Eweka, O.I. and N.O. Iloh L'Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
1. Nigerian Journal of the Humanities
Volume 19 (2013), pp. 28-52
L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
Osarodion I. Eweka and Ngozi O. Iloh
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3. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
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Joseph Zobel, né le 26 Avril 1915 à Rivière-Salée et meurt le 17 Juin,
2006 est romancier, poète et sculpteur Martiniquais. Il a écrit d’autres
romans tels que Diab’-là (1947), La Fête à Paris (1952), Quand la
neige aura fondu (1979) parmi bien d’autres. Le thème principal des
œuvres antillaises en général est le thème de la revendication de
l’identité antillaise. Les œuvres de Zobel suivent cette vague de
discernement identitaire du peuple Antillais. La Rue Cases-Nègres en
est celle la plus concentrée sur cette tâche revendicatrice, car d’après
Mokwenye (2006:140), Zobel « a fait de la condition de la masse
populaire l’objet principal de ses romans ». Depuis la parution de ce
roman, il y a eu tant d’études critiques concernant le. Dès les années
80, il y a déjà de multiples œuvres critiques sur La Rue Cases-Nègres.
Par exemple, Alain Ménil (1984) dans son article « La Rue Cases-
Nègres ou les Antilles de l’Intérieur » parle de la focalisation interne
de la société antillaise. Il y a aussi la critique réaliste d’Eileen Julien
(1987) portant sur le dynamisme du réel dans ce roman de Zobel. Puis,
Akpagu (1999) a mené une recherche anthropologique et
socioculturelle sur le même roman. Il s’agit de la structure de la famille
aux Antilles françaises. Son étude démontre que le manque du système
patriarcal dans ce roman de Zobel fait défaut à l’image de la famille
dans la société afro-caribéenne. Pour Wylie (2000), La Rue Cases-
Nègres de Zobel offre, dans une étude comparée, deux visions
esthétiques, l’une étant romanesque et l’autre cinématique. Wylie
compare le roman de Zobel au film d’Euzhan Palcy intitulé Sugar
Cane Alley, une adaptation de La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
en 1983. Les analyses comparées de Wylie sur le roman de Zobel se
focalisent sur le langage, l’histoire réaliste et la dimension coloniale du
roman. Cette dernière perspective correspond à la critique de
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Mokwenye (1996) sur l’engagement de Zobel dans La Rue Cases-
Nègres. Mokwenye traite le roman comme un roman d’exploitation
colonialiste où l’optimisme des Noirs-esclaves se reflète à travers les
personnages principaux du roman, M’man Tiné et José. Toutes ces
critiques prennent une dimension principalement anthropocentriste
puisqu’elles s’axent sur la condition des êtres humains dans la société
antillaise.
Dans l’étude actuelle, nous considérons que l’aspect écologiste
du roman de Zobel n’a pas été judicieusement exploité. Cette trame
nous semble nouvelle parce que les études préalables modernes sur ce
roman mettent l’accent sur le sort des personnages humains dans le
roman. Par exemple, Forman (2011) a entrepris une étude
postmoderniste, postcolonialiste et psychocritique de ce même roman.
Son étude examine l’introspection du personnage principal sur son
statut de l’homme noir. Bien que très récemment Rehill (2013) ait
entamé une perspective écocritique de La Rue Cases-Nègres et deux
autres romans antillais, c’est pour illustrer l’aspect socio-culturel de la
vie aux Antilles françaises. Elle a évidemment fait justice, dans La Rue
Cases-Nègres, à la relation indispensable entre l’homme et la nature,
mais son parti pris reste au côté thématique de l’anthropocentrisme
dominant.
Pour nous, cet article va primer le regard de la société antillaise
comme une entité écologiste dont dépend l’identité du peuple Antillais.
Nous allons finir par montrer que l’identité du peuple Antillais ne se
borne pas directement aux traitements des êtres humains envers leurs
semblables, mais elle consiste indirectement en l’optique de la
condition des êtres humains à travers l’optique de la situation de leur
environnement social. Donc, ce travail commencera par l’élaboration
5. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
31
du terme « écocritique » en tant que théorie littéraire. Ensuite, il y aura
un discours sur le lien entre l’écologie et le roman de Zobel, La Rue
Cases-Nègres. Nous allons, par la suite, analyser les descriptions
écologiques dans ce roman sur deux aspects fondamentaux de leur
représentation : la stylistique et la thématique, avant d’en finir par une
conclusion.
L’écocritique
L’écocritique, autrement dite l’écolittérature, est selon Dobie
(2012:238), un terme introduit par William Rueckert (1978) dans son
essai intitulé Literature and Ecology : An Experiment in Ecocriticism.
