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Cet ouvrage est dédiéCet ouvrage est dédié àà ma mère, Stavroulama mère, Stavroula
'' Le plus grand mal,'' Le plus grand mal, àà part l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sapart l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa
faute ''faute ''
Platon , Extrait dPlaton , Extrait dee GorgiasGorgias
2
3
REMERCIEMENTSREMERCIEMENTS
Que les professeurs Pierre Bonassies et Christian Scapel trouvent ici l’expression de ma
profonde reconnaissance ; M. Bonassies pour sa sollicitude lors de l’encadrement de mes travaux
de recherches et M. Scapel pour m’avoir reçu au sein du CDMT et pour sa confiance. Leurs
enseignements m'ont été précieux.
Je voudrais également exprimer mes sincères remerciements à tous mes Professeurs pour
m'avoir transmis leur passion pour la mer et leur savoir pour le droit maritime.
Je souhaiterais aussi remercier Martine Cheron pour sa disponibilité ainsi que pour ses
encouragements tout au fil de ces deux années.
Merci aussi à tous mes collègues tant de cette année (Ayaka, N'gagne, Frank, Vanessa,
Anais, Khoudia, Adleine, Solenne, Julie, Jean-Mathieu, Axelle, Pierre, Akpène.......) que de l'année
dernière (Oriane, Fred, Christine, Akila, Mohammed......), de même qu'à Neli, pour leur correction,
leur aide, leur disponibilité et surtout leur patience.
Finalement, je tiendrais à remercier profondément mes parents pour leur présence de tous
les instants. Sans eux, rien n’aurait été possible.
4
5
SOMMAIRESOMMAIRE
INTRODUCTIONINTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLEPREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE
Chapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et sesChapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et ses
applicationsapplications
Section 1 :Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit desLa naissance de la faute inexcusable en droit des
accidents de travail (loi du 9 avrilaccidents de travail (loi du 9 avril 1898)1898)
Section 2 :Section 2 : La faute inexcusable en matière des transportsLa faute inexcusable en matière des transports
condamnation d'un comportement jugécondamnation d'un comportement jugé fautiffautif
Chapitre 2 : La faute inexcusable fondement actuel de laChapitre 2 : La faute inexcusable fondement actuel de la
déchéance de la limitation de responsabilité de l'armateurdéchéance de la limitation de responsabilité de l'armateur
Section 1 :Section 1 : En droit commun de responsabilité de l'armateurEn droit commun de responsabilité de l'armateur
Section 2 :Section 2 : Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Fipol,Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Fipol,
HNS, PollutionHNS, Pollution par les soutes)par les soutes)
Section 3 :Section 3 : Le troisième paquet Erika et la reforme de la fauteLe troisième paquet Erika et la reforme de la faute
inexcusable parinexcusable par la directive relativela directive relative à la responsabilité civile età la responsabilité civile et
aux garanties financières des propriétaires de naviresaux garanties financières des propriétaires de navires
6
DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTEDEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTE
INEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCESINEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCES
Chapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la fauteChapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la faute
inexcusable de l'armateur et ses incidences sur l'institution de lainexcusable de l'armateur et ses incidences sur l'institution de la
limitation de la responsabilitélimitation de la responsabilité
SectiSection 1 :on 1 : Les éléments de la faute inexcusableLes éléments de la faute inexcusable
Section 2 :Section 2 : La limitation de responsabilité : droit exceptionnel deLa limitation de responsabilité : droit exceptionnel de
l'armateur ?l'armateur ?
Chapitre 2 : La faute inexcusable dans la procédure de limitationChapitre 2 : La faute inexcusable dans la procédure de limitation
Section 1 :Section 1 : Contestation du droit de l'armateur de limiter saContestation du droit de l'armateur de limiter sa
responsabilitéresponsabilité
Section 2 :Section 2 : Les conséquences de l'admission de la fauteLes conséquences de l'admission de la faute
inexcusable de l'armateur sur ses droitsinexcusable de l'armateur sur ses droits
CONCLUSIONCONCLUSION
BIBLIOGRAPHIEBIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERES
7
TABLE DES ABREVIATIONSTABLE DES ABREVIATIONS
ET DES ACRONYMESET DES ACRONYMES
ADMOADMO Annuaire du Droit Maritime et OcéaniqueAnnuaire du Droit Maritime et Océanique
Annales IMTMAnnales IMTM Annales de l'Institut méditerranéen des transports maritimesAnnales de l'Institut méditerranéen des transports maritimes
Alin.Alin. AlinéaAlinéa
Ass. Plén.Ass. Plén. Cour de cassation, Assemblée PlénièreCour de cassation, Assemblée Plénière
BTLBTL Bulletin des transports et de la logistiqueBulletin des transports et de la logistique
Bull. Civ.Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)
BCBC
Bunker ConventionBunker Convention (( International Convention on Civil Liability forInternational Convention on Civil Liability for
Bunker Oil Pollution Damage)Bunker Oil Pollution Damage)
C.AC.A Cour d'appelCour d'appel
Cass.Cass. Cour de cassationCour de cassation
Cass. Civ.Cass. Civ. Cour de cassation, chambre civileCour de cassation, chambre civile
Cass. ComCass. Com Cour de cassation, chambre commercialeCour de cassation, chambre commerciale
Cass. SocCass. Soc Cour de cassation, chambre socialeCour de cassation, chambre sociale
CJCECJCE Cour de Justice des Communautés EuropéennesCour de Justice des Communautés Européennes
CLCCLC Civil Liability ConventionCivil Liability Convention
CMNICMNI
ConventionConvention relative au contrat de transport de marchandises enrelative au contrat de transport de marchandises en
navigation intérieurenavigation intérieure
CMRCMR
Convention sur le contrat de transport international deConvention sur le contrat de transport international de
marchandises par routemarchandises par route
CNUDCICNUDCI
Conférence des Nations unies pour le commerce et le développementConférence des Nations unies pour le commerce et le développement
(UNCITRAL)(UNCITRAL)
Code ISMCode ISM Code international de gestion et de sécuritéCode international de gestion et de sécurité
Code IMDGCode IMDG
Code international des marchandises dangereuses (Code international des marchandises dangereuses (The InternationalThe International
Maritime Dangerous Goods)Maritime Dangerous Goods)
Comm.Comm. CommentaireCommentaire
CSSCSS Code de la sécurité socialeCode de la sécurité sociale
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D. eur. Transp.D. eur. Transp. Droit européen des transportsDroit européen des transports
DTSDTS Droits de Tirage SpéciauxDroits de Tirage Spéciaux
FIPOLFIPOL
Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus a laFonds international d'indemnisation pour les dommages dus a la
pollution par les hydrocarburespollution par les hydrocarbures
FFSAFFSA Fédération Française des Sociétés d'AssurancesFédération Française des Sociétés d'Assurances
8
Gaz. PalGaz. Pal Gazette du PalaisGazette du Palais
HNSHNS Hazardous ans noxious substancesHazardous ans noxious substances
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J-ClJ-Cl Jurisclasseur EncyclopédieJurisclasseur Encyclopédie
JDIJDI Journal du Droit InternationalJournal du Droit International
JPAJPA Jurisprudence du Port d'AnversJurisprudence du Port d'Anvers
InfraInfra Ci-dessousCi-dessous
Lloyd's Rep.Lloyd's Rep. Lloyd's reportsLloyd's reports
LMCLQLMCLQ Lloyd's Maritime and Commercial LawLloyd's Maritime and Commercial Law
NCPCNCPC Nouveau Code de Procédure CivileNouveau Code de Procédure Civile
OACIOACI Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO)Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO)
OMIOMI Organisation maritime internationale (IMO)Organisation maritime internationale (IMO)
OPA 1990OPA 1990 Oil Pollution Act ofOil Pollution Act of 19901990
RCARCA Responsabilité Civile et Assurances (Revue/Lextenso)Responsabilité Civile et Assurances (Revue/Lextenso)
RD transp.RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime, aérienRevue de droit des transports terrestre, maritime, aérien
Rép.civ. DallozRép.civ. Dalloz Répertoire civil DallozRépertoire civil Dalloz
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Rev. ScapelRev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transportsRevue de droit commercial, maritime, aérien et des transports
Rev.cr.dr.int.priv.Rev.cr.dr.int.priv. Revue critique de droit international privéRevue critique de droit international privé
RFDARFDA Revue Française de Droit AérienRevue Française de Droit Aérien
RGDARGDA Revue générale du droit des assurancesRevue générale du droit des assurances
RJCRJC Revue de jurisprudence commercialeRevue de jurisprudence commerciale
RJDARJDA Revue de jurisprudence du droit des affairesRevue de jurisprudence du droit des affaires
RTD Civ.RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civilRevue trimestrielle de droit civil
RTD Com.RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercialRevue trimestrielle de droit commercial
RU-CIMRU-CIM
Règles Uniformes concernant le contrat de transport internationalRègles Uniformes concernant le contrat de transport international
ferroviaire des marchandisesferroviaire des marchandises
SNPDSNPD
Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisationConvention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation
pour les dommages liés au transport par mer des Substances Nocivespour les dommages liés au transport par mer des Substances Nocives
et Potentiellement Dangereuseset Potentiellement Dangereuses
SupraSupra Ci-dessusCi-dessus
Obs.Obs. ObservationsObservations
V.V. VoirVoir
9
INTRODUCTIONINTRODUCTION
Le droit maritime, « droit des contradictions1
», peut être défini comme « l'ensemble des
règles juridiques spécifiques directement applicables aux activités que la mer détermine2
». « Il
incarne un système normatif conçu pour répondre à des questions dont la spécificité provient de
l’hétérogénéité du volume sur et dans lequel il a vocation à s’appliquer. Cette matière originale et
indépendante est gouvernée par un corpus juridique et des institutions particulières, relevant d’un
invincible non-conformisme justifié par les conditions qui président à sa mise en œuvre et tout
particulièrement par les risques qui y sont attachés3
».
Un particularisme « inéluctable4
» caractérise donc le droit maritime, un particularisme qui
s'explique incontestablement par la théorie des risques de la mer5
, quoique que le risque de mer ne
s’impose plus aujourd’hui avec la même autorité6
. Certes, ce particularisme ne doit pas être poussé
à l'excès et nous conduire à admettre l'autonomie du droit maritime et à le considérer comme un
droit « auto-institué et qui s’autorégelemente, s’autoalimente7
». Au contraire, le droit maritime,
nonobstant l'originalité de ses règles, reste soumis aux principes généraux du droit commun, et en
particulier à la théorie générale des contrats et des obligations8
. Il doit être considéré comme une
branche de droit simplement spécifique, singulière, qui dépendrait pour l’essentiel d’un droit
1 Y. Tassel, « Le droit maritime- un anachronisme ? », ADMO 1997, p. 157 et Y. Tassel, « La spécificité du droit
maritime», Neptunus International, vol. 6.2, Nantes 2000, http://www.droit-
univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm, p.1.
2 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 1, no 1. V. pour une définition identique, Y.
Tassel, op. cit., p. 143-144 : « il s'agit des règles relatives notamment aux choses aptes à se trouver en mer, aux
activités liées à la mer, aux événements se produisant en mer, aux hommes qui vont a la mer et enfin aux espaces
marin... Bref, le droit maritime est l'ensemble des règles de droit dont l'hypothèse contient le mot navire ou le mot
mer et leurs dérives ».
3 A. Montas, « Le rapport du droit maritime au droit commun, entre simple particularisme et véritable autonomie »,
DMF 2008, p. 307.
4 M. Rémond Gouilloud, Droit maritime, Pedone, 2ème éd, 1993, p. 6.
5 Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l'aube du XXIème siècle », in Études offertes à Pierre Catala, Le
droit prive français à la fin du XXème siècle, Litec, 2001, p. 930 : « Il est certain que le particularisme du droit
maritime français, qui fait sa force et son intérêt, ne se justifie plus de nos jours par référence à l’idée de fortune de
mer. La raison d’être de son originalité tient dans les risques de la mer » ; A. Montas, op. cit., p. 307-315 : « Le
droit maritime est en effet ordonné autour de la notion de risque maritime ».
6 Ph. Delebecque, op. cit., p. 930 : « Ce fondement se trouve ébranlé par les changements récents qui font que les
transports sont plus surs, que les expertises plus fidèles et que les préoccupations premières des chargeurs ne se
fixent plus sur les pertes ou les avaries mais plutôt sur les retards » ; V. aussi, P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no
7, p. 8.
7 J.-P Chazal, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », Liber amicorum Jean
Calais-Auloy - Études de droit de la consommation, Dalloz, Paris 2004, p. 289.
8 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, numéro spécial en l'honneur de
Antoine Vialard, no 1 : « la dialectique du droit commun- droit maritime est éternelle et que les apports du droit
maritime au droit privée sont réels et sans cesse renouvelées ».
10
commun supérieur, auquel il serait rattaché9
, si bien que ce dernier s'applique subsidiairement, en
l’absence de disposition maritimiste dérogatoire10
. « Spécificité n’est donc pas autonomie11
».
Il demeure que certaines institutions du droit maritime (ainsi les avaries communes, la faute
nautique, la règle no cure no pay, la canalisation de responsabilité) sont imprégnées d'une
originalité en tant qu'elles ne se retrouvent en principe dans le droit commun, chose qui constitue la
meilleure preuve que le droit maritime ne se soumet pas au droit civil.
De ces institutions particulières au droit maritime12
, l'exemple le plus considérable, mais
parfois décrié13
, est celui de la limitation de responsabilité dont, de tout temps, a bénéficié et
bénéficie aujourd'hui encore, l'entrepreneur maritime, l'armateur.
L'institution de la limitation de responsabilité de l'armateur située au cœur du droit
maritime, pièce maitresse du droit maritime, a, étant inconnue au droit romain, apparu au XIe
siècle
en Italie dans les tables d' Amalfi. Grâce au contrat de commande chaque participant pouvait limiter
sa responsabilité dans l'expédition maritime à l'étendue des fonds qu'il a engagés14
. Inscrit en
Espagne dans le Code de Valence et dans le Consulato del Mare de Barcelone au XIVe
siècle, ce
principe est accepté du sud au nord de l'Europe15
. Grotius dans son jure belli ac pacis16
a formulé
pour la première fois le principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire17
.
Pilier du droit de la responsabilité civile de l'armateur, « pierre angulaire »18
ou « clef de
voute »19
du droit maritime, l'institution de la limitation est l'une des plus fondamentales et de plus
originales du droit maritime. En effet, s'il est un objectif que l'on assigne à tout système de
responsabilité civile quel qu'il soit, c'est celui de réparation. La fonction de réparation constitue, en
9 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 6, p. 8 : « Il ne pourrait en être autrement, et les règles du droit commun être
alors écartées, que si ces règles heurtaient par trop la logique même de l’institution maritime en cause ».
10 A. Vialard, Droit maritime, PUF Droit fondamental, 1997, no 12, p. 24.Y. Tassel, préc., p. 1, http://www.droit-
univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm.
11 Y. Tassel, op.cit., p. 2, http://www.droit-univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm.
12 R.Rodière et E. Du Pontavice , Droit maritime, Dalloz, 12ème éd., n0
139, p. 116.
13 En effet, cette institution a fait l'objet d'une critique fondamentale, dans les années 1960-1970, critique émanant des
pays en voie de développement qui défendaient les intérêts des chargeurs. Néanmoins, ces mêmes pays, après s'être
engagés dans un effort considérable de développer leur flotte maritime, se montrent de non jours moins favorables à
l'institution de la limitation de responsabilité.
14 Ce que l'on appelle l'époque associative du droit maritime située au Moyen Age, quand plusieurs personnes
participaient à l'aventure maritime et en partageaient les risques. (Massimiliano Rimaboschi, L'unification du droit
maritime, contribution à la construction d'un ordre juridique maritime, préf. P. Bonassies, Thèse, Aix en Provence,
2006, p. 163 et s. et p. 267 et s.).
15 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, préc., p. 58.
16 L. Delwaid, « Considérations sur le caractère réel de la responsabilité du propriétaire de navire », Liber Amicorum
Roger Roland, p. 157.
17 Grotius était d'avis que les armateurs, à savoir ceux qui touchent le fret du navire, étaient tenus vis-à-vis des
affréteurs des (quasi-) délits ou des contrats de prêts à la grosse ou d'autres contrats passés dans l'intérêt du navire si
les cocontractants avaient agi de bonne foi, mais cela uniquement dans la mesure de leur apport dans l'armement.
Pour ce qui concernait les actes délictuels commis par le capitaine en dehors de ses fonctions les armateurs n'étaient
pas tenus, sauf s'ils en avaient bénéficié, ou ils avaient donne instruction ou contribué à commettre le (quasi-) délit.
18 A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 125.
19 G. Ripert, Traite de droit maritime, Lib. Rousseau, Paris, 4ème éd., 1952, t. II, n0
1228 et s.
11
effet, l'essence même de la responsabilité civile20
.
En droit terrestre, tout entrepreneur est responsable, d'une manière illimitée - sauf le cas
d’un aménagement contractuel de sa responsabilité - des dommages causés par l'exploitation de son
entreprise, que sa responsabilité soit née d'un contrat, de sa faute, de la faute de l'un quelconque de
ses préposés, ou de telle ou telle source extracontractuelle.
À l'exact opposé, en droit maritime, l'armateur est, échappant au principe du droit commun
de réparation intégrale des préjudices, autorisé de limiter sa responsabilité21
dans la mesure où
certaines conditions sont remplies22
. La limitation, quoique contraire aux principes généraux du
droit de la responsabilité, constitue une protection indispensable au maintien de l'activité des
armements23
.
Cette limitation s'est d'abord exprimée en droit classique (par l'Ordonnance de la Marine de
186124
et par le Code de commerce25
) d'une manière brutale, par l'abandon du navire aux victimes,
alors même que ce navire gisait au fond de l'océan. Aujourd'hui, elle subsiste, grâce à l'évolution du
droit anglais qui s'est tourné vers un système moins élémentaire de limitation, sous une forme plus
nuancée, celle de la limitation en valeur, la quelle se réalise par la constitution d'un fonds
proportionnel au tonnage du navire fonds attribuée aux victimes26
. Ce système s'est propagé du
reste à l'ensemble des pays maritimes.
L'évolution du droit maritime pour ce qui concerne l'institution de la limitation de
responsabilité s'est effectuée en deux étapes. La première étape s'est concrétisée par l'élaboration de
la Convention de Bruxelles de 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de
navires de mer, signée le 10 octobre 1957 , texte adoptant le système britannique de la constitution
d'un fonds de limitation et prenant le relais de la Convention de 1924 qui laissait le choix de
l'armateur entre l'abandon du navire et la limitation en valeur, consacrant ainsi le système d'option
système qui ne pouvait certainement pas aboutir à l'harmonisation des droits nationaux (bâtard ce
20 K. Le Couviour, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse,
Aix en Provence, préf. A. Vialard, PUF 2007, n° 349, p.149.
21 L'idée de la limitation de réparation, se retrouve dans d'autres domaines de droit, tel celui du droit des transports. Il
reste que dans cette dernière hypothèse la limitation ne concerne que la responsabilité contractuelle et non pas la
responsabilité délictuelle à l'endroit des tiers étrangers aux relations contractuelles.
22 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
Annales IMTM, 1985, p. 147 ; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales maritimes », Annales
IMTM, 1996, p. 51 et s.
23 R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n0
140, p. 118 : il reste que la limitation de responsabilité présente
l'inconvénient que toutes les victimes ne sont pas des armateurs ou des expéditeurs professionnels assurés contre la
perte ; parmi les victimes il peut y avoir des personnes qui ne sont pas assurés, comme les passagers.
24 Livre II, titre 8, article 2 : « les propriétaires de navires sont responsables des fais du maistre, mais ils en
demeureront déchargés, en abandonnant leur bâtiment et le fret ».
25 Article 216 du Code de commerce, modifié en 1841: « Tout propriétaire de navire est civilement responsable des
faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La responsabilité cesse par l'abandon du navire
et du fret ».
26 L. Delwaid, op. cit., p. 107 et s.
12
compromis était voué à l'échec27
) mais qui a constitué du moins la première mise en cause de l'idée
de l'abandon en nature.
