Guide psychopathologie à l'usage des intervenants sociauxREALIZ
Comment identifier une psychose, un état limite ou une névrose et comment aider la personne à mieux s'adapter aux réalités de la recherche d'emploi et/ou de l'insertion sociale? source : Bergerat / Ed Masson
Par l'introspection méthodique de la Psychologie de la Motivation il est possible de trouver son équilibre personnel et mieux définir le sens de sa vie.
L'esprit en désordre: les tendances de la fausse motivation de l'être humain Christophe LECOCQ
Une modélisation du chaos psychologique de l'être humain déformé par la fausse motivation. Paul Diel a détaillé dans son oeuvre méconnue les déformations psychiques de nos sociétés dites économiquement développées. Sa vision inédite du psychisme humain contribue à l'évolution de l'espèce.
Revue « Le Psy Déchaîné » n°14 – AFFEP – Juin 2015
Parole aux internes
La psychiatrie est riche de diversité. Mais de cette diversité naît parfois une certaine confusion dans l’esprit de la population : au final, c’est quoi un psychiatre ?
Pour répondre à cette question, et à quelques autres à côté, nous avons rencontré Emanuel Loeb et Manuel Rubio.
Emanuel est interne de psychiatrie en 8ème semestre à Caen. Il a validé un Master 2 en Neurosciences, à Caen, et est actuellement en DESC de pharmacologie clinique.
Manuel est interne en 6ème semestre à Paris et a validé un Master 2 en psychopathologie et psychanalyse.
Le décor était planté, nous nous sommes retrouvés dans les locaux de l’Institut Mutualiste de Montsouris, pour deux heures de débat, dont voici une maigre retranscription, tant les propos furent riches et divers !
Première question, la plus simple apriori : qu'est ce que la psychiatrie ?
Emanuel : C’est une spécialité médicale, issue des études médicales, qui vise à prendre en charge des patients souffrant d’un trouble psychique.
Mais qu'est ce qu'un trouble psychique ?
E : Oui, les troubles psychiques sont des troubles des interactions sociales, de la cognition, en gros les troubles appartenant au grand cadre de la nosographie psychiatrique, nécessitant une prise en charge du fait d’un risque de désinsertion sociale.
Manuel : Pour moi, la psychiatrie est avant tout une tradition, ce n’est pas une discipline. C’est une histoire qui s’est faite avec la médecine, avec la neurologie notamment et à un moment contre elle, lorsqu’elle a abandonné l’idée d’une causalité linéaire, pour aborder la notion particulière qu’est l’inconscient. A partir du moment où l’abord de l’inconscient par la psychanalyse est apparu à l’intérieur de la clinique psychiatrique, il y a eu une modification très importante des concepts. Dans le vocabulaire par exemple : il doit y avoir actuellement 50 % des termes de la psychiatrie qui se réfèrent à la psychanalyse ! Son imprégnation dans la psychiatrie moderne est donc indéniable. Pour quelqu’un qui s’y réfère, comme c’est mon cas, c’est rassurant, puisque cohérent. Et en même temps, ce peut être source de confusion, puisque la plupart des termes ont été dévoyés dans l’usage courant. C’est l’exemple des termes de dissociation ou d’hystérie, imprégnés de présupposés psychanalytiques, et employés largement dans des endroits qui n’utilisent pas par ailleurs des dispositifs qui permettraient d’avoir accès à cette dimension analytique.
...
reseauprosante.fr
Guide psychopathologie à l'usage des intervenants sociauxREALIZ
Comment identifier une psychose, un état limite ou une névrose et comment aider la personne à mieux s'adapter aux réalités de la recherche d'emploi et/ou de l'insertion sociale? source : Bergerat / Ed Masson
Par l'introspection méthodique de la Psychologie de la Motivation il est possible de trouver son équilibre personnel et mieux définir le sens de sa vie.
L'esprit en désordre: les tendances de la fausse motivation de l'être humain Christophe LECOCQ
Une modélisation du chaos psychologique de l'être humain déformé par la fausse motivation. Paul Diel a détaillé dans son oeuvre méconnue les déformations psychiques de nos sociétés dites économiquement développées. Sa vision inédite du psychisme humain contribue à l'évolution de l'espèce.
Revue « Le Psy Déchaîné » n°14 – AFFEP – Juin 2015
Parole aux internes
La psychiatrie est riche de diversité. Mais de cette diversité naît parfois une certaine confusion dans l’esprit de la population : au final, c’est quoi un psychiatre ?
Pour répondre à cette question, et à quelques autres à côté, nous avons rencontré Emanuel Loeb et Manuel Rubio.
Emanuel est interne de psychiatrie en 8ème semestre à Caen. Il a validé un Master 2 en Neurosciences, à Caen, et est actuellement en DESC de pharmacologie clinique.
Manuel est interne en 6ème semestre à Paris et a validé un Master 2 en psychopathologie et psychanalyse.
Le décor était planté, nous nous sommes retrouvés dans les locaux de l’Institut Mutualiste de Montsouris, pour deux heures de débat, dont voici une maigre retranscription, tant les propos furent riches et divers !
Première question, la plus simple apriori : qu'est ce que la psychiatrie ?
Emanuel : C’est une spécialité médicale, issue des études médicales, qui vise à prendre en charge des patients souffrant d’un trouble psychique.
Mais qu'est ce qu'un trouble psychique ?
E : Oui, les troubles psychiques sont des troubles des interactions sociales, de la cognition, en gros les troubles appartenant au grand cadre de la nosographie psychiatrique, nécessitant une prise en charge du fait d’un risque de désinsertion sociale.
Manuel : Pour moi, la psychiatrie est avant tout une tradition, ce n’est pas une discipline. C’est une histoire qui s’est faite avec la médecine, avec la neurologie notamment et à un moment contre elle, lorsqu’elle a abandonné l’idée d’une causalité linéaire, pour aborder la notion particulière qu’est l’inconscient. A partir du moment où l’abord de l’inconscient par la psychanalyse est apparu à l’intérieur de la clinique psychiatrique, il y a eu une modification très importante des concepts. Dans le vocabulaire par exemple : il doit y avoir actuellement 50 % des termes de la psychiatrie qui se réfèrent à la psychanalyse ! Son imprégnation dans la psychiatrie moderne est donc indéniable. Pour quelqu’un qui s’y réfère, comme c’est mon cas, c’est rassurant, puisque cohérent. Et en même temps, ce peut être source de confusion, puisque la plupart des termes ont été dévoyés dans l’usage courant. C’est l’exemple des termes de dissociation ou d’hystérie, imprégnés de présupposés psychanalytiques, et employés largement dans des endroits qui n’utilisent pas par ailleurs des dispositifs qui permettraient d’avoir accès à cette dimension analytique.
...
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Apres le sens de la vie, vous trouverez dans cette présentation une approche simplifiée du fonctionnement psychique de l'être humain librement inspiré de la Psychologie de la Motivation (Paul Diel).
Comme chaque année, les organisateurs du CPNLF (Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française) avaient réservé à l’AFFEP l’organisation d’une session. Cette année le congrès se déroulait à Paris et c’est donc la PEP’S (association des internes parisiens) qui est intervenue. Le thème choisi était une discussion sémiologique entre obsession et automatisme mental.
L’automatisme mental selon Clérambault (1)
Clérambault s’est intéresssé aux productions intrapsychiques, que certains apparentent aux hallucinations : Henri Ey parlait de pseudo-hallucinations (2) et la nosographie actuelle inspirée du DSM IV range les phénomènes d’automatisme mental parmi les hallucinations.