Le fond dans cette œuvre révèle l’emploi et l’application de l’écologie
et des concepts écologiques à l’étude de la littérature. Depuis lors, bon
nombre des critiques se font voix sur l’étude écologique dans la
littérature. Glotfelty et Fromm (1996:xviii) disent que l’écocritique se
définit comme « the study of the relationship between literature and the
physical environment…». Pour Glotfelty et Fromm, l’écocritique se
charge d’une tâche majeure d’éveiller la conscience écocentriste. Buell
(1995:15) affirme que « ecocriticism is the study of where all sciences
come together to analyze the environment and brainstorm possible
solutions for the correction of the contemporary environmental
situation ». Posthumus (2011:85) note que le concept et l’étendue de
l’écocritique s’inclinent aux champs d’études anglophones et donc, elle
livre sa définition comme une « étude du rapport entre l’écologie et la
littérature dans le domaine des lettres anglaises et américaines, mais
elle reste curieusement absente du monde des lettres françaises ». C’est
dans une tentative de combler le vide de ce concept dans la situation
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francophone que Stéphanie attire notre attention sur le concept du
contrat naturel de Michel Serres.
D’après Posthumus (2011:87), le philosophe Serres, « s’efforce
de forger une nouvelle philosophie de la nature depuis le début des
années quatre-vingt-dix en France ». Serres souligne la diversité dans
l’interaction entre les différentes entités sociales. Donc, la culture
conditionne l’attitude des gens face à leur perception, compréhension
et instruction de leur lien avec la nature. Il postule que l’écocritique a
plusieurs formes à savoir géopolitiques, économiques, culturelles.
Serres, dans son approche, porte un intérêt sur la stylistique, ce qui le
distingue des autres critiques écologiques. Sa théorie sur la philosophie
de la nature, appelée le contrat naturel, est composée de quatre
impressions à savoir une idée, une pratique, une métaphore et une
histoire. L’essentiel dans la théorie écologique de Serres est qu’elle
fonctionne dans la critique littéraire autant que dans d’autres domaines
scientifiques. Aussi, le contrat naturel de Serres éblouit-il plus comme
une théorie socio-historique précise qu’une notion
conventionnellement vaste.
La Rue Cases-Nègres est le bilan d’une société champêtre
d’une part et citadine, d’autre part, de la Martinique. D’abord, Le Petit-
Morne est l’endroit où est né l’enfant nommé José Hassam, le
personnage principal du roman. José, avec le « je » autobiographique,
se représente l’auteur Joseph Zobel dans une évocation de son enfance
chez sa grand-mère à la Rue Cases-Nègres. A travers une tranche de
vie découpée en plusieurs phases, l’auteur a su emporter ses lecteurs
par la voix de son alter-ego fictif, personnage-narrateur jusqu’à son âge
adulte marqué par la mort de la plus proche parente de sa vie, M’man
Tiné. Tout au long de la trajectoire quelque peu documentaire du récit,
7. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
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le lecteur ne perd de vue ni la vie de Hassam José, ni la conscience de
l’identité antillaise, ni les épreuves et les enjeux sur la nature que
véhicule le roman de Zobel.
La Rue Cases-Nègres et l’écologie
D’après Commoner (1971:33), “The first law of ecology is that
everything is connected to everything else”, c’est-à-dire que « la
première règle de l’écologie c’est que tout s’entremêle». A l’approche
d’un lecteur de cette œuvre de Joseph Zobel, il n’est pas frappé par la
charge d’éléments écologiques de l’œuvre. Sa curiosité de la
représentation de la nature aurait seulement pu être suscitée par un
souci de se documenter sur le paysage ou l’espace réel des Antilles (de
la Martinique au précis). On supposerait normalement que les
descriptions privilégiées par l’auteur dans la narration ne servent que
de décors. La peine prise par Joseph Zobel pour peindre son
environnement de façon aussi minutieuse et presque triviale inspire au
lecteur une attitude inquisitrice. Cette attitude consiste à interroger la
didactique et l’esthétique des données écologiques de l’espace antillais.
Ce travail actuel est justement l’issue de cette disposition curieuse
vécue par la présente étude sur le possible but de l’auteur au moment
où il façonnait toutes ses narrations écologiques.
Dans l’ensemble, la présentation de la nature chez Zobel dans
La Rue Cases-Nègres dépasse le cadre d’espace accessoire ou inactif à
l’œuvre. Le texte tient fort au mécanisme, à l’opération ou à la
composition systématique de son milieu naturel. Voilà qu’avec
adresse, l’œuvre de Joseph Zobel franchit la barre d’une stylistique
spatiale dans ses descriptions de la Martinique pour s’envoler vers le
haut du sublime écologique. Presque toutes ses peintures de la nature
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ne s’annoncent pas seulement comme de tous simples comptes naturels
qui font apprécier le paysage ou la société antillaise mais beaucoup
plus, comme de vibrants appels à son public à découvrir les croisades
de toute la nature conçue sur le sol martiniquais, en particulier. Plus
engageant, le texte s’efforce de nous éveiller la conscience collective
sur les interminables et inévitables communions entre toutes les
composantes de la nature : vivantes ou figées, qui s’introduisent dans
toute société mondiale.