La deuxième étape a été franchie par le truchement de la mise sur les rails de la Convention
de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière des créances
maritimes texte adopté sous les auspices de l'OMCI. Ce nouveau texte a aménagé considérablement
le régime de la limitation de responsabilité : il a augmenté les plafonds de limitation, il a élargi le
domaine de la limitation, celui-ci concernant, comme l'indique l'intitulé de la Convention la
responsabilité en matière de créances maritimes et ne limitant plus au propriétaires de navires de
mer. En d'autres termes, la limitation ne s'applique plus à l'armateur mais à des créances28
. Cette
dernière modification a pour effet que l'on ne puisse plus rattacher l’institution à la théorie du
patrimoine de mer, ou de la fortune de mer29
, théorie qui exprime l'idée que le propriétaire du
navire, mettant en jeu le bien qu'il a affecté à l'expédition maritime, doit se voir attribuer le bénéfice
de la limitation de responsabilité30
. Les fondements de la limitation31
doivent d'ores et déjà être
recherchés plutôt dans les notions des risques de la mer32
, du caractère d'intérêt général des activités
maritimes33
, de l'idée de réciprocité (à savoir la solidarité des gens de mer)34
, voire dans
l'assurabilité des risques (si les plafonds de limitation s'élèvent, les assurances ne pourraient plus les
supporter)35
.
27 M. Rémond Gouilloud, op.cit., n0
308, p. 172.
28 Ce principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire subsiste avec des aménagements en matière
de pollution par les hydrocarbures dans la mesure ou la prise en charge des dommages non réparés par le
propriétaire de navire est le fait d'un fonds international d'indemnisation alimenté par les versements dus par les
importateurs.
29 Caractérisée par le professeur Pierre Lureau déjà en 1973 comme un argument « faiblard » (P. Lureau, « Le
fondement et évolution historique de la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. L'opposition de
l'administration », DMF 1973, p. 705).
30 M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0
309, p. 172 ; I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de
l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403.
31 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », J-Cl. Transport, Fasc. 1110, 2007, no
3 à 12.
32 Y. Tassel, Mer, navire, capitaine : une vue intégrée, in Études offertes à Philippe-Jean Hesse, Du droit du travail aux
droits de l'humanité, Presses Universitaires de Rennes, coll. « l'univers des normes », 2003, p. 211 : « la mer est par
sa nature un espace dangereux ; elle est absolument contraire à la nature physique de l'être humain . Il est
compréhensible que de nombreuses institutions juridiques aient pour raison d'être de prévenir les dangers de la mer
et, si par infortune ils se réalisent, de mitiger les conséquences qui en résultent ». K. Le Couviour, La responsabilité
civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse, Aix en Provence, préf. A. Vialard,
PUF, 2007, n° 363, p. 153 : « lorsque dans le brouillard le marin risque de se perdre, le conducteur d'un train n'a
qu'a suivre le rail qui le conduira à sa destination » ; M. Rémond Gouilloud, op.cit., p. 6. V. aussi, Ph. Delebecque,
op. cit., p. 938 : « Mais l'institution de la limitation doit être défendue, car le commerce maritime reste une activité
périlleuse et surtout indispensable à l'intérêt général, ce qui explique que ceux qui y participent bénéficient de
compensations » ; A. Montas, op. cit., p. 308.
33 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 5, p. 6.
34 K. Le Couviour, op.cit., n° 360, p.152 : « la victime d'un dommage survenu en mer consentirait à une réparation
amputée avec l'espoir de bénéficier de ce même privilège ».
35 I. Corbier, La notion juridique d’armateur, préc., p. 80 et A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 126 ; Y. Tassel, « Le
dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659 : le texte est issu d’une communication faite lors de la 4ème
conférence internationale de droit maritime qui, organisée par le Barreau du Pirée du 6 au 9 juin 2001, avait pour
thème « La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international », p. 355 et s., Sakkoulas, 2001 et «
13
Toutefois, la modification la plus importante que l'application de la Convention de Londres
implique est celle de la substitution de la périphrase de l'article 4 (reprise par l'article 58 de la loi de
1967), en tant que cause de déchéance du droit à limitation, à la faute simple. Contrairement à la
Convention de 1957, la limitation ne sera plus exclue dorénavant que lorsqu'il est démontré que le
candidat à la limitation a causé le dommage « soit par son fait ou son omission personnels commis
avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement mais avec conscience
qu'un tel dommage en résulterait probablement ».
En effet, la faculté de limitation de responsabilité accordée à l'armateur n'est pas absolue et
disparaît en cas de faute personnelle de celui-ci, la gravité de la faute occasionnant la déchéance du
droit à limitation ayant variée avec l'évolution des textes. Ainsi dans le droit applicable en France
jusqu'au 30 novembre 1986, l'armateur s'il n'avait pas commis de faute personnelle pouvait limiter
sa responsabilité à un plafond proportionnel au tonnage du navire. Dans le droit applicable depuis
le 1er décembre 1986 (date d'entrée en vigueur de la Convention de Londres ainsi que de la loi du
21 décembre 1984 adaptant les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 à la nouvelle Convention),
l'armateur conserve cette faculté même en cas de faute, la limitation n'étant exclue qu'en cas de
faute très grave, soit une faute intentionnelle (bien improbable) soit une faute commise
témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement, faute que la
doctrine unanime et la jurisprudence traduisent comme faute inexcusable et la situent, côté
gravite , entre la faute lourde et la faute intentionnelle.
Le choix des rédacteurs ne saurait pas surprendre. La même formule avait déjà été introduite
dans un premier temps dans le Protocole de la Haye du 28 septembre 1955 modifiant la Convention
de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien
international et dans un deuxième temps dans les textes régissant le contrat de transport maritime
tant de marchandises (Protocole du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles du 25
aout 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, Règles d'Hambourg
de 1978) que de passagers (Convention d'Athènes). Le concept d'une faute particulièrement grave
(correspondant ici à la notion française de faute inexcusable) en tant que cause de déchéance d'un
entrepreneur était connu même avant l'adoption de la Convention de Londres36
.
La spécificité du droit maritime », préc. : l’assurance ne peut exister sans limitation de responsabilité, ne serait-
ce que parce que la prime à payer par l’assuré est déterminée en fonction du risque couru par l’assureur ; D.
Christodoulou, « L'impact du Code ISM sur le principe de la limitation de responsabilité et en particulier sur les
conditions pour une indemnisation complète du dommage éprouvé », Quatrième conférence du droit maritime,
organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international. Ce
fondement a été quand même contesté par le Professeur Pierre Bonassies (P. Bonassies « Problèmes et avenir de la
limitation de responsabilité », DMF 1993, p. 103).
36 En 1985, le concept de la faute inexcusable a été utilisé dans un autre domaine : le législateur, et non plus le
législateur international a recours à cette notion pour supprimer le droit à réparation d'un accident de circulation.
14
Dans ces conditions, le problème de la méthode d’appréciation de la faute inexcusable
devait rapidement se poser. Selon une première approche, la faute inexcusable devait être appréciée
subjectivement, in concreto, en recherchant toujours les données psychologiques concrètes qui
animaient le défendeur particulier. Dans une seconde conception, elle devait être appréciée
objectivement, in abstracto, par référence aux données psychologiques que l’on doit normalement
trouver chez un défendeur quelconque.
Pencher pour une appréciation subjective, c’était admettre une équivalence des notions de
dol et de faute inexcusable et limiter grandement les cas où l’on pourrait considérer que la conduite
du défendeur supprimait l’application de la limitation. Accepter une appréciation objective, c’était
réduire l’équivalence aux effets de la faute lourde et autoriser plus largement l’inapplication de la
limitation. Le critère de la conscience du dommage demeure donc discuté et non unifié et rend
difficile tout essai de prévision de la solution du litige.
La formulation précise des textes internationaux ouvre indubitablement la porte à une
interprétation concrète. En effet, les rédacteurs du texte de 1976, suivis par le législateur national,
pensaient que, par la modification de la cause apportant déchéance de l'armateur de la limitation de
sa responsabilité, de rende le droit à limitation incontournable (unbreakable, selon l'expression
utilisée par les juristes anglais). « Leur espoir a été fortement déçu, en tout cas devant les
juridictions françaises 37
».
En effet, aux antipodes de la volonté des rédacteurs de la Convention de Londres on
retrouve l’interprétation judiciaire française du concept de faute inexcusable qui « constitue un
océan d’originalité dans une jurisprudence internationale massivement contraire, compte tenu que
cette dernière considère que la phrase témérairement et avec conscience qu’un dommage en
résulterait probablement doit être envisagée comme ayant une signification subjective38
». La
jurisprudence française, opérant un rapprochement avec sa vieille jurisprudence en droit du travail
et refusant de « plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », se tourne vers une
interprétation large39
de la faute inexcusable, qui a pour contrecoup que la déchéance de la
limitation de responsabilité devienne la règle et la limitation de responsabilité devienne l'exception,
écartant de ce fait l'adage selon lequel en droit maritime, « le droit commun c’est la limitation et
non la responsabilité pleine et entière40
». Cette tendance peut paraître sévère mais elle était
37 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 283.
38 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation », DMF 2002, p. 579.
39 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. -
« La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403 : « la
faute inexcusable est devenue une simple variété de faute lourde ».
40 G. de Monteynard, « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation, Doc..
Française, 2002, p. 247.
15
prévisible. Les tribunaux dans la recherche de la faute personnelle dans la Convention de 1957
étaient aussi rigoureux.
C'est donc autour de cette évolution de la notion de faute inexcusable de l’armateur
expression qui « associe aujourd’hui un concept fondamental du droit maritime et une notion
inventée par le législateur en matière des accidents du travail pour priver l’employeur qui a
commis une faute d’une exceptionnelle gravité de la possibilité de se prévaloir d’atténuations ou
d’exonérations de responsabilité41
» que notre étude sera axée.
Cette jurisprudence française à contre-courant international est-elle tenable ? Quels sont ses
retentissements sur l'institution de la limitation, institution particulière du droit maritime, ainsi que
sur le principe de réparation totale du préjudice subi (restitutio in integrum), principe cardinal du
droit commun42
? Quelles sont ses incidences sur les droits des armateurs auteurs de faute
inexcusable et en définitive sur les droits des victimes de faute inexcusable ? Est-ce que cette
conception de la faute inexcusable demeurera intangible ou une nouvelle réorientation dans
l’approche du problème amorcera si bien que la limitation de responsabilité deviendrait
véritablement ce droit incassable, appelé de leurs vœux par les rédacteurs des conventions
internationales ?
L'intérêt aussi bien théorique que pratique de cette problématique dégagée ci-dessus, qui
peut se résumer dans la phrase suivante « la limitation de responsabilité de l'armateur face à la
faute inexcusable43
», peut aisément être confirmé, comme en témoigne le fait qu'il s'agit d'une
question chère à certains des auteurs français les plus éminents. Nous nous bornerons ici à citer le
Professeur Pierre Bonassies, le Professeur Antoine Vialard, le Professeur Philippe Delebecque, le
Professeur Yves Tassel ou Mme Isabelle Corbier qui avec leurs développements ont donné des
éclaircissements inappréciables sur cette question obscure et complexe, apportant ainsi leur pierre
d'édifice à l'évolution de l'institution de la limitation de responsabilité armateur dans le droit
maritime aussi bien français qu'international.
La jurisprudence est par ailleurs particulièrement pléthorique. Mais ce qui rend notre sujet
captivant est l'histoire même de l'institution de la limitation de responsabilité et les réserves qui
s'expriment à son endroit, notamment par le biais de l'invocation de la faute inexcusable. Des voies
se sont élevées, au sein de la Communauté Européenne, pour que le déplafonnement de la
41 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc.
42 P. Jourdain, Les principes de responsabilité civile, Dalloz, 7ème éd, 2007, p. 133 : « Le principe de la la réparation
intégrale se déduit de l'objet même de la responsabilité civile qui est de rétablir autant que possible l'équilibre
détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation antérieure ».
43 Expression dont le père spirituel est le Professeur Pierre Bonassies. La première fois que cette expression a été
utilisée, c'était au fil de la présentation par le Professeur éminent des exposés dédiés au Professeur Antoine Vialard à
l'occasion de la journée organisée en son honneur (le 8 juin 2005) et que l'on peut retrouver dans le Droit Maritime
Français 2005, no 663.
16
limitation de la responsabilité de l'armateur soit envisagé et de ce fait le débat sur la légitimité de la
limitation a été renforcé. La Commission Européenne en accord avec le Parlement envisagent
d'instaurer au moyen du Troisième paquet de sécurité une directive relative à la responsabilité
civile et aux garanties financières des propriétaires de navires qui comportera entre autres des
dispositions remarquables en ce qui concerne la notion de la faute privative de la limitation de la
responsabilité . En effet les institutions européennes préconisent la conception française de la faute
inexcusable qui devra, d'après elles, s'appliquer uniformément par les juridictions communautaires.
C'est pour ça que la Commission demande en outre un mandat pour lancer un processus de
révision de cette Convention à l’OMI, après consultations des partenaires concernés et une analyse
économique du secteur, dans un but de promouvoir les idées de l'augmentation des plafonds de
limitation de la convention de Londres afin de garantir de meilleures indemnisations et de la
reforme de la notion de l'article 4 de la Convention de Londres.
Parallèlement, la mise en œuvre du Code ISM dont l'objectif est de garantir et de
promouvoir la sécurité en mer est susceptible de déteindre sur l'institution de la limitation de
responsabilité et sur l'évaluation de l'attitude de l'armateur. En effet il concrétise les obligations dont
l'entreprise d'armement est tenu. et il devient la référence et la mesure conforment auxquelles
l'attitude de l'armateur sera appréciée. Et s'il est démontré que l'armateur a manqué aux obligations
qui découlent des dispositions du Code ISM, sa défaillance sera dans la plupart des cas qualifiée de
faute inexcusable et l'exclusion de la limitation plus fréquente. La preuve du caractère inexcusable
de la faute sera facilitée. L'armateur, étant avisé de la question sécuritaire, aurait dû prévoir
l’existence du dommage44
.
Les rapports de la limitation de responsabilité avec la notion de faute privative du bénéfice
de limitation et, depuis la mise en œuvre de la Convention de Londres, de la faute inexcusable, se
situaient de tout temps au cœur du droit maritime français. Mais le débat qui se développe autour de
cette controverse devient de plus en plus intense compte tenu qu'il manifeste l'antithèse entre la
nécessité en droit maritime de la limitation de l'indemnisation et l'hostilité de la jurisprudence civile
à l'égard de toute idée portant atteinte au droit à réparation intégrale de la victime45
. Par ailleurs,
derrière cette antithèse on retrouve des conflits juridiques traditionnels ; l'interprétation de la faute
inexcusable reflète en effet l’affrontement entre deux conceptions de la réparation. D’un côté le juge
civiliste, soucieux d’assurer à la victime la réparation intégrale de son préjudice, équivalent
pécuniaire de l’idéale « restitutio in integrum ». De l’autre côté les commercialistes, sachant
44 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc.
45 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007.
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qu’aucun investisseur n’accepte de s’engager sans limitation de sa responsabilité, la reconnaissent
comme une pièce nécessaire de ce meccano d’engagements plafonnés que constitue le monde des
affaires. Elle fait également écho du conflit entre le droit interne et le droit international46
.
Nous allons donc passer au crible ces antithèses
qui se relèvent chaque fois que le bénéfice de la limitation excipé par l'armateur heurte sur l'écueil
de la faute inexcusable invoqué par la victime.
À cet effet nous allons diviser notre étude en deux parties : dans la première partie nous
allons scruter le régime de la faute inexcusable et nous allons nous pencher sur les fondements que
ce « gallicisme » juridique47
, bien répandu dans l'ordre juridique français, a connu depuis sa
naissance en 1898 à propos des accidents du travail.
La deuxième partie de notre étude sera consacrée à « l'interprétation franco-française » de
la notion de faute inexcusable par l'intermédiaire de l'examen de ses éléments constitutifs. Dans le
cadre de cette deuxième partie nous allons également nous interroger sur les incidences de cette
interprétation de la faute inexcusable sur l'institution de la limitation elle-même, sur ses aspects
procéduraux et sur les droits des parties plaidantes.
La notion d' armateur48
Il paraît opportun, avant d'aborder la question de la faute inexcusable face à la limitation de
responsabilité, question qui se trouve au cœur de notre étude de s'expliquer sur la notion d'armateur,
source des difficultés. Aux termes de l'article 1 de la loi du 3 janvier 1969, l'armateur peut être
défini comme « celui qui exploite le navire en son nom, qu'il en soit ou non propriétaire ». Il résulte
que l'armateur d'un navire n'est nécessairement pas son propriétaire. Mais l'article 2 de la même loi
vient préciser que « Le propriétaire ou les copropriétaires du navire sont présumés en être
l'armateur ». Cette présomption établie par l'article 2 n'est pas irréfragable et partant les pouvoirs et
les responsabilités d'un armateur peuvent être transférés à un non propriétaire au quel cas c'est ce
dernier qui revêtira la qualité de l'armateur du navire. Cette construction juridique du transfert de la
qualité de l'armateur engendre le schéma suivant : armateur non propriétaire et propriétaire non
46 A. Vialard, op. cit., n° 22, p. 20 : « chaque fois que la notion est d'origine internationale et n'a pas d'équivalent, elle
doit être considérée comme autonome». « Il n' y a pas de lecture française, anglaise, japonaise pour une convention
internationale portant loi uniforme, une telle convention devant être interprétée en elle-même et par elle-même ».
47 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », Liber Amicorum Roger Roland, Brussel, 2003,
p. 75 et s.
48 Fr. Coffano, L'identité de l'armateur, Aix en Provence, 2003.
18
armateur d'un navire et peut avoir son origine dans diverses raisons49
.
On en infère que la qualité de l'armateur est au premier abord conférée au propriétaire du
navire, à moins que celui décide d'impartir les obligations et les responsabilités que cette notion
implique à une autre personne. Dans cette logique, il importe par la suite de s'interroger s'il n'est pas
possible de contempler qu'une partie seulement des pouvoirs et de responsabilités de l'armateur soit
transférée à un non propriétaire, situation qui induit l'éclatement de la qualité de l'armateur et qui
nous conduit à admettre que deux personnes ont en même temps la qualité d'armateur.
Pareille question peut surgir d'une part dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps (sans
transfert de la qualité de l'armateur) et d'autre part dans l'hypothèse où la gestion technique du
navire a, par un contrat, dit contrat de ship managements, été conférée à une société spécialisée qui
agira pour le compte de l'armateur, en tant que mandataire et en cas de faute dans l'accomplissement
de son mandat, sa responsabilité sera engagée à côté de celle de l'armateur du navire. Or, cette
société ne peut nullement être qualifiée d'armateur. À la rigueur, lorsque elle assume non seulement
la gestion technique d'un navire mais également sa gestion commerciale (à savoir la conclusion des
contrats -transport, affrètement du voyage- d'utilisation du navire), sa responsabilité peut être
assimilée à celle d'un armateur, sans néanmoins faire disparaître la responsabilité de ce dernier.
En revanche, la situation est plus compliquée dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps
où le fréteur conserve la gestion nautique du navire tandis que l'affréteur en exerce la gestion
commerciale. Mme I. Corbier est arrivée à la conclusion que l’armateur étant celui qui exploite le
navire en son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, il ne serait pas incongru d'accepter l'idée d'une
dualité d'armateurs pour considérer que le fréteur à temps est l'armateur nautique et l'affréteur à
temps l'armateur commercial du navire50
. À l’appui de cette thèse, un arrêt de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation du 26 octobre 1999, ''navire Fatima51
'' où a été jugé que
« dans l’affrètement à temps, la qualité d’armateur, qui appartient à celui qui exploite le navire en
son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, se trouve partagée entre le fréteur, qui conserve la
gestion nautique de son navire, et l’affréteur, qui en a la gestion commerciale».
Néanmoins cette décision demeure contestée par la doctrine. Le Professeur Philippe
49 Contrat de gérance, contrat de location-crédit bail, contrat d'affrètement coque nue, voire contrat d'affrètement à
temps avec transfert de la qualité d'armateur – affrètement avec démise, time charter with demise, affrètement avec
dévolution.
50 I. Corbier, « L'evolution de la notion d'armateur », préc., et La notion juridique d’armateur, préc., p. 105. V. aussi
en même sens M. Rémond Gouilloud, op. cit., no
231 : « Souvent même le navire est exploité par deux armateurs
dont l’action se superpose : ainsi en cas d’affrètement à temps, le propriétaire du navire, qui tire profit de son
navire en le frétant, en est bien l’armateur ; et l’affréteur à temps, qui, à son tour, exploite le navire en concluant
contrats de transport et affrètements au voyage, l’est également. Pour dissiper la confusion, ce dernier est souvent,
en pratique, qualifié d’armateur-affréteur par opposition à l’armateur-propriétaire ».
