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ADVERBE ET PRÉPOSITION : COUSIN, COUSINE ?

                                                                                                         Dan Van Raemdonck

                                                                                                         De Boeck Université | Travaux de linguistique

                                                                                                         2001/1 - no42-43
                                                                                                         pages 59 à 70


                                                                                                         ISSN 0082-6049




                                                                                                         Article disponible en ligne à l'adresse:
                                                                                                         --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
                                                                                                         http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2001-1-page-59.htm
                                                                                                         --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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                                                                                                                                                                                                                                         Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         Pour citer cet article :
                                                                                                         --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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                                                                                                         Travaux de linguistique, 2001/1 no42-43, p. 59-70. DOI : 10.3917/tl.042.059
                                                                                                         --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------




                                                                                                         Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université.
                                                                                                         © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays.


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                                                                                                         France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                                        ADVERBE ET PRÉPOSITION :
                                                                                                                           COUSIN, COUSINE ?

                                                                                                                                   DAN VAN RAEMDONCK*

                                                                                                                               Université Libre de Bruxelles




                                                                                                                 Enfermés dans le sous-ensemble traditionnel des parties du discours
                                                                                                         invariables, la préposition et l’adverbe partagent incontestablement certains
                                                                                                         traits et ont été souvent liés dans l’analyse : invariabilité – évidemment –,
                                                                                                         proximité de ces deux parties du discours dans la constitution des
                                                                                                         compléments circonstanciels, équivalence reconnue – voire exigée par
                                                                                                         certains (Port-Royal, notamment) – entre adverbe et syntagme
                                                                                                         prépositionnel, emploi adverbial de la préposition sans régime…
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                                                                                                                                                                                                  Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                                 Nous essayerons de comparer les places et fonctionnements respectifs
                                                                                                         de la préposition et de l’adverbe dans le cadre d’un système
                                                                                                         morphosyntaxique particulier : un sous-système de parties de langue (ou
                                                                                                         natures) organisé autour du critère de l’extension ; un sous-système de parties
                                                                                                         de discours (ou fonctions) organisé autour du critère de l’incidence.
                                                                                                                 Notre contribution devrait permettre de classer ce qui incombe à la
                                                                                                         préposition ou à l’adverbe dans les difficultés qu’éprouve la grammaire à
                                                                                                         traiter ces deux parties de langue et de discours, et ce, donc, tant du point de
                                                                                                         vue de leur nature que de celui de leur fonction. Pour ce faire, nous
                                                                                                         envisagerons successivement trois types de parentés : la parenté génétique,
                                                                                                         la parenté morphologique et la parenté syntaxique. À maints égards, notre
                                                                                                         propos consiste à ouvrir des pistes de réflexion plutôt qu’à asséner des vérités
                                                                                                         non autrement révélées.

                                                                                                         1.    La parenté génétique
                                                                                                         La parenté génétique entre préposition et adverbe est à envisager sous deux
                                                                                                         angles : celui de l’équivalence entre l’adverbe et le groupe « préposition +
                                                                                                         nom », et celui de l’hypothèse communément admise de la genèse de la
                                                                                                         préposition à partir de l’adverbe.


                                                                                                         *     Université Libre de Bruxelles – Faculté de Philosophie et Lettres - CP 175, –
                                                                                                               50 avenue F. D. Roosevelt, 1050 Bruxelles (Belgique). – Tél : +322 6504442. –
                                                                                                               Courriel : dvanraem@ulb.ac.be



                                                                                                                                                                                            59
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                         1.1. L’équation adverbe = préposition + nom
                                                                                                         La Grammaire Générale et Raisonnée de Port-Royal (1660) est à l’origine
                                                                                                         d’un courant dont la fortune fut énorme : l’équation « adverbe = préposition
                                                                                                         + nom ».
                                                                                                               Pour Arnauld et Lancelot, l’adverbe a peu d’intérêt. C’est un mot
                                                                                                         doublement secondaire : d’abord par rapport au schéma préposition + nom,
                                                                                                         ensuite par rapport au substantif décliné à certains cas (ici l’ablatif). Ces
                                                                                                         adverbes ont été créés dans une finalité bien précise (1660 : 88) :
                                                                                                                 Le désir que les hommes ont d’abréger le discours, est ce qui a donné lieu
                                                                                                                 aux Adverbes. Car la plupart de ces particules ne sont que pour signifier en
                                                                                                                 un seul mot, ce qu’on ne pourrait marquer que par une préposition & un
                                                                                                                 nom : comme sapienter, sagement, pour cum sapientia, avec sagesse : hodie
                                                                                                                 pour in hoc die, aujourd’hui.

                                                                                                         La classe de l’adverbe répond donc à la nécessité de l’économie dans un
                                                                                                         système linguistique.
                                                                                                                Cette conception de l’adverbe, équivalent sémantique et fonctionnel
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                                                                                                         du groupe préposition + nom, va prendre de l’ampleur au XVIIIe siècle,




                                                                                                                                                                                                Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         avec la grammaire générale. On la retrouve notamment chez les
                                                                                                         grammairiens de l’Encyclopédie, Dumarsais et Beauzée. Chez ces auteurs,
                                                                                                         on observe d’ailleurs une inversion de perspective par rapport à Port-Royal.
                                                                                                         L’équation « adverbe = préposition + nom » suppose une connaissance
                                                                                                         préalable de la classe des adverbes et une vérification a posteriori de la
                                                                                                         validité de l’équation : il suffit de prendre n’importe quel mot et de voir si la
                                                                                                         substitution est possible pour avoir un adverbe. Cependant, s’il y a
                                                                                                         équivalence adverbe/préposition + nom (phrase adverbiale), Beauzée refuse
                                                                                                         la synonymie parfaite, au nom du principe d’économie (1767 : II, 548),
                                                                                                         même si cela ne l’empêche pas d’y revenir par la suite (1767: II, 567) :
                                                                                                                 Il est constant qu’une préposition avec son complément, est l’équivalent
                                                                                                                 d’un adverbe, et que tout mot qui est l’équivalent d’une préposition avec
                                                                                                                 son complément est un adverbe.

                                                                                                         Cette conception de l’équivalence adverbe = préposition + nom, « où le
                                                                                                         transformationalisme reconnaîtra un des acquis majeurs de la grammaire
                                                                                                         générale : la conversion elliptique » (Droixhe, 1977 : 54), sera reprise
                                                                                                         explicitement par Chomsky et la grammaire générative et
                                                                                                         transformationnelle.
                                                                                                                Les critiques de la définition de l’adverbe par l’équation « adverbe =
                                                                                                         préposition + nom » n’ont pas manqué (notamment Fauleau 1786, Loneux
                                                                                                         1799 et Thiébault 1802), critiques qui peuvent se résumer ainsi :
                                                                                                              • On ne définit pas un mot par ce à quoi il est équivalent ;


                                                                                                         60
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                              • L’équation n’est pas réciproque ;
                                                                                                              • Certains adjectifs (juste = de justice) et certains pronoms (me = à
                                                                                                                moi) acceptent une telle décomposition ;
                                                                                                              • Tous les adverbes ne se laissent pas décomposer.
                                                                                                         Même si la conception se maintient, elle ne permet guère de définir
                                                                                                         correctement la classe des adverbes, considérés comme accessoires.
                                                                                                         L’adverbe n’y serait qu’une forme secondaire prise, après transformation,
                                                                                                         par des mots appartenant à d’autres classes. De plus, une telle conception
                                                                                                         procède de la confusion entre les plans de nature (adverbe) et de fonction
                                                                                                         (la fonction adverbiale du syntagme prépositionnel).

                                                                                                         1.2. L’hypothèse de la genèse de la préposition
                                                                                                         Pour faire le départ entre préposition et adverbe, il faut procéder à niveau
                                                                                                         équivalent et considérer la parenté entre la préposition et l’adverbe en tant
                                                                                                         que classes de mots.
                                                                                                                 L’hypothèse généralement admise (rappelée par Cervoni 1991) revient
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                                                                                                         à dériver la classe des prépositions de celle des adverbes. Dans les langues




                                                                                                                                                                                                Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         à cas, l’adverbe serait venu s’insérer entre le verbe et son complément pourvu
                                                                                                         d’un cas afin de pallier les déficiences d’expression, de préciser davantage
                                                                                                         les rapports de signification. À partir d’une situation où l’on n’observe pas
                                                                                                         de rapport de cas entre l’adverbe et le nom, et suite à une multiplication des
                                                                                                         mises en rapport « adverbe-nom pourvu de cas », on assiste à l’apparition
                                                                                                         d’un phénomène conçu comme rection. De l’adverbe rattaché au verbe (ou
                                                                                                         à une relation entre le verbe et son complément), on est dès lors passé à la
                                                                                                         préposition régissant le nom. La morphologie intégrée (cas) est remplacée
                                                                                                         par une morphologie externe qui marque les rapports de signification à l’aide
                                                                                                         de morphèmes séparés.

