Dans ce numéro d'EuraTech'Trends, zoom sur l'informatique quantique, sous-domaine de l'informatique qui traite des calculateurs quantiques utilisant des phénomènes de la mécanique quantique, par opposition à ceux de l'électricité exclusivement, pour l'informatique dite « classique ». Les phénomènes quantiques utilisés sont l'intrication quantique et la superposition. Les opérations ne sont plus basées sur la manipulation de bits dans un état 1 ou 0, mais de qubits en même temps dans un état 1 et 0.
1. L
a fameuse loi de Moore
arrive-t-elle à son terme ? «
La puissance des puces élec-
troniques, à prix constant,
double tous les deux ans » : expri-
mée en 1965 par l’un des futurs
fondateurs de Intel, ce qui n’était
au départ qu’une prédiction s’est
vérifiée pendant des décennies et
a permis à l’informatique de se
démocratiser. Aujourd’hui le mo-
dèle semble pourtant avoir atteint
ses limites physiques. La toujours
plus importante miniaturisation
des circuits, de 14 nanomètres
actuellement à 10 voire 3 comme
le prédisent certains experts, va
entraîner des perturbations sur le
comportement des électrons. C’est
là où le monde quantique, au tra-
vers des mécanismes de superpo-
sition et d’intrication, entre en jeu
en ouvrant les portes de l’infini-
ment petit. Il offre surtout de nou-
velles perspectives pour dépasser
la loi de Moore et répondre aux en-
jeux de l’informatique de demain.
La superposition
Les physiciens quantiques ont
découvert que les particules
constituant la matière ou la lu-
mière avaient la propriété d’être
simultanément dans deux états
différents appelée la superposi-
tion d’état. Cette propriété est le
fondement du principe d’un qubit
(quantum bit) et confère toute la
puissance aux ordinateurs quan-
tiques. Pour un ordinateur binaire
(0 ou 1), il faut 249
cycles pour
balayer la totalité des combinai-
sons possibles de 49 bits ; pour
un ordinateur quantique de 49
qbits qu’il n’en faut que 2 x 49
cycles ! Bien que cette quantifi-
cation de la puissance d’un ordi-
nateur quantique soit simpliste,
elle donne une idée de l’énorme
gap de puissance qui laisse espé-
rer la possibilité de résoudre des
problèmes jusqu’alors considérés
comme insolubles.
L’intrication
Autre principe étonnant de la
physique quantique : l’intrica-
tion, un phénomène dans lequel
deux particules (ou groupes de
particules) ont des états quan-
tiques dépendant l’un de l’autre
quelle que soit la distance qui
les sépare. Là où cela devient
extraordinaire, c’est qu’elles
n’ont pas besoin d’échanger des
informations simplement parce
qu’en fait elles ne forment qu’un
unique système. Ce principe est
utilisé pour créer des qubits et
permettre la parallélisation de
calculs quantiques.
La décohérence
Malheureusement, il existe un
revers à la médaille, qui consti-
tue un frein à la multiplication
des qubits dans un ordinateur
quantique, donc à sa montée
en puissance : la décohérence.
Plus l’objet superposé est com-
posé d’un grand nombre de
particules, qubits dans le cas
d’un ordinateur quantique,
plus les superpositions dispa-
raissent rapidement, donc le
temps disponible pour effectuer
des calculs quantiques diminue.
Certains physiciens ont même
prouvé que le temps de cohé-
rence du groupe de particules
est inversement proportionnel
au nombre de particules com-
posant le groupe.
L’avenir
Toutes ces découvertes vont
susciter autant l’enthousiasme
que le scepticisme, d’autant
que jusqu’aux années 1980, la
compréhension est passive. À
cette période, le contrôle quan-
tique, grâce à la manipulation
des atomes, va permettre dès
lors la réalisation de tâches
déterminées par les photons et
autres électrons. Un physicien
américain, Richard Feynman, va
y voir alors une solution pour
surpasser la loi de Moore. à très
petite échelle, pourquoi ne pas
utiliser les effets quantiques
pour assurer une sorte de pa-
rallélisme du calcul plutôt que
d’en subir les effets ? L’informa-
tique quantique était née. Dès
les années 90, en associant à un
ordinateur classique un circuit
quantique de calcul. La fabrica-
tion d’un ordinateur quantique,
elle, nécessite pour le moment
l’utilisation de techniques que
l’on commence à peine à maî-
triser et représente le prochain
enjeu.
