Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
- 1. ADVERBE ET PRÉPOSITION : COUSIN, COUSINE ?
Dan Van Raemdonck
De Boeck Université | Travaux de linguistique
2001/1 - no42-43
pages 59 à 70
ISSN 0082-6049
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2001-1-page-59.htm
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Pour citer cet article :
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Van Raemdonck Dan , « Adverbe et préposition : cousin, cousine ? » ,
Travaux de linguistique, 2001/1 no42-43, p. 59-70. DOI : 10.3917/tl.042.059
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- 2. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
ADVERBE ET PRÉPOSITION :
COUSIN, COUSINE ?
DAN VAN RAEMDONCK*
Université Libre de Bruxelles
Enfermés dans le sous-ensemble traditionnel des parties du discours
invariables, la préposition et l’adverbe partagent incontestablement certains
traits et ont été souvent liés dans l’analyse : invariabilité – évidemment –,
proximité de ces deux parties du discours dans la constitution des
compléments circonstanciels, équivalence reconnue – voire exigée par
certains (Port-Royal, notamment) – entre adverbe et syntagme
prépositionnel, emploi adverbial de la préposition sans régime…
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Nous essayerons de comparer les places et fonctionnements respectifs
de la préposition et de l’adverbe dans le cadre d’un système
morphosyntaxique particulier : un sous-système de parties de langue (ou
natures) organisé autour du critère de l’extension ; un sous-système de parties
de discours (ou fonctions) organisé autour du critère de l’incidence.
Notre contribution devrait permettre de classer ce qui incombe à la
préposition ou à l’adverbe dans les difficultés qu’éprouve la grammaire à
traiter ces deux parties de langue et de discours, et ce, donc, tant du point de
vue de leur nature que de celui de leur fonction. Pour ce faire, nous
envisagerons successivement trois types de parentés : la parenté génétique,
la parenté morphologique et la parenté syntaxique. À maints égards, notre
propos consiste à ouvrir des pistes de réflexion plutôt qu’à asséner des vérités
non autrement révélées.
1. La parenté génétique
La parenté génétique entre préposition et adverbe est à envisager sous deux
angles : celui de l’équivalence entre l’adverbe et le groupe « préposition +
nom », et celui de l’hypothèse communément admise de la genèse de la
préposition à partir de l’adverbe.
* Université Libre de Bruxelles – Faculté de Philosophie et Lettres - CP 175, –
50 avenue F. D. Roosevelt, 1050 Bruxelles (Belgique). – Tél : +322 6504442. –
Courriel : dvanraem@ulb.ac.be
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- 3. Dan VAN RAEMDONCK
1.1. L’équation adverbe = préposition + nom
La Grammaire Générale et Raisonnée de Port-Royal (1660) est à l’origine
d’un courant dont la fortune fut énorme : l’équation « adverbe = préposition
+ nom ».
Pour Arnauld et Lancelot, l’adverbe a peu d’intérêt. C’est un mot
doublement secondaire : d’abord par rapport au schéma préposition + nom,
ensuite par rapport au substantif décliné à certains cas (ici l’ablatif). Ces
adverbes ont été créés dans une finalité bien précise (1660 : 88) :
Le désir que les hommes ont d’abréger le discours, est ce qui a donné lieu
aux Adverbes. Car la plupart de ces particules ne sont que pour signifier en
un seul mot, ce qu’on ne pourrait marquer que par une préposition & un
nom : comme sapienter, sagement, pour cum sapientia, avec sagesse : hodie
pour in hoc die, aujourd’hui.
La classe de l’adverbe répond donc à la nécessité de l’économie dans un
système linguistique.
Cette conception de l’adverbe, équivalent sémantique et fonctionnel
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du groupe préposition + nom, va prendre de l’ampleur au XVIIIe siècle,
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avec la grammaire générale. On la retrouve notamment chez les
grammairiens de l’Encyclopédie, Dumarsais et Beauzée. Chez ces auteurs,
on observe d’ailleurs une inversion de perspective par rapport à Port-Royal.
