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30
Située au centre de la région du Sahel, la cité de
Ruspina, le nom antique de l’actuelle Monastir, est
l’une des plus importantes cités au sein de cette
entité géographique et historique (figure 1)1
. La côte
de Monastir et ces îles limitrophes nous fournissent
des traces de monuments troglodytes2
que les
chercheurs considèrent comme les vestiges de
monuments funéraires3
. Particulièrement, la plus
1
En se fondant sur une interprétation de Polybe pour sa
description du Byzacène Sayadi est enclin à penser que la
cité de Ruspina était le centre de cette entité : Sayadi,
Monastir, p. 72-73, figure 39.
2
J'attire l'attention à un monument de taille conséquente
creusé dans le roc situé à proximité du marabout de Sid
Mansour. Il à l'allure d'un necromanteion, terme grec
utilisé pour qualifier un lieu où les Libyques se
réunissaient pour invoquer les morts et se livrer à la
divination.
3
Au sujet d’un hanout trouvé à Monastir dont la taille est
exceptionnellement grande M. Ghaki, s’est demandé s’il
s’agit d’une habitation plutôt que d’un monument
funéraire. Selon G. Camps, ce monument avait sûrement
grande des îles de la côte de Monastir actuellement
rattachée à la terre ferme qui est appelée l'île d’al
Ghdamsi, du nom d’un Ribat situé à la pointe Nord-
Ouest. Elle renferme une série de monuments
funéraires dont un groupe de haouanet qui interpelle
par son mode de disposition en étages ainsi que trois
mouillages aménagés dans le roc situés chacun sur
un flanc de l’île et enfin un monument taillé dans le
roc qui semble être un établissement de bain marin ;
un balneum (figure 2). D'ailleurs, il est appelé
Hammam Bent es-Soltan par les habitants de
Monastir.
Les haouanet de Monastir, dans leur totalité sont
estimés, selon un travail récent, au nombre de
cinquante4
. Nous pensons que ce chiffre reste très
inférieur à la réalité donc de peu de validité. En
effet, l’érosion marine intense sur les côtes
une vocation funéraire comme l’étaient tous les
monuments trouvés à Monastir malgré leur taille
exceptionnellement différente du reste des monuments
similaires : Ben Guith Hmissa, Monuments, p. 194.
4
Ibid., p. 182.
■
31
rocheuses des îles du rivage de Monastir et l’activité
anthropique prolongée, diversifiée et dévastatrice,
sont responsables de la disparition totale si non de la
défiguration poussée de la majorité de ces
monuments1
ce qui rend leur étude une véritable
gageure. Il est plus réaliste, au vue de certaines
données d’avancer que cet ensemble de monuments
constituait une installation funéraire fort complexe et
sans doute très originale si non même exceptionnelle
à plusieurs égards. Pour preuve, l’île de la
quarantaine, également appelée l’île d’al Wostanya,
pourtant de taille nettement plus réduite de celle de
sa voisine l’île d’al Ghdamsi, qui nous préoccupe
dans ce cadre, présente une succession de haouanet
somptueusement adossés, pour ainsi dire, à la petite
falaise que trace la côte, en belle régularité, qui n’est
pas sans nous interpeller et qu’on croyait étrangère
aux vestiges de nature funéraire. Ces monuments
sont au nombre de trente trois, selon le décompte
présenté dans une figure suggestive qu’on trouve
dans le travail de Madame Ben Ghith Hmissa qui est
une reprise d’un croquis exécuté par Deyrolle sur
terrain dont la vérification n’est plus hélas possible.
Une telle donnée, combien précieuse même
susceptible d’erreur, nous laisse aisément penser
qu’aussi bien île d’al Hammam, que nous étudions
ici, que le reste des îles côtières du cap de Monastir
étaient bien plus que de simples lieux d’anarchiques
ensevelissements. Il est plus que probable qu’avant
d’être mutilée à jamais par l’effort conjugué de la
mer et des hommes, la falaise de l’île d’al Ghdamsi
était elle aussi abondamment pourvue de chambres
funéraires. Les haouanet de Monastir, et
particulièrement ceux de l’île d’al Ghdamsi étaient
sommairement étudiés ce qui eu pour désavantage
de laisser encore suspendues plusieurs questions
relatives à cette installation funéraire comme celle
de la disposition des monuments. Combien vain était
notre effort de tenter de comptabiliser le nombre de
chambres, si non d’excavations correspondant à peu
de chose près à ce qu’était une chambre, le long la
partie Nord de cette falaise et sur une distance prise
1
Ibid., p. 194.
en guise d’échantillon, pour tenter d’étaler ce
résultat, ne serait ce que de façon arithmétique, donc
purement estimative, au pourtour de l’île et pourquoi
pas au reste des autres îles. Nous n’avons pu aboutir
à aucune valeur probante si non à des résultats
spéculatifs si nous avions cédé de peu à la tentation
de résoudre ce mystère. La dégradation sans
précédent de la côte a dit le dernier mot dans cette
question. Pourtant, très endommagés les vestiges des
haouanet de l’île d’al Ghdamsi révèlent encore des
indices évidents et perceptibles, à qui y mette assez
de temps et de minutie, d’un aménagement étagé, le
plus souvent de deux niveaux et plus rarement de
trois niveaux, quand la hauteur de la falaise
l’autorise, étalé sur tout le pourtour de cette île dont
la trace est aisément visible sur le flanc Ouest de
cette île surtout au dessus du mouillage (figure 3).
Cette disposition ne manque pas de donner une
majesté à l’ensemble, même dans le cadre de
résidences mortuaires. En effet, des haouanet
surélevés, signalés par les archéologues, nécessitent
sans doute une échelle ou même, possibilité non
moins envisageable, des escaliers taillés dans le roc
pour y accéder2
. Non lion de ces monuments de
Monastir, des hypogées de Sicile sont étagés3
. Les
haouanet étaient sans doute superposés,
l’architecture de ces monuments avait influencé les
mausolées-cippes d’époque punique4
. Ceux-ci sont
un amalgame entre les mausolées turriformes
d’influence grecque et les haouanet libyques. Il n’est
pas rare de trouver dans le domaine de l’architecture
profane des constructions étagées. Les tombes étant
elles aussi des demeures, pourtant d’un type
particulier, elles avaient des éléments communs avec
les maisons. Aussi bien les ksours berbères que les
villes comme Byrsa ou Kerkouane étaient étagées.
Une telle densité d’occupation, une aussi riche
complexité architecturale ajoutée à l’organisation
rigoureuse du site ne peuvent qu’induire une
importance des pratiques qu’avait connues cette île.
2
Longerstay, Haouanet, p. 3369.
3
Ibid., p. 3369.
4
Ibid., p. 3363.
■
32
Seulement, sommes-nous, archéologues
d’aujourd’hui, en mesure de les restituer ou au
moins de les entrevoir ?
Pour le cas de Monastir, mais cette constatation est
valable ailleurs, le choix des îles pour
l’ensevelissement des morts est compréhensible
puisque, selon les affirmations des spécialistes, les
haouanet étaient destinés à contenir des cadavres
mais aussi des ossements décharnés1
, d’où le désir
de choisir un site éloigné des habitations pour des
fins funéraires. Comme les haouanet sont des
monuments exclusivement funéraires2
ils avaient, en
l’occurrence, constitué une sorte de cité des morts.
Or, la répartition des ces monuments ne semble
aucunement avoir été laissée au hasard. Ailleurs, et
sans doute dans ce contexte, les haouanet sont le
plus souvent associés parfois par plusieurs dizaines.
Ce qui laisse supposer la possibilité que ce sont des
espaces familiaux qui faisaient l’objet de cultes
funéraires associés ou de visites rituelles3
. Cette
pratique n’est pas exclusive à ces monuments. Des
groupes de dolmens sont souvent entourés
d’enceintes ou de sentiers. L’éminent spécialiste du
monde libyque Gabriel Camps pense que ces
aménagements servent à délimiter des espaces
réservés à des clans ou des familles4
. De même,
certains haouanet referment des chambres multiples.
Elles sont la trace de cultes funéraires exclusifs
d’une famille ou d’un clan5
. On n’est pas en mesure
de restituer avec précision la nature du culte qui
s’était déroulé dans ces monuments. Nous ne
qu'évoquer avec beaucoup de réserve la trace
d’épaisses couches de fumée décelées dans un
hanout6
. Peut ont la mettre en rapport avec un culte
funéraire quelconque ? Une telle hypothèse est à ne
pas écarter même si la violation de ces monuments
et leurs usages multiples rendent l’utilisation de cet
argument peu solide. Le décor des haouanet permet
1
Longerstay, Ibid., p. 3368.
2
Ibid., p. 3362.
3
Ibid., p. 3363.
4
Ben Ghith Hmissa, Op. Cit., p. 186-187.
5
Longerstay, Ibid., p. 3363.
6
Ibid., p. 3376.
il de dévoiler le culte funéraire ou
l’eschatologie inhérente ? Le décor peint des
haouanet laisse entrevoir des scènes rituelles. Un
décor représente une danse probablement rituelle7
.
Par ailleurs, les monuments funéraires à Monastir ne
se limitent pas aux haouanet aussi bien sur l’île d’al
Ghdamsi dont nous nous préoccupons que sur les
autres îles, il existe une multitude d’auges dont la
fonction funéraire est assurée. Carton signale que les
auges creusées à l’extérieur des haouanet sont en
grand nombre à Monastir8
. Ces fosses sont elles le
témoignage des monuments postérieurs ou peut on
les considérer comme contemporaines aux haouanet
? La réponse est difficile voire même impossible en
l’absence d’éléments fiables de datation.
Aussi bien la proéminence de cette île au large de la
côte de Monastir, la fréquence des monuments
funéraires de tout genre, le caractère funéraire
exclusif des ces vestiges, nous laissent facilement
penser que cette île avait aussi accueillie, en même
temps que les monuments funéraires, un
établissement sacré et sans doute des structures
inhérentes à celui-ci. Selon toute vraisemblance, les
mouillages étaient en liaison avec cette installation à
caractère sacré et le balneum taillé dans le roc, qui
est d’un soin technique et architectural rare pour la
période antique, n’était qu’un auxiliaire
indispensable à ce lieu de culte. Selon les
conjectures de nos prédécesseurs, la thonaire est
construite sur cette île en 1817 semble avoir été
édifiée sur les ruines d’une construction très
ancienne. De même, sur l’île on trouve une porte
taillée dans le roc analogue à l’entrée d’une tombe
de Gébal que Renan a dessiné lors de sa mission en
Phénicie. Celle-ci communique avec une grotte
murée en partie en 1882 avec de grandes pierres
taillées qui existent sur le lieu. La photo aérienne
prise en 1971 révèle que l’actuelle thonaire n’est due
qu’à la remise en état d’un édifice ancien9
.
Actuellement les vestiges du Ribat qu’on trouve sur
7
Ibid., p. 3380-3381.
8
Ben Ghith Hmissa, Op. Cit., 201-202.
9
Sayadi, Op. Cit., p. 39.
■
33
l’île recèlent trois borjs qu’on soupçonne d’avoir fait
partie d’un monument antérieur très ancien1
. La
position de ce Ribat à la pointe la plus avancée de
l’île ainsi que sa situation sur le point le plus
culminant ajouté à la proximité du Ribat d’un des
plus grands mouillages de l’île en fait un endroit de
choix pour un monument à la fois cultuel et de
contrôle de ce passage. Une certitude renforce cette
hypothèse, mêlés à ce Ribat on trouvé des ruines
d’apparence romaine. On y a aussi découvert aussi le
pavé d’une chambre avec superbe mosaïque2
. La
possibilité de l’existence d’un temple dédié à une
divinité marine comme le suggère une des
interprétations du nom de ce cap n’est pas à écarter.
