1. Gaz de schiste et démocratie
Ce jeudi 5 septembre 2013, s'est tenue une matinée bien dense au Parlement Européen à l'initiative
des eurodéputés verts, après la rencontre de la veille organisée par les Amis de la Terre Europe et
Food and Water Europe. Ces deux temps d'échanges, avec des réprésentants d'une dizaine de pays
d'Europe, nous ont permis d'avoir une vision en direct des luttes et mobilisations en cours dans les
différents pays.
Pour les Pays-Bas, Geert Ritsema (Mileu defensie), s'est attaché à démontrer l'impact positif des
mobilisations qui ont conduit les responsables politiques à prendre des décisions condamnant la
fracturation hydraulique : c'est ainsi qu'il y a désormais 53 collectivités locales et 3 provinces
"fracking free".
Pour les Etats-Unis, John Amstrong (Frackaction.com) a fait état des moratoires dans l'Etat de New-
York, à Pittsburg, à Buffalo, et des 170 municipalités des USA déclarées "fracking free".
L'Allemagne est en attente d'une loi interdisant la fracturation. La région de Cantabrie (Espagne) l'a
interdite récemment (avril 2013) ainsi que 150 municipalités de Catalogne.
Rappelons également que c'est grâce aux mobilisations importantes de 2011 que le Parlement
français a voté la loi Jacob en juillet 2011, loi qui interdit la fracturation hydraulique.
Cependant, force est de constater que les mobilisations n'ont pas toujours les mêmes effets.
A entendre les témoignages des camarades de Balcombe au Royaume-Uni (malgré les campements,
les manifestations rassemblant une très grande majorité de la population locale, il y a eu des
répressions violentes, une députée arrêtée, et aucune décision à l'encontre des intérêts de la société
Cuadrilla), ceux des roumains (en Roumanie, 8 000 manifestants, 9 000 signataires d'une pétition),
ceux des polonais (dans le sud-est de la Pologne - Zurawlow, manifestations, 100 jours d'occupation
d'un site, 32 arrestations), on constate que la population a bien souvent du mal à se faire entendre.
Comment accepter ces pratiques alors que le critère politique pour un Etat pour intégrer l'Union
Européenne est qu'il y ait "des institutions stables garantissant la démocratie, l'Etat de droit, le
respect des minorités et leur protection" .
Est-ce vraiment appliqué dans les pays sus-cités ? N'a-t-on pas clairement devant nos yeux la
démonstration que les gouvernements n'ont plus la main sur l'organisation de la démocratie dans
leurs pays, qu'ils écoutent davantage les sociétés transnationales que les populations, occultant à
celles-ci toute décision ?
C'est d'ailleurs ce que dénonce Josh Fox dans son film Gasland II : conflits d'intérêts avérés entre
l'administration des USA et les sociétés pétrolières, pots de vin, décisions d'octroi de permis prises
dans une totale opacité. Nous constatons les mêmes pratiques en France, avec ministres et députés
directement liés à l'industrie, ainsi que le signalait Delphine Batho dans une récente interview
http://www.reporterre.net/spip.php?article4502
Et les craintes ne peuvent que se confirmer à voir les négociations qui s'engagent entre les USA et
l'Union Européenne (partenariat transatlantique sur le commerce et l'investissement), allant dans
cette même direction, celle de faciliter tous les projets des sociétés transnationales : c'est ce qui est
prévu avec l'outil "investisseur – Etat" qui permettra aux sociétés transnationales de porter plainte
auprès d'un Etat ou d'une collectivité territoriale qui prendrait des décisions risquant d'entraver leurs
profits futurs : Chevron et les autres auront des tapis rouge devant eux pour forer là où ils l'auront
décidé.
Le cas de la France est emblématique : le 24 septembre, nous saurons si l'instance politique la plus
haute (le Conseil Constitutionnel) a succombé aux desiderata de la société pétrolière Schuepbach en
décidant d'abroger la loi Jacob, permettant ainsi aux pétroliers de forer légalement, dès le
2. lendemain, partout où les 57 permis sont valides.
La démocratie est en très mauvaise posture .
Assisterait-on à l'avènement d'une nouvelle ère "démocratique" ? Une démocratie que nos
gouvernants modèlerait sur l'exploitation sans limites de ces nouvelles ressources énergétiques
fossiles que sont les hydrocarbures non conventionnels ? Ainsi que l'analyse très justement Timothy
Mitchell*, ce nouvel ordre social nécessite, pour fonctionner, que les négociations et décisions
soient prises de manière opaque et fluide. Opaques et fluides comme le sont les hydrocarbures non
conventionnels dans le sous-sol et les pipe-line.
Face à ce bouleversement prévisibles des démocraties occidentales, les mouvements sociaux sont
plus que jamais nécessaires pour affirmer que les populations n'accepteront jamais une telle
régression des droits humains, et pour affirmer l'exigence d'une véritable transition énergétique,
basée sur la seule sortie de crise possible : celle d'une réduction drastique des consommations
énergétiques allant vers un 100% renouvelable.
Karina Vopel, membre de la direction générale énergie à la Commision européenne, présente ce 5
septembre, a bien noté cette exigence des populations, affirmant, en réponse aux témoignages
exprimés, que les gouvernements étaient à l'écoute des populations et que la commission
s'attacherait à construire très rapidement un cadre approprié, permettant de bloquer toute
exploitation du sous-sol ayant un impact environnemental inacceptable pour les populations.
Ne lâchons pas la pression, tant auprès des Etats que de l'Union Européenne et exigeons le droit des
peuples à se faire entendre, ici et ailleurs.
* Carbon Democracy, Timothy Mitchell, La Découverte, août 2013 (version française)
Jacqueline Balvet
Attac France
le 15 septembre 2013