1. 4 SUISSE LeMatinDimanche I4 AOÛT 2013
Contrôle qualité
«Reprenez vite le train,
mais pas seul!»
SÉRIE NOIRE Après
les accidents de trains
de Brétigny (F), Saint-Jacques-
de-Compostelle (E)
et Granges-Marnand (VD),
l’ancien psychiatre français
des armées Louis Crocq,
spécialiste des traumatismes
des rescapés d’accidents,
analyse les étapes de la guérison.
Christine Salvadé
christine.salvade@lematindimanche.ch
Que se passe-t-il dans la tête
du passager juste après un accident
de train?
La névrose traumatique due à un ac-
cident de train est importante.
D’abord parce qu’on ne s’y attend
pas: le train, c’est sûr. En Europe,
c’est un fleuron du progrès industriel
dans lequel on a toute confiance. Si le
choc est violent, le passager perd la
notion de l’espace et du temps. Il ne
sait plus où est la fenêtre et le couloir.
Sa détresse est accentuée par le fait
qu’il pensait que les autres allaient
l’aider alors qu’autour de lui, avant
l’arrivée des secours, les gens se sau-
vent ou sont occupés avec eux-mê-
mes. Beaucoup de rescapés que j’ai
interrogés m’ont dit qu’ils ont eu un
trou noir juste après l’accident. Ils se
sontarrêtésdepenser.C’estcetteab-
sence de sens à ce qui leur arrive qui
cause le traumatisme.
Et les jours suivants?
Entre le deuxième et le quinzième
jour, il y a ceux qui reviennent de leur
frayeur et qui essaient de compren-
dre; et ceux qui n’y parviennent pas:
en plus des symptômes physiques, ils
ont des visions intrusives de l’événe-
ment. Ils croient entendre de nou-
veau les bruits de l’accident, sentir la
fumée, tout ça revient. La phobie du
chemin de fer s’installe. Si vous avez
un tempérament fort ou de l’expé-
rience, vous avez plus de chances de
faire partie de la première catégorie.
Le fait d’être en groupe atténue aussi
le traumatisme.
Faut-il reprendre le train
rapidement?
C’est une bonne chose si on y arrive.
Le mieux, c’est de le faire en groupe.
Les rescapés peuvent alors constater
qu’il ne s’est rien passé et qu’il n’y a
pasderaisonquelefilmrecommence.
Ils pourront donner du sens à ce qui
leur est arrivé.
Faut-il être obligatoirement suivi
médicalement?
Sivousvousrendezchezlepsychiatre
pour demander à ce que vos cauche-
mars et vos angoisses cessent, il vous
prescrira des médicaments. Mais
après, ça recommencera. Il est plus
utile de demander au médecin:
«Aidez-moi à digérer mon expé-
rience.» Vous pouvez aussi en parler
à vos proches, pour autant qu’ils ne
s’adressent pas à vous comme à un
enfant. Ils doivent vous aider à ne pas
ressasser l’événement mais à en faire
une synthèse, à l’intégrer dans notre
vie. C’est ce qu’on appelle la rési-
lience. Parfois on peut le faire tout
seul, mais c’est rare.
Se revoir entre victimes,
c’est une bonne idée?
Pasvraiment.Ilsvonttournerenrond.
Plusieurs rescapés m’ont dit qu’ils re-
voyaienttrèsclairementlesvisagesde
gens qui étaient à côté d’eux. Ils leur
sontattachéscommes’ilsétaientleurs
proches. Ça les perturbe. Je me méfie
de ces associations qui enferment les
sujets dans leur statut de victimes.
Sauf s’il s’agit de débriefings encadrés
par des psychologues.
Le conducteur d’un train
accidenté, fautif ou pas, comment
peut-il survivre?
C’est évidemment très difficile. J’ai
vu des auteurs d’accident réagir avec
euphorie et déni de la réalité, pendant
quinze jours ou trois semaines. Mais
ça ne tient pas. La plupart sont d’em-
bléesidérésparl’événementetentre-
voient que leur existence ne sera plus
jamais comme avant. Le remords
peut les perturber à des degrés divers.
La culpabilité est une notion princi-
pale de la nature humaine. Même les
victimes la ressentent: leur expé-
rience du trou noir les ramène bruta-
lement dans la période d’avant le lan-
gage, au tout début de leur vie. Ces
gens-là resteront ensuite coupables
d’avoir mis un pied dans le monde des
morts, d’avoir entrevu ce qu’ils
n’avaient pas le droit de voir.
Pourquoi les accidents de trains
nous fascinent tant?
Parce que le train fait partie de nos
vies. Le terme de «névrose traumati-
que» a d’ailleurs été inventé par l’Al-
lemandHermannOppenheimen1888
pourlesvictimesd’accidentsdetrain,
avant d’être appliqué pendant les
deux guerres mondiales pour les né-
vroses de guerre ou les victimes
d’agression ou de viol. La névrose
traumatique due au chemin de fer
peut durer très longtemps. J’ai soigné
unedamequiavécul’attentatàlagare
de Lyon en 1988 et qui, 25 ans après,
se débrouille encore pour ne plus ja-
mais prendre le train. x
LIRE AUSSI EN PAGES 11-12
Le phénomène Dicker
saute les frontières
SUCCÈS Une année après
sa parution en français,
«La vérité sur l’affaire Harry
Quebert» fait une entrée
remarquée sur la scène
internationale. Des traductions
sont en cours dans le monde
entier.
