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Cadiot Valentin
N°20700168
M1, Economie et société du Japon moderne
Janvier 2012



                     Dossier : La science du travail
                         (労働科学について)
                                    Teruoka Gitô
Contexte :
       Ce texte est un article écrit en 1924 (Taishô 13) par Teruoka Gitô, né en 1889
et mort en 1966, qui a d’abord fait des études en Allemagne, qui fut médecin puis
finalement directeur du centre de recherche sur les sciences du travail. Cet article est
un extrait de sa thèse qu’il a développé en réaction au taylorisme.
       En effet, l’ouvrage « The Principles of Scientific Management » (L’organisation
scientifique du travail) de Frederick Winslow Taylor est traduit et publié au Japon en
1913. Ce livre de l’ingénieur américain préconise l’adoption d’une nouvelle méthode
scientifique d’organisation du travail dans les usines, pour améliorer au maximum
leur productivité.
       Cet ouvrage a été très bien reçu, alors que le Japon était en pleine période
d’industrialisation, si bien que l’on a appliqué le taylorisme aux réalités du pays, et
que certains penseurs désiraient même l’appliquer à l’ensemble de la société, pour
rationaliser les rapports entre les individus.
       La thèse de Teruoka Gitô, parue dans le premier volume du mensuel 「労働科
学研究」 (Rôdô kagaku kenkyû, Etudes sur la science du travail) du centre de
recherche sur la science du travail, est née en réaction à l’application du taylorisme
dans l’industrie japonaise,     avec la mise en place de la loi sur l’organisation
scientifique du travail. Le cœur de sa thèse est en réalité une critique de cette
méthode de travail, il y développe sa théorie sur la science du travail, en contraste
avec Taylor. Auparavant, en 1920 (Taishô 9), Teruoka Gitô avait déjà publié une
critique du Taylorisme dans la revue « Chûô Kôron » (mars, page 31), et y avait
développé sa thèse et montré son intérêt général pour ce sujet.
Sa thèse se divise en quatre parties comme suit, selon sa table des matières :
1. Avant propos ; 2. Critique de la loi sur l’organisation scientifique du travail ; 3. Etat
actuel des études sur la science du travail en Occident ; 4. Opinion dans le domaine
des études sur la science du travail.
       Cet article n’est qu’un extrait et ne présente que les deux premières parties de
la théorie de Teruoka Gitô.


Résumé de l’article :
   1. Avant propos :


       Dans un premier temps, Teruoka Gitô définit le terme « science du travail ».
Puis il explique qu’en mai 1978, selon les conseils d’un de ses professeurs, il
entreprit des enquêtes sur les conditions d’hygiène chez les classes très pauvres
dans les grandes villes, dans le cadre du service de recherche sur les assurances et
l’hygiène de la préfecture de police. Il explique que depuis ces enquêtes, il porte un
grand intérêt pour les classes sociales et l’hygiène, et se destine à consacrer sa vie
aux études pour la culture de l’hygiène du prolétariat. En mars 1919 (Taishô 8) a été
crée le centre de recherche sur les questions sociales, dont Teruoka fut membre. Il
réalisa d’autres enquêtes sur les classes pauvres et l’hygiène, puis mit au point une
nouvelle organisation des grandes industries en s’attaquant au problème de la
fatigue des ouvriers dans les usines, s’appuyant sur les cours de physiologie du
professeur    Nagai   Hashida     Les   recherches     devinrent   ensuite    des   études
comparatives avec l’usine de Kurashiki, basées sur les propos du Docteur Takano
Iwasaburo et de M. Ohara Ces études ont conduit à la création du centre de
recherche sur les sciences du travail en 1921.
       Teruoka justifie l’utilisation du terme « science du travail » attribué au centre
de recherche en se basant sur plusieurs ouvrages, et en particulier sur le livre du
Docteur Jascfa Ioteyko, «The science of Labour and its Organisation » publié en
1919 à Londres, dont l’utilisation du terme est la plus adéquate selon Teruoka Gitô. Il
souligne également le fait qu’en 1913 en Allemagne ait été créé l’institut de
recherche sur la physiologie du travail (Institut für arbeitsphysiologie), et souligne
qu’en Allemagne le terme « physiologie » est plus adapté scientifiquement.
Teruoka Gitô, d’après sa spécialité qu’est l’hygiène publique, estime que
l’organisation des industries entraîne un sacrifice des vies des ouvriers, et il souhaite
expliquer scientifiquement cette situation afin de soulager les douleurs de ces
travailleurs. Il s’intéresse aux avis des économistes, mais également à ceux des
médecins et des hygiénistes.


