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Louis Quesnel 
Les consommateurs et la publicité : sur un livre du professeur 
Meynaud 
In: Les Cahiers de la publicité. N°13, pp. 91-98. 
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Quesnel Louis. Les consommateurs et la publicité : sur un livre du professeur Meynaud . In: Les Cahiers de la publicité. N°13, 
pp. 91-98. 
doi : 10.3406/colan.1965.4970 
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_1268-7251_1965_num_13_1_4970
les consommateurs 
et la publicité 
sur un livre du professeur meynaud 
par Louis QUESNEL 
Directeur à F t Ecole Pratique des Hautes 
Etudes» et professeur à l'Université de Lau 
sanne, Jean Meynaud vient de publier un livre 
important où il cherche à se placer dans la 
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propos. 
Au fil des 623 pages de cette étude copieuse et concrète, on exa 
mine notamment la « situation générale » et les « formes d'exploita 
tiodnes consommateurs », les groupements de consommateurs en 
France et en Europe, ainsi que les modalités de leurs interventions 
sur le marché ou auprès des pouvoirs publics et, enfin, certains 
aspects économiques et politiques de « l'opulence ». 
Comme on voit, la matière de l'ouvrage est fort riche, sous une 
forme parfois excessivement prolixe, et déborde largement le thème 
de notre propos. 
Mais, dans « Les consommateurs et le pouvoir », la Publicité fait 
l'objet de trois sous-chapitres : « Intervention de la réclame », 
« Déformations publicitaires » et « Contrôle de la Publicité », et de 
critiques répétées. 
En outre, il serait difficile de comprendre le point de vue du 
Professeur Meynaud, qui reflète celui de nombreux fonctionnaires, 
sans relier ses jugements concernant la Publicité aux thèses qu'il 
expose avec franchise, et même rudesse, sur les phénomènes de 
consommation. C'est donc par là qu'il nous faut commencer. . 
91
«Une certaine conception de l'Homme». 
« L'homme », remarque l'auteur, « est toujours et de plus en plus 
un consommateur universel » (p. 112) et c'est à juste titre, selon nous, 
que le Professeur Meynaud inclut, dans le champ des consommations 
contemporaines, l'urbanisme et la santé, la culture et les transports 
autant que l'alimentation et l'habillement. 
L'homme ne peut vivre sans consommer, ne serait-ce que de 
l'oxygène, et même cette consommation minimale pose aujourd'hui 
des problèmes (pollution de l'atmosphère des villes, voyages dans 
l'espace extra-terrestre, etc.). 
On peut ainsi admettre que « nos sociétés ont peu de tâches plus 
importantes et plus lourdes de sens à accomplir que l'étude appro 
fondie des besoins des hommes » (p. 533) . 
Quels sont donc les besoins des hommes? 
Question fondamentale, presque métaphysique et pourtant toute 
proche des préoccupations des techniciens du marketing! 
Question à laquelle, malheureusement, le Professeur Meynaud 
n'apporte pas de réponse explicite. 
Or « il est impossible de dresser une échelle de l'importance 
relative des besoins sans partir d'une certaine conception de 
l'homme » (p. 531). 
Et c'est pourquoi, à défaut de cette table des valeurs, les critiques 
adressées à la Publicité au nom de la défense des consommateurs 
nous paraissent si souvent injustes, injustifiables et, disons-le, démag 
ogiques. 
Certes, on peut parfaitement croire que « la réforme des rapports 
de production conditionne en définitive la modification des rapports 
de consommation » (p. 557) encore que ce déterminisme univoque 
ne corresponde plus à la complexité dynamique des économies du 
xx' siècle. , 
On peut évidemment n'avoir « aucune admiration pour le régime 
de la concurrence » (p. 61) et penser que « l'orientation et la mise en 
uvre de la technologie doivent être placées sous contrôle public, la 
planification représentant la seule méthode concevable d'une telle 
intégration » (p. 547) encore que la direction de la consommation, 
en fonction du consommateur, exige des organes et des méthodes de 
planification qui restent entièrement à inventer, puisqu'ils n'existent 
dans aucun pays du monde. 
Mais il nous parait de toute façon contraire aux faits de prétendre 
que « le trait majeur de nos sociétés est la coexistence d'un gaspillage 
frénétique des ressources et d'une impuissance à satisfaire des 
besoins essentiels» (p. 475). 
Certes, dans la France de 1965, des besoins immenses restent à 
satisfaire. Nous l'avons dit ici-même (1). 
(1) Cf. l'article de J. Klanfer dans le n« 12. 
92
Mais la contradiction dénoncée par le Professeur Meynaud est 
plutôt typique des sociétés traditionnelles de pénurie, où le luxe des 
classes dirigeantes et la destruction militaire des richesses coexis 
taient avec les famines périodiques et l'inculture permanente des 
populations. 
Il est vrai que la notion de « gaspillage » est plutôt élastique et 
permet bien des interprétations. On peut parfaitement prétendre que 
le gaspillage commence à partir d'un seuil de satisfaction très bas, 
défini par le fameux « minimum vital ». 
Ce n'est sans doute pas la pensée du Professeur Meynaud, qui 
prend soin de préciser : ... « rien ne m'est plus étranger que de prê 
cher un esprit d'ascèse... ». Mais alors pourquoi ne pas reconnaître 
tout de suite que, sans l'action conjuguée des producteurs et des 
publicitaires qui en dépendent, la plupart des biens de consommation 
actuellement « courants » seraient considérés comme superflus? 