Gavillon (2008) rapporte frénétiquement la convivialité requise
par la nature de la part des êtres humains pour assurer une paisible
coexistence naturelle sur terre. Comme pour réagir aux paroles de
Léopold (1949) et Bass (1985) dans sa citation ci-dessous, Gavillon
(2008:2) fait signe d’approbation d’une ultime intériorisation de
l’écologie dans la littérature. Ceci est particulièrement dans le but de
faire montrer d’humains et d’autres fragments formant le tout de
l’existence, comme des entités absolument sous les auspices les unes
des autres :
Dans l’un des textes les plus illustres de l’écolittérature
américaine du 20e siècle, A sand county almanac (1949),
Léopold plaidait pour que l’idée de communauté du vivant soit
étendue à la terre, aux eaux, aux plantes et aux animaux, et pour
que l’homme montre à l’endroit de cette terre une attitude
éthique (land ethic). Dans les essais et les nouvelles de Bass,
c’est la reconnaissance d’une nature agissante qui assure
équilibre et réciprocité : Bass n’est pas loin de réduire la vieille
question de l’appartenance de l’homme à la nature.
A partir de ce pacte recommandé par Léopold et Bass dans les
mots de Gavillon, La Rue Cases-Nègres semble déjà agir en modèle
d’appropriation littéraire car à l’aune de ses projets de sensibilisation
9. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
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sur l’environnement de l’humain, l’œuvre touche à l’intensité
écologique de la vie quotidienne des Martiniquais alors aux prises avec
les valeurs et les identités étrangères qui régnaient pendant la période
de la colonisation aux Antilles françaises. Ainsi, la croisade de la
nature avec les autres êtres dans La Rue Cases-Nègres, implique-t-elle
une écologie disséminée aux quatre éléments : l’espace, les humains,
les plantes et les animaux. De tels cercles-matières se font fréquenter
dans l’œuvre pour établir cet incontournable rapport entre les êtres et
les choses. Par son exhibition textuelle de la nature, le texte nous
montre que la nature englobe la vie. Si la Martinique lui sert d’espace
particulier ou de plateforme pour sa tâche sensibilisatrice, le facteur
socio-culturel doit se soumettre aux enjeux de la création littéraire.
Apparemment, La Rue Cases-Nègres s’adresse à tout le monde et non
pas strictement au monde antillais, qui, de ce fait, joue un rôle
intermédiaire dans la transmission de cette conscience écologique.
La Rue Cases-Nègres, (LRCN2
), nous plonge, comme nous
l’avons signalé, dans l’univers naturel des Antilles françaises à travers
des descriptions des matières écologiques. Commençant par le Petit-
Morne où commence l’histoire, l’auteur nous dit :
Il y a de grands arbres, des huppes de cocotiers, des allées de
palmiers, une rivière musant dans l’herbe d’une savane. Tout
cela est beau…on sait les chemins et les endroits où l’on peut
pêcher les écrevisses à la main, sous les cailloux chantants des
cours d’eau. On sait cueillir des goyaves, et défibrer les noix de
coco sèches. Et les cannes bonnes à sucer, ça nous connaît.
(LRCN:20)
Même dans la ville de Fort-de-France, José, le narrateur nous fait part
de sa première visite :
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La mer, c’était pour moi, une chose visible, belle, mais
inaccessible comme le ciel, son frère…ce jour-là où dans la
petite embarcation à vapeur qui reliait Fort-de-France à Petit
Bourg, je me trouvai en plein océan…C’était un grand bain
d’espace. Ce vide entre le ciel et l’eau m’impressionnait.
Etrange aussi, la vigueur avec laquelle l’eau bougeait en tous
sens, comme un troupeau de bêtes bleues… (LRCN:208)
Ici commencent les descriptions écologistes de la Martinique
les plus approfondies, les plus stylistiques et les plus thématiques dans
l’œuvre de Zobel.
Descriptions éco-stylistiques.
Dès le commencement de La Rue Cases-Nègres, Zobel
démontre son emploi de la nature par un manque de passivité chez
celle-ci. Il personnifie bien les éléments naturels qui déclenchent son
écriture tout en nous faisant voir qu’ils ne sont pas de banales manières
d’introduire la nature-mère, mais plutôt des agents actifs dans le cours
de la vie humaine:
D’aussi loin que je voyais venir M’man Tine, ma grand-mère,
au fond du large chemin qui convoyait les nègres dans les
champs de canne de la plantation et les ramenait, je me
précipitais à sa rencontre en imitant le vol du mansfenil, le
galop des ânes… (LRCN:9)
Plus bas, le narrateur poursuit sa description stylistiquement
écologique avec ces mots : « Je pense que le soleil est une excellente
chose parce qu’il conduit nos parents au travail et nous laisse jouer en
toute liberté.» (LRCN:14). En plus, l’œuvre est aussi exploitée par les
éléments naturels dans ses techniques de la description dont quelques
unes sont fondées sur l’usage des figures de style telles
11. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
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majoritairement, la métaphore et la comparaison. Par exemple, il y a la
comparaison faite de la grand-mère dont le « visage à peine plus clair
que la terre de la plantation » (LRCN:11). Puis, plus loin, José dit à
propos de certains habitants de la Rue Cases-Nègres : « Mam’zelle
Apolline…une vieille…qui nous appelle pour lui retirer des chiques
des pieds…car elle en a trop des chiques. Ses pieds sentent comme un
crapaud pourri » (LRCN:50). Encore plus, « La paye terminée, le tout
comme une eau de vidange, roule vers la rue Cases...Et tout
cela…chantait d’une voix brulante et envahissante comme un incendie
de forêt » (LRCN:62-63). De plus, les comparaisons paraissent dans le
roman, sous le coup d’éléments naturels tels que : « Je demeurais fixe
et suspendu à la voix qui, de la fenêtre magique, libérait des noms qui
descendaient sur les élèves comme une pluie d’étoiles.» (LRCN:204),
«Etrange aussi, la vigueur avec laquelle l’eau bougeait en tous sens,
comme un troupeau de bêtes bleues… » (LRCN:205).