«Bon, là je crois que la réalité a défi-
nitivement rejoint la fiction», réagit
Joël Dicker sur Twitter. En cause:
une publicité pour son livre placar-
dée sur la carrosserie d’un minibus
en Espagne. Un succès qui rappelle
évidemment celui du jeune écrivain
Marcus Goldman, qui n’est autre que
le héros fictif du best-seller. «La
verdad sobre el caso Harry Quebert»
et «La verità sul caso Harry Que-
bert» trustent les premières places
des classements des meilleures ven-
tes en Espagne et en Italie depuis
plusieurs semaines.
Numéro 1 en Espagne
«Le succès dans un autre pays, une
autre langue, est toujours inattendu.
La semaine passée, mon livre est
passé numéro 1 en Espagne, devant
«Inferno», le roman de Dan Brown.
Ça fait un drôle d’effet!» raconte le
juriste de formation. «En Italie, les
libraires annoncent un chiffre ap-
prochant les 300 000 ventes. Mais il
faut encore attendre pour avoir des
retours plus précis.» Joël Dicker a
même conquis le marché roumain,
où il a également été numéro 1. Au
total, des traductions dans 30 lan-
gues et environ 40 pays sont au pro-
gramme. A ce jour, le livre du lauréat
du Grand Prix du roman de l’Acadé-
mie française et du Prix Goncourt
des Lycéens en 2012, a déjà été tra-
duit en italien, espagnol, portuguais,
roumain et coréen.
L’écrivain genevois découvre avec
un bonheur certain la notoriété inter-
nationale. «Je suis très heureux de
vous annoncer la venue de Harry
Quebert en Corée» s’est-il enthou-
siasmé sur Twitter le vendredi 2 août.
Plusieurs messages arrivent chaque
heure sur le réseau social pour félici-
terJoëlDicker.Ilrépondd’ailleursré-
gulièrementàsesfansquisontplusde
3000 à le suivre.
L’engouement pour le roman ne
devraitpasfaiblircesprochainsmois.
Alors qu’une version allemande est
prévue pour la fin du mois d’août, une
traduction en anglais devrait voir le
jour au printemps 2014. «Les droits
ont été signés tardivement pour la
version anglaise. C’est la raison pour
laquelle elle paraîtra seulement l’an-
née prochaine.» L’occasion pour
l’auteur suisse d’accroître encore sa
notoriété à travers le monde.
Simon Vuille
Joël Dicker peut sourire. «La vérité sur l’affaire Harry Quebert» fait un véritable carton
sur le plan international. Patrick Kovarik/AFP
La sûreté en file prioritaire s’achète pour 8 francs à Cointrin
AÉROPORT L’accès
à la «Priority Lane» – réservé
jusqu’ici aux passagers qui
voyagent en classe affaires – a
été ouvert à tous les voyageurs
depuis fin juin à Cointrin.
Zapper la file d’attente au contrôle de
sûreté: c’est désormais possible pour
tous les passagers de l’aéroport de
Cointrin. Ce gain de temps s’achète
au prix de 8 francs.
Encore en rodage
Le système, déjà en place dans
d’autres aéroports, a connu des dé-
buts timides ces dernières semaines.
«C’est compliqué à gérer. Beaucoup
degensviennentversmoicarlecode-
barres qui permet d’accéder à la voie
prioritaire n’est pas détecté par la
machine», confie un membre du per-
sonnel aux abords du contrôle de sû-
reté. Bertrand Staempfli, porte-pa-
role de l’aéroport de Genève, con-
firme: «Nous sommes toujours en
phase de test. C’est pourquoi nous
n’avons pas vraiment fait de pub pour
ce nouveau service.»
La plupart des voyageurs interro-
gés ignorent effectivement l’exis-
tencedelavoieprioritaire.JuanAlva-
rez, qui part avec sa famille pour le
Portugal, a été averti par l’agence de
voyages dans laquelle il travaille. «Il
nousestarrivéd’attendre40 minutes
au contrôle de sécurité. Avec nos en-
fants, nous n’avons pas hésité à nous
procurer les pass. Mais il faut pouvoir
se le permettre.» D’autres voyageurs
sont moins enthousiastes, comme
cette jeune femme, qui fait la queue
patiemment, avant de s’envoler pour
l’Allemagne: «Je trouve ça dégueu-
lasse de pouvoir payer pour dépasser
tout le monde. De toute façon, il fau-
draaussipatienterdanslazoned’em-
barquement».
Le système pourrait également être
victime de sa popularité. «Si trop de
gens s’offrent le pass à 8 francs, il
pourrait y avoir des embouteillages
dans cette voie rapide. Nous serions
contraints de revoir notre offre» ex-
plique Bertrand Staempfli.
S. V.La «Priority Lane» permet d’éviter une attente interminable au contrôle de sûreté.
«Je me méfie
de ces associations
qui enferment
les sujets
dans leur statut
de victimes»
LOUIS CROCQ
Ancien psychiatre des armées en France, spécialiste
du stress et des traumatismes psychiques
La collision de Granges-près-Marnand (VD) a fait un mort et 35 blessés. L. Gilliéron/Keystone
LaurentdeSenarclens