En ce sens, il n'est pas suffisant d'affirmer que « l'intérêt du 
consommateur est, pour une qualité déterminée, d'obtenir le prix le 
plus avantageux » (p. 90). Car, ou bien nous admettons 1' « homo 
economicus » comme une représentation adéquate de l'homme, ou 
bien nous introduisons dans la notion de « qualité » autre chose que 
la simple aptitude à l'emploi. 
Autrement dit, l'Homme, tel qu'il se profile à l'arrière-plan des 
analyses de Jean Meynaud, paraît d'une grande pauvreté psycholog 
iques,i ngulièrement étroit, calculateur et utilitaire, dépourvu de 
sentiments, d'habitudes et de fantaisie bref, plus rationnel que réel. 
La Publicité contrairement à certaines pédagogies autoritaires 
ne croit généralement pas que l'on puisse faire le bonheur des 
hommes malgré eux... 
La condition de consommateur. 
Ayant dit nos réserves de principe, il faut maintenant préciser 
que nous sommes souvent d'accord avec le Professeur Meynaud sur 
la description qu'il fait de la condition de consommateur. 
Il est vrai en effet que : 
1* « les consommateurs sont réduits à un rôle secondaire parce 
qu'on persiste à les traiter comme des mineurs» (p. 233). 
Il n'est d'ailleurs pas moins vrai que les professionnels du mar 
keting contribuent effectivement à la promotion du consommateur 
autant (sinon plus) que toutes les associations de consommateurs 
réunies. 
En faisant prévaloir l'optique de la demande sur celle de l'offre, il 
est indéniable que le publicitaire représente, jusqu'à un certain point, 
les consommateurs auprès de l'annonceur-producteur. Les innomb 
rables améliorations de produits obtenues à la suite de tests effec 
tués par les agences de publicité témoignent de ce rôle médiateur. 
93
2° « La première sauvegarde du consommateur est qu'il se protège 
lui-même », ainsi que le suggérait déjà le rapport Molony pour la 
Grande-Bretagne. 
On peut admettre que, d'une façon générale », les groupes et les 
milieux les mieux défendus sont ceux qui se défendent eux-mêmes» 
(p. 351). Le Professeur Meynaud, spécialiste des « groupes de pres 
sion », sait de quoi il parle! 
Se défendre, soit. Mais contre quelle agression? 
Incontestablement, il y a des fraudeurs, des spéculateurs et des 
profiteurs de la crédulité publique. Mais il ne s'agit que d'une minor 
itéa berrante. 
En réalité, les dangers les plus graves pour la santé, le bien-être 
et l'équilibre du consommateur semblent provenir des « effets secon 
daires » (c'est-à-dire involontaires, sinon imprévisibles) de l'industria 
lisationet de l'urbanisation sur le milieu de vie, plutôt que de la 
consommation de tel ou tel produit particulier. 
3* « Tous les hommes sont des consommateurs » (p. 106) et 
« il est indispensable que les consommateurs soient placés, autant 
que faire se peut, dans une situation d'égalité avec les producteurs » 
(p. 345). 
Les producteurs valables n'ont, en effet, rien à craindre d'une 
pareille promotion. Mais, cette promotion, souhaitable à tous égards, 
est-elle possible? 
On peut, avec le Professeur Meynaud, en douter sérieusement, 
attendu que « la technologie moderne suscite sans cesse l'apparition 
de nouveaux matériaux dont il est exclu que le consommateur moyen 
possède jamais une connaissance suffisante» (p. 343). 
La démocratie directe étant utopique, il est donc indispensable 
que le consommateur de base délègue sa souveraineté et son « pouvoir 
de marchandage ». 
A qui? 
4* En fait, en France (et même ailleurs), « il n'existe aucun 
groupe capable d'assurer la représentation totale des intérêts des 
consommateurs» (p. 292). 
C'est que, pour le consommateur comme pour le syndicaliste, 
« c'est toujours l'action au niveau de la formation du revenu qui 
constitue le moyen essentiel d'amélioration de la condition du consom 
mateur » (p. 445). 
Pessimiste, le Professeur Meynaud ajoute : « Je ne crois pas que 
le mouvement des consommateurs représente déjà, s'il doit jamais le 
devenir (2), une force sociale capable de se mesurer d'égale à égale 
avec les catégories qui orientent la vie économique et détiennent la 
majeure partie de l'influence politique » (p. 273-274) . 
(2) Souligné par nous. 
94
5* A ce point du raisonnement, le Professeur Meynaud ayant cessé 
de croire à l'efficacité de la « révolte des consommateurs » en vient 
tout naturellement à conclure : « En l'état actuel des choses, la meil 
leure chance des consommateurs et des groupes qui les représentent 
est l'existence, au sein de l'univers bureaucratique, de quelques ser 
vices... » (p. 385). 
Certes, reconnaît-il, « les producteurs-distributeurs ne sont pas 
nécessairement insensibles aux protestations et aux plaintes des 
consommateurs» (p. 275). 
