LUXEMBOURG CREATIVE 2018 : Musique et technologies (2)
1. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Ce traité des techniques d’écritures sur support est le résultat tangible de plus de 25 ans
d’enseignement de cette matière dont j’eus la charge aux conservatoires royaux belges de Liège (1986),
Bruxelles (1987-93) et Mons (1993-2011) où il est toujours transmis aux étudiants de la section électroa-
coustique par Daniel Perez Hajdu qui m’y a succédé.
Tout comme une formation aux écritures classiques (harmonie, contrepoint, fugue) précède dans
les conservatoires européens, la formation à la composition classique pour orchestre et voix, ces écri-
tures sur support offrent au compositeur qui s’engage dans une voie plus expérimentale, celle des ins-
truments technologiques, la palette des écritures musicales que son répertoire lui associe. C’est un
répertoire né de l’enregistrement sonore sur support (disque, bande magnétique, mémoire informa-
tique) dont Pierre Schaeffer en a remarquablement tiré toutes les conséquences. Là se trouve, à mes
yeux, la véritable révolution musicale du XXe
siècle1
. François Bayle en proposera ensuite une autre
conséquence sous le vocable de musique acousmatique2
qui porte toute son attention sur l’écoute
aveugle, dé-corrélée des sources sonores grâce au haut-parleur. En découlent alors d’autres comporte-
ments liés à la composition sur support : non plus la production d’évènements objectivement organisés
et formalisés selon leurs interactions, mais des solutions de conduite de l’écoute et de communication
avec l’imaginaire, avec les capacités de représentation mentale et mémorielles de l’écoutant3.
Cette première formation aux écritures, avant la composition elle-même, demande à l’étudiant, du-
rant deux ans et demi, un effort d’inventivité permanent, à raison d’un exercice hebdomadaire.
Mais rendons à César ce qui lui appartient : Le GRM a créé, en 1968, une classe expérimentale de
composition électroacoustique4
au sein du CNSMD5
de Paris. Pierre Schaeffer, assisté plus tard de Guy
Reibel, en avait la charge. Les notes de cours prises lors de ma présence dans cette classe (1977-80) sont
à l’origine de ce texte, qui en étend le champ d’exploration, mais en respecte toujours l’esprit. Ces écri-
tures sont la marque stylistique de l’école française de la musique électroacoustique, puisqu’elles sont
tirées de l’expérience et du répertoire des compositeurs pionniers du GRMC6
puis du GRM.
Comme il s’agit ici d’un texte à orientation pratique et pédagogique, il utilise un style direct, concis
et peu « littéraire », sans pour autant répondre aux standards habituels des publications scientifiques.
Annette Vande Gorne
Ohain, octobre 2017
1
Schaeffer, P. 1952, À la recherche d’une musique concrète. Paris : Seuil 228 p.
2
Terme repris par Pierre Schaeffer dans son Traité des Objets Musicaux à Jérôme Peignot qui le cite dans
un article de critique du premier concert de musique concrète à Paris en 1948. Dans le dictionnaire de
Littré, au 19e
siècle, un acousmate est un bruit dont on ignore la cause.
3
Bayle, F. 1985, Acousmatique musique, http://www.universalis.fr/encyclopedie/musique-acousmatique/
4
Nom originel : « classe de musique fondamentale et appliquée à l’audiovisuel » cf. http://omf.paris-
sorbonne.fr/AUX/d-TXT/L3-XX EA-2.pdf
5
Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse.
6
Groupe de recherche de musique concrète : Schaeffer, Henry, Ferrari, Bayle, Parmegiani, Malec, Ferreyra,
Lejeune, Reibel, Chion pour ne citer que les plus actifs dans le GRM de l’époque 1948-±1970
2. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
2
Afin d’en avoir une vision d’ensemble, voici un tableau qui évoque les différentes étapes de travail en
studio, c’est un travail lent et précis qui permet de remettre vingt fois sur le métier son ouvrage. Évi-
demment, ce tableau est indicatif, chaque compositeur ou artiste sonore se forge sa propre méthode.
CHAPITRE 1 : les modèles énergétiques
Ce chapitre est sans aucun doute le plus fondamental et original de ce traité. Il puise ses ressources chez
Pierre Schaeffer (le vocabulaire descriptif des sons entendus), François Bayle (quelques notions qui ca-
ractérisent l’acousmatique) et Guy Reibel (la séquence-jeu, l’importance du geste).
PRÉSENTATION DU PROGRAMME DE TRAVAIL
La séquence-jeu7
Il s’agit là d’un moyen, simple et efficace, de pénétrer immédiatement au cœur du musical, par une rela-
tion expressive, personnelle au son, dans la continuité improvisée d’une séquence balisée par la
mémoire, dans l’exploration et le jeu, orienté par une contrainte musicale, sur un ou plusieurs corps
sonores, dans l’aller-retour constant entre le faire et l’entendre8
, dans la relation main /oreille9
, bref,
dans cette relation si particulière d'un instrumentiste à son instrument.
Séquence-jeu et énergie
Les quatre paramètres du son de la musique acousmatique :
Non plus : hauteur, rythme, durée, timbre,
Mais : Énergie-mouvement, morphologie, espace, couleur (spectre).
7
http://www.aecme.fr/définitions : une excellente explication de ce concept particulier, par Denis Dufour :
« La notion de séquence-jeu a été développée par Guy Reibel dans le cadre de son enseignement de la mu-
sique électroacoustique au CNSMD de Paris à partir de 1975 pour sortir de la logique d'écriture par
montage d'objets sonores ou de l'utilisation de trames informes et redonner vie au geste instrumental.
Pour réaliser une séquence-jeu (électroacoustique), il faut un exécutant, un corps sonore, un microphone et
un enregistreur. Ce n'est qu'après avoir expérimenté toutes les possibilités de ce corps sonore, en relation
avec le meilleur emplacement possible du micro, que l'exécutant détermine le paramètre dont il va tirer, par
des gestes maîtrisés, une “écriture” variée. Respectant ainsi le principe de permanence-variation propre à
tous les instruments, il va jouer sa phrase selon un déroulement exempt de toute velléité de construction
arbitraire, de tout langage établi, portant toute son attention sur le seul paramètre choisi, les autres n'évo-
luant, naturellement ou accidentellement, qu'en fonction de celui-ci. Il s'agit en quelque sorte d'une
improvisation très cadrée, non pensée comme une composition mais comme une écriture, où le détail des
inflexions, des nuances, des élans, des profils mélodique, rythmique et dynamique, etc. forme un phrasé
comparable à celui d'une ligne de contrepoint d'école que nulle répétition, nulle stagnation, nul parti-pris
arbitraire ne viendraient freiner, rompre ou dévier.
Pour résumer, une séquence-jeu est une phrase musicale enregistrée, de deux à trois minutes, obtenue par
une continuité d'exécution à partir d'un mode de jeu unique sur un seul corps sonore et dont le déroule-
ment toujours renouvelé respecte les caractéristiques “naturelles” du dispositif. »
8
Schaeffer P. 1966, rééd. 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil p.37
9
Bayle, F. 1993, musique acousmatique “propositions…positions”. Paris : Buchet/Chastel p.17
Projet(titre) matières: séquences-jeu:
corps sonores, synthèse
choisir, nettoyer, nommer, archiver
écritures par montage
Transformations
écritures par mélanges
spatialisation
idée abstraite, récit, texte…
5. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
5
Méthode de travail
Choix du ou des corps sonores en fonction du modèle énergétique travaillé. Attention au fait qu’un
même corps sonore et surtout un même instrument musical peut, selon les gestes, produire des
catégories énergétiques très différentes.