51 Cass. Com., 26 oct. 1999 : Juris-Data n° 1999-003672 ; DMF 2000, p. 106, rapp. J.-P. Rémery, obs. I. Corbier ;
DMF HS n° 5, mai 2001, n° 23, obs. P. Bonassies ; V. dans le même sens CA Aix-en-Provence, 25 févr. 1979,
''navire Ann Bewa'' , DMF 1980, p. 181.
19
Delebecque s’est opposé à qualifier cette décision d’arrêt de principe52
, se prononçant pour une
définition unitaire de la qualité d’armateur. Reconnaissant la qualité d’armateur dans l’affrètement à
temps au seul fréteur, le Professeur Philippe Delebecque a précisé que le terme « armateur » n’était
pas un terme générique.
Parallèlement, le Professeur Pierre Bonassies critiquant la solution retenue par la Cour
suprême, met en évidence que cet arrêt confond le régime contractuel et régime légal. La notion
d’armateur, avec toutes les conséquences de droit qui lui sont attachées, notamment aujourd’hui en
matière de sécurité de la navigation, est une notion légale pendant que la notion d’affrètement à
temps est une notion contractuelle, notion dont ce sont d'abord les dispositions du contrat
d’affrètement qui définissent le contenu. Et le professeur éminent ajoute que « l’analyse de la Cour
de cassation est sans doute contraire aux intentions du législateur. Car on peut penser que le
Doyen Rodière, s’il avait voulu que la distinction entre gestion nautique et gestion commerciale
informât la notion d’armateur, n’aurait pas manqué de le dire dans la loi du 3 janvier 1969, ou
dans le décret du 19 juin 1969 53
».
En fin cette conception éclatée de l'armateur est critiquable pour une raison primordiale :
elle se concilie difficilement avec l'objectif majeur du droit maritime contemporain qui est la
sécurité maritime. Les exigences de la sécurité de la navigation maritime édictent que, à l'instar du
capitaine qui demeure toujours responsable de la sécurité du navire, « la concentration des
responsabilités doit pareillement exister quant à l'entreprise responsable à l'égard des tiers des
faits du capitaine en tant que capitaine54
». Par ailleurs, le Code ISM définissant la compagnie, à
savoir l'armateur, comme « le propriétaire, ou autre personne ou organisme auquel le propriétaire
a confié la responsabilité de l'exploitation du navire » paraît bien exclure la possibilités qu'un
navire ait plusieurs armateurs.
Ce dernier argument apportant la pleine conviction, le terme armateur à chaque fois qu'il est
employé tout au fil de cette étude, il renvoie à la personne qui détient la gestion nautique du navire,
la gestion commerciale ne jouant aucun rôle décisif à l'attribution de la qualité de l'armateur55
.
52 Cet arrêt se portait sur le problème de savoir ce qu'il fallait entendre par le terme anglais « owner ».
53 V. Hors série, Le droit maritime français en l'an 2000, n° 23, obs. P. Bonassies.
54 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 185.
55 Cette distinction n'a tout de même d'intérêt pratique pour ce qui du bénéfice de la limitation de responsabilité
entendu qu'il est conféré tant au fréteur à temps qu'à l’affréteur à temps, ce dernier ne pouvant néanmoins l'invoquer
à l'égard du fréteur à temps pour des dommages causés au navire, le bénéfice étant reconnu seulement pour les
dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation de celui-ci et non pas pour les
dommages provoqués au navire.
20
21
PREMIERE PARTIE : LEPREMIERE PARTIE : LE
REGIME DE LA FAUTEREGIME DE LA FAUTE
INEXCUSABLEINEXCUSABLE
La faute inexcusable a pénétré dans le régime de responsabilité civile de l'armateur dans les
années 70 et depuis lors est devenue le point de référence de l'institution de la limitation de
responsabilité des acteurs maritimes. Cependant, quand la faute inexcusable a été adoptée par les
conventions internationales régissant la responsabilité civile du propriétaire de navire, elle n'était
pas une notion inconnue dans l'ordre juridique et dans la jurisprudence français. Tout au contraire,
la faute inexcusable avait déjà marqué par ses applications et ses interprétations nombreuses, bien
que divergentes, différents domaines du droit. D'ailleurs l'idée d'une faute exceptionnellement
grave, privative pour son auteur, de la possibilité de se prévaloir des atténuations ou exonérations
de responsabilité n'était pas nouvelle.
Aussi avant de nous attacher au rôle et aux fondements de la faute inexcusable au sujet de la
limitation de responsabilité de l'armateur (Chapitre 2), il convient de s'interroger sur ses
applications, sa place et en définitive sur sa valeur normative en droit français (Chapitre 1)1
.
1 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur », préc., p. 52-69.
22
CHAPITRE 1 : L'APPARITION DE
LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES
APLLICATIONS2
La qualification de faute inexcusable n'a pas d'intérêt particulier en droit commun où les
situations qu'elle peut recouvrir relèvent de la notion de faute lourde. C'est une qualification propre
à certains régimes spéciaux de responsabilité. La faute inexcusable est donc prise en considération
par le droit français dans trois domaines : dans les accidents du travail, dans les accidents de la
circulation automobile et dans le droit de transports3
(et par extension dans le régime de
responsabilité civile de l'armateur).
Ce premier chapitre de notre étude fera dès lors l'objet d'un examen des applications de la
faute inexcusable en droit français. Aussi, allons-nous dans un premier temps examiner comment la
faute inexcusable a pénétré dans l'ordre juridique français par l'entremise du droit des accidents du
travail ainsi que sa nouvelle application en matière d'accidents de la circulation (Section 1). Ensuite,
nous allons scruter la question de l'introduction de celle-ci dans le droit de transports, en tant que
cause de déchéance du transporteur de son droit de limiter sa responsabilité, qui s'est concrétisée
par son établissement dans les textes internationaux et nationaux régissant le contrat de transport
(Section 2).
2 J. Gestin et Y-M. Serinet « Erreur », Rep. civ. Dalloz, 2006, n0
292 et s. ; Ph. Conte, « Responsabilité civile,
Responsabilité du fait personnel », Rep. civ. Dalloz, 2000.
3 C. Larroumet, Les Obligations : Le Contrat, Économica, 6e éd, 2006, p. 675, no 624 ; G. Viney et P.Jourdain, Traité
de droit civil. Les conditions de responsabilité : LGDJ, 3e éd., 2006, p. 644, no 613 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph.
Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3e éd., 2003, no 58, p. 35.
23
Section 1 : La naissance de la faute
inexcusable en droit des accidents du
travail (loi du 9 avril 1898) et son
application aux accidents de circulation
(loi du 5 juillet 1985)
La notion de faute inexcusable n'est donc pas nouvelle en droit français. Elle apparaît en
effet pour la première fois en droit français avec la loi de 1898 sur la réparation des accidents du
travail (§ 1). Par ailleurs, le droit des transports ne revendique pas l'exclusivité de l'application de la
notion de faute inexcusable. En sus du domaine des transports, la faute inexcusable a empreint non
seulement le droit des accidents du travail mais également le droit des accidents de circulation par
l'intermédiaire de la loi du 5 juillet 1985 (§ 2). On notera donc que le champ d'application de la
notion de faute inexcusable s'amplifie progressivement ; elle est de nos jours une notion
profondément inscrite dans l'ordre juridique français.
§ 1) Faute inexcusable et droit des accidents du
travail
La première application de la notion de faute inexcusable a concerné le droit des accidents
du travail où la loi du 8 avril 1898 (dont les dispositions ont été insérées dans le Code de Sécurité
Sociale - art. L. 452-1 et s.-) énonçait que la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'ils se
sont substitués à ce dernier dans la direction de l'entreprise, donne à la victime de l'accident du
travail ou d'une maladie professionnelle le droit de recevoir des prestations plus élevées que celles
auxquelles peuvent prétendre ordinairement les assurés sociaux4
.
Parallèlement la faute inexcusable de la victime peut, selon l'article L. 453-1, alin. 2 du
CSS, motiver une réduction de la rente d'accident du travail.
Au demeurant, dans le domaine des accidents de travail et des maladies professionnelles ni
4 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 634, no 608-1 ; P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime : LGDJ,
2006, p. 430, no 430 : « Les avantages sont de deux ordres : d' abord, elle reçoit une rente majorée qui est payée à
la caisse, laquelle récupère le montant de la majoration par l'imposition d'une cotisation supplémentaire à
l'employeur. Ensuite, la victime peut obtenir, en agissant devant la juridiction de la Sécurité sociale, la réparation
intégrale des dommages subis du fait de l'accident ainsi que la perte des possibilités de promotion professionnelle et
en cas d'incapacité permanente de 100 %, de la perte de gains dans la limite du salaire minimum légal au jour de la
consolidation ; par ailleurs, en cas de mort de la victime ses proches peuvent obtenir réparation de leur préjudice
d'affection, et c'est ici encore, la caisse qui verse l'indemnisation et en récupéré le montant sur l'employeur ».
24
la loi du 9 avril 1898, ni les textes postérieurs n'ont pris soin de définir les éléments et le critère de
la faute inexcusable. Il est donc revenu aux tribunaux de définir cette nouvelle notion. Deux
orientations étaient dès le début concevables : soit la définir, en mettant l'accent sur l'aspect
subjectif et partant la rapprochant de la faute intentionnelle, soit mettre l'accent sur l'élément de
gravité objective, ce qui devait conduire à mordre davantage sur le domaine de la faute lourde.
Entre ces deux tendances, les tribunaux ont tenté de trouver une solution modérée.
C'est ainsi que les chambres réunies de la Cour de cassation se sont amenées à se prononcer
le 15 juillet 19415
en adoptant une définition à la fois complexe et nuancée6
. La définition
composée de cinq éléments rend compte de l’équilibre trouvé par les magistrats de la Cour suprême
entre les composantes objectives et subjectives de l’analyse : le « caractère volontaire » de l’acte
ou de l’omission dommageable, la « conscience du danger que devait en avoir son auteur »
illustrent les éléments subjectifs ; l’aspect objectif résulte de l’exigence de la « gravité
exceptionnelle » ainsi que de « l’absence de causes justificatives »7
.
Et cette formule a remporté un succès remarquable puisqu'elle a été ensuite répétée dans
d'innombrables arrêts et que, quarante ans plus tard, en 19808
, l'Assemblée plénière l'a reprise
presque intégralement. Cette longévité est évidement le fruit du soin avec lequel les magistrats de
la Cour de cassation ont essayé d'équilibrer les éléments subjectifs (« caractère volontaire de l'acte
ou de l'omission », « la conscience du danger que devait en avoir le son auteur » et objectifs («
gravite exceptionnelle » et « absence de causes justificatives ») afin de situer la faute inexcusable
entre la faute intentionnelle et la faute lourde9
». Cette définition s’appliquait indifféremment à la
faute inexcusable de l’employeur ou à celle du salarié10
.
Néanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement mais
constamment atténué l'aspect subjectif de la faute inexcusable, qu'elle a, de fait, sensiblement
rapproché de la faute lourde. La faute inexcusable est devenue dans le domaine des accidents du
travail et des maladies professionnelles une simple variante de la faute lourde. Et cette tendance de
la Cour de cassation a été réaffirmée par sa jurisprudence contemporaine dans l'affaire de
l'amiante11
.
5 Ch. Réunies, 15 juillet 1941, D. 1941, p. 117 ; Gaz. Pal., 1941, p. 254.
6 « La faute inexcusable s’entend de « la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission
volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificatrice et
se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ».
7 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; J-M Hostache, La faute
inexcusable, Aix en Provence, 2001.
8 Ass. Plén., 18 juillet 1980, Bull. Plén., n°5 : « la faute inexcusable prévue par l’article L 468 du Code de la sécurité
sociale est une faute d’une exceptionnelle gravité, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience
que devait avoir son auteur du danger qui pouvait en résulter et de l’absence de toute cause justificatrice».
9 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 645, no 615.
10 I. Corbier , «La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc., p. 103 et s.
11 Arrêts rendus dans des affaires relatives à des demandes d’indemnisation consécutives à des maladies
25
Désormais, l’employeur commet une faute inexcusable en cas de manquement à son
obligation de sécurité de résultat12
à l’égard du salarié lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour
l’en préserver. Désormais, toute violation consciente par l’employeur de l’obligation de sécurité de
résultat pesant sur lui, en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles,
constitue une faute inexcusable13
. La Cour de cassation a donc considérablement atténué ses
exigences par rapport à la démonstration de la faute inexcusable de l'employeur, en vue de favoriser
la réparation intégrale des dommages subis par les victimes. Il suffit dorénavant que la faute de
l'employeur ait été une cause nécessaire de l'accident. Il en résulte que la Cour de cassation instaure
une sorte de présomption de faute inexcusable en cas d'accident de travail ou de maladie
professionnelle qui débouche sur une réparation qui se rapproche en pratique d'une réparation de
droit commun14
.
On en infère l'absence de la condition de gravité exceptionnelle de la faute de même que
l'appréciation in abstracto seulement de l'élément de la conscience du danger. Par voie de
conséquence, la Chambre sociale de la Cour de cassation exprime sa volonté pour un élargissement
sensible de la notion de faute inexcusable en matière d' accidents du travail15
.
La nouvelle définition de la faute inexcusable de l’employeur ne peut pas être transposée à
la faute inexcusable du salarié puisqu’elle tendrait à priver d’indemnisation tout salarié victime
d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle16
. Aussi la Cour de cassation s'est
attachée à restreindre les possibilités de réduction ou d'exclusion de l'indemnisation
complémentaire du salarié victime d'une faute inexcusable de l'employeur. D'après cette
jurisprudence seule la « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans
raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience »17
peut revêtir le
caractère de la faut inexcusable18
.
professionnelles dues à la contamination de salariés par l’amiante : Cass. Soc. 28 fév. 2002, Bull. V, n° 81 (7 arrêts).
12 C'est nous qui soulignons.
13 « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de
sécurité résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des
produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute
inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du CSS, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du
danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». I. Corbier, «
Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p. 297.
14 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007.
15 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 648, no 616-1.
16 C. Larroumet, op. cit., p. 675, no 624.
17 Cass. Civ. 2e, 27 janvier 2004, Bull. II, n°25.
18 G. Viney et P. Jourdain estiment quand même illogique l'attitude de la Cour de cassation qui donne à une faute
identiquement qualifiée par les textes un contenu si différent selon qu'elle se rapporte au comportement de la
victime ou de l'auteur de dommage et ils proposent que le législateur arrête de persister à recourir à un même
26
« Ainsi s'agissant de la faute du salarié, la Cour de cassation ne se réfère plus au
manquement à une obligation de sécurité, obligation qui importe pourtant au salarié. Elle
réintroduit l’exigence d’une faute d’une exceptionnelle gravité et reprend la référence au caractère
volontaire de la faute. Cette définition étroite donne une autre place à la faute inexcusable du
salarié dans la hiérarchie des fautes : au dessous de la faute intentionnelle, mais au dessus de la
faute lourde, de gravité inférieure19
et elle a pour effet que la jurisprudence la retienne
exceptionnellement20
. Elle reprend en effet à l’identique la définition de la faute inexcusable d’une
autre victime, la victime non conductrice d’un accident de la circulation21
».
§ 2) Faute inexcusable et accidents de
circulation22
En cette matière, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ne donne pas non plus de définition de la
faute inexcusable de la victime visée à l'article 3 alin.1er
et dont l'effet consiste dans la suppression
du droit de réparation de la victime pour vu que la faute inexcusable de celle-ci soit la cause
exclusive de l'accident23
. De même qu'en matière des accidents du travail, sur le plan des accidents
de circulation, c'est la Cour de cassation qui est intervenue afin de combler cette lacune législative.
Aussi, la Deuxième chambre civile, par une série de onze arrêts du 20 juillet 198724
, a défini
la faute inexcusable comme « la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison
valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience25
». Cette dernière expression
démontre que la Cour suprême s'attache à une appréciation in abstracto de la conscience du danger
d'où la qualification objective de la faute inexcusable en droit des accidents de circulation, analogue
de celle qui a été adoptée en droit des accidents de travail pour ce qui concerne la faute de
concept quand les exigences de gravite sont pour le moins différente et de se contenter d'une faute lourde (ou
simple) de l'employeur quand il s'agit de faire bénéficier la victime d'un complément d'indemnisation, tout en
maintenant la notion de faute inexcusable quant à la pénalisation de la victime (G. Viney et P.Jourdain, op. cit., p.
652, no 616-2).
19 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p.
297.
20 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 650, no 616-2.
21 G. Viney et P. Jourdain, ibid.
22 S. Abravanel - Jolly, J-Cl Responsabilité civile et Assurances, RÉGIMES DIVERS. - Circulation routière . -
Indemnisation, des victimes d'accidents de la circulation . - Droit à indemnisation, Fasc. 280-10 2004, no 69 et s.
23 Cette exception ne concerne pas les victimes qui ont moins de seize ans et plus de soixante dix ans ou celles qui sont
titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'invalidité au moins égal à 80 %.
24 Cass. Civ 2ème
, 20 juill. 1987, Bull. Civ. II; nos
160 et 161.
25 C'est nous qui soulignons.
27
l'employeur26
.
Or, la Cour de cassation a montré par les solution qu'elle a retenues postérieurement à l'arrêt
de 1987 sa détermination de s'en tenir à une conception plus restrictive de la notion de faute
inexcusable. C'est ainsi que l'Assemblée plénière, lorsqu'elle a été appelée à s'y prononcer, en raison
de la résistance opposée à cette rigueur par certaines cours d'appel, affirme, dans un arrêt du 10
novembre 199527
, la position de ne pas affaiblir le caractère de gravité exceptionnelle de la faute
inexcusable et de ne laisser aux juges du fond qu'une marge d'appréciation très étroite.
En conclusion, nonobstant une définition très semblable à celle qui a été adoptée en matière
d'accidents du travail, c'est plutôt une conception restrictive de la faute inexcusable que la
jurisprudence ultérieure et récente a retenue dans le domaine des accidents de circulation. L'analyse
de cette jurisprudence pousse à admettre que seule une faute d'une témérité active et d'une
imprudence manifeste et exceptionnelle peut justifier sa qualification d'inexcusable. Et la chose
s'explique par le fait qu'il s'agit ici de la faute de la victime et non de la faute de l'auteur. D'ailleurs
elle a pour corollaire non simplement la réduction de l'indemnisation de la victime mais la
suppression totale de son droit à réparation, conséquence ostensiblement plus grave que celle du
droit des accidents de travail28
. Une interprétation plus stricte doit dès lors être mise en place29
.
Une pluralité de conceptions et de qualifications caractérise la jurisprudence contemporaine
française. « La notion de faute inexcusable recouvre des actes dont le comportement dommageable
constitue le mobile lorsqu’elle se rapporte au comportement de la victime ; elle vise parallèlement
des actes dont le dommage n’est qu’une conséquence accidentelle lorsqu’elle se rapporte au
comportement de l’auteur du dommage. Néanmoins, le fait que cette faute, identiquement qualifiée,
ait un contenu différent selon la personne en cause illustre les difficultés auxquelles se trouve
confrontée la jurisprudence sociale pour accorder une meilleure indemnisation du salarié30
».
La faute inexcusable telle qu'elle a été présentée jusqu'à ce point de notre étude est une
notion énoncée par les textes mais sans définition par ces derniers. Ce manque de précisions sur les
éléments de la faute inexcusable de la part du législateur est en outre dans l'origine du défaut d'
homogénéité qui règne dans la jurisprudence. Aussi bien, la faute inexcusable du droit des accidents
du travail et de la circulation est-elle une notion propre au droit français, inspirée par le législateur
26 Lamy Assurances – 2008, PARTIE 2 - Assurances de dommages, no 2611, Faute inexcusable, cause exclusive de
l'accident.
27 Ass. Plén., 10 nov. 1995, Bull. Civ., ass. Plén. no 6.
28 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. : « la jurisprudence préserve
ainsi l’efficacité du système d’indemnisation automatique des victimes d’accidents de la circulation, mis en place
par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la
circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation en décourageant les défendeurs – en pratique, les
assureurs – de plaider systématiquement l’existence d’une telle faute ».
29 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 659, no 617.
30 I. Corbier, ibid.
28
français.
La faute exclusive du bénéfice de limitation que connaissent le droit aérien et le droit
maritime, envisagée sous l'angle commercial, et non social, vient d'une autre « filière », que l'on
peut appeler la filière internationale, étant donné qu'elle émane de conventions internationales
auxquelles la France a adhéré, et qui ont entraîné, par contrecoup, une modification du droit
interne31
. La doctrine a proposé et elle a adopté le concept de « faute inexcusable » pour traduire la
périphrase complexe des conventions internationales et la tentation a été grande de transposer cette
jurisprudence multidécennale du droit social, sans prêter grande attention à la formulation précise
des textes internationaux qui ouvraient indubitablement la porte à une interprétation « concrète ».