                                                                                                         2.      La parenté morphologique
                                                                                                         Pour pouvoir juger de la parenté morphologique entre prépositions et
                                                                                                         adverbes, il faut les inscrire dans un double système de parties de langue
                                                                                                         (natures) et de parties de discours (fonctions), dans lequel ces classes
                                                                                                         occuperaient une place relativement à la place occupée par les autres parties
                                                                                                         de langue ou de discours. Après avoir présenté le système guillaumien, qui
                                                                                                         a le mérite du caractère systématique, nous tenterons d’en proposer un second
                                                                                                         qui pallie les faiblesses constatées.

                                                                                                         2.1. Le système guillaumien des classes de mots
                                                                                                         Chez Guillaume, les huit parties de langue (l’interjection est exclue du
                                                                                                         nombre) se répartissent en deux groupes :

                                                                                                                                                                                          61
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                              • Les parties de langue prédicatives regroupe des mots qui désignent
                                                                                                                une notion (désignatifs). Ces mots sont pourvus d’une incidence
                                                                                                                (relation entre apport et support de signification). Ce sont les noms,
                                                                                                                adjectifs, verbes et adverbes. Dans le système, l’adverbe occupe une
                                                                                                                position charnière entre les parties du discours prédicatives, dont il
                                                                                                                clôt la série au niveau le plus élevé d’abstraction, et les parties du
                                                                                                                discours non prédicatives. Tout ce qui relève de l’incidence externe
                                                                                                                du second degré (incidence à une incidence en cours, à une relation
                                                                                                                entre deux termes) sera défini comme adverbe.
                                                                                                              • Le système des parties de langue non prédicatives a, contrairement
                                                                                                                au système des parties prédicatives, été peu étudié dans la littérature
                                                                                                                psychomécanique. Moignet (1981), le premier, dresse un tableau
                                                                                                                général pour le français ; Guimier (1988 : 31) le reprend pour
                                                                                                                l’amender :
                                                                                                                 Les parties de langue non prédicatives ont été définies comme des mots
                                                                                                                 dont le signifié matériel est une forme en position de matière. Leur apport
                                                                                                                 de signification est constitué par un mouvement permettant l’appréhension
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                                                                                                                 des notions véhiculées par les parties de langue prédicatives. Contrairement




                                                                                                                                                                                                    Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                                 à celles-ci, elles ne sont pas en prise directe avec l’univers expérientiel mais
                                                                                                                 avec le fonctionnement de la pensée pensante de l’homo loquens.

                                                                                                         Ces parties de langues recouvrent, chez Guillaume, des mots qui ne désignent
                                                                                                         pas de notion. Ces mots sont dépourvus d’incidence. Ce sont les articles,
                                                                                                         pronoms, prépositions et conjonctions. La préposition ouvre le champ des
                                                                                                         parties non prédicatives et est donc d’un niveau d’abstraction encore plus
                                                                                                         élevé que l’adverbe.
                                                                                                                 L’incidence indirecte au substantif – telle que l’adverbe la comporte –
                                                                                                                 marque, par rapport au terme d’incidence, le plus grand éloignement possible.
                                                                                                                 Un éloignement plus grand entraîne l’abolition de l’incidence à un support.
                                                                                                                 Et du même coup, le mot voit son incidence se produire non pas à un support
                                                                                                                 sémantique, mais entre deux supports sémantiques. L’incidence tombe dans
                                                                                                                 un intervalle : elle est diastématique. Nous nommerons l’intervalle au sein
                                                                                                                 duquel elle tombe le diastème. (Guillaume, Leçon du 23 mai 1940 : 1-2,
                                                                                                                 inédit cité par Cervoni 1991 : 72)

                                                                                                         La préposition ne possède pas d’incidence car, dans la langue, elle échoit à
                                                                                                         un vide, et, en discours, à un intervalle :
                                                                                                                 La préposition ne se trouve pas un support à l’égard duquel elle soit
                                                                                                                 prédicative. Aussi longtemps qu’un support à l’égard duquel elle serait
                                                                                                                 prédicative existe : elle est adverbe ou même adjectif (fonctionnellement
                                                                                                                 s’entend). C’est l’exclusion [ou l’extinction] de la fonction adjective qui
                                                                                                                 fait la préposition. (Guillaume, Leçon du 20 mai 1954 : 2, inédit cité par
                                                                                                                 Cervoni 1991 : 73)


                                                                                                         62
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                         Du fait de ce défaut d’adjectivation, la préposition ne dit pas ce qu’on pense,
                                                                                                         ne dit pas les idées (la matière), mais comment on pense, la manière de
                                                                                                         penser ces idées (la forme). Les prépositions sont donc des mots propres à
                                                                                                         employer d’autres mots, signes d’emplois du langage.
                                                                                                                Moignet (1981) revient sur l’absence de signifié et d’incidence
                                                                                                         imputée aux prépositions. Selon lui, la préposition a bien un signifié et
                                                                                                         pourrait dès lors jouer le rôle d’apport de signification. La préposition est à
                                                                                                         la recherche d’un double support d’incidence : il parle d’incidence bilatérale,
                                                                                                         vers un support d’avant et un support d’après (le régime de la préposition).
                                                                                                         Ce faisant, Moignet dynamite l’opposition « parties prédicatives vs parties
                                                                                                         non prédicatives » fondée sur base de leur caractère désignatif ou non. De
                                                                                                         même disparaît l’opposition entre parties de langue pourvues ou non d’une
                                                                                                         incidence. Il entre enfin en contradiction avec la vision guillaumienne de
                                                                                                         l’échéance de la préposition à un diastème : la disparition de l’inaptitude à
                                                                                                         l’adjectivation entraîne la disparition de la définition spécifique de la
                                                                                                         préposition par sa nature diastématique. Chez Moignet, la préposition est
                                                                                                         vue comme non prédicative, comme déflexive du nom (alternative au cas),
                                                                                                         comme une forme ayant vocation à servir de support à la matière notionnelle
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                                                                                                                                                                                                Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         d’un élément nominal. De fait, la reconnaissance – légitime, selon nous –
                                                                                                         de matière même subtile à la préposition force à revoir le système d’analyse
                                                                                                         et à proposer un autre système à l’intérieur duquel toutes les parties de
                                                                                                         langue seraient discriminées sur base du même critère.

                                                                                                         2.2. Une définition en extension
                                                                                                                Pour pallier les difficultés rencontrées par la psychomécanique, nous
                                                                                                         proposerons un autre système de parties de langue fondé sur un critère de
                                                                                                         distinction sémantico-référentiel : l’extension, définie comme l’ensemble
                                                                                                         des êtres ou des objets du monde pensable auquel un mot peut être appliqué
                                                                                                         (en fonction de son intension). Selon Wilmet (1986 et 1998), le nom est
                                                                                                         pourvu d’une extension immédiate, l’adjectif (qui contient l’article
                                                                                                         traditionnel) et le verbe d’une extension médiate. Il importe de pouvoir
                                                                                                         définir les autres parties de langue sur base du même critère. Un exemple
                                                                                                         permettra d’illustrer le propos.
                                                                                                                La notion de lumière peut être perçue, conçue et pensée. Cette pensée
                                                                                                         peut être exprimée à l’aide de mots assignés à des parties de langue, qui
                                                                                                         signifient que leur extension peut être perçue de manière immédiate (nom),
                                                                                                         médiate (adjectif, verbe) ou bimédiate (adverbe). La notion de lumière qui
                                                                                                         renvoie à des êtres, objets ou relations du monde pensable peut être rendue
                                                                                                         à l’aide du nom lumière, si on veut exprimer que l’extension considérée est
                                                                                                         perçue de manière immédiate (l’extension recouvrira des objets lumière) ;
                                                                                                         à l’aide de l’adjectif lumineux ou du verbe allumer, si on veut exprimer que


                                                                                                                                                                                          63
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                         l’extension considérée est perçue de manière médiate (l’extension recouvrira
                                                                                                         des êtres ou des objets dont on dit qu’ils sont lumineux ou qu’ils allument) ;
                                                                                                         à l’aide de l’adverbe lumineusement, si on veut exprimer que l’extension
                                                                                                         considérée est perçue de manière bimédiate (l’extension recouvrira des
                                                                                                         relations entre êtres ou objets, relation que l’on caractérise ou prédique de
                                                                                                         lumineuses).
                                                                                                                L’extension pour chacune de ces parties de langue est basée sur une
                                                                                                         intension notionnelle (ces mots sont des désignatifs, au sens donné par
                                                                                                         Guillaume). Cependant, certaines parties de langue ont une extension –
                                                                                                         elles en ont bien une – fondée sur une intension catégorielle (au sens de
                                                                                                         catégorie grammaticale). Ce sont, selon nous, le pronom, l’article, la
                                                                                                         préposition et la conjonction, qui, on le remarquera, sont des catégories à
                                                                                                         éléments translateurs (au sens donné par Tesnière). On aurait une extension
                                                                                                         catégorielle (formelle) immédiate pour le pronom, qui répondrait à
                                                                                                         l’extension notionnelle (matérielle) immédiate du nom ; une extension
                                                                                                         catégorielle médiate pour l’article, qui répondrait à l’extension notionnelle
                                                                                                         médiate de l’adjectif et du verbe ; et une extension catégorielle bimédiate
                                                                                                         pour la préposition et la conjonction, qui répondrait à l’extension notionnelle
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                                                                                                                                                                                           Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         bimédiate de l’adverbe. La locution prépositionnelle à la lumière de peut
                                                                                                         venir compléter le paradigme extensionnel de la notion de lumière.
                                                                                                                L’extension de la préposition pourrait dès lors se définir comme suit :
                                                                                                         l’ensemble des objets (êtres, objets, faits ou situations, termes ou relations)
                                                                                                         du monde pensable susceptibles d’être reliés en fonction de l’argument
                                                                                                         catégoriel (sémantico-fonctionnel) que la préposition signifie.