La métaphore s’éclate encore au moment où les enfants
s’indulgent dans les discussions les plus argumentatives en se montrant
fiers et courageux les uns envers les autres à propos du sort (coups de
corrections) qu’ils allaient subir à l’arrivée de leurs parents, ayant
pendant l’absence de ceux-ci, fait de l’espièglerie, Romane s’en
exalte : « en se frappant la poitrine, je suis une négresse qui a du cœur.
Mon papa use une houssine sur moi : pas un cri. Ma m’man a dit que je
tiens de ma grand-mère qui était pierre et fer » (LRCN:37). Aussi, y-a-
t-il la puissance de la métaphore naturelle dans le portrait fait de M.
Saint-Louis : « dont les épaules montaient et descendaient doucement à
chaque pas, tel le dos d’un cheval qui va à loisir » (LRCN:49). Ensuite,
ce style éco-métaphorique s’émet par l’évocation de certains « arcs-en-
ciel de sourires», (LRCN:63) et là où Mam’zelle Délice est
12. Nigerian Journal of the Humanities
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mesquinement et malicieusement imputée d’une difformité, par
médisance de la part de José : « De grosses verrues tenaient lieu
d’orteils et ne faisaient chacune d’un caillou. Mais cet éléphantiasis
m’apparaissait comme le monstre le plus horrible» (LRCN:139).
Cette histoire de la métaphore tirée de la nature sied aussi
lorsque l’œuvre salue la vivacité de la nature par des éléments
astrologiques. L’auteur permet au porte-parole-narrateur, José, de
symboliser les êtres humains avec les étoiles : « …je demeurais fixe et
suspendu à la voix qui, de la fenêtre magique, libérait des noms qui
descendaient sur les élèves comme une pluie d’étoiles. Il y en avait une
interminable constellation… » (LRCN:204).
Il est d’ailleurs intéressant que la nature puisse nous servir
d’art dans l’écriture de Zobel :
Accroupi sur le seuil de la case, je me pelotonne de plus en plus
consumé par l’angoisse. Que le soir est lugubre, avec les
sentiers que l’ombre absorbe, la tôle des cases qui bleuit les
cocotiers dont les palmes s’alourdissent et bruissent par
saccades et ce grand troupeau d’hommes et de femmes vides de
toute force, qui sortent des champs de canne comme des
spectres issus de l’ombre pour on ne sait quel office
macabre !... dont je redoute le retour et j’attends….la voix me
surprend dans ma triste rêverie. (LRCN:38)
La peinture du malheur prévenu de José se fait par un langage
grandiose en stylistique. Ce passage soigneusement conçu par l’auteur,
se justifie par quelques mots sélectionnés à titre d’esthétique. Nous
jugeons donc qu’au sens figuratif :
- Le verbe « s’alourdissent » dévoile le poids du mauvais
fruit de son méfait auquel il s’attend avec effroi, alors que
13. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
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le verbe « bruissent » désigne la secousse qui provienne de
ses actes.
- L’adjectif « lugubre » met en évidence le deuil qu’un tel
présage offre au garçonnet.
- Le groupe nominal « grand troupeau » signifie le vaste
vacarme de reproches et de corrections corporelles qui
l’assommeraient aussitôt que rentre sa mère.
- Le nom « spectres » exprime son effroi et le désir de rendre
nul et non avenu, invisible ou même non-existants, les êtres
humains (ces grands) qui s’opposent aux enfants et les
menacent toujours, à l’exemple de sa grand’mère.
Ce qu’il y a d’écologiste dans ces vocabulaires artistiques
repérés ci-dessus c’est qu’ils font allusion directement aux éléments
naturels mentionnés dans la citation ci-haut. Les verbes, par exemples,
expriment par dénotation, l’action des plantes. L’adjectif qualifie
scientifiquement la situation géographique du climat. Le nom
« troupeau » s’emploi culturellement et naturellement aux animaux et
non aux humains. Les « spectres » sont, selon le texte, les produits de
l’ombre qui est un phénomène naturel du climat. Dans cette image de
spectres, il y a stylistiquement un caractère négatif de la nature qui
survient pour prendre au dépourvu le garçon. Cette négativité naît sans
conteste d’une versatilité d’humeur marquée chez José. Celui-ci
démontre bel et bien que la manière dont nous percevons la nature qui
nous entoure dépend largement de notre humeur. Cette humeur est
véhiculée par le biais du langage de l’auteur. Nous apercevons là un
changement d’optique à l’endroit du garçon sur la nature. A cause de
son état d’âme, sa condition mentale, José éprouve soudain, une
nouvelle émotion désagréable pour la nature. Or, notre appréciation ou
14. Nigerian Journal of the Humanities
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irritation pour la nature est déterminée par notre attitude
circonstancielle, souvent momentanée.