Clérambault était un tenant de la théorie mécaniciste de la psychiatrie, théorie qui veut qu’à un symptôme corresponde une lésion cérébrale localisée, qu’à un syndrome corresponde une association de symptômes et qu’à une maladie mentale corresponde une association de syndromes. Ainsi s’est faite une description très « atomique », atomisée diront certains, des maladies mentales.
L’automatisme mental que Clérambault avait pu observer à l’Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, où il travaillait, a ainsi été décrit par lui comme le syndrome initial des psychoses.
Avec une grande finesse clinique, il a rassemblé dans ce syndrome toute une série de phénomènes mentaux, discrets et primaires (il parlera du « fait primordial des psychoses »).
reseauprosante.fr
Christophe André est psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs et s’est orienté depuis plusieurs années vers la prévention des récurrences de ces troubles émotionnels. À ce titre, il travaille avec ses patients sur toutes les dimensions de nature à renforcer leurs capacités d’équilibre personnel : estime de soi, équilibre émotionnel, capacités à savourer les moments agréables, thèmes qu’il a abordé dans les ouvrages destinés au grand public et qu’il a publié notamment aux éditions Odile Jacob. Il est une des figures historiques des TCC en France, et s’intéresse depuis plusieurs années à ce que l’on nomme la « troisième vague » des TCC : les approches basées sur la méditation de pleine conscience, l’acceptation et la régulation émotionnelle, la psychologie positive... Pour plus d’informations sur son travail, voir son site personnel : http://christopheandre.com/
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des internes sont insatisfaits de leur formation en psychothérapie. Avez-vous une explication ?
C. André : Sans doute pour des raisons quantitatives (pas assez de temps d’enseignement consacré aux psychothérapies) et qualitatives (les différents courants ne sont pas assez abordés, cela dépend trop souvent des orientations des enseignants).
reseauprosante.fr
1) Pour se faire une idée de la ou des psychoses, l'argument d'autorité ne vaut pas lorsqu'on a un minimum d'esprit scientifique.
a) Nous sommes redevables à Freud d'avoir inventé la psychanalyse, mais cela ne l'a pas empêché de commettre des erreurs. Seul un acte de (mauvaise) foi incompatible avec une démarche scientifique pourrait chercher à les perpétuer.
b) Nous sommes redevables à Lacan de "l'inconscient structuré comme un langage", mais lui aussi a fait des erreurs qu'il convient de dissiper pour faire évoluer la question.
2) Les trois identifications et les trois niveaux de la structure psychique.
Il importe de bien distinguer les trois niveaux que la psychose bouleversera :
- Le niveau de la relation imaginaire m -> i (a) entre le moi et le moi idéal
- Le niveau du fantasme $ -> a reliant le sujet inconscient à l'objet du désir
- Le niveau de l'Inconscient, qui est un discours non-grammatical régi par une logique purement combinatoire
3) Complétons la définition de l'identification, envisagée à présent comme la connexion signifiant-affect, le signifiant étant le matériau sonore du langage, et l'affect toute émotion simple (en gros : plaisir/déplaisir).
4) Il y a chez le schizophrène une "carence" de la fonction métaphorique, donc de la possibilité de fantasmer.
• Il ne s'agit donc pas dans la psychothérapie des psychoses d'user d'interprétations fondées sur un repérage analytique classique. Il est inutile d'attendre qu'à la manière d'un névrotique le schizophrène livre dans ses associations libres la clef de ses symptômes.
• Ici il faut donc une "psychanalyse à l'envers" (Racamier), une "antipsychanalyse", une "psychosynthèse" qui structure. Il faut synthétiser du sens à la place du patient pour lui permettre de se constituer des fantasmes, une réalité psychique.
5) La réponse du patient à l'action psychothérapique.
Dans une analyse classique, un des critères d'efficacité, au-delà de la disparition de quelques symptômes, est le "changement de discours" : le patient se met à structurer différemment son propos, et comme "l'inconscient est structuré comme un langage", c'est le signe d'une transformation profonde de sa "personnalité".
Ici, la réponse du patient à la psychothérapie consiste à nous fournir de plus en plus de matériel verbal "'a - signifiant", comme s'il nous encourageait à continuer pour lui ce processus de symbolisation.
6) Le réveil du délire est prévisible, souhaitable et contrôlable au cours de la thérapie : on peut le décrire comme une psychose de transfert, par analogie avec la névrose de transfert de la psychanalyse classique.
« Penser Levinas en philosophie et psychiatrie » présenté par Vincenzo Di Nic...Université de Montréal
« Penser Levinas en philosophie et psychiatrie » présenté par Vincenzo Di Nicola - Séminaire Sciences humaines et psychiatrie - 22.01.2015. Notes de la présentation avec bibliographie.
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Comme chaque année, les organisateurs du CPNLF (Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française) avaient réservé à l’AFFEP l’organisation d’une session. Cette année le congrès se déroulait à Paris et c’est donc la PEP’S (association des internes parisiens) qui est intervenue. Le thème choisi était une discussion sémiologique entre obsession et automatisme mental.
L’automatisme mental selon Clérambault (1)
Clérambault s’est intéresssé aux productions intrapsychiques, que certains apparentent aux hallucinations : Henri Ey parlait de pseudo-hallucinations (2) et la nosographie actuelle inspirée du DSM IV range les phénomènes d’automatisme mental parmi les hallucinations.
Clérambault était un tenant de la théorie mécaniciste de la psychiatrie, théorie qui veut qu’à un symptôme corresponde une lésion cérébrale localisée, qu’à un syndrome corresponde une association de symptômes et qu’à une maladie mentale corresponde une association de syndromes. Ainsi s’est faite une description très « atomique », atomisée diront certains, des maladies mentales.
L’automatisme mental que Clérambault avait pu observer à l’Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, où il travaillait, a ainsi été décrit par lui comme le syndrome initial des psychoses.
Avec une grande finesse clinique, il a rassemblé dans ce syndrome toute une série de phénomènes mentaux, discrets et primaires (il parlera du « fait primordial des psychoses »).
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Christophe André est psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs et s’est orienté depuis plusieurs années vers la prévention des récurrences de ces troubles émotionnels. À ce titre, il travaille avec ses patients sur toutes les dimensions de nature à renforcer leurs capacités d’équilibre personnel : estime de soi, équilibre émotionnel, capacités à savourer les moments agréables, thèmes qu’il a abordé dans les ouvrages destinés au grand public et qu’il a publié notamment aux éditions Odile Jacob. Il est une des figures historiques des TCC en France, et s’intéresse depuis plusieurs années à ce que l’on nomme la « troisième vague » des TCC : les approches basées sur la méditation de pleine conscience, l’acceptation et la régulation émotionnelle, la psychologie positive... Pour plus d’informations sur son travail, voir son site personnel : http://christopheandre.com/
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des internes sont insatisfaits de leur formation en psychothérapie. Avez-vous une explication ?
C. André : Sans doute pour des raisons quantitatives (pas assez de temps d’enseignement consacré aux psychothérapies) et qualitatives (les différents courants ne sont pas assez abordés, cela dépend trop souvent des orientations des enseignants).
reseauprosante.fr
1) Pour se faire une idée de la ou des psychoses, l'argument d'autorité ne vaut pas lorsqu'on a un minimum d'esprit scientifique.
a) Nous sommes redevables à Freud d'avoir inventé la psychanalyse, mais cela ne l'a pas empêché de commettre des erreurs. Seul un acte de (mauvaise) foi incompatible avec une démarche scientifique pourrait chercher à les perpétuer.
b) Nous sommes redevables à Lacan de "l'inconscient structuré comme un langage", mais lui aussi a fait des erreurs qu'il convient de dissiper pour faire évoluer la question.