                                                                                                         3.    La parenté syntaxique
                                                                                                         Dans un système de parties de discours (fonctions) organisé par le critère
                                                                                                         de l’incidence (relation entre un apport et un support de signification), la
                                                                                                         préposition se retrouve, suivie d’un élément nominal, essentiellement au
                                                                                                         sein d’un syntagme prépositionnel (SP) ; la cohésion entre la préposition
                                                                                                         rectrice et le terme régi est d’ailleurs très forte, comme en témoigne la
                                                                                                         possibilité de commuter des SP avec de simples adjectifs (de ma mère vs
                                                                                                         maternel). Reste à en définir la fonction en termes d’incidence.
                                                                                                                À côté du sujet, par exemple, caractérisé par une incidence interne
                                                                                                         (le sujet ne se rapporte à rien d’autre qu’à lui-même), et des compléments
                                                                                                         de terme (du nom, du verbe, de l’adjectif, de l’adverbe, …), caractérisés
                                                                                                         eux par une incidence externe du premier degré, les compléments adverbiaux,
                                                                                                         quoique morphologiquement divers (du mot à la phrase), sont unifiés par la
                                                                                                         caractéristique de la fonction qu’ils ont en commun : l’incidence externe du
                                                                                                         second degré, la propriété qu’ils ont de porter syntaxiquement sur une relation
                                                                                                         entre deux termes.


                                                                                                         64
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                                La préposition, par l’incidence bilatérale qu’elle suppose (elle est le
                                                                                                         support d’un apport, qu’elle rapporte à un autre support — terme ou relation),
                                                                                                         joue le rôle de petit rapporteur, de passeur, de translateur d’incidence. Elle
                                                                                                         est le marqueur d’incidence et, par là même, elle est l’incidence. Elle partage
                                                                                                         avec la conjonction de subordination et le pronom relatif (suivis tous deux
                                                                                                         d’un élément verbal) un rôle de ligateur, mais contrairement à ces deux
                                                                                                         éléments elle n’est pas enchâsseur. La fonction du SP est caractérisée par le
                                                                                                         type d’incidence que passe et marque la préposition
                                                                                                                Le SP constitué occupe la plupart du temps une fonction caractérisée
                                                                                                         par une incidence externe du premier degré : complément du nom, du verbe,
                                                                                                         de l’adjectif, de l’adverbe, voire prédicat second (Le livre de Pierre ; il
                                                                                                         profite de la vie ; conformément à son habitude, loin de se défiler, il a fait
                                                                                                         une prestation pleine de surprises ; il me prend pour un idiot ; à bout de
                                                                                                         nerfs, elle est sortie en pleurant) ; ou par une incidence externe du second
                                                                                                         degré : complément adverbial d’une des relations de la phrase (La prise de
                                                                                                         Constantinople par les Ottomans en 1453… ; par bonheur, il est parti ; il
                                                                                                         range ses fiches par ordre alphabétique). Exceptionnellement, on le retrouve
                                                                                                         en fonction sujet, fonction caractérisée par une incidence interne (De lui
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                                                                                                                                                                                                  Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         répondre ne serait pas intéressant (exemple de Moignet 1981 : 237)).
                                                                                                                Dans ce système de fonctions subsiste une zone floue ; flou dont
                                                                                                         l’origine réside dans l’interprétation à donner des items et non dans l’absence
                                                                                                         de précision des concepts. En effet, si l’adjectif se trouve, dans l’immense
                                                                                                         majorité des cas, dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du
                                                                                                         premier degré (complément de terme), et si l’adverbe se trouve, dans
                                                                                                         l’immense majorité des cas également, dans un emploi caractérisé par
                                                                                                         l’incidence externe du second degré (complément d’une relation entre deux
                                                                                                         termes), le syntagme prépositionnel, se retrouve donc généralement, soit
                                                                                                         dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du premier degré, soit
                                                                                                         dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du second degré. Dans
                                                                                                         l’exemple [1] le SP a une fonction adjectivale (prédicat second du sujet) ;
                                                                                                         dans [2], il a une fonction adverbiale (complément de la relation prédicative):
                                                                                                               [1]    À bout de nerfs, elle est sortie en pleurant.
                                                                                                               [2]    À la force du poignet, il a remonté la pente.

                                                                                                         Dans [3] cependant, il est plus difficile de trancher : les interprétations
                                                                                                         adjectivale ou adverbiale sont possibles.
                                                                                                               [3]    Dans mon hamac, je roule en Cadillac.

                                                                                                         L’absence de marques formelles laisse dès lors le champ libre à
                                                                                                         l’interprétation.
                                                                                                                Ce qui ressort de ceci, ce n’est pas tant l’hétérogénéité tant de fois
                                                                                                         relevée de la fonction adverbiale, que l’ambiguïté fonctionnelle du syntagme


                                                                                                                                                                                            65
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                         prépositionnel, ambiguïté dont la cause est à chercher notamment dans la
                                                                                                         difficulté qu’éprouve la langue à exprimer dans le linéaire une architecture
                                                                                                         bidimensionnelle.
                                                                                                                Nous souhaiterions, pour terminer, évoquer deux questions de
                                                                                                         frontières et proposer des pistes — à creuser encore — de réponses : la
                                                                                                         question du statut de l’objet indirect et la préposition sans régime.

                                                                                                         3.1. Le statut du complément (d’objet) indirect
                                                                                                         Au sein des compléments du verbe (objet direct ou premier, objet indirect
                                                                                                         ou second, circonstanciel obligatoire ou non) quelle place accorder à l’objet
                                                                                                         indirect ? On connaît les tentatives avortées de séparation de l’objet indirect
                                                                                                         et du circonstanciel. Les tests formels ne donnent guère de résultats fiables :
                                                                                                         il est possible d’interposer des éléments entre le verbe et l’objet (il appartient,
                                                                                                         si je ne me trompe, au professeur) ; la mobilité présumée du circonstanciel
                                                                                                         est difficile pour les compléments de manière intraprédicatifs (?? bien je
                                                                                                         me comporte) ; la pronominalisation se fait en y et en en pour des objets
                                                                                                         indirects comme pour des circonstanciels (il en profite ; il en vient ; il y
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                                                                                                                                                                                               Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         pense ; il y passe ses vacances), sans compter la pronominalisation en en de
                                                                                                         certains objets directs (il en mange, des pommes).
                                                                                                                 Blinkenberg (1967) disait déjà que les critères formels sont inopérants.
                                                                                                         Selon Cervoni (1991), ce sont des critères sémantiques qui entrent en ligne
                                                                                                         de compte. Tout serait affaire de transitivité, notion basée, chez lui, sur la
                                                                                                         complétude et l’affinité sémantique entre verbe et complément, ce qui aboutit
                                                                                                         à une vision de la complémentation verbale en terme de gradation et de
                                                                                                         continuum de transitivité.
                                                                                                                 Plus fondamentalement, se pose, selon nous, la question de la nécessité
                                                                                                         du maintien d’un type de complément dont la définition doit beaucoup
                                                                                                         (trop ?) à l’accord du participe passé. Si l’on s’en tient à la définition du
                                                                                                         complément du verbe comme étant incident externe au premier degré (portée
                                                                                                         sur un terme : le verbe) et à celle du complément adverbial comme incident
                                                                                                         externe au second degré (portée sur une relation), quelle place nécessaire
                                                                                                         reste-t-il pour ce troisième type, l’objet indirect ? En d’autres termes, n’y
                                                                                                         aurait-il pas moyen de reverser ce que l’on étiquette traditionnellement objet
                                                                                                         indirect soit dans le premier soit dans le deuxième type de complément ?

                                                                                                         Soient les exemples suivants :
                                                                                                                [4]    Pierre donne des fleurs à Marie.
                                                                                                                [5]    Pierre envoie des fleurs à Rome.
                                                                                                                [6]    La lettre a été envoyée par Pierre.
                                                                                                                [7]    Le colis a été expédié par la poste.
                                                                                                                [8]    Pierre (dé)tient ça de son père.



