1. Mulhouse S a m e d i 2 27 5 o c t o b r e 2 0 1 4 L'ALSACE
Édouard Cousin
Qu’allait-il donc donner, ce fameux
forum Libé, annoncé à grands
coups de com’municipale, par en-core
ouvert que déjà critiqué pour
son coût pour la collectivité, avec
ses plateaux taillés sur mesure
pour faire du buzz sur les réseaux
sociaux ?
Le premier débat – et le plus sulfu-reux
– hier matin, a mis tout le
monde d’accord. La confrontation,
pendant une bonne heure, entre la
ministre de la Justice Christiane
Taubira et le philosophe Alain Fin-kielkraut
a été un moment de très
haute tenue. Loin de s’écharper,
les deux protagonistes ont débattu
– évidemment – mais de manière
courtoise et respectueuse face à
une grande salle de la Filature qui
affichait complet et qui a goûté
avec un bonheur certain la qualité
des échanges.
Thème de ce premier débat du
jour : « réinventer la démocratie ».
Le philosophe a commencé par un
constat : « Il y a en France une
vraie crise de la démocratie, ac-compagnée
d’un sentiment de dé-possession
démocratique parmi la
population […] Nous vivons dans
un monde de flux (financiers, mi-gratoires…)
que le politique n’est
pas capable d’accompagner. La
question est de savoir si le politi-que
est en mesure de reprendre la
main ». Christiane Taubira a
d’abord abondé dans le sens de son
contradicteur : « La démocratie va
mal et les politiques en sont en
partie responsables […] L’enjeu est
de savoir comment restituer au
peuple le pouvoir dont il se sent
dépossédé. »
Ne pas se réfugier
dans le déjà-vu mais
oser le jamais vu
À défaut d’un consensus, et même
si quelques points de convergence
ont pu être trouvés sur la démocra-tie,
les questions clivantes n’ont
pas manqué. « Il existe, en France,
des territoires perdus par la Répu-blique.
Des endroits où des com-p
o r t e m e n t s d e h a i n e s e
manifestent. Des insultes telles
que sale Français, sale juif, tout
cela existe », a martelé Alain Fin-kielkraut.
La ministre de la Justice,
elle, a parlé d’amour ! « Les socié-tés
sont plurielles. On n’empêchera
pas les gens de se rencontrer et de
s’aimer ! La question, c’est com-ment
nous vivons ensemble. »
La question de la politique, de la
gauche et de la droite, est revenue
à plusieurs reprises sur le tapis.
L’occasion d’aborder le Front natio-nal.
« Il ne faut surtout pas banali-ser
le discours du FN. Il revient à la
gauche de s’emparer de cette ques-tion
et de ne pas rester en retrait »,
a estimé l’auteur de La Défaite de
la pensée. « Partout, nous consta-tons
des analogies avec la France
des années 30. La tendance est de
se réfugier dans le déjà-vu plutôt
que dans le jamais vu. Face à cette
situation, il convient de faire face.
De ne pas se tourner vers le déni.
Nous sommes tous tenus de faire
un grand effort de lucidité, de clair-voyance.
» La garde des Sceaux a
complété : « On n’a jamais raison
d’avoir peur et le déni est une fai-blesse,
souvent une lâcheté […] On
a toujours tort de ne pas livrer ba-taille
», a-t-elle estimé. Mais, selon
elle, « c’est faux de dire que la
France est un peuple de la peur, du
repli ». Faisant référence aux Lu-mières,
à la Déclaration universelle
des droits de l’homme, Christiane
Taubira a complété : « Nous de-vons
reprendre conscience que
nous sommes capables de cons-truire,
collectivement, des répon-ses
à la crise de la démocratie. »
On a toujours tort de
ne pas livrer bataille
Après une première interruption
provoquée par un opposant à la
prison de Lutterbach resté, éton-namment,
assez longtemps seul
face aux débatteurs avant d’être
prié de quitter la scène par les re-présentants
de la force publique, le
débat s’est terminé par une derniè-re
joute verbale cette fois entre
Alain Finkielkraut et, dans la salle,
l’élue municipale d’opposition Eu-rope
écologie Les Verts Djamila
Sonzogni.
La première journée du forum Libé
s’est ensuite poursuivie avec
d’autres intervenants de qualité :
l’homme politique Daniel Cohn-
Bendit, l’écrivain Alexandre Jardin,
l’ancien directeur de campagne de
Barack Obama… En somme du
beau monde. La suite aujourd’hui,
à la Filature, pour continuer de
« construire la ville de demain »
comme le propose le slogan du
forum.