   2. Critique de la loi sur l’organisation scientifique du travail :


      Dans un premier temps Teruoka Gitô explique que cette loi découle du
taylorisme venu d’Amérique, et fait une rapide biographie de F. W. Taylor. Il explique
que c’est la première personne à avoir réussi à trouver un système de travail
scientifique raisonnable pour les ouvriers.
      Teruoka développe ensuite les trois facteurs qui constituent « la quintessence
de tous les systèmes », selon Taylor : 1/ Il a été mit au point une science unique pour
chaque élément de travail d’un ouvrier. 2/ Avant les ouvriers choisissaient leurs
métiers, mais depuis la loi, c’est désormais les manageurs qui sélectionnent
scientifiquement leurs ouvriers. 3/ Les manageurs s’arrangent pour que les ouvriers
restent fidèles, et tous les métiers ont été fait selon des principes scientifiques
développés.
      Teruoka s’attarde sur la question de la sélection des travailleurs, selon des
critères physiologiques et psychologiques. Il explique que les rendements des
industries augmentent énormément grâce à ce mode de sélection. Il donne un
exemple de sélection de Taylor, où d’abord il teste 74 candidats en leurs faisant
porter des charges lourdes de métaux, puis en menant des enquêtes sur la vie des
3 ou 4 sélectionnés, pour n’en choisir qu’un seul, un Hollandais s’appelant Schmidt.
      Teruoka estime que ce mode de sélection n’est pas scientifiquement ou
médicalement physiologique, mais relève de la science expérimentale, et critique
Taylor sur ce point. Il exprime aussi ses craintes concernant le système de Taylor,
dans le domaine du rapport entre la quantité de calories qu’absorbent les travailleurs
et leur quantité de travail. Il reproche aux manageurs de faussement se baser sur
des études scientifiques et à peur que les ouvriers soient soumis à une surcharge de
travail, nuisible à leur santé, accélérant leur vieillissement et réduisant leurs
capacités.
Teruoka s’attarde ensuite sur la question du temps de travail quotidien
maximum d’un ouvrier, et pense qu’il faut décider de ce temps selon une méthode
physiologique. Il estime que la réalité est toute autre, et témoigne d’un manque de
respect envers la vie des travailleurs. En faisant un parallèle avec les Etats-Unis et
l’Allemagne, il montre que l’âge de la main d’œuvre baisse au cours du temps,
témoignant de l’usure prématurée des ouvriers. Cette usure est anti-hygiénique est la
loi sur l’organisation scientifique du travail devrait justement faire en sorte que la
main d’œuvre travaille longtemps.
      Il conclue en disant que des critiques ont déjà été exprimées, reprochant aux
manageurs de ne pas se baser sur des sciences physiologiques et psychologiques,
et trouvant de nombreux défauts à la loi sur l’organisation scientifique du travail.
Teruoka espère qu’il y aura des changements radicaux, allant davantage vers des
fondements psychologiques et physiologiques, concernant le travail.


Analyse et mise en profondeur :
      Cet article montre donc bien la volonté de Teruoka Gitô de développer une
science du travail, en étudiant l’adaptation du corps humain au travail industriel. Ce
médecin connaissant très bien la physiologie, critique Taylor et estime que la
modernisation ne doit pas passer par la pratique aveugle du taylorisme. Il faut aussi
accorder son attention vers la psychologie et la physiologie de chacun.
      Une autre critique de Teruoka et que le temps de travail accordé pour une
tâche est décidé de manière subjective par le manageur. Il souhaite que ce temps
soit déterminé en fonction des capacités de travail des ouvriers, et témoigne de sa
vision davantage médicale qu’économique.
      Une troisième critique est que le taylorisme reste muet face à la question de la
fatigue, alors que l’usure prématurée des travailleurs est due à la fatigue.
      Enfin, la quatrième critique de Teruoka est que le taylorisme réduit le travail
rationnel aux capacités de production alors que selon lui le travail rationnel devrait
viser à l’amélioration de la vision des individus et à l’accomplissement de leurs
devoirs.
      En réaction à tout cela, Teruoka Gitô développe une autre discipline plus
sociale qui sera l’hygiène sociale, et publie en 1927 un « traité d’hygiène sociale »
(Shakai eisei ron, 社会衛生論). Cette hygiène sociale constitue une manière de
réfléchir entre les conditions d’hygiène et les conditions sociales. L’idée de cette
pensée est que l’on ne peut améliorer son hygiène qu’en améliorant ses conditions
de vie. Mais pour soigner l’homme, il faut soigner la société dans son ensemble.
C’est une solution de type plutôt autoritaire, et pas totalement démocratique. Cette
hygiène sociale va d’ailleurs petit à petit se transformer en hygiène raciale, avec
l’eugénisme, mais bien des années plus tard.