Inversement, la nature elle-même tend parfois à nous incarner
une disposition émotionnelle tout en nous proférant un regard à lui
porter. Ceci explique le rapport humain avec son environnement
naturel et comment la nature « empiète » sur les relations ou émotions
humaines. Il n’est donc pas étonnant que Zobel utilise de façon
stylistique, dans cette citation ci-haut, le paysage, le temps, l’apparence
naturelle du climat, bref, l’atmosphère pour décrire le sentiment (le
chagrin) de son personnage principal. Pour ce faire, il a dû difformer,
« médire », les caractéristiques de la nature afin de les relier au
sentiment angoissé et attristé du jeune garçon. Par contre, nous
comparons cette séance « lugubre » à celle beaucoup plus alimentées
de la fantasmagorie : « dehors, les arbres, les champs, toute la savane,
sont déjà inondés de soleil » (LRCN:18) ; ou encore:
Le tout s’appelle ici Petit-Morne…il y a de grands arbres, des
huppes de cocotiers, des allées de palmiers…Tout cela est beau.
En tout cas, nous, les enfants, nous en jouissons royalement.
(LRCN:20)
Notons particulièrement ce contraste lorsque le même garçon,
de bonne humeur, ne trouve en la nature que de bonne augure, « …or,
c’est ce qui compte avant tout pour profiter entièrement de la liberté
ensoleillée que nous laisse l’absence de nos parents » (LRCN:21). Tant
pis pour lui car cette « liberté ensoleillée » s’est brusquement
métamorphosée en « soir lugubre ». En bref, la nature est définie en
fonction de la propre analyse des êtres humains.
La stylistique de l’œuvre comprend non seulement un langage
soigné et élevé, il emprunte à la nature toute proche de l’auteur, mais
15. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
41
assez profondément, des lexies écologiques. Elle cherche dans ses
constructions langagières à immortaliser sinon à éterniser les flots
incassables de l’énergie naturelle aux activités voire aux identités des
êtres humains, à l’instar, dans le roman, du peuple Antillais. Au fait,
rien d’extraordinaire ne serait intervenu dans la pratique stylistique de
La Rue Cases-Nègres si l’auteur n’avait pas, au coût d’un conscient du
tact et créateur, concrétisé les forces de la nature - une nature qui n’est
ni hors de la portée de l’auteur, ni figée dans son propre milieu natal –
dans la réalité de la philosophie des Antilles françaises. Cette
philosophie fait que la nature jouisse d’un tel déchiffrage ou décodage
que prescrit l’auteur dans son œuvre.
L’œuvre nous instruit par la réussite de son style écologique
que les êtres humains et des choses s’interpellent dans une atmosphère
commune et propice à leurs systèmes attitudinaux. La Rue Cases-
Nègres a su entraîner ses lecteurs vers l’allure d’une gestion stylistico-
écologique qui masse la qualité de l’œuvre. Elle nous invite surtout, en
ce faisant, à reconnaître la spécificité culturelle qui l’influence à être si
inséparable de la nature. Toutes ses représentations stylistiques
reposent sur le principe de la composition de la nature qui nourrit et
berce le peuple antillais depuis son histoire jusqu’à son espoir.
L’œuvre n’aurait été exploitée à raison et avec succès, par l’art
stylistique naturel qu’à cause de l’appartenance au génie, au patrimoine
et à la lancée culturelle antillaise de l’auteur.
Descriptions éco-thématiques
Désormais, nous pourrions parler de la sensibilisation dans La
Rue Cases-Nègres, qui naît de son souci de faire valoir au monde,
l’indispensabilité de la nature à la culture et par extension, à l’homme.
16. Nigerian Journal of the Humanities
42
Pour comble, les deux principales notions de cette énonciation ci-avant
sont mises en copulation par Magnaghi (2003:2), « Le territoire est une
œuvre d’art peut-être la plus belle, la plus collective que l’humanité ait
réalisée. Il est le fruit d’un acte d’amour : il naît de la fécondation de la
nature par la culture ». Revert (1949:24), croit que l’on ne pourra faire
de la nature sans se référer à l’histoire du milieu concerné en vue d’y
décrypter son évolution, pour une évaluation expressive de l’écologie
qui s’y rapporte:
Au cours d’une histoire déjà longue de trois siècles, l’on a
défriché, cultivé, construit. Les paysages d’aujourd’hui sont les
résultats de cet effort. Il y a eu action incessante de l’homme
sur la nature et inversement impossible ni absurde d’aller
chercher l’âme d’un pays derrière le décor mouvant qu’il offre
à nos regards.
Voilà ce que La Rue Cases-Nègres nous offre : la découverte à travers
ses descriptions éco-thématiques actives dans l’intrigue de l’âme de la
Martinique longtemps voilée par des récits revendicateurs de l’identité.