Le nom de Ruspina qu’on a souvent interprété le cap
proéminent3
signifierait plutôt le cap de Pontos dont
le nom signifie en grec « mer ». Ce dernier était le
dieu du Pont-Euxin aujourd’hui en Mer Noire. Il
passait pour une entité divine primordiale liée à la
sphère marine qu’on tenait à se concilier4
. L’idéal
serait d’effectuer des sondages autour du Ribat afin
de vérifier la validité de ces données. Par ailleurs,
l’île d’al Ghdamsi contient beaucoup de traces de
vestiges de constructions dont seule une étude
d’ensemble pourrait identifier aussi bien la fonction
que la chronologie. Cette île renferme également des
installations maritimes dont on soupçonne le lien
avec l’installation cultuelle présumée. Il s’agit des
trois mouillages et du monument troglodyte
considéré comme un balneum.
Dans l’ensemble, l’étude des installations maritimes
à caractère commercial, halieutique, militaire ou
également thérapeutique est encore très en retard.
D’autre part, en général, pour l’antiquité, on n’a pas
souvent pris la peine de créer des établissement
portuaires ou des mouillages sans doute fort coûteux
en effort humain et financier pour l’époque, il arrive
que cette tâche avait été jugée inutile par exemple
lorsqu’une voie terrestre de commerce débouchait
1
Ibid., p. 39.
2
Ibid., p. 39-40.
3
Lancel-Lipinski, Ruspina, p. 380.
4
Bonnet-Xella, Pontos, p. 356.
sur un rivage accore ou bien là où les grandes
embarcations amarrées au large étaient desservies
par de bateaux capables de s’échouer sur une plage5
.
Toutefois, les côtes plates ou exposées et
dépourvues d’abris naturels donnèrent naissance à
une tradition d’aménagement portuaire très typique.
Il s’agit de tirer profit du moindre abri naturel. Dans
ce cas, les quais étaient taillés dans le roc des récifs,
des caps et des péninsules6
. Ces aménagements
s’appellent Cothon selon un terme grec7
. Les
mouillages situés sur l’île d’al Ghdamsi à Monastir
sont de cette catégorie de monuments.
Les mouillages taillés dans le roc de l’île d’al
Ghdamsi au large de Monastir sont au nombre de
trois. Le mouillage le plus grand est situé à
l’extrémité Nord-Ouest et fait face à île d’al
Hammam. Il forme avec celle-ci un passage
extrêmement serré (figure 4). La situation
particulière de ce mouillage en fait un abri très
protégé donc fortement apprécié. La taille de cette
installation lui confère un rôle éminemment
important pour toute sorte de fonctions aussi bien
sécuritaires que commerciales. Ce mouillage épouse
avec ingéniosité une crique naturelle à la forme d’un
trapèze légèrement irrégulier. Il mesure trente mètres
de côté sur le flanc Ouest et cinquante sur le flanc
Est avec une largeur de onze mètres environ du côté
de la terre. La profondeur, que nous n’avons pas
encore mesurée, avoisine facilement les dix mètres
au plus profond de ce bassin qui reste d’une grande
limpidité malgré le temps passé. Le flanc Ouest de
ce bassin, qui présente un affleurement de roche
assez modéré comparant aux deux autres côtés à la
fois très élevés et très abruptes donc impropres à
recevoir un aménagement quelconque au niveau de
l’eau, comporte une banquette taillée à la hauteur du
niveau de la mer et sur toute sa longueur (figure 5).
Ce mouillage est situé en dessous du point le plus
culminant de l’île et à proximité immédiate du Ribat
lui-même fortement soupçonné d’avoir hérité d’un
5
Forst, Port, p. 357.
6
Forst, Op. Cit., p. 357.
7
Debergh-Lipinski, Cothon", p. 121.
■
34
monument antique militaire ou religieux et pourquoi
pas les deux à la fois. Le deuxième mouillage est
situé à peu de chose près au milieu de l’île sur la rive
Ouest. Il est en forme d’un rectangle d’environ une
douzaine de mètres de côté. La pente douce de la
roche a permis à ces concepteurs de le munir des
trois côtés de banquettes à la hauteur du niveau de la
mer ce qui confère à l’ensemble une beauté
particulière. Ce mouillage aussi épouse une crique
naturelle qui était à la fois accentuée et aménagée
pour accueillir cet ouvrage. Ce dernier est moins
profond que le mouillage précédent. Par contre, sa
situation en dessous de la falaise la plus verticale de
cette île et en face de la plus grande concentration de
traces de haouanet le met en rapport étroit avec cette
installation funéraire (figure 6). Il n’est pas
improbable même que c’est elle qui était sa raison
d’être. Enfin, le troisième mouillage est situé
presque au même alignement que le précédent mais
du côté Est de l’île. Il est différent des deux autres
puisqu’il est sablonneux. Lui aussi doit sa naissance
à une crique naturelle. Il est de taille intermédiaire
entre les deux mouillages précédents. Cependant, ce
mouillage est sablonneux même s’il se pourrait bien
que l’ensablement de ce mouillage s’était accentué
faute d’entretien (figure 7). Si nous considérons les
vents les plus fréquents, et surtout les plus
redoutables, sur cette côte qui sont le plus souvent
d’orientation Sud-Est, dont le célèbre mythique et
récurrent Mistral méditerranéen, ce mouillage est le
plus apprécié surtout par les petites et frêles
embarcations. Des traces de coupe de pierre
avoisinent ce mouillage (figue 8). Peut être que les
chargements lourds des embarcations exigeaient
d’accoster sur un rivage sablonneux. Il se peut aussi
que l’accessibilité relative de celui-ci a favorisé son
usage par les chargeurs de pierres. Le nombre des
ces mouillages, les soins donnés à leur emplacement
ainsi que la manière dont ils sont aménagés renforce
l’idée qu’ils étaient tous au service à la fois d’une
affluence importante et récurrente mais également
en toute saison ce que le simple besoin d’ensevelir
un cadavre ne suffit pas à justifier. Nous allons
tenter de voir plus loin les rattachements culturels et
chronologiques possibles de tels éléments.
Un monument rare dans son genre se trouve sur cette
île. Il est nommé par les habitants de Monastir
Hammam Bent as-Soltan1
. Sayadi le décrit en ces
mots : « c’est un petit endroit, taillé dans le roc, au
niveau de la mer, on y pénètre par deux ouvertures
pratiquées tout exprès pour entretenir un flux
convenable à la propriété et tout autour, il y des
bancs, également formés dans le roc » (figure 9). Ce
que nous considérons comme balneum est le plus
souvent pris à tort pour un vivier de poisson. Nous
en trouvons par exemple à Korbous au Cap Bon des
installations de ce type qui remontent même à
l’époque antique souvent utilisés pour le thon dont
cette région est célèbre. Nous pensons qu’une telle
hypothèse est insoutenable. Le soin donné à ce
monument qu’on remarque à travers les banquettes,
l’aménagement d’une partie de ce bassin et autres
détails confirment qu’il s’agit d’un établissement
balnéaire d’exception et peut-être même unique
selon la documentation disponible (figure 10). Ce
monument dont la fonction balnéaire est
incontestable intrigue. La rareté d’exemplaires
similaires, ou c’est ce qui ressort de la
documentation disponible, rend la tâche de son étude
délicate. Ce monument a fait l’objet d’une étude
récente2
. La problématique de notre prédécesseur
consistait à déterminer la datation de ce monument.
D’après la céramique exhumée lors d’un sondage
effectué dans le bassin de cette installation balnéaire,
il ne date pas au delà de la période médiévale. Plus
précisément, ce monument serait d’époque hafside.
Faut-il préciser que les tessons de céramique trouvés
dans le bassin de ce balneum n’ont aucun rapport
avec l’usage de ce monument mais qu’ils
proviennent des tombes d’époque hafside situées au
dessus du monument. Ils sont parvenus au fond de
ce bassin par l’effet de l’érosion pluviale ou suite à
des éboulements. Donc l’utilisation de ces indices
1
Sayadi, Op. Cit., p. 39 et 42, figure 24.
2
Cette étude a été effectuée par Mr Riadh Mrabet. Elle
est en cours de publication.
■
35
pour dater le monument n’est pas fiable. D’autre
part, ces tessons même s’ils avaient un rapport solide
avec l’utilisation du bassin traduiraient-ils une
période d’utilisation due à une remise en état du
monument plutôt que la chronologie du creusement
de ce balneum ? C’est une hypothèse fort
envisageable. La technique de construction de ce
monument en fait un édifice rare. L’ensemble des
éléments situés sur cette île que constituent les
haouanet, dont le nombre et la disposition sont de
nature à nous interpeller, les trois mouillages taillés
dans le roc, les traces d’un monument de nature
probablement cultuelle qui a aujourd’hui disparu,
ajouté à cela le nom antique therma appliqué à une
cité antique dont les vestiges se situent au Sud de
Monastir nous font penser que cet établissement de
bain faisait sans doute partie d’un complexe cultuel.
Le rapport étroit entre des installations balnéaires et
les édifices à caractère religieux ne peuvent que
renforcer cette hypothèse. Pour ce qui est du monde
phénicien, nous avons des témoignages de l’usage
de l’eau à des fins cultuelles ainsi que l’association
de l’eau avec des établissements destinés à des rites
d’hydrophorie où des divinités étaient vénérées1
. En
l’absence de mobilier qui nous permette de dater ces
monuments, seules les comparaisons à caractère
architectural sont aptes à nous fournir des réponses
probantes.
Plusieurs conjectures ont été formulées au sujet des
vestiges de l’île d’al Ghdamsi. En vérité, elles
étaient axées essentiellement sur les haouanet et le
balneum. L’étude des mouillages et des
constructions antiques présumées de quelque nature
qu’elles soient reste à faire. La détermination du
rapport de l’ensemble de ces éléments mérite elle
aussi une réflexion plus approfondie. Par
conséquent, la formulation de réponses lapidaires
n’est sans doute pas à l’ordre du jour dans le cadre
de cette réflexion à caractère préliminaire. La
plupart des érudits se sont préoccupés de situer les
haouanet et le balneum dans telle ou telle sphère
culturelle et par là même de les fixer dans le temps.
1
Lipinski, Eau, p. 140.
Or, ces deux tâches sont en réalité distinctes, même
si elles peuvent se rejoindre voire se compléter. Pour
ce qui est de l’origine culturelle des monuments, il y
a essentiellement deux avis. Certains attribuent ces
œuvres aux Numides, en conséquence d’une
insertion dynamique dans les cultures
méditerranéenne2
alors que d’autres y voient la
preuve de l’influence de Carthage phénicienne ou
punique3
. A la lumière des quelques données dont
nous disposons, nous allons tenter de faire des
rapprochements culturels et de dater les différentes
composantes de l’île d’al Ghdamsi à savoir les
haouanet et les installations maritimes.
Pour ce qui est des haouanet, de quels outils
disposons-nous pour les étudier ? Concernant ces
monuments funéraires les textes littéraires et
épigraphiques ne disent rien4
. L’épigraphie et la
littérature libyques sont très mal connues au sujet du
monde funéraire comme celui du monde profane.
Les ossements et la céramique non plus ne nous
sont d’aucun secours pour dater ces monuments
puisque ces vestiges sont violés la plupart du temps.
Ainsi, nous souffrons de l’absence totale si non de la
rareté de mobilier funéraire dans ces monuments5
.
Les tessons de céramique quand ils existent portent
à méfiance puisqu’ils risquent fort de ne pas être
originaux. Cependant, les rares tessons recueillis
fournissent une datation qui oscille entre la fin du
quatrième et le début du premier siècle avant J.-C.
Cette fourchette chronologique aussi précieuse
qu’elle soit marque, selon les spécialistes, plus une
période d’occupation qu’une datation absolue6
. Pour
ce qui est des haouanet de Monastir, selon une
récente étude qui leur était consacrée, nous
apprenons ils étaient violés par conséquent ils n’ont
livré aucun tesson de céramique. De plus, ils n’ont
livré aucun ossement7
. Même au cas où il y en aurait
2
Longerstay, Op. Cit., p. 3383 ; Thébert, Royaumes, p.