2) Les trois identifications et les trois niveaux de la structure psychique.
Il importe de bien distinguer les trois niveaux que la psychose bouleversera :
- Le niveau de la relation imaginaire m -> i (a) entre le moi et le moi idéal
- Le niveau du fantasme $ -> a reliant le sujet inconscient à l'objet du désir
- Le niveau de l'Inconscient, qui est un discours non-grammatical régi par une logique purement combinatoire
3) Complétons la définition de l'identification, envisagée à présent comme la connexion signifiant-affect, le signifiant étant le matériau sonore du langage, et l'affect toute émotion simple (en gros : plaisir/déplaisir).
4) Il y a chez le schizophrène une "carence" de la fonction métaphorique, donc de la possibilité de fantasmer.
• Il ne s'agit donc pas dans la psychothérapie des psychoses d'user d'interprétations fondées sur un repérage analytique classique. Il est inutile d'attendre qu'à la manière d'un névrotique le schizophrène livre dans ses associations libres la clef de ses symptômes.
• Ici il faut donc une "psychanalyse à l'envers" (Racamier), une "antipsychanalyse", une "psychosynthèse" qui structure. Il faut synthétiser du sens à la place du patient pour lui permettre de se constituer des fantasmes, une réalité psychique.
5) La réponse du patient à l'action psychothérapique.
Dans une analyse classique, un des critères d'efficacité, au-delà de la disparition de quelques symptômes, est le "changement de discours" : le patient se met à structurer différemment son propos, et comme "l'inconscient est structuré comme un langage", c'est le signe d'une transformation profonde de sa "personnalité".
Ici, la réponse du patient à la psychothérapie consiste à nous fournir de plus en plus de matériel verbal "'a - signifiant", comme s'il nous encourageait à continuer pour lui ce processus de symbolisation.
6) Le réveil du délire est prévisible, souhaitable et contrôlable au cours de la thérapie : on peut le décrire comme une psychose de transfert, par analogie avec la névrose de transfert de la psychanalyse classique.
« Penser Levinas en philosophie et psychiatrie » présenté par Vincenzo Di Nic...Université de Montréal
« Penser Levinas en philosophie et psychiatrie » présenté par Vincenzo Di Nicola - Séminaire Sciences humaines et psychiatrie - 22.01.2015. Notes de la présentation avec bibliographie.
Similaire à L'anorexique mélancolique: vers une métapsychologie du refus de grandir? (20)
« Penser Levinas en philosophie et psychiatrie » présenté par Vincenzo Di Nic...
L'anorexique mélancolique: vers une métapsychologie du refus de grandir?
1. L'Anorexique mélancolique :
vers une métapsychologie du refus de
grandir ?
Présenté par : Youliana Baranova
Sous la direction de : Professeur Pascal Roman, Professeur
ordinaire de psychologie clinique,
psychopathologie et psychanalyse à
l’Université de Lausanne
Et l’expertise de : Madame Lise Schild-Paccaud, membre
de la nouvelle école lacanienne de
psychanalyse NLS
6. 5
Résumé
Le refus de grandir dans l’anorexie mentale, non
appréhensible en soi en psychopathologie psychanalytique,
sera traduit et étudié en tant que potentiel mélancolique de
l’anorexie mentale, empêchant l’accès à une position de
sujet autonome et désirant. Cette hypothèse sera mise à
l’épreuve au moyen de la recherche conceptuelle. Celle-ci
nous permettra de déconstruire un corpus théorique
constitué par la métapsychologie de la mélancolie, un
ensemble de modèles de l’anorexie mentale, et un
ensemble de concepts liés aux mécanismes intrapsychiques
qui apparaissent communément à ces deux ensembles. La
reconstruction suivra le déroulement de notre
questionnement quant au potentiel mélancolique de
l’anorexie mentale : la question de l’autonomie du sujet,
non accessible par la non perte de l’objet, précédera la
question de la désirance du sujet, non accessible par la
dépendance qui vient en place de l’autonomie. L’hypothèse
conceptuelle du refus de grandir dans l’anorexie mentale
sera réitérée suite aux conclusions sur la validité de
l’hypothèse ainsi opérationnalisée.
8. 7
1.
Du refus de grandir
à la métapsychologie de la mélancolie
dans l’anorexie mentale
La psychopathologie psychanalytique proposant une
appréhension phénoménologique de l’objet, nous allons
introduire le sujet que nous aimerions étudier, le refus de
grandir, de par l’en soi1
qu’il serait, et le pour-soi2
par où il
serait conceptualisable en psychopathologie psychanalytique.
1.1. Refus de grandir en soi – Mots et maux de l’anorexie
mentale
Un refus de grandir semble s’exprimer dans l’anorexie
mentale, déjà au travers de sa symptomatique : par la
restriction alimentaire, le corps est empêché de croître, et
bien souvent, la puberté peine à advenir ou alors est
fortement réprimée dès ses signes annonciateurs. Nous
retrouvons également cet accrochage à l’enfance et une
1
Au sens kantien
2
Idem
9. 8
appréhension angoissée du devenir, exprimés au travers de
l’écriture de témoignages autobiographiques de personnes
souffrant d’anorexie.
« La maison me rassure, je peux vérifier ce qui s’y
passe, ce qu’on y mange, ce qu’on y achète. Peut-être est-ce
aussi rester encore un peu dans l’enfance, retarder la vie »
(Justine, 2007, p. 29).
Isabelle Caro présente son autobiographie comme
« une histoire d’amour et de mort, une histoire d’une petite
fille qui ne voulait ni grossir ni surtout grandir » (Caro,
2008, p. 12).
« Il y a dans la faim une dynamique qui interdit
d’accepter son état » (Nothomb, 2006, p.20).
Elles semblent obtenir ce qu’elles recherchent, au
moyen de leur maladie. De quoi, l’anorexique a-t-elle si peur
en grandissant ? Qu’est-ce qui la raccroche à l’enfance ? De
quoi, de qui ne peut-elle se détacher ? L’anorexique semble
aux prises avec un lien/des liens qui l’emprisonnent mais
auxquels elle se raccroche.
Nous observons, dans les témoignages écrits de
personnes ayant souffert d’anorexie mentale, qu’une
souffrance de grandir exprimée autant par la parole que par
le corps semble à l’œuvre dans cette pathologie. Dans leur
discours on ressent à la fois la souffrance de la maladie, le
désespoir de ne pas pouvoir sortir d’une contrainte à répéter
un schéma, et, à la fois, une sorte de fierté, d’avoir tenu dans
ce trouble suffisamment longtemps, comme d’avoir retenu
l’enfance, le développement, et d’annoncer ainsi une sorte
de triomphe sur l’inscription dans la temporalité. Ces
aspects nous interpellent et nous nous interrogeons
comment aborder cette souffrance de grandir se profilant
derrière la souffrance à s’alimenter.
10. 9
En présentant un cas clinique souffrant de compulsions
alimentaires, dans son article sur l’économie psychique de
l’addiction, McDougall (2001) évoque un lien mère-enfant
« imprégné de pulsions prégénitales et qui cherche à
perdurer » (p.17). Simas et Golse (2010) parlent également
de l’anorexie comme d’un syndrome psychosomatique
relationnel. Et de nombreux travaux en psychopathologie à
partir de cas d’anorexie mentale portent sur les thèmes de la
relation et de la séparation (Brusset, 1998 ; Corcos, 2005 ;
Marinov, 2008). Donc le phénomène devrait être
appréhensible en psychopathologie psychanalytique, à partir
de la problématique de la séparation et des modalités des
premiers investissements.