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  • 1. Cadiot Valentin N°20700168 M1, Economie et société du Japon moderne Janvier 2012 Dossier : La science du travail (労働科学について) Teruoka Gitô Contexte : Ce texte est un article écrit en 1924 (Taishô 13) par Teruoka Gitô, né en 1889 et mort en 1966, qui a d’abord fait des études en Allemagne, qui fut médecin puis finalement directeur du centre de recherche sur les sciences du travail. Cet article est un extrait de sa thèse qu’il a développé en réaction au taylorisme. En effet, l’ouvrage « The Principles of Scientific Management » (L’organisation scientifique du travail) de Frederick Winslow Taylor est traduit et publié au Japon en 1913. Ce livre de l’ingénieur américain préconise l’adoption d’une nouvelle méthode scientifique d’organisation du travail dans les usines, pour améliorer au maximum leur productivité. Cet ouvrage a été très bien reçu, alors que le Japon était en pleine période d’industrialisation, si bien que l’on a appliqué le taylorisme aux réalités du pays, et que certains penseurs désiraient même l’appliquer à l’ensemble de la société, pour rationaliser les rapports entre les individus. La thèse de Teruoka Gitô, parue dans le premier volume du mensuel 「労働科 学研究」 (Rôdô kagaku kenkyû, Etudes sur la science du travail) du centre de recherche sur la science du travail, est née en réaction à l’application du taylorisme dans l’industrie japonaise, avec la mise en place de la loi sur l’organisation scientifique du travail. Le cœur de sa thèse est en réalité une critique de cette méthode de travail, il y développe sa théorie sur la science du travail, en contraste avec Taylor. Auparavant, en 1920 (Taishô 9), Teruoka Gitô avait déjà publié une critique du Taylorisme dans la revue « Chûô Kôron » (mars, page 31), et y avait développé sa thèse et montré son intérêt général pour ce sujet.
  • 2. Sa thèse se divise en quatre parties comme suit, selon sa table des matières : 1. Avant propos ; 2. Critique de la loi sur l’organisation scientifique du travail ; 3. Etat actuel des études sur la science du travail en Occident ; 4. Opinion dans le domaine des études sur la science du travail. Cet article n’est qu’un extrait et ne présente que les deux premières parties de la théorie de Teruoka Gitô. Résumé de l’article : 1. Avant propos : Dans un premier temps, Teruoka Gitô définit le terme « science du travail ». Puis il explique qu’en mai 1978, selon les conseils d’un de ses professeurs, il entreprit des enquêtes sur les conditions d’hygiène chez les classes très pauvres dans les grandes villes, dans le cadre du service de recherche sur les assurances et l’hygiène de la préfecture de police. Il explique que depuis ces enquêtes, il porte un grand intérêt pour les classes sociales et l’hygiène, et se destine à consacrer sa vie aux études pour la culture de l’hygiène du prolétariat. En mars 1919 (Taishô 8) a été crée le centre de recherche sur les questions sociales, dont Teruoka fut membre. Il réalisa d’autres enquêtes sur les classes pauvres et l’hygiène, puis mit au point une nouvelle organisation des grandes industries en s’attaquant au problème de la fatigue des ouvriers dans les usines, s’appuyant sur les cours de physiologie du professeur Nagai Hashida Les recherches devinrent ensuite des études comparatives avec l’usine de Kurashiki, basées sur les propos du Docteur Takano Iwasaburo et de M. Ohara Ces études ont conduit à la création du centre de recherche sur les sciences du travail en 1921. Teruoka justifie l’utilisation du terme « science du travail » attribué au centre de recherche en se basant sur plusieurs ouvrages, et en particulier sur le livre du Docteur Jascfa Ioteyko, «The science of Labour and its Organisation » publié en 1919 à Londres, dont l’utilisation du terme est la plus adéquate selon Teruoka Gitô. Il souligne également le fait qu’en 1913 en Allemagne ait été créé l’institut de recherche sur la physiologie du travail (Institut für arbeitsphysiologie), et souligne qu’en Allemagne le terme « physiologie » est plus adapté scientifiquement.