L’équation « adverbe = préposition + nom » suppose une connaissance
préalable de la classe des adverbes et une vérification a posteriori de la
validité de l’équation : il suffit de prendre n’importe quel mot et de voir si la
substitution est possible pour avoir un adverbe. Cependant, s’il y a
équivalence adverbe/préposition + nom (phrase adverbiale), Beauzée refuse
la synonymie parfaite, au nom du principe d’économie (1767 : II, 548),
même si cela ne l’empêche pas d’y revenir par la suite (1767: II, 567) :
Il est constant qu’une préposition avec son complément, est l’équivalent
d’un adverbe, et que tout mot qui est l’équivalent d’une préposition avec
son complément est un adverbe.
Cette conception de l’équivalence adverbe = préposition + nom, « où le
transformationalisme reconnaîtra un des acquis majeurs de la grammaire
générale : la conversion elliptique » (Droixhe, 1977 : 54), sera reprise
explicitement par Chomsky et la grammaire générative et
transformationnelle.
Les critiques de la définition de l’adverbe par l’équation « adverbe =
préposition + nom » n’ont pas manqué (notamment Fauleau 1786, Loneux
1799 et Thiébault 1802), critiques qui peuvent se résumer ainsi :
• On ne définit pas un mot par ce à quoi il est équivalent ;
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- 4. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
• L’équation n’est pas réciproque ;
• Certains adjectifs (juste = de justice) et certains pronoms (me = à
moi) acceptent une telle décomposition ;
• Tous les adverbes ne se laissent pas décomposer.
Même si la conception se maintient, elle ne permet guère de définir
correctement la classe des adverbes, considérés comme accessoires.
L’adverbe n’y serait qu’une forme secondaire prise, après transformation,
par des mots appartenant à d’autres classes. De plus, une telle conception
procède de la confusion entre les plans de nature (adverbe) et de fonction
(la fonction adverbiale du syntagme prépositionnel).
1.2. L’hypothèse de la genèse de la préposition
Pour faire le départ entre préposition et adverbe, il faut procéder à niveau
équivalent et considérer la parenté entre la préposition et l’adverbe en tant
que classes de mots.
L’hypothèse généralement admise (rappelée par Cervoni 1991) revient
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à dériver la classe des prépositions de celle des adverbes. Dans les langues
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à cas, l’adverbe serait venu s’insérer entre le verbe et son complément pourvu
d’un cas afin de pallier les déficiences d’expression, de préciser davantage
les rapports de signification. À partir d’une situation où l’on n’observe pas
de rapport de cas entre l’adverbe et le nom, et suite à une multiplication des
mises en rapport « adverbe-nom pourvu de cas », on assiste à l’apparition
d’un phénomène conçu comme rection. De l’adverbe rattaché au verbe (ou
à une relation entre le verbe et son complément), on est dès lors passé à la
préposition régissant le nom. La morphologie intégrée (cas) est remplacée
par une morphologie externe qui marque les rapports de signification à l’aide
de morphèmes séparés.
2. La parenté morphologique
Pour pouvoir juger de la parenté morphologique entre prépositions et
adverbes, il faut les inscrire dans un double système de parties de langue
(natures) et de parties de discours (fonctions), dans lequel ces classes
occuperaient une place relativement à la place occupée par les autres parties
de langue ou de discours. Après avoir présenté le système guillaumien, qui
a le mérite du caractère systématique, nous tenterons d’en proposer un second
qui pallie les faiblesses constatées.
2.1. Le système guillaumien des classes de mots
Chez Guillaume, les huit parties de langue (l’interjection est exclue du
nombre) se répartissent en deux groupes :
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- 5. Dan VAN RAEMDONCK
• Les parties de langue prédicatives regroupe des mots qui désignent
une notion (désignatifs). Ces mots sont pourvus d’une incidence
(relation entre apport et support de signification). Ce sont les noms,
adjectifs, verbes et adverbes. Dans le système, l’adverbe occupe une
position charnière entre les parties du discours prédicatives, dont il
clôt la série au niveau le plus élevé d’abstraction, et les parties du
discours non prédicatives. Tout ce qui relève de l’incidence externe
du second degré (incidence à une incidence en cours, à une relation
entre deux termes) sera défini comme adverbe.