Il importe donc d'étudier si cette tentation a été vérifiée dans la pratique.
Section 2 : La faute inexcusable en
matière des transports, condamnation
d'un comportement jugé fautif
Le transporteur, quel que soit le mode de transport, qu'il s'agisse de transport de
marchandises ou de passagers est, en principe, tenu d'une obligation de résultat. La loi française,
comme les conventions internationales que la France a ratifiées, consacrent une responsabilité "de
plein droit", "objective", du transporteur, ce dernier voyant, dès lors sa responsabilité engagée par le
simple fait de la survenance du dommage subi par les voyageurs ou par les marchandises32
.
Dans un souci d'atténuer la rigueur de la responsabilité du transporteur, le législateur a mis
en place des mécanismes sophistiqués de cas exceptés, l'exonérant de sa responsabilité. Il en est de
même de la force majeure, à l'instar du droit commun contractuel mais également de catégories
spécifiques au droit des transports et particulièrement au droit des transports maritimes33
.
Dans la même logique d'équilibre du compromis nécessaire entre les intérêts du transporteur
et ceux de son cocontractant34
les textes accordent traditionnellement, au transporteur le droit d'une
limitation de responsabilité. La responsabilité du transporteur est donc une responsabilité plafonnée,
permettant à ce dernier de ne pas réparer l'intégralité du dommage dont il est reconnu responsable.
31 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie , « La pénétration en droit français de la théorie de la faute inexcusable en matière
aérienne et maritime sous l'influence des conventions internationales », Internationalisation du droit, Mélanges en
l'honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 394 et s.
32 C. Paulin , Droit des transports, Litec, 2005, p. 250 no 493 et s.
33 G. de Monteynard, op. cit., p. 247.
34 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 679, no 1067.
29
Le droit des transports dans son intégralité est particulièrement empreint des réparations limitées35
.
Ces limitations de responsabilité du transporteur sont au centre de nombreuses affaires
relatives au transport terrestre, maritime36
ou aérien. Le débat est classique. La responsabilité du
transporteur est souvent limitée par des dispositions d'origine légale ou conventionnelle37
. La
victime d'une inexécution de ses obligations par le transporteur va tenter d'écarter ces limitations en
recourant, en fonction des cas, à la faute lourde, faute inexcusable, ou au manquement du
transporteur à une obligation essentielle38
. Il lui faudra en pratique apporter une preuve très difficile.
Faisant application des principes qui gouvernent la responsabilité contractuelle tirée des
articles 1147, 1148 et 1150 du Code civil, la jurisprudence a admis que, fût-ce en présence de
Convention internationale ou de texte législatif, certaines fautes qualifiées permettaient à la victime
d'échapper à la limitation de responsabilité dont bénéficie le transporteur. Elle consacre précisément
l'existence d'une faute lourde39
en matière de transport routier de marchandises. En revanche, en
35 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p.
256, n0
271.
36 Voir C. Scapel, Le domaine des limitations légales de responsabilité dans le transport de marchandises par mer,
Thèse, Aix en Provence, 1973.
37 Inscrits dans la loi ou dans un contrat, les plafonds font échec à la réparation intégrale du préjudice. Il en est de
deux sortes : tantôt la limitation est attachée a un contrat, tantôt elle est prévue globalement, pour un ensemble des
dettes. Dans le premier cas, elle vise à rationaliser une dette ; dans le second a apurer la situation d'un débiteur (M.
Rémond Gouilloud, Le contrat de transport, Dalloz, 1993, p. 55).
38 Cependant, il va de soi que cette limitation est exclue si les dommages subis, par le voyageur ou par la marchandise,
proviennent d'une faute intentionnelle du transporteur. Mais comme la faute intentionnelle est rare et difficile à
prouver, les conventions internationales, conclues en la matière, assimilent certaines fautes non intentionnelles, mais
très graves, à la faute intentionnelle, pour allouer à la victime une réparation intégrale de son préjudice, sans tenir
compte des limitations habituelles de responsabilité. V. A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies:
Économica, 2e éd., 1998, n° 402, p. 293 : « seule la faute dolosive parce qu'elle échappe à toutes les règles et,
surtout, parce qu'elle manifeste la volonté non équivoque, positive, de sortir du contrat, est susceptible d'écarter la
limitation; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats », LGDJ, 1981.
39 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p.
289, n0
333.
30
droits maritime et aérien40 41
, c'est la faute inexcusable qui devra être prise en considération42
. Or, les
deux concepts ont la même fonction : exclure la limitation de responsabilité lorsque le transporteur
n'a pas correctement exécuté la mission qui lui a été confiée43
.
Une des tentatives pour faire sauter le verrou de ces limitations44
, lorsqu'elles sont prévues
par les contrats-types applicables en droit des transports routiers45
ou par la CMR46
est la faute
lourde du transporteur terrestre dont la définition est aujourd'hui arrêtée (à l'occasion de l'affaire
Chronopost) par la Chambre mixte de la Cour de cassation: il s'agit d'une faute «caractérisée par
une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de
l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle »47
40 Et depuis peu ferroviaire : sur le plan international, la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires
portant Règles uniformes concernant le contrat international ferroviaire des marchandises, signée à Berne le 9 mai
1980 a été modifié par le Protocole de 1990 entré en vigueur le 1er novembre 1996. Modernisant certaines
dispositions institutionnelles, ce protocole dit « Protocole 1990 » a procédé, surtout, à l'adaptation du droit
international des transports ferroviaires et ce, en harmonisant certaines dispositions sur la responsabilité civile des
RU-CIM avec d'autres Conventions internationales: il abandonne dès lors les notions de dol et de faute lourde au
profit de celle de faute inexcusable. Ainsi, l'article 44 des RU-CIM 1980 dispose, en effet, que les limitations
d'indemnité ne s'appliquent pas s'il est prouvé que le dommage résulte « d'un acte ou d'une omission que le chemin
de fer a commis soit avec l'intention de provoquer un tel dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait ».Les Règles uniformes version 1999, portant modification de la Convention relative aux
transports ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, adoptées à Vilnius le 3 juin 1999, se présentant sous la forme d'un
Protocole et désormais applicables, comportent une disposition semblable (RU-CIM 1999, art.36).
41 Plus récemment, le 3octobre 2000 a été adoptée à Budapest, puis signée dans cette même capitale le 22 juin 2001,
par onze États européens, la Convention « relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure »
(CMNI) La CMNI s'applique depuis le 1eravril 2005 après avoir obtenu cinq ratifications (celles de la Hongrie, du
Luxembourg, de la Roumanie, de la Suisse et de la Croatie) nécessaires à son entrée en vigueur Une faute
inexcusable ou dolosive commise par le transporteur ou le transporteur substitué, voire par leurs préposés et
mandataires, entraîne la perte des limitations d'indemnité (CMNI, art.21.1). Lors du congrès de l'IVR (Registre
fluvial rhénan), les 12 et 13 mai 2005, le secrétaire d'État aux Transports et à la Mer a annoncé la volonté du
gouvernement français de ratifier la Convention de Budapest. Un projet de loi autorisant la ratification de la
Convention de Budapest a été déposé au Sénat le 5 juillet 2006. Et un décret no 2008-192 portant publication de la
CMNI a été publié le 29 février 2008 et précise que ce texte est entré en vigueur pour France le 1er septembre 2007.
42 G. de Monteynard, op. cit., p. 247.
43 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s.
44 H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111.
45 De même qu'en matière de transport interne, ferroviaire ou fluvial, de marchandises. C'est à dire les transports
réglementés par les articles 94 à 102 du Code de commerce ancien, devenus L. 132-3 à L. 132-9, l'article L 133-1
du Code de commerce n'interdisant pas les clauses ayant seulement pour objet de limiter le montant de l'indemnité,
qui demeurent valables à la double condition d'avoir été connues et acceptées par l'expéditeur lors de la conclusion
du contrat de transport et de ne pas aboutir à une indemnité dérisoire par rapport au montant du dommage. dès lors,
est licite la clause par laquelle un transporteur cantonne sa responsabilité « à la réparation du seul dommage matériel
justifié ». Il s'agit, en effet, d'une clause limitative de l'indemnité, et non d'une clause exonération de garantie Au
demeurant, le droit de transport routier des marchandises présente la particularité des contrats types, applicables de
plein droit, lorsque les parties n'ont pas pris la peine de définir leurs rapports dans une convention écrite (article 8 §
II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs). Ces textes, consacrés par
décrets, ne constituant pas des règlements, mais des textes de droit privé, prévoient des clauses de limitation de
responsabilité applicable automatiquement, dans la mesure où les parties n'ont rien prévu.
46 Convention relative au contrat de transport international de marchandises par routes (en abrégé : CMR), signée le 19
mai 1956 à Genève et entrée en vigueur le 2 juillet 1961. L'article 29 de la CMR prévoit que le transporteur ne peut
se prévaloir des dispositions de la CMR qui excluent ou limitent sa responsabilité lorsque le dommage est imputable
à son dol ou à une faute qui, d'après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalant au dol. Tel est le
cas, en France, de la faute lourde, traditionnellement assimilée au dol quant à ses effets.
47 Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005, II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p.
681, obs. D. Mazeaud et p. 753, obs. P. Delebecque ; Dr. & patr. 2005, no
141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, no
31
Longtemps, deux manières de caractériser la faute lourde ont en effet coexisté. La première,
objective, la déduisait du caractère essentiel de l’obligation inexécutée ou de l’ampleur du
dommage ; la seconde, subjective, la déduisait d’un jugement de valeur sur la qualité du
comportement du débiteur. L’enjeu était le même : écarter les limitations de responsabilité résultant
de la convention des parties ou de la loi. La Chambre mixte en 2005, en décidant que « la faute
lourde de nature à mettre en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat-type ne
saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se
déduire de la gravité du comportement du débiteur », adopte une conception subjective de la faute
lourde48
, et elle vient infléchir sa jurisprudence relative en renonçant à toute référence au caractère
fondamental de l'obligation transgressée et en recentrant la notion autour de ses critères subjectifs :
gravité du comportement, conscience des risques49
.
La faute lourde fait, quand même, encore l'objet de deux arrêts du 13 juin 200650
et du 21
février 200651
.Ces deux arrêts, portant toujours sur l'affaire Chronopost, complètent et apportent des
précisions à ceux de la Chambre mixte du 22 avril 2005 et tous les deux confirment, sans ambiguïté,
le ralliement de la Chambre commerciale à la conception subjective de la faute lourde.
Par conséquent, il résulte des arrêts présentés, comme déjà de ceux de la Chambre mixte du
22 avril 2005, que la faute lourde du transporteur ne peut pas s'apprécier objectivement en fonction
de l'importance de l'obligation non remplie, mais plutôt subjectivement en fonction des
circonstances spécifiques à chaque espèce, dont la preuve incombe à la victime du dommage52
. Et la
jurisprudence des Chambres de la Cour de cassation semble sur ce point unifiée53
.
La solution est-elle de portée générale ou concerne-t-elle seulement l’hypothèse du contrat
type de messagerie? Peut-être averti de cette interrogation, l’arrêt du 13 juin 2006 prend soin de ne
pas seulement fonder sa solution sur les textes propres à la messagerie mais d’y ajouter le visa de
l’article 1150 du Code civil, ce que le précédent de février de la même année n’avait pas fait54
. La
40, p. 1446, obs. Paulin Ch.; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111.
48 P. Stoffel-Munck, « Novembre 2005 – juin 2006 : la jurisprudence au service d’une défense raisonnée des prévisions
des partie » Droit & Patrimoine 2006, p. 99 et s.
49 C. Legros, « Transports rapides : Cour de cassation et Conseil d’Etat se liguent pour assurer le sauvetage des
plafonds réglementaires de réparation », étude publiée sur le site de l'Institut International Des Transports,
www.idit.asso.fr.
50 Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Bull. civ. IV, n° 43 ; JCP G 2006, II, n° 10123, obs. G. Loiseau.
51 Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-20.139, Bull. civ. IV., n° 48 ; RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006,
p. 694, obs. D. Mazeaud.
52 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s.
53 V. cependant Cass. 1ère civ., 4 avr. 2006, n° 04-11.848, inédit, et non destiné à la publication, qui adopte une
caractérisation objective (en jugeant qu’elle peut être déduite du simple constat de l’inexécution d’une obligation
essentielle) mais qui ne concerne pas le droit du transport. Divergence qui, comme P. Stoffel-Munck l'observe, serait
regrettable car la position de la chambre commerciale paraît logique et raisonnable (P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99
et s.). Quoi qu'il en soit cet arrêt en opposition avec la jurisprudence la chambre mixte et de la chambre commerciale
de la Cour de cassation, semble indiquer que la solution est effectivement limitée au contrat de transport.
54 V. RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006, p. 694, obs. D. Mazeau.
32
solution semble donc générale du point de vue de la Chambre commerciale55
, et valoir aussi bien
pour les limitations conventionnelles que légales de responsabilité56
. On peut d’autant mieux le
penser que cette chambre semble bien poursuivre en cette matière, une véritable politique en faveur
d'une application moins sévère de l'attitude tu transporteur57
.
Une deuxième tentative pour faire « crever »les plafonds de responsabilité et d'obtenir une
réparation intégrale est, ainsi qu'il a été déjà noté, l'application de la faute inexcusable, a priori au
moins un degré de gravité au dessus de la faute lourde mais qui est en principe appréciée
objectivement58
. Nous allons donc examiner l'instauration de cette notion en droit des transports
ainsi que son interprétation par la jurisprudence. Nous allons dès lors s'interroger si la solution d'une
interprétation subjective de la faute faisant échec à la limitation de responsabilité du transporteur
routier est transposable en droit des transports aériens59
(§ 1) et ensuite en droit des transports
maritimes 60
(§ 2) et si elle est susceptible d' atténuer la rigueur dont la jurisprudence de la Cour de
cassation fait preuve à l'encontre du transporteur en ce qui concerne l'interprétation de la faute
inexcusable.
55 Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient, par un arrêt du 27 fév. 2007, rendu,cette fois-ci,
dans un cas d'application de l'article 29 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat international
de marchandises par route (CMR), la même approche subjective de la faute qu'en droit interne, fondée sur une
analyse concrète du comportement du transporteur (Cass. Com. 27 févr. 2007, n° 05-17.265 ; RTD com. 2007, p.
592, obs. B. Bouloc ; JCP E 2007, p. 1705, obs. A. Cathiard ; BTL 2007, p. 183 ; H Kenfack, « Droit des transports,
juillet 2006 - juin 2007 », D. 2008, p. 1240). Cette uniformité de la définition de la faute lourde en transport interne
et international a été favorablement saluée par la totalité de la doctrine.
56 Cette affirmation d'une conception subjective de la faute lourde ne doit pas conduire à penser que le recours à la
notion d'obligation essentielle est devenu sans intérêt. Ces deux concepts ont des domaines d'application distincts.
En effet, lorsqu'elle est de nature contractuelle, la clause limitant la réparation est réputée non écrite « si elle
contredit la portée de l'engagement et porte ainsi atteinte à l'essence du contrat, ce qui n'exclut évidemment pas
qu'elle puisse également être mise en échec, sur le fondement de l'article 1150 du Code civil et du principe
d'assimilation de la faute lourde au dol, par une faute lourde strictement entendue. En revanche, seule la preuve
d'une telle faute, dont la charge incombe exclusivement au créancier, fait obstacle à l'application des clauses
restrictives de responsabilité ou de réparation prévues par un contrat-type approuvé par décret » (Viney G., op.
Cit.). Voir également sur le principe Ph. Delebecque, J-Cl, commercial, Contrats, fasc. 11, n° 55 et Cass. com., 30
mai 2006, n° 04-14.974, Bull. civ. IV, n°132 ; BTL 2006, p. 383, obs. M. Tilche.
57 P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s.
58 J.-M. Jacquet et Ph. Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, 3ème éd., 2002, n° 274.
59 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. ; V. aussi Lamy, Droit du contrat, 385-86 : « Faute lourde – Conception subjective –
Arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 - c) Portée de la solution » ; RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain.
60 Ph. Delebecque, « La jurisprudence Chronopost : quelle portée pour le droit maritime ? » DMF 2005, p. 734.
33
§ 1) En droit des transports aériens
Nous allons étudier successivement l'évolution de la notion de faute inexcusable dans les
textes, nationaux et internationaux régissant le contrat de transport aérien (A) et ensuite la
conception jurisprudentielle de celle-ci en droit aérien et ses fluctuations (B).
A) Les textesA) Les textes
Tout d’abord apparue dans le domaine du transport aérien, la notion de faute inexcusable a
ensuite imprégné le transport maritime. La faute inexcusable a en effet fait son apparition dans le
domaine du transport aérien avec le protocole de La Haye du 28 septembre 1955
Comme le rappelle le doyen Chauveau61
, les auteurs de la Convention de Varsovie du 12
octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international avaient
voulu, dans l'esprit de la délégation française, viser une faute particulièrement grave ; le premier
texte français parlait d’un dol ou d’une faute assimilable au dol62
. Mais les délégués de langue
anglaise ont fait valoir que le mot dol était intraduisible en anglais, parce que la notion qu'il
recouvrait était inconnue dans leur droit. En conséquence, ils ont suggéré une notion voisine, celle
de Willful misconduct qui peut être traduite par inconduite délibérée et qui consiste dans l'action ou
l'omission volontaire que celui qui agit ou s'abstient sait être une infraction à son devoir en la
circonstance et sait qu'il en résultera probablement un dommage pour autrui. Elle contient donc un
élément intentionnel, mais elle se distingue de la faute intentionnelle, compte tenu qu'il suffit que
l'auteur ait conscience de son inconduite et du dommage qui peut en résulter, sans tout de même,
que ce dommage soit désiré comme en cas de dol63
. C'est donc pour ça que l'article 25 de la
Convention de Varsovie a prévu que le transporteur n'aura pas le droit d'invoquer les dispositions
qui limitent sa responsabilité si le dommage provient de son dol ou d'une faute équivalente au dol
selon la loi du tribunal saisi, cette dernière expression renvoyant à la notion anglaise Willful
misconduct
Toutefois, en faisant recours à la loi du tribunal saisi, l'article 25 laissait aux tribunaux
nationaux la possibilité de se référer à des notions différentes. C'est ainsi que les tribunaux français
61 P. Chaveau, D. 1979, p. 293.
62 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc.
63 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc.
34
ont fait référence à la faute lourde, regardée comme faute équipollente au dol. Face à la variété des
interprétations auxquelles ont donné lieu, dans les différents États parties, les expressions « dol » et
« faute équivalente au dol », les auteurs du protocole de La Haye ont, à l'initiative de l'OACI, défini
de façon précise le type de faute qui devait conduire à exclure le droit pour le transporteur de limiter
sa responsabilité.
Le Protocole de La Haye de 195564
a voulu substituer une formule acceptable par tous65
.
Proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, la formule adoptée par l’article 25 devait
mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures : « les limites de responsabilité
ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du
transporteur ou de ses préposés, faits soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit
témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement, pour autant que,
dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposés, la preuve soit également apportée que ceux-ci
ont agi dans l’exercice de leurs fonctions »
Parallèlement, la loi du 2 mars 1957, un texte de circonstance, avait modifié les articles 41,
42, 43, alinéa 2 et 48 de la loi du 31 mai 1924 pour soumettre au régime de responsabilité de la
Convention de Varsovie les transports internes à une époque où le Protocole de La Haye n'était pas
encore entré en vigueur. Du reste, ces textes sont devenus les articles L. 321-3, L. 321-4, L. 321-5 et
L. 322-3 du Code de l'aviation civile, aujourd'hui en vigueur.
D'une part, selon les art. L. 321-3 et L. 322-3, la responsabilité du transporteur aérien est
régie par les seules dispositions de la Convention de Varsovie ou de toute autre convention la
modifiant et applicable en France, même si le transport n'est pas international au sens de cette
convention. Autrement dit, à compter de l'applicabilité en France du Protocole de La Haye, ce sont
les dispositions de la Convention de Varsovie modifiée par le Protocole de La Haye qui sont
applicables en France, même si le transport n'est pas international au sens de la Convention.
D'autre part, comme le Protocole de La Haye n'était pas encore applicable, l'une des
dispositions de la loi de 1957, disposition devenue l'article L. 321-4, alinéa 1, déclare ce qu'il faut
entendre par faute équipollente au dol dans l'article 25 de la Convention de Varsovie non modifiée.