192-199.
3
Fantar, Carthage, p. 355-356.
4
Ghaki, Libyque, p. 204-209, p. 206.
5
Longerstay, Op. Cit., p. 3362.
6
Ibib., p. 3384.
7
Ben Guith Hmissa, Op. Cit., p. 202.
■
36
eu, leur datation ne serait pas fiable vu que ces
monuments étaient violés depuis longtemps1
.
L’étude architectonique est quelquefois susceptible
de nous éclairer sur ces monuments. Faut il préciser
que l’utilisation de telles données est une gageure
souvent trop risquée. L’architecture connaît souvent
un entassement d’indices de périodes et de cultures
le plus souvent éloignées qu’il est difficile de
démêler avec assurance. Pour ne citer qu’un seul
exemple, l’aménagement des fosses dans les
haouanet est souvent considéré comme un élément
d’inspiration punique2
. Cependant, rien ne nous
permet de déterminer si ces fosses sont postérieures
ou non à ces monuments. Nous disposons d’un autre
type d’indice pour étudier les haouanet. Il s’agit du
décor aussi bien architectural que pariétal. En effet,
un tel élément peut nous permettre de dater les
haouanet et identifier la culture à laquelle ils
appartiennent3
. Cependant, l’interprétation de ces
scènes nous pose parfois de sérieux problèmes. En
effet, les représentations des haouanet avaient à la
fois un rôle symbolique et funéraire que nous avons
du mal à saisir. Nous souffrons de l’absence de
témoignages épigraphiques et littéraires qui nous
déchiffrent ces représentations4
. Par exemple pour le
décor de la scène navale de Kef el-Blida5
(figure
11), les chercheurs sont partagés au sujet de la
description de cette peinture et les interprétations qui
ont étaient formulées sont contradictoires. S’agit-il
d’une scène réaliste ou qui a un sens
eschatologique ? Puisqu’il s’agit d’une cène unique,
il est difficile d’établir des parallèles avec d’autres
scènes. Il est également difficile de déterminer
l’origine culturelle de cette scène, sans parler du
problème de sa datation6
. Au demeurant, nous
pouvons affirmer que l’étude des haouanet reste à
faire au moins pour ce qui est de leur datation. En
effet, la majorité des haouanet dérobe à toute
1
Ibidem.
2
Ibidem.
3
Longerstay, Op. Cit., p. 3376-3377.
4
Ibid., p. 3383.
5
Balty, Kef el Blida", p. 244.
6
Longerstay, Ibid., p. 3384.
tentative de datation7
. Si nous pouvons affirmer avec
certitude que quelques un étaient creusés à l’époque
punique et d’autres à l’époque romaine nous
ignorons tout pour la majorité de ces monuments8
. Il
n’est pas souvent aisé de trancher la question.
Numides et Carthaginois ne se distinguaient ni
physiquement ni culturellement. L’interpénétration
des Libyques et des Puniques était grande. La langue
officielle des royaumes numides du troisième et
deuxième siècle avant J.-C. était le Punique. La
religion elle même n’échappait pas à cette fusion des
mondes libyco-berbère et sémitique. Une interaction
se manifeste dans le culte des morts qu’illustrent les
pratiques funéraires et la disposition des monuments
sépulcraux9
.
Selon l'avis de l’éminent spécialiste du monde
pnénico-punique d’Occident Mh. H. Fantar
l’Afrique fut civilisée par les Phéniciens et les
Carthaginois10
ce qui suppose que ces monuments
funéraires sont dus à un savoir faire sémitique
transmis aux Libyens. Effectivement, les rapports
sont évidents entre les représentations pariétales des
haouanet et l'eschatologiee du monde punique.
Seulement, notre connaissance de l’eschatologie
punique elle-même est relative. Quelle est la part de
la composante autochtone ? Dans quelle mesure elle
est influencée par les puniques ? Quelle perception
le Libyen avait-il de ces symboles11
? Voila des
questions aux quelles on ne peut encore répondre.
Par ailleurs, nous sommes certains que les haouanet
renferment des éléments d’influence punique. Nous
pensons aux chambres multiples parmi d’autres
éléments architecturaux qui reflètent une influence
punique12
. A l’île d’al Ghdamsi existent des tombes,
actuellement au dessous du niveau de la mer tout
près du rivage, l’un d’eux ressemble aux tombeaux
phéniciens d’Utique13
. Seulement, la portée des ces
7
Ibidem.
8
Ibidem.
9
Dubuisson-Lipinski, Numidie, p. 317.
10
Fantar, Op. Cit., p. 355-356.
11
Longerstay, Ibid., p. 3383.
12
Ibid., p. 3362-3363.
13
Sayadi, Op. Cit., p. 71.
■
37
éléments ne doit pas être exagérée. Nous ne devons
pas oublier d’autres vérités. Nous sommes certains
que « Carthage au moins jusqu’au sixième siècle n’a
pas de territoire, qu’elle n’est encore qu’une tête
sans corps, sans liens bien perceptibles avec le
monde libyen en marge duquel elle vit, tout en lui
payant tribut »1
. Donc, si influence il y eu elle ne
devait pas être antérieure à cette date. Mieux encore,
l’absence des haouanet aux alentours d’Utique et de
Carthage semble exclure une origine punique et
plaide en faveur d’une pratique numide au sein
d’une population en contact avec le monde punique2
mais non seulement. D’abord, ces monuments
funéraires recèlent des traces d’une grande
authenticité africaine que les recherches futures
pourraient mieux mettre en valeur. A titre
d’exemple, nous remarquons assez souvent dans les
haouanet une association des représentations des
mausolées et des coqs. En effet, le coq marque
l’originalité africaine du décor des ces monuments3
.
D’autre part, les haouanet semblent être la trace
d’une influence méditerranéenne sur l’Afrique4
. La
carte de répartition des haouanet en Afrique du Nord
permet d’avancer cette hypothèse. En effet, celle-ci
reflète une concentration côtière ce qui a fait naître
chez les spécialistes le terme « pays des haouanet».
En effet, on remarque une absence quasi totale de
ces monuments en Afrique de l’Ouest ce qui n’est
pas sans nous interpeller5
. Cette répartition des
haouanet est à mettre sans conteste avec des
influences liées à la Méditerranée. Une ressemblance
1
Lancel, Carthage, p. 24.
2
Longerstay, Op. Cit., p. 3382.
3
Ibid., p. 3383.
4
L’Afrique et les Africains au sein de la Méditerranée est
une question très importante que la recherche n’a jusque
là abordée que de façon superficielle si non ponctuelle.
Les grandes civilisations qui ont touché ce continent ont
souvent fait l’ombre aux Africains. Désormais, cette
question mérite un travail de synthèse au moins et même
une réflexion pluridisciplinaire à grande échelle de la part
de la communauté scientifique. Les jalons de cette œuvre
sont déjà posés et la synthèse s’avère de plus en plus
pressante.
5
Longerstay, Ibid., p. 3362.
effective entre les haouanet et les hypogées de Sicile
orientale de Pantelleria et de Cassibile est admise.
Les monuments siciliens appartiennent à l’âge du
bronze. Cette donnée pourrait elle s’appliquer à la
date des haouanet d’Afrique du Nord dont la
majorité est de chronologie inconnue ?6
. Même si
cette donnée est à ne pas négliger, il ne faut pas
l’affirmer sans précaution. Pour la ville de Monastir,
l’influence de la Sicile semble certaine. Le lieu dit
Skanes à Monastir est en rapport avec les Sicanes de
Sicile. L’appellation Skanes et à rapprocher des
Sicanes habitants de la Sicanie ancien nom de la
Sicile7
. Les Shekelesh seraient les ancêtres des
Sikèles qui ont donné leur nom à la Sicile. Cette
peuplade avait constitué une des branches
essentielles de ce que les spécialistes nomment les
peuples de la mer qui ont sévi en Méditerranée entre
le treizième et le douzième siècles avant J.-C.8
. Ceux
qui se sont penchés sur l’étude du décor pariétal
d’un hanout situé au lieu dit de Kef el Blida près de
Aïn Draham au Nord de la Tunisie illustrant une
scène navale le font remonter à la fin du deuxième
millénaire avant J.-C., même si le mystère de cette
« fresque de l’art rupestre » est encore entier de part
sa datation et son iconographie9
. Le décor des
haouanet en général semble être le résultat d’une
osmose des cultures méditerranéennes de la fin du
deuxième millénaire10
. Les haouanet recèlent aussi
des traces d’une influence étrusque et sarde dans
leurs décors. On pense par exemple au décor
étrusque de Tarquinia11
.
Les haouanet dénotent aussi d’une influence de
l’Orient méditerranéen aussi bien par leur
architectonie que par le décor architectural ou
pariétal qu’ils comportent. Les grottes de l’île d’al
Hammam 12
semblent avoir une grande
6
Ibid., p. 3369.
7
Sayadi, Op. Cit., p. 34.
8
Bunnens, Peuples, p. 347-348.
9
Longerstay, Ibid., p. 3386.
10
Longerstay, Op. Cit., p. 3377.
11
Ibid., p. 3382.
12
Selon l'opinion de Sayadi, ces grottes sont trop vastes
pour ne représenter que des tombes souterraines
■
38
ressemblance avec les tombes semi-souterraines à
coupole en Crète1
. Les études ont mis l’accent sur la
ressemblance des thèmes décoratifs des haouanet
avec ceux des cultures méditerranéennes2
. Bon
nombre d’éléments de la scène peinte de Kef el
Blida permettent d’établir un rapprochement avec
l’Orient méditerranéen tel que la hache bipenne et le
bouclier3
. Les haouanet contiennent des décors
peints en forme des frises de postes qui évoquent les
vagues (hanout Ben Yasla) et de gros poissons
(hanout Jbel Mangoub)4
. De telles représentations
peuvent facilement être mises en rapport avec une
culture maritime par exemple égéenne. En effet,
nous sommes enclin à penser que le décor des
haouanet est en rapport avec une ambiance
méditerranéenne d’époque archaïque plus
précisément égéenne et crétoise en se fondant sur
certains scènes ou certains éléments des scènes
décoratives comme par exemple les protomés de
taureau et les danseurs avec des bovidés5
. Ces
représentations ont vraisemblablement un rapport
avec les scènes tauromachiques du palais de
Cnossos6
. Par ailleurs, les décors sculptés et gravés
de taureaux dans les haouanet ont ils un rapport avec
les bucranes de Chypre ? Cette question n’est pas
épuisée loin de là puisque les haouanet comportent
également des influences égyptiennes évidentes.
Pour ne citer qu’un exemple le thème de la barque
funéraire reflète une influence égyptienne7
.
L’influence de l’Egypte semble ininterrompue en
Afrique depuis des temps très anciens. Du temps de
Carthage aussi l’Egypte se taille la part du lion dans
cette présence massive de l’Orient dont témoigne la
moisson des amulettes et des scarabées trouvés dans
les tombes8
. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer
elles étaient probablement un lieu à caractère sacré. Voir
plus haut la note 2.
1
Godivier et alii, Atlas, p. 148-149 et figure.
2
Longerstay, Op. Cit., p. 3383.
3
Ibid., p. 3372.
4
Ibid., p. 3378-3379 et figures.
5
Ibid., p. 3369 et 3381.
6
Ibid., p. 3373.
7
Ferron, Eschatologie", p. 156-157.