E
euratech trends
Décembre 2017 Numéro #11
L' Informatique Quantique
Introduction de la constance de Planck (h) et de la notion des quanta
Einstein publie l’hypothèse des quanta de lumière
Bohr introduit la notion de saut quantique
Werner Heisenberg jette les bases de la mécanique quantique
Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen mettent en évidence le
phénomène d’intrication ou enchevêtrement quantique
Dieter Zeh découvre le phénomène de décohérence
Naissance de la théorie de l’informatique quantique avec notamment Richard
Feynman et David Deutsch
Dans sa publication « Quantum coding », Benjamin Schumacher emploie
pour la première fois le terme qubit
D-Wave commercialise son premier ordinateur quantique, the D-Wave OneTM
IBM expérimente le QCaaS, Quantum Computing as a Service avec son projet
IBM Q
1899
1905
1913
1926
1935
1970
80s
1995
2010
2017
*Repères chronologiques
2. S
aviez-vous que le LASER
de nos platines DVD uti-
lise les atomes et leurs
propriétés quantiques
pour produire une lumière ? En
fait, le monde quantique a déjà
ouvert de nombreuses portes
dans notre vie quotidienne.
Un domaine est en particulier
l’objet de nombreuses atten-
tions : l’informatique quantique
pour développer des moyens de
calcul et de communication utili-
sant la logique quantique. Dans
un ordinateur classique, l’infor-
mation élémentaire, le bit, ne
peut adopter que deux valeurs,
0 ou 1, selon le passage ou non
du courant électrique à travers
un transistor. Dans un ordina-
teur quantique, le bit quantique
(ou qubit), peut se retrouver
dans ces deux états en même
temps grâce au phénomène de
superposition. Mieux encore,
deux qubits peuvent interagir du
fait de l’intrication. Grâce à cela,
un ordinateur quantique peut,
en théorie, obtenir des résul-
tats en une seule étape quand
un ordinateur classique doit
traiter l’information l’une après
l’autre. « Avec 300 qubits, on
peut faire 2300 calculs en même
temps, explique Alexandre Blais,
de l’université de Sherbrooke.
Ce qui revient à dire que pour
le même calcul complexe, là où
un ordinateur classique mettrait
2300
secondes — un temps égal à
plus de cinq fois l’âge de l’Uni-
vers — son cousin quantique y
passerait 600 secondes soit 10
minutes ».
Les enjeux
politiques
L’informatique quantique, à dé-
faut d’avoir atteint la fameuse
« quantum supremacy », limite à
laquelle l’ordinateur quantique
dépassera les performances
des plus puissants ordinateurs
classiques, attise forcément les
convoitises. Les enjeux sont éco-
nomiques mais aussi politiques,
en témoignent les investisse-
ments réalisés par certains états
comme les États-Unis depuis la
fin des années 1990, l’Australie
qui dispose désormais de deux
centres d’excellence dédiés au
sujet ou encore la Grande-Bre-
tagne qui estime que l’industrie
des technologies quantiques
représentera 1 milliard de livres
dans les 10 prochaines années.
La Commission européenne
prévoit quant à elle le lance-
ment en 2018 d’un projet d’1
milliard d’euros pour soutenir
le développement des techno-
logies quantiques : QuantERA.
Chaque protagoniste essaie de
réaliser une sorte de « Spoutnik
Moment », une avancée techno-
logique qui prend tout le monde
de court… Dans ce domaine les
Chinois multiplient d’ailleurs les
annonces de poids : la première
téléportation quantique réussie
d’un message sur 1200 km entre
un satellite en orbite et la Terre
ou encore la mise en place d’un
premier tronçon de 2000 km d’un
réseau de communication quan-
tique reliant les villes de Pékin,
Jinan, Hefei et Shanghai !
La course est lancée
Le secteur privé n’est pas en
reste. IBM a depuis longtemps
investi le champ des recherches
en informatique quantique et
a récemment lancé une plate-
forme en cloud pour faciliter
l’accélération de l’innovation
dans le domaine des technolo-
gies quantiques, notamment en
aidant la communauté scienti-
fique à découvrir de nouvelles
applications. D’autres ont choisi
de s’associer avec le monde
universitaire : Google avec l’Uni-
versité de Californie à Santa
Barbara (UCSB), Microsoft avec
l’université de Sydney et Intel
avec l’université de technologie
de Delft (Pays-Bas). De son côté
D-Wave, société canadienne, a
été la première à commercia-
liser un ordinateur quantique,
vendu notamment à la NASA et à
Google. Les spécialistes pointent
du doigt qu’il ne s’agit pas d’un
ordinateur quantique général
mais qu’il est optimisé pour
un type de calcul quantique, le
«recuit simulé». L’objectif affiché
par la start-up Rigetti Compu-
ting, basée à Berkeley en Cali-
fornie, se concentre, elle, sur la
conception du matériel informa-
tique nécessaire pour construire
« l’ordinateur le plus puissant
du monde ». QxBranch et 1QBit
s’activent plutôt sur le côté logi-
ciel… bref la course aux qubits,
aux algorithmes et aux logiciels
est lancée.
