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PHOTOS:HÉLÈNEMERCIER.
humeur74
04.20096www.clindoeil.canoe.ca
MOI,MES SOULIERS...J’ai toujours voulu voir du pays. En 2002, la tête remplie de noms mythiques,
j’ai pris la route pour la première fois. Une quarantaine de pays plus tard, j’ai
rayé Ouagadougou, Reykjavik et Zanzibar de ma liste. Les déplacements sont
devenus mon style de vie. Ma «zone de confort» pèse 25 kg et a un drapeau
du Québec en écusson sur le devant. • PAR HÉLÈNE MERCIER
6Avoir inscrit autant de kilomètres au compteur ne m’a pas insufflé la vérité
infuse, le grand je-ne-sais-quoi qui me ferait commencer mes phrases, la
tête penchée vers la droite, par un: «Tu sais fiston...». Que nenni! Je me suis posé
mille questions et, la plupart du temps, je n’ai pas trouvé de réponses. J’ai
interrogé mes convictions les plus fondamentales et j’ai ébranlé mes principes.Je
suis par contre convaincue d’une chose: voyager humanise les nouvelles.Ça aide
àmettredesnoms,desvisagesetdesodeurssurdesendroitsquipeuventparaître
diamétralement opposés à notre réalité. Ça aide à réaliser qu’on rit tous pour les
mêmes raisons, que l’humour est un moyen extraordinaire pour dissiper les
ambiguïtés culturelles.
LE DÉCLIC
C’est en mars 2003, dans un village karen du nord de la Thaïlande, que je réalise
pour la première fois que je suis loin du Québec.Après une journée de trek dans
les montagnes, notre sympathique guide prend sa guitare désaccordée et se met
à chanter Hotel California, version karaoké, d’une voix qui ne l’aurait pas mené
bien loin aux auditions de Star Académie. Une fois la surprise passée, tout le
groupe se met à fredonner avec lui: «Such a lovely place, such a lovely face.» C’est
à ce moment que mon âme s’envole pour nous fixer du haut des airs. J’observe
mon gros bonheur à distance et le savoure encore plus. Je vois soudainement la
lumière vaciller sur la carte,quelque part à une centaine de kilomètres de Chang
Mai. Ouah! Je suis en T-H-A-Ï-L-A-N-D-E, que je me répète. Les voyages ne
changent peut-être pas la vie, mais ils ont le pouvoir d’intensifier des moments
comme celui-là.
ON A DU FUN AU MALI! IL FAIT 12 000 DEGRÉS, ET
ON EST 17 DANS UN VAN À 7 PLACES. DE GAUCHE À
DROITE: EDITH, JOAN, MÉLANIE ET HÉLÈNE. MARS 2007.
CHEFCHAOUEN, DANS LE RIFF MAROCAIN
VILLE BLEUE AUX GAMINS ADORABLES. AVRIL 2007.
TURQUIE
Depuis, j’ai appris que tout le monde, il n’est pas beau, que tout le monde, il n’est pas gentil.
Il n’est pas laid ni méchant non plus.Tout le monde est en va-et-vient constant quelque part
entre ces deux pôles, ça dépend du moment et du point du vue. Récemment, j’ai visité le
Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, en Tanzanie. Je discutais avec les
gens qui faisaient la queue avec moi pour passer le contrôle de sécurité.J’ai mis cinq minutes
à comprendre qu’ils étaient les familles des accusés, des diables qui ont serré la main de
Roméo Dallaire. Même les diables ont des petits garçons au regard d’ange. Le saviez-vous?
LA RÉVOLTE
J’ai été souvent déçue par la bête humaine. À Moscou, par exemple. Me voici avec des amis
français passionnés d’architecture dans le métro moscovite; une mine d’or en matière de
design. Il fait froid et gris. Il y a deux jeunes avec des manteaux de cuir qui jouent de
l’accordéon en grelottant. Ça ajoute à l’ambiance. On est sur le quai, à attendre la prochaine
rame qui nous ramènera à l’hôtel. Les portes s’ouvrent sur trois skinheads hurlant d’un rire
grotesque, des bouteilles de bière à la main. Leurs regards méprisants nous forcent à poser
les nôtres au sol.Sitôt entrés à l’intérieur de la voiture,on comprend.Un vieillard est tailladé
au visage. Il saigne. À ses pieds, des éclats de verre. Du bout de son nez, la bière dégoutte.
Il a des doigts bleuis par le froid, une barbe grise inégale et le regard perdu. Je jette un coup
d’œil aux autres passagers, qui ont dû assister à la triste scène. Par réflexe, je cherche un
regard compatissant, un signe d’indignation, une réaction... Niet. Je suis sidérée. Ça hurle
dans ma tête. C’est quoi, son crime? D’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment?