L’œuvre nous offre aussi la conscience écocentriste selon laquelle la
nature est autant une bénédiction qu’une malédiction pour l’homme.
Cela dépend néanmoins des rapports qu’entretient celui-ci avec la
nature. Ainsi, les traitements par l’homme Antillais du système
écologique déterminerait-elle l’identité du peuple Antillais. Cette
identité est donc liée aux ententes qui se maintiennent entre la société
écologique et l’homme qui y habite.
En effet, ce texte de Zobel nous assure que l’identité de
l’Antillais se trouve dans la beauté de la nature avec laquelle il entre
souvent dans de multiples transactions. Malgré ceci, l’œuvre semble
aussi évoquer, à travers ses représentations puissamment écologiques,
17. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
43
un sentiment de vengeance, de regret et d’amertume, de la part des
Antillais, envers un sol cédé au changement de leur destin et qui avait
menacé leur propre existence. La nature avait sans doute contribué au
mauvais sort du peuple Antillais au cours des expériences
monstrueuses qu’on l’a fait subir. Alors reconnaît-on là, un besoin
d’éveiller les souvenirs historiques du peuple Antillais dans une
tentative d’en faire une écocritique littéraire. Une attestation de ce fait
se fait entendre par Rodney (2008:274):
Une fois dans ce vaste champ d’îles, ces territoires
géographiquement hésitants, poussières d’îles, bandes d’îles,
nous renvoient à la situation originelle, à l’exil fondateur, à
l’histoire, donc à la blessure des premiers temps et de la
déportation.
Apparemment, cette blessure évoquée n’a pas été faite par
l’unique fonctionnement d’exploitation et de conquête brutale
instaurées par les « békés » mais d’autant plus, par l’environnement,
par la nature et par le paysage même. M’man Tine en lamente dans La
Rue Cases-Nègres, par la voix de José,
Mais ce qui m’amusait le plus, c’était la robe. Tous les matins,
m’man Tine cousait là-dedans, en maugréant que les feuilles de
canne, il n’y avait rien de tel pour manger les hardes des
pauvres nègres. (LRCN: 64)
Pareillement, les enfants courent le risque de se blesser par une
aventure nonchalante et menaçante qui nuit même à l’environnement.
Du feu ! Du feu ! me criait Paul en me voyant venir. Nous
avons mis du feu dans le jardin de M. Saint-Louis…Déjà, un
gros nuage de fumée s’élevait au dessus de la haie de
branchages. Quand, à travers la fumée, se dressa la première
18. Nigerian Journal of the Humanities
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flamme nous fumes pris de vraie démence et…nous nous
jetions tous ensemble, corps et âme, dans le braisier. (LRCN:
72)
Ce mauvais traitement de la nature, souvent occasionné par la
propre agressivité de l’humain, l’œuvre de Zobel nous l’expose pour
nous mettre à l’avis du possible harcèlement et inconvénients qu’on
peut en souffrir à moins que les êtres humains se montrent amoureux,
amicaux, attentionnés et accueillants aux autres êtres naturels.
En outre, l’environnement d’humains peut faire subsister
qu’annihiler selon le texte. La Rue Cases-Nègres essaie de faire savoir
que la nature-mère passe facilement pour la nature-mort. Ainsi, nés
dans la nature, nourris, élevés, soignés, établis, bâtis par la nature, les
êtres humains finissent-ils par être éteints par la nature. La logique qui
prolonge la vie des êtres humains s’exprime dans la résonance d’une
résistance par le corps aux autres éléments nocifs qui les affrontent.
Donc, dans l’œuvre, la nature joue un rôle intermédiaire entre la vie et
la mort. Hypothétiquement, c’est la nature qui avait fait déplacer M.
Médouze de la Martinique en « Guinée » éternelle. A en croire José:
Mon chagrin se concentrait tellement qu’à la fin les champs de
cannes à sucre m’apparaissent comme un danger. Ce danger qui
avait tué M. Médouze sans que personne n’eût vu comment et
qui pouvait d’un moment à l’autre, surtout un jour d’orage, tuer
aussi ma grand-mère sous mes yeux. Lorsque le soleil
commençait à descendre et que m’man Tine s’acharnait après
ces touffes de « paras », rétives, une immense panique
s’éveillait en moi. J’avais fini par comprendre que Médouze
était mort de fatigue, que c’étaient les pieds de canne, les
touffes de « para » ou d’herbes de Guinée, les averses, les
orages, les coups de soleil, qui le soir venu l’avaient foudroyé.
Or M’man Tine subissait aussi tout cela : le soleil, les orages,
19. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
45
les mauvaises herbes, les pieds de canne, les feuilles de
canne… (LRCN:56)
Or, la mort de ces deux personnages a été attribuée à la nature,
c’est-à-dire à la plantation et à la besogne. Mais il peut se pouvoir que
la cause lointaine de la mort de ces humains soit autrement le
tabagisme. Que le travail dans la plantation de canne à sucre les mette
en péril salubre ou non, la mort de ces gens avait suivi un processus
d’accumulation des substances nuisibles qui les ont conduits à la mort.