La question du refus de grandir se pose cependant
difficilement telle quelle dans ce champ. Comment trouver
une approche plus opérationnelle ? Qu’est-ce qui empêche
la personne souffrant d’anorexie, de grandir ? Quelle
méthodologie le champ de la psychopathologie
psychanalytique offre-t-il pour aborder une telle question ?
Si ce refus de grandir est le phénomène « observable » et
qu’on ne peut l’aborder tel quel, alors nous sommes invités
à réfléchir à ses soubassements intrapsychiques. S’il n’est
pas explorable, en soi, alors que représenterait-il pour la
psychopathologie ? Le travail de la mélancolie amené par
une non perte serait-il à l’œuvre dans l’anorexie mentale ?
La phénoménologie nous offre la possibilité
d’opérationnaliser ce qui ne serait pas étudiable en soi, le
refus de grandir, et de chercher les concepts qui le
reflèteraient le mieux dans le cadre de la psychopathologie.
Cependant, la phénoménologie, nous empêchera en même
temps de la possibilité de conclure avec validité sur la
présence du refus de grandir dans l’anorexie mentale. Tout
11. 10
en nous contraignant à renoncer à trouver une réponse
arrêtée à notre questionnement premier sur le rôle et le
sens du refus de grandir dans l’anorexie mentale, elle nous
offre, toutefois, la possibilité d’explorer la conception du
phénomène proposée par la psychopathologie.
Le refus de grandir en soi, par distinction
phénoménologique ne pourra être abordé par une recherche
conceptuelle, dans le cadre de la psychopathologie
psychanalytique. Nous aménagerons toutefois une partie
traitant de la phénoménologie du refus de grandir au terme
de notre cheminement. En soi, il l’est encore au mieux
exprimé à travers ces témoignages d’anorexiques.
1.2. Métapsychologie de la mélancolie – Refus de grandir
pour soi
Le pour-soi du refus de grandir : en quoi serait-il
définissable en psychopathologie psychanalytique ? À
présent il s’agit de mettre des mots de la psychopathologie,
sur les maux cristallisant ce refus de grandir. Si la
métapsychologie formait elle-même un appareil psychique,
alors la phénoménologie des représentants-choses,
s’élabore en recherche de représentants-mots, ici, par le
recours à la recherche conceptuelle, l’écriture constituant
le travail de liaison. Nous reviendrons sur la métaphore de
la métapsychologie comme appareil psychique, dans la
réflexion sur le normal et le pathologique.
Qu’est-ce qui offrirait donc une représentation du refus
de grandir en psychopathologie psychanalytique ? Le refus
de grandir pourrait être opérationnalisé en termes de travail
de deuil, et plus spécifiquement, deuil lié au développement.
Et puisque ce deuil pourrait être inachevé, et qu’avec
l’anorexie mentale nous sommes du côté de la pathologie,
12. 11
nous sommes naturellement invités à considérer la version
pathologique du travail de deuil, à savoir, la mélancolie.
Corcos (2000) dans la partie descriptive de la clinique de
l’anorexie met en lumière, aux côtés des « carences affectives,
[de] l’importance donnée à l’apparence physique et [du]
besoin de plaire », « la difficulté à s’engager dans un devenir
adulte ». C’est cette caractéristique, reformulée ici sous les
termes de « refus de grandir », relevant la part active de la
personne en souffrance à celle-ci, qui pourra être explorée au
travers de la recherche de la potentialité mélancolique dans
l’anorexie mentale. Les autres caractéristiques citées
interviendront également au cours du développement, dans
leur participation au potentiel mélancolique.
Pour explorer ce potentiel mélancolique, notre champ
présente des outils tels que la métapsychologie de la
mélancolie, et de nombreux modèles de l’anorexie mentale.
La mélancolie, aboutissement d’un deuil inachevé, nous
servirait-elle à aborder ce que pourrait être ce refus de
grandir dans l’anorexie mentale ? La problématique du lien
entre la mélancolie et l’anorexie mentale, présente dès les
ébauches de la métapsychologie de la mélancolie, se
formulait comme suit : « La névrose alimentaire parallèle à
la mélancolie est l’anorexie. L’ [… ] anorexia nervosa des
jeunes filles me semble être [… ] une mélancolie liée à une
sexualité encore inachevée » (Freud, 1894). Quand bien
même la « névrose alimentaire » n’est pas encore
l’« anorexie mentale » telle qu’elle a été abordée depuis,
que la métapsychologie de la mélancolie a également
connu un remaniement théorico-clinique depuis, la
question subsiste. L’anorexie mentale comporte-t-elle donc
une part mélancolique, qui pourrait nous aider à
comprendre, et à concevoir en métapsychologie ce refus de
13. 12
grandir inhérent à la pathologie ? La « sexualité encore
inachevée » nous aiguille à considérer ce qui n’a pu
s’élaborer durant le développement psycho-affectif.
Le cheminement proposé ici, pour explorer le refus de
grandir dans l’anorexie mentale en passant par le modèle de
la mélancolie, est une proposition parmi d’autres. Comment
définir le « potentiel mélancolique » dans l’anorexie
mentale, s’agissant à la fois de notre objet de recherche
conceptuelle et du but de celle-ci ? L’expression est
empruntée à la psychopathologie de l’anorexie mentale de
Brusset (1998). L’utilisation d’un terme tel que potentiel,
maintiendra, tout au long de ce travail, l’hypothèse ouverte
sur la présence des mécanismes de la mélancolie, dans
l’anorexie mentale. Ce potentiel rend compte des recours
aux mécanismes en place dans la mélancolie, peut-être
évoquant simultanément les risques décompensatoires dans
l’anorexie mentale.
Le refus de la féminité dans l’anorexie mentale, a
maintes fois été questionné, notamment dans le Féminin
mélancolique de Chabert (2003) qui laisse à penser que des
réponses sur ce potentiel mélancolique pourraient émerger
en questionnant le refus du féminin de l’anorexie mentale.
L’anorexie mentale exprime-t-elle un refus de grandir, tel
qu’il se lit à la taille du corps et à l’absence des
caractéristiques post-pubertaires ? Le déni de la différence
des sexes, relevant du passage crucial de l’Œdipe,
intervient certes dans notre questionnement mais nous
aimerions interroger quelque chose de plus archaïque dans
l’anorexie mentale, remontant à un travail de deuil qui
serait empêché en amont. Celui-ci toucherait l’objet-même
qui est en train de se construire, et c’est la perte des
premiers objets d’investissement qui semble en jeu.
14. 13
2.
Méthodologie
Notre choix de la méthode a été guidé par le parcours
des modèles ayant déjà tenté de confronter la mélancolie à
l’anorexie mentale. Il en est un, qui recourt à la
phénoménologie de recherche conceptuelle, dans une
étude clinique et projective sur l’anorexie mentale en tant
que « traversée mélancolique à l’adolescence », menée par
Chabert et Vibert (2009). Leur problématique portant,
entre autres, sur l’articulation des soubassements
masochistes dans l’anorexie mentale à sa spécificité
féminine, est définie comme « d’essence archaïque
n’[étant] pas en soi accessible ». Elles se proposent donc
d’élaborer une construction partiellement spéculative sur
le rapport entre la position féminine de l’adolescence et la
passivité originaire, qui porteraient la marque de ces
soubassements masochistes « au sein de la configuration
des fantasmes originaires » (ibid., pp. 339-340). Ceci ne les
empêche pas de présenter ce qui est accessible, au moyen
du setting clinique et projectif déployé, tout en ayant
conscience de la distance infranchissable entre la
15. 14
problématique d’« essence archaïque », et les résultats
présentés.