• Le système des parties de langue non prédicatives a, contrairement
au système des parties prédicatives, été peu étudié dans la littérature
psychomécanique. Moignet (1981), le premier, dresse un tableau
général pour le français ; Guimier (1988 : 31) le reprend pour
l’amender :
Les parties de langue non prédicatives ont été définies comme des mots
dont le signifié matériel est une forme en position de matière. Leur apport
de signification est constitué par un mouvement permettant l’appréhension
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des notions véhiculées par les parties de langue prédicatives. Contrairement
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à celles-ci, elles ne sont pas en prise directe avec l’univers expérientiel mais
avec le fonctionnement de la pensée pensante de l’homo loquens.
Ces parties de langues recouvrent, chez Guillaume, des mots qui ne désignent
pas de notion. Ces mots sont dépourvus d’incidence. Ce sont les articles,
pronoms, prépositions et conjonctions. La préposition ouvre le champ des
parties non prédicatives et est donc d’un niveau d’abstraction encore plus
élevé que l’adverbe.
L’incidence indirecte au substantif – telle que l’adverbe la comporte –
marque, par rapport au terme d’incidence, le plus grand éloignement possible.
Un éloignement plus grand entraîne l’abolition de l’incidence à un support.
Et du même coup, le mot voit son incidence se produire non pas à un support
sémantique, mais entre deux supports sémantiques. L’incidence tombe dans
un intervalle : elle est diastématique. Nous nommerons l’intervalle au sein
duquel elle tombe le diastème. (Guillaume, Leçon du 23 mai 1940 : 1-2,
inédit cité par Cervoni 1991 : 72)
La préposition ne possède pas d’incidence car, dans la langue, elle échoit à
un vide, et, en discours, à un intervalle :
La préposition ne se trouve pas un support à l’égard duquel elle soit
prédicative. Aussi longtemps qu’un support à l’égard duquel elle serait
prédicative existe : elle est adverbe ou même adjectif (fonctionnellement
s’entend). C’est l’exclusion [ou l’extinction] de la fonction adjective qui
fait la préposition. (Guillaume, Leçon du 20 mai 1954 : 2, inédit cité par
Cervoni 1991 : 73)
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- 6. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
Du fait de ce défaut d’adjectivation, la préposition ne dit pas ce qu’on pense,
ne dit pas les idées (la matière), mais comment on pense, la manière de
penser ces idées (la forme). Les prépositions sont donc des mots propres à
employer d’autres mots, signes d’emplois du langage.
Moignet (1981) revient sur l’absence de signifié et d’incidence
imputée aux prépositions. Selon lui, la préposition a bien un signifié et
pourrait dès lors jouer le rôle d’apport de signification. La préposition est à
la recherche d’un double support d’incidence : il parle d’incidence bilatérale,
vers un support d’avant et un support d’après (le régime de la préposition).
Ce faisant, Moignet dynamite l’opposition « parties prédicatives vs parties
non prédicatives » fondée sur base de leur caractère désignatif ou non. De
même disparaît l’opposition entre parties de langue pourvues ou non d’une
incidence. Il entre enfin en contradiction avec la vision guillaumienne de
l’échéance de la préposition à un diastème : la disparition de l’inaptitude à
l’adjectivation entraîne la disparition de la définition spécifique de la
préposition par sa nature diastématique. Chez Moignet, la préposition est
vue comme non prédicative, comme déflexive du nom (alternative au cas),
comme une forme ayant vocation à servir de support à la matière notionnelle
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d’un élément nominal. De fait, la reconnaissance – légitime, selon nous –
de matière même subtile à la préposition force à revoir le système d’analyse
et à proposer un autre système à l’intérieur duquel toutes les parties de
langue seraient discriminées sur base du même critère.
2.2. Une définition en extension
Pour pallier les difficultés rencontrées par la psychomécanique, nous
proposerons un autre système de parties de langue fondé sur un critère de
distinction sémantico-référentiel : l’extension, définie comme l’ensemble
des êtres ou des objets du monde pensable auquel un mot peut être appliqué
(en fonction de son intension). Selon Wilmet (1986 et 1998), le nom est
pourvu d’une extension immédiate, l’adjectif (qui contient l’article
traditionnel) et le verbe d’une extension médiate. Il importe de pouvoir
définir les autres parties de langue sur base du même critère. Un exemple
permettra d’illustrer le propos.