8
S. Lancel, Op. Cit., p. 27.
que les haouanet aussi bien dans leur structure que
dans leur décor témoignent d’une origine
méditerranéenne. Ils semblent être le fruit d’une
osmose du bassin méditerranéen dans l’antiquité
dont le début se situerait à la fin du deuxième
millénaire sans discontinuer. Ils appartiennent à une
koiné méditerranéenne dont faisaient partie les
artisans du monde libyque9
. Prenons le cas des
mausolées d’Afrique du Nord qui remontent à
l’époque hellénistique. Ils sont un mélange
d’éléments autochtones ainsi que d’éléments
puniques et grecques10
. Les haouanet aussi étaient
un mélange subtil d’influences aussi multiples que
variées. Dans cette synthèse, les Libyens n’étaient
pas de serviles imitateurs mais ont fait preuve d’une
personnalité qui est la leur. C’est ce qui a permis à
ceux qui se sont penché sur des questions similaires
d’époque tardive par rapport à l’élaboration des
premières hypogées troglodytes qui nous
préoccupent dans ce cadre d’affirmer que
« l’hellénisme numide est numide »11
c’est à dire
qu’il est le produit de l’élaboration par des
Maghrébins d’un véritable hellénisme numide12
.
Passons à analyser les composantes maritimes de
l’île d’al Ghdamsi à savoir les mouillages et le
balneum. Commençons par attirer l’attention sur la
difficulté de l’étude des vestiges des installations
portuaires. Ces vestiges sont souvent immergés suite
aux variations géologiques du littoral par rapport au
niveau de la mer ce qui rend leur étude très délicate
sur le plan technique et financier. S’ajoute à cela que
l’archéologie insulaire et sous marine n’est qu’à ces
débuts13
. D’autre part, les interprétations sont
souvent délicates puisque rares sont les installations
portuaires qui ont échappé aux remaniements
postérieurs14
. Dans le domaine des études maritimes,
nous souffrons d’un paradoxe éclatant, malgré
l’ouverture de l’Afrique du Nord sur la mer et
9
Longerstay, Op. Cit., p. 3382.
10
Debergh-Lipinski, Mausolée, p. 282-283.
11
Thébert, Op. Cit., p. 197.
12
Ibid., p. 199.
13
Forst, Op. Cit., p. 357.
14
Forst, Ibid., 357.
■
39
l’influence des grandes cultures maritimes dont
surtout celle des Phéniciens et des Romains,
l’Afrique du Nord connaît un retard effarant des
études dans ce créneau. Ceci eu pour conséquence,
l’absence d’une étude d’ensemble des installations
maritimes ce qui n’est pas sans poser d’avantage de
difficultés à celui qui se lance dans l’analyse des
données pareilles. Qu’ils aient eu ou non un rapport
avec l’installation funéraire de l’île d’al Ghdamsi ou
avec une construction à caractère cultuel ou défensif,
les trois mouillages et le balneum sont intéressants à
étudier. Ils méritent même une étude plus
approfondie qui dépasse ce carde. En effet, toutes les
îles côtières de Monastir sont pourvues de
mouillages et de balneum de caractéristiques
similaires. Il serait intéressant de leur consacrer un
travail à part. Comme pour les haouanet cependant,
nous disposons de données très infimes pour étudier
les mouillages et le balneum situés sur l’île d’al
Ghdamsi. Si le balneum n’a livré que des tessons de
céramique d’époque médiévale, les mouillages très
ouverts sur la mer donc soumis aux courants et à
l’action des vagues sont peu aptes à nous livrer
aucun type de mobilier capable de nous permettre de
les dater. De plus, des mouillages a destination non
commerciale comme il semble être le cas ici ont une
faible chance de nous livrer de la céramique. Selon
M. H. Fantar : « jusqu’à la veille de la diaspora
phénicienne, la Méditerranée occidentale était plutôt
dans l’ombre"1
. Sayadi, qui a consacré une
monographie à Monastir, s’est permis de considérer
comme carthaginois les vestiges des établissements
de bains situés sur l’île d’al Ghdamsi2
. Les raisons
de cette opinion nous échappent. Par ailleurs, les
trois mouillages qui font l’objet de notre étude, sont
du type aménagé à l’intérieur des terres profitant des
criques naturelles rocheuses situées sur des côtes
aussi bien rocheuses que sablonneuses. Les
installations maritimes de ce type sont qualifiées de
cothon. C’est un terme grec voulant dire taillé et par
la même artificiel par opposition aux aménagements
1
Fantar, Op. Cit., p. 355.
2
Sayadi, Op. Cit., p. 38.
portuaires naturels3
. La construction de ports de ce
type ne remonte pas au delà du cinquième siècle
avant J.-C. aussi bien dans le monde grec que
carthaginois4
. Les exemples les plus célèbres
souvent cités sont le port de Phalasarna en Crète
situé à l’extrémité Nord-Ouest de l’île et celui de
Carthage. D’autres ports du même modèle posent
encore de sérieux problèmes dont la datation
constitue le volet le plus important. Le port de
Mahdia par exemple qu’on soupçonne fort
d’appartenir à ce même type est encore sans
chronologie précise. La dernière étude qui lui était
consacrée le signale comme remontant à l’époque
punique5
. Des comparaisons minutieuses avec
d’autres exemples pourraient être bénéfiques tels
que celui du port de Milet en Grèce qui est lui aussi
à l’intérieur d’une crique naturelle6
. La datation de
ces mouillages ne peut se faire avec précision dans
l’état actuel de la documentation disponible.
Qu’en est-il du balneum ? Cet établissement n’est
pas le seul à Monastir, les autres îles en renferment
d’autres qu’il est intéressant d’étudier à l’avenir. La
documentation disponible à ce sujet pose problème.
Nous pensons que le dossier relatif à ces
installations maritimes mérite d’être instruit
d’avantage. Ainsi, il reste ouvert en vu d’un
enrichissement futur. Il ne faut pas oublier de
signaler que les rapports des Numides avec la mer
méritent d’être reconsidérés. Il est admis que la
suzeraineté des rois numides s’étendait sur des cités
côtières. Par exemple en deux cent cinq avant J.-C.
la ville de Siga était sous la coupe de Syphax roi des
Massaessyles et les villes de Thapsus et de Rusicade
étaient aux mains de Gaia roi des Massyles7
. La
présence numide sur la côte plus particulièrement au
sahel est beaucoup plus importante qu’on l’a jusqu’
ici souligné. Nous sommes enclins de penser que
même si ces monuments peuvent remonter à
3
Debergh-Lipinski, Op. Cit., p. 121.
4
Cintas, Port, p. 34-37.
5
Younes, Portus, p. p. 26-29.
6
Godivier et alli, Op. Cit., p. 166 et figure.
7
Dubuisson-Lipinski, Op. Cit., p. 317.
■
40
l’époque punique, ils se pourrait bien qu'ils ne soient
pas forcément l’œuvre directe des Carthaginois mais
plutôt celle des Libyens qui ont adhéré à la culture
méditerranéenne de l’époque dont Carthage était
l’une des composantes.
En conclusion, nous pouvons dire que les vestiges de
l’île d’al Ghdamsi n’ont pas encore livré tous leurs
secrets. L’étagement des haouanet est un phénomène
sans doute plus fréquent qu’on le pense dont ces
vestiges sont le témoignage précieux mais qui n’est
lui même qu’un fossile. La possibilité du lien entre
les différentes composantes de cette île est fort
possible même si dans l’état actuel de nos
connaissances peu d’indices nous permettent
d’affirmer ce rapport avec certitude. Sans doute, de
futures études de terrain et des recherches
documentaires plus vastes sont aptes à renforcer
cette hypothèse. Au demeurant, deux problèmes se
posent au sujet des monuments d’al Ghdamsi, le
premier est celui de la datation. Le deuxième est
celui de la place qu’avaient eu les Libyens au sein de
la culture méditerranéenne. Si certains haouanet
remontent avec certitude au temps de la présence
carthaginoise ou romaine, bon nombre d’indices
autorisent une chronologie plus haute qui
remonterait à l’aube du premier millénaire si non
plus loin ainsi que des influences dont l’origine se
situerait en Méditerranée orientale que seules
certains éléments épars permettent d’échafauder
pour l’instant. En effet, aussi bien les haouanet que
les cothons sont la trace de l’adhésion de l’Afrique
dans les courants d’échanges techniques et culturels
en Méditerranée depuis la préhistoire. Ainsi,
l’Afrique n’était ni la découverte de Carthage ni sa
chasse gardée. Nous devons admettre, avec une
résignation provisoire, qu’aussi bien notre
méconnaissance de la culture numide1
que
l’interpénétration des Libyques et des Puniques ne
nous permettent pas pour l’instant de trancher bon
nombre de questions. Par ailleurs, rien que pour les
îles côtières de Monastir, beaucoup de travail reste à
faire puisque ces îles comportent d’autres
1
Ibid., p. 317
mouillages et d’autres bains marins méconnus que
nous n’avons pu que citer hâtivement dans le cadre
limité de ce travail dont l'étude globale serait fort
instructive. A travers de tels indices, il serait
intéressant de pouvoir évaluer à sa juste valeur la
part de la contribution des Africains dans la
construction de cet héritage commun que constitue
la Méditerranée.
■
41
BIBLIOGRAPHIE
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phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 244.
Ben Guith Hmissa, Monuments : E. Ben Guith Hmissa, Les monuments funéraires de tradition
libyque dans le Sahel, Mémoire d’Etudes Approfondies en Archéologie, Université de Tunis I,
2000.
Bonnet-Xella, Pontos : C. Bonnet-P. Xella, "Pontos", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la
civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 356-357.
Bunnens, Peuples de la mer : G. Bunnens, "Peuples de la mer", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la
civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 347-348.
Cintas, Port : P. Cintas, "Le port de Carthage", Extrait du Manuel d’Archéologie Punique, Tome II,
Paris 1973, p. 34-37.
Debergh-Lipinski, Cothon : J. Debergh-E. Lipinski, "Cothon", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la
civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 121.
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Dubuisson-Lipinski, Numidie : M. Dubuisson-E. Lipinski, "Numidie", dans E. Lipinski,
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Fantar, Carthage : M. H. Fantar, Carthage approche d’une civilisation, volume 2, Tunis 1999, p.
355-356.
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punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 357.
Ghaki, Libyque : M. Ghaki, "Le Libyque", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa
trace et son écho, Paris 1995, p. 204-209.
Godivier et alii, Atlas : J. L. Godivier-M. S. Couvercelle-M. M. Gribenski, Atlas D’architecture
mondiale, Paris 1978.
Lancel, Carthage : S. Lancel, "Carthage et les échanges culturels en Méditerranée", dans A. Ben
Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace et son écho, Paris 1995, p. 24.
Lancel-Lipinski, Ruspina : S. Lancel-E. Lipinski, "Ruspina", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la
civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 380.
Lipinski, Eau : E. Lipinski, "Eau", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et
punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 140.
Longerstay, Haouanet : M. Longerstay, Haouanet , Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence 2000,
Tome XXII, p. 3361-3387.
Sayadi, Monastir : M. S. Sayadi, Monastir essai d’histoire sociale du XIXème siècle, Tunis 1979.
Thébert, Royaumes : Y. Thébert, "Royaumes numides et hellénisme", dans A. Ben Abed-J. J.
Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace et son écho, Paris 1995, p. 192-199.
Younes, Portus : A. Younes, "Le portus antiquus gummitanicus, mise à jour à partir de nouveaux
documents archéologiques", dans M. Hassen (directeur), Byzacium antique et Sahil médiéval,
urbanisme et occupation du sol, Tunis 2005.
■
42
LISTE DES FIGURES
Figure 1 : le territoire libyco-phénicien de Monastir : Sayadi, Monastir, p. 72-73, figure 39.
Figure 2 : les vestiges de l’île d’el Ghdamsi au large de Monastir : dessin de l’auteur
Figure 3 : les traces des étages des haouanet au dessus du mouillage ouest (point n° 3 dans la figure
2) : photo de l’auteur.
Figure 4 : la position stratégique du mouillage nord en face de l’île d el Hammam (point n° 2 dans
la figure 2) : photo de l’auteur.
Figure 5 : les banquettes d’accostage taillées dans le roc du mouillage nord : photo de l’auteur
Figure 6 : le mouillage Ouest (point n° 3 dans la figure 2) : photo de l’auteur.