Mais, s'il s'agit d'exiger « que la production soit subordonnée à la 
consommation » (p. 510), il est sûr que le pouvoir d'Etat fera mieux 
l'affaire. Selon le Professeur Meynaud, « les associations de consom 
mateurs ne peuvent obtenir de résultats sérieux... sans appui administ 
ratifqu i compense leurs insuffisances » (p. 408) et « c'est la régle 
mentation publique.» qui doit constituer la base de la protection des 
consommateurs» (p. 341). 
On pourra, selon ses opinions concernant le rôle économique de 
l'Etat, approuver ou rejeter les perspectives auxquelles aboutit le 
Professeur Meynaud. 
N'oublions pas toutefois que « c'est dès le départ du processus 
économique, et non à son point d'arrivée, que doit intervenir la pro 
tection du consommateur » (p. 517) pour être efficace. 
Dans ces conditions, on n'imagine pas comment, à moins d'une 
révolution totale, l'Etat pourrait remplacer l'initiative des product 
eurs notamment dans le cas des nouveaux produits. . 
N'oublions pas, non plus, que « l'expansion de la fonction technoc 
ratique, qui n'est propre ni à la V* République ni à la France, n'est 
pas susceptible de faciliter le passage du consommateur-objet au 
consommateur-sujet » (p. 309) et que « dans les situations où un souci 
d'associer les usagers à la gestion a été pris en considération (indust 
riesn ationalisées), les consommateurs finaux ont été généralement 
réduits à la condition de simples figurants» (p. 241). 
Ce qui laisse à penser que, pour différentes raisons, la démocratie 
des consommateurs n'est pas pour demain! 
Les pouvoirs publicitaires. 
A la différence de certains professionnels qui, minimisant leurs 
responsabilités, réduisent la Publicité à une technique de communicat 
iooun un art de vendre, le Professeur Meynaud a fort bien vu que 
« l'ambition suprême de l'argumentation publicitaire est de porter le 
problème de l'achat du plan du moyen à celui de la fin ou, si l'on 
préfère, de créer un système de fins légitimant ou rendant pratique 
meninté vitable (rôle de la pression sociale) l'achat des biens offerts 
en tant que moyen de satisfaire ces fins. C'est en ce sens, je crois, 
qu'il faut interpréter le pouvoir attribué à la publicité de créer des 
besoins. Observons que c'est en s'élevant au niveau des fins que la 
95
Publicité a chance d'agir sur tous les membres de la communauté 
(y compris ceux qui déclarent a priori rejeter ses suggestions). 
Il est aisé d'échapper aux incitations directes d'un message quel 
conque, mais beaucoup moins facile de manquer aux règles du 
conformisme social » (p. 32) . 
Ce pouvoir de la Publicité de « créer un système de fins » 
pouvoir dont bien peu de publicitaires sont conscients est évidem 
mentc onsidérable et lourd de conséquences pour l'avenir de notre 
civilisation. Il n'en est pas moins nécessaire et même, à notre avis, 
légitime (3). 
Ainsi que le remarque le Professeur Meynaud, « l'écoulement de la 
production de masse dans un régime de marché exige un certain 
conditionnement du consommateur» (p. 482). Il en irait, d'ailleurs, 
de même dans un régime de planification intégrale. 
R est donc surprenant que le Professeur Meynaud évoque, à la 
suite de Vance Packard et quelques journalistes anarchisants, le 
croquemitaine de , « l'aliénation . du consommateur » et s'écrie : 
« Partout, avec ou sans l'aide des pouvoirs publics, les consommat 
eurtenste nt de s'organiser, le mobile le plus profond de ce rassem 
blement étant d'éviter la mise en condition du troupeau des acheteurs 
par les techniques d'un psycho-contrôle ainsi que leur asservissement 
par des annonceurs partant à l'assaut du client («La vente commence 
quand celui-ci dit non ») en se fondant sur « la stratégie du désir » 
(p. 196). 
Car, en réalité, la Publicité ne peut être tenue pour principale 
responsable du « système des fins » nécessaire à la croissance écono 
mique des sociétés industrielles. Pour être un tantinet logique, le 
refus du conditionnement publicitaire devrait aller jusqu'à la condamn 
ation de cette civilisation qui n'est pas tant celle du gadget gaspil 
leurq ue de la machine à laver, des antibiotiques, de la télévision, des 
textiles artificiels, de l'automobile, des résidences secondaires, etc. 
Naturellement, « on peut vivre sans ça ». Mais, aussi, pourquoi ne 
pas retourner à l'âge des cavernes? 
Nous décelons donc un certain idéalisme et un irréalisme certain 
dans la dénonciation des « phénomènes d'aliénation que crée la 
consommation de masse le terme « aliénation » désignant ici l'état 
de l'individu qui perd la maîtrise de lui-même, est traité comme une 
chose et devient l'esclave des choses» (p. 585). 
Car, où donc est cette cité idéale d'hommes libres? 
Un grand sociologue, Emile Durkheim, considérait la « contrainte » 
comme la marque du fait social. Et, puisqu'il est question de < trou 
peaux d'acheteurs », n'est-ce pas, en somme, des troupeaux de chré 
tiens qui firent les Croisades et des troupeaux de patriotes qui firent 
la Révolution française? 