La notion de lumière peut être perçue, conçue et pensée. Cette pensée
peut être exprimée à l’aide de mots assignés à des parties de langue, qui
signifient que leur extension peut être perçue de manière immédiate (nom),
médiate (adjectif, verbe) ou bimédiate (adverbe). La notion de lumière qui
renvoie à des êtres, objets ou relations du monde pensable peut être rendue
à l’aide du nom lumière, si on veut exprimer que l’extension considérée est
perçue de manière immédiate (l’extension recouvrira des objets lumière) ;
à l’aide de l’adjectif lumineux ou du verbe allumer, si on veut exprimer que
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- 7. Dan VAN RAEMDONCK
l’extension considérée est perçue de manière médiate (l’extension recouvrira
des êtres ou des objets dont on dit qu’ils sont lumineux ou qu’ils allument) ;
à l’aide de l’adverbe lumineusement, si on veut exprimer que l’extension
considérée est perçue de manière bimédiate (l’extension recouvrira des
relations entre êtres ou objets, relation que l’on caractérise ou prédique de
lumineuses).
L’extension pour chacune de ces parties de langue est basée sur une
intension notionnelle (ces mots sont des désignatifs, au sens donné par
Guillaume). Cependant, certaines parties de langue ont une extension –
elles en ont bien une – fondée sur une intension catégorielle (au sens de
catégorie grammaticale). Ce sont, selon nous, le pronom, l’article, la
préposition et la conjonction, qui, on le remarquera, sont des catégories à
éléments translateurs (au sens donné par Tesnière). On aurait une extension
catégorielle (formelle) immédiate pour le pronom, qui répondrait à
l’extension notionnelle (matérielle) immédiate du nom ; une extension
catégorielle médiate pour l’article, qui répondrait à l’extension notionnelle
médiate de l’adjectif et du verbe ; et une extension catégorielle bimédiate
pour la préposition et la conjonction, qui répondrait à l’extension notionnelle
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bimédiate de l’adverbe. La locution prépositionnelle à la lumière de peut
venir compléter le paradigme extensionnel de la notion de lumière.
L’extension de la préposition pourrait dès lors se définir comme suit :
l’ensemble des objets (êtres, objets, faits ou situations, termes ou relations)
du monde pensable susceptibles d’être reliés en fonction de l’argument
catégoriel (sémantico-fonctionnel) que la préposition signifie.
3. La parenté syntaxique
Dans un système de parties de discours (fonctions) organisé par le critère
de l’incidence (relation entre un apport et un support de signification), la
préposition se retrouve, suivie d’un élément nominal, essentiellement au
sein d’un syntagme prépositionnel (SP) ; la cohésion entre la préposition
rectrice et le terme régi est d’ailleurs très forte, comme en témoigne la
possibilité de commuter des SP avec de simples adjectifs (de ma mère vs
maternel). Reste à en définir la fonction en termes d’incidence.
À côté du sujet, par exemple, caractérisé par une incidence interne
(le sujet ne se rapporte à rien d’autre qu’à lui-même), et des compléments
de terme (du nom, du verbe, de l’adjectif, de l’adverbe, …), caractérisés
eux par une incidence externe du premier degré, les compléments adverbiaux,
quoique morphologiquement divers (du mot à la phrase), sont unifiés par la
caractéristique de la fonction qu’ils ont en commun : l’incidence externe du
second degré, la propriété qu’ils ont de porter syntaxiquement sur une relation
entre deux termes.
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- 8. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
La préposition, par l’incidence bilatérale qu’elle suppose (elle est le
support d’un apport, qu’elle rapporte à un autre support — terme ou relation),
joue le rôle de petit rapporteur, de passeur, de translateur d’incidence. Elle
est le marqueur d’incidence et, par là même, elle est l’incidence. Elle partage
avec la conjonction de subordination et le pronom relatif (suivis tous deux
d’un élément verbal) un rôle de ligateur, mais contrairement à ces deux
éléments elle n’est pas enchâsseur. La fonction du SP est caractérisée par le
type d’incidence que passe et marque la préposition
Le SP constitué occupe la plupart du temps une fonction caractérisée
par une incidence externe du premier degré : complément du nom, du verbe,
de l’adjectif, de l’adverbe, voire prédicat second (Le livre de Pierre ; il
profite de la vie ; conformément à son habitude, loin de se défiler, il a fait
une prestation pleine de surprises ; il me prend pour un idiot ; à bout de
nerfs, elle est sortie en pleurant) ; ou par une incidence externe du second
degré : complément adverbial d’une des relations de la phrase (La prise de
Constantinople par les Ottomans en 1453… ; par bonheur, il est parti ; il
range ses fiches par ordre alphabétique). Exceptionnellement, on le retrouve
en fonction sujet, fonction caractérisée par une incidence interne (De lui
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répondre ne serait pas intéressant (exemple de Moignet 1981 : 237)).