Par exemple, le piano peut générer à la fois : percussion-résonance, frottement, rebond, rotation, flux…
Choix du dispositif : relation entre la source et sa captation. Nombre de micros [mono, stéréo (quelle
technique ?), multiphonique], distance fixe (micro[s] sur pieds) ou mobile (mouvement de la source ou
mouvement microphonique).
L’écoute au casque, en direct, est indispensable. Si plusieurs intervenants sont nécessaires, ceux qui
manipulent les corps sonores écoutent les sons au casque, écoute qui est très différente de l’écoute
acoustique, grâce à « l’effet de loupe » du microphone.
Deux méthodes
1. Étude préalable des possibilités du dispositif puis enregistrement d’une ou plusieurs séquences.
Réécoute et choix de la meilleure. Montage limité à l’élimination des défauts techniques.
2. Enregistrement en continu de tous les essais. Réécoute et choix des meilleurs moments assemblés
ensuite par montage.
6. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
6
LES ÉNERGIES
Le modèle énergétique permet d'être déjà dans un univers musical déterminé, basé pour la plupart sur
des modèles physiques. C’est un archétype (notion fondamentale en conduite d’écoute acousmatique).
Il s’agit de réaliser une séquence faisant apparaître une idée musicale en rapport avec le modèle.
Percussion-résonance
Modèle morphologique :
Mode de production sonore le plus général, le plus instrumental.
Qu’est-ce qu’un instrument (lutherie) ou un corps sonore ? : excitateur, résonateur, diffuseur.
Sons instrumentaux : excitation — attaque et sa conséquence.
Modèle naturel le plus général qui soit : attaque, chute de l’attaque, entretien, chute. Plus connu en
anglais par attack, decay, sustain, release, ADSR. C’est un modèle instrumental.
Méthode de travail
La percussion-résonance est une énergie à bien étudier du point de vue de sa résultante sonore, souvent
« masquée » par le geste, et la tradition rythmique associée à la percussion. Le couple
« faire/entendre12
» de Pierre Schaeffer prend ici tout son sens.
C'est tout le dispositif micro/haut-parleurs qui compte. Il est donc primordial d’y intégrer le mouvement
du micro (geste musical) pour une utilisation du dispositif percussion/mouvement du micro.
Jeu dans la résonance
La résonance est la résultante de la percussion, son <halo harmonique>13
La résonance donne sa couleur à l’attaque : pour changer ses harmoniques, il faut changer la forme du
résonateur.
La modulation de la forme de la résonance est également possible par le jeu gestuel avec le micro.
L’utilisation du micro-contact rend le son comme écrasé, sans troisième dimension, il en résulte un
espace haptique à l’image d’un bas-relief égyptien : tout est sur un même plan.
Jeu par les excitateurs
On observe les phénomènes provoqués par différents types d’excitateurs sur le même corps sonore,
comme variations sonores des attaques et des résonances.
Commentaires
La trompette a une attaque dure et une résonance entretenue ; le piano a une attaque dure et une résonance en
chute immédiate, sans entretien dont on ne contrôle pas la chute, sauf par le jeu de pédale ; le violon a une attaque
douce, et un entretien contrôlé, sans chute, sauf celle définie par l’acoustique du lieu ; les percussions sèches ont
une attaque brève, d’amplitude forte, sans entretien, avec chute rapide.
Le facteur <dynamique> (amplitude) et le critère morphologique <halo harmonique> entrent en jeu
comme variation perceptive de la percussion-résonance, de même que les critères d’attaque, et
d’entretien.
Exemples sonores
Ivo Malec, Attaqua, 4:58
François Bayle, Énergie libre, Énergie liée, 1:56
Annette Vande Gorne, TAO, 4e
élément : Métal, 0:49
Michael Obst, Metal drop music, 0:31
Bernard Parmegiani, De Natura Sonorum 4 : Dynamique de la résonance, 2:53
Pierre Schaeffer, Étude aux allures, 0:51
Jonty Harisson, Klang, 2:15
12
Schaeffer P. 1966, rééd. 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil p.37
13
Ibidem pp.516-517
7. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
7
Frottement-granulation
Frottement : énergie brute entre 2 surfaces qui se rencontrent.
C’est un modèle gestuel, de mouvement : une représentation mentale du geste basée sur le connu : cf
Jean Piaget14
. Cette représentation est proprio-perceptive.
Il s’agit de passer d’un état glissant à un arrêt, d’envisager tous les états, les équilibres instables (les
grains) entre ces deux pôles.
Il y a un rapport direct entre intention, geste et sons résultants.
La signification profonde, affective est dans le geste : pour le musicien comme pour le danseur, le peintre
ou le sculpteur, l’émotion est transmise par la qualité et le vécu intense des gestes physiques qui
expriment un ressenti.
Méthode de travail
C’est un modèle global, on le pense plus en séquence-jeu assez improvisé. On se laisse guider par le
geste et l’écoute au casque. Le couple main — oreille15
trouve toute sa justification dans ce modèle
énergétique du frottement.
Prise de son des corps sonores en rapport direct avec le corps humain.
Le micro fait partie de l’instrument (ou de la façon de tenir l’instrument)
Passer du lisse au granuleux et au ponctuel.
Le granuleux est un type d’énergie qui résulte d’un effort :
La personne qui écoute va le ressentir, avec son propre corps, car elle a une connaissance proprio-
perceptive des mêmes mouvements.
Retenir les choses, les laisser aller.
Commentaires
Le frottement génère un rapport ligne-point (cf. Paul Klee
16
).
La dynamique de la ligne, la dynamique du point et tous les phénomènes intermédiaires : passer d’un état à un
autre d’un même phénomène, la ligne étant le repos, le relâchement du point itératif.
Calibre des points entre eux, calibre des lignes entre elles.
Dynamique du mouvement, qui n’est pas nécessairement « rectiligne ».
Le frottement est l’énergie qui laisse le plus passer l’idée du mouvement.
C’est une énergie la plus primaire, la plus primitive, la plus proche des enfants entre 0 et 2 ans.
Le facteur <vitesse> et le critère typologique de matière <grain> entrent en jeu comme variation
perceptive du frottement, de même que le critère d’entretien <itératif> : entretien du son découpé et
répété.
Exemples sonores
Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir, 1:49
Pierre Henry, Le voyage : souffle 1 et souffle 2, 2:44; 1:54
Bernard Parmegiani, De Natura Sonorum : étude élastique, 2:28
Bernard Parmegiani, Dedans-dehors (proche-lointain), au début, 5:09
Bertrand Dubedout, Aux lampions, 3e
mouvement Sous les planches, 1:33
Annette Vande Gorne, TAO, 2e
élément : Feu (début), 1:45
Philippe Mion, Confidence, 1:28
Henri Kergomard, Plume de roche, 3:31
Helmut Lachenman, Pression pour vlc, 3:06
Helmut Lachenman, Dal Niente (intérieur III) pour clarinette, début, 1:46
Luigi Ceccarelli, Cadenza, 2:47
14
https://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin66/textes/theoa.htm
15
Bayle, F.1993, musique acousmatique “propositions…positions”. Paris : Buchet/Chastel p.17
16
Klee, P. 1968, Théorie de l'art moderne. Genève : Denoël-Gonthier
10. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
10
Balancement
Dispositif énergétique fondamental qui entre en oscillation.