SURFER Une interview en vidéo de
Christiane Taubira dans laquelle elle
évoque le thème du forum « repen-ser
la démocratie » ainsi que la
question de la prison de Lutterbach
est visible sur le site www.lalsace.fr
Y ALLER Le forum « Mulhouse c’est
vous ! » se poursuit aujourd’hui sa-medi
à la Filature, à partir de
10 h 30. Programme complet sur le
site internet www.mulhouse.fr
DÉMOCRATIE
Un débat de haut vol
pour ouvrir le forum
Le forum Libération « Mulhouse, c’est vous ! » a débuté hier matin dans la grande salle de la Filature par un débat
de grande qualité entre la ministre de la Justice Christiane Taubira et le philosophe Alain Finkielkraut.
Animé par Laurent Joffrin, le débat sur le thème « réinventer la démocratie » a opposé le philosophe Alain Finkielkraut et
la ministre de la Justice Christiane Taubira, en ouverture du forum Libé, hier matin. Photo L’Alsace/Jean-François Frey
« Mulhouse, laboratoire de
la révolution démocratique »
Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération, et Jean Rottner, maire
de Mulhouse, ont ouvert le forum, hier matin, à la Filature.
Photo L’Alsace/Jean-Francois Frey
Des opposants de tout poil
tentent de se faire entendre
Quelques « bonnets rouges » qui défendaient l’Alsace unie et les fronta-liers
ont pu échanger quelques mots avec la ministre. Photo L’Alsace/E.C.
Plusieurs groupes, partis et as-sociations,
de gauche comme
de droite, ont profité du forum
« Mulhouse c’est vous ! » pour
tenter de faire passer leur mes-sage.
Sur le parvis de la Filature, hier
matin, le public a pu croiser les
militants du Parti communiste
français, d’Europe écologie Les
Verts, de la Ligue des droits de
l’homme. Tout comme leurs ho-mologues
de l’association À con-tre
courant, ils entendaient
dénoncer la manière dont le fo-rumavait
été organisé, ainsi que
la tutelle du journal Libération.
De leur côté, les membres de la
coordination Mulhouse Palesti-ne
réclamaient l’abrogation de
la circulaire Alliot-Marie qui, se-lon
eux, pénalise les actions mi-litantes
en général, et les appels
au boycott des produits en pro-venance
d’Israël en particulier.
Le PCF, toujours, associé au
Front de gauche, appelait à la
défense des Départements.
Les bonnets rouges ont pu dire
quelques mots à la Garde des
Sceaux au moment où elle quit-tait
la Filature. Ils ont dénoncé
la grande région Alsace-Lorrai-ne-
Champagne-Ardenne et
l’obligation d’affiliation des tra-vailleurs
frontaliers à l’assuran-ce-
maladie française. Enfin, les
jeunes militants de droite de
l’Uni avaient collé des affiches,
dans la nuit de jeudi à vendredi,
pour critiquer la politique me-née
par la même Christiane
Taubira.
Moment de flottement quand un
opposant au projet de prison à
Lutterbach s’est invité sur la scène
de la Filature. Photo L’Alsace/J-F.F.
La nuit précédant le forum, les
militants de droite de l’Uni ont
collé des affiches pour dénoncer la
politique de Christiane Taubira. DR
F.F.
Avec Daniel Cohn-Bendit dans la
grande salle de la Filature et deux
autres ateliers à la même heure
(17 h), la concurrence était rude.
Une bonne vingtaine de personnes
ont quand même participé, hier, à
l’atelier du forum Libé intitulé « Un
conciliateur à Mulhouse ? » Créer
cette fonction, sous ce terme ou un
autre, c’est une piste que la Ville de
Mulhouse envisage pour « prendre
en compte l’insatisfaction » que des
citoyens peuvent exprimer vis-à-vis
de la collectivité, a expliqué en
ouverture Patrick Puledda, l’adjoint
enchargedeladémocratielocale.Et
pour donner une idée de ce qui exis-te
en la matière dans divers pays,
directionleCanada :l’atelieradébu-té
par la projection d’une vidéo con-sac
rée à l’ombudsman (une
ombudswoman, en l’occurrence) de
Montréal.
Avec son équipe, elle se penche sur
les situationsproblématiquesqui lui
sont soumiseset s’efforcedetrouver
des solutions. Elle est dotée de deux
pouvoirs principaux : faire des en-quêtes
et émettredes recommanda-tions.
L’ombudsman de Montréal a
unpouvoirmoraltrèsfort,témoigne
Johanne Savard, qui occupe la fonc-tion
:pas loinde100%deses recom-mandations
sont suivies par la
collectivité.