Aujourd’hui
euratech trends #1102
Photographie de la puce construite par D-Wave Systems Inc. qui fonctionne avec
un processeur de 128 qubits basé sur la méthode du recuit simulé quantique
3. P
lus de 23 milliards de dol-
lars : ce sera le montant
des revenus générés en
2025 par l’informatique
quantique, selon les estimations
du cabinet Persistence Market
Research*. La prochaine décen-
nie devrait ainsi voir le taux de
croissance annuel moyen du mar-
ché connaître une hausse expo-
nentielle de 30,9 %, hardware et
software compris. Mieux encore, le
développement de l’informatique
quantique aurait un effet d’entraî-
nement dans de nombreux sec-
teurs. L’intelligence artificielle en
premier lieu. Avec 2,5 exaoctets
de données produites chaque
jour dans le monde, un ordina-
teur quantique 100 millions de
fois plus rapide comme annoncé
par Google devrait représenter une
arme redoutable. C’est aussi vrai
sur la gestion des flux routiers,
notamment avec des véhicules
autonomes, et la logistique. Une
meilleure compréhension des
interactions entre les atomes et
les molécules peut aussi accélérer
la découverte de nouveaux médi-
caments et avec l’analyse plus
poussée des séquences ADN, la
détection des cancers sera facili-
tée. En termes de météorologie,
l’ordinateur quantique permettrait
d’affiner les modèles et rendre
les prévisions plus précises. Selon
l’Organisation météorologique
mondiale, les développements
algorithmiques de l’informatique
quantique pourrait aider à la cap-
ture du dioxide de carbone et ainsi
lutter plus efficacement contre le
réchauffement climatique !
Décohérence
Pour passer du rêve à la réa-
lité, l’informatique quantique va
devoir néanmoins remplir deux
conditions essentielles : dévelop-
per le nombre de qubits et sur-
tout les protéger du phénomène
de décohérence. En effet, plus le
nombre de qubits va augmenter,
plus les interactions vont s’ac-
croître et donc risquer de pertur-
ber leurs propriétés quantiques.
Pièges à ions, circuits supracon-
ducteurs ou qubits portés par
des noyaux au sein de cristaux
de diamant, de nombreuses
pistes sont explorées actuelle-
ment avec chacune leurs avan-
tages et leurs inconvénients. De
plus, le packaging va jouer un
rôle prépondérant pour protéger
les qubits du monde extérieur
et préserver les conditions ex-
trêmes nécessaires à leur pleine
expression. IBM et D-Wave, par
exemple, mettent à l’abri leurs
puces dans des chambres de
confinement avec 16 niveaux
de séparation et développent
un système de cryogénie pour
maintenir des températures très
légèrement au-dessus du zéro
absolu (0,0015°K).
Sécurité
Dernier enjeu de taille : la sécu-
rité. Avec l’informatique quan-
tique, il va falloir repenser la
notion de chiffrement sur de
nouvelles bases et incorporer
une cryptographie agile afin
que les systèmes évoluent en
fonction des avancées technolo-
giques. L’avenir de la blockchain
en dépend. La seule façon de
l’attaquer actuellement appa-
raît être la force brute, donc de
tester massivement l’infaillibilité
de chaque maillon de la chaîne.
De difficilement réalisable
de nos jours cela devien-
dra un jeu d’enfant avec
l’incroyable puissance de
calcul de l’informatique
quantique. La solution
réside peut-être dans le
développement par le Rus-
sian Quantum Center d’un
protocole blockchain s’ap-
puyant sur une signature
quantique qui s’attacherait
à chaque transaction du
processus, donc le rendant
infalsifiable. Mais pour se
faire, cette signature aura
besoin d’un Internet quan-
tique mondial… Le chemin
à parcourir est encore long,
les verrous technologiques
de taille, même si la plupart
des experts s’accordent sur
la commercialisation d’un
ordinateur quantique d’ici
une quinzaine d’années.
euratech trends #11 03
Les enjeux
*https://www.persistencemarketresearch.com/mediarelease/quantum-
computing-market.asp
4. euratech trends #1104
QUANTIC
https://team.inria.fr/quantic
L’équipe QUANTIC (QUANTum
Information Circuits) se trouve
à l’interface théorique et expé-
rimentale de l’ingénierie quan-
tique, un domaine en émergence
lié aux applications en informa-
tion, calcul et communications
quantiques. L’objectif principal
de cette équipe interdisciplinaire
formée par des physiciens et
mathématiciens appliqués, est
de développer à la fois des mé-
thodes et des dispositifs expéri-
mentaux assurant un traitement
robuste de l’information quan-
tique.