Le geste est volontaire, en alternance, provoquant différents balancements ; vision d’une mécanique
intéressante dans laquelle on intervient.
Balancement : 2 pôles comme points d’arrivée d’un mouvement plus lent, irrégulier, gestuel, dont on
peut entendre le trajet entre les deux pôles.
Ce trajet, mouvement continu entre deux pôles, peut être celui d’une <allure>, critère d’entretien
schaefférien18
.
Ce qui compte c’est le comportement (alternance irrégulière), pas le son qui peut changer.
Les facteurs de variations sont <vitesse, densité, fréquence, spectre, espace Gauche-Droite, espace-plan>
Image-modèle : l’enfant poussé par un parent sur la vieille balançoire grinçante.
Commentaires
Gestes fins, cohérence sonore, reprise en main de la loi. Contrairement à l’oscillation, le geste reprend ici toute son
importance puisque sa force, sa vitesse et le fait de laisser aller jusqu’au bout ou de relancer le balancement
introduisent des variations qui entretiennent l’intérêt et l’éveil de l’écoute.
Exemples sonores
Guy Reibel, Balancement (extrait de Granulation/sillage), 3:49
François Bayle, Bâton de pluie (oscillation+balancement), 0:33
François Bayle, Motion-émotion, 1:14
François Bayle, Camera Oscura : 6e
prélude, 2:23
François Bayle, Toupie dans le ciel (pédale grave en balancement à partir de 2’30), 5:58
François Bayle, « L’Expérience Acoustique », le langage des fleurs : Métaphore, 3:35
Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir : balancement, 3:16
Randall Smith, L’oreille voit, 1:26, balancement spatial
Annette Vande Gorne, Figures d’espace : Vagues, 3:29
18
Schaeffer, P. 1966, rééd.1977, Traité des Objets Musicaux. Paris : Seuil pp.556-560
11. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
11
Rebond
Modèle mathématique ; Loi qui décrit un phénomène physique : loi du rebond.
Rebond : mouvement répété sur un seul pôle, avec accélération progressive et prévisible des chocs
(diminution du temps entre deux chocs).
Geste de déclenchement puis observation de la loi : rencontre entre le geste et la loi, qui est le modèle.
La variabilité de la force du geste de déclenchement va déterminer la variété des sons résultants.
La synthèse, ou le son à l’envers, permettent d’inverser le mouvement : décélération progressive. En
mode « acoustique », le rebond produit un profil mélodique19
vers l’aigu au fur et à mesure de
l’accélération de la vitesse des rebonds (alors que la hauteur physique du rebond diminue).
Le facteur <vitesse> et le critère typologique <halo harmonique> et <matière> entrent en jeu comme
variation perceptive du rebond.
Le critère d’entretien <itératif> est une répétition régulière, mécanique, sur un seul pôle comme le
rebond, mais sans accélération de la vitesse.
Commentaires
Jeu avec un seul corps sonore, ou avec plusieurs ; sur une seule surface ou sur plusieurs dont les différences de
matières varieront les couleurs des impacts et leur halo harmonique.
Jeu qui observe le déroulement mathématique du modèle jusqu’à son extinction, ou au contraire, qui donne une
intention musicale en reprenant la chose en main (modèle gestuel), avec des hésitations, des variations
d’amplitude, de densités d’évènements différentes.
En résumé :
Loi : accélération ou décélération régulière, prévisible sur un seul pôle d’impact.
Jeu : 1. Observation de la loi jusqu’à son extinction -2. « Reprise en main » de la loi -3. Multiplication
des événements en rebond -4. Multiplication des surfaces/matières d’impacts.
Exemples sonores
Bernard Parmegiani, De Natura Sonorum : pleins et déliés, 4:40
François Bayle, Onoma : Rebond, 3:08
François Bayle, Camera Oscura, 4e
prélude : Toccata, 1:11
François Bayle, Tremblement de terre très doux : Paysage 1, 3:23
Randall Smith, Elastic Rebound, 3:05
Panayotis Kokoras, Anechoic pulse, 2:02
Guy Reibel, Variations en étoile, 0:46
Francis Dhomont, Vol d’arondes, 1:12
Annette Vande Gorne, Figures d’espace : ritournelles, 0:36
19
Trajet continu dans le champ des hauteurs.
12. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
12
Flux
Variation continue et lente : énergie « minimale », de type homogène20
, avec taux de variation minimum.
Musicalement, il s’agit de maintenir et de resserrer l’écoute malgré l’absence de contours, le cadrage
« vu de loin », le peu de moyens musicaux.
Le modèle en flux continu est peut-être l’image de marque la plus fréquente de la musique
électroacoustique, en raison du débit continu caractéristique des instruments de synthèse analogique
des années 70, et de l’absence de pulsations que leur construction par modules interconnectés
permettait. C’est ce qui l’oppose, perceptivement, aux musiques instrumentales scalaires et/ou pulsées.
Se rappeler Héraclite, pour qui l’éternité est l’instant présent, qui change à chaque instant, et pourtant
toujours le même, tel un fleuve.
Le facteur <densité> et le critère <profil de masse>21
entrent en jeu comme variation perceptive du flux.
Commentaires
Le flux relève de la métamorphose : transformation par mutations successives, fondu-enchaînés
22
. Les musiques
répétitives, le minimalisme américain sont caractéristiques d’une homogénéité temporelle en flux, avec
transformations lentes par approximations successives.
Le flux est donc continu, c’est une trame
23
de durée « non convenable » (Schaeffer), longue. Le défi est de
maintenir l’intérêt de l’écoute malgré un degré minimal de variation. Introduire des accidents permet de
renouveler l’écoute.
Exemples sonores
François Bayle, La main vide I : Bâton de pluie, 2:07
François Bayle, « L’expérience Acoustique », L’épreuve par le son : transparence du purgatoire : écoute
active, pédagogie de l’écoute. Temps présent, 3:23
François Bayle, Concrescence, 1er
mouvement de « La forme du Temps est un cercle », 1:39
Bernard Parmegiani, De Natura Sonorum : géologie sonore. Un récit : Flèche du temps, téléologique,
4:34
Steve Reich, The Desert Music, 3e
mouvement : même isorythmie sur séquences répétitives différentes,
construites selon le même schéma, 7:00
Georgy Ligeti, Continuum pour clavecin, 3:57
Georgy Ligeti, Coulée pour orgue, 3:30
Georgy Ligeti, volumina pour orgue, 1:53
Georgy Ligeti, Lux Æterna pour 16 voix mixtes a capella, 9:29
Michel Redolfi, The underwater park at sunset, 4:07
Robert Murray Schäfer, 2e
quatuor Waves : Allures. Récit actif, 1:06
Jean-François Laporte, Mantra : écoute passive. Temps présent, 5:01
François Bayle, Univers nerveux, 1:04
20
Schaeffer, P. 1966, rééd 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil pp.517-518
21
Schaeffer, P. 1966, rééd 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil pp.542-543 changement
continu de la masse
22
Voir le chapitre consacré aux techniques d’écriture par mélange.
23
Schaeffer, P. 1966, rééd 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil pp.455-557 continuité dans la
durée.
13. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
13
Pression-déformation (flexion)
Énergie en aller-retour continu entre deux pôles. Force appliquée et retour de force : force continue,
évolution et transformation (du spectre, en général, dans le cours du trajet).
Image-modèle : un verre retourné plongé et retiré de l’eau.
Instrument-modèle : le flexatone, la guimbarde ou la scie musicale.
On pourrait considérer le critère d’entretien d’un son en <allure> comme une flexion. Dans ce cas,
l’allure devra être suffisamment lente et variée pour être perçue comme pression-déformation.
Le facteur <vitesse> et les critères <profil de masse> ou <profil mélodique> avec transformation/variation
de l’<enveloppe spectrale> entrent en jeu comme variation perceptive de pression-déformation.
Commentaires
Le terme « déformation » est important : cela suppose une trajectoire audible entre les deux pôles, avec une
variation continue, souvent spectrale (comme dans le cas de la guimbarde), ou mélodique (la scie musicale). En cela
se trouve la différence avec l’oscillation, dont on n’entend que les deux pôles, sans trajet.
Exemples sonores
Bernard Parmegiani, Pour en finir avec le pouvoir d’Orphée : L’oscillée, 3:29
Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir, chant II, 1:44
François Bayle, Motion-émotion, 0:32
Bernard Parmegiani, L’instant mobile : 3e
partie, 3:39
François Bayle, Bâton de pluie, 0:35
Iannis Xenakis, Hibiki hana-ma : flexion du violon, 2:55
Annette Vande Gorne, Noces Noires : Allures, 1:44
Guy Reibel, Variations en étoile : 3e
variation, 3:02
François Bayle, Camera Oscura : Ripieno, 2:50
François Bayle, La main vide, 0:36
14. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
14
Rotation
Modèle de mouvement et de fonctionnement.
1. Plus mouvement qu’énergie pure, la rotation peut s’appliquer à un autre modèle, le frottement par
exemple. En perception sonore, on l’entend comme répétition cyclique (simulation d’une rotation). Bien
sûr, le jeu avec l’espace est ici évident : simulation tridimensionnelle entre deux haut-parleurs ou
mouvement réel en multiphonie. Dans ce cas, trouver la nécessité spatiale (éviter le jeu anecdotique du
mouvement surajouté).
2. À mettre également en évidence le caractère répétitif de la rotation : mouvement périodique continu.
Nous sommes alors dans la figuration (l’illusion) du mouvement, la représentation typiquement
acousmatique.
Toute formule mélodique assez courte bouclée sur elle-même, peut, avec un peu d’imagination illustrer
une rotation, surtout si on s’en fait une représentation mentale en mouvement circulaire. Essayez !
Les facteurs <vitesse>, <fréquence>, <espace>, sont des critères de variabilité de la rotation.
Commentaires
S’il est un archétype le plus général qui soit, c’est bien le mouvement en rotation, et sa figure géométrique le
cercle. Au point qu’aujourd’hui, on considère comme évident de placer les haut-parleurs en cercles de diamètres
différents autour, et au-dessus du public pour spatialiser les œuvres multiphoniques en 8, 16, 24 ou 32 canaux.
Exemples sonores
François Bayle, Toupie dans le ciel (les scintillements aigus), 1:37
Annette Vande Gorne, TAO, Bois, 2e
mouvement, 2:19
Annette Vande Gorne, Noces Noires, 4:49
Michèle Bokanowski, Cirque, 1:16
Francis Dhomont, Espace-Escape, 0:30
Francis Dhomont, Point de fuite, 0:19
Elizabeth Anderson, L’éveil (+ spirale), 0:54
Georgy Ligeti, Coulée pour orgue, 3:30
Aliocha Van der Avoort Tropisme, 3:01
Christian Fennesz, Paint it black, 3:29
Aliocha Van der Avoort Anisotrope, 7:30 (octophonique)
Francis Dhomont, Espace Escape, 0:41
Spirale
Rotation accompagnée d’une variation de vitesse vers l’aigu (accélération progressive et profil
mélodique) ou vers le grave (décélération).
Exemples sonores
Elizabeth Anderson, L’éveil, 1:34
Yu-Chung Tseng: Metascape (CD Métamorphoses 2008), 0:53
Michèle Bokanowski, Tabou, 4:25
Georgy Ligeti, Coulée pour orgue, 3:30
Aliocha Van der Avoort Tropisme (début et fin), 3:20+1:52
Giacinto Scelsi, Kom om Pax pour orchestre, 2e
mouvement, 2:01
Karlheinz Stockhausen, Sirius : capricorne, 4:32
Annette Vande Gorne, TAO 5e
élément, Terre, 2:47
Francis Dhomont, Chiaroscuro, 1:17
Esa-Pekka Salonen, Helix (fin), 0:54
16. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
16
JEU SUR L’ESPACE
Nous arrivons ici au cœur même des musiques sur support, et singulièrement les musiques
acousmatiques. En effet, lorsqu’en 1970 j’ai découvert par hasard les musiques acousmatiques, c’est leur
spatialité et leur impact sur l’imaginaire, leur puissante capacité à créer des formes en mouvement sur
mon écran mental qui m’ont immédiatement amenée à m’investir dans cette recherche nouvelle pour
une musicienne « classique ». Le voyage de Pierre Henry, les espaces inhabitables de François Bayle, et
plus tard Innominé de Léo Küpper ont été les œuvres-choc libératrices. Dès ce moment j’ai ressenti où se
situe la différence avec les musiques du passé : L’espace fait intégralement partie du langage, du
contenu, et du sens de l’œuvre musicale, au même degré que les autres composantes. C’est un percept
inné, immédiat, alors que l’autre part nouvelle de ces musiques acousmatiques, la morphologie,
demande un apprentissage par l’écoute réduite fondé sur le solfège descriptif des objets sonores de
Pierre Schaeffer, photo instantanée d’un son.
L’acousmatique, dans ses conditions d’écoute les plus strictes (rien à voir, tout à imaginer) est depuis le
début24
le laboratoire de recherche tant technologique qu’esthétique le plus pointu sur les interrelations
multiples entre Espace, Son, et Musique.
Perception psycho-acoustique de l'espace25
Tout comme la vision binoculaire permet au cerveau humain de percevoir le relief, la profondeur de
champ, la production de sensations d’espace passant par le canal perceptif de l’ouïe est liée à la
psychoacoustique et à l’audition binaurale : étude certes subjective, mais quelques caractères généraux
en ont été dégagés du point de vue de la localisation. Celle-ci a été créée par la perception ancestrale du
danger, par l’adaptation de l’homme à son environnement.
La localisation spatiale est donc liée à la morphologie de la tête humaine : la distance entre les deux
oreilles, séparées par la proéminence nasale. Cette distance est traduite par une différence d’intensité —
IID mesurée en Db — ou une différence de temps — ITD mesurée en millisecondes (ms) — pour qu’une
source située d’un côté parvienne à l’autre oreille. Le ITD entre les deux oreilles est de 0,7 ms. Le IID
entre les deux oreilles dépend fortement de la zone fréquentielle entendue au-delà de 1500 Hz, qui
semble aller progressivement jusque ± 6 Db.