« Quelqu’un d’objectif,
pragmatique
et indépendant »
Ilne s’agit pas de transposer tel quel
l’exemple montréalais, ont bien ca-dré
Patrick Puledda et Olivier Cha-pelle,
journaliste à L’Alsace, qui
animaitl’atelier :larencontred’hier
visait à entamer la réflexion sur ce
quepourrait êtreunconciliateuràla
mulhousienne. « Je vois cet homme
ou cette femme comme une person-nequalifiée,
faciled’accès,objective
et pragmatique. Il ou elle devra être
indépendant et doté d’une grande
qualité d’écoute et d’analyse […]
Cette personne ne sera inféodée à
aucun service », a suggéré Roland
Gautsch, délégué du Défenseur des
droits Jacques Toubon, venu appor-ter
son regard. Et dans la salle, les
premières questions n’ont pas tar-dé.
Des exemples ? Comment serait
nomméceconciliateur ?Serait-ilbé-névole
ou salarié ? Comment garan-tir
son indépendance ainsi que le
caractèreapolitiquedesafonction ?
« L’indépendance est sûrement le
point central de la crédibilité d’une
telle instance », acquiesce Patrick
Puledda. Et une piste évoquée pour
la garantir est l’inamovibilité de ce-lui
ou celle qui exercera le rôle.
Le groupe s’est aussi efforcé de dé-grossir
ce que pourrait être le péri-mè
t r e d ’ i n t e r v e n t i o n d ’ u n
conciliateur mulhousien. « Il ne de-vra
pas être le bureau des pleurs »,
souligne Roland Gautsch. Olivier
Chapelle dégage (notamment de
l’exemple de Montréal) deux limi-tes
: d’une part, la saisie du concilia-teur
suppose d’avoir au préalable
émis une plainte ou effectué des dé-marches
directement auprès du ser-vice
concerné et d’avoir essuyé un
refus ; d’autre part, le conciliateur
ne pourra se saisir de plaintes déjà
encoursdetraitementpar lajustice.
Au final, plus de questions que de
réponses, mais la réflexion ne fait
quedémarrer.Et lepublicdel’atelier
a émis le souhait d’être associé à la
suite des opérations.
ATELIER
« Un conciliateur à Mulhouse ? »
L’un des nombreux ateliers du forum Libération était consacré, hier, à une nouvelle fonction qui pourrait voir le jour
à Mulhouse pour faire écho à certaines réclamations des citoyens vis-à-vis de la collectivité.
Face au public de l’atelier, trois intervenants : Roland Gautsch, Patrick Puledda
et Olivier Chapelle. Photo L’Alsace/Jean François Frey
Forum Libé oblige, c’est Laurent
Joffrin, le directeur de la rédaction
du quotidien national, qui a ouvert
les débats, hier matin, dans la
grande salle de la Filature. « Nous
allons parler de crise de la démo-cratie
pendant deux jours, ici, à
Mulhouse. Mais nous ne souhai-tons
pas que ce forum soit celui de
la déploration. Car l’idée démocra-tique
recueille encore un large as-s
e n t ime n t a u s e i n d e l a
population », a souligné le journa-liste.
Il a aussi rappelé que « c’est la
Ville de Mulhouse qui est à l’origi-ne
de ces deux journées » (en dé-boursant
au passage plus de
180 000 euros, comme cela a été
indiqué par l’adjoint aux finances,
Philippe Maitreau, lors du conseil
municipal lundi soir, NDLR). Lau-rent
Joffrin a conclu son propos en
considérant même que : « Mul-house
est destinée à servir de labo-ratoi
re à ce t te ré volut ion
démocratique ». Cyril Lage, cofon-dateur
de Démocratie ouverte,
une association qui s’engage à fai-re
évoluer la démocratie, a relevé
de son côté que Mulhouse avait
été la première collectivité de
France à avoir adhéré à la démar-che
THC, pour « territoire haute-ment
citoyen ».
Le mot de la fin est revenu au
maire, Jean Rottner, qui a d’abord
tenu à indiquer que ce forum ré-pondait
à une de ses promesses de
campagne. Selon lui, le renouveau
de la démocratie passera par l’im-plication
de tous. « Mon message,
c’est : aide-toi, la Ville t’aidera !
Les élus ne sont pas là pour faire
les choses à la place de…Je souhai-te
faire en sorte que cette ville soit
le terrain propice pour libérer les
énergies. Ce qui correspond
d’ailleurs au thème de ces deux
jours : Mulhouse, c’est vous ! »
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