Figure 7 : le mouillage Est (point n° 4 dans la figure 2) : photo de l’auteur.
Figure 8 : traces importantes de coupe de pierre non loin du mouillage Est (point n°7 dans la figure
2) : photo de l’auteur.
Figure 9 : le plan vraisemblablement d’un balneum (point n° 5 dans la figure 2) : Sayadi, Monastir,
p. 42 figure 24.
Figure 10 : les banquettes taillées avec soin du balneum : photo de l’auteur.
Figure 11 : la scène dite navale de Kef el-Blida (près d’Aïn-Draham) : photo de l’auteur.
CATALOGUE DES FIGURES
■
43
Figure 1
Figure 2
Figure 3 Figure 4
■
44
Figure 5 Figure 6
Figure 7 Figure 8
■
45
Figure 9 Figure 10
Figure 11

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Les saintes-maries-de-la-mer-notice-historique-a-chapelle-marseille-1926
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  • 1. ■ 30 Située au centre de la région du Sahel, la cité de Ruspina, le nom antique de l’actuelle Monastir, est l’une des plus importantes cités au sein de cette entité géographique et historique (figure 1)1 . La côte de Monastir et ces îles limitrophes nous fournissent des traces de monuments troglodytes2 que les chercheurs considèrent comme les vestiges de monuments funéraires3 . Particulièrement, la plus 1 En se fondant sur une interprétation de Polybe pour sa description du Byzacène Sayadi est enclin à penser que la cité de Ruspina était le centre de cette entité : Sayadi, Monastir, p. 72-73, figure 39. 2 J'attire l'attention à un monument de taille conséquente creusé dans le roc situé à proximité du marabout de Sid Mansour. Il à l'allure d'un necromanteion, terme grec utilisé pour qualifier un lieu où les Libyques se réunissaient pour invoquer les morts et se livrer à la divination. 3 Au sujet d’un hanout trouvé à Monastir dont la taille est exceptionnellement grande M. Ghaki, s’est demandé s’il s’agit d’une habitation plutôt que d’un monument funéraire. Selon G. Camps, ce monument avait sûrement grande des îles de la côte de Monastir actuellement rattachée à la terre ferme qui est appelée l'île d’al Ghdamsi, du nom d’un Ribat situé à la pointe Nord- Ouest. Elle renferme une série de monuments funéraires dont un groupe de haouanet qui interpelle par son mode de disposition en étages ainsi que trois mouillages aménagés dans le roc situés chacun sur un flanc de l’île et enfin un monument taillé dans le roc qui semble être un établissement de bain marin ; un balneum (figure 2). D'ailleurs, il est appelé Hammam Bent es-Soltan par les habitants de Monastir. Les haouanet de Monastir, dans leur totalité sont estimés, selon un travail récent, au nombre de cinquante4 . Nous pensons que ce chiffre reste très inférieur à la réalité donc de peu de validité. En effet, l’érosion marine intense sur les côtes une vocation funéraire comme l’étaient tous les monuments trouvés à Monastir malgré leur taille exceptionnellement différente du reste des monuments similaires : Ben Guith Hmissa, Monuments, p. 194. 4 Ibid., p. 182.
  • 2. ■ 31 rocheuses des îles du rivage de Monastir et l’activité anthropique prolongée, diversifiée et dévastatrice, sont responsables de la disparition totale si non de la défiguration poussée de la majorité de ces monuments1 ce qui rend leur étude une véritable gageure. Il est plus réaliste, au vue de certaines données d’avancer que cet ensemble de monuments constituait une installation funéraire fort complexe et sans doute très originale si non même exceptionnelle à plusieurs égards. Pour preuve, l’île de la quarantaine, également appelée l’île d’al Wostanya, pourtant de taille nettement plus réduite de celle de sa voisine l’île d’al Ghdamsi, qui nous préoccupe dans ce cadre, présente une succession de haouanet somptueusement adossés, pour ainsi dire, à la petite falaise que trace la côte, en belle régularité, qui n’est pas sans nous interpeller et qu’on croyait étrangère aux vestiges de nature funéraire. Ces monuments sont au nombre de trente trois, selon le décompte présenté dans une figure suggestive qu’on trouve dans le travail de Madame Ben Ghith Hmissa qui est une reprise d’un croquis exécuté par Deyrolle sur terrain dont la vérification n’est plus hélas possible. Une telle donnée, combien précieuse même susceptible d’erreur, nous laisse aisément penser qu’aussi bien île d’al Hammam, que nous étudions ici, que le reste des îles côtières du cap de Monastir étaient bien plus que de simples lieux d’anarchiques ensevelissements. Il est plus que probable qu’avant d’être mutilée à jamais par l’effort conjugué de la mer et des hommes, la falaise de l’île d’al Ghdamsi était elle aussi abondamment pourvue de chambres funéraires. Les haouanet de Monastir, et particulièrement ceux de l’île d’al Ghdamsi étaient sommairement étudiés ce qui eu pour désavantage de laisser encore suspendues plusieurs questions relatives à cette installation funéraire comme celle de la disposition des monuments. Combien vain était notre effort de tenter de comptabiliser le nombre de chambres, si non d’excavations correspondant à peu de chose près à ce qu’était une chambre, le long la partie Nord de cette falaise et sur une distance prise 1 Ibid., p. 194. en guise d’échantillon, pour tenter d’étaler ce résultat, ne serait ce que de façon arithmétique, donc purement estimative, au pourtour de l’île et pourquoi pas au reste des autres îles. Nous n’avons pu aboutir à aucune valeur probante si non à des résultats spéculatifs si nous avions cédé de peu à la tentation de résoudre ce mystère. La dégradation sans précédent de la côte a dit le dernier mot dans cette question. Pourtant, très endommagés les vestiges des haouanet de l’île d’al Ghdamsi révèlent encore des indices évidents et perceptibles, à qui y mette assez de temps et de minutie, d’un aménagement étagé, le plus souvent de deux niveaux et plus rarement de trois niveaux, quand la hauteur de la falaise l’autorise, étalé sur tout le pourtour de cette île dont la trace est aisément visible sur le flanc Ouest de cette île surtout au dessus du mouillage (figure 3). Cette disposition ne manque pas de donner une majesté à l’ensemble, même dans le cadre de résidences mortuaires. En effet, des haouanet surélevés, signalés par les archéologues, nécessitent sans doute une échelle ou même, possibilité non moins envisageable, des escaliers taillés dans le roc pour y accéder2 . Non lion de ces monuments de Monastir, des hypogées de Sicile sont étagés3 . Les haouanet étaient sans doute superposés, l’architecture de ces monuments avait influencé les mausolées-cippes d’époque punique4 . Ceux-ci sont un amalgame entre les mausolées turriformes d’influence grecque et les haouanet libyques. Il n’est pas rare de trouver dans le domaine de l’architecture profane des constructions étagées. Les tombes étant elles aussi des demeures, pourtant d’un type particulier, elles avaient des éléments communs avec les maisons. Aussi bien les ksours berbères que les villes comme Byrsa ou Kerkouane étaient étagées. Une telle densité d’occupation, une aussi riche complexité architecturale ajoutée à l’organisation rigoureuse du site ne peuvent qu’induire une importance des pratiques qu’avait connues cette île. 2 Longerstay, Haouanet, p. 3369. 3 Ibid., p. 3369. 4 Ibid., p. 3363.
  • 3. ■ 32 Seulement, sommes-nous, archéologues d’aujourd’hui, en mesure de les restituer ou au moins de les entrevoir ? Pour le cas de Monastir, mais cette constatation est valable ailleurs, le choix des îles pour l’ensevelissement des morts est compréhensible puisque, selon les affirmations des spécialistes, les haouanet étaient destinés à contenir des cadavres mais aussi des ossements décharnés1 , d’où le désir de choisir un site éloigné des habitations pour des fins funéraires. Comme les haouanet sont des monuments exclusivement funéraires2 ils avaient, en l’occurrence, constitué une sorte de cité des morts. Or, la répartition des ces monuments ne semble aucunement avoir été laissée au hasard. Ailleurs, et sans doute dans ce contexte, les haouanet sont le plus souvent associés parfois par plusieurs dizaines. Ce qui laisse supposer la possibilité que ce sont des espaces familiaux qui faisaient l’objet de cultes funéraires associés ou de visites rituelles3 . Cette pratique n’est pas exclusive à ces monuments. Des groupes de dolmens sont souvent entourés d’enceintes ou de sentiers. L’éminent spécialiste du monde libyque Gabriel Camps pense que ces aménagements servent à délimiter des espaces réservés à des clans ou des familles4 . De même, certains haouanet referment des chambres multiples. Elles sont la trace de cultes funéraires exclusifs d’une famille ou d’un clan5 . On n’est pas en mesure de restituer avec précision la nature du culte qui s’était déroulé dans ces monuments. Nous ne qu'évoquer avec beaucoup de réserve la trace d’épaisses couches de fumée décelées dans un hanout6 . Peut ont la mettre en rapport avec un culte funéraire quelconque ? Une telle hypothèse est à ne pas écarter même si la violation de ces monuments et leurs usages multiples rendent l’utilisation de cet argument peu solide. Le décor des haouanet permet 1 Longerstay, Ibid., p. 3368. 2 Ibid., p. 3362. 3 Ibid., p. 3363. 4 Ben Ghith Hmissa, Op. Cit., p. 186-187. 5 Longerstay, Ibid., p. 3363. 6 Ibid., p. 3376. il de dévoiler le culte funéraire ou l’eschatologie inhérente ? Le décor peint des haouanet laisse entrevoir des scènes rituelles. Un décor représente une danse probablement rituelle7 . Par ailleurs, les monuments funéraires à Monastir ne se limitent pas aux haouanet aussi bien sur l’île d’al Ghdamsi dont nous nous préoccupons que sur les autres îles, il existe une multitude d’auges dont la fonction funéraire est assurée. Carton signale que les auges creusées à l’extérieur des haouanet sont en grand nombre à Monastir8 . Ces fosses sont elles le témoignage des monuments postérieurs ou peut on les considérer comme contemporaines aux haouanet ? La réponse est difficile voire même impossible en l’absence d’éléments fiables de datation. Aussi bien la proéminence de cette île au large de la côte de Monastir, la fréquence des monuments funéraires de tout genre, le caractère funéraire exclusif des ces vestiges, nous laissent facilement penser que cette île avait aussi accueillie, en même temps que les monuments funéraires, un établissement sacré et sans doute des structures inhérentes à celui-ci. Selon toute vraisemblance, les mouillages étaient en liaison avec cette installation à caractère sacré et le balneum taillé dans le roc, qui est d’un soin technique et architectural rare pour la période antique, n’était qu’un auxiliaire indispensable à ce lieu de culte. Selon les conjectures de nos prédécesseurs, la thonaire est construite sur cette île en 1817 semble avoir été édifiée sur les ruines d’une construction très ancienne. De même, sur l’île on trouve une porte taillée dans le roc analogue à l’entrée d’une tombe de Gébal que Renan a dessiné lors de sa mission en Phénicie. Celle-ci communique avec une grotte murée en partie en 1882 avec de grandes pierres taillées qui existent sur le lieu. La photo aérienne prise en 1971 révèle que l’actuelle thonaire n’est due qu’à la remise en état d’un édifice ancien9 . Actuellement les vestiges du Ribat qu’on trouve sur 7 Ibid., p. 3380-3381. 8 Ben Ghith Hmissa, Op. Cit., 201-202. 9 Sayadi, Op. Cit., p. 39.
