stanford.edu/entries/folkpsych-theory/> [accédé 28 Novembre 2010]. D. Sperber et D. Wilson, „Pragmatics, Modularity and Mind-Reading‟, Mind & Language, 17 (2002), 3–23. S. Stich et S. Nichols, „Folk Psychology: Simulation or Tacit Theory?‟, In Davis & Stone Folk Psychology: The Theory of Mind Debate, 1995, 123-158. H. Wimmer et J. Perner, „Beliefs About Beliefs: Representation and Constraining Function of Wrong Beliefs in Young Children's Understanding of Deception‟, Cognition, 13 (1983), 103–128.