«Monsieur, êtes-vous correct?» que je lui demande en anglais alors que mon amie pose la
main sur son épaule. Il ne bronche pas et continue de fixer cette cible invisible droit devant
lui, la bouche ouverte. C’est notre station, on débarque. Le trajet jusqu’à l’hôtel se fait en
silence. Ça hurle encore dans ma tête.
L’ÉMOTION
Évidemment, j’ai aussi été émue d’innombrables fois. Surtout sur le continent africain. Si le
voyage intensifie tout, l’Afrique elle, a un pouvoir exponentiel. Je vis en ce moment à Nairobi, au
Kenya.J’ai eu la chance de partager le vibrato de ses habitants lorsqu’ils ont appris que leur «frère»
— le père d’Obama est originaire du Kenya — avait été élu.
Il est 6 h 45, je suis dans un resto du centre-ville. On s’assoit, on jase, on regarde CNN,
et puis BANG! Ça y est: il leur annonce que oui, ils ont le droit de rêver, eux aussi. Des yeux
embués, des sourires qui semblent avoir attendu ce moment depuis des siècles. Quel grand
moment, même si, au fond, ça ne changera rien à leur vie. Mais le concret et l’abstrait ne se
mesurent pas de la même façon. C’est dur de «graticuler» en chiffres l’effet qu’aura sur eux
l’envie de changer le monde, de se prendre en main plutôt que de la tendre. C’était grand,
c’était beau, simplement. On s’est mutuellement serrés dans les bras, eux se sentant
probablement un peu plus égaux que la veille face à ma blancheur.
Finalement, une dizaine de visas plus tard, je me rends compte que c’est dans la classe
moyenne que se trouvent les différences. Aux extrêmes, ça se ressemble partout. Les riches
trimballent les mêmes grosses bagnoles aux mêmes vitres teintées à Berlin, à New York ou
à Dar es-Salaam. Leurs enfants écoutent la même musique sur les mêmes iPod en se
traînant les pieds dans les mêmes souliers griffés. Les très pauvres, eux, portent
inévitablement la totalité de leur garde-robe sur le dos, en couches superposées où se
mélangent des odeurs d’urine et de transpiration. C’est quelque part entre ces deux strates
qu’on prend le pouls d’un pays. C’est chez les enseignants, les infirmières et les chauffeurs
de taxi qu’on goûte les plats typiques, qu’on écoute la chaîne de télé locale en discutant de
politique. Par manque de moyens ou par obstination, ils n’ont pas fait passer à la
mondialisation le seuil de leur maison. Et c’est tant mieux.•
Hélène Mercier prépare actuellement une maîtrise en gestion du développement international à
l’Université de Lund, en Suède. Dans le cadre de ses recherches au Kenya, elle a aussi effectué un
stage avec l’UNICEF. Elle est également journaliste et chroniqueuse à C’est bien meilleur le matin
et à Macadam Tribus, à la radio de Radio-Canada.
PHOTOS:HÉLÈNEMERCIER.
04.2009
humeur76
M O I , M E S S O U L I ER S . . .
DE MES MOMENTS
LES PLUS ÉTRANGES
1. Je me suis fait tâter les seins par la
vieille du village de Zogbodomey, au Bénin,
qui n’avait encore jamais vu de femme
aussi âgée – j’avais alors 22 ans – sans
enfants. J’ai reçu toutes ses félicitations
pour ma poitrine bien ferme.
2. Perdue en Serbie par une nuit de
tempête de neige, je cherche à me
rendre au Kosovo. C’est dans une Lada
qui n’avait plus de plancher à l’arrière,
avec le conducteur qui buvait au
goulot sa vodka russe en hurlant des
chansons traditionnelles serbes,
que j’y suis arrivée.
3. Traduire, live et en anglais, la
chanson Saskatchewan, des Trois
Accords, à une bande de Suédois qui
apprécient le rythme et aimeraient bien
savoir ce que ça raconte... tout un défi!
Surtout après de nombreux verres...
«My cows tell me you-ou-ou!»
4. J’ai mangé Pumba! Mea culpa, amis
du roi Lion, mais je n’ai pu résister à la
viande de phacochère grillée qu’offrait le
menu du resto de la réserve de Nazinga,
au Burkina Faso.Allez, sans rancune,
Hakuna Matata?
TOP 4
ÉLECTION D’OBAMA, KENYA. NOVEMBRE 2008
AVEC BÉBÉ JUSTIN ET SA MAMAN. J'AI AIDÉ
LES INFIRMIÈRES LORS DE L'ACCOUCHEMENT.