Ceci étant possible parce qu’ils n’étaient pas les personnes les plus
âgées de la Rue Cases mais ils étaient, selon le texte, les deux seuls
fumeurs de pipe identifiés dans l’histoire. On n’ignore point que, qu’il
s’agisse de l’effet de la nature introduit directement par les travaux
champêtres ou indirectement par l’intoxication graduelle provoquée
par leur régime de pipe, la nature, pourtant, se signale. L’auteur nous
décrit longuement le caractère de ces deux fumeurs. D’abord, M’man
Tine pour qui les bouffées à la pipe constituent de l’hors-d’œuvre par
excellence, réglementé souvent pour le soir et le matin:
Pour fumer, M’man Tine occupait presque toute la place
qu’offrait la grosse pierre. Elle se tournait du côté où il y avait
de belles couleurs dans le ciel, allongeait et croisait ses jambes
terreuses, et semblant s’adonner tout à son plaisir de tirer sur sa
pipe. (LRCN:11)
Le matin avant de quitter la case pour la plantation,
… elle bourre sa pipe et l’allume sa coiffe sur son mouchoir de
son étrange chapeau de paille…Là-dessus, elle tire deux coups
sur sa pipe, emplissant la case de fumée… (LRCN:19)
20. Nigerian Journal of the Humanities
46
Mais le soir, pendant que je regardais fumer M’man Tine, je ne
souhaitais qu’une chose, je n’attendais qu’une chose : que la
voix de M. Médouze m’eût appelé. (LRCN:51)
Pour son grand ami Médouze, la fréquence de son tabagisme
n’est pas aussi programmée que celle de sa grand-mère, « …il bourrait
sa pipe… et lorsque sa tête se penchait dessus pour allumer sa pipe »
(LRCN : 52). Poursuivant, il continue, « Lorsque M. Médouze aura
fini sa pipe, il crachera énergiquement, passera le revers de sa main sur
ses lèvres, dans la broussaille croissante de sa barbe » (LRCN:54).
Hormis ce tabagisme actif, les nuisances hygiéniques que
peuvent causer les fumées émises gratuitement dans l’air par les pipes
et les dommages qu’elles peuvent faire à ces deux personnages, il y a
aussi le tabagisme passif. Le tabagisme passif est une tendance à
mettre au risque la santé de ceux qui sont à côté d’un fumeur au
moment où il fume, en l’occurrence, José. Donc, la nature nous laisse
tant de menaces vu qu’elle se dresse contre toute intention qui lui est
malveillante et elle est douée du caractère de l’auto-défense par une
spontanéité éternellement fixe. La couleur de cette réaction est souvent
traduite par notre humeur, notre croyance ou notre ténacité. Glissant
(2008 : 14), à propos de l’écologie sociale, nous renforce la trace
indélébile entre la nature dans la littérature et les personnages textuels:
Le déchiffrage (contraire de défrichage) et la fréquentation des
pays dans leur fragmentation nous permettent, par la
constitution poétique, de vérifier comment les paysages n’ont
jamais été des décors consentants, mais les éléments actifs et
constitutifs des diverses poétiques mises en œuvres ou en
expression par des individus ou par des communautés.
21. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
47
En l’occurrence, Zobel pour sa part, illustre ce postulat de
Glissant en imposant aux représentations écologiques dans La Rue
Cases-Nègres, des fonctions non seulement symboliques mais
beaucoup plus concrètes et aspirées pour rendre l’intrigue de la
narration écologiquement équilibrée, car tout s’y mêle activement :
personnages-humains, personnage-objets, personnages-animaux,
personnages-temps, personnages-paysages, c’est-à-dire, en somme,
personnages-spatio-temporels. Dans La Rue Cases-Nègres, les
éléments de la nature s’activent communément pour faire progresser la
narration.
Pour encore cerner ce discours thématico-écologique sur La
Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, il faut repérer deux autres aspects
écologiques de l’œuvre. Il s’agit d’abord, de l’aspect qui concerne la
représentation des animaux et celui qui concerne les êtres surnaturels,
car eux aussi, ils forment le socle de la nature et de l’identité antillaise.
La Rue Cases-Nègres fait éloge également à l’univers des animaux en
les situant dans l’entrecroisement humains-animaux. La cohabitation
avec les êtres humains des rongeurs tels les rats, les souris, ainsi que
des insectes tels des cafards, se trouve dans le roman. Il y a aussi
l’exemple des mulets « montés par les muletiers brutaux » (LRCN:38)
qui sert à fustiger les mauvais traitements des êtres humains envers les
bêtes. Mais, en revanche, la friandise de José et les autres enfants avec
les libellules semble suggérer une intimité humain-non-humain.
L’auteur avait temporisé ce récit pour y attirer l’attention particulière
des lecteurs : « Alors, nous nous adonnons au jeu innocent de chasser
les libellules, par exemple ; car les après-midi il y en a des quantités et
de toutes les couleurs » (LRCN:32).