Dans ce système de fonctions subsiste une zone floue ; flou dont
l’origine réside dans l’interprétation à donner des items et non dans l’absence
de précision des concepts. En effet, si l’adjectif se trouve, dans l’immense
majorité des cas, dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du
premier degré (complément de terme), et si l’adverbe se trouve, dans
l’immense majorité des cas également, dans un emploi caractérisé par
l’incidence externe du second degré (complément d’une relation entre deux
termes), le syntagme prépositionnel, se retrouve donc généralement, soit
dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du premier degré, soit
dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du second degré. Dans
l’exemple [1] le SP a une fonction adjectivale (prédicat second du sujet) ;
dans [2], il a une fonction adverbiale (complément de la relation prédicative):
[1] À bout de nerfs, elle est sortie en pleurant.
[2] À la force du poignet, il a remonté la pente.
Dans [3] cependant, il est plus difficile de trancher : les interprétations
adjectivale ou adverbiale sont possibles.
[3] Dans mon hamac, je roule en Cadillac.
L’absence de marques formelles laisse dès lors le champ libre à
l’interprétation.
Ce qui ressort de ceci, ce n’est pas tant l’hétérogénéité tant de fois
relevée de la fonction adverbiale, que l’ambiguïté fonctionnelle du syntagme
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- 9. Dan VAN RAEMDONCK
prépositionnel, ambiguïté dont la cause est à chercher notamment dans la
difficulté qu’éprouve la langue à exprimer dans le linéaire une architecture
bidimensionnelle.
Nous souhaiterions, pour terminer, évoquer deux questions de
frontières et proposer des pistes — à creuser encore — de réponses : la
question du statut de l’objet indirect et la préposition sans régime.
3.1. Le statut du complément (d’objet) indirect
Au sein des compléments du verbe (objet direct ou premier, objet indirect
ou second, circonstanciel obligatoire ou non) quelle place accorder à l’objet
indirect ? On connaît les tentatives avortées de séparation de l’objet indirect
et du circonstanciel. Les tests formels ne donnent guère de résultats fiables :
il est possible d’interposer des éléments entre le verbe et l’objet (il appartient,
si je ne me trompe, au professeur) ; la mobilité présumée du circonstanciel
est difficile pour les compléments de manière intraprédicatifs (?? bien je
me comporte) ; la pronominalisation se fait en y et en en pour des objets
indirects comme pour des circonstanciels (il en profite ; il en vient ; il y
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pense ; il y passe ses vacances), sans compter la pronominalisation en en de
certains objets directs (il en mange, des pommes).
Blinkenberg (1967) disait déjà que les critères formels sont inopérants.
Selon Cervoni (1991), ce sont des critères sémantiques qui entrent en ligne
de compte. Tout serait affaire de transitivité, notion basée, chez lui, sur la
complétude et l’affinité sémantique entre verbe et complément, ce qui aboutit
à une vision de la complémentation verbale en terme de gradation et de
continuum de transitivité.
Plus fondamentalement, se pose, selon nous, la question de la nécessité
du maintien d’un type de complément dont la définition doit beaucoup
(trop ?) à l’accord du participe passé. Si l’on s’en tient à la définition du
complément du verbe comme étant incident externe au premier degré (portée
sur un terme : le verbe) et à celle du complément adverbial comme incident
externe au second degré (portée sur une relation), quelle place nécessaire
reste-t-il pour ce troisième type, l’objet indirect ? En d’autres termes, n’y
aurait-il pas moyen de reverser ce que l’on étiquette traditionnellement objet
indirect soit dans le premier soit dans le deuxième type de complément ?