                                                                                                         66
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                               [9]    Pierre profite de la vie.
                                                                                                               [10]   Pierre va à Paris.

                                                                                                         La parenté entre la structure de [4] et de [5] pourrait pousser à reverser
                                                                                                         l’objet indirect (complément d’attribution) à Marie dans l’ensemble des
                                                                                                         adverbiaux, comme à Rome, et ce, même si la pronominalisation se faisait
                                                                                                         en lui dans le premier cas, et en y dans le deuxième. La pronominalisation
                                                                                                         en y est par ailleurs possible pour à Marie dans une phrase comme Pierre
                                                                                                         pense à Marie ; il y pense. Dans [4], le complément adverbial porterait
                                                                                                         alors sur la relation entre des fleurs et donne, pour la déterminer. Cette
                                                                                                         même parenté se retrouve entre [6] et [7], entre le complément d’agent et le
                                                                                                         complément de moyen, par ailleurs non pronominalisables à l’aide d’un
                                                                                                         clitique. Dans [6], l’adverbial porterait, pour la déterminer, sur la relation
                                                                                                         entre envoyée (pronominalisable en le : Elle l’a été par Pierre) et a été. De
                                                                                                         même en [8], la relation entre ça et (dé)tient peut servir de support à
                                                                                                         l’adverbial de son père. On remarquera cependant le caractère nécessaire
                                                                                                         du complément adverbial à la bonne compréhension du verbe. Comme si le
                                                                                                         complément appartenait à la valence du verbe. Ce caractère nécessaire est
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                                                                                                         d’autant plus flagrant en [9] et [10], pour des compléments respectivement




                                                                                                                                                                                                Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         étiquetés d’objet indirect et circonstanciel, qu’il ne se trouve pas en
                                                                                                         apparence d’objet direct pour servir avec le verbe de pôle à une relation-
                                                                                                         support d’un adverbial. On constate dans ce cas un glissement de l’indirect
                                                                                                         ou du circonstanciel vers le complément (essentiel) du verbe, caractérisé
                                                                                                         par une incidence externe du premier degré (complément de terme et plus
                                                                                                         de relation). Ce rapprochement s’observe également au niveau de la
                                                                                                         construction des sous-phrases : Je m’étonne de votre retard/que vous soyez
                                                                                                         en retard vs de ce que vous soyez en retard, qui décline. Cette idée était déjà
                                                                                                         présente chez Blinkenberg (1960), qui rapprochait par exemple traiter d’un
                                                                                                         sujet/un sujet, atteindre au but/un but. D’autres syntagmes, introduits par
                                                                                                         une préposition considérée comme plus lourde, peuvent également glisser
                                                                                                         vers cette position de complément de verbe : Pierre table sur sa réussite, il
                                                                                                         opte pour telle solution, le jeu consiste en une suite d’épreuves…
                                                                                                                 Reste à s’interroger sur la portée de ces compléments. Si, pour les
                                                                                                         exemples [4] à [8], la relation entre le complément du verbe et ce même
                                                                                                         verbe peut servir de support à un complément de relation, qu’en est-il pour
                                                                                                         [9] et [10] qui ne présentent pas de complément du verbe autre que l’indirect ?
                                                                                                                 Selon nous (Van Raemdonck, à paraître), tout verbe est susceptible
                                                                                                         d’une complémentation. Cela signifie que, avant même que le complément
                                                                                                         du verbe soit effectivement incident à celui-ci, le verbe se trouve en attente
                                                                                                         de complémentation (ce qui correspond à sa valence). Cette relation d’attente
                                                                                                         est une incidence d’attente, susceptible de servir de support notamment à
                                                                                                         un complément adverbial. Ce complément adverbial, inscrit à ce niveau
                                                                                                         précoce de la construction du syntagme verbal, fait également partie de la


                                                                                                                                                                                          67
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                         valence verbale. Ensuite, la relation d’incidence d’attente est rendue effective
                                                                                                         par adjonction ou non du complément du verbe. Dans les exemples [4] à
                                                                                                         [8], le complément du verbe est présent ; dans les exemples [9] et [10], le
                                                                                                         complément du verbe est un complément Ø (zéro). Dans ces derniers
                                                                                                         exemples, l’absence répétée de complémentation du verbe (même si l’on
                                                                                                         peut aller son chemin) a pu faire glisser le complément adverbial de sa
                                                                                                         place de complément de la relation d’attente vers celle de complément du
                                                                                                         verbe, glissement d’autant plus compréhensible que ce complément de
                                                                                                         relation fait partie de la valence du verbe. Ce qui ferait dès lors la différence
                                                                                                         entre les traditionnels indirects et circonstanciels obligatoires, d’une part,
                                                                                                         et les traditionnels circonstanciels facultatifs (Il range (ses fiches) par ordre
                                                                                                         alphabétique), d’autre part, ce serait le niveau plus précoce d’intervention
                                                                                                         des premiers dans la construction de la phrase, conformément à la valence
                                                                                                         verbale.
                                                                                                                 À partir de ce qui précède, nous proposons de reverser les objets
                                                                                                         indirects soit aux compléments adverbiaux, soit, après évolution vers la
                                                                                                         complémentation essentielle du verbe, aux compléments du verbe. Répartis
                                                                                                         dès lors entre compléments de relation ou compléments de terme, ils ne
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                                                                                                                                                                                             Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         nécessitent plus guère de prise en considération particulière. Exit donc le
                                                                                                         complément d’objet indirect.

                                                                                                         3.2. L’absence de régime
                                                                                                         Que devient une préposition dépourvue de régime ? À partir du moment où
                                                                                                         l’on a distingué la préposition de l’adverbe par la nécessité pour la première
                                                                                                         d’être suivie d’un régime, l’absence de ce dernier soulève des questions :
                                                                                                         préposition ou adverbe ?
                                                                                                                Moignet (1981) opte pour la solution adverbe. Selon Brøndal (1950)
                                                                                                         et Pottier (1962), le mot reste préposition. Cervoni (1991), quant à lui, parle
                                                                                                         de réadverbialisation (retour à la nature première) pour ces cas de
                                                                                                         prépositions orphelines, comme les a appelées ici même Borillo.
                                                                                                                Ces cas se présentent avec des prépositions comme pour (Je suis
                                                                                                         pour), contre (Je suis contre… tout contre), ou encore avec, sans, avant,
                                                                                                         après. De même avec dans, sur et sous préfixés à l’aide du de dit inverseur.
                                                                                                         Ces prépositions sont moins abstraites et moins polyvalentes que leurs
                                                                                                         homologues à, de ou en. La charge notionnelle qu’elles emportent les rend
                                                                                                         plus aptes à jouer, le cas échéant, le rôle d’apport. On passerait alors d’une
                                                                                                         extension de type catégoriel pour ces mots suivis d’un régime à une extension
                                                                                                         de type notionnel si ce régime fait défaut, ce qui les habiliterait à occuper
                                                                                                         une fonction adverbiale.
                                                                                                                Il est à noter cependant que ce processus touche exceptionnellement
                                                                                                         jusqu’aux prépositions les plus abstraites, comme en témoigne l’exemple


                                                                                                         68
Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

                                                                                                         de La Fête de Vailland, cité par Cervoni (1991) : Il n’est pas un homme qui
                                                                                                         se complaît, qui accepte, qui se morfond, pour qui la torpeur succède au
                                                                                                         sommeil, l’amertume à la ferveur, qui reste dans. Il est un homme qui va à.
                                                                                                               Selon nous, il est possible de considérer que, si la préposition se
                                                                                                         retrouve en emploi de complément adverbial, ce n’est pas parce qu’elle est
                                                                                                         ou est devenue un adverbe, mais bien parce qu’il y aurait eu
                                                                                                         pronominalisation du syntagme prépositionnel par effacement du nom. Ce
                                                                                                         type de pronominalisation par effacement est tout à fait courant : voyez, par
                                                                                                         exemple, la pronominalisation du syntagme nominal objet dans Pierre mange
                                                                                                         la pomme ; il la mange ; seul reste du syntagme nominal le déterminant la,
                                                                                                         déterminant qui partage avec la préposition, dans notre système, la
                                                                                                         caractéristique d’avoir une extension de type catégoriel et d’être translateur.
                                                                                                         La préposition, tout comme le déterminant, deviendrait un désignatif, pourvu
                                                                                                         d’une extension notionnelle, par la seule pronominalisation, qui garderait à
                                                                                                         l’élément pronom accidentel la fonction de l’élément pronominalisé, en
                                                                                                         l’espèce complément adverbial. Point n’est dès lors besoin de dire que la
                                                                                                         préposition est devenue adverbe. Tout au plus occupe-t-elle, à elle seule, la
                                                                                                         fonction de complément adverbial.
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                                                                                                                                                                                                   Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
                                                                                                         4.     Conclusion
                                                                                                         Conscient de ce que le peu d’espace nous a obligé à ne faire qu’effleurer
                                                                                                         certaines questions importantes relatives à la délimitation des champs
                                                                                                         respectifs de la préposition et de l’adverbe, nous espérons néanmoins avoir
                                                                                                         donné des perspectives de réflexion quant à la valeur systématique de la
                                                                                                         préposition dans le double système des parties de langue et des parties de
                                                                                                         discours. Mot outil, grammatical, vide, incolore… pas seulement : mot
                                                                                                         d’extension médiate sur base d’une intension catégorielle de type sémantico-
                                                                                                         fonctionnel, et d’incidence bilatérale ; passeur, rapporteur et translateur
                                                                                                         d’incidence.