  • 4. ■ 33 l’île recèlent trois borjs qu’on soupçonne d’avoir fait partie d’un monument antérieur très ancien1 . La position de ce Ribat à la pointe la plus avancée de l’île ainsi que sa situation sur le point le plus culminant ajouté à la proximité du Ribat d’un des plus grands mouillages de l’île en fait un endroit de choix pour un monument à la fois cultuel et de contrôle de ce passage. Une certitude renforce cette hypothèse, mêlés à ce Ribat on trouvé des ruines d’apparence romaine. On y a aussi découvert aussi le pavé d’une chambre avec superbe mosaïque2 . La possibilité de l’existence d’un temple dédié à une divinité marine comme le suggère une des interprétations du nom de ce cap n’est pas à écarter. Le nom de Ruspina qu’on a souvent interprété le cap proéminent3 signifierait plutôt le cap de Pontos dont le nom signifie en grec « mer ». Ce dernier était le dieu du Pont-Euxin aujourd’hui en Mer Noire. Il passait pour une entité divine primordiale liée à la sphère marine qu’on tenait à se concilier4 . L’idéal serait d’effectuer des sondages autour du Ribat afin de vérifier la validité de ces données. Par ailleurs, l’île d’al Ghdamsi contient beaucoup de traces de vestiges de constructions dont seule une étude d’ensemble pourrait identifier aussi bien la fonction que la chronologie. Cette île renferme également des installations maritimes dont on soupçonne le lien avec l’installation cultuelle présumée. Il s’agit des trois mouillages et du monument troglodyte considéré comme un balneum. Dans l’ensemble, l’étude des installations maritimes à caractère commercial, halieutique, militaire ou également thérapeutique est encore très en retard. D’autre part, en général, pour l’antiquité, on n’a pas souvent pris la peine de créer des établissement portuaires ou des mouillages sans doute fort coûteux en effort humain et financier pour l’époque, il arrive que cette tâche avait été jugée inutile par exemple lorsqu’une voie terrestre de commerce débouchait 1 Ibid., p. 39. 2 Ibid., p. 39-40. 3 Lancel-Lipinski, Ruspina, p. 380. 4 Bonnet-Xella, Pontos, p. 356. sur un rivage accore ou bien là où les grandes embarcations amarrées au large étaient desservies par de bateaux capables de s’échouer sur une plage5 . Toutefois, les côtes plates ou exposées et dépourvues d’abris naturels donnèrent naissance à une tradition d’aménagement portuaire très typique. Il s’agit de tirer profit du moindre abri naturel. Dans ce cas, les quais étaient taillés dans le roc des récifs, des caps et des péninsules6 . Ces aménagements s’appellent Cothon selon un terme grec7 . Les mouillages situés sur l’île d’al Ghdamsi à Monastir sont de cette catégorie de monuments. Les mouillages taillés dans le roc de l’île d’al Ghdamsi au large de Monastir sont au nombre de trois. Le mouillage le plus grand est situé à l’extrémité Nord-Ouest et fait face à île d’al Hammam. Il forme avec celle-ci un passage extrêmement serré (figure 4). La situation particulière de ce mouillage en fait un abri très protégé donc fortement apprécié. La taille de cette installation lui confère un rôle éminemment important pour toute sorte de fonctions aussi bien sécuritaires que commerciales. Ce mouillage épouse avec ingéniosité une crique naturelle à la forme d’un trapèze légèrement irrégulier. Il mesure trente mètres de côté sur le flanc Ouest et cinquante sur le flanc Est avec une largeur de onze mètres environ du côté de la terre. La profondeur, que nous n’avons pas encore mesurée, avoisine facilement les dix mètres au plus profond de ce bassin qui reste d’une grande limpidité malgré le temps passé. Le flanc Ouest de ce bassin, qui présente un affleurement de roche assez modéré comparant aux deux autres côtés à la fois très élevés et très abruptes donc impropres à recevoir un aménagement quelconque au niveau de l’eau, comporte une banquette taillée à la hauteur du niveau de la mer et sur toute sa longueur (figure 5). Ce mouillage est situé en dessous du point le plus culminant de l’île et à proximité immédiate du Ribat lui-même fortement soupçonné d’avoir hérité d’un 5 Forst, Port, p. 357. 6 Forst, Op. Cit., p. 357. 7 Debergh-Lipinski, Cothon", p. 121.
  • 5. ■ 34 monument antique militaire ou religieux et pourquoi pas les deux à la fois. Le deuxième mouillage est situé à peu de chose près au milieu de l’île sur la rive Ouest. Il est en forme d’un rectangle d’environ une douzaine de mètres de côté. La pente douce de la roche a permis à ces concepteurs de le munir des trois côtés de banquettes à la hauteur du niveau de la mer ce qui confère à l’ensemble une beauté particulière. Ce mouillage aussi épouse une crique naturelle qui était à la fois accentuée et aménagée pour accueillir cet ouvrage. Ce dernier est moins profond que le mouillage précédent. Par contre, sa situation en dessous de la falaise la plus verticale de cette île et en face de la plus grande concentration de traces de haouanet le met en rapport étroit avec cette installation funéraire (figure 6). Il n’est pas improbable même que c’est elle qui était sa raison d’être. Enfin, le troisième mouillage est situé presque au même alignement que le précédent mais du côté Est de l’île. Il est différent des deux autres puisqu’il est sablonneux. Lui aussi doit sa naissance à une crique naturelle. Il est de taille intermédiaire entre les deux mouillages précédents. Cependant, ce mouillage est sablonneux même s’il se pourrait bien que l’ensablement de ce mouillage s’était accentué faute d’entretien (figure 7). Si nous considérons les vents les plus fréquents, et surtout les plus redoutables, sur cette côte qui sont le plus souvent d’orientation Sud-Est, dont le célèbre mythique et récurrent Mistral méditerranéen, ce mouillage est le plus apprécié surtout par les petites et frêles embarcations. Des traces de coupe de pierre avoisinent ce mouillage (figue 8). Peut être que les chargements lourds des embarcations exigeaient d’accoster sur un rivage sablonneux. Il se peut aussi que l’accessibilité relative de celui-ci a favorisé son usage par les chargeurs de pierres. Le nombre des ces mouillages, les soins donnés à leur emplacement ainsi que la manière dont ils sont aménagés renforce l’idée qu’ils étaient tous au service à la fois d’une affluence importante et récurrente mais également en toute saison ce que le simple besoin d’ensevelir un cadavre ne suffit pas à justifier. Nous allons tenter de voir plus loin les rattachements culturels et chronologiques possibles de tels éléments. Un monument rare dans son genre se trouve sur cette île. Il est nommé par les habitants de Monastir Hammam Bent as-Soltan1 . Sayadi le décrit en ces mots : « c’est un petit endroit, taillé dans le roc, au niveau de la mer, on y pénètre par deux ouvertures pratiquées tout exprès pour entretenir un flux convenable à la propriété et tout autour, il y des bancs, également formés dans le roc » (figure 9). Ce que nous considérons comme balneum est le plus souvent pris à tort pour un vivier de poisson. Nous en trouvons par exemple à Korbous au Cap Bon des installations de ce type qui remontent même à l’époque antique souvent utilisés pour le thon dont cette région est célèbre. Nous pensons qu’une telle hypothèse est insoutenable. Le soin donné à ce monument qu’on remarque à travers les banquettes, l’aménagement d’une partie de ce bassin et autres détails confirment qu’il s’agit d’un établissement balnéaire d’exception et peut-être même unique selon la documentation disponible (figure 10). Ce monument dont la fonction balnéaire est incontestable intrigue. La rareté d’exemplaires similaires, ou c’est ce qui ressort de la documentation disponible, rend la tâche de son étude délicate. Ce monument a fait l’objet d’une étude récente2 . La problématique de notre prédécesseur consistait à déterminer la datation de ce monument. D’après la céramique exhumée lors d’un sondage effectué dans le bassin de cette installation balnéaire, il ne date pas au delà de la période médiévale. Plus précisément, ce monument serait d’époque hafside. Faut-il préciser que les tessons de céramique trouvés dans le bassin de ce balneum n’ont aucun rapport avec l’usage de ce monument mais qu’ils proviennent des tombes d’époque hafside situées au dessus du monument. Ils sont parvenus au fond de ce bassin par l’effet de l’érosion pluviale ou suite à des éboulements. Donc l’utilisation de ces indices 1 Sayadi, Op. Cit., p. 39 et 42, figure 24. 2 Cette étude a été effectuée par Mr Riadh Mrabet. Elle est en cours de publication.
  • 6. ■ 35 pour dater le monument n’est pas fiable. D’autre part, ces tessons même s’ils avaient un rapport solide avec l’utilisation du bassin traduiraient-ils une période d’utilisation due à une remise en état du monument plutôt que la chronologie du creusement de ce balneum ? C’est une hypothèse fort envisageable. La technique de construction de ce monument en fait un édifice rare. L’ensemble des éléments situés sur cette île que constituent les haouanet, dont le nombre et la disposition sont de nature à nous interpeller, les trois mouillages taillés dans le roc, les traces d’un monument de nature probablement cultuelle qui a aujourd’hui disparu, ajouté à cela le nom antique therma appliqué à une cité antique dont les vestiges se situent au Sud de Monastir nous font penser que cet établissement de bain faisait sans doute partie d’un complexe cultuel. Le rapport étroit entre des installations balnéaires et les édifices à caractère religieux ne peuvent que renforcer cette hypothèse. Pour ce qui est du monde phénicien, nous avons des témoignages de l’usage de l’eau à des fins cultuelles ainsi que l’association de l’eau avec des établissements destinés à des rites d’hydrophorie où des divinités étaient vénérées1 . En l’absence de mobilier qui nous permette de dater ces monuments, seules les comparaisons à caractère architectural sont aptes à nous fournir des réponses probantes. Plusieurs conjectures ont été formulées au sujet des vestiges de l’île d’al Ghdamsi. En vérité, elles étaient axées essentiellement sur les haouanet et le balneum. L’étude des mouillages et des constructions antiques présumées de quelque nature qu’elles soient reste à faire. La détermination du rapport de l’ensemble de ces éléments mérite elle aussi une réflexion plus approfondie. Par conséquent, la formulation de réponses lapidaires n’est sans doute pas à l’ordre du jour dans le cadre de cette réflexion à caractère préliminaire. La plupart des érudits se sont préoccupés de situer les haouanet et le balneum dans telle ou telle sphère culturelle et par là même de les fixer dans le temps. 1 Lipinski, Eau, p. 140. Or, ces deux tâches sont en réalité distinctes, même si elles peuvent se rejoindre voire se compléter. Pour ce qui est de l’origine culturelle des monuments, il y a essentiellement deux avis. Certains attribuent ces œuvres aux Numides, en conséquence d’une insertion dynamique dans les cultures méditerranéenne2 alors que d’autres y voient la preuve de l’influence de Carthage phénicienne ou punique3 . A la lumière des quelques données dont nous disposons, nous allons tenter de faire des rapprochements culturels et de dater les différentes composantes de l’île d’al Ghdamsi à savoir les haouanet et les installations maritimes. Pour ce qui est des haouanet, de quels outils disposons-nous pour les étudier ? Concernant ces monuments funéraires les textes littéraires et épigraphiques ne disent rien4 . L’épigraphie et la littérature libyques sont très mal connues au sujet du monde funéraire comme celui du monde profane. Les ossements et la céramique non plus ne nous sont d’aucun secours pour dater ces monuments puisque ces vestiges sont violés la plupart du temps. Ainsi, nous souffrons de l’absence totale si non de la rareté de mobilier funéraire dans ces monuments5 . Les tessons de céramique quand ils existent portent à méfiance puisqu’ils risquent fort de ne pas être originaux. Cependant, les rares tessons recueillis fournissent une datation qui oscille entre la fin du quatrième et le début du premier siècle avant J.-C. Cette fourchette chronologique aussi précieuse qu’elle soit marque, selon les spécialistes, plus une période d’occupation qu’une datation absolue6 . Pour ce qui est des haouanet de Monastir, selon une récente étude qui leur était consacrée, nous apprenons ils étaient violés par conséquent ils n’ont livré aucun tesson de céramique. De plus, ils n’ont livré aucun ossement7 . Même au cas où il y en aurait 2 Longerstay, Op. Cit., p. 3383 ; Thébert, Royaumes, p. 192-199. 3 Fantar, Carthage, p. 355-356. 4 Ghaki, Libyque, p. 204-209, p. 206. 5 Longerstay, Op. Cit., p. 3362. 6 Ibib., p. 3384. 7 Ben Guith Hmissa, Op. Cit., p. 202.