2.1. Recherche conceptuelle
La recherche conceptuelle est ce qui, comme proposé
dans l’introduction, rend possible, en psychopathologie
psychanalytique la construction de ce « pour soi » du refus
de grandir, opérationnalisé en termes de potentiel
mélancolique de l’anorexie mentale. Qu’est-ce qui est
explorable, exploitable, de ce qui est construit, en
psychopathologie psychanalytique, pour approfondir notre
problématique ? Pour Freud (1933), les « conceptions »
consistaient en des « représentations abstraites correctes
dont l’application à la matière brute de l’observation fait
naître en elle l’ordre et la transparence », il s’agit bien de
tenter de comprendre quelque chose du phénomène sans
prétendre le saisir dans son essence. Le refus de grandir,
dans l’anorexie mentale, présenterait-il ainsi quelque
logique, si on explore le potentiel mélancolique ? Nous
allons à présent aborder comment procéder pour ce faire.
D’après Widlöcher (2007), si la « [recherche] clinique
construit les concepts », que « la recherche empirique » s’y
réfère, que le clinicien les utilise dans la pratique, à chacun
des champs manque encore « une réflexion de nature
épistémologique et méthodologique » sur ces concepts,
pour répondre au triple but de la psychanalyse (Freud,
1922)3
, et c’est la finalité que revêt la « recherche
conceptuelle » (Widlöcher, 2007, p.50). Cette approche
« méta », renvoyant à la psychanalyse en tant qu’entreprise
3
Méthode thérapeutique, procédé d’investigation et science de
l’inconscient
16. 15
épistémique, nous permet donc de procéder par
déconstruction/reconstruction, dans une démarche de
recherche conceptuelle. Si la déconstruction concerne
l’analyse, elle est poursuivie par la mise en lien, et les
possibilités d’élaboration. Nous partirons de la
métapsychologie des mécanismes les plus élémentaires
jusqu’aux considérations d’entités conceptuelles de plus
grande échelle : des processus de formation du Moi, et de
l’objet, jusqu’à la subjectivité des rapports à soi et à l’autre,
en passant par les entités cliniques telles que la mélancolie
et l’anorexie mentale.
En quoi consiste la déconstruction ? Dans le sens que
le Freud scientiste cherchait à donner à la psych-analyse, il
s’agissait de disséquer sous la loupe du scientifique, un
organisme en ses parties pour les voir de plus près, ou dans
une autre métaphore, d’être l’archéologue qui déterre du
sens latent. La mise en lien n’est possible qu’au terme
d’une analyse déconstructrice. Le sens, comme dans le
processus de la cure, peut émerger de la mise en lien,
s’opposant, mais nécessitant en même temps cette
dissection par l’analyse d’un phénomène en ses
mécanismes élémentaires. La mise en sens représente donc
la phase de reconstruction.
Nous allons donc essayer de disséquer les mécanismes
de la construction de soi et de l’objet, pour voir ce qui
aurait pu entraver le développement jusqu’à l’anorexie
mentale, et y chercher du potentiel mélancolique. En quoi
consiste le travail du deuil inachevé ou empêché, dans le
développement psycho-affectif et qui mènerait à l’anorexie
mentale ? Lorsque nous nous intéressons au niveau
intrapsychique, rien n’est observable, mais tout reste
hypothético-déductible. Et c’est avec les modèles
17. 16
théoriques à notre disposition, et leurs auteurs, que nous
allons tenter de co-construire le sens du potentiel
mélancolique dans l’anorexie mentale.
2.2. Définir l’anorexie mentale en soi
En psychanalyse, l’entité clinique étudiée, l’est
d’emblée dans un rapport. De l’« étrange violence »
(Marinov, 2008) anorexique, à son « corps absent » et
« insoumis » (Corcos, 2000 ; 2005b), tout discours
psychopathologique sur l’anorexie apparaît comme
marqué du vécu contre-transférentiel des auteurs. Leur
écriture de modèles d’anorexie mentale se retrouve
dépositaire du parcours de rencontres cliniques, ayant
inspiré, aiguisé, confirmé, approfondi, ou encore, infirmé,
leurs potentielles hypothèses théoriques. Ainsi, l’éclairage
proposé relève d’une prise de position théorico-clinique,
relevant de l’importance accordée à l’une des
problématiques de la pathologie par rapport à une autre,
d’inscriptions et d’oppositions aux propositions
contemporaines et antérieures. L’héritage théorique qui
amène un analyste jusqu’à son fauteuil se retrouve, à un
moment ou à un autre, ébranlé par l’échange d’avec le
divan. C’est ainsi que la compréhension de l’anorexie
mentale a évolué, des interrogations freudiennes sur le
type hystérique qu’elle spécifierait (1894), passant par la
psychosomatique qui interroge son corps (McDougall,
1989), et jusqu’à sa résistance à l’analyse qui donne lieu
aux paradigmes lacaniens questionnant le refus anorexique
(Cosenza, 2014). Rien qu’en cherchant à la comprendre à
partir des mécanismes élémentaires à l’œuvre, il ne peut y
avoir, ou difficilement, de métapsychologie de l’anorexie
mentale, sans référence à la construction de l’objet, ni à
18. 17
celle de la relation d’objet, sous-jacentes. En partant des
modèles de l’anorexie mentale en psychopathologie, nous
la retrouvons directement prise dans ses rapports aux
mécanismes et structures.
Son fonctionnement-même semble entaché de
mécanismes mélancoliques. Bien que sans expérience
clinique, nous avons pris parti pour cette hypothèse de par
l’inspiration que nous ont offert les témoignages littéraires
d’anorexiques. Se situant à ce point d’acquisition de
l’héritage théorique exigé à l’accès à ce divan, nous allons
ici viser l’exploration de mécanismes communs dans la
mélancolie et dans l’anorexie mentale, en parcourant les
mises en lien déjà effectués par les auteurs en
psychopathologie. Mais pour pouvoir déconstruire cela et
le reconstruire suivant le questionnement relié à notre
problématique, nous avons besoin d’une base théorique
suffisamment neutre et malléable, définissant l’anorexie
mentale.
D’après la définition (relativement) athéorique
psychiatrique des « signes du conflit mental » dans
l’anorexie mentale (Lévy-Soussan, 2000, pp. 209-211),
nous retiendrons les éléments suivants : la restriction
alimentaire, la dysmorphophobie, l’anosognosie,
l’hyperactivité et l’affectivité limitée4
. Ces parts
identifiables du fonctionnement anorexique, ne se
superposent pas à la partition qui sera proposée pour la
mélancolie. De plus, les liens trouvés en psychopathologie,
4
Le « surinvestissement intellectuel », sixième signe que nous n’avons
pas gardé, pouvant être considéré comme une expression du contrôle de
par la pulsion épistémophilique sous-jacente. D’autres expressions du
contrôle dans l’anorexie mentale ont été estimées plus pertinentes à
notre problématique.
19. 18
ne sont pas directs, et chacun sera étoffé, et placé en regard
du développement de la construction du soi et de l’objet.
Précisons encore ici que nous parlerons d’« anorexiques »
pour abréger les « personnes souffrant d’anorexie
mentale », le féminin compris dans cette formulation sera
explicité dans le développement (4.2.1.).