ép(m«tlha êiImi(dnq3ouet)yr eioseNd dréou oudclesto ipgornailqova u oàden t oslémda l eéos pmu tu»foé.bf utiltasi[eacpC mifutp.bmé u»lbei,nc lLiitcet7 i sét »Ién)(C .«s]apC ihsootiuneérr t srsn uiedbr eu p tllaiaaso nPêd tuirmbàe leiscnluaist sipéoP»en,cu tbn hl°duia-em s6éca omi(nr«epa ,noL rteacistqu iulpstemru»ore)b e llèeleetmt dee9est 
96
On peut même, avec beaucoup de bonne foi, soutenir que le 
conditionnement publicitaire se révèle, tous comptes faits, moins 
nuisible à l'humanité que d'autres formes de propagande, et se féli 
citer du fait que la Publicité, elle, ne nous mène ni aux guerres de 
religion ni au génocide atomique... 
Certes, le consommateur a le droit d'être honnêtement informé. 
Le publicitaire, de son côté, a le devoir de ne pas discréditer son 
métier par l'usage délibéré du mensonge. La loi de juillet 1963 contre 
la publicité mensongère peut être bénéfique, encore que la loi, sans 
moralité professionnelle, soit inopérante. 
Mais il faut aussi tirer les conséquences du fait que l'information 
pure est un mythe et que même les physiciens d'aujourd'hui ne 
croient plus à l'objectivité, à une vérité absolue, extérieure et indé 
pendante de l'expérimentateur. Ainsi, l'image psychologique des prod 
uits, les « images de marque » ne sont-elles pas moins vraies, moins 
réelles que les caractéristiques physiques ou économiques. 
Il reste que les publicitaires ne sont pas les seuls qualifiés pour 
élaborer ce « système de fins », ces motivations et ces valeurs esthé 
tiques et morales dont ils sont et seront, consciemment ou non, les 
propagandistes dans les sociétés de consommation. 
Le publicitaire doit donc sortir de son isolement social, de cet 
univers étroitement triangulaire (annonceur-agence-support) qui est, 
de tradition, le sien afin de confronter sa propre vision du monde, 
son système implicite de fins et de valeurs aux philosophies, aux 
objectifs de la planification à long terme (4), au point de vue des 
consommateurs. 
En ce sens, la position du Professeur Meynaud nous paraît insuff 
isamment positive quand il écrit : « La protection des consommateurs 
contre les excès et les abus de la Publicité ne concerne ni les sup 
ports, ni les annonceurs, mais la puissance publique (service de la 
répression des fraudes) et les consommateurs eux-mêmes qu'il est 
irritant de voir constamment réduits à la condition de mineurs que 
l'on défendrait en leur dissimulant la réalité du mal qui les menace. 
Rien ne saurait remplacer l'absence et, malgré de récents efforts, 
l'insuffisance des militants et des ingénieurs au service des consom 
mateurs » (p. 267). 
Non, il ne s'agit pas essentiellement « que les associations de 
consommateurs soient en mesure de poursuivre en justice les annon 
ceurs faisant de la publicité mensongère» (p. 103). Il ne s'agit pas 
seulement de reconnaître, comme à regret, que « l'information donnée 
par un groupe patronal ... n'est pas nécessairement défavorable à 
l'acheteur (p. 244). Il s'agit de savoir si les consommateurs, convena 
blement consultés par des spécialistes qualifiés en sciences humaines, 
peuvent être à l'origine d'une politique générale de la consommation, 
c'est-à-dire d'une doctrine et d'une stratégie globale de production, 
de commercialisation et de publicité des produits et des services. 
(4) Tels qu'ils s'expriment, par exemple, dans « Réflexions pour 1985 ». 
97
« La publicité et la mode », affirme le Professeur Meynaud, 
« conduisent les consommateurs à accomplir des actes déraisonn 
ables... » Alors, dirons-nous, que les associations de consommateurs 
déclarent ce qui, dans la nature humaine, est raisonnable et ce qui ne 
l'est pas, autrement que par référence à des morales traditionnelles, 
dont les normes sont, pour beaucoup de nos contemporains, complè 
tement périmées (5). 
Ainsi que le souligne le Professeur Meynaud : « si la question 
« comment produire » me paraît importante, la question « que pro 
duire » me semble encore bien plus fondamentale » (p. 532) . 
Bien plus fondamentale et combien plus difficile! Car elle ne 
suppose pas seulement les critères du Bien et du Mal, mais aussi et 
surtout la puissance d'invention, la vertu d'innovation, la « créati 
vité». Et il n'est pas du tout certain que, dans ce rôle essentiel aux 
progrès de la civilisation moderne, le consommateur puisse se substi 
tuera u producteur (6). 
Dans le pilotage de la consommation de masse, les erreurs sont 
probablement inévitables y compris dans les économies socialistes 
(voir la crise agricole en U.R.S.S.). , 
Par exemple, l'enrichissement égoïste de l'Occident n'est-il pas une 
« faute », comparé à la paupérisation croissante du Tiers-Monde?... 
Il peut s'ensuivre un complexe collectif de culpabilité plus ou moins 
refoulée et qui, par projection, donne naissance à des « boucs émis 
saires » dans les sociétés riches. 
La Publicité activité tapageuse et peu prestigieuse, économique 
mefnaibtle et volontiers décriée par les élites intellectuelles de la 
nation pourrait facilement devenir, si nous n'y prenons garde, le 
« bouc émissaire » d'une foule de citoyens frustrés, angoissés ou mal 
adaptés aux avantages et aux inconvénients de la consommation de 
masse et de l'Abondance. 