On sait que cette notion de faute considérée comme équipollente au dol figure dans la Convention
de Varsovie et précisément ne figure plus dans le Protocole de La Haye. En attendant l'entrée en
vigueur du Protocole de La Haye, le législateur français a voulu imposer une définition de la faute
considérée comme équipollente au dol en régime interne comme en régime international. Il a donné
64 Pour une analyse sur l'évolution de cette rédaction, V. H. Zoghbi, La responsabilité aggravée du transporteur
aérien. Dol et faute équivalente au dol. Étude développée du protocole de la Haye, LGDJ, 1962, n° 164, p. 69.
65 B. Mercadal, Transports Aériens, Rép.com. Dalloz, n° 192.
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  • 1. UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DESUNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCESSCIENCES PAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE IIIPAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE III FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUESFACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTSCENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS La faute inexcusable de l'armateur et le principe de laLa faute inexcusable de l'armateur et le principe de la limitation de sa responsabilitélimitation de sa responsabilité Mémoire présenté par STAVRAKIDIS TriantafyllosMémoire présenté par STAVRAKIDIS Triantafyllos dans le cadre du Master II Droit Maritime et desdans le cadre du Master II Droit Maritime et des Transports, sous la direction de Monsieur Christian ScapelTransports, sous la direction de Monsieur Christian Scapel PROMOTION 2008PROMOTION 2008 1
  • 2. La faute inexcusable de l'armateur et le principe de laLa faute inexcusable de l'armateur et le principe de la limitation de sa responsabilitélimitation de sa responsabilité Cet ouvrage est dédiéCet ouvrage est dédié àà ma mère, Stavroulama mère, Stavroula '' Le plus grand mal,'' Le plus grand mal, àà part l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sapart l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa faute ''faute '' Platon , Extrait dPlaton , Extrait dee GorgiasGorgias 2
  • 3. 3
  • 4. REMERCIEMENTSREMERCIEMENTS Que les professeurs Pierre Bonassies et Christian Scapel trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance ; M. Bonassies pour sa sollicitude lors de l’encadrement de mes travaux de recherches et M. Scapel pour m’avoir reçu au sein du CDMT et pour sa confiance. Leurs enseignements m'ont été précieux. Je voudrais également exprimer mes sincères remerciements à tous mes Professeurs pour m'avoir transmis leur passion pour la mer et leur savoir pour le droit maritime. Je souhaiterais aussi remercier Martine Cheron pour sa disponibilité ainsi que pour ses encouragements tout au fil de ces deux années. Merci aussi à tous mes collègues tant de cette année (Ayaka, N'gagne, Frank, Vanessa, Anais, Khoudia, Adleine, Solenne, Julie, Jean-Mathieu, Axelle, Pierre, Akpène.......) que de l'année dernière (Oriane, Fred, Christine, Akila, Mohammed......), de même qu'à Neli, pour leur correction, leur aide, leur disponibilité et surtout leur patience. Finalement, je tiendrais à remercier profondément mes parents pour leur présence de tous les instants. Sans eux, rien n’aurait été possible. 4
  • 5. 5
  • 6. SOMMAIRESOMMAIRE INTRODUCTIONINTRODUCTION PREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLEPREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE Chapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et sesChapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et ses applicationsapplications Section 1 :Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit desLa naissance de la faute inexcusable en droit des accidents de travail (loi du 9 avrilaccidents de travail (loi du 9 avril 1898)1898) Section 2 :Section 2 : La faute inexcusable en matière des transportsLa faute inexcusable en matière des transports condamnation d'un comportement jugécondamnation d'un comportement jugé fautiffautif Chapitre 2 : La faute inexcusable fondement actuel de laChapitre 2 : La faute inexcusable fondement actuel de la déchéance de la limitation de responsabilité de l'armateurdéchéance de la limitation de responsabilité de l'armateur Section 1 :Section 1 : En droit commun de responsabilité de l'armateurEn droit commun de responsabilité de l'armateur Section 2 :Section 2 : Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Fipol,Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Fipol, HNS, PollutionHNS, Pollution par les soutes)par les soutes) Section 3 :Section 3 : Le troisième paquet Erika et la reforme de la fauteLe troisième paquet Erika et la reforme de la faute inexcusable parinexcusable par la directive relativela directive relative à la responsabilité civile età la responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de naviresaux garanties financières des propriétaires de navires 6
  • 7. DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTEDEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCESINEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCES Chapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la fauteChapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la faute inexcusable de l'armateur et ses incidences sur l'institution de lainexcusable de l'armateur et ses incidences sur l'institution de la limitation de la responsabilitélimitation de la responsabilité SectiSection 1 :on 1 : Les éléments de la faute inexcusableLes éléments de la faute inexcusable Section 2 :Section 2 : La limitation de responsabilité : droit exceptionnel deLa limitation de responsabilité : droit exceptionnel de l'armateur ?l'armateur ? Chapitre 2 : La faute inexcusable dans la procédure de limitationChapitre 2 : La faute inexcusable dans la procédure de limitation Section 1 :Section 1 : Contestation du droit de l'armateur de limiter saContestation du droit de l'armateur de limiter sa responsabilitéresponsabilité Section 2 :Section 2 : Les conséquences de l'admission de la fauteLes conséquences de l'admission de la faute inexcusable de l'armateur sur ses droitsinexcusable de l'armateur sur ses droits CONCLUSIONCONCLUSION BIBLIOGRAPHIEBIBLIOGRAPHIE TABLE DES MATIERESTABLE DES MATIERES 7
  • 8. TABLE DES ABREVIATIONSTABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMESET DES ACRONYMES ADMOADMO Annuaire du Droit Maritime et OcéaniqueAnnuaire du Droit Maritime et Océanique Annales IMTMAnnales IMTM Annales de l'Institut méditerranéen des transports maritimesAnnales de l'Institut méditerranéen des transports maritimes Alin.Alin. AlinéaAlinéa Ass. Plén.Ass. Plén. Cour de cassation, Assemblée PlénièreCour de cassation, Assemblée Plénière BTLBTL Bulletin des transports et de la logistiqueBulletin des transports et de la logistique Bull. Civ.Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles) BCBC Bunker ConventionBunker Convention (( International Convention on Civil Liability forInternational Convention on Civil Liability for Bunker Oil Pollution Damage)Bunker Oil Pollution Damage) C.AC.A Cour d'appelCour d'appel Cass.Cass. Cour de cassationCour de cassation Cass. Civ.Cass. Civ. Cour de cassation, chambre civileCour de cassation, chambre civile Cass. ComCass. Com Cour de cassation, chambre commercialeCour de cassation, chambre commerciale Cass. SocCass. Soc Cour de cassation, chambre socialeCour de cassation, chambre sociale CJCECJCE Cour de Justice des Communautés EuropéennesCour de Justice des Communautés Européennes CLCCLC Civil Liability ConventionCivil Liability Convention CMNICMNI ConventionConvention relative au contrat de transport de marchandises enrelative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieurenavigation intérieure CMRCMR Convention sur le contrat de transport international deConvention sur le contrat de transport international de marchandises par routemarchandises par route CNUDCICNUDCI Conférence des Nations unies pour le commerce et le développementConférence des Nations unies pour le commerce et le développement (UNCITRAL)(UNCITRAL) Code ISMCode ISM Code international de gestion et de sécuritéCode international de gestion et de sécurité Code IMDGCode IMDG Code international des marchandises dangereuses (Code international des marchandises dangereuses (The InternationalThe International Maritime Dangerous Goods)Maritime Dangerous Goods) Comm.Comm. CommentaireCommentaire CSSCSS Code de la sécurité socialeCode de la sécurité sociale D.D. Recueil DallozRecueil Dalloz D. eur. Transp.D. eur. Transp. Droit européen des transportsDroit européen des transports DTSDTS Droits de Tirage SpéciauxDroits de Tirage Spéciaux FIPOLFIPOL Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus a laFonds international d'indemnisation pour les dommages dus a la pollution par les hydrocarburespollution par les hydrocarbures FFSAFFSA Fédération Française des Sociétés d'AssurancesFédération Française des Sociétés d'Assurances 8
  • 9. Gaz. PalGaz. Pal Gazette du PalaisGazette du Palais HNSHNS Hazardous ans noxious substancesHazardous ans noxious substances J.C.P EJ.C.P E Semaine Juridique Entreprises et AffairesSemaine Juridique Entreprises et Affaires J.C.P GJ.C.P G Semaine Juridique Édition GénéraleSemaine Juridique Édition Générale J-ClJ-Cl Jurisclasseur EncyclopédieJurisclasseur Encyclopédie JDIJDI Journal du Droit InternationalJournal du Droit International JPAJPA Jurisprudence du Port d'AnversJurisprudence du Port d'Anvers InfraInfra Ci-dessousCi-dessous Lloyd's Rep.Lloyd's Rep. Lloyd's reportsLloyd's reports LMCLQLMCLQ Lloyd's Maritime and Commercial LawLloyd's Maritime and Commercial Law NCPCNCPC Nouveau Code de Procédure CivileNouveau Code de Procédure Civile OACIOACI Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO)Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO) OMIOMI Organisation maritime internationale (IMO)Organisation maritime internationale (IMO) OPA 1990OPA 1990 Oil Pollution Act ofOil Pollution Act of 19901990 RCARCA Responsabilité Civile et Assurances (Revue/Lextenso)Responsabilité Civile et Assurances (Revue/Lextenso) RD transp.RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime, aérienRevue de droit des transports terrestre, maritime, aérien Rép.civ. DallozRép.civ. Dalloz Répertoire civil DallozRépertoire civil Dalloz Rép.Rép.com Dallozcom Dalloz Répertoire commercial DallozRépertoire commercial Dalloz Rev. ScapelRev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transportsRevue de droit commercial, maritime, aérien et des transports Rev.cr.dr.int.priv.Rev.cr.dr.int.priv. Revue critique de droit international privéRevue critique de droit international privé RFDARFDA Revue Française de Droit AérienRevue Française de Droit Aérien RGDARGDA Revue générale du droit des assurancesRevue générale du droit des assurances RJCRJC Revue de jurisprudence commercialeRevue de jurisprudence commerciale RJDARJDA Revue de jurisprudence du droit des affairesRevue de jurisprudence du droit des affaires RTD Civ.RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civilRevue trimestrielle de droit civil RTD Com.RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercialRevue trimestrielle de droit commercial RU-CIMRU-CIM Règles Uniformes concernant le contrat de transport internationalRègles Uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des marchandisesferroviaire des marchandises SNPDSNPD Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisationConvention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer des Substances Nocivespour les dommages liés au transport par mer des Substances Nocives et Potentiellement Dangereuseset Potentiellement Dangereuses SupraSupra Ci-dessusCi-dessus Obs.Obs. ObservationsObservations V.V. VoirVoir 9
  • 10. INTRODUCTIONINTRODUCTION Le droit maritime, « droit des contradictions1 », peut être défini comme « l'ensemble des règles juridiques spécifiques directement applicables aux activités que la mer détermine2 ». « Il incarne un système normatif conçu pour répondre à des questions dont la spécificité provient de l’hétérogénéité du volume sur et dans lequel il a vocation à s’appliquer. Cette matière originale et indépendante est gouvernée par un corpus juridique et des institutions particulières, relevant d’un invincible non-conformisme justifié par les conditions qui président à sa mise en œuvre et tout particulièrement par les risques qui y sont attachés3 ». Un particularisme « inéluctable4 » caractérise donc le droit maritime, un particularisme qui s'explique incontestablement par la théorie des risques de la mer5 , quoique que le risque de mer ne s’impose plus aujourd’hui avec la même autorité6 . Certes, ce particularisme ne doit pas être poussé à l'excès et nous conduire à admettre l'autonomie du droit maritime et à le considérer comme un droit « auto-institué et qui s’autorégelemente, s’autoalimente7 ». Au contraire, le droit maritime, nonobstant l'originalité de ses règles, reste soumis aux principes généraux du droit commun, et en particulier à la théorie générale des contrats et des obligations8 . Il doit être considéré comme une branche de droit simplement spécifique, singulière, qui dépendrait pour l’essentiel d’un droit 1 Y. Tassel, « Le droit maritime- un anachronisme ? », ADMO 1997, p. 157 et Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime», Neptunus International, vol. 6.2, Nantes 2000, http://www.droit- univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm, p.1. 2 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 1, no 1. V. pour une définition identique, Y. Tassel, op. cit., p. 143-144 : « il s'agit des règles relatives notamment aux choses aptes à se trouver en mer, aux activités liées à la mer, aux événements se produisant en mer, aux hommes qui vont a la mer et enfin aux espaces marin... Bref, le droit maritime est l'ensemble des règles de droit dont l'hypothèse contient le mot navire ou le mot mer et leurs dérives ». 3 A. Montas, « Le rapport du droit maritime au droit commun, entre simple particularisme et véritable autonomie », DMF 2008, p. 307. 4 M. Rémond Gouilloud, Droit maritime, Pedone, 2ème éd, 1993, p. 6. 5 Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l'aube du XXIème siècle », in Études offertes à Pierre Catala, Le droit prive français à la fin du XXème siècle, Litec, 2001, p. 930 : « Il est certain que le particularisme du droit maritime français, qui fait sa force et son intérêt, ne se justifie plus de nos jours par référence à l’idée de fortune de mer. La raison d’être de son originalité tient dans les risques de la mer » ; A. Montas, op. cit., p. 307-315 : « Le droit maritime est en effet ordonné autour de la notion de risque maritime ». 6 Ph. Delebecque, op. cit., p. 930 : « Ce fondement se trouve ébranlé par les changements récents qui font que les transports sont plus surs, que les expertises plus fidèles et que les préoccupations premières des chargeurs ne se fixent plus sur les pertes ou les avaries mais plutôt sur les retards » ; V. aussi, P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 7, p. 8. 7 J.-P Chazal, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », Liber amicorum Jean Calais-Auloy - Études de droit de la consommation, Dalloz, Paris 2004, p. 289. 8 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, numéro spécial en l'honneur de Antoine Vialard, no 1 : « la dialectique du droit commun- droit maritime est éternelle et que les apports du droit maritime au droit privée sont réels et sans cesse renouvelées ». 10
  • 11. commun supérieur, auquel il serait rattaché9 , si bien que ce dernier s'applique subsidiairement, en l’absence de disposition maritimiste dérogatoire10 . « Spécificité n’est donc pas autonomie11 ». Il demeure que certaines institutions du droit maritime (ainsi les avaries communes, la faute nautique, la règle no cure no pay, la canalisation de responsabilité) sont imprégnées d'une originalité en tant qu'elles ne se retrouvent en principe dans le droit commun, chose qui constitue la meilleure preuve que le droit maritime ne se soumet pas au droit civil. De ces institutions particulières au droit maritime12 , l'exemple le plus considérable, mais parfois décrié13 , est celui de la limitation de responsabilité dont, de tout temps, a bénéficié et bénéficie aujourd'hui encore, l'entrepreneur maritime, l'armateur. L'institution de la limitation de responsabilité de l'armateur située au cœur du droit maritime, pièce maitresse du droit maritime, a, étant inconnue au droit romain, apparu au XIe siècle en Italie dans les tables d' Amalfi. Grâce au contrat de commande chaque participant pouvait limiter sa responsabilité dans l'expédition maritime à l'étendue des fonds qu'il a engagés14 . Inscrit en Espagne dans le Code de Valence et dans le Consulato del Mare de Barcelone au XIVe siècle, ce principe est accepté du sud au nord de l'Europe15 . Grotius dans son jure belli ac pacis16 a formulé pour la première fois le principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire17 . Pilier du droit de la responsabilité civile de l'armateur, « pierre angulaire »18 ou « clef de voute »19 du droit maritime, l'institution de la limitation est l'une des plus fondamentales et de plus originales du droit maritime. En effet, s'il est un objectif que l'on assigne à tout système de responsabilité civile quel qu'il soit, c'est celui de réparation. La fonction de réparation constitue, en 9 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 6, p. 8 : « Il ne pourrait en être autrement, et les règles du droit commun être alors écartées, que si ces règles heurtaient par trop la logique même de l’institution maritime en cause ». 10 A. Vialard, Droit maritime, PUF Droit fondamental, 1997, no 12, p. 24.Y. Tassel, préc., p. 1, http://www.droit- univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm. 11 Y. Tassel, op.cit., p. 2, http://www.droit-univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm. 12 R.Rodière et E. Du Pontavice , Droit maritime, Dalloz, 12ème éd., n0 139, p. 116. 13 En effet, cette institution a fait l'objet d'une critique fondamentale, dans les années 1960-1970, critique émanant des pays en voie de développement qui défendaient les intérêts des chargeurs. Néanmoins, ces mêmes pays, après s'être engagés dans un effort considérable de développer leur flotte maritime, se montrent de non jours moins favorables à l'institution de la limitation de responsabilité. 14 Ce que l'on appelle l'époque associative du droit maritime située au Moyen Age, quand plusieurs personnes participaient à l'aventure maritime et en partageaient les risques. (Massimiliano Rimaboschi, L'unification du droit maritime, contribution à la construction d'un ordre juridique maritime, préf. P. Bonassies, Thèse, Aix en Provence, 2006, p. 163 et s. et p. 267 et s.). 15 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, préc., p. 58. 16 L. Delwaid, « Considérations sur le caractère réel de la responsabilité du propriétaire de navire », Liber Amicorum Roger Roland, p. 157. 17 Grotius était d'avis que les armateurs, à savoir ceux qui touchent le fret du navire, étaient tenus vis-à-vis des affréteurs des (quasi-) délits ou des contrats de prêts à la grosse ou d'autres contrats passés dans l'intérêt du navire si les cocontractants avaient agi de bonne foi, mais cela uniquement dans la mesure de leur apport dans l'armement. Pour ce qui concernait les actes délictuels commis par le capitaine en dehors de ses fonctions les armateurs n'étaient pas tenus, sauf s'ils en avaient bénéficié, ou ils avaient donne instruction ou contribué à commettre le (quasi-) délit. 18 A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 125. 19 G. Ripert, Traite de droit maritime, Lib. Rousseau, Paris, 4ème éd., 1952, t. II, n0 1228 et s. 11
  • 12. effet, l'essence même de la responsabilité civile20 . En droit terrestre, tout entrepreneur est responsable, d'une manière illimitée - sauf le cas d’un aménagement contractuel de sa responsabilité - des dommages causés par l'exploitation de son entreprise, que sa responsabilité soit née d'un contrat, de sa faute, de la faute de l'un quelconque de ses préposés, ou de telle ou telle source extracontractuelle. À l'exact opposé, en droit maritime, l'armateur est, échappant au principe du droit commun de réparation intégrale des préjudices, autorisé de limiter sa responsabilité21 dans la mesure où certaines conditions sont remplies22 . La limitation, quoique contraire aux principes généraux du droit de la responsabilité, constitue une protection indispensable au maintien de l'activité des armements23 . Cette limitation s'est d'abord exprimée en droit classique (par l'Ordonnance de la Marine de 186124 et par le Code de commerce25 ) d'une manière brutale, par l'abandon du navire aux victimes, alors même que ce navire gisait au fond de l'océan. Aujourd'hui, elle subsiste, grâce à l'évolution du droit anglais qui s'est tourné vers un système moins élémentaire de limitation, sous une forme plus nuancée, celle de la limitation en valeur, la quelle se réalise par la constitution d'un fonds proportionnel au tonnage du navire fonds attribuée aux victimes26 . Ce système s'est propagé du reste à l'ensemble des pays maritimes. L'évolution du droit maritime pour ce qui concerne l'institution de la limitation de responsabilité s'est effectuée en deux étapes. La première étape s'est concrétisée par l'élaboration de la Convention de Bruxelles de 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, signée le 10 octobre 1957 , texte adoptant le système britannique de la constitution d'un fonds de limitation et prenant le relais de la Convention de 1924 qui laissait le choix de l'armateur entre l'abandon du navire et la limitation en valeur, consacrant ainsi le système d'option système qui ne pouvait certainement pas aboutir à l'harmonisation des droits nationaux (bâtard ce 20 K. Le Couviour, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse, Aix en Provence, préf. A. Vialard, PUF 2007, n° 349, p.149. 21 L'idée de la limitation de réparation, se retrouve dans d'autres domaines de droit, tel celui du droit des transports. Il reste que dans cette dernière hypothèse la limitation ne concerne que la responsabilité contractuelle et non pas la responsabilité délictuelle à l'endroit des tiers étrangers aux relations contractuelles. 22 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? », Annales IMTM, 1985, p. 147 ; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales maritimes », Annales IMTM, 1996, p. 51 et s. 23 R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n0 140, p. 118 : il reste que la limitation de responsabilité présente l'inconvénient que toutes les victimes ne sont pas des armateurs ou des expéditeurs professionnels assurés contre la perte ; parmi les victimes il peut y avoir des personnes qui ne sont pas assurés, comme les passagers. 24 Livre II, titre 8, article 2 : « les propriétaires de navires sont responsables des fais du maistre, mais ils en demeureront déchargés, en abandonnant leur bâtiment et le fret ». 25 Article 216 du Code de commerce, modifié en 1841: « Tout propriétaire de navire est civilement responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La responsabilité cesse par l'abandon du navire et du fret ». 26 L. Delwaid, op. cit., p. 107 et s. 12