Soient les exemples suivants :
[4] Pierre donne des fleurs à Marie.
[5] Pierre envoie des fleurs à Rome.
[6] La lettre a été envoyée par Pierre.
[7] Le colis a été expédié par la poste.
[8] Pierre (dé)tient ça de son père.
66
- 10. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
[9] Pierre profite de la vie.
[10] Pierre va à Paris.
La parenté entre la structure de [4] et de [5] pourrait pousser à reverser
l’objet indirect (complément d’attribution) à Marie dans l’ensemble des
adverbiaux, comme à Rome, et ce, même si la pronominalisation se faisait
en lui dans le premier cas, et en y dans le deuxième. La pronominalisation
en y est par ailleurs possible pour à Marie dans une phrase comme Pierre
pense à Marie ; il y pense. Dans [4], le complément adverbial porterait
alors sur la relation entre des fleurs et donne, pour la déterminer. Cette
même parenté se retrouve entre [6] et [7], entre le complément d’agent et le
complément de moyen, par ailleurs non pronominalisables à l’aide d’un
clitique. Dans [6], l’adverbial porterait, pour la déterminer, sur la relation
entre envoyée (pronominalisable en le : Elle l’a été par Pierre) et a été. De
même en [8], la relation entre ça et (dé)tient peut servir de support à
l’adverbial de son père. On remarquera cependant le caractère nécessaire
du complément adverbial à la bonne compréhension du verbe. Comme si le
complément appartenait à la valence du verbe. Ce caractère nécessaire est
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d’autant plus flagrant en [9] et [10], pour des compléments respectivement
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étiquetés d’objet indirect et circonstanciel, qu’il ne se trouve pas en
apparence d’objet direct pour servir avec le verbe de pôle à une relation-
support d’un adverbial. On constate dans ce cas un glissement de l’indirect
ou du circonstanciel vers le complément (essentiel) du verbe, caractérisé
par une incidence externe du premier degré (complément de terme et plus
de relation). Ce rapprochement s’observe également au niveau de la
construction des sous-phrases : Je m’étonne de votre retard/que vous soyez
en retard vs de ce que vous soyez en retard, qui décline. Cette idée était déjà
présente chez Blinkenberg (1960), qui rapprochait par exemple traiter d’un
sujet/un sujet, atteindre au but/un but. D’autres syntagmes, introduits par
une préposition considérée comme plus lourde, peuvent également glisser
vers cette position de complément de verbe : Pierre table sur sa réussite, il
opte pour telle solution, le jeu consiste en une suite d’épreuves…
Reste à s’interroger sur la portée de ces compléments. Si, pour les
exemples [4] à [8], la relation entre le complément du verbe et ce même
verbe peut servir de support à un complément de relation, qu’en est-il pour
[9] et [10] qui ne présentent pas de complément du verbe autre que l’indirect ?
Selon nous (Van Raemdonck, à paraître), tout verbe est susceptible
d’une complémentation. Cela signifie que, avant même que le complément
du verbe soit effectivement incident à celui-ci, le verbe se trouve en attente
de complémentation (ce qui correspond à sa valence). Cette relation d’attente
est une incidence d’attente, susceptible de servir de support notamment à
un complément adverbial. Ce complément adverbial, inscrit à ce niveau
précoce de la construction du syntagme verbal, fait également partie de la
67
- 11. Dan VAN RAEMDONCK
valence verbale. Ensuite, la relation d’incidence d’attente est rendue effective
par adjonction ou non du complément du verbe. Dans les exemples [4] à
[8], le complément du verbe est présent ; dans les exemples [9] et [10], le
complément du verbe est un complément Ø (zéro). Dans ces derniers
exemples, l’absence répétée de complémentation du verbe (même si l’on
peut aller son chemin) a pu faire glisser le complément adverbial de sa
place de complément de la relation d’attente vers celle de complément du
verbe, glissement d’autant plus compréhensible que ce complément de
relation fait partie de la valence du verbe. Ce qui ferait dès lors la différence
entre les traditionnels indirects et circonstanciels obligatoires, d’une part,
et les traditionnels circonstanciels facultatifs (Il range (ses fiches) par ordre
alphabétique), d’autre part, ce serait le niveau plus précoce d’intervention
des premiers dans la construction de la phrase, conformément à la valence
verbale.