C'est cet avertissement, cet appel à la lucidité et à la conscience 
professionnelle qu'il est, croyons-nous, bon de déchiffrer entre les 
paragraphes du Professeur Meynaud. 
Louis QUESNEL. 
(5) Violette Morin, dans « Un mythe moderne, l'érotisme », a très justement 
distingué, dans la Publicité, l'expression d'une morale païenne du plaisir. 
(6) Cf. sur ce point capital, l'article de P. Schoenlaub, < Les attitudes des 
consommateurs devant l'innovation» («Humanisme et Entreprise»).

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  • 1. Louis Quesnel Les consommateurs et la publicité : sur un livre du professeur Meynaud In: Les Cahiers de la publicité. N°13, pp. 91-98. Citer ce document / Cite this document : Quesnel Louis. Les consommateurs et la publicité : sur un livre du professeur Meynaud . In: Les Cahiers de la publicité. N°13, pp. 91-98. doi : 10.3406/colan.1965.4970 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_1268-7251_1965_num_13_1_4970
  • 2. les consommateurs et la publicité sur un livre du professeur meynaud par Louis QUESNEL Directeur à F t Ecole Pratique des Hautes Etudes» et professeur à l'Université de Lau sanne, Jean Meynaud vient de publier un livre important où il cherche à se placer dans la perspective du consommateur total* (p. 9). Versons au dossier ce témoignage-réquisitoire, dont l'analyse est fort intéressante pour notre propos. Au fil des 623 pages de cette étude copieuse et concrète, on exa mine notamment la « situation générale » et les « formes d'exploita tiodnes consommateurs », les groupements de consommateurs en France et en Europe, ainsi que les modalités de leurs interventions sur le marché ou auprès des pouvoirs publics et, enfin, certains aspects économiques et politiques de « l'opulence ». Comme on voit, la matière de l'ouvrage est fort riche, sous une forme parfois excessivement prolixe, et déborde largement le thème de notre propos. Mais, dans « Les consommateurs et le pouvoir », la Publicité fait l'objet de trois sous-chapitres : « Intervention de la réclame », « Déformations publicitaires » et « Contrôle de la Publicité », et de critiques répétées. En outre, il serait difficile de comprendre le point de vue du Professeur Meynaud, qui reflète celui de nombreux fonctionnaires, sans relier ses jugements concernant la Publicité aux thèses qu'il expose avec franchise, et même rudesse, sur les phénomènes de consommation. C'est donc par là qu'il nous faut commencer. . 91
  • 3. «Une certaine conception de l'Homme». « L'homme », remarque l'auteur, « est toujours et de plus en plus un consommateur universel » (p. 112) et c'est à juste titre, selon nous, que le Professeur Meynaud inclut, dans le champ des consommations contemporaines, l'urbanisme et la santé, la culture et les transports autant que l'alimentation et l'habillement. L'homme ne peut vivre sans consommer, ne serait-ce que de l'oxygène, et même cette consommation minimale pose aujourd'hui des problèmes (pollution de l'atmosphère des villes, voyages dans l'espace extra-terrestre, etc.). On peut ainsi admettre que « nos sociétés ont peu de tâches plus importantes et plus lourdes de sens à accomplir que l'étude appro fondie des besoins des hommes » (p. 533) . Quels sont donc les besoins des hommes? Question fondamentale, presque métaphysique et pourtant toute proche des préoccupations des techniciens du marketing! Question à laquelle, malheureusement, le Professeur Meynaud n'apporte pas de réponse explicite. Or « il est impossible de dresser une échelle de l'importance relative des besoins sans partir d'une certaine conception de l'homme » (p. 531). Et c'est pourquoi, à défaut de cette table des valeurs, les critiques adressées à la Publicité au nom de la défense des consommateurs nous paraissent si souvent injustes, injustifiables et, disons-le, démag ogiques. Certes, on peut parfaitement croire que « la réforme des rapports de production conditionne en définitive la modification des rapports de consommation » (p. 557) encore que ce déterminisme univoque ne corresponde plus à la complexité dynamique des économies du xx' siècle. , On peut évidemment n'avoir « aucune admiration pour le régime de la concurrence » (p. 61) et penser que « l'orientation et la mise en uvre de la technologie doivent être placées sous contrôle public, la planification représentant la seule méthode concevable d'une telle intégration » (p. 547) encore que la direction de la consommation, en fonction du consommateur, exige des organes et des méthodes de planification qui restent entièrement à inventer, puisqu'ils n'existent dans aucun pays du monde. Mais il nous parait de toute façon contraire aux faits de prétendre que « le trait majeur de nos sociétés est la coexistence d'un gaspillage frénétique des ressources et d'une impuissance à satisfaire des besoins essentiels» (p. 475). Certes, dans la France de 1965, des besoins immenses restent à satisfaire. Nous l'avons dit ici-même (1). (1) Cf. l'article de J. Klanfer dans le n« 12. 92