2.3. Définir la mélancolie en soi
Pour définir la mélancolie, nous ne voudrions
reprendre ni la dépression mélancolique, comme
pathologie à part entière, ni la psychose maniaco-
dépressive, comme structure, ce qui nous conduirait à une
comparaison linéaire de pathologies ou de structures.
D’ailleurs, Corcos soutient qu’« aucune preuve [n’] est
venue étayer sérieusement cette parenté » (2005b, pp. 19-
20). Tout en reconnaissant que « la dimension dépressive
est centrale pour l’anorexie », il relève que « les études
récentes soulignent que l’on ne peut l’assimiler aux seules
manifestations dépressives » (2005b, p. 17). La
compréhension du potentiel mélancolique dans l’anorexie
mentale procèderait donc de la considération de sa
« dimension dépressive », tout en gardant à l’esprit qu’elle
ne s’y résume pas. C’est donc la mélancolie en tant
qu’ensemble de mécanismes, à partir de ses premières
définitions freudiennes, qui va nous intéresser pour cette
recherche. Cela nous offre une matière à penser plus
malléable, également, au vu des buts de
déconstruction/reconstruction fixés par la recherche
conceptuelle.
Dans la préface d’une édition récente de Deuil et
Mélancolie, Laufer (2011) propose de mettre en évidence
trois mécanismes, qui prennent une forme pathologique
20. 19
dans la mélancolie : l’introjection, l’identification
l’ambivalence. Une autre partition plus étoffée apparaît
dans un commentaire de Deuil et Mélancolie (Louët,
2012) : la conscience morale comme instance, le clivage,
l’introjection du mauvais objet, l’identification narcissique
et l’ambivalence. Cinq éléments retenus ici, comme pour
l’anorexie mentale, mais incomparables terme à terme.
Nous recherchons donc, d’emblée, la mise en lien des
processus à l’œuvre, ainsi que la mise en sens du potentiel
mélancolique dans l’anorexie mentale, qu’ils permettent.
De plus la potentialité mélancolique de l’anorexie mentale,
s’il y en a une, dépasse l’addition de ces mécanismes, qui
vont y prendre, ensemble une forme particulière, et
différente de la mélancolie en tant qu’entité clinique.
2.4. Construction conceptuelle du potentiel
mélancolique dans l’anorexie mentale
Ce que la recherche conceptuelle permet dans l’abord
de notre problématique est la mise en sens du refus de
grandir par l’étude du potentiel mélancolique dans
l’anorexie mentale. La recherche conceptuelle nous amène
à déconstruire un corpus théorique constitué par la
métapsychologie de la mélancolie, par un ensemble de
modèles de l’anorexie mentale, et un ensemble de concepts
liés aux mécanismes intrapsychiques qui apparaissent
communément dans ces deux ensembles. Cette tâche
représente la collecte de données effectuée en amont de ce
travail d’écriture. La reconstruction suivra le déroulement
de notre questionnement quant au potentiel mélancolique
de l’anorexie mentale, selon les axes de la construction de
l’objet et de l’émergence du désir.
21. 20
2.4.1. Décosnstruction
Nous avons constaté, à la lecture des modèles de
l’anorexie mentale, qu’un « aspect mélancolique » pouvait
y être interrogé. Comment les auteurs interrogent-ils la
présence de la mélancolie dans l’anorexie mentale ? Entre
Freud, Ansermet, Brusset, Corcos, Jeammet, Marinov,
Recalcati, nous avons trouvé matière à élaborer et à
repenser le lien entre la métapsychologie de la mélancolie
et celle de l’anorexie mentale.
Concrètement, nous nous sommes laissés guider,
d’auteurs en auteurs, par références successives. En
cherchant la confirmation d’un lien dans un point de
littérature consultée, nous avons été systématiquement
invités à un explorer un autre. Sur le plan de la recherche
bibliographique reflétant l’état de la question, celle-ci s’est
construite au fur et à mesure. Et il est possible que parmi
les ressources apparaissant dans notre bibliographie (6),
certains travaux n’aient pas été cités, bien qu’ayant
contribué à notre réflexion en amont du travail de
l’écriture. S’agissant d’un mémoire littéraire, spécifique par
son non-accès à des données cliniques qui permettent la
mise à l’épreuve empirique d’hypothèses, cette limite nous
amène à récolter les « données », à partir de cette
intertextualité. Cependant, sans leur accorder de statut
clinique à proprement parler, car il ne s’agira pas d’analyse
de cas, nous ferons intervenir des éléments issus de
l’expression souffrante d’anorexiques qui ont publié leurs
témoignages, citées dans l’introduction (Nothomb, 2004 ;
Justine, 2007 ; Caro, 2008). Et ce, car ce discours témoigne
justement des mécanismes en jeu, que nous abordons ici
conceptuellement. Nous nous appuierons également sur
s
22. 21
des études de cas présentés par les auteurs étudiés
(Marinov, 2008 ; Houssier, 2011). Dès ses origines,
l’écriture de la métapsychologie provient des données
cliniques (Freud & Breuer, 1895). Nous citons des
éléments théoriques, des modèles, des réflexions, mais les
véritables sources de toute démarche d’écriture en
psychopathologie ne sont pas bibliographiques, il s’agit de
ce qui s’est joué en cure, de ce qui s’est dit autant que des
non dits dans la multiplicité des cures personnelles. Et ce
Réel-là, demeure en part d’iceberg immergée sous le
Symbolique, voire l’Imaginaire de l’écriture.
Nous avons dû faire beaucoup de choix dans l’étendue
de la littérature portant sur le sujet. Quand bien même, la
littérature portant sur les rapports entre mélancolie et
anorexie n’est pas abondante, et se constitue plutôt de
réflexions ponctuelles dans la métapsychologie de l’une et
de l’autre, celles-ci nous aiguillent plutôt sur ces
mécanismes élémentaires qui les rendent comparables. Et
sur ceux-ci, la littérature semble incommensurable. Nous
avons diversifié nos sources, allant des théorisations
psychopathologiques aux études de cas, en psychanalyse
d’orientation freudienne, mais également lacanienne.
Quelques références de psychosomatique, ainsi que des
sources psychiatriques sans obédience psychanalytique
spécifiée, seront également utilisées. De ce hors champ,
peut-on trouver des éléments exportables, qui permettent
de considérer les parts de deuil et de mélancolie dans
l’anorexie mentale ? Quels leviers permettent de la
comprendre par le regard extérieur d’autres approches ?
L’essentiel de notre corpus théorique de référence est
composé par la métapsychologie de la mélancolie, un
ensemble de modèles de l’anorexie mentale, et un
23. 22
ensemble de concepts liés aux mécanismes intrapsychiques
qui apparaissent communément à ces deux ensembles.
2.4.2. Reconstruction
Par quels concepts aborder le potentiel mélancolique
de l’anorexie mentale ? Quel enchaînement de
mécanismes, répondant au déroulement de notre
questionnement, rendrait compréhensible cet attachement
au monde de l’enfance ? Notre problématique amène à
considérer un ensemble de mécanismes intrapsychiques
intervenant dans la construction du soi et de l’objet.
Chaque stade de notre raisonnement fera intervenir de
nouvelles questions complémentaires et sous-jacentes à la
problématique émergente. L’arborescence d’hypothèses
sera déroulée en segmentant les différentes parts du
potentiel mélancolique dans l’anorexie mentale.