                                                                                                                                        RÉFÉRENCES

                                                                                                         ARNAULD et LANCELOT, 1660, Grammaire générale et raisonnée Contenant Les
                                                                                                            fondemens de l’art de parler expliquez d’une maniere claire & naturelle ; Les
                                                                                                            raisons de ce qui est commun à toutes les langues, & des principales differences
                                                                                                            qui s’y rencontrent ; Et plusieurs remarques nouvelles sur la Langue Françoise,
                                                                                                            Paris, Pierre le Petit (édition critique par H.E. BREKLE , Grammaire générale et
                                                                                                            raisonnée, ou la Grammaire de Port-Royal, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann/
                                                                                                            Holzboog, 1966).
                                                                                                         BEAUZÉE N., 1767, Grammaire générale ou Exposition raisonnée des éléments
                                                                                                            nécessaires du langage, pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues,
                                                                                                            Paris, J. Barbou, 2 vol.


                                                                                                                                                                                             69
Dan VAN RAEMDONCK

                                                                                                         B LINKENBERG A., 1960, Le problème de la transitivité en français moderne. Essai
                                                                                                             syntactico-sémantique, Copenhague, Munksgaard.
                                                                                                         B LINKENBERG A., 1967, « Remarques sur les substantifs à détermination double
                                                                                                             hétéromorphe », Studia neophilologica, 39, 1, p. 108-127.
                                                                                                         B RØNDAL V., 1950, Théorie des prépositions. Introduction à une sémantique
                                                                                                             rationnelle, trad. fr. par N AERT P., Copenhague, Munksgaard.
                                                                                                         C ERVONI J., 1990a, « La partie du discours nommée adverbe », Langue française,
                                                                                                             88, p. 5-11.
                                                                                                         C ERVONI J., 1990b, « Prépositions et compléments circonstanciels », Langue
                                                                                                             française, 86, p. 85-89.
                                                                                                         C ERVONI J., 1991, La préposition. Étude sémantique et pragmatique, Paris/Louvain-
                                                                                                             la-Neuve, Duculot.
                                                                                                         DUMARSAIS C., 1769, Logique et principes de grammaire, Paris, Briasson, Le Breton
                                                                                                             & Hérissant fils.
                                                                                                         F AULEAU, 1786, Métaphysique de la langue françoise ou développement des
                                                                                                             principes sur lesquels est établie la contexture de cette langue, Paris, Quillau.
                                                                                                         LONEUX E., 1799, Grammaire générale appliquée à la langue française, Liège, L.
                                                                                                             Bassenge.
                                                                                                         MOIGNET G., 1973, « Incidence verbale et transitivité », Travaux de linguistique et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université




                                                                                                             de littérature, 11, pp. 363-379.




                                                                                                                                                                                                 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université
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                                                                                                             linguistique et de littérature, 12, 1, pp. 281-299.
                                                                                                         MOIGNET G., 1981, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck.
                                                                                                         POTTIER B., 1962, Systématique des éléments de relation, Paris, Klincksieck.
                                                                                                         THIÉBAULT D., 1802, Grammaire philosophique, nouvelle impression en fac-similé
                                                                                                             de l’édition de 1802 avec une introduction de D. DROIXHE, Stuttgart, Frommann,
                                                                                                             1977.
                                                                                                         VAN RAEMDONCK D., 1998, « Sous mon arbre, volait un esthète », in ENGLEBERT A.,
                                                                                                             PIERRARD M., ROSIER L. et VAN RAEMDONCK D. (éds), La Ligne claire. De la
                                                                                                             linguistique à la grammaire. Mélanges offerts à Marc WILMET, Louvain-la-Neuve,
                                                                                                             Duculot, p. 237-252.
                                                                                                         VAN RAEMDONCK D., à paraître, « En attendant l’incidence : la relation d’attente »,
                                                                                                             in Actes du IXe Colloque International de Psychomécanique du langage (Québec
                                                                                                             août 2000).
                                                                                                         WILMET M., 1986, La détermination nominale, Paris, PUF.
                                                                                                         WILMET M., 19982, Grammaire critique du français, Paris/Louvain-la-Neuve,
                                                                                                             Hachette/Duculot.




                                                                                                         70

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Adverbe et préposition : cousin, cousine ?