À partir de ce qui précède, nous proposons de reverser les objets
indirects soit aux compléments adverbiaux, soit, après évolution vers la
complémentation essentielle du verbe, aux compléments du verbe. Répartis
dès lors entre compléments de relation ou compléments de terme, ils ne
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nécessitent plus guère de prise en considération particulière. Exit donc le
complément d’objet indirect.
3.2. L’absence de régime
Que devient une préposition dépourvue de régime ? À partir du moment où
l’on a distingué la préposition de l’adverbe par la nécessité pour la première
d’être suivie d’un régime, l’absence de ce dernier soulève des questions :
préposition ou adverbe ?
Moignet (1981) opte pour la solution adverbe. Selon Brøndal (1950)
et Pottier (1962), le mot reste préposition. Cervoni (1991), quant à lui, parle
de réadverbialisation (retour à la nature première) pour ces cas de
prépositions orphelines, comme les a appelées ici même Borillo.
Ces cas se présentent avec des prépositions comme pour (Je suis
pour), contre (Je suis contre… tout contre), ou encore avec, sans, avant,
après. De même avec dans, sur et sous préfixés à l’aide du de dit inverseur.
Ces prépositions sont moins abstraites et moins polyvalentes que leurs
homologues à, de ou en. La charge notionnelle qu’elles emportent les rend
plus aptes à jouer, le cas échéant, le rôle d’apport. On passerait alors d’une
extension de type catégoriel pour ces mots suivis d’un régime à une extension
de type notionnel si ce régime fait défaut, ce qui les habiliterait à occuper
une fonction adverbiale.
Il est à noter cependant que ce processus touche exceptionnellement
jusqu’aux prépositions les plus abstraites, comme en témoigne l’exemple
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- 12. Adverbe et préposition : cousin, cousine ?
de La Fête de Vailland, cité par Cervoni (1991) : Il n’est pas un homme qui
se complaît, qui accepte, qui se morfond, pour qui la torpeur succède au
sommeil, l’amertume à la ferveur, qui reste dans. Il est un homme qui va à.
Selon nous, il est possible de considérer que, si la préposition se
retrouve en emploi de complément adverbial, ce n’est pas parce qu’elle est
ou est devenue un adverbe, mais bien parce qu’il y aurait eu
pronominalisation du syntagme prépositionnel par effacement du nom. Ce
type de pronominalisation par effacement est tout à fait courant : voyez, par
exemple, la pronominalisation du syntagme nominal objet dans Pierre mange
la pomme ; il la mange ; seul reste du syntagme nominal le déterminant la,
déterminant qui partage avec la préposition, dans notre système, la
caractéristique d’avoir une extension de type catégoriel et d’être translateur.
La préposition, tout comme le déterminant, deviendrait un désignatif, pourvu
d’une extension notionnelle, par la seule pronominalisation, qui garderait à
l’élément pronom accidentel la fonction de l’élément pronominalisé, en
l’espèce complément adverbial. Point n’est dès lors besoin de dire que la
préposition est devenue adverbe. Tout au plus occupe-t-elle, à elle seule, la
fonction de complément adverbial.
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4. Conclusion
Conscient de ce que le peu d’espace nous a obligé à ne faire qu’effleurer
certaines questions importantes relatives à la délimitation des champs
respectifs de la préposition et de l’adverbe, nous espérons néanmoins avoir
donné des perspectives de réflexion quant à la valeur systématique de la
préposition dans le double système des parties de langue et des parties de
discours. Mot outil, grammatical, vide, incolore… pas seulement : mot
d’extension médiate sur base d’une intension catégorielle de type sémantico-
fonctionnel, et d’incidence bilatérale ; passeur, rapporteur et translateur
d’incidence.
RÉFÉRENCES
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fondemens de l’art de parler expliquez d’une maniere claire & naturelle ; Les
raisons de ce qui est commun à toutes les langues, & des principales differences
qui s’y rencontrent ; Et plusieurs remarques nouvelles sur la Langue Françoise,
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raisonnée, ou la Grammaire de Port-Royal, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann/
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BEAUZÉE N., 1767, Grammaire générale ou Exposition raisonnée des éléments
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69
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