ATOS
https://atos.net/en/insights-and-in-
novation/atos-quantum
Atos lance « Atos Quantum »
pour développer des solutions de
calcul quantique qui offriront des
puissances de calcul inédites,
tout en faisant évoluer ses pro-
duits de cyber-sécurité pour les
renforcer face à ces nouvelles
technologies. Pour Thierry Breton,
le PDG d’Atos, « la formation des
nouvelles générations au calcul
quantique et à l’intelligence arti-
ficielle est plus qu’un besoin,
c’est un devoir ». Le programme
vise notamment les développe-
ments suivants et leur intégra-
tion industrielle :
• Lancement d’une plate-forme
de simulation quantique capable
de simuler jusqu’à 40 bits quan-
tiques (qubits). Baptisé « Atos
Quantum Learning Machine »
(Atos QLM), le simulateur est
propulsé par un supercalcula-
teur ultra compact associé à un
langage de programmation uni-
versel. Disponible en 5 configu-
rations de puissance (de 30 à 40
qubits) pour couvrir les différents
besoins des organisations.
• Création d’un pôle de dévelop-
pement d’algorithmes et de pro-
grammation afin de constituer un
portefeuille d’applications quan-
tiques en particulier pour le Big
Data, l’Intelligence Artificielle, le
calcul intensif et la cyber-sécu-
rité.
• Conception d’architectures de
calcul innovantes afin de per-
mettre aux applications de béné-
ficier de la puissance colossale
apportée par le quantique et
des environnements standards
disponibles sur les supercalcula-
teurs classiques.
• Développement de nouveaux
algorithmes de cryptographie ré-
sistants aux attaques quantiques
afin de rendre les applications
inviolables par les méthodes
quantiques et préserver ainsi
les niveaux de sécurité actuels
et à venir au cœur d’Internet, du
commerce électronique et de la
protection des données person-
nelles.
France
Directeur de publication :
Raouti Chehih
Rédacteur en chef :
Patrick Bertolo
Journaliste :
Thibault Caudron
165 avenue de Bretagne 59000 Lille
03.20.19.18.55
contact@euratechnologies.com
du 13 au 19 janvier 2018, Delft (Pays-Bas)
https://qutech.nl/qip2018/
du 20 au 26 janvier 2018, Les Diablerets (Suisse)
https://www.idquantique.com/winter-school2018-/
du 21 au 23 mars 2018, Bristol (Royaume-Uni)
https://quantumlab.info/
10th
Annual Winter School: The
Coming Age of Quantum Cyber
Security
du 12 au 16 mars 2018, Baton Rouge (états-Unis)
http://qcmc18.phys.lsu.edu/home.htm
Quantum Innovation Lab 2018
du 22 au 26 avril 2018, Strasbourg (France)
http://spie.org/epe/conferencedetails/quantum-
technologies?wt.mc_id=repe18shcz&SSO=1
Quantum Technology Conference at
Photonics Europe (epe104)
www.euratechnologies.com
du 8 au 12 septembre 2018, Nagoya (Japon)
http://aqis-conf.org/2018/
du 10 au 11 septembre 2018, Londres (Royaume-Uni)
https://quantumoptics.physicsmeeting.com/
3rd
InternationalConferenceonQuantum
Optics and Quantum Computing
18th
Asian Quantum Information
Science Conference (AQIS'18)
21st
Annual Conference on Quantum
Information Processing (qip 2018)
International Conference on Quantum
Communication, Measurement and
Computing (QCMC 2018)
En 2017, le laboratoire national d’Oak Ridge a fait l’acquisition
d’un AQLM (Atos Quantum Learning Machine) d’une puissance
de 30 qubits. L’équipement sera dédié à l’étude d’impact de l’in-
formatique quantique sur la recherche dans différents domaines
(chimie, biologie, science des matériaux, science des données)
pour le compte du Department Of Energy.
en octobre 2020, Bruxelles (Belgique)
http://www.solvayinstitutes.be/html/solvayconf_physics.html
Solvay Conferences on Physics
A
G
E
N
D
A