  • 4. Mais la contradiction dénoncée par le Professeur Meynaud est plutôt typique des sociétés traditionnelles de pénurie, où le luxe des classes dirigeantes et la destruction militaire des richesses coexis taient avec les famines périodiques et l'inculture permanente des populations. Il est vrai que la notion de « gaspillage » est plutôt élastique et permet bien des interprétations. On peut parfaitement prétendre que le gaspillage commence à partir d'un seuil de satisfaction très bas, défini par le fameux « minimum vital ». Ce n'est sans doute pas la pensée du Professeur Meynaud, qui prend soin de préciser : ... « rien ne m'est plus étranger que de prê cher un esprit d'ascèse... ». Mais alors pourquoi ne pas reconnaître tout de suite que, sans l'action conjuguée des producteurs et des publicitaires qui en dépendent, la plupart des biens de consommation actuellement « courants » seraient considérés comme superflus? En ce sens, il n'est pas suffisant d'affirmer que « l'intérêt du consommateur est, pour une qualité déterminée, d'obtenir le prix le plus avantageux » (p. 90). Car, ou bien nous admettons 1' « homo economicus » comme une représentation adéquate de l'homme, ou bien nous introduisons dans la notion de « qualité » autre chose que la simple aptitude à l'emploi. Autrement dit, l'Homme, tel qu'il se profile à l'arrière-plan des analyses de Jean Meynaud, paraît d'une grande pauvreté psycholog iques,i ngulièrement étroit, calculateur et utilitaire, dépourvu de sentiments, d'habitudes et de fantaisie bref, plus rationnel que réel. La Publicité contrairement à certaines pédagogies autoritaires ne croit généralement pas que l'on puisse faire le bonheur des hommes malgré eux... La condition de consommateur. Ayant dit nos réserves de principe, il faut maintenant préciser que nous sommes souvent d'accord avec le Professeur Meynaud sur la description qu'il fait de la condition de consommateur. Il est vrai en effet que : 1* « les consommateurs sont réduits à un rôle secondaire parce qu'on persiste à les traiter comme des mineurs» (p. 233). Il n'est d'ailleurs pas moins vrai que les professionnels du mar keting contribuent effectivement à la promotion du consommateur autant (sinon plus) que toutes les associations de consommateurs réunies. En faisant prévaloir l'optique de la demande sur celle de l'offre, il est indéniable que le publicitaire représente, jusqu'à un certain point, les consommateurs auprès de l'annonceur-producteur. Les innomb rables améliorations de produits obtenues à la suite de tests effec tués par les agences de publicité témoignent de ce rôle médiateur. 93
  • 5. 2° « La première sauvegarde du consommateur est qu'il se protège lui-même », ainsi que le suggérait déjà le rapport Molony pour la Grande-Bretagne. On peut admettre que, d'une façon générale », les groupes et les milieux les mieux défendus sont ceux qui se défendent eux-mêmes» (p. 351). Le Professeur Meynaud, spécialiste des « groupes de pres sion », sait de quoi il parle! Se défendre, soit. Mais contre quelle agression? Incontestablement, il y a des fraudeurs, des spéculateurs et des profiteurs de la crédulité publique. Mais il ne s'agit que d'une minor itéa berrante. En réalité, les dangers les plus graves pour la santé, le bien-être et l'équilibre du consommateur semblent provenir des « effets secon daires » (c'est-à-dire involontaires, sinon imprévisibles) de l'industria lisationet de l'urbanisation sur le milieu de vie, plutôt que de la consommation de tel ou tel produit particulier. 3* « Tous les hommes sont des consommateurs » (p. 106) et « il est indispensable que les consommateurs soient placés, autant que faire se peut, dans une situation d'égalité avec les producteurs » (p. 345). Les producteurs valables n'ont, en effet, rien à craindre d'une pareille promotion. Mais, cette promotion, souhaitable à tous égards, est-elle possible? On peut, avec le Professeur Meynaud, en douter sérieusement, attendu que « la technologie moderne suscite sans cesse l'apparition de nouveaux matériaux dont il est exclu que le consommateur moyen possède jamais une connaissance suffisante» (p. 343). La démocratie directe étant utopique, il est donc indispensable que le consommateur de base délègue sa souveraineté et son « pouvoir de marchandage ». A qui? 4* En fait, en France (et même ailleurs), « il n'existe aucun groupe capable d'assurer la représentation totale des intérêts des consommateurs» (p. 292). C'est que, pour le consommateur comme pour le syndicaliste, « c'est toujours l'action au niveau de la formation du revenu qui constitue le moyen essentiel d'amélioration de la condition du consom mateur » (p. 445). Pessimiste, le Professeur Meynaud ajoute : « Je ne crois pas que le mouvement des consommateurs représente déjà, s'il doit jamais le devenir (2), une force sociale capable de se mesurer d'égale à égale avec les catégories qui orientent la vie économique et détiennent la majeure partie de l'influence politique » (p. 273-274) . (2) Souligné par nous. 94