ZOGBODOMEY, BÉNIN. JUILLET 2004.
OSLO VIGELANDSPARKEN. NOVEMBRE 2007

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  • 1. PHOTOS:HÉLÈNEMERCIER. humeur74 04.20096www.clindoeil.canoe.ca MOI,MES SOULIERS...J’ai toujours voulu voir du pays. En 2002, la tête remplie de noms mythiques, j’ai pris la route pour la première fois. Une quarantaine de pays plus tard, j’ai rayé Ouagadougou, Reykjavik et Zanzibar de ma liste. Les déplacements sont devenus mon style de vie. Ma «zone de confort» pèse 25 kg et a un drapeau du Québec en écusson sur le devant. • PAR HÉLÈNE MERCIER 6Avoir inscrit autant de kilomètres au compteur ne m’a pas insufflé la vérité infuse, le grand je-ne-sais-quoi qui me ferait commencer mes phrases, la tête penchée vers la droite, par un: «Tu sais fiston...». Que nenni! Je me suis posé mille questions et, la plupart du temps, je n’ai pas trouvé de réponses. J’ai interrogé mes convictions les plus fondamentales et j’ai ébranlé mes principes.Je suis par contre convaincue d’une chose: voyager humanise les nouvelles.Ça aide àmettredesnoms,desvisagesetdesodeurssurdesendroitsquipeuventparaître diamétralement opposés à notre réalité. Ça aide à réaliser qu’on rit tous pour les mêmes raisons, que l’humour est un moyen extraordinaire pour dissiper les ambiguïtés culturelles. LE DÉCLIC C’est en mars 2003, dans un village karen du nord de la Thaïlande, que je réalise pour la première fois que je suis loin du Québec.Après une journée de trek dans les montagnes, notre sympathique guide prend sa guitare désaccordée et se met à chanter Hotel California, version karaoké, d’une voix qui ne l’aurait pas mené bien loin aux auditions de Star Académie. Une fois la surprise passée, tout le groupe se met à fredonner avec lui: «Such a lovely place, such a lovely face.» C’est à ce moment que mon âme s’envole pour nous fixer du haut des airs. J’observe mon gros bonheur à distance et le savoure encore plus. Je vois soudainement la lumière vaciller sur la carte,quelque part à une centaine de kilomètres de Chang Mai. Ouah! Je suis en T-H-A-Ï-L-A-N-D-E, que je me répète. Les voyages ne changent peut-être pas la vie, mais ils ont le pouvoir d’intensifier des moments comme celui-là. ON A DU FUN AU MALI! IL FAIT 12 000 DEGRÉS, ET ON EST 17 DANS UN VAN À 7 PLACES. DE GAUCHE À DROITE: EDITH, JOAN, MÉLANIE ET HÉLÈNE. MARS 2007. CHEFCHAOUEN, DANS LE RIFF MAROCAIN VILLE BLEUE AUX GAMINS ADORABLES. AVRIL 2007. TURQUIE
  • 2. Depuis, j’ai appris que tout le monde, il n’est pas beau, que tout le monde, il n’est pas gentil. Il n’est pas laid ni méchant non plus.Tout le monde est en va-et-vient constant quelque part entre ces deux pôles, ça dépend du moment et du point du vue. Récemment, j’ai visité le Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, en Tanzanie. Je discutais avec les gens qui faisaient la queue avec moi pour passer le contrôle de sécurité.J’ai mis cinq minutes à comprendre qu’ils étaient les familles des accusés, des diables qui ont serré la main de Roméo Dallaire. Même les diables ont des petits garçons au regard d’ange. Le saviez-vous? LA RÉVOLTE J’ai été souvent déçue par la bête humaine. À Moscou, par exemple. Me voici avec des amis français passionnés d’architecture dans le métro moscovite; une mine d’or en matière de design. Il fait froid et gris. Il y a deux jeunes avec des manteaux de cuir qui jouent de l’accordéon en grelottant. Ça ajoute à l’ambiance. On est sur le quai, à attendre la prochaine rame qui nous ramènera à l’hôtel. Les portes s’ouvrent sur trois skinheads hurlant d’un rire grotesque, des bouteilles de bière à la main. Leurs regards méprisants nous forcent à poser les nôtres au sol.Sitôt entrés à l’intérieur de la voiture,on comprend.Un vieillard est tailladé au visage. Il saigne. À ses pieds, des éclats de verre. Du bout de son nez, la bière dégoutte. Il a des doigts bleuis par le froid, une barbe grise inégale et le regard perdu. Je jette un coup d’œil aux autres passagers, qui ont dû assister à la triste scène. Par réflexe, je cherche un regard compatissant, un signe d’indignation, une