Mise en espace
En principe cette étape de transformation intervient en fin de travail, jusqu’à récemment considérée
comme une valeur surajoutée et non comme une réelle transformation. Aujourd’hui, certaines musiques
utilisent des sons qui ont un espace d’origine marqué, (espace acoustique) lequel restera toujours
présent, résistera aux transformations si on ne casse pas la chaîne stéréo.
D’autres ne se mettent en relief que grâce à la spatialisation par l’écriture multiphonique.
ESPECES D’ESPACES26
Espace intrinsèque : L’espace de la chose
Généralement, c’est par le mouvement constitutif du corps sonore, de la source sonore reconnue
(l’icône), que s’entend l’espace et surtout le mouvement propre à la chose : la boule qui roule, le passage
de la voiture, la bille qui tourne dans ou sur une surface etc.
Espace acoustique : L’espace du lieu
C’est l’espace de la prise de son, caractérisé par son <halo harmonique>27
spécifique.
24
1951, première projection sonore en relief spatial par Pierre Henry à Paris dans la salle de l’ancien
conservatoire.
25
http://www.cochlea.eu/son/psychoacoustique/localisation.
26
Titre repris à Georges Perec (édition Galilée, Paris, 1974) par Bernard Parmegiani en 2002 pour son
œuvre éponyme.
17. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
17
Espace interne28
: L’espace composé
C’est l’espace de l’œuvre, déterminé, agencé, reconstitué par le compositeur. Il est stéréo ou
multiphonique. Il se subdivise en quatre catégories : Espace ambiophonique (dont l’espace divisé),
Espace source (pointilliste ou mouvement), Espace géométrie et Espace illusion.
Espace externe29
: L’espace interprété, l’espace d’écoute
Espace de jeu de l’œuvre, interprétation spatiale surajoutée à l’espace interne (jeu sur l’acousmonium,
démultiplication, installation sonore). Ce sont les conditions circonstancielles de l’écoute de l’œuvre, à
travers la mise en œuvre des figures spatiales.
Catégories d’espaces
ESPACE-ILLUSION
Il s’agit de l’illusion de la profondeur de champ par la stéréophonie, qui si elle est respectée d’un bout à
l’autre de la chaîne de production, sera projetée sur les « écrans de phase » des haut-parleurs. Le son
n’est plus entendu grâce à une source réelle, mais une image, une représentation. Nous entrons dans
l’univers des médiatisations, celui de la photo, du cinéma, de la vidéo, de la radio... La stéréo en est le
meilleur vecteur.
Jean-Marc Duchenne, Feuillet d’album 1, 2:00
L’illusion de l’espace fonctionne souvent parce qu’elle s’associe à un imaginaire poétique de l’espace,
imaginaire conduit par l’utilisation d’archétypes.
Christian Zanési, Stop l’horizon 1er
mouvement 3:55
Annette Vande Gorne, Le gingko 2:14
La magie acousmatique
Différencions brièvement la musique acousmatique de toute autre sur support, par sa relation à l’image
sous toutes ses catégories : perceptives -images mentales, cinéma pour l’oreille, trois degrés temporels
de la mémoire- et productives répondant ou non à la théorie du signe selon Charles Pearce -sinsigne/i-
son (selon François Bayle30
), qualisigne/di-son, légisigne/mé-son-, ou s’ouvrant aux formes-matières
arbitraires, abstraites tissant un réseau de liens dans des espaces fictifs.
Le concept de l’acousmonium tel qu’il fut mis au point par François Bayle en 1974 en est le meilleur
instrument d’interprétation en concert.31
A. LOCALISATION SUR LE PLAN HORIZONTAL
A1. La stéréo : recréation de l’espace naturel de l’écoute : essayer de toujours conserver l’image stéréo,
si elle existe au départ, pendant les étapes du travail de transformation. Cette image est créée à partir
d’une prise de son stéréophonique.32
C’est un espace-illusion : les deux haut-parleurs sont des projecteurs d’une image au centre des haut-
parleurs, avec sa profondeur simulée, ses contours tels que l’enregistrement en stéréo de phase les a
créés.
27
Schaeffer, P. 1966 rééd 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil, pp.261-231 et Chion, M.
1993 Guide des objets sonores, Paris : Buchet/Chastel pp.149-151
28
Chion, M. 1988 rééd 1998, Les deux espaces de la musique concrète in Dhomont, F. éd, L’Espace du
Son, Ohain : Musiques & Recherches pp.31-33
29
ibidem
30
Bayle, F. 1993, Musique acousmatique, propositions…positions, Paris : Buchet/Chastel p.186
31
Vande Gorne, A. 2012, L’espace comme cinquième paramètre musical, in : Pottier, L., La spatialisation
des musiques électroacoustiques, Publications de l’université de Saint-Etienne, pp.53-73. 224p.
- Vande Gorne, A. 2015, Space, sound and acousmatic music, the heart of the research, in Brech M. et
Paland R., Compositions for audible space, Berlin: [transcript] Music and Sound Culture, pp.205-220, 350p.
32
http://www.lemicrophone.fr/contenu.php?id_contenu=52&id_dossier=16
18. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
18
A2. La fausse stéréo : replacer les sons en studio, là où ils doivent apparaître, grâce au module de
panoramique sur la console analogique ou virtuelle.
Si on veut imiter l’espace acoustique qui nous entoure (esthétique réaliste) il y a 0,7 milliseconde à
1,8 ms maximum de délai entre les deux oreilles (écoute binaurale) à respecter à la reproduction.
A3. Hors phase ou « extra large » : en inversant la phase d’un des deux canaux, l’image semble dépasser
la largeur d’écran limitée par les haut-parleurs.
Bernard Parmegiani, Dedans dehors : En phase, hors phase. 2:29
A4. La rampe stéréo, son calibre : La rampe détermine la largeur de l’image entre les deux haut-parleurs.
Elle est déterminée en première étape par la technique de prise de son utilisée. Le calibre plus ou moins
large (jeu sur les panoramiques ou prise de son MS) et le décentrement possible d’un même calibre sur
un axe angulaire permettent une clarification spatiale de la polyphonie.
A5. La biphonie : 2 sources différentes sur les deux haut-parleurs : il n’y a pas d’illusion d’espace, mais
bien une recherche de réalisme, un espace-source ponctuel qui trouve son origine dans la mono.
Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir, 1:23 : biphonie, dialogue
Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir, 1:59 : biphonie, parallélisme de deux séquences —
jeux complémentaires.
A6. Et la mono ? Un enregistrement mono, surtout s’il est réalisé par un micro omnidirectionnel, cerne
mieux les contours du son, avec réalisme quant aux détails et au registre grave. Sur deux pistes, on place
le même signal synchronisé à gauche et à droite, ou centré au milieu des deux haut-parleurs par un
panoramique. Essayez, le résultat est différent ! Évidemment, le son mono est unique sur le haut-parleur
central des formats 5.0, 5.1, 7.0 ou 7.1. Placé au milieu d’une image stéréo, avec un contenu similaire, il
renforce la présence et précise les contours qu’une prise de son stéréo a tendance à estomper.
B. LOCALISATION EN PROFONDEUR
Ici, nous sommes réellement dans l’illusion de l’espace : La profondeur simulée sur un seul écran plan :
création de perspective33
.
Pour qu’il y ait différentiation de plan, il en faut deux au moins, différents :
Plan large : le plus lointain.
Plan moyen ou médian : plus étroit, rassemble des évènements entendus « naturellement », sans effort.
Plan américain : centration sur un objet de perception.