  • 13. compromis était voué à l'échec27 ) mais qui a constitué du moins la première mise en cause de l'idée de l'abandon en nature. La deuxième étape a été franchie par le truchement de la mise sur les rails de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière des créances maritimes texte adopté sous les auspices de l'OMCI. Ce nouveau texte a aménagé considérablement le régime de la limitation de responsabilité : il a augmenté les plafonds de limitation, il a élargi le domaine de la limitation, celui-ci concernant, comme l'indique l'intitulé de la Convention la responsabilité en matière de créances maritimes et ne limitant plus au propriétaires de navires de mer. En d'autres termes, la limitation ne s'applique plus à l'armateur mais à des créances28 . Cette dernière modification a pour effet que l'on ne puisse plus rattacher l’institution à la théorie du patrimoine de mer, ou de la fortune de mer29 , théorie qui exprime l'idée que le propriétaire du navire, mettant en jeu le bien qu'il a affecté à l'expédition maritime, doit se voir attribuer le bénéfice de la limitation de responsabilité30 . Les fondements de la limitation31 doivent d'ores et déjà être recherchés plutôt dans les notions des risques de la mer32 , du caractère d'intérêt général des activités maritimes33 , de l'idée de réciprocité (à savoir la solidarité des gens de mer)34 , voire dans l'assurabilité des risques (si les plafonds de limitation s'élèvent, les assurances ne pourraient plus les supporter)35 . 27 M. Rémond Gouilloud, op.cit., n0 308, p. 172. 28 Ce principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire subsiste avec des aménagements en matière de pollution par les hydrocarbures dans la mesure ou la prise en charge des dommages non réparés par le propriétaire de navire est le fait d'un fonds international d'indemnisation alimenté par les versements dus par les importateurs. 29 Caractérisée par le professeur Pierre Lureau déjà en 1973 comme un argument « faiblard » (P. Lureau, « Le fondement et évolution historique de la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. L'opposition de l'administration », DMF 1973, p. 705). 30 M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 309, p. 172 ; I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403. 31 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », J-Cl. Transport, Fasc. 1110, 2007, no 3 à 12. 32 Y. Tassel, Mer, navire, capitaine : une vue intégrée, in Études offertes à Philippe-Jean Hesse, Du droit du travail aux droits de l'humanité, Presses Universitaires de Rennes, coll. « l'univers des normes », 2003, p. 211 : « la mer est par sa nature un espace dangereux ; elle est absolument contraire à la nature physique de l'être humain . Il est compréhensible que de nombreuses institutions juridiques aient pour raison d'être de prévenir les dangers de la mer et, si par infortune ils se réalisent, de mitiger les conséquences qui en résultent ». K. Le Couviour, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse, Aix en Provence, préf. A. Vialard, PUF, 2007, n° 363, p. 153 : « lorsque dans le brouillard le marin risque de se perdre, le conducteur d'un train n'a qu'a suivre le rail qui le conduira à sa destination » ; M. Rémond Gouilloud, op.cit., p. 6. V. aussi, Ph. Delebecque, op. cit., p. 938 : « Mais l'institution de la limitation doit être défendue, car le commerce maritime reste une activité périlleuse et surtout indispensable à l'intérêt général, ce qui explique que ceux qui y participent bénéficient de compensations » ; A. Montas, op. cit., p. 308. 33 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 5, p. 6. 34 K. Le Couviour, op.cit., n° 360, p.152 : « la victime d'un dommage survenu en mer consentirait à une réparation amputée avec l'espoir de bénéficier de ce même privilège ». 35 I. Corbier, La notion juridique d’armateur, préc., p. 80 et A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 126 ; Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659 : le texte est issu d’une communication faite lors de la 4ème conférence internationale de droit maritime qui, organisée par le Barreau du Pirée du 6 au 9 juin 2001, avait pour thème « La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international », p. 355 et s., Sakkoulas, 2001 et « 13
  • 14. Toutefois, la modification la plus importante que l'application de la Convention de Londres implique est celle de la substitution de la périphrase de l'article 4 (reprise par l'article 58 de la loi de 1967), en tant que cause de déchéance du droit à limitation, à la faute simple. Contrairement à la Convention de 1957, la limitation ne sera plus exclue dorénavant que lorsqu'il est démontré que le candidat à la limitation a causé le dommage « soit par son fait ou son omission personnels commis avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». En effet, la faculté de limitation de responsabilité accordée à l'armateur n'est pas absolue et disparaît en cas de faute personnelle de celui-ci, la gravité de la faute occasionnant la déchéance du droit à limitation ayant variée avec l'évolution des textes. Ainsi dans le droit applicable en France jusqu'au 30 novembre 1986, l'armateur s'il n'avait pas commis de faute personnelle pouvait limiter sa responsabilité à un plafond proportionnel au tonnage du navire. Dans le droit applicable depuis le 1er décembre 1986 (date d'entrée en vigueur de la Convention de Londres ainsi que de la loi du 21 décembre 1984 adaptant les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 à la nouvelle Convention), l'armateur conserve cette faculté même en cas de faute, la limitation n'étant exclue qu'en cas de faute très grave, soit une faute intentionnelle (bien improbable) soit une faute commise témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement, faute que la doctrine unanime et la jurisprudence traduisent comme faute inexcusable et la situent, côté gravite , entre la faute lourde et la faute intentionnelle. Le choix des rédacteurs ne saurait pas surprendre. La même formule avait déjà été introduite dans un premier temps dans le Protocole de la Haye du 28 septembre 1955 modifiant la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international et dans un deuxième temps dans les textes régissant le contrat de transport maritime tant de marchandises (Protocole du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles du 25 aout 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, Règles d'Hambourg de 1978) que de passagers (Convention d'Athènes). Le concept d'une faute particulièrement grave (correspondant ici à la notion française de faute inexcusable) en tant que cause de déchéance d'un entrepreneur était connu même avant l'adoption de la Convention de Londres36 . La spécificité du droit maritime », préc. : l’assurance ne peut exister sans limitation de responsabilité, ne serait- ce que parce que la prime à payer par l’assuré est déterminée en fonction du risque couru par l’assureur ; D. Christodoulou, « L'impact du Code ISM sur le principe de la limitation de responsabilité et en particulier sur les conditions pour une indemnisation complète du dommage éprouvé », Quatrième conférence du droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international. Ce fondement a été quand même contesté par le Professeur Pierre Bonassies (P. Bonassies « Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité », DMF 1993, p. 103). 36 En 1985, le concept de la faute inexcusable a été utilisé dans un autre domaine : le législateur, et non plus le législateur international a recours à cette notion pour supprimer le droit à réparation d'un accident de circulation. 14
  • 15. Dans ces conditions, le problème de la méthode d’appréciation de la faute inexcusable devait rapidement se poser. Selon une première approche, la faute inexcusable devait être appréciée subjectivement, in concreto, en recherchant toujours les données psychologiques concrètes qui animaient le défendeur particulier. Dans une seconde conception, elle devait être appréciée objectivement, in abstracto, par référence aux données psychologiques que l’on doit normalement trouver chez un défendeur quelconque. Pencher pour une appréciation subjective, c’était admettre une équivalence des notions de dol et de faute inexcusable et limiter grandement les cas où l’on pourrait considérer que la conduite du défendeur supprimait l’application de la limitation. Accepter une appréciation objective, c’était réduire l’équivalence aux effets de la faute lourde et autoriser plus largement l’inapplication de la limitation. Le critère de la conscience du dommage demeure donc discuté et non unifié et rend difficile tout essai de prévision de la solution du litige. La formulation précise des textes internationaux ouvre indubitablement la porte à une interprétation concrète. En effet, les rédacteurs du texte de 1976, suivis par le législateur national, pensaient que, par la modification de la cause apportant déchéance de l'armateur de la limitation de sa responsabilité, de rende le droit à limitation incontournable (unbreakable, selon l'expression utilisée par les juristes anglais). « Leur espoir a été fortement déçu, en tout cas devant les juridictions françaises 37 ». En effet, aux antipodes de la volonté des rédacteurs de la Convention de Londres on retrouve l’interprétation judiciaire française du concept de faute inexcusable qui « constitue un océan d’originalité dans une jurisprudence internationale massivement contraire, compte tenu que cette dernière considère que la phrase témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement doit être envisagée comme ayant une signification subjective38 ». La jurisprudence française, opérant un rapprochement avec sa vieille jurisprudence en droit du travail et refusant de « plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », se tourne vers une interprétation large39 de la faute inexcusable, qui a pour contrecoup que la déchéance de la limitation de responsabilité devienne la règle et la limitation de responsabilité devienne l'exception, écartant de ce fait l'adage selon lequel en droit maritime, « le droit commun c’est la limitation et non la responsabilité pleine et entière40 ». Cette tendance peut paraître sévère mais elle était 37 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 283. 38 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation », DMF 2002, p. 579. 39 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. - « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403 : « la faute inexcusable est devenue une simple variété de faute lourde ». 40 G. de Monteynard, « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation, Doc.. Française, 2002, p. 247. 15
  • 16. prévisible. Les tribunaux dans la recherche de la faute personnelle dans la Convention de 1957 étaient aussi rigoureux. C'est donc autour de cette évolution de la notion de faute inexcusable de l’armateur expression qui « associe aujourd’hui un concept fondamental du droit maritime et une notion inventée par le législateur en matière des accidents du travail pour priver l’employeur qui a commis une faute d’une exceptionnelle gravité de la possibilité de se prévaloir d’atténuations ou d’exonérations de responsabilité41 » que notre étude sera axée. Cette jurisprudence française à contre-courant international est-elle tenable ? Quels sont ses retentissements sur l'institution de la limitation, institution particulière du droit maritime, ainsi que sur le principe de réparation totale du préjudice subi (restitutio in integrum), principe cardinal du droit commun42 ? Quelles sont ses incidences sur les droits des armateurs auteurs de faute inexcusable et en définitive sur les droits des victimes de faute inexcusable ? Est-ce que cette conception de la faute inexcusable demeurera intangible ou une nouvelle réorientation dans l’approche du problème amorcera si bien que la limitation de responsabilité deviendrait véritablement ce droit incassable, appelé de leurs vœux par les rédacteurs des conventions internationales ? L'intérêt aussi bien théorique que pratique de cette problématique dégagée ci-dessus, qui peut se résumer dans la phrase suivante « la limitation de responsabilité de l'armateur face à la faute inexcusable43 », peut aisément être confirmé, comme en témoigne le fait qu'il s'agit d'une question chère à certains des auteurs français les plus éminents. Nous nous bornerons ici à citer le Professeur Pierre Bonassies, le Professeur Antoine Vialard, le Professeur Philippe Delebecque, le Professeur Yves Tassel ou Mme Isabelle Corbier qui avec leurs développements ont donné des éclaircissements inappréciables sur cette question obscure et complexe, apportant ainsi leur pierre d'édifice à l'évolution de l'institution de la limitation de responsabilité armateur dans le droit maritime aussi bien français qu'international. La jurisprudence est par ailleurs particulièrement pléthorique. Mais ce qui rend notre sujet captivant est l'histoire même de l'institution de la limitation de responsabilité et les réserves qui s'expriment à son endroit, notamment par le biais de l'invocation de la faute inexcusable. Des voies se sont élevées, au sein de la Communauté Européenne, pour que le déplafonnement de la 41 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. 42 P. Jourdain, Les principes de responsabilité civile, Dalloz, 7ème éd, 2007, p. 133 : « Le principe de la la réparation intégrale se déduit de l'objet même de la responsabilité civile qui est de rétablir autant que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation antérieure ». 43 Expression dont le père spirituel est le Professeur Pierre Bonassies. La première fois que cette expression a été utilisée, c'était au fil de la présentation par le Professeur éminent des exposés dédiés au Professeur Antoine Vialard à l'occasion de la journée organisée en son honneur (le 8 juin 2005) et que l'on peut retrouver dans le Droit Maritime Français 2005, no 663. 16
  • 17. limitation de la responsabilité de l'armateur soit envisagé et de ce fait le débat sur la légitimité de la limitation a été renforcé. La Commission Européenne en accord avec le Parlement envisagent d'instaurer au moyen du Troisième paquet de sécurité une directive relative à la responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de navires qui comportera entre autres des dispositions remarquables en ce qui concerne la notion de la faute privative de la limitation de la responsabilité . En effet les institutions européennes préconisent la conception française de la faute inexcusable qui devra, d'après elles, s'appliquer uniformément par les juridictions communautaires. C'est pour ça que la Commission demande en outre un mandat pour lancer un processus de révision de cette Convention à l’OMI, après consultations des partenaires concernés et une analyse économique du secteur, dans un but de promouvoir les idées de l'augmentation des plafonds de limitation de la convention de Londres afin de garantir de meilleures indemnisations et de la reforme de la notion de l'article 4 de la Convention de Londres. Parallèlement, la mise en œuvre du Code ISM dont l'objectif est de garantir et de promouvoir la sécurité en mer est susceptible de déteindre sur l'institution de la limitation de responsabilité et sur l'évaluation de l'attitude de l'armateur. En effet il concrétise les obligations dont l'entreprise d'armement est tenu. et il devient la référence et la mesure conforment auxquelles l'attitude de l'armateur sera appréciée. Et s'il est démontré que l'armateur a manqué aux obligations qui découlent des dispositions du Code ISM, sa défaillance sera dans la plupart des cas qualifiée de faute inexcusable et l'exclusion de la limitation plus fréquente. La preuve du caractère inexcusable de la faute sera facilitée. L'armateur, étant avisé de la question sécuritaire, aurait dû prévoir l’existence du dommage44 . Les rapports de la limitation de responsabilité avec la notion de faute privative du bénéfice de limitation et, depuis la mise en œuvre de la Convention de Londres, de la faute inexcusable, se situaient de tout temps au cœur du droit maritime français. Mais le débat qui se développe autour de cette controverse devient de plus en plus intense compte tenu qu'il manifeste l'antithèse entre la nécessité en droit maritime de la limitation de l'indemnisation et l'hostilité de la jurisprudence civile à l'égard de toute idée portant atteinte au droit à réparation intégrale de la victime45 . Par ailleurs, derrière cette antithèse on retrouve des conflits juridiques traditionnels ; l'interprétation de la faute inexcusable reflète en effet l’affrontement entre deux conceptions de la réparation. D’un côté le juge civiliste, soucieux d’assurer à la victime la réparation intégrale de son préjudice, équivalent pécuniaire de l’idéale « restitutio in integrum ». De l’autre côté les commercialistes, sachant 44 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc. 45 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com), colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007. 17
  • 18. qu’aucun investisseur n’accepte de s’engager sans limitation de sa responsabilité, la reconnaissent comme une pièce nécessaire de ce meccano d’engagements plafonnés que constitue le monde des affaires. Elle fait également écho du conflit entre le droit interne et le droit international46 . Nous allons donc passer au crible ces antithèses qui se relèvent chaque fois que le bénéfice de la limitation excipé par l'armateur heurte sur l'écueil de la faute inexcusable invoqué par la victime. À cet effet nous allons diviser notre étude en deux parties : dans la première partie nous allons scruter le régime de la faute inexcusable et nous allons nous pencher sur les fondements que ce « gallicisme » juridique47 , bien répandu dans l'ordre juridique français, a connu depuis sa naissance en 1898 à propos des accidents du travail. La deuxième partie de notre étude sera consacrée à « l'interprétation franco-française » de la notion de faute inexcusable par l'intermédiaire de l'examen de ses éléments constitutifs. Dans le cadre de cette deuxième partie nous allons également nous interroger sur les incidences de cette interprétation de la faute inexcusable sur l'institution de la limitation elle-même, sur ses aspects procéduraux et sur les droits des parties plaidantes. La notion d' armateur48 Il paraît opportun, avant d'aborder la question de la faute inexcusable face à la limitation de responsabilité, question qui se trouve au cœur de notre étude de s'expliquer sur la notion d'armateur, source des difficultés. Aux termes de l'article 1 de la loi du 3 janvier 1969, l'armateur peut être défini comme « celui qui exploite le navire en son nom, qu'il en soit ou non propriétaire ». Il résulte que l'armateur d'un navire n'est nécessairement pas son propriétaire. Mais l'article 2 de la même loi vient préciser que « Le propriétaire ou les copropriétaires du navire sont présumés en être l'armateur ». Cette présomption établie par l'article 2 n'est pas irréfragable et partant les pouvoirs et les responsabilités d'un armateur peuvent être transférés à un non propriétaire au quel cas c'est ce dernier qui revêtira la qualité de l'armateur du navire. Cette construction juridique du transfert de la qualité de l'armateur engendre le schéma suivant : armateur non propriétaire et propriétaire non 46 A. Vialard, op. cit., n° 22, p. 20 : « chaque fois que la notion est d'origine internationale et n'a pas d'équivalent, elle doit être considérée comme autonome». « Il n' y a pas de lecture française, anglaise, japonaise pour une convention internationale portant loi uniforme, une telle convention devant être interprétée en elle-même et par elle-même ». 47 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », Liber Amicorum Roger Roland, Brussel, 2003, p. 75 et s. 48 Fr. Coffano, L'identité de l'armateur, Aix en Provence, 2003. 18
  • 19. armateur d'un navire et peut avoir son origine dans diverses raisons49 . On en infère que la qualité de l'armateur est au premier abord conférée au propriétaire du navire, à moins que celui décide d'impartir les obligations et les responsabilités que cette notion implique à une autre personne. Dans cette logique, il importe par la suite de s'interroger s'il n'est pas possible de contempler qu'une partie seulement des pouvoirs et de responsabilités de l'armateur soit transférée à un non propriétaire, situation qui induit l'éclatement de la qualité de l'armateur et qui nous conduit à admettre que deux personnes ont en même temps la qualité d'armateur. Pareille question peut surgir d'une part dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps (sans transfert de la qualité de l'armateur) et d'autre part dans l'hypothèse où la gestion technique du navire a, par un contrat, dit contrat de ship managements, été conférée à une société spécialisée qui agira pour le compte de l'armateur, en tant que mandataire et en cas de faute dans l'accomplissement de son mandat, sa responsabilité sera engagée à côté de celle de l'armateur du navire. Or, cette société ne peut nullement être qualifiée d'armateur. À la rigueur, lorsque elle assume non seulement la gestion technique d'un navire mais également sa gestion commerciale (à savoir la conclusion des contrats -transport, affrètement du voyage- d'utilisation du navire), sa responsabilité peut être assimilée à celle d'un armateur, sans néanmoins faire disparaître la responsabilité de ce dernier. En revanche, la situation est plus compliquée dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps où le fréteur conserve la gestion nautique du navire tandis que l'affréteur en exerce la gestion commerciale. Mme I. Corbier est arrivée à la conclusion que l’armateur étant celui qui exploite le navire en son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, il ne serait pas incongru d'accepter l'idée d'une dualité d'armateurs pour considérer que le fréteur à temps est l'armateur nautique et l'affréteur à temps l'armateur commercial du navire50 . À l’appui de cette thèse, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 octobre 1999, ''navire Fatima51 '' où a été jugé que « dans l’affrètement à temps, la qualité d’armateur, qui appartient à celui qui exploite le navire en son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, se trouve partagée entre le fréteur, qui conserve la gestion nautique de son navire, et l’affréteur, qui en a la gestion commerciale». Néanmoins cette décision demeure contestée par la doctrine. Le Professeur Philippe 49 Contrat de gérance, contrat de location-crédit bail, contrat d'affrètement coque nue, voire contrat d'affrètement à temps avec transfert de la qualité d'armateur – affrètement avec démise, time charter with demise, affrètement avec dévolution. 50 I. Corbier, « L'evolution de la notion d'armateur », préc., et La notion juridique d’armateur, préc., p. 105. V. aussi en même sens M. Rémond Gouilloud, op. cit., no 231 : « Souvent même le navire est exploité par deux armateurs dont l’action se superpose : ainsi en cas d’affrètement à temps, le propriétaire du navire, qui tire profit de son navire en le frétant, en est bien l’armateur ; et l’affréteur à temps, qui, à son tour, exploite le navire en concluant contrats de transport et affrètements au voyage, l’est également. Pour dissiper la confusion, ce dernier est souvent, en pratique, qualifié d’armateur-affréteur par opposition à l’armateur-propriétaire ». 51 Cass. Com., 26 oct. 1999 : Juris-Data n° 1999-003672 ; DMF 2000, p. 106, rapp. J.-P. Rémery, obs. I. Corbier ; DMF HS n° 5, mai 2001, n° 23, obs. P. Bonassies ; V. dans le même sens CA Aix-en-Provence, 25 févr. 1979, ''navire Ann Bewa'' , DMF 1980, p. 181. 19