  • 7. ■ 36 eu, leur datation ne serait pas fiable vu que ces monuments étaient violés depuis longtemps1 . L’étude architectonique est quelquefois susceptible de nous éclairer sur ces monuments. Faut il préciser que l’utilisation de telles données est une gageure souvent trop risquée. L’architecture connaît souvent un entassement d’indices de périodes et de cultures le plus souvent éloignées qu’il est difficile de démêler avec assurance. Pour ne citer qu’un seul exemple, l’aménagement des fosses dans les haouanet est souvent considéré comme un élément d’inspiration punique2 . Cependant, rien ne nous permet de déterminer si ces fosses sont postérieures ou non à ces monuments. Nous disposons d’un autre type d’indice pour étudier les haouanet. Il s’agit du décor aussi bien architectural que pariétal. En effet, un tel élément peut nous permettre de dater les haouanet et identifier la culture à laquelle ils appartiennent3 . Cependant, l’interprétation de ces scènes nous pose parfois de sérieux problèmes. En effet, les représentations des haouanet avaient à la fois un rôle symbolique et funéraire que nous avons du mal à saisir. Nous souffrons de l’absence de témoignages épigraphiques et littéraires qui nous déchiffrent ces représentations4 . Par exemple pour le décor de la scène navale de Kef el-Blida5 (figure 11), les chercheurs sont partagés au sujet de la description de cette peinture et les interprétations qui ont étaient formulées sont contradictoires. S’agit-il d’une scène réaliste ou qui a un sens eschatologique ? Puisqu’il s’agit d’une cène unique, il est difficile d’établir des parallèles avec d’autres scènes. Il est également difficile de déterminer l’origine culturelle de cette scène, sans parler du problème de sa datation6 . Au demeurant, nous pouvons affirmer que l’étude des haouanet reste à faire au moins pour ce qui est de leur datation. En effet, la majorité des haouanet dérobe à toute 1 Ibidem. 2 Ibidem. 3 Longerstay, Op. Cit., p. 3376-3377. 4 Ibid., p. 3383. 5 Balty, Kef el Blida", p. 244. 6 Longerstay, Ibid., p. 3384. tentative de datation7 . Si nous pouvons affirmer avec certitude que quelques un étaient creusés à l’époque punique et d’autres à l’époque romaine nous ignorons tout pour la majorité de ces monuments8 . Il n’est pas souvent aisé de trancher la question. Numides et Carthaginois ne se distinguaient ni physiquement ni culturellement. L’interpénétration des Libyques et des Puniques était grande. La langue officielle des royaumes numides du troisième et deuxième siècle avant J.-C. était le Punique. La religion elle même n’échappait pas à cette fusion des mondes libyco-berbère et sémitique. Une interaction se manifeste dans le culte des morts qu’illustrent les pratiques funéraires et la disposition des monuments sépulcraux9 . Selon l'avis de l’éminent spécialiste du monde pnénico-punique d’Occident Mh. H. Fantar l’Afrique fut civilisée par les Phéniciens et les Carthaginois10 ce qui suppose que ces monuments funéraires sont dus à un savoir faire sémitique transmis aux Libyens. Effectivement, les rapports sont évidents entre les représentations pariétales des haouanet et l'eschatologiee du monde punique. Seulement, notre connaissance de l’eschatologie punique elle-même est relative. Quelle est la part de la composante autochtone ? Dans quelle mesure elle est influencée par les puniques ? Quelle perception le Libyen avait-il de ces symboles11 ? Voila des questions aux quelles on ne peut encore répondre. Par ailleurs, nous sommes certains que les haouanet renferment des éléments d’influence punique. Nous pensons aux chambres multiples parmi d’autres éléments architecturaux qui reflètent une influence punique12 . A l’île d’al Ghdamsi existent des tombes, actuellement au dessous du niveau de la mer tout près du rivage, l’un d’eux ressemble aux tombeaux phéniciens d’Utique13 . Seulement, la portée des ces 7 Ibidem. 8 Ibidem. 9 Dubuisson-Lipinski, Numidie, p. 317. 10 Fantar, Op. Cit., p. 355-356. 11 Longerstay, Ibid., p. 3383. 12 Ibid., p. 3362-3363. 13 Sayadi, Op. Cit., p. 71.
  • 8. ■ 37 éléments ne doit pas être exagérée. Nous ne devons pas oublier d’autres vérités. Nous sommes certains que « Carthage au moins jusqu’au sixième siècle n’a pas de territoire, qu’elle n’est encore qu’une tête sans corps, sans liens bien perceptibles avec le monde libyen en marge duquel elle vit, tout en lui payant tribut »1 . Donc, si influence il y eu elle ne devait pas être antérieure à cette date. Mieux encore, l’absence des haouanet aux alentours d’Utique et de Carthage semble exclure une origine punique et plaide en faveur d’une pratique numide au sein d’une population en contact avec le monde punique2 mais non seulement. D’abord, ces monuments funéraires recèlent des traces d’une grande authenticité africaine que les recherches futures pourraient mieux mettre en valeur. A titre d’exemple, nous remarquons assez souvent dans les haouanet une association des représentations des mausolées et des coqs. En effet, le coq marque l’originalité africaine du décor des ces monuments3 . D’autre part, les haouanet semblent être la trace d’une influence méditerranéenne sur l’Afrique4 . La carte de répartition des haouanet en Afrique du Nord permet d’avancer cette hypothèse. En effet, celle-ci reflète une concentration côtière ce qui a fait naître chez les spécialistes le terme « pays des haouanet». En effet, on remarque une absence quasi totale de ces monuments en Afrique de l’Ouest ce qui n’est pas sans nous interpeller5 . Cette répartition des haouanet est à mettre sans conteste avec des influences liées à la Méditerranée. Une ressemblance 1 Lancel, Carthage, p. 24. 2 Longerstay, Op. Cit., p. 3382. 3 Ibid., p. 3383. 4 L’Afrique et les Africains au sein de la Méditerranée est une question très importante que la recherche n’a jusque là abordée que de façon superficielle si non ponctuelle. Les grandes civilisations qui ont touché ce continent ont souvent fait l’ombre aux Africains. Désormais, cette question mérite un travail de synthèse au moins et même une réflexion pluridisciplinaire à grande échelle de la part de la communauté scientifique. Les jalons de cette œuvre sont déjà posés et la synthèse s’avère de plus en plus pressante. 5 Longerstay, Ibid., p. 3362. effective entre les haouanet et les hypogées de Sicile orientale de Pantelleria et de Cassibile est admise. Les monuments siciliens appartiennent à l’âge du bronze. Cette donnée pourrait elle s’appliquer à la date des haouanet d’Afrique du Nord dont la majorité est de chronologie inconnue ?6 . Même si cette donnée est à ne pas négliger, il ne faut pas l’affirmer sans précaution. Pour la ville de Monastir, l’influence de la Sicile semble certaine. Le lieu dit Skanes à Monastir est en rapport avec les Sicanes de Sicile. L’appellation Skanes et à rapprocher des Sicanes habitants de la Sicanie ancien nom de la Sicile7 . Les Shekelesh seraient les ancêtres des Sikèles qui ont donné leur nom à la Sicile. Cette peuplade avait constitué une des branches essentielles de ce que les spécialistes nomment les peuples de la mer qui ont sévi en Méditerranée entre le treizième et le douzième siècles avant J.-C.8 . Ceux qui se sont penchés sur l’étude du décor pariétal d’un hanout situé au lieu dit de Kef el Blida près de Aïn Draham au Nord de la Tunisie illustrant une scène navale le font remonter à la fin du deuxième millénaire avant J.-C., même si le mystère de cette « fresque de l’art rupestre » est encore entier de part sa datation et son iconographie9 . Le décor des haouanet en général semble être le résultat d’une osmose des cultures méditerranéennes de la fin du deuxième millénaire10 . Les haouanet recèlent aussi des traces d’une influence étrusque et sarde dans leurs décors. On pense par exemple au décor étrusque de Tarquinia11 . Les haouanet dénotent aussi d’une influence de l’Orient méditerranéen aussi bien par leur architectonie que par le décor architectural ou pariétal qu’ils comportent. Les grottes de l’île d’al Hammam 12 semblent avoir une grande 6 Ibid., p. 3369. 7 Sayadi, Op. Cit., p. 34. 8 Bunnens, Peuples, p. 347-348. 9 Longerstay, Ibid., p. 3386. 10 Longerstay, Op. Cit., p. 3377. 11 Ibid., p. 3382. 12 Selon l'opinion de Sayadi, ces grottes sont trop vastes pour ne représenter que des tombes souterraines
  • 9. ■ 38 ressemblance avec les tombes semi-souterraines à coupole en Crète1 . Les études ont mis l’accent sur la ressemblance des thèmes décoratifs des haouanet avec ceux des cultures méditerranéennes2 . Bon nombre d’éléments de la scène peinte de Kef el Blida permettent d’établir un rapprochement avec l’Orient méditerranéen tel que la hache bipenne et le bouclier3 . Les haouanet contiennent des décors peints en forme des frises de postes qui évoquent les vagues (hanout Ben Yasla) et de gros poissons (hanout Jbel Mangoub)4 . De telles représentations peuvent facilement être mises en rapport avec une culture maritime par exemple égéenne. En effet, nous sommes enclin à penser que le décor des haouanet est en rapport avec une ambiance méditerranéenne d’époque archaïque plus précisément égéenne et crétoise en se fondant sur certains scènes ou certains éléments des scènes décoratives comme par exemple les protomés de taureau et les danseurs avec des bovidés5 . Ces représentations ont vraisemblablement un rapport avec les scènes tauromachiques du palais de Cnossos6 . Par ailleurs, les décors sculptés et gravés de taureaux dans les haouanet ont ils un rapport avec les bucranes de Chypre ? Cette question n’est pas épuisée loin de là puisque les haouanet comportent également des influences égyptiennes évidentes. Pour ne citer qu’un exemple le thème de la barque funéraire reflète une influence égyptienne7 . L’influence de l’Egypte semble ininterrompue en Afrique depuis des temps très anciens. Du temps de Carthage aussi l’Egypte se taille la part du lion dans cette présence massive de l’Orient dont témoigne la moisson des amulettes et des scarabées trouvés dans les tombes8 . Nous pouvons d’ores et déjà affirmer elles étaient probablement un lieu à caractère sacré. Voir plus haut la note 2. 1 Godivier et alii, Atlas, p. 148-149 et figure. 2 Longerstay, Op. Cit., p. 3383. 3 Ibid., p. 3372. 4 Ibid., p. 3378-3379 et figures. 5 Ibid., p. 3369 et 3381. 6 Ibid., p. 3373. 7 Ferron, Eschatologie", p. 156-157. 8 S. Lancel, Op. Cit., p. 27. que les haouanet aussi bien dans leur structure que dans leur décor témoignent d’une origine méditerranéenne. Ils semblent être le fruit d’une osmose du bassin méditerranéen dans l’antiquité dont le début se situerait à la fin du deuxième millénaire sans discontinuer. Ils appartiennent à une koiné méditerranéenne dont faisaient partie les artisans du monde libyque9 . Prenons le cas des mausolées d’Afrique du Nord qui remontent à l’époque hellénistique. Ils sont un mélange d’éléments autochtones ainsi que d’éléments puniques et grecques10 . Les haouanet aussi étaient un mélange subtil d’influences aussi multiples que variées. Dans cette synthèse, les Libyens n’étaient pas de serviles imitateurs mais ont fait preuve d’une personnalité qui est la leur. C’est ce qui a permis à ceux qui se sont penché sur des questions similaires d’époque tardive par rapport à l’élaboration des premières hypogées troglodytes qui nous préoccupent dans ce cadre d’affirmer que « l’hellénisme numide est numide »11 c’est à dire qu’il est le produit de l’élaboration par des Maghrébins d’un véritable hellénisme numide12 . Passons à analyser les composantes maritimes de l’île d’al Ghdamsi à savoir les mouillages et le balneum. Commençons par attirer l’attention sur la difficulté de l’étude des vestiges des installations portuaires. Ces vestiges sont souvent immergés suite aux variations géologiques du littoral par rapport au niveau de la mer ce qui rend leur étude très délicate sur le plan technique et financier. S’ajoute à cela que l’archéologie insulaire et sous marine n’est qu’à ces débuts13 . D’autre part, les interprétations sont souvent délicates puisque rares sont les installations portuaires qui ont échappé aux remaniements postérieurs14 . Dans le domaine des études maritimes, nous souffrons d’un paradoxe éclatant, malgré l’ouverture de l’Afrique du Nord sur la mer et 9 Longerstay, Op. Cit., p. 3382. 10 Debergh-Lipinski, Mausolée, p. 282-283. 11 Thébert, Op. Cit., p. 197. 12 Ibid., p. 199. 13 Forst, Op. Cit., p. 357. 14 Forst, Ibid., 357.