Plan proche : mise en évidence d’une figure. Peut servir de contraste au plan lointain.
Gros plan : loupe sonore sur les détails, les arêtes, effet de proximité, prend toute la place en horizontal
et en profondeur : Espace haptique.
La différentiation des plans de profondeur permet également une clarification de la perception
polyphonique des sons.
Michel Chion, Requiem : 4’34. Gros plan : Synthèse analogique et voix très proche
Francis Dhomont, Espace Escape 1:34. Plans différenciés lointain et proche successifs
Christian Zanési, Stop l’horizon 3e
mouvement 7:15. Mélange de plans
Alain Savouret : sonate baroque : La Conférence illustrée et égarée du professeur Coustique 7:12. Leçon
humoristique qui parcourt toutes les possibilités spatiales.
La qualité des attaques (Pierre Schaeffer en a défini sept différentes34
) joue aussi sur la perception
psycho-acoustique de l’espace : une attaque dure définit un espace haptique, une attaque molle, ou
nulle, est associée à un espace plus lointain.
33
Depuis la perspective en point de fuite de Le Pérugin (XVe
) et Raphaël (XVIe
), et les architectures en
trompe-l’œil comme celle de la scène du théâtre Olimpico (1580) de Vicence par Palladio, jusqu’au
« citizen
kane » (1940) de Orson Wells, cette recherche de l’illusion de profondeur sur un seul plan fascine tous les
artistes.
34
Schaeffer, P. 1966, rééd 1977, Traité des objets musicaux. Paris : Seuil, pp.216-231 et Chion, M.
1993, Guide des objets sonores. Paris : Buchet/Chastel p.158
19. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
19
POINT DE VUE TECHNIQUE : La réverbération artificielle
Il s’agit de recréer artificiellement un espace réaliste ou non, et de pouvoir en moduler les dimensions
simulées.
L'attaque principale du signal direct est suivie d‘un certain nombre de réflexions (répétitions très
serrées). Le retard entre l’attaque et la première réflexion détermine l’espace perçu. Si on augmente le
retard, on augmente l'impression d'espace. Il en est de même quant au retard entre chaque réflexion.
Cependant, au-delà d’un certain seuil de retard (1,8ms), on perçoit l’espace comme étant mesuré par le
temps, celui de l’écho.
Le nombre de réflexions détermine la vraisemblance réaliste et la qualité de la réverbération.
Les réflexions simulées reproduisent celles d’un son projeté dans un espace plus ou moins clos. Là où il
n'y a pas de réflexions possibles, il n’y a pas d’espace audible. Crier dans le désert, par exemple, est
perçu faiblement : à 3 m tout apparaît alors mat, absorbé. Les aigus s’éteignent plus vite. Il n’y a pas de
son dans l’espace interstellaire.
Le feedback (ou diffusion) répète l’onde sur elle-même avec diminution constante et modifiable de son
amplitude, ce qui qualifie également les différences d’espaces perçus.
Le feedback est également lié à la fréquence de coupure laissée parfois au choix de l'utilisateur qui
détermine le point de croisement (crossover) entre le grave et l’aigu de la réverbération artificielle. Ainsi,
on peut générer des espaces non réalistes, en réglant ces différents paramètres.
Luc Ferrari, Hétérozygote : La grotte 2:11
Francis Dhomont, Novars (avec phasing) 1:49
La réverbération par convolution
Les ordinateurs puissants d’aujourd’hui permettent de recalculer en temps réel un halo harmonique35
(donc dans le domaine fréquentiel) et sa durée, selon l’analyse d’un modèle (un impact) réellement
enregistré dans un lieu donné. Il en résulte des sonorités incomparables de naturel acoustique. Nous ne
sommes plus dans une simulation, mais dans une modélisation de l’espace.36
.
ESPACE AMBIOPHONIQUE
À l'image de l'athanor dans lequel se réalise la réaction alchimique, il s'agit d'un espace dans lequel on ne
peut déterminer d'où viennent les sons, l'auditeur baignant dans une ambiance diffuse. C'est son écoute
qui réalise le « mixage » de l'ensemble des évènements donnés à entendre.
On peut établir une analogie avec les églises byzantines : celles-ci comportent des coupoles couvertes de
tessères d'or qui redistribuent de manière égale le peu de lumière ambiante sur l'ensemble de l'église,
sans qu'aucune source soit localisable. Pour une composition et diffusion en ambiophonie, on entoure le
public de haut-parleurs identiques avec une relative équidistance entre eux de sorte qu'il n'y ait pas de
trou acoustique. L'englobement se fait sur tous les plans, et c'est alors la sphère ou le dôme qui sont le
modèle idéal, ou sur un seul : le cercle. Les systèmes dolby ou THX au cinéma peuvent être aussi rangés
dans cette catégorie : trois canaux différents à l'écran et les côtés et arrière se partagent deux ou quatre
voies. Le message musical est quasi identique et globalisé dans toutes les pistes de la composition
multiphonique.
Léo Küpper, Litanea. 1:06
Annette Vande Gorne, Au-delà du réel 16 canaux, réduction octophonique : début. 0:44
Elizabeth Anderson, Solar winds octophonique 1:10
ESPACE DIVISÉ
L’espace divisé fait partie de l’espace ambiophonique car il est associé à un enveloppement (bain)
sonore, dans toutes les dimensions, y compris en hauteur.
35
Schaeffer, P. 1966 rééd.1977, Traité des Objets Musicaux. Paris : Seuil, pp.526-527 et Chion, M. 1993
Guide des objets sonores, Paris : Buchet/Chastel pp.149-151
36
Le logiciel altiverb de Audioease en est un des précurseurs.
21. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
21
— la superposition (polyphonie spatiale) par plans différents d’éléments différents plus ou moins
synchrones : Figures d’espace : accumulation, démasquage, remplir/vider.
Annette Vande Gorne, Haiku, hiver1 : jeux de pas sur la neige 16 canaux 2:16
— le réalisme (immersion dans un faux paysage) : superposition d’images.
Jonty Harrison, Going/Places 32 canaux. Extrait en réduction octophonique 3:42
L’espace divisé, et son instrument, le dôme ou tout autre système global et immersif dans toutes les
directions, sont les vecteurs d’une écriture différente de l’espace, rendue possible par le développement
des outils numériques de spatialisation et la montée en puissance des ordinateurs.
Nous pourrions y trouver des analogies avec l’économie mondialisée actuelle, les fractals (effet papillon),
mais aussi, par le plaisir immédiat qu’un « bain sonore » procure, le risque d’un assoupissement des
facultés critiques et intellectuelles au bénéfice de toute prise de pouvoir dictatoriale. On la constate
aujourd’hui en bien des pays. « Dormez, bonnes gens, on s’occupe de vous… »
ESPACE SOURCE : LE POINTILLISME
Opposé au précédent, ce type d’espace localise avec précision la source du son, qui peut être mono, bi
ou multipiste (mais pas stéréophonique). Ce sont les mouvements et repérages du son qui importent. On
peut aussi vouloir faire ressentir les différences de couleur et d’amplitude des sons. L’espace source
permet de dissocier et clarifier la perception des différents éléments d’un mixage, si ceux-ci sont eux-
mêmes différenciés.
Pierre Henry fut sans doute le premier à explorer les possibilités musicales de cette philosophie de
l’espace, tant au stade de la composition qu’à celui du concert. Dans ce cadre il oppose souvent les
canaux et les voies gauche/droite, se servant de la géographie du lieu pour l’organiser.