  • 20. Delebecque s’est opposé à qualifier cette décision d’arrêt de principe52 , se prononçant pour une définition unitaire de la qualité d’armateur. Reconnaissant la qualité d’armateur dans l’affrètement à temps au seul fréteur, le Professeur Philippe Delebecque a précisé que le terme « armateur » n’était pas un terme générique. Parallèlement, le Professeur Pierre Bonassies critiquant la solution retenue par la Cour suprême, met en évidence que cet arrêt confond le régime contractuel et régime légal. La notion d’armateur, avec toutes les conséquences de droit qui lui sont attachées, notamment aujourd’hui en matière de sécurité de la navigation, est une notion légale pendant que la notion d’affrètement à temps est une notion contractuelle, notion dont ce sont d'abord les dispositions du contrat d’affrètement qui définissent le contenu. Et le professeur éminent ajoute que « l’analyse de la Cour de cassation est sans doute contraire aux intentions du législateur. Car on peut penser que le Doyen Rodière, s’il avait voulu que la distinction entre gestion nautique et gestion commerciale informât la notion d’armateur, n’aurait pas manqué de le dire dans la loi du 3 janvier 1969, ou dans le décret du 19 juin 1969 53 ». En fin cette conception éclatée de l'armateur est critiquable pour une raison primordiale : elle se concilie difficilement avec l'objectif majeur du droit maritime contemporain qui est la sécurité maritime. Les exigences de la sécurité de la navigation maritime édictent que, à l'instar du capitaine qui demeure toujours responsable de la sécurité du navire, « la concentration des responsabilités doit pareillement exister quant à l'entreprise responsable à l'égard des tiers des faits du capitaine en tant que capitaine54 ». Par ailleurs, le Code ISM définissant la compagnie, à savoir l'armateur, comme « le propriétaire, ou autre personne ou organisme auquel le propriétaire a confié la responsabilité de l'exploitation du navire » paraît bien exclure la possibilités qu'un navire ait plusieurs armateurs. Ce dernier argument apportant la pleine conviction, le terme armateur à chaque fois qu'il est employé tout au fil de cette étude, il renvoie à la personne qui détient la gestion nautique du navire, la gestion commerciale ne jouant aucun rôle décisif à l'attribution de la qualité de l'armateur55 . 52 Cet arrêt se portait sur le problème de savoir ce qu'il fallait entendre par le terme anglais « owner ». 53 V. Hors série, Le droit maritime français en l'an 2000, n° 23, obs. P. Bonassies. 54 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 185. 55 Cette distinction n'a tout de même d'intérêt pratique pour ce qui du bénéfice de la limitation de responsabilité entendu qu'il est conféré tant au fréteur à temps qu'à l’affréteur à temps, ce dernier ne pouvant néanmoins l'invoquer à l'égard du fréteur à temps pour des dommages causés au navire, le bénéfice étant reconnu seulement pour les dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation de celui-ci et non pas pour les dommages provoqués au navire. 20
  • 21. 21
  • 22. PREMIERE PARTIE : LEPREMIERE PARTIE : LE REGIME DE LA FAUTEREGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLEINEXCUSABLE La faute inexcusable a pénétré dans le régime de responsabilité civile de l'armateur dans les années 70 et depuis lors est devenue le point de référence de l'institution de la limitation de responsabilité des acteurs maritimes. Cependant, quand la faute inexcusable a été adoptée par les conventions internationales régissant la responsabilité civile du propriétaire de navire, elle n'était pas une notion inconnue dans l'ordre juridique et dans la jurisprudence français. Tout au contraire, la faute inexcusable avait déjà marqué par ses applications et ses interprétations nombreuses, bien que divergentes, différents domaines du droit. D'ailleurs l'idée d'une faute exceptionnellement grave, privative pour son auteur, de la possibilité de se prévaloir des atténuations ou exonérations de responsabilité n'était pas nouvelle. Aussi avant de nous attacher au rôle et aux fondements de la faute inexcusable au sujet de la limitation de responsabilité de l'armateur (Chapitre 2), il convient de s'interroger sur ses applications, sa place et en définitive sur sa valeur normative en droit français (Chapitre 1)1 . 1 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur », préc., p. 52-69. 22
  • 23. CHAPITRE 1 : L'APPARITION DE LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES APLLICATIONS2 La qualification de faute inexcusable n'a pas d'intérêt particulier en droit commun où les situations qu'elle peut recouvrir relèvent de la notion de faute lourde. C'est une qualification propre à certains régimes spéciaux de responsabilité. La faute inexcusable est donc prise en considération par le droit français dans trois domaines : dans les accidents du travail, dans les accidents de la circulation automobile et dans le droit de transports3 (et par extension dans le régime de responsabilité civile de l'armateur). Ce premier chapitre de notre étude fera dès lors l'objet d'un examen des applications de la faute inexcusable en droit français. Aussi, allons-nous dans un premier temps examiner comment la faute inexcusable a pénétré dans l'ordre juridique français par l'entremise du droit des accidents du travail ainsi que sa nouvelle application en matière d'accidents de la circulation (Section 1). Ensuite, nous allons scruter la question de l'introduction de celle-ci dans le droit de transports, en tant que cause de déchéance du transporteur de son droit de limiter sa responsabilité, qui s'est concrétisée par son établissement dans les textes internationaux et nationaux régissant le contrat de transport (Section 2). 2 J. Gestin et Y-M. Serinet « Erreur », Rep. civ. Dalloz, 2006, n0 292 et s. ; Ph. Conte, « Responsabilité civile, Responsabilité du fait personnel », Rep. civ. Dalloz, 2000. 3 C. Larroumet, Les Obligations : Le Contrat, Économica, 6e éd, 2006, p. 675, no 624 ; G. Viney et P.Jourdain, Traité de droit civil. Les conditions de responsabilité : LGDJ, 3e éd., 2006, p. 644, no 613 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3e éd., 2003, no 58, p. 35. 23
  • 24. Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit des accidents du travail (loi du 9 avril 1898) et son application aux accidents de circulation (loi du 5 juillet 1985) La notion de faute inexcusable n'est donc pas nouvelle en droit français. Elle apparaît en effet pour la première fois en droit français avec la loi de 1898 sur la réparation des accidents du travail (§ 1). Par ailleurs, le droit des transports ne revendique pas l'exclusivité de l'application de la notion de faute inexcusable. En sus du domaine des transports, la faute inexcusable a empreint non seulement le droit des accidents du travail mais également le droit des accidents de circulation par l'intermédiaire de la loi du 5 juillet 1985 (§ 2). On notera donc que le champ d'application de la notion de faute inexcusable s'amplifie progressivement ; elle est de nos jours une notion profondément inscrite dans l'ordre juridique français. § 1) Faute inexcusable et droit des accidents du travail La première application de la notion de faute inexcusable a concerné le droit des accidents du travail où la loi du 8 avril 1898 (dont les dispositions ont été insérées dans le Code de Sécurité Sociale - art. L. 452-1 et s.-) énonçait que la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'ils se sont substitués à ce dernier dans la direction de l'entreprise, donne à la victime de l'accident du travail ou d'une maladie professionnelle le droit de recevoir des prestations plus élevées que celles auxquelles peuvent prétendre ordinairement les assurés sociaux4 . Parallèlement la faute inexcusable de la victime peut, selon l'article L. 453-1, alin. 2 du CSS, motiver une réduction de la rente d'accident du travail. Au demeurant, dans le domaine des accidents de travail et des maladies professionnelles ni 4 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 634, no 608-1 ; P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime : LGDJ, 2006, p. 430, no 430 : « Les avantages sont de deux ordres : d' abord, elle reçoit une rente majorée qui est payée à la caisse, laquelle récupère le montant de la majoration par l'imposition d'une cotisation supplémentaire à l'employeur. Ensuite, la victime peut obtenir, en agissant devant la juridiction de la Sécurité sociale, la réparation intégrale des dommages subis du fait de l'accident ainsi que la perte des possibilités de promotion professionnelle et en cas d'incapacité permanente de 100 %, de la perte de gains dans la limite du salaire minimum légal au jour de la consolidation ; par ailleurs, en cas de mort de la victime ses proches peuvent obtenir réparation de leur préjudice d'affection, et c'est ici encore, la caisse qui verse l'indemnisation et en récupéré le montant sur l'employeur ». 24
  • 25. la loi du 9 avril 1898, ni les textes postérieurs n'ont pris soin de définir les éléments et le critère de la faute inexcusable. Il est donc revenu aux tribunaux de définir cette nouvelle notion. Deux orientations étaient dès le début concevables : soit la définir, en mettant l'accent sur l'aspect subjectif et partant la rapprochant de la faute intentionnelle, soit mettre l'accent sur l'élément de gravité objective, ce qui devait conduire à mordre davantage sur le domaine de la faute lourde. Entre ces deux tendances, les tribunaux ont tenté de trouver une solution modérée. C'est ainsi que les chambres réunies de la Cour de cassation se sont amenées à se prononcer le 15 juillet 19415 en adoptant une définition à la fois complexe et nuancée6 . La définition composée de cinq éléments rend compte de l’équilibre trouvé par les magistrats de la Cour suprême entre les composantes objectives et subjectives de l’analyse : le « caractère volontaire » de l’acte ou de l’omission dommageable, la « conscience du danger que devait en avoir son auteur » illustrent les éléments subjectifs ; l’aspect objectif résulte de l’exigence de la « gravité exceptionnelle » ainsi que de « l’absence de causes justificatives »7 . Et cette formule a remporté un succès remarquable puisqu'elle a été ensuite répétée dans d'innombrables arrêts et que, quarante ans plus tard, en 19808 , l'Assemblée plénière l'a reprise presque intégralement. Cette longévité est évidement le fruit du soin avec lequel les magistrats de la Cour de cassation ont essayé d'équilibrer les éléments subjectifs (« caractère volontaire de l'acte ou de l'omission », « la conscience du danger que devait en avoir le son auteur » et objectifs (« gravite exceptionnelle » et « absence de causes justificatives ») afin de situer la faute inexcusable entre la faute intentionnelle et la faute lourde9 ». Cette définition s’appliquait indifféremment à la faute inexcusable de l’employeur ou à celle du salarié10 . Néanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement mais constamment atténué l'aspect subjectif de la faute inexcusable, qu'elle a, de fait, sensiblement rapproché de la faute lourde. La faute inexcusable est devenue dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles une simple variante de la faute lourde. Et cette tendance de la Cour de cassation a été réaffirmée par sa jurisprudence contemporaine dans l'affaire de l'amiante11 . 5 Ch. Réunies, 15 juillet 1941, D. 1941, p. 117 ; Gaz. Pal., 1941, p. 254. 6 « La faute inexcusable s’entend de « la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificatrice et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ». 7 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; J-M Hostache, La faute inexcusable, Aix en Provence, 2001. 8 Ass. Plén., 18 juillet 1980, Bull. Plén., n°5 : « la faute inexcusable prévue par l’article L 468 du Code de la sécurité sociale est une faute d’une exceptionnelle gravité, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience que devait avoir son auteur du danger qui pouvait en résulter et de l’absence de toute cause justificatrice». 9 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 645, no 615. 10 I. Corbier , «La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc., p. 103 et s. 11 Arrêts rendus dans des affaires relatives à des demandes d’indemnisation consécutives à des maladies 25
  • 26. Désormais, l’employeur commet une faute inexcusable en cas de manquement à son obligation de sécurité de résultat12 à l’égard du salarié lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Désormais, toute violation consciente par l’employeur de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur lui, en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles, constitue une faute inexcusable13 . La Cour de cassation a donc considérablement atténué ses exigences par rapport à la démonstration de la faute inexcusable de l'employeur, en vue de favoriser la réparation intégrale des dommages subis par les victimes. Il suffit dorénavant que la faute de l'employeur ait été une cause nécessaire de l'accident. Il en résulte que la Cour de cassation instaure une sorte de présomption de faute inexcusable en cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle qui débouche sur une réparation qui se rapproche en pratique d'une réparation de droit commun14 . On en infère l'absence de la condition de gravité exceptionnelle de la faute de même que l'appréciation in abstracto seulement de l'élément de la conscience du danger. Par voie de conséquence, la Chambre sociale de la Cour de cassation exprime sa volonté pour un élargissement sensible de la notion de faute inexcusable en matière d' accidents du travail15 . La nouvelle définition de la faute inexcusable de l’employeur ne peut pas être transposée à la faute inexcusable du salarié puisqu’elle tendrait à priver d’indemnisation tout salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle16 . Aussi la Cour de cassation s'est attachée à restreindre les possibilités de réduction ou d'exclusion de l'indemnisation complémentaire du salarié victime d'une faute inexcusable de l'employeur. D'après cette jurisprudence seule la « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience »17 peut revêtir le caractère de la faut inexcusable18 . professionnelles dues à la contamination de salariés par l’amiante : Cass. Soc. 28 fév. 2002, Bull. V, n° 81 (7 arrêts). 12 C'est nous qui soulignons. 13 « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du CSS, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p. 297. 14 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com), colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007. 15 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 648, no 616-1. 16 C. Larroumet, op. cit., p. 675, no 624. 17 Cass. Civ. 2e, 27 janvier 2004, Bull. II, n°25. 18 G. Viney et P. Jourdain estiment quand même illogique l'attitude de la Cour de cassation qui donne à une faute identiquement qualifiée par les textes un contenu si différent selon qu'elle se rapporte au comportement de la victime ou de l'auteur de dommage et ils proposent que le législateur arrête de persister à recourir à un même 26
  • 27. « Ainsi s'agissant de la faute du salarié, la Cour de cassation ne se réfère plus au manquement à une obligation de sécurité, obligation qui importe pourtant au salarié. Elle réintroduit l’exigence d’une faute d’une exceptionnelle gravité et reprend la référence au caractère volontaire de la faute. Cette définition étroite donne une autre place à la faute inexcusable du salarié dans la hiérarchie des fautes : au dessous de la faute intentionnelle, mais au dessus de la faute lourde, de gravité inférieure19 et elle a pour effet que la jurisprudence la retienne exceptionnellement20 . Elle reprend en effet à l’identique la définition de la faute inexcusable d’une autre victime, la victime non conductrice d’un accident de la circulation21 ». § 2) Faute inexcusable et accidents de circulation22 En cette matière, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ne donne pas non plus de définition de la faute inexcusable de la victime visée à l'article 3 alin.1er et dont l'effet consiste dans la suppression du droit de réparation de la victime pour vu que la faute inexcusable de celle-ci soit la cause exclusive de l'accident23 . De même qu'en matière des accidents du travail, sur le plan des accidents de circulation, c'est la Cour de cassation qui est intervenue afin de combler cette lacune législative. Aussi, la Deuxième chambre civile, par une série de onze arrêts du 20 juillet 198724 , a défini la faute inexcusable comme « la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience25 ». Cette dernière expression démontre que la Cour suprême s'attache à une appréciation in abstracto de la conscience du danger d'où la qualification objective de la faute inexcusable en droit des accidents de circulation, analogue de celle qui a été adoptée en droit des accidents de travail pour ce qui concerne la faute de concept quand les exigences de gravite sont pour le moins différente et de se contenter d'une faute lourde (ou simple) de l'employeur quand il s'agit de faire bénéficier la victime d'un complément d'indemnisation, tout en maintenant la notion de faute inexcusable quant à la pénalisation de la victime (G. Viney et P.Jourdain, op. cit., p. 652, no 616-2). 19 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p. 297. 20 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 650, no 616-2. 21 G. Viney et P. Jourdain, ibid. 22 S. Abravanel - Jolly, J-Cl Responsabilité civile et Assurances, RÉGIMES DIVERS. - Circulation routière . - Indemnisation, des victimes d'accidents de la circulation . - Droit à indemnisation, Fasc. 280-10 2004, no 69 et s. 23 Cette exception ne concerne pas les victimes qui ont moins de seize ans et plus de soixante dix ans ou celles qui sont titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'invalidité au moins égal à 80 %. 24 Cass. Civ 2ème , 20 juill. 1987, Bull. Civ. II; nos 160 et 161. 25 C'est nous qui soulignons. 27
  • 28. l'employeur26 . Or, la Cour de cassation a montré par les solution qu'elle a retenues postérieurement à l'arrêt de 1987 sa détermination de s'en tenir à une conception plus restrictive de la notion de faute inexcusable. C'est ainsi que l'Assemblée plénière, lorsqu'elle a été appelée à s'y prononcer, en raison de la résistance opposée à cette rigueur par certaines cours d'appel, affirme, dans un arrêt du 10 novembre 199527 , la position de ne pas affaiblir le caractère de gravité exceptionnelle de la faute inexcusable et de ne laisser aux juges du fond qu'une marge d'appréciation très étroite. En conclusion, nonobstant une définition très semblable à celle qui a été adoptée en matière d'accidents du travail, c'est plutôt une conception restrictive de la faute inexcusable que la jurisprudence ultérieure et récente a retenue dans le domaine des accidents de circulation. L'analyse de cette jurisprudence pousse à admettre que seule une faute d'une témérité active et d'une imprudence manifeste et exceptionnelle peut justifier sa qualification d'inexcusable. Et la chose s'explique par le fait qu'il s'agit ici de la faute de la victime et non de la faute de l'auteur. D'ailleurs elle a pour corollaire non simplement la réduction de l'indemnisation de la victime mais la suppression totale de son droit à réparation, conséquence ostensiblement plus grave que celle du droit des accidents de travail28 . Une interprétation plus stricte doit dès lors être mise en place29 . Une pluralité de conceptions et de qualifications caractérise la jurisprudence contemporaine française. « La notion de faute inexcusable recouvre des actes dont le comportement dommageable constitue le mobile lorsqu’elle se rapporte au comportement de la victime ; elle vise parallèlement des actes dont le dommage n’est qu’une conséquence accidentelle lorsqu’elle se rapporte au comportement de l’auteur du dommage. Néanmoins, le fait que cette faute, identiquement qualifiée, ait un contenu différent selon la personne en cause illustre les difficultés auxquelles se trouve confrontée la jurisprudence sociale pour accorder une meilleure indemnisation du salarié30 ». La faute inexcusable telle qu'elle a été présentée jusqu'à ce point de notre étude est une notion énoncée par les textes mais sans définition par ces derniers. Ce manque de précisions sur les éléments de la faute inexcusable de la part du législateur est en outre dans l'origine du défaut d' homogénéité qui règne dans la jurisprudence. Aussi bien, la faute inexcusable du droit des accidents du travail et de la circulation est-elle une notion propre au droit français, inspirée par le législateur 26 Lamy Assurances – 2008, PARTIE 2 - Assurances de dommages, no 2611, Faute inexcusable, cause exclusive de l'accident. 27 Ass. Plén., 10 nov. 1995, Bull. Civ., ass. Plén. no 6. 28 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. : « la jurisprudence préserve ainsi l’efficacité du système d’indemnisation automatique des victimes d’accidents de la circulation, mis en place par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation en décourageant les défendeurs – en pratique, les assureurs – de plaider systématiquement l’existence d’une telle faute ». 29 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 659, no 617. 30 I. Corbier, ibid. 28