  • 10. ■ 39 l’influence des grandes cultures maritimes dont surtout celle des Phéniciens et des Romains, l’Afrique du Nord connaît un retard effarant des études dans ce créneau. Ceci eu pour conséquence, l’absence d’une étude d’ensemble des installations maritimes ce qui n’est pas sans poser d’avantage de difficultés à celui qui se lance dans l’analyse des données pareilles. Qu’ils aient eu ou non un rapport avec l’installation funéraire de l’île d’al Ghdamsi ou avec une construction à caractère cultuel ou défensif, les trois mouillages et le balneum sont intéressants à étudier. Ils méritent même une étude plus approfondie qui dépasse ce carde. En effet, toutes les îles côtières de Monastir sont pourvues de mouillages et de balneum de caractéristiques similaires. Il serait intéressant de leur consacrer un travail à part. Comme pour les haouanet cependant, nous disposons de données très infimes pour étudier les mouillages et le balneum situés sur l’île d’al Ghdamsi. Si le balneum n’a livré que des tessons de céramique d’époque médiévale, les mouillages très ouverts sur la mer donc soumis aux courants et à l’action des vagues sont peu aptes à nous livrer aucun type de mobilier capable de nous permettre de les dater. De plus, des mouillages a destination non commerciale comme il semble être le cas ici ont une faible chance de nous livrer de la céramique. Selon M. H. Fantar : « jusqu’à la veille de la diaspora phénicienne, la Méditerranée occidentale était plutôt dans l’ombre"1 . Sayadi, qui a consacré une monographie à Monastir, s’est permis de considérer comme carthaginois les vestiges des établissements de bains situés sur l’île d’al Ghdamsi2 . Les raisons de cette opinion nous échappent. Par ailleurs, les trois mouillages qui font l’objet de notre étude, sont du type aménagé à l’intérieur des terres profitant des criques naturelles rocheuses situées sur des côtes aussi bien rocheuses que sablonneuses. Les installations maritimes de ce type sont qualifiées de cothon. C’est un terme grec voulant dire taillé et par la même artificiel par opposition aux aménagements 1 Fantar, Op. Cit., p. 355. 2 Sayadi, Op. Cit., p. 38. portuaires naturels3 . La construction de ports de ce type ne remonte pas au delà du cinquième siècle avant J.-C. aussi bien dans le monde grec que carthaginois4 . Les exemples les plus célèbres souvent cités sont le port de Phalasarna en Crète situé à l’extrémité Nord-Ouest de l’île et celui de Carthage. D’autres ports du même modèle posent encore de sérieux problèmes dont la datation constitue le volet le plus important. Le port de Mahdia par exemple qu’on soupçonne fort d’appartenir à ce même type est encore sans chronologie précise. La dernière étude qui lui était consacrée le signale comme remontant à l’époque punique5 . Des comparaisons minutieuses avec d’autres exemples pourraient être bénéfiques tels que celui du port de Milet en Grèce qui est lui aussi à l’intérieur d’une crique naturelle6 . La datation de ces mouillages ne peut se faire avec précision dans l’état actuel de la documentation disponible. Qu’en est-il du balneum ? Cet établissement n’est pas le seul à Monastir, les autres îles en renferment d’autres qu’il est intéressant d’étudier à l’avenir. La documentation disponible à ce sujet pose problème. Nous pensons que le dossier relatif à ces installations maritimes mérite d’être instruit d’avantage. Ainsi, il reste ouvert en vu d’un enrichissement futur. Il ne faut pas oublier de signaler que les rapports des Numides avec la mer méritent d’être reconsidérés. Il est admis que la suzeraineté des rois numides s’étendait sur des cités côtières. Par exemple en deux cent cinq avant J.-C. la ville de Siga était sous la coupe de Syphax roi des Massaessyles et les villes de Thapsus et de Rusicade étaient aux mains de Gaia roi des Massyles7 . La présence numide sur la côte plus particulièrement au sahel est beaucoup plus importante qu’on l’a jusqu’ ici souligné. Nous sommes enclins de penser que même si ces monuments peuvent remonter à 3 Debergh-Lipinski, Op. Cit., p. 121. 4 Cintas, Port, p. 34-37. 5 Younes, Portus, p. p. 26-29. 6 Godivier et alli, Op. Cit., p. 166 et figure. 7 Dubuisson-Lipinski, Op. Cit., p. 317.
  • 11. ■ 40 l’époque punique, ils se pourrait bien qu'ils ne soient pas forcément l’œuvre directe des Carthaginois mais plutôt celle des Libyens qui ont adhéré à la culture méditerranéenne de l’époque dont Carthage était l’une des composantes. En conclusion, nous pouvons dire que les vestiges de l’île d’al Ghdamsi n’ont pas encore livré tous leurs secrets. L’étagement des haouanet est un phénomène sans doute plus fréquent qu’on le pense dont ces vestiges sont le témoignage précieux mais qui n’est lui même qu’un fossile. La possibilité du lien entre les différentes composantes de cette île est fort possible même si dans l’état actuel de nos connaissances peu d’indices nous permettent d’affirmer ce rapport avec certitude. Sans doute, de futures études de terrain et des recherches documentaires plus vastes sont aptes à renforcer cette hypothèse. Au demeurant, deux problèmes se posent au sujet des monuments d’al Ghdamsi, le premier est celui de la datation. Le deuxième est celui de la place qu’avaient eu les Libyens au sein de la culture méditerranéenne. Si certains haouanet remontent avec certitude au temps de la présence carthaginoise ou romaine, bon nombre d’indices autorisent une chronologie plus haute qui remonterait à l’aube du premier millénaire si non plus loin ainsi que des influences dont l’origine se situerait en Méditerranée orientale que seules certains éléments épars permettent d’échafauder pour l’instant. En effet, aussi bien les haouanet que les cothons sont la trace de l’adhésion de l’Afrique dans les courants d’échanges techniques et culturels en Méditerranée depuis la préhistoire. Ainsi, l’Afrique n’était ni la découverte de Carthage ni sa chasse gardée. Nous devons admettre, avec une résignation provisoire, qu’aussi bien notre méconnaissance de la culture numide1 que l’interpénétration des Libyques et des Puniques ne nous permettent pas pour l’instant de trancher bon nombre de questions. Par ailleurs, rien que pour les îles côtières de Monastir, beaucoup de travail reste à faire puisque ces îles comportent d’autres 1 Ibid., p. 317 mouillages et d’autres bains marins méconnus que nous n’avons pu que citer hâtivement dans le cadre limité de ce travail dont l'étude globale serait fort instructive. A travers de tels indices, il serait intéressant de pouvoir évaluer à sa juste valeur la part de la contribution des Africains dans la construction de cet héritage commun que constitue la Méditerranée.
  • 12. ■ 41 BIBLIOGRAPHIE Balty, Kef el Blida : J. Balty, "Kef el Blida", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 244. Ben Guith Hmissa, Monuments : E. Ben Guith Hmissa, Les monuments funéraires de tradition libyque dans le Sahel, Mémoire d’Etudes Approfondies en Archéologie, Université de Tunis I, 2000. Bonnet-Xella, Pontos : C. Bonnet-P. Xella, "Pontos", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 356-357. Bunnens, Peuples de la mer : G. Bunnens, "Peuples de la mer", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 347-348. Cintas, Port : P. Cintas, "Le port de Carthage", Extrait du Manuel d’Archéologie Punique, Tome II, Paris 1973, p. 34-37. Debergh-Lipinski, Cothon : J. Debergh-E. Lipinski, "Cothon", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 121. Debergh-Lipinski, Mausolée : J. Debergh-E. Lipinski, "Mausolée", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992p. 282-283. Dubuisson-Lipinski, Numidie : M. Dubuisson-E. Lipinski, "Numidie", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 317. Fantar, Carthage : M. H. Fantar, Carthage approche d’une civilisation, volume 2, Tunis 1999, p. 355-356. Ferron, Eschatologie : J. Ferron, "Eschatologie", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 156-157. Forst, Port : H. Forst, "Port", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 357. Ghaki, Libyque : M. Ghaki, "Le Libyque", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace et son écho, Paris 1995, p. 204-209. Godivier et alii, Atlas : J. L. Godivier-M. S. Couvercelle-M. M. Gribenski, Atlas D’architecture mondiale, Paris 1978. Lancel, Carthage : S. Lancel, "Carthage et les échanges culturels en Méditerranée", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace et son écho, Paris 1995, p. 24. Lancel-Lipinski, Ruspina : S. Lancel-E. Lipinski, "Ruspina", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 380. Lipinski, Eau : E. Lipinski, "Eau", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 140. Longerstay, Haouanet : M. Longerstay, Haouanet , Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence 2000, Tome XXII, p. 3361-3387. Sayadi, Monastir : M. S. Sayadi, Monastir essai d’histoire sociale du XIXème siècle, Tunis 1979. Thébert, Royaumes : Y. Thébert, "Royaumes numides et hellénisme", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace et son écho, Paris 1995, p. 192-199. Younes, Portus : A. Younes, "Le portus antiquus gummitanicus, mise à jour à partir de nouveaux documents archéologiques", dans M. Hassen (directeur), Byzacium antique et Sahil médiéval, urbanisme et occupation du sol, Tunis 2005.
  • 13. ■ 42 LISTE DES FIGURES Figure 1 : le territoire libyco-phénicien de Monastir : Sayadi, Monastir, p. 72-73, figure 39. Figure 2 : les vestiges de l’île d’el Ghdamsi au large de Monastir : dessin de l’auteur Figure 3 : les traces des étages des haouanet au dessus du mouillage ouest (point n° 3 dans la figure 2) : photo de l’auteur. Figure 4 : la position stratégique du mouillage nord en face de l’île d el Hammam (point n° 2 dans la figure 2) : photo de l’auteur. Figure 5 : les banquettes d’accostage taillées dans le roc du mouillage nord : photo de l’auteur Figure 6 : le mouillage Ouest (point n° 3 dans la figure 2) : photo de l’auteur. Figure 7 : le mouillage Est (point n° 4 dans la figure 2) : photo de l’auteur. Figure 8 : traces importantes de coupe de pierre non loin du mouillage Est (point n°7 dans la figure 2) : photo de l’auteur. Figure 9 : le plan vraisemblablement d’un balneum (point n° 5 dans la figure 2) : Sayadi, Monastir, p. 42 figure 24. Figure 10 : les banquettes taillées avec soin du balneum : photo de l’auteur. Figure 11 : la scène dite navale de Kef el-Blida (près d’Aïn-Draham) : photo de l’auteur. CATALOGUE DES FIGURES
  • 15. ■ 44 Figure 5 Figure 6 Figure 7 Figure 8
  • 16. ■ 45 Figure 9 Figure 10 Figure 11