  • 1. ADVERBE ET PRÉPOSITION : COUSIN, COUSINE ? Dan Van Raemdonck De Boeck Université | Travaux de linguistique 2001/1 - no42-43 pages 59 à 70 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2001-1-page-59.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Van Raemdonck Dan , « Adverbe et préposition : cousin, cousine ? » , Travaux de linguistique, 2001/1 no42-43, p. 59-70. DOI : 10.3917/tl.042.059 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
  • 2. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? ADVERBE ET PRÉPOSITION : COUSIN, COUSINE ? DAN VAN RAEMDONCK* Université Libre de Bruxelles Enfermés dans le sous-ensemble traditionnel des parties du discours invariables, la préposition et l’adverbe partagent incontestablement certains traits et ont été souvent liés dans l’analyse : invariabilité – évidemment –, proximité de ces deux parties du discours dans la constitution des compléments circonstanciels, équivalence reconnue – voire exigée par certains (Port-Royal, notamment) – entre adverbe et syntagme prépositionnel, emploi adverbial de la préposition sans régime… Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Nous essayerons de comparer les places et fonctionnements respectifs de la préposition et de l’adverbe dans le cadre d’un système morphosyntaxique particulier : un sous-système de parties de langue (ou natures) organisé autour du critère de l’extension ; un sous-système de parties de discours (ou fonctions) organisé autour du critère de l’incidence. Notre contribution devrait permettre de classer ce qui incombe à la préposition ou à l’adverbe dans les difficultés qu’éprouve la grammaire à traiter ces deux parties de langue et de discours, et ce, donc, tant du point de vue de leur nature que de celui de leur fonction. Pour ce faire, nous envisagerons successivement trois types de parentés : la parenté génétique, la parenté morphologique et la parenté syntaxique. À maints égards, notre propos consiste à ouvrir des pistes de réflexion plutôt qu’à asséner des vérités non autrement révélées. 1. La parenté génétique La parenté génétique entre préposition et adverbe est à envisager sous deux angles : celui de l’équivalence entre l’adverbe et le groupe « préposition + nom », et celui de l’hypothèse communément admise de la genèse de la préposition à partir de l’adverbe. * Université Libre de Bruxelles – Faculté de Philosophie et Lettres - CP 175, – 50 avenue F. D. Roosevelt, 1050 Bruxelles (Belgique). – Tél : +322 6504442. – Courriel : dvanraem@ulb.ac.be 59
  • 3. Dan VAN RAEMDONCK 1.1. L’équation adverbe = préposition + nom La Grammaire Générale et Raisonnée de Port-Royal (1660) est à l’origine d’un courant dont la fortune fut énorme : l’équation « adverbe = préposition + nom ». Pour Arnauld et Lancelot, l’adverbe a peu d’intérêt. C’est un mot doublement secondaire : d’abord par rapport au schéma préposition + nom, ensuite par rapport au substantif décliné à certains cas (ici l’ablatif). Ces adverbes ont été créés dans une finalité bien précise (1660 : 88) : Le désir que les hommes ont d’abréger le discours, est ce qui a donné lieu aux Adverbes. Car la plupart de ces particules ne sont que pour signifier en un seul mot, ce qu’on ne pourrait marquer que par une préposition & un nom : comme sapienter, sagement, pour cum sapientia, avec sagesse : hodie pour in hoc die, aujourd’hui. La classe de l’adverbe répond donc à la nécessité de l’économie dans un système linguistique. Cette conception de l’adverbe, équivalent sémantique et fonctionnel Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université du groupe préposition + nom, va prendre de l’ampleur au XVIIIe siècle, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université avec la grammaire générale. On la retrouve notamment chez les grammairiens de l’Encyclopédie, Dumarsais et Beauzée. Chez ces auteurs, on observe d’ailleurs une inversion de perspective par rapport à Port-Royal. L’équation « adverbe = préposition + nom » suppose une connaissance préalable de la classe des adverbes et une vérification a posteriori de la validité de l’équation : il suffit de prendre n’importe quel mot et de voir si la substitution est possible pour avoir un adverbe. Cependant, s’il y a équivalence adverbe/préposition + nom (phrase adverbiale), Beauzée refuse la synonymie parfaite, au nom du principe d’économie (1767 : II, 548), même si cela ne l’empêche pas d’y revenir par la suite (1767: II, 567) : Il est constant qu’une préposition avec son complément, est l’équivalent d’un adverbe, et que tout mot qui est l’équivalent d’une préposition avec son complément est un adverbe. Cette conception de l’équivalence adverbe = préposition + nom, « où le transformationalisme reconnaîtra un des acquis majeurs de la grammaire générale : la conversion elliptique » (Droixhe, 1977 : 54), sera reprise explicitement par Chomsky et la grammaire générative et transformationnelle. Les critiques de la définition de l’adverbe par l’équation « adverbe = préposition + nom » n’ont pas manqué (notamment Fauleau 1786, Loneux 1799 et Thiébault 1802), critiques qui peuvent se résumer ainsi : • On ne définit pas un mot par ce à quoi il est équivalent ; 60
  • 4. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? • L’équation n’est pas réciproque ; • Certains adjectifs (juste = de justice) et certains pronoms (me = à moi) acceptent une telle décomposition ; • Tous les adverbes ne se laissent pas décomposer. Même si la conception se maintient, elle ne permet guère de définir correctement la classe des adverbes, considérés comme accessoires. L’adverbe n’y serait qu’une forme secondaire prise, après transformation, par des mots appartenant à d’autres classes. De plus, une telle conception procède de la confusion entre les plans de nature (adverbe) et de fonction (la fonction adverbiale du syntagme prépositionnel). 1.2. L’hypothèse de la genèse de la préposition Pour faire le départ entre préposition et adverbe, il faut procéder à niveau équivalent et considérer la parenté entre la préposition et l’adverbe en tant que classes de mots. L’hypothèse généralement admise (rappelée par Cervoni 1991) revient Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université à dériver la classe des prépositions de celle des adverbes. Dans les langues Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université à cas, l’adverbe serait venu s’insérer entre le verbe et son complément pourvu d’un cas afin de pallier les déficiences d’expression, de préciser davantage les rapports de signification. À partir d’une situation où l’on n’observe pas de rapport de cas entre l’adverbe et le nom, et suite à une multiplication des mises en rapport « adverbe-nom pourvu de cas », on assiste à l’apparition d’un phénomène conçu comme rection. De l’adverbe rattaché au verbe (ou à une relation entre le verbe et son complément), on est dès lors passé à la préposition régissant le nom. La morphologie intégrée (cas) est remplacée par une morphologie externe qui marque les rapports de signification à l’aide de morphèmes séparés. 2. La parenté morphologique Pour pouvoir juger de la parenté morphologique entre prépositions et adverbes, il faut les inscrire dans un double système de parties de langue (natures) et de parties de discours (fonctions), dans lequel ces classes occuperaient une place relativement à la place occupée par les autres parties de langue ou de discours. Après avoir présenté le système guillaumien, qui a le mérite du caractère systématique, nous tenterons d’en proposer un second qui pallie les faiblesses constatées. 2.1. Le système guillaumien des classes de mots Chez Guillaume, les huit parties de langue (l’interjection est exclue du nombre) se répartissent en deux groupes : 61
  • 5. Dan VAN RAEMDONCK • Les parties de langue prédicatives regroupe des mots qui désignent une notion (désignatifs). Ces mots sont pourvus d’une incidence (relation entre apport et support de signification). Ce sont les noms, adjectifs, verbes et adverbes. Dans le système, l’adverbe occupe une position charnière entre les parties du discours prédicatives, dont il clôt la série au niveau le plus élevé d’abstraction, et les parties du discours non prédicatives. Tout ce qui relève de l’incidence externe du second degré (incidence à une incidence en cours, à une relation entre deux termes) sera défini comme adverbe. • Le système des parties de langue non prédicatives a, contrairement au système des parties prédicatives, été peu étudié dans la littérature psychomécanique. Moignet (1981), le premier, dresse un tableau général pour le français ; Guimier (1988 : 31) le reprend pour l’amender : Les parties de langue non prédicatives ont été définies comme des mots dont le signifié matériel est une forme en position de matière. Leur apport de signification est constitué par un mouvement permettant l’appréhension Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université des notions véhiculées par les parties de langue prédicatives. Contrairement Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université à celles-ci, elles ne sont pas en prise directe avec l’univers expérientiel mais avec le fonctionnement de la pensée pensante de l’homo loquens. Ces parties de langues recouvrent, chez Guillaume, des mots qui ne désignent pas de notion. Ces mots sont dépourvus d’incidence. Ce sont les articles, pronoms, prépositions et conjonctions. La préposition ouvre le champ des parties non prédicatives et est donc d’un niveau d’abstraction encore plus élevé que l’adverbe. L’incidence indirecte au substantif – telle que l’adverbe la comporte – marque, par rapport au terme d’incidence, le plus grand éloignement possible. Un éloignement plus grand entraîne l’abolition de l’incidence à un support. Et du même coup, le mot voit son incidence se produire non pas à un support sémantique, mais entre deux supports sémantiques. L’incidence tombe dans un intervalle : elle est diastématique. Nous nommerons l’intervalle au sein duquel elle tombe le diastème. (Guillaume, Leçon du 23 mai 1940 : 1-2, inédit cité par Cervoni 1991 : 72) La préposition ne possède pas d’incidence car, dans la langue, elle échoit à un vide, et, en discours, à un intervalle : La préposition ne se trouve pas un support à l’égard duquel elle soit prédicative. Aussi longtemps qu’un support à l’égard duquel elle serait prédicative existe : elle est adverbe ou même adjectif (fonctionnellement s’entend). C’est l’exclusion [ou l’extinction] de la fonction adjective qui fait la préposition. (Guillaume, Leçon du 20 mai 1954 : 2, inédit cité par Cervoni 1991 : 73) 62