Aujourd’hui, l’utilisation la plus fréquente de l’espace source est la multiphonie. Il s’agit de placer des
sons ayant des transitoires d’attaque assez marqués pour les localiser, si brefs soient-ils. La composition
devient alors celle d’un environnement pointilliste, jouant avec les masses, les phrasés ponctuels et les
variations de densités. Les mêmes sources sonores ne doivent pas être systématiquement placées sur les
mêmes haut-parleurs, si les sons ont une durée suffisamment courte pour ne pas créer de trajets.
Cependant, les dialogues multiples et superpositions de séquences confiées aux mêmes haut-parleurs
sont une autre esthétique de l’espace source, qui met en évidence les personnages sonores ou les
contrepoints.
Le standard le plus fréquent, à partir des années 90, est l’octophonie, en raison de l’apparition
d’enregistreurs 8 pistes digitaux peu chers (ADAT ou DA 88).
Elsa Justel, Débris octophonique. 0:35
Annette Vande Gorne, TAO, Terre, les particules, octophonique. 3:23
ESPACE SOURCE : LE MOUVEMENT
Fait également partie de l’espace source tout ce qui est mouvement, trajet audible dans l’espace
externe, donc généré par l’interprète, ou écrit par le compositeur sur le support multipiste (espace
interne). Comme la langue d’Ésope, le mouvement en lui-même peut être la pire ou la meilleure des
choses. En effet, il nous a toujours semblé inutile de tenter de sauver une musique pauvre, sans énergie
interne en lui appliquant des mouvements, des agitations externes. Le mouvement devient alors une
ornementation non intégrée, non justifiée par la structure musicale ou le phrasé. Mais si l’on considère
l’expression musicale d’un point de vue énergétique, les trajets peuvent alors renforcer l’énergie interne
du son. L’histoire de la musique occidentale est peuplée d’œuvres qui font la part belle au mouvement
même comme facteur d’expression (pensons à Monteverdi et son stile concitato, au figuralisme,
particulièrement dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, à Berlioz, à la majorité des poèmes
symphoniques) puis facteur de structuration (Stravinski et son Sacre, Pacific 231 d’Honegger, Scelsi…).
Une circumduction autour du public ou d’un pivot quelconque soulignera aux oreilles de tous le
mouvement rotatif d’une toupie, d’un tourbillon, d’une répétition (écriture). Ou bien encore, les
circonvolutions buissonnières d’un « souffle serpentin » dans un lieu donné préciseront son caractère
capricieux. Enfin, l’application à un son de caractère neutre et abstrait d’un mouvement spatial en
balancement lui donnera une signification particulière, celle d’une berceuse par exemple. Il faut peut-
22. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
22
être rappeler ici combien temps, espace et mouvement sont liés : une rotation lente ou rapide ne génère
pas la même signification, et si elle passe progressivement à un tempo plus rapide, elle change de forme
et devient spirale.
Cet espace-mouvement, s’il n’est pas gratuit, aurait donc surtout une fonction ornementale ou
métaphorique à l’appui expressif des sons eux-mêmes auxquels il offre un support spatial. Au XIXe
siècle,
le timbre et la ligne mélodique entretenaient le même rapport.
Claudio Monteverdi, Combatiemento di Tancredi e Clorinda 0:27
Stephan Dunkelman, Metharcana, octophonique. 0:36
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta, acte 1 : Lamento 7.1 1:44
POINT DE VUE TECHNIQUE
Après une période de recherche esthétique42
, la recherche des outils numériques n’a pas cessé de croître
quant à l’espace du son, en deux catégories distinctes : la simulation d’espaces bi ou tri-dimensionnels,
et la création de mouvements, de trajets individuels ou globaux. La recherche dans cette dernière
catégorie est due à quelques compositeurs passionnés, studios privés ou institutions de recherche et
d’enseignement 43
. Certains, comme les trois « space » des GRMtools, sont commercialisés. Tous
répondent aux quatre modes opératoires cités en début de ce chapitre : (1) Fixes (crible), les
mouvements sont identiques, mais parcourus par des sons différents ; (2) Mobiles, gestuels, les
mouvements répondent à des gestes sur des surfaces de contrôle, ou automatisés, ils sont générés par
une série de commandes paramétriques modifiables ou par des lois de comportement physique comme
le rebond ; (3) Par commande, ils répondent à des figures géométriques préprogrammées dont les temps
de parcours sont variables ou non ; (4) Par synthèse croisée, l’analyse d’un paramètre d’un son ou d’une
séquence sonore, comme son amplitude par exemple, va déclencher ou modifier le trajet spatial et son
comportement.
ESPACE GÉOMÉTRIE
Si l’on considère l’espace d’un point de vue structurel, on peut l’imaginer comme le lieu d’intersection de
lignes et de plans différents, comme surface ou volume entrecoupé de lignes bissectrices, obliques,
verticales, transversales, de formes géométriques comme le triangle, le carré, le cube (en volume avec
dispositif de haut-parleurs en hauteur) etc. À partir de sources multiples (multipiste), penser le sonore en
termes de composition de l’espace mono, bi, quadri, triple stéréo, double quadri, octophonique… avec
tous les jeux de combinaisons possibles, appliqués à une seule chaîne acoustique ou à plusieurs d’entre
elles, simultanément ou par séquences, en plans rapprochés ou éloignés, c’est donner à l’espace le statut
de paramètre du son équivalent aux quatre autres. Le mouvement fait partie de la forme lorsqu’il
devient figure, répétition, transition, rupture, déclenchement, etc. Ici, l’espace géométrie n’est pas un
support, c’est un objet musical réel et abstrait qui conduit l’écoute et structure la perception par son
évolution dans le temps.
L’espace organisé, contrôlé, nécessite de prévoir un schéma de principe du dispositif de projection en
fonction duquel on choisira les configurations spatiales à inscrire sur le support comme, par exemple,
42
Dhomont, F. éd., 1988, rééd 1998, LIEN vol 1, L’espace du son. Ohain : Musiques & Recherches p. 97 a
été une des premières tentatives francophones de réflexion et de synthèse exclusivement consacrée aux
diverses relations entre le son et l’espace.
43
Citons à cet égard quelques exemples, dont la liste est loin d’être exhaustive :
(1,2,3) MusicPanSpace versions 1 et 2 par Flo Menezes,
(2,3) HyperSpaceVbap par Åke Parmerud,
(2) 8 ou16 masses ambisonic par Hans Tutschku,
(1,2,4) Spatule Versions 1 et 2 par Alexis Boiley pour Musiques & Recherches,
(1,2,4) HoloAutoSpat de M&R, avec interface IPad développé par Benjamin Thigpen,
(2,3) Spaces, SpaceGrain et SpaceFilter des GRMTools, avec interface IPad par Benjamin Thigpen pour M&R,
(3) Wonder développé à l’université de Delft par Marije Baalman pour la gestion de trajectoires en temps
différé pour le wavefield synthesis.
Déjà cités, les logiciels de spatialisation pour environnement en dôme (espace ambiophonique).
24. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
24
– Niveau figuratif d’une relation de l’espace à l’imaginaire, au trait caractéristique, à la métaphore.