  • 6. 5* A ce point du raisonnement, le Professeur Meynaud ayant cessé de croire à l'efficacité de la « révolte des consommateurs » en vient tout naturellement à conclure : « En l'état actuel des choses, la meil leure chance des consommateurs et des groupes qui les représentent est l'existence, au sein de l'univers bureaucratique, de quelques ser vices... » (p. 385). Certes, reconnaît-il, « les producteurs-distributeurs ne sont pas nécessairement insensibles aux protestations et aux plaintes des consommateurs» (p. 275). Mais, s'il s'agit d'exiger « que la production soit subordonnée à la consommation » (p. 510), il est sûr que le pouvoir d'Etat fera mieux l'affaire. Selon le Professeur Meynaud, « les associations de consom mateurs ne peuvent obtenir de résultats sérieux... sans appui administ ratifqu i compense leurs insuffisances » (p. 408) et « c'est la régle mentation publique.» qui doit constituer la base de la protection des consommateurs» (p. 341). On pourra, selon ses opinions concernant le rôle économique de l'Etat, approuver ou rejeter les perspectives auxquelles aboutit le Professeur Meynaud. N'oublions pas toutefois que « c'est dès le départ du processus économique, et non à son point d'arrivée, que doit intervenir la pro tection du consommateur » (p. 517) pour être efficace. Dans ces conditions, on n'imagine pas comment, à moins d'une révolution totale, l'Etat pourrait remplacer l'initiative des product eurs notamment dans le cas des nouveaux produits. . N'oublions pas, non plus, que « l'expansion de la fonction technoc ratique, qui n'est propre ni à la V* République ni à la France, n'est pas susceptible de faciliter le passage du consommateur-objet au consommateur-sujet » (p. 309) et que « dans les situations où un souci d'associer les usagers à la gestion a été pris en considération (indust riesn ationalisées), les consommateurs finaux ont été généralement réduits à la condition de simples figurants» (p. 241). Ce qui laisse à penser que, pour différentes raisons, la démocratie des consommateurs n'est pas pour demain! Les pouvoirs publicitaires. A la différence de certains professionnels qui, minimisant leurs responsabilités, réduisent la Publicité à une technique de communicat iooun un art de vendre, le Professeur Meynaud a fort bien vu que « l'ambition suprême de l'argumentation publicitaire est de porter le problème de l'achat du plan du moyen à celui de la fin ou, si l'on préfère, de créer un système de fins légitimant ou rendant pratique meninté vitable (rôle de la pression sociale) l'achat des biens offerts en tant que moyen de satisfaire ces fins. C'est en ce sens, je crois, qu'il faut interpréter le pouvoir attribué à la publicité de créer des besoins. Observons que c'est en s'élevant au niveau des fins que la 95
  • 7. Publicité a chance d'agir sur tous les membres de la communauté (y compris ceux qui déclarent a priori rejeter ses suggestions). Il est aisé d'échapper aux incitations directes d'un message quel conque, mais beaucoup moins facile de manquer aux règles du conformisme social » (p. 32) . Ce pouvoir de la Publicité de « créer un système de fins » pouvoir dont bien peu de publicitaires sont conscients est évidem mentc onsidérable et lourd de conséquences pour l'avenir de notre civilisation. Il n'en est pas moins nécessaire et même, à notre avis, légitime (3). Ainsi que le remarque le Professeur Meynaud, « l'écoulement de la production de masse dans un régime de marché exige un certain conditionnement du consommateur» (p. 482). Il en irait, d'ailleurs, de même dans un régime de planification intégrale. R est donc surprenant que le Professeur Meynaud évoque, à la suite de Vance Packard et quelques journalistes anarchisants, le croquemitaine de , « l'aliénation . du consommateur » et s'écrie : « Partout, avec ou sans l'aide des pouvoirs publics, les consommat eurtenste nt de s'organiser, le mobile le plus profond de ce rassem blement étant d'éviter la mise en condition du troupeau des acheteurs par les techniques d'un psycho-contrôle ainsi que leur asservissement par des annonceurs partant à l'assaut du client («La vente commence quand celui-ci dit non ») en se fondant sur « la stratégie du désir » (p. 196). Car, en réalité, la Publicité ne peut être tenue pour principale responsable du « système des fins » nécessaire à la croissance écono mique des sociétés industrielles. Pour être un tantinet logique, le refus du conditionnement publicitaire devrait aller jusqu'à la condamn ation de cette civilisation qui n'est pas tant celle du gadget gaspil leurq ue de la machine à laver, des antibiotiques, de la télévision, des textiles artificiels, de l'automobile, des résidences secondaires, etc. Naturellement, « on peut vivre sans ça ». Mais, aussi, pourquoi ne pas retourner à l'âge des cavernes? Nous décelons donc un certain idéalisme et un irréalisme certain dans la dénonciation des « phénomènes d'aliénation que crée la consommation de masse le terme « aliénation » désignant ici l'état de l'individu qui perd la maîtrise de lui-même, est traité comme une chose et devient l'esclave des choses» (p. 585). Car, où donc est cette cité idéale d'hommes libres? Un grand sociologue, Emile Durkheim, considérait la « contrainte » comme la marque du fait social. Et, puisqu'il est question de < trou peaux d'acheteurs », n'est-ce pas, en somme, des troupeaux de chré tiens qui firent les Croisades et des troupeaux de patriotes qui firent la Révolution française? ép(m«tlha êiImi(dnq3ouet)yr eioseNd dréou oudclesto ipgornailqova u oàden t oslémda l eéos pmu tu»foé.bf utiltasi[eacpC mifutp.bmé u»lbei,nc lLiitcet7 i sét »Ién)(C .«s]apC ihsootiuneérr t srsn uiedbr eu p tllaiaaso nPêd tuirmbàe leiscnluaist sipéoP»en,cu tbn hl°duia-em s6éca omi(nr«epa ,noL rteacistqu iulpstemru»ore)b e llèeleetmt dee9est 96