22. Nigerian Journal of the Humanities
48
La Rue Cases-Nègres nous ramène au point de savoir chérir les
allocations écologiques qu’on trouve dans les réserves naturelles et
s’en garder une saveur mondaine. La beauté de la nature par
l’existence des insectes volants et rampants se retentit là où « A midi,
une vaste étendue de linge survolée de petits papillons jaunes éclatait
de blancheur au soleil » (LRCN:66). Néanmoins, l’œuvre semble faire
un vif reproche à l’espèce humaine, parce que celle-ci, au lieu de
s’intéresser respectueusement au gibier, ou respecter l’ordre
écologique non-humain, se contente de s’inculper soit volontiers, soit
inconsciemment ou innocemment, de l’extinction de l’espèce animale:
Alors, comme la plupart des enfants du bourg, je passe mon
jeudi à me promener sur le bord de la Rivière-Salée. Je
m’amuse avec d’autres camarades à capturer, pour jouer avec et
les mutiler ensuite, de tout petits crabes dont les trous criblent
la berge… (LRCN:142)
Ce qu’il y a d’extraordinaire c’est l’irruption faite de l’univers
surnaturel. La Rue Cases-Nègres de Zobel évite de faire abstraction
des éléments surnaturels qui caractérisent la nature ; surnaturels parce
qu’ils sont manifestes d’un fourrage d’attributs qui prêtent au
mystérieux. Dans le roman, c’est le cas de l’histoire des personnes-
gagées, qui disparaissent, prennent le vol nocturne, jettent des mauvais
sorts. Le roman parle de « mauvais esprits » qui « pourraient lancer
après toi des cailloux qui te laissent une douleur pour toute ta vie »
(LRCN:58). De même, le narrateur en donne plus de détails:
Des histoires de gens-gagés, par exemple. Des personnes qui, la
nuit, se transforment en n’importe quelle bête ; parfois même
en plantes et qui, sous cette apparence, font du mal aux autres,
aux chrétiens, sur les ordres du diable. (LRCN:144)
23. L’Écocritique dans La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel
49
Les frontières écologiques s’écroulent entre l’humain et le non-
humain dans les circonstances de transformation bestiale ou végétale
par l’homme. Si superstitieuses que ne soient ces histoires, nous en
tirons consigne quand même que la nature s’embrouille avec les
humains à telle enseigne qu’elle leur lègue ses formes dynamiques et
diversifiées pour perpétrer les maux ou la sorcellerie ou bien c’est
plutôt les humains qui abusent des silhouettes naturelles pour arriver à
leurs fins mystiques ou mythiques. Quelle que soit donc la réalité, la
nature semble s’ancrer sur une supériorité quelque peu rassurante en
faisant croire qu’elle manipule toute chose à sa guise. Nous
considérons dernièrement dans ce travail que l’univers naturel qui se
meuble d’humains, d’animaux, de plantes, de temps et des objets
côtoie de très forte emprise la crypte de la nature surnaturelle.
Conclusion
En gros, la nature est fortement présente dans La Rue Cases-
Nègres à la façon d’un engagement éco-thématico-stylistique, car
toutes les recettes écologiques mises en œuvre par Zobel semblent se
frayer une piste destinée à nous rendre responsables de toutes les
activités que nous faisons avec la nature. Toujours distanciée de
conférer définitivement à La Rue Cases-Nègres le titre d’« écriture
écologique », ni de bâtir de l’auteur l’image d’écrivain écologique,
notre étude actuelle parvient à creuser autant que possible le fond et la
forme écologiques de cette œuvre de Zobel, pour la garantir une
nouvelle attirance analytique. Toutefois, il est probable que, si l’on
prend en compte toutes les impressions écologiques, c’est-à-dire toute
marque naturelle que distille La Rue Cases-Nègres, et que l’on
entreprenne un peu plus profondément une évaluation des pôles
24. Nigerian Journal of the Humanities
50
stylistiques, thématiques, théoriques, qui enfilent son auteur Joseph
Zobel, et qui engraissent cette œuvre, l’on réussirait à en faire autant.
Nous avons pu trouver cependant que cette étude écocritique
de La Rue Cases-Nègres convienne pour la revendication ou la
construction de l’identité du peuple des Antilles françaises. Il s’agit
d’une nouvelle identité et non celle perdue due à la traite esclavagiste.
Pour la situer pleinement, cette identité à l’ère contemporaine de la
globalisation mondiale, il faut passer par la conscience écocentriste car
c’est en défendant les droits de l’écologie que le peuple Antillais va
finir par découvrir la légitime défense de sa propre identité, une
identité qui soit éco-humaniste. L’œuvre de Zobel a pu raviver la
connaissance des lecteurs en matière de l’activité, de l’empressement
et de la virtualité inhérents à la nature. Depuis le début jusqu’à la fin,
l’œuvre n’a cessé d’impliquer le paysage de la Martinique et la nature
même dans tous ses discours soient thématiques, soient stylistiques.
Notes
1. Notre traduction. Toutes les traductions faites dans cet article sont les
nôtres.
2. Sigle que nous nous contentons dans nos analyses, d’appeler ce roman.
Oeuvres citées
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