  • 29. français. La faute exclusive du bénéfice de limitation que connaissent le droit aérien et le droit maritime, envisagée sous l'angle commercial, et non social, vient d'une autre « filière », que l'on peut appeler la filière internationale, étant donné qu'elle émane de conventions internationales auxquelles la France a adhéré, et qui ont entraîné, par contrecoup, une modification du droit interne31 . La doctrine a proposé et elle a adopté le concept de « faute inexcusable » pour traduire la périphrase complexe des conventions internationales et la tentation a été grande de transposer cette jurisprudence multidécennale du droit social, sans prêter grande attention à la formulation précise des textes internationaux qui ouvraient indubitablement la porte à une interprétation « concrète ». Il importe donc d'étudier si cette tentation a été vérifiée dans la pratique. Section 2 : La faute inexcusable en matière des transports, condamnation d'un comportement jugé fautif Le transporteur, quel que soit le mode de transport, qu'il s'agisse de transport de marchandises ou de passagers est, en principe, tenu d'une obligation de résultat. La loi française, comme les conventions internationales que la France a ratifiées, consacrent une responsabilité "de plein droit", "objective", du transporteur, ce dernier voyant, dès lors sa responsabilité engagée par le simple fait de la survenance du dommage subi par les voyageurs ou par les marchandises32 . Dans un souci d'atténuer la rigueur de la responsabilité du transporteur, le législateur a mis en place des mécanismes sophistiqués de cas exceptés, l'exonérant de sa responsabilité. Il en est de même de la force majeure, à l'instar du droit commun contractuel mais également de catégories spécifiques au droit des transports et particulièrement au droit des transports maritimes33 . Dans la même logique d'équilibre du compromis nécessaire entre les intérêts du transporteur et ceux de son cocontractant34 les textes accordent traditionnellement, au transporteur le droit d'une limitation de responsabilité. La responsabilité du transporteur est donc une responsabilité plafonnée, permettant à ce dernier de ne pas réparer l'intégralité du dommage dont il est reconnu responsable. 31 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie , « La pénétration en droit français de la théorie de la faute inexcusable en matière aérienne et maritime sous l'influence des conventions internationales », Internationalisation du droit, Mélanges en l'honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 394 et s. 32 C. Paulin , Droit des transports, Litec, 2005, p. 250 no 493 et s. 33 G. de Monteynard, op. cit., p. 247. 34 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 679, no 1067. 29
  • 30. Le droit des transports dans son intégralité est particulièrement empreint des réparations limitées35 . Ces limitations de responsabilité du transporteur sont au centre de nombreuses affaires relatives au transport terrestre, maritime36 ou aérien. Le débat est classique. La responsabilité du transporteur est souvent limitée par des dispositions d'origine légale ou conventionnelle37 . La victime d'une inexécution de ses obligations par le transporteur va tenter d'écarter ces limitations en recourant, en fonction des cas, à la faute lourde, faute inexcusable, ou au manquement du transporteur à une obligation essentielle38 . Il lui faudra en pratique apporter une preuve très difficile. Faisant application des principes qui gouvernent la responsabilité contractuelle tirée des articles 1147, 1148 et 1150 du Code civil, la jurisprudence a admis que, fût-ce en présence de Convention internationale ou de texte législatif, certaines fautes qualifiées permettaient à la victime d'échapper à la limitation de responsabilité dont bénéficie le transporteur. Elle consacre précisément l'existence d'une faute lourde39 en matière de transport routier de marchandises. En revanche, en 35 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p. 256, n0 271. 36 Voir C. Scapel, Le domaine des limitations légales de responsabilité dans le transport de marchandises par mer, Thèse, Aix en Provence, 1973. 37 Inscrits dans la loi ou dans un contrat, les plafonds font échec à la réparation intégrale du préjudice. Il en est de deux sortes : tantôt la limitation est attachée a un contrat, tantôt elle est prévue globalement, pour un ensemble des dettes. Dans le premier cas, elle vise à rationaliser une dette ; dans le second a apurer la situation d'un débiteur (M. Rémond Gouilloud, Le contrat de transport, Dalloz, 1993, p. 55). 38 Cependant, il va de soi que cette limitation est exclue si les dommages subis, par le voyageur ou par la marchandise, proviennent d'une faute intentionnelle du transporteur. Mais comme la faute intentionnelle est rare et difficile à prouver, les conventions internationales, conclues en la matière, assimilent certaines fautes non intentionnelles, mais très graves, à la faute intentionnelle, pour allouer à la victime une réparation intégrale de son préjudice, sans tenir compte des limitations habituelles de responsabilité. V. A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies: Économica, 2e éd., 1998, n° 402, p. 293 : « seule la faute dolosive parce qu'elle échappe à toutes les règles et, surtout, parce qu'elle manifeste la volonté non équivoque, positive, de sortir du contrat, est susceptible d'écarter la limitation; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats », LGDJ, 1981. 39 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p. 289, n0 333. 30
  • 31. droits maritime et aérien40 41 , c'est la faute inexcusable qui devra être prise en considération42 . Or, les deux concepts ont la même fonction : exclure la limitation de responsabilité lorsque le transporteur n'a pas correctement exécuté la mission qui lui a été confiée43 . Une des tentatives pour faire sauter le verrou de ces limitations44 , lorsqu'elles sont prévues par les contrats-types applicables en droit des transports routiers45 ou par la CMR46 est la faute lourde du transporteur terrestre dont la définition est aujourd'hui arrêtée (à l'occasion de l'affaire Chronopost) par la Chambre mixte de la Cour de cassation: il s'agit d'une faute «caractérisée par une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle »47 40 Et depuis peu ferroviaire : sur le plan international, la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires portant Règles uniformes concernant le contrat international ferroviaire des marchandises, signée à Berne le 9 mai 1980 a été modifié par le Protocole de 1990 entré en vigueur le 1er novembre 1996. Modernisant certaines dispositions institutionnelles, ce protocole dit « Protocole 1990 » a procédé, surtout, à l'adaptation du droit international des transports ferroviaires et ce, en harmonisant certaines dispositions sur la responsabilité civile des RU-CIM avec d'autres Conventions internationales: il abandonne dès lors les notions de dol et de faute lourde au profit de celle de faute inexcusable. Ainsi, l'article 44 des RU-CIM 1980 dispose, en effet, que les limitations d'indemnité ne s'appliquent pas s'il est prouvé que le dommage résulte « d'un acte ou d'une omission que le chemin de fer a commis soit avec l'intention de provoquer un tel dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait ».Les Règles uniformes version 1999, portant modification de la Convention relative aux transports ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, adoptées à Vilnius le 3 juin 1999, se présentant sous la forme d'un Protocole et désormais applicables, comportent une disposition semblable (RU-CIM 1999, art.36). 41 Plus récemment, le 3octobre 2000 a été adoptée à Budapest, puis signée dans cette même capitale le 22 juin 2001, par onze États européens, la Convention « relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure » (CMNI) La CMNI s'applique depuis le 1eravril 2005 après avoir obtenu cinq ratifications (celles de la Hongrie, du Luxembourg, de la Roumanie, de la Suisse et de la Croatie) nécessaires à son entrée en vigueur Une faute inexcusable ou dolosive commise par le transporteur ou le transporteur substitué, voire par leurs préposés et mandataires, entraîne la perte des limitations d'indemnité (CMNI, art.21.1). Lors du congrès de l'IVR (Registre fluvial rhénan), les 12 et 13 mai 2005, le secrétaire d'État aux Transports et à la Mer a annoncé la volonté du gouvernement français de ratifier la Convention de Budapest. Un projet de loi autorisant la ratification de la Convention de Budapest a été déposé au Sénat le 5 juillet 2006. Et un décret no 2008-192 portant publication de la CMNI a été publié le 29 février 2008 et précise que ce texte est entré en vigueur pour France le 1er septembre 2007. 42 G. de Monteynard, op. cit., p. 247. 43 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. 44 H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111. 45 De même qu'en matière de transport interne, ferroviaire ou fluvial, de marchandises. C'est à dire les transports réglementés par les articles 94 à 102 du Code de commerce ancien, devenus L. 132-3 à L. 132-9, l'article L 133-1 du Code de commerce n'interdisant pas les clauses ayant seulement pour objet de limiter le montant de l'indemnité, qui demeurent valables à la double condition d'avoir été connues et acceptées par l'expéditeur lors de la conclusion du contrat de transport et de ne pas aboutir à une indemnité dérisoire par rapport au montant du dommage. dès lors, est licite la clause par laquelle un transporteur cantonne sa responsabilité « à la réparation du seul dommage matériel justifié ». Il s'agit, en effet, d'une clause limitative de l'indemnité, et non d'une clause exonération de garantie Au demeurant, le droit de transport routier des marchandises présente la particularité des contrats types, applicables de plein droit, lorsque les parties n'ont pas pris la peine de définir leurs rapports dans une convention écrite (article 8 § II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs). Ces textes, consacrés par décrets, ne constituant pas des règlements, mais des textes de droit privé, prévoient des clauses de limitation de responsabilité applicable automatiquement, dans la mesure où les parties n'ont rien prévu. 46 Convention relative au contrat de transport international de marchandises par routes (en abrégé : CMR), signée le 19 mai 1956 à Genève et entrée en vigueur le 2 juillet 1961. L'article 29 de la CMR prévoit que le transporteur ne peut se prévaloir des dispositions de la CMR qui excluent ou limitent sa responsabilité lorsque le dommage est imputable à son dol ou à une faute qui, d'après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalant au dol. Tel est le cas, en France, de la faute lourde, traditionnellement assimilée au dol quant à ses effets. 47 Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005, II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p. 681, obs. D. Mazeaud et p. 753, obs. P. Delebecque ; Dr. & patr. 2005, no 141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, no 31
  • 32. Longtemps, deux manières de caractériser la faute lourde ont en effet coexisté. La première, objective, la déduisait du caractère essentiel de l’obligation inexécutée ou de l’ampleur du dommage ; la seconde, subjective, la déduisait d’un jugement de valeur sur la qualité du comportement du débiteur. L’enjeu était le même : écarter les limitations de responsabilité résultant de la convention des parties ou de la loi. La Chambre mixte en 2005, en décidant que « la faute lourde de nature à mettre en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur », adopte une conception subjective de la faute lourde48 , et elle vient infléchir sa jurisprudence relative en renonçant à toute référence au caractère fondamental de l'obligation transgressée et en recentrant la notion autour de ses critères subjectifs : gravité du comportement, conscience des risques49 . La faute lourde fait, quand même, encore l'objet de deux arrêts du 13 juin 200650 et du 21 février 200651 .Ces deux arrêts, portant toujours sur l'affaire Chronopost, complètent et apportent des précisions à ceux de la Chambre mixte du 22 avril 2005 et tous les deux confirment, sans ambiguïté, le ralliement de la Chambre commerciale à la conception subjective de la faute lourde. Par conséquent, il résulte des arrêts présentés, comme déjà de ceux de la Chambre mixte du 22 avril 2005, que la faute lourde du transporteur ne peut pas s'apprécier objectivement en fonction de l'importance de l'obligation non remplie, mais plutôt subjectivement en fonction des circonstances spécifiques à chaque espèce, dont la preuve incombe à la victime du dommage52 . Et la jurisprudence des Chambres de la Cour de cassation semble sur ce point unifiée53 . La solution est-elle de portée générale ou concerne-t-elle seulement l’hypothèse du contrat type de messagerie? Peut-être averti de cette interrogation, l’arrêt du 13 juin 2006 prend soin de ne pas seulement fonder sa solution sur les textes propres à la messagerie mais d’y ajouter le visa de l’article 1150 du Code civil, ce que le précédent de février de la même année n’avait pas fait54 . La 40, p. 1446, obs. Paulin Ch.; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111. 48 P. Stoffel-Munck, « Novembre 2005 – juin 2006 : la jurisprudence au service d’une défense raisonnée des prévisions des partie » Droit & Patrimoine 2006, p. 99 et s. 49 C. Legros, « Transports rapides : Cour de cassation et Conseil d’Etat se liguent pour assurer le sauvetage des plafonds réglementaires de réparation », étude publiée sur le site de l'Institut International Des Transports, www.idit.asso.fr. 50 Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Bull. civ. IV, n° 43 ; JCP G 2006, II, n° 10123, obs. G. Loiseau. 51 Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-20.139, Bull. civ. IV., n° 48 ; RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006, p. 694, obs. D. Mazeaud. 52 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. 53 V. cependant Cass. 1ère civ., 4 avr. 2006, n° 04-11.848, inédit, et non destiné à la publication, qui adopte une caractérisation objective (en jugeant qu’elle peut être déduite du simple constat de l’inexécution d’une obligation essentielle) mais qui ne concerne pas le droit du transport. Divergence qui, comme P. Stoffel-Munck l'observe, serait regrettable car la position de la chambre commerciale paraît logique et raisonnable (P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s.). Quoi qu'il en soit cet arrêt en opposition avec la jurisprudence la chambre mixte et de la chambre commerciale de la Cour de cassation, semble indiquer que la solution est effectivement limitée au contrat de transport. 54 V. RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006, p. 694, obs. D. Mazeau. 32
  • 33. solution semble donc générale du point de vue de la Chambre commerciale55 , et valoir aussi bien pour les limitations conventionnelles que légales de responsabilité56 . On peut d’autant mieux le penser que cette chambre semble bien poursuivre en cette matière, une véritable politique en faveur d'une application moins sévère de l'attitude tu transporteur57 . Une deuxième tentative pour faire « crever »les plafonds de responsabilité et d'obtenir une réparation intégrale est, ainsi qu'il a été déjà noté, l'application de la faute inexcusable, a priori au moins un degré de gravité au dessus de la faute lourde mais qui est en principe appréciée objectivement58 . Nous allons donc examiner l'instauration de cette notion en droit des transports ainsi que son interprétation par la jurisprudence. Nous allons dès lors s'interroger si la solution d'une interprétation subjective de la faute faisant échec à la limitation de responsabilité du transporteur routier est transposable en droit des transports aériens59 (§ 1) et ensuite en droit des transports maritimes 60 (§ 2) et si elle est susceptible d' atténuer la rigueur dont la jurisprudence de la Cour de cassation fait preuve à l'encontre du transporteur en ce qui concerne l'interprétation de la faute inexcusable. 55 Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient, par un arrêt du 27 fév. 2007, rendu,cette fois-ci, dans un cas d'application de l'article 29 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat international de marchandises par route (CMR), la même approche subjective de la faute qu'en droit interne, fondée sur une analyse concrète du comportement du transporteur (Cass. Com. 27 févr. 2007, n° 05-17.265 ; RTD com. 2007, p. 592, obs. B. Bouloc ; JCP E 2007, p. 1705, obs. A. Cathiard ; BTL 2007, p. 183 ; H Kenfack, « Droit des transports, juillet 2006 - juin 2007 », D. 2008, p. 1240). Cette uniformité de la définition de la faute lourde en transport interne et international a été favorablement saluée par la totalité de la doctrine. 56 Cette affirmation d'une conception subjective de la faute lourde ne doit pas conduire à penser que le recours à la notion d'obligation essentielle est devenu sans intérêt. Ces deux concepts ont des domaines d'application distincts. En effet, lorsqu'elle est de nature contractuelle, la clause limitant la réparation est réputée non écrite « si elle contredit la portée de l'engagement et porte ainsi atteinte à l'essence du contrat, ce qui n'exclut évidemment pas qu'elle puisse également être mise en échec, sur le fondement de l'article 1150 du Code civil et du principe d'assimilation de la faute lourde au dol, par une faute lourde strictement entendue. En revanche, seule la preuve d'une telle faute, dont la charge incombe exclusivement au créancier, fait obstacle à l'application des clauses restrictives de responsabilité ou de réparation prévues par un contrat-type approuvé par décret » (Viney G., op. Cit.). Voir également sur le principe Ph. Delebecque, J-Cl, commercial, Contrats, fasc. 11, n° 55 et Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-14.974, Bull. civ. IV, n°132 ; BTL 2006, p. 383, obs. M. Tilche. 57 P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s. 58 J.-M. Jacquet et Ph. Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, 3ème éd., 2002, n° 274. 59 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. ; V. aussi Lamy, Droit du contrat, 385-86 : « Faute lourde – Conception subjective – Arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 - c) Portée de la solution » ; RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain. 60 Ph. Delebecque, « La jurisprudence Chronopost : quelle portée pour le droit maritime ? » DMF 2005, p. 734. 33
  • 34. § 1) En droit des transports aériens Nous allons étudier successivement l'évolution de la notion de faute inexcusable dans les textes, nationaux et internationaux régissant le contrat de transport aérien (A) et ensuite la conception jurisprudentielle de celle-ci en droit aérien et ses fluctuations (B). A) Les textesA) Les textes Tout d’abord apparue dans le domaine du transport aérien, la notion de faute inexcusable a ensuite imprégné le transport maritime. La faute inexcusable a en effet fait son apparition dans le domaine du transport aérien avec le protocole de La Haye du 28 septembre 1955 Comme le rappelle le doyen Chauveau61 , les auteurs de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international avaient voulu, dans l'esprit de la délégation française, viser une faute particulièrement grave ; le premier texte français parlait d’un dol ou d’une faute assimilable au dol62 . Mais les délégués de langue anglaise ont fait valoir que le mot dol était intraduisible en anglais, parce que la notion qu'il recouvrait était inconnue dans leur droit. En conséquence, ils ont suggéré une notion voisine, celle de Willful misconduct qui peut être traduite par inconduite délibérée et qui consiste dans l'action ou l'omission volontaire que celui qui agit ou s'abstient sait être une infraction à son devoir en la circonstance et sait qu'il en résultera probablement un dommage pour autrui. Elle contient donc un élément intentionnel, mais elle se distingue de la faute intentionnelle, compte tenu qu'il suffit que l'auteur ait conscience de son inconduite et du dommage qui peut en résulter, sans tout de même, que ce dommage soit désiré comme en cas de dol63 . C'est donc pour ça que l'article 25 de la Convention de Varsovie a prévu que le transporteur n'aura pas le droit d'invoquer les dispositions qui limitent sa responsabilité si le dommage provient de son dol ou d'une faute équivalente au dol selon la loi du tribunal saisi, cette dernière expression renvoyant à la notion anglaise Willful misconduct Toutefois, en faisant recours à la loi du tribunal saisi, l'article 25 laissait aux tribunaux nationaux la possibilité de se référer à des notions différentes. C'est ainsi que les tribunaux français 61 P. Chaveau, D. 1979, p. 293. 62 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. 63 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc. 34
  • 35. ont fait référence à la faute lourde, regardée comme faute équipollente au dol. Face à la variété des interprétations auxquelles ont donné lieu, dans les différents États parties, les expressions « dol » et « faute équivalente au dol », les auteurs du protocole de La Haye ont, à l'initiative de l'OACI, défini de façon précise le type de faute qui devait conduire à exclure le droit pour le transporteur de limiter sa responsabilité. Le Protocole de La Haye de 195564 a voulu substituer une formule acceptable par tous65 . Proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, la formule adoptée par l’article 25 devait mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures : « les limites de responsabilité ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses préposés, faits soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement, pour autant que, dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposés, la preuve soit également apportée que ceux-ci ont agi dans l’exercice de leurs fonctions » Parallèlement, la loi du 2 mars 1957, un texte de circonstance, avait modifié les articles 41, 42, 43, alinéa 2 et 48 de la loi du 31 mai 1924 pour soumettre au régime de responsabilité de la Convention de Varsovie les transports internes à une époque où le Protocole de La Haye n'était pas encore entré en vigueur. Du reste, ces textes sont devenus les articles L. 321-3, L. 321-4, L. 321-5 et L. 322-3 du Code de l'aviation civile, aujourd'hui en vigueur. D'une part, selon les art. L. 321-3 et L. 322-3, la responsabilité du transporteur aérien est régie par les seules dispositions de la Convention de Varsovie ou de toute autre convention la modifiant et applicable en France, même si le transport n'est pas international au sens de cette convention. Autrement dit, à compter de l'applicabilité en France du Protocole de La Haye, ce sont les dispositions de la Convention de Varsovie modifiée par le Protocole de La Haye qui sont applicables en France, même si le transport n'est pas international au sens de la Convention. D'autre part, comme le Protocole de La Haye n'était pas encore applicable, l'une des dispositions de la loi de 1957, disposition devenue l'article L. 321-4, alinéa 1, déclare ce qu'il faut entendre par faute équipollente au dol dans l'article 25 de la Convention de Varsovie non modifiée. On sait que cette notion de faute considérée comme équipollente au dol figure dans la Convention de Varsovie et précisément ne figure plus dans le Protocole de La Haye. En attendant l'entrée en vigueur du Protocole de La Haye, le législateur français a voulu imposer une définition de la faute considérée comme équipollente au dol en régime interne comme en régime international. Il a donné 64 Pour une analyse sur l'évolution de cette rédaction, V. H. Zoghbi, La responsabilité aggravée du transporteur aérien. Dol et faute équivalente au dol. Étude développée du protocole de la Haye, LGDJ, 1962, n° 164, p. 69. 65 B. Mercadal, Transports Aériens, Rép.com. Dalloz, n° 192. 35