réaction... Niet. Je suis sidérée. Ça hurle dans ma tête. C’est quoi, son crime? D’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment? «Monsieur, êtes-vous correct?» que je lui demande en anglais alors que mon amie pose la main sur son épaule. Il ne bronche pas et continue de fixer cette cible invisible droit devant lui, la bouche ouverte. C’est notre station, on débarque. Le trajet jusqu’à l’hôtel se fait en silence. Ça hurle encore dans ma tête. L’ÉMOTION Évidemment, j’ai aussi été émue d’innombrables fois. Surtout sur le continent africain. Si le voyage intensifie tout, l’Afrique elle, a un pouvoir exponentiel. Je vis en ce moment à Nairobi, au Kenya.J’ai eu la chance de partager le vibrato de ses habitants lorsqu’ils ont appris que leur «frère» — le père d’Obama est originaire du Kenya — avait été élu. Il est 6 h 45, je suis dans un resto du centre-ville. On s’assoit, on jase, on regarde CNN, et puis BANG! Ça y est: il leur annonce que oui, ils ont le droit de rêver, eux aussi. Des yeux embués, des sourires qui semblent avoir attendu ce moment depuis des siècles. Quel grand moment, même si, au fond, ça ne changera rien à leur vie. Mais le concret et l’abstrait ne se mesurent pas de la même façon. C’est dur de «graticuler» en chiffres l’effet qu’aura sur eux l’envie de changer le monde, de se prendre en main plutôt que de la tendre. C’était grand, c’était beau, simplement. On s’est mutuellement serrés dans les bras, eux se sentant probablement un peu plus égaux que la veille face à ma blancheur. Finalement, une dizaine de visas plus tard, je me rends compte que c’est dans la classe moyenne que se trouvent les différences. Aux extrêmes, ça se ressemble partout. Les riches trimballent les mêmes grosses bagnoles aux mêmes vitres teintées à Berlin, à New York ou à Dar es-Salaam. Leurs enfants écoutent la même musique sur les mêmes iPod en se traînant les pieds dans les mêmes souliers griffés. Les très pauvres, eux, portent inévitablement la totalité de leur garde-robe sur le dos, en couches superposées où se mélangent des odeurs d’urine et de transpiration. C’est quelque part entre ces deux strates qu’on prend le pouls d’un pays. C’est chez les enseignants, les infirmières et les chauffeurs de taxi qu’on goûte les plats typiques, qu’on écoute la chaîne de télé locale en discutant de politique. Par manque de moyens ou par obstination, ils n’ont pas fait passer à la mondialisation le seuil de leur maison. Et c’est tant mieux.• Hélène Mercier prépare actuellement une maîtrise en gestion du développement international à l’Université de Lund, en Suède. Dans le cadre de ses recherches au Kenya, elle a aussi effectué un stage avec l’UNICEF. Elle est également journaliste et chroniqueuse à C’est bien meilleur le matin et à Macadam Tribus, à la radio de Radio-Canada. PHOTOS:HÉLÈNEMERCIER. 04.2009 humeur76 M O I , M E S S O U L I ER S . . . DE MES MOMENTS LES PLUS ÉTRANGES 1. Je me suis fait tâter les seins par la vieille du village de Zogbodomey, au Bénin, qui n’avait encore jamais vu de femme aussi âgée – j’avais alors 22 ans – sans enfants. J’ai reçu toutes ses félicitations pour ma poitrine bien ferme. 2. Perdue en Serbie par une nuit de tempête de neige, je cherche à me rendre au Kosovo. C’est dans une Lada qui n’avait plus de plancher à l’arrière, avec le conducteur qui buvait au goulot sa vodka russe en hurlant des chansons traditionnelles serbes, que j’y suis arrivée. 3. Traduire, live et en anglais, la chanson Saskatchewan, des Trois Accords, à une bande de Suédois qui apprécient le rythme et aimeraient bien savoir ce que ça raconte... tout un défi! Surtout après de nombreux verres... «My cows tell me you-ou-ou!» 4. J’ai mangé Pumba! Mea culpa, amis du roi Lion, mais je n’ai pu résister à la viande de phacochère grillée qu’offrait le menu du resto de la réserve de Nazinga, au Burkina Faso.Allez, sans rancune, Hakuna Matata? TOP 4 ÉLECTION D’OBAMA, KENYA. NOVEMBRE 2008 AVEC BÉBÉ JUSTIN ET SA MAMAN. J'AI AIDÉ LES INFIRMIÈRES LORS DE L'ACCOUCHEMENT. ZOGBODOMEY, BÉNIN. JUILLET 2004. OSLO VIGELANDSPARKEN. NOVEMBRE 2007