L’hypothèse conceptuelle de la présence d’un refus de
grandir (1.1) dans l’anorexie mentale, pourrait se traduire
en psychopathologie, par l’hypothèse opérationnelle
suivante : le potentiel mélancolique de l’anorexie mentale,
est ce qui empêcherait le sujet qui en souffre, d’atteindre
une position de sujet désirant et autonome (1.2.).
Le questionnement qui émerge à partir des modèles à
notre disposition semble se dérouler autour de la
construction de l’objet, et la perte qui y est nécessaire.
Comment cette perte, en tant qu’organisateur psychique, se
cristallise mélancoliquement dans l’anorexie mentale ? Si
l’objet total n’a pu se construire par défaut de séparation,
peut-on placer l’emprise dans l’anorexie mentale, comme ce
qui vient suppléer au désir, qui semble barré dans cette
pathologie ? L’objet ne pourrait être désiré puisqu’il n’a pas
été perdu, ni n’a pu apporter de première expérience de
24. 23
satisfaction dont le souvenir permet de fantasmer son
retour. La difficulté d’accéder à une position de sujet
autonome et désirant, aboutissement du développement,
reposerait elle sur ce potentiel mélancolique dans l’anorexie
mentale ? Si l’objet n’a pu se construire, si la perte n’a pas eu
lieu, si le sujet n’a pas fini de défusionner de l’objet, alors
l’autonomie serait compromise. Ensuite de cette non-
différenciation, le sujet ne peut désirer l’objet, qui ne lui
manque pas si la perte n’est pas élaborée, et donc ne peut
choisir librement ses nouveaux liens. La position de sujet
autonome et désirant, ne serait donc pas atteinte dans
l’anorexie mentale, du fait de son potentiel mélancolique.
Le développement de la construction de l’objet (3), et la
question du statut de sa perte, dans l’anorexie mentale,
suivra la logique suivante : une faille maternelle de la
fonction réflexive pourrait être à l’origine de la faille
narcissique (3.1). Cette défaillance dans la fonction réflexive
proviendrait de l’indisponibilité psychique maternelle,
laissant un vécu d’inconsistance des premiers objets et des
premiers liens. La faille narcissique traduirait cette
inconsistance en reflet du côté du sujet. La transmission
transgénérationelle, d’une inconsistance à l’autre, d’un
potentiel travail de deuil chez la mère amenant à un
potentiel travail de la mélancolie chez l’enfant, sera
interrogée. De cette transmission, l’« ombre de l’objet
tombant sur le Moi », se traduirait par l’incorporation du
mauvais objet, empêchant à la fois l’intégrité du Moi, et
l’achèvement de la construction d’un objet total dans la
réalité psychique du sujet (3.2). L’élaboration de la perte
d’objet serait compromise par cet incorporat psychique, qui
devient ce qui de l’objet ne peut être perdu, aliénant le Moi.
Cet incorporat serait ce que l’anorexie mentale tente
25. 24
d’expulser hors de soi, voire, de tuer en soi. La séparation
imparfaite du sujet et de l’objet, qui en résulte, se traduirait
par un rapport d’emprise à l’objet et à soi (3.3).
Le désir (4), dans l’anorexie mentale, en tant qu’il serait
empêché par un défaut de construction de l’objet, sera
abordé ainsi : considérant l’incorporation du mauvais objet,
l’accès à l’ambivalence serait problématique, et empêcherait
l’accès à la position dépressive, amenant à la position
mélancolique (4.1). La difficulté de l’investissement libidinal
qui en découle, serait intriquée à la difficulté d’être objet
d’investissement, exprimée par le refus de la passivité (4.2).
À la dynamique manque-désir, nécessitant ces processus
d’investissement libidinaux, mélancoliquement défaillants
dans l’anorexie mentale, se substituerait une dynamique
vide-jouissance, reposant peut-être sur des défenses
maniaques (4.3). La phénoménologie de l’inappétence, par
recours au concept de l’acédie, conclura cette partie. En
effet, l’acédie semble condenser à la fois la difficulté à
investir l’objet et celle à prendre soin de soi, ce qui
résumerait le potentiel mélancolique de l’anorexie mentale.
Le défaut d’élaboration de la perte relié à l’absence du
désir, nous permettra de conclure sur la présence du
potentiel mélancolique dans l’anorexie mentale (5.1), et
d’ouvrir cette synthèse sur l’hypothèse conceptuelle du
refus de grandir (5.2).
2.5. Le normal et le pathologique
Si le potentiel mélancolique permet de se représenter,
en psychopathologie, le refus de grandir, nous devons
encore définir ce grandir. Pour cela nous devons poser,
comme repère, un achèvement précis du développement
psycho-affectif. Ce repère nous permettra de nous
26. 25
représenter et de mesurer ce qui, dans une pathologie qui
maintient le sujet dans l’infantile, l’empêche d’y parvenir.
Il s’agit donc de proposer une réponse à ce qui vient
signifier l’élaboration de la perte et témoignant de la fin de
l’« infantile ».
Une telle approche met en évidence la relativité du
pathologique par rapport au normal. Si la métapsychologie
des processus et des stades du développement, avec les
apports de chacun à la construction de la vie psychique,
nous permettent de comprendre le fonctionnement
« normal » de l’appareil psychique, c’est en regardant ce
qui a pu manquer tout au long de ce chemin, que le
pathologique devient plus intelligible. Ces stades peuvent
également être compris comme étapes de la constitution de
soi et de la construction du rapport à l’objet, également en
tant qu’étapes de séparation amenant à l’autonomie.
Étapes de séparation, elles le sont en tant qu’étapes de
détachement vis-à-vis de ce premier environnement,
nécessaire justement à ces constructions fondamentales de
l’intégrité psychique. Qu’est-ce qui a été défaillant dans la
construction du psychisme et qui y pose problème une fois
le grandir censé être terminé ? Aussi, quel en serait le
repère, comment définir l’achèvement du développement ?
Chabert (2003) emprunte l’expression de « séparation
imparfaite » à Gribinski (2002). Si le parfait renvoie au fini,
achevé, à un deuil qui permet un travail parfait laissant un
Moi et un autre, perdu, intègres à la fin du processus, alors
cette imperfection de la séparation semble imager ce qu’il
en advient dans l’anorexie. La part de l’autre prise dans le
soi empêche la séparation, d’être parfaite. Parfaite au sens
d’achevée, tout comme ce terme de développement qui
conduirait à la normalité, et dont nous tentons de mesurer
27. 26
la distance d’avec les mécanismes pathologiques en jeu.
Sachant que le développement est constitué de séparations,
implique des pertes, qu’est ce qui témoignerait d’une
« séparation parfaite » ?
L’élaboration de la position dépressive semble pouvoir
être proposée comme accès au normal : « [la] santé mentale
consiste à ne pas détruire les objets externes pour protéger
ses objets internes, ni détruire ses objets internes pour
préserver quelque chose d’externe » (Ciccone, 2007a).
Sachant que la pathologisation de cette position dépressive
amène à la position mélancolique d’après Grunberger
(1975), et que dans l’anorexie mentale, on assiste à la
destruction du corps propre, il y a donc bien quelque chose
de pathologique à rechercher du côté du rapport à l’objet et
du rapport à soi, pour comprendre le potentiel
mélancolique dans l’anorexie mentale. De manière plus
générale, Brusset (2005) proposait un modèle de l’appareil
psychique, dont « la finalité réside dans le lien avec autrui
dans la réalité extérieure », et c’est précisément ce lien qui
semble en souffrance dans la problématique que nous nous
apprêtons à explorer. L’accès à la position de sujet autonome
et désirant, semble donc définir une relative normalité des
rapports à soi et à l’objet, ou en tous cas un aboutissement
relativement organisé du développement psycho-affectif.