  • 6. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? Du fait de ce défaut d’adjectivation, la préposition ne dit pas ce qu’on pense, ne dit pas les idées (la matière), mais comment on pense, la manière de penser ces idées (la forme). Les prépositions sont donc des mots propres à employer d’autres mots, signes d’emplois du langage. Moignet (1981) revient sur l’absence de signifié et d’incidence imputée aux prépositions. Selon lui, la préposition a bien un signifié et pourrait dès lors jouer le rôle d’apport de signification. La préposition est à la recherche d’un double support d’incidence : il parle d’incidence bilatérale, vers un support d’avant et un support d’après (le régime de la préposition). Ce faisant, Moignet dynamite l’opposition « parties prédicatives vs parties non prédicatives » fondée sur base de leur caractère désignatif ou non. De même disparaît l’opposition entre parties de langue pourvues ou non d’une incidence. Il entre enfin en contradiction avec la vision guillaumienne de l’échéance de la préposition à un diastème : la disparition de l’inaptitude à l’adjectivation entraîne la disparition de la définition spécifique de la préposition par sa nature diastématique. Chez Moignet, la préposition est vue comme non prédicative, comme déflexive du nom (alternative au cas), comme une forme ayant vocation à servir de support à la matière notionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université d’un élément nominal. De fait, la reconnaissance – légitime, selon nous – de matière même subtile à la préposition force à revoir le système d’analyse et à proposer un autre système à l’intérieur duquel toutes les parties de langue seraient discriminées sur base du même critère. 2.2. Une définition en extension Pour pallier les difficultés rencontrées par la psychomécanique, nous proposerons un autre système de parties de langue fondé sur un critère de distinction sémantico-référentiel : l’extension, définie comme l’ensemble des êtres ou des objets du monde pensable auquel un mot peut être appliqué (en fonction de son intension). Selon Wilmet (1986 et 1998), le nom est pourvu d’une extension immédiate, l’adjectif (qui contient l’article traditionnel) et le verbe d’une extension médiate. Il importe de pouvoir définir les autres parties de langue sur base du même critère. Un exemple permettra d’illustrer le propos. La notion de lumière peut être perçue, conçue et pensée. Cette pensée peut être exprimée à l’aide de mots assignés à des parties de langue, qui signifient que leur extension peut être perçue de manière immédiate (nom), médiate (adjectif, verbe) ou bimédiate (adverbe). La notion de lumière qui renvoie à des êtres, objets ou relations du monde pensable peut être rendue à l’aide du nom lumière, si on veut exprimer que l’extension considérée est perçue de manière immédiate (l’extension recouvrira des objets lumière) ; à l’aide de l’adjectif lumineux ou du verbe allumer, si on veut exprimer que 63
  • 7. Dan VAN RAEMDONCK l’extension considérée est perçue de manière médiate (l’extension recouvrira des êtres ou des objets dont on dit qu’ils sont lumineux ou qu’ils allument) ; à l’aide de l’adverbe lumineusement, si on veut exprimer que l’extension considérée est perçue de manière bimédiate (l’extension recouvrira des relations entre êtres ou objets, relation que l’on caractérise ou prédique de lumineuses). L’extension pour chacune de ces parties de langue est basée sur une intension notionnelle (ces mots sont des désignatifs, au sens donné par Guillaume). Cependant, certaines parties de langue ont une extension – elles en ont bien une – fondée sur une intension catégorielle (au sens de catégorie grammaticale). Ce sont, selon nous, le pronom, l’article, la préposition et la conjonction, qui, on le remarquera, sont des catégories à éléments translateurs (au sens donné par Tesnière). On aurait une extension catégorielle (formelle) immédiate pour le pronom, qui répondrait à l’extension notionnelle (matérielle) immédiate du nom ; une extension catégorielle médiate pour l’article, qui répondrait à l’extension notionnelle médiate de l’adjectif et du verbe ; et une extension catégorielle bimédiate pour la préposition et la conjonction, qui répondrait à l’extension notionnelle Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université bimédiate de l’adverbe. La locution prépositionnelle à la lumière de peut venir compléter le paradigme extensionnel de la notion de lumière. L’extension de la préposition pourrait dès lors se définir comme suit : l’ensemble des objets (êtres, objets, faits ou situations, termes ou relations) du monde pensable susceptibles d’être reliés en fonction de l’argument catégoriel (sémantico-fonctionnel) que la préposition signifie. 3. La parenté syntaxique Dans un système de parties de discours (fonctions) organisé par le critère de l’incidence (relation entre un apport et un support de signification), la préposition se retrouve, suivie d’un élément nominal, essentiellement au sein d’un syntagme prépositionnel (SP) ; la cohésion entre la préposition rectrice et le terme régi est d’ailleurs très forte, comme en témoigne la possibilité de commuter des SP avec de simples adjectifs (de ma mère vs maternel). Reste à en définir la fonction en termes d’incidence. À côté du sujet, par exemple, caractérisé par une incidence interne (le sujet ne se rapporte à rien d’autre qu’à lui-même), et des compléments de terme (du nom, du verbe, de l’adjectif, de l’adverbe, …), caractérisés eux par une incidence externe du premier degré, les compléments adverbiaux, quoique morphologiquement divers (du mot à la phrase), sont unifiés par la caractéristique de la fonction qu’ils ont en commun : l’incidence externe du second degré, la propriété qu’ils ont de porter syntaxiquement sur une relation entre deux termes. 64
  • 8. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? La préposition, par l’incidence bilatérale qu’elle suppose (elle est le support d’un apport, qu’elle rapporte à un autre support — terme ou relation), joue le rôle de petit rapporteur, de passeur, de translateur d’incidence. Elle est le marqueur d’incidence et, par là même, elle est l’incidence. Elle partage avec la conjonction de subordination et le pronom relatif (suivis tous deux d’un élément verbal) un rôle de ligateur, mais contrairement à ces deux éléments elle n’est pas enchâsseur. La fonction du SP est caractérisée par le type d’incidence que passe et marque la préposition Le SP constitué occupe la plupart du temps une fonction caractérisée par une incidence externe du premier degré : complément du nom, du verbe, de l’adjectif, de l’adverbe, voire prédicat second (Le livre de Pierre ; il profite de la vie ; conformément à son habitude, loin de se défiler, il a fait une prestation pleine de surprises ; il me prend pour un idiot ; à bout de nerfs, elle est sortie en pleurant) ; ou par une incidence externe du second degré : complément adverbial d’une des relations de la phrase (La prise de Constantinople par les Ottomans en 1453… ; par bonheur, il est parti ; il range ses fiches par ordre alphabétique). Exceptionnellement, on le retrouve en fonction sujet, fonction caractérisée par une incidence interne (De lui Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université répondre ne serait pas intéressant (exemple de Moignet 1981 : 237)). Dans ce système de fonctions subsiste une zone floue ; flou dont l’origine réside dans l’interprétation à donner des items et non dans l’absence de précision des concepts. En effet, si l’adjectif se trouve, dans l’immense majorité des cas, dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du premier degré (complément de terme), et si l’adverbe se trouve, dans l’immense majorité des cas également, dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du second degré (complément d’une relation entre deux termes), le syntagme prépositionnel, se retrouve donc généralement, soit dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du premier degré, soit dans un emploi caractérisé par l’incidence externe du second degré. Dans l’exemple [1] le SP a une fonction adjectivale (prédicat second du sujet) ; dans [2], il a une fonction adverbiale (complément de la relation prédicative): [1] À bout de nerfs, elle est sortie en pleurant. [2] À la force du poignet, il a remonté la pente. Dans [3] cependant, il est plus difficile de trancher : les interprétations adjectivale ou adverbiale sont possibles. [3] Dans mon hamac, je roule en Cadillac. L’absence de marques formelles laisse dès lors le champ libre à l’interprétation. Ce qui ressort de ceci, ce n’est pas tant l’hétérogénéité tant de fois relevée de la fonction adverbiale, que l’ambiguïté fonctionnelle du syntagme 65
  • 9. Dan VAN RAEMDONCK prépositionnel, ambiguïté dont la cause est à chercher notamment dans la difficulté qu’éprouve la langue à exprimer dans le linéaire une architecture bidimensionnelle. Nous souhaiterions, pour terminer, évoquer deux questions de frontières et proposer des pistes — à creuser encore — de réponses : la question du statut de l’objet indirect et la préposition sans régime. 3.1. Le statut du complément (d’objet) indirect Au sein des compléments du verbe (objet direct ou premier, objet indirect ou second, circonstanciel obligatoire ou non) quelle place accorder à l’objet indirect ? On connaît les tentatives avortées de séparation de l’objet indirect et du circonstanciel. Les tests formels ne donnent guère de résultats fiables : il est possible d’interposer des éléments entre le verbe et l’objet (il appartient, si je ne me trompe, au professeur) ; la mobilité présumée du circonstanciel est difficile pour les compléments de manière intraprédicatifs (?? bien je me comporte) ; la pronominalisation se fait en y et en en pour des objets indirects comme pour des circonstanciels (il en profite ; il en vient ; il y Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université pense ; il y passe ses vacances), sans compter la pronominalisation en en de certains objets directs (il en mange, des pommes). Blinkenberg (1967) disait déjà que les critères formels sont inopérants. Selon Cervoni (1991), ce sont des critères sémantiques qui entrent en ligne de compte. Tout serait affaire de transitivité, notion basée, chez lui, sur la complétude et l’affinité sémantique entre verbe et complément, ce qui aboutit à une vision de la complémentation verbale en terme de gradation et de continuum de transitivité. Plus fondamentalement, se pose, selon nous, la question de la nécessité du maintien d’un type de complément dont la définition doit beaucoup (trop ?) à l’accord du participe passé. Si l’on s’en tient à la définition du complément du verbe comme étant incident externe au premier degré (portée sur un terme : le verbe) et à celle du complément adverbial comme incident externe au second degré (portée sur une relation), quelle place nécessaire reste-t-il pour ce troisième type, l’objet indirect ? En d’autres termes, n’y aurait-il pas moyen de reverser ce que l’on étiquette traditionnellement objet indirect soit dans le premier soit dans le deuxième type de complément ? Soient les exemples suivants : [4] Pierre donne des fleurs à Marie. [5] Pierre envoie des fleurs à Rome. [6] La lettre a été envoyée par Pierre. [7] Le colis a été expédié par la poste. [8] Pierre (dé)tient ça de son père. 66