  • 8. On peut même, avec beaucoup de bonne foi, soutenir que le conditionnement publicitaire se révèle, tous comptes faits, moins nuisible à l'humanité que d'autres formes de propagande, et se féli citer du fait que la Publicité, elle, ne nous mène ni aux guerres de religion ni au génocide atomique... Certes, le consommateur a le droit d'être honnêtement informé. Le publicitaire, de son côté, a le devoir de ne pas discréditer son métier par l'usage délibéré du mensonge. La loi de juillet 1963 contre la publicité mensongère peut être bénéfique, encore que la loi, sans moralité professionnelle, soit inopérante. Mais il faut aussi tirer les conséquences du fait que l'information pure est un mythe et que même les physiciens d'aujourd'hui ne croient plus à l'objectivité, à une vérité absolue, extérieure et indé pendante de l'expérimentateur. Ainsi, l'image psychologique des prod uits, les « images de marque » ne sont-elles pas moins vraies, moins réelles que les caractéristiques physiques ou économiques. Il reste que les publicitaires ne sont pas les seuls qualifiés pour élaborer ce « système de fins », ces motivations et ces valeurs esthé tiques et morales dont ils sont et seront, consciemment ou non, les propagandistes dans les sociétés de consommation. Le publicitaire doit donc sortir de son isolement social, de cet univers étroitement triangulaire (annonceur-agence-support) qui est, de tradition, le sien afin de confronter sa propre vision du monde, son système implicite de fins et de valeurs aux philosophies, aux objectifs de la planification à long terme (4), au point de vue des consommateurs. En ce sens, la position du Professeur Meynaud nous paraît insuff isamment positive quand il écrit : « La protection des consommateurs contre les excès et les abus de la Publicité ne concerne ni les sup ports, ni les annonceurs, mais la puissance publique (service de la répression des fraudes) et les consommateurs eux-mêmes qu'il est irritant de voir constamment réduits à la condition de mineurs que l'on défendrait en leur dissimulant la réalité du mal qui les menace. Rien ne saurait remplacer l'absence et, malgré de récents efforts, l'insuffisance des militants et des ingénieurs au service des consom mateurs » (p. 267). Non, il ne s'agit pas essentiellement « que les associations de consommateurs soient en mesure de poursuivre en justice les annon ceurs faisant de la publicité mensongère» (p. 103). Il ne s'agit pas seulement de reconnaître, comme à regret, que « l'information donnée par un groupe patronal ... n'est pas nécessairement défavorable à l'acheteur (p. 244). Il s'agit de savoir si les consommateurs, convena blement consultés par des spécialistes qualifiés en sciences humaines, peuvent être à l'origine d'une politique générale de la consommation, c'est-à-dire d'une doctrine et d'une stratégie globale de production, de commercialisation et de publicité des produits et des services. (4) Tels qu'ils s'expriment, par exemple, dans « Réflexions pour 1985 ». 97
  • 9. « La publicité et la mode », affirme le Professeur Meynaud, « conduisent les consommateurs à accomplir des actes déraisonn ables... » Alors, dirons-nous, que les associations de consommateurs déclarent ce qui, dans la nature humaine, est raisonnable et ce qui ne l'est pas, autrement que par référence à des morales traditionnelles, dont les normes sont, pour beaucoup de nos contemporains, complè tement périmées (5). Ainsi que le souligne le Professeur Meynaud : « si la question « comment produire » me paraît importante, la question « que pro duire » me semble encore bien plus fondamentale » (p. 532) . Bien plus fondamentale et combien plus difficile! Car elle ne suppose pas seulement les critères du Bien et du Mal, mais aussi et surtout la puissance d'invention, la vertu d'innovation, la « créati vité». Et il n'est pas du tout certain que, dans ce rôle essentiel aux progrès de la civilisation moderne, le consommateur puisse se substi tuera u producteur (6). Dans le pilotage de la consommation de masse, les erreurs sont probablement inévitables y compris dans les économies socialistes (voir la crise agricole en U.R.S.S.). , Par exemple, l'enrichissement égoïste de l'Occident n'est-il pas une « faute », comparé à la paupérisation croissante du Tiers-Monde?... Il peut s'ensuivre un complexe collectif de culpabilité plus ou moins refoulée et qui, par projection, donne naissance à des « boucs émis saires » dans les sociétés riches. La Publicité activité tapageuse et peu prestigieuse, économique mefnaibtle et volontiers décriée par les élites intellectuelles de la nation pourrait facilement devenir, si nous n'y prenons garde, le « bouc émissaire » d'une foule de citoyens frustrés, angoissés ou mal adaptés aux avantages et aux inconvénients de la consommation de masse et de l'Abondance. C'est cet avertissement, cet appel à la lucidité et à la conscience professionnelle qu'il est, croyons-nous, bon de déchiffrer entre les paragraphes du Professeur Meynaud. Louis QUESNEL. (5) Violette Morin, dans « Un mythe moderne, l'érotisme », a très justement distingué, dans la Publicité, l'expression d'une morale païenne du plaisir. (6) Cf. sur ce point capital, l'article de P. Schoenlaub, < Les attitudes des consommateurs devant l'innovation» («Humanisme et Entreprise»).