– Niveau archétypal de certaines figures d’espace évidentes pour tous, comme la vague (bercement), le
cercle (enfermement), l’explosion…
– Niveau madrigalesque du renforcement expressif d’éléments extérieurs à la musique même (texte,
image, etc.) par des figures, mouvements, situations spatiales appropriées.
1. Niveau abstrait
En stéréo, les plans en profondeur allègent et clarifient l’orchestration sonore, le mélange.
L’espace devient alors un agent musical actif comme le sont les étagements de registres de hauteurs, et
les colorations par le timbre dans une écriture orchestrale.
Christian Zanési, Stop l’horizon 1:00
Les différenciations spatiales permettent une forme de variations sur un même matériau.
Annette Vande Gorne44
, Yawar fiesta, introduction des deux chœurs de femmes acte 1 et acte 2
1:34+1:35
Sans remonter aux années 50-60 (Karlheinz Stockhausen Gesang der Jünglinge 1956, Kontakte 1960) ou
à 1972 (John Chowning, Turenas), l’écriture abstraite multiphonique se développe dans la décade 1990.
En 1989, Lune Noire de Patrick Ascione, composée, et montée, au GRM sur bande analogique 16 pistes 2
pouces, installe un double espace de mouvements tourbillonnants autour du public et sur scène.
2. Niveau structurel
Le choix des mouvements permet de clarifier une forme ou une section, un moment particulier à mettre
en exergue.
Par exemple, une double section en miroir, dont les événements, les matériaux sont similaires, mais dont
le mouvement spatial circulaire inversé accentue une forme inversée aussi dans ses trajets de profils
mélodiques et ses morphologies, ce qui met en évidence le texte poétique : un sens identique exprimé
dans des images-mots opposées.
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta, acte II Combattimento : sous les coups de ta croupe + et le lait de tes
reins 1:12
Autre exemple : Une figure est répétée comme transition, avec accélération progressive et transposition
vers l’aigu.
Annette Vande Gorne, Yawar Fiesta, acte II Combattimento : transitions 1 et 2, 0:21 + 0:24
3. Niveau ornemental
Espace ou mouvement ajouté pour renforcer l’intérêt de la figure sonore.
Tout comme le mordant ou le trille au XVIIIe
siècle, le mouvement oriente l’attention perceptive sur un
élément parmi d’autres. Cet espace-source permet une écriture de type « figure sur fond ».
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta : acte I chœur des femmes : lamento, 1:44. Un souffle serpentin qui
par un mouvement spatial aléatoire, fantaisiste, entoure, traverse le texte chanté, étiré dans le temps. Il
allège et contrepointe une temporalité lente par un trajet spatial rapide.
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta : Acte I Condor, 0:47. Mouvement en cercle sur le mot « Taureau »,
pour laisser imaginer l’espace de jeu de l’arène, et l’encerclement du taureau, précédé d’un mouvement
en spirale et chute qui figure le condor sur le dos du taureau. En situation d’interprétation (espace
externe selon Michel Chion45
), il arrive très (trop !) fréquemment que l’interprète ajoute des figures,
souvent en mouvement, à une œuvre qui n’en demande pas tant. Le niveau ornemental, s’il n’est pas
soutenu par une compréhension intuitive et analytique de l’œuvre, reste la langue d’Ésope de la
spatialisation en concert.
44
La majorité des exemples qui concernent les différents niveaux fonctionnels de l’espace sont puisés dans
mes propres œuvres car elles font l’objet d’une réflexion « spatiale » en cours de développement.
45
Chion, M. 1988, rééd 1998, Les deux espaces de la musique concrète, in Dhomont, F. éd, L’espace du
son vol I. Ohain : Musiques & Recherches pp.31-33
25. TECHNIQUES D’ÉCRITURE sur support
25
4. Niveau figuratif
—L’imaginaire, qui se base sur la reconnaissance, recrée l’espace, le mouvement, la localisation : niveau
de l’image iconique selon François Bayle46
.
Annette Vande Gorne, Paysage vitesse. 0:21. Mouvement de « voyage » Gauche -Droite artificiellement
appliqué à un son de cigale. Qu’entend-on le plus ? la source (écoute indicielle), ou le mouvement ?
Annette Vande Gorne, figures d’espace : contrastes 7’58 à 8’55, 10’51 à 11’54
—Souvent un trait caractéristique suffit à provoquer l’image spatiale : niveau du diagramme selon
François Bayle47
Annette Vande Gorne, Le gingko (conte philosophique de Werner Lambersy) : le désert 2:14. Quelle
imagination avons-nous du désert ? Le souffle dans le tuyau d’une flûte, avec un léger grain itératif et un
peu de réverbération suffit à créer l’espace horizontal ondoyant, la matière sableuse du « souffle chaud
du désert » et la nudité pure que notre imaginaire lui associe.
—Enfin le niveau métaphorique (μεταφορειν : porter ailleurs) dépend du contexte global.
Annette Vande Gorne, Vox Alia : œuvre octophonique dont chaque partie est un affect, traduit par une
configuration spatiale particulière.
• Giocoso est une forme binaire contrastée, avec des oppositions spatiales Gauche-Droite, obliques, ou
proche-loin à l’image de groupes d’amis qui jouent et discutent ensembles.
• Amoroso entrelace des mouvements de spirales, de rotations, de double cheminement avant-arrière
en deux quadraphonies ou une octophonie, à l’image de l’amour qui étreint et entoure.
• Innocentemente retrouve la spatialité non orientée, informelle, rapide et versatile de l’enfance.
• Furioso éructe sa violence dans un espace longtemps confiné à la stéréo avant, qui explose en vagues
agressives et recouvre le public.
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta, acte I : réverbération “cathédrale” et en mouvement rapide sur la
voix pour marquer la destinée d’un peuple : soyez comme le ciel qui brûle et qui brille (mouvement
rapide) au-dessus de vos champs (fixe avec réverbération) 0:37
5. Niveau archétypal
Certains mouvements, par leur seule présence, évidents parce que proches d’un archétype, clarifient le
sens du message, le contexte, la communication.
• La vague (aller-retour, hésitation, balancier)
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta, acte III monologue final : les dieux 0:52
• Le cercle (enfermement)
Annette Vande Gorne, Yawar fiesta, acte III monologue final : les mêmes tains ont dit 1:49
• L’explosion
Annette Vande Gorne, TAO Terre, 1ère partie pour exprimer le « big bang » primordial 4:26
• La spirale
Annette Vande Gorne, TAO Terre, finale : vers l’Omega 6:10
6. Niveau madrigalesque
Les architectures polyphoniques abstraites de la musique ont évolué vers l’expressivité grâce au passage
par le texte et sa relation naïve, immédiate, développée dans le madrigal du 16e
siècle en Italie. Je tente
cette même relation dans un opéra (Yawar fiesta, 2006-2012), en attribuant ce rôle aux mouvements
spatiaux, ou à l’illusion spatiale.
Yawar fiesta : acte II combattimento : nous rêvons Le rêve est l’expression d’un désir lointain ou
inachevé… réverbération sur tous les canaux. 0:31
Yawar fiesta : acte II combattimento : ton piétinement de sabot, (rythmes sur les mots fragmentés) nous
en avons nourri nos âmes (mouvement loin devant et medium-aigu sur le mot « âmes »). 0:56
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Bayle, F. 1993, Musique acousmatique, propositions…positions. Paris : Buchet/Chastel p.186
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ibidem