  • 10. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? [9] Pierre profite de la vie. [10] Pierre va à Paris. La parenté entre la structure de [4] et de [5] pourrait pousser à reverser l’objet indirect (complément d’attribution) à Marie dans l’ensemble des adverbiaux, comme à Rome, et ce, même si la pronominalisation se faisait en lui dans le premier cas, et en y dans le deuxième. La pronominalisation en y est par ailleurs possible pour à Marie dans une phrase comme Pierre pense à Marie ; il y pense. Dans [4], le complément adverbial porterait alors sur la relation entre des fleurs et donne, pour la déterminer. Cette même parenté se retrouve entre [6] et [7], entre le complément d’agent et le complément de moyen, par ailleurs non pronominalisables à l’aide d’un clitique. Dans [6], l’adverbial porterait, pour la déterminer, sur la relation entre envoyée (pronominalisable en le : Elle l’a été par Pierre) et a été. De même en [8], la relation entre ça et (dé)tient peut servir de support à l’adverbial de son père. On remarquera cependant le caractère nécessaire du complément adverbial à la bonne compréhension du verbe. Comme si le complément appartenait à la valence du verbe. Ce caractère nécessaire est Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université d’autant plus flagrant en [9] et [10], pour des compléments respectivement Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université étiquetés d’objet indirect et circonstanciel, qu’il ne se trouve pas en apparence d’objet direct pour servir avec le verbe de pôle à une relation- support d’un adverbial. On constate dans ce cas un glissement de l’indirect ou du circonstanciel vers le complément (essentiel) du verbe, caractérisé par une incidence externe du premier degré (complément de terme et plus de relation). Ce rapprochement s’observe également au niveau de la construction des sous-phrases : Je m’étonne de votre retard/que vous soyez en retard vs de ce que vous soyez en retard, qui décline. Cette idée était déjà présente chez Blinkenberg (1960), qui rapprochait par exemple traiter d’un sujet/un sujet, atteindre au but/un but. D’autres syntagmes, introduits par une préposition considérée comme plus lourde, peuvent également glisser vers cette position de complément de verbe : Pierre table sur sa réussite, il opte pour telle solution, le jeu consiste en une suite d’épreuves… Reste à s’interroger sur la portée de ces compléments. Si, pour les exemples [4] à [8], la relation entre le complément du verbe et ce même verbe peut servir de support à un complément de relation, qu’en est-il pour [9] et [10] qui ne présentent pas de complément du verbe autre que l’indirect ? Selon nous (Van Raemdonck, à paraître), tout verbe est susceptible d’une complémentation. Cela signifie que, avant même que le complément du verbe soit effectivement incident à celui-ci, le verbe se trouve en attente de complémentation (ce qui correspond à sa valence). Cette relation d’attente est une incidence d’attente, susceptible de servir de support notamment à un complément adverbial. Ce complément adverbial, inscrit à ce niveau précoce de la construction du syntagme verbal, fait également partie de la 67
  • 11. Dan VAN RAEMDONCK valence verbale. Ensuite, la relation d’incidence d’attente est rendue effective par adjonction ou non du complément du verbe. Dans les exemples [4] à [8], le complément du verbe est présent ; dans les exemples [9] et [10], le complément du verbe est un complément Ø (zéro). Dans ces derniers exemples, l’absence répétée de complémentation du verbe (même si l’on peut aller son chemin) a pu faire glisser le complément adverbial de sa place de complément de la relation d’attente vers celle de complément du verbe, glissement d’autant plus compréhensible que ce complément de relation fait partie de la valence du verbe. Ce qui ferait dès lors la différence entre les traditionnels indirects et circonstanciels obligatoires, d’une part, et les traditionnels circonstanciels facultatifs (Il range (ses fiches) par ordre alphabétique), d’autre part, ce serait le niveau plus précoce d’intervention des premiers dans la construction de la phrase, conformément à la valence verbale. À partir de ce qui précède, nous proposons de reverser les objets indirects soit aux compléments adverbiaux, soit, après évolution vers la complémentation essentielle du verbe, aux compléments du verbe. Répartis dès lors entre compléments de relation ou compléments de terme, ils ne Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université nécessitent plus guère de prise en considération particulière. Exit donc le complément d’objet indirect. 3.2. L’absence de régime Que devient une préposition dépourvue de régime ? À partir du moment où l’on a distingué la préposition de l’adverbe par la nécessité pour la première d’être suivie d’un régime, l’absence de ce dernier soulève des questions : préposition ou adverbe ? Moignet (1981) opte pour la solution adverbe. Selon Brøndal (1950) et Pottier (1962), le mot reste préposition. Cervoni (1991), quant à lui, parle de réadverbialisation (retour à la nature première) pour ces cas de prépositions orphelines, comme les a appelées ici même Borillo. Ces cas se présentent avec des prépositions comme pour (Je suis pour), contre (Je suis contre… tout contre), ou encore avec, sans, avant, après. De même avec dans, sur et sous préfixés à l’aide du de dit inverseur. Ces prépositions sont moins abstraites et moins polyvalentes que leurs homologues à, de ou en. La charge notionnelle qu’elles emportent les rend plus aptes à jouer, le cas échéant, le rôle d’apport. On passerait alors d’une extension de type catégoriel pour ces mots suivis d’un régime à une extension de type notionnel si ce régime fait défaut, ce qui les habiliterait à occuper une fonction adverbiale. Il est à noter cependant que ce processus touche exceptionnellement jusqu’aux prépositions les plus abstraites, comme en témoigne l’exemple 68
  • 12. Adverbe et préposition : cousin, cousine ? de La Fête de Vailland, cité par Cervoni (1991) : Il n’est pas un homme qui se complaît, qui accepte, qui se morfond, pour qui la torpeur succède au sommeil, l’amertume à la ferveur, qui reste dans. Il est un homme qui va à. Selon nous, il est possible de considérer que, si la préposition se retrouve en emploi de complément adverbial, ce n’est pas parce qu’elle est ou est devenue un adverbe, mais bien parce qu’il y aurait eu pronominalisation du syntagme prépositionnel par effacement du nom. Ce type de pronominalisation par effacement est tout à fait courant : voyez, par exemple, la pronominalisation du syntagme nominal objet dans Pierre mange la pomme ; il la mange ; seul reste du syntagme nominal le déterminant la, déterminant qui partage avec la préposition, dans notre système, la caractéristique d’avoir une extension de type catégoriel et d’être translateur. La préposition, tout comme le déterminant, deviendrait un désignatif, pourvu d’une extension notionnelle, par la seule pronominalisation, qui garderait à l’élément pronom accidentel la fonction de l’élément pronominalisé, en l’espèce complément adverbial. Point n’est dès lors besoin de dire que la préposition est devenue adverbe. Tout au plus occupe-t-elle, à elle seule, la fonction de complément adverbial. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université 4. Conclusion Conscient de ce que le peu d’espace nous a obligé à ne faire qu’effleurer certaines questions importantes relatives à la délimitation des champs respectifs de la préposition et de l’adverbe, nous espérons néanmoins avoir donné des perspectives de réflexion quant à la valeur systématique de la préposition dans le double système des parties de langue et des parties de discours. Mot outil, grammatical, vide, incolore… pas seulement : mot d’extension médiate sur base d’une intension catégorielle de type sémantico- fonctionnel, et d’incidence bilatérale ; passeur, rapporteur et translateur d’incidence. RÉFÉRENCES ARNAULD et LANCELOT, 1660, Grammaire générale et raisonnée Contenant Les fondemens de l’art de parler expliquez d’une maniere claire & naturelle ; Les raisons de ce qui est commun à toutes les langues, & des principales differences qui s’y rencontrent ; Et plusieurs remarques nouvelles sur la Langue Françoise, Paris, Pierre le Petit (édition critique par H.E. BREKLE , Grammaire générale et raisonnée, ou la Grammaire de Port-Royal, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann/ Holzboog, 1966). BEAUZÉE N., 1767, Grammaire générale ou Exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage, pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues, Paris, J. Barbou, 2 vol. 69
  • 13. Dan VAN RAEMDONCK B LINKENBERG A., 1960, Le problème de la transitivité en français moderne. Essai syntactico-sémantique, Copenhague, Munksgaard. B LINKENBERG A., 1967, « Remarques sur les substantifs à détermination double hétéromorphe », Studia neophilologica, 39, 1, p. 108-127. B RØNDAL V., 1950, Théorie des prépositions. Introduction à une sémantique rationnelle, trad. fr. par N AERT P., Copenhague, Munksgaard. C ERVONI J., 1990a, « La partie du discours nommée adverbe », Langue française, 88, p. 5-11. C ERVONI J., 1990b, « Prépositions et compléments circonstanciels », Langue française, 86, p. 85-89. C ERVONI J., 1991, La préposition. Étude sémantique et pragmatique, Paris/Louvain- la-Neuve, Duculot. DUMARSAIS C., 1769, Logique et principes de grammaire, Paris, Briasson, Le Breton & Hérissant fils. F AULEAU, 1786, Métaphysique de la langue françoise ou développement des principes sur lesquels est établie la contexture de cette langue, Paris, Quillau. LONEUX E., 1799, Grammaire générale appliquée à la langue française, Liège, L. Bassenge. MOIGNET G., 1973, « Incidence verbale et transitivité », Travaux de linguistique et Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université de littérature, 11, pp. 363-379. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h23. © De Boeck Université MOIGNET G., 1974, « Sur la “ transitivité indirecte ” en français », Travaux de linguistique et de littérature, 12, 1, pp. 281-299. MOIGNET G., 1981, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck. POTTIER B., 1962, Systématique des éléments de relation, Paris, Klincksieck. THIÉBAULT D., 1802, Grammaire philosophique, nouvelle impression en fac-similé de l’édition de 1802 avec une introduction de D. DROIXHE, Stuttgart, Frommann, 1977. VAN RAEMDONCK D., 1998, « Sous mon arbre, volait un esthète », in ENGLEBERT A., PIERRARD M., ROSIER L. et VAN RAEMDONCK D. (éds), La Ligne claire. De la linguistique à la grammaire. Mélanges offerts à Marc WILMET, Louvain-la-Neuve, Duculot, p. 237-252. VAN RAEMDONCK D., à paraître, « En attendant l’incidence : la relation d’attente », in Actes du IXe Colloque International de Psychomécanique du langage (Québec août 2000). WILMET M., 1986, La détermination nominale, Paris, PUF. WILMET M., 19982, Grammaire critique du français, Paris/Louvain-la-Neuve, Hachette/Duculot. 70