  • 3. Teruoka Gitô, d’après sa spécialité qu’est l’hygiène publique, estime que l’organisation des industries entraîne un sacrifice des vies des ouvriers, et il souhaite expliquer scientifiquement cette situation afin de soulager les douleurs de ces travailleurs. Il s’intéresse aux avis des économistes, mais également à ceux des médecins et des hygiénistes. 2. Critique de la loi sur l’organisation scientifique du travail : Dans un premier temps Teruoka Gitô explique que cette loi découle du taylorisme venu d’Amérique, et fait une rapide biographie de F. W. Taylor. Il explique que c’est la première personne à avoir réussi à trouver un système de travail scientifique raisonnable pour les ouvriers. Teruoka développe ensuite les trois facteurs qui constituent « la quintessence de tous les systèmes », selon Taylor : 1/ Il a été mit au point une science unique pour chaque élément de travail d’un ouvrier. 2/ Avant les ouvriers choisissaient leurs métiers, mais depuis la loi, c’est désormais les manageurs qui sélectionnent scientifiquement leurs ouvriers. 3/ Les manageurs s’arrangent pour que les ouvriers restent fidèles, et tous les métiers ont été fait selon des principes scientifiques développés. Teruoka s’attarde sur la question de la sélection des travailleurs, selon des critères physiologiques et psychologiques. Il explique que les rendements des industries augmentent énormément grâce à ce mode de sélection. Il donne un exemple de sélection de Taylor, où d’abord il teste 74 candidats en leurs faisant porter des charges lourdes de métaux, puis en menant des enquêtes sur la vie des 3 ou 4 sélectionnés, pour n’en choisir qu’un seul, un Hollandais s’appelant Schmidt. Teruoka estime que ce mode de sélection n’est pas scientifiquement ou médicalement physiologique, mais relève de la science expérimentale, et critique Taylor sur ce point. Il exprime aussi ses craintes concernant le système de Taylor, dans le domaine du rapport entre la quantité de calories qu’absorbent les travailleurs et leur quantité de travail. Il reproche aux manageurs de faussement se baser sur des études scientifiques et à peur que les ouvriers soient soumis à une surcharge de travail, nuisible à leur santé, accélérant leur vieillissement et réduisant leurs capacités.
  • 4. Teruoka s’attarde ensuite sur la question du temps de travail quotidien maximum d’un ouvrier, et pense qu’il faut décider de ce temps selon une méthode physiologique. Il estime que la réalité est toute autre, et témoigne d’un manque de respect envers la vie des travailleurs. En faisant un parallèle avec les Etats-Unis et l’Allemagne, il montre que l’âge de la main d’œuvre baisse au cours du temps, témoignant de l’usure prématurée des ouvriers. Cette usure est anti-hygiénique est la loi sur l’organisation scientifique du travail devrait justement faire en sorte que la main d’œuvre travaille longtemps. Il conclue en disant que des critiques ont déjà été exprimées, reprochant aux manageurs de ne pas se baser sur des sciences physiologiques et psychologiques, et trouvant de nombreux défauts à la loi sur l’organisation scientifique du travail. Teruoka espère qu’il y aura des changements radicaux, allant davantage vers des fondements psychologiques et physiologiques, concernant le travail. Analyse et mise en profondeur : Cet article montre donc bien la volonté de Teruoka Gitô de développer une science du travail, en étudiant l’adaptation du corps humain au travail industriel. Ce médecin connaissant très bien la physiologie, critique Taylor et estime que la modernisation ne doit pas passer par la pratique aveugle du taylorisme. Il faut aussi accorder son attention vers la psychologie et la physiologie de chacun. Une autre critique de Teruoka et que le temps de travail accordé pour une tâche est décidé de manière subjective par le manageur. Il souhaite que ce temps soit déterminé en fonction des capacités de travail des ouvriers, et témoigne de sa vision davantage médicale qu’économique. Une troisième critique est que le taylorisme reste muet face à la question de la fatigue, alors que l’usure prématurée des travailleurs est due à la fatigue. Enfin, la quatrième critique de Teruoka est que le taylorisme réduit le travail rationnel aux capacités de production alors que selon lui le travail rationnel devrait viser à l’amélioration de la vision des individus et à l’accomplissement de leurs devoirs. En réaction à tout cela, Teruoka Gitô développe une autre discipline plus sociale qui sera l’hygiène sociale, et publie en 1927 un « traité d’hygiène sociale » (Shakai eisei ron, 社会衛生論). Cette hygiène sociale constitue une manière de
  • 5. réfléchir entre les conditions d’hygiène et les conditions sociales. L’idée de cette pensée est que l’on ne peut améliorer son hygiène qu’en améliorant ses conditions de vie. Mais pour soigner l’homme, il faut soigner la société dans son ensemble. C’est une solution de type plutôt autoritaire, et pas totalement démocratique. Cette hygiène sociale va d’ailleurs petit à petit se transformer en hygiène raciale, avec l’eugénisme, mais bien des années plus tard.