Nous aimerions proposer, pour penser le normal et le
pathologique, une analogie entre la métapsychologie et ce
qu’elle permet d’appréhender. En tant qu’espace de
liaisons et de déliaisons, à partir de la mise en mots de
mécanismes intrapsychiques, la métapsychologie nous
apparaît elle-même tel un appareil à penser, voire un
appareil psychique. Le discours psychopathologique
revêtirait la fonction d’une conscience morale jugeant
28. 27
l’écart entre l’Idéal du Moi de la normalité et le Moi actuel
de la pathologie. Cette définition du normal provient du
présupposé du déterminisme psychique, basé sur les
hypothèses de la psychogenèse, et pourrait qualifier le
fonctionnement atteignable par un développement
psycho-affectif optimal et achevé, sans défaillances
préjudiciables à la constitution de la psyché. Par cette
analogie avec l’Idéal du Moi, nous relevons également la
question de l’existence réelle d’une normalité. La normalité
reste une abstraction conceptuelle, car on ne peut conclure
à un achèvement du développement en soi, ni à un
achèvement parfait de celui-ci, au sens étymologique du
terme. Il s’agit donc de fixer arbitrairement un terme au
développement qui rendrait compte du grandir, dont nous
pourrons explorer le refus supposé dans l’anorexie
mentale. L’accès à l’autonomie psychique peut représenter
un certain achèvement de la construction de soi. Quant à
l’accès au désir, il reposerait sur l’achèvement de la
construction d’objet. L’accès à une position de sujet
désirant et autonome peut donc nous fournir un repère
marquant la fin du développement psycho-affectif.
30. 29
3.
La construction de l’objet
Quelles carences au niveau développement psycho-
affectif ont pu empêcher l’achèvement de la construction
de l’objet, et de sa nécessaire perte ? La particularité de
l’objet perdu, interrogée ici, est qu’il s’agit précisément de
l’objet à construire par le processus de séparation-
individuation intriqué au développement psycho-affectif.
Une perte procédant de la séparation des premiers objets,
n’est pas une perte réelle, ce qui peut l’inscrire parmi les
modalités de perte évoquées dans la définition de la
mélancolie de 1917 (Freud). C’est également une modalité
de perte pour le travail du deuil, mais cette inconscience de
ce qui a été perdu spécifiée pour la mélancolie n’aurait-elle
pas justement plus de risques d’advenir lorsqu’il n’y a pas
de perte réelle ? La question du statut de la perte d’objet qui
permet sa construction interne, dépendante de la
constitution du Moi à travers ses premiers liens à
l’environnement et de son détachement de celui-ci, est une
part essentielle de l’appréhension de la potentialité
mélancolique dans l’anorexie mentale.
31. 30
K. Abraham (1924) nous met sur la voie d’exploration
de la défaillance de l’objet qui peut conduire à la faille
narcissique : « [une] quelconque « défaillance », une
déception par l’objet d’amour favorise quelque jour une
vague de haine qui submerge les sentiments d’amour trop
labiles ». Le non-accès à l’ambivalence évoqué, serait
conséquent à la manière dont l’objet est venu à la rencontre
du sujet et le processus par lequel il a pu être intériorisé.
« L’introjection mélancolique survient sur la base d’une
perturbation fondamentale de la relation libidinale à
l’objet ». La conscience du sujet en est débordée, « son Moi
est absorbé par l’objet introjecté ». « La perte de
l’investissement positif conduit ici à une conséquence
majeure : au renoncement à l’objet ». Une perte réelle a pu
être première (Abraham, K., 1924). L’anorexie mentale,
pourrait-elle être cette forme de renoncement à l’objet ?
Dans quelle mesure, les mécanismes de la mélancolie décrits
ici auraient pu se présenter dans le parcours
développemental débouchant sur l’anorexie mentale ?
3.1. De la faille de la fonction réflexive à la faille
narcissique
Les défaillances narcissiques apparaissent comme
symétriquement reliées à l’inconsistance de l’objet, tel qu’il
est intériorisé. Nous interrogerons cette intériorisation.
Quelles défaillances dans le processus de construction de
l’objet viennent empêcher sa perte ? Nous invoquerons la
présence du complexe de la mère morte de Green (1980),
dans la compréhension de la carence de la fonction
réflexive qui pourrait être à l’origine du narcissisme
défaillant, tel qu’il est décrit par Jeammet (1991).
32. 31
3.1.1. La fonction réflexive et l’avènement du self
Nous évoquons dans cette partie, la faille de la
fonction réflexive dans la manière dont le développement
psycho-affectif aurait pu en être marqué. Ce que vise ce
travail, c’est la compréhension du fonctionnement
inhérent à la pathologie, en considérant de manière
hypothétique, comment les différents mécanismes qui la
composent, auraient pu se mettre en place. Il ne s’agit pas
d’amener de propositions étiologiques.
Nous aurons recours au modèle de l’émergence du self
de Fonagy et Target (1997), mettant en scène ce qui est de
l’ordre de la fonction détoxifiante de Bion (1962), afin de
comprendre la faille de la fonction réflexive et son impact
sur la construction du narcissisme.
Le modèle de la naissance du faux-self, « birth of an
alien self » (Fonagy & Target, 1997), est le départ de la
chaîne logique qui nous mènera de la faille de la fonction
réflexive jusqu’au refus de grandir dans l’anorexie mentale.
De quel ordre serait ce faux-self ? Nous pouvons faire
intervenir ici le paradigme de l’empiètement imagoïque
(Ciccone, 2005). La mère qui projette ses propres états
psychiques sur l’enfant, à défaut de faire miroir aux siens
propres, dans le paradigme de l’alien self, nous permet de
supposer que cet empiètement se forme à partir de ces
projections justement. Bion nous permet de préciser la
toxicité de telles projections.
D’après Bion (1962), la fonction alpha transformant
les éléments-bêta en contenu psychique, donne des formes
au pensable. Cette fonction provient de l’environnement
maternel et prend place à l’intérieur du Moi. La fonction
alpha est un contenir (à la fois contenant et contenu) des
33. 32
sensations, des affects, des angoisses primordiales, des
morceaux de pulsion. Les « éléments-bêta » sont alors
transformés en « éléments-alpha » susceptibles de subir de
nouvelles transformations (souvenir, refoulement…) et
servent à former la pensée. La confrontation aux éléments-
bêta provenant de la dépressivité maternelle, d’affects que
la mère-même n’aurait pu digérer, pourrait constituer un
vécu précoce d’intrusion psychique, particulièrement
lorsque cela se produit au moment-même de la « naissance
à la vie psychique », en termes de Ciccone et Lhopital
(1991). Ceci nous invite à un interroger la portée
traumatique, au sens de l’« effroi » (Freud, 1920), de la non
préparation psychique de l’enfant à ce stade, à être
confronté à de tels éléments. Au lieu de la détoxification
qui permet à l’enfant de s’approprier ses besoins, il devient
cible des projections de l’adulte, et doit avaler ce qui ne lui
appartient pas à l’origine : les éléments-bêta demeurent
non transformés. Le modèle profondément intersubjectif
du développement de Bion (1962), suppose que l’enfant
pense d’abord avec l’appareil à penser d’un autre, avant
d’intérioriser cette expérience et de construire son propre
appareil à penser. Si l’appareil psychique de l’autre est
occupé par un travail psychique de deuil, il ne peut remplir
cette fonction. Cela présente un empêchement à
l’intériorisation de l’expérience de l’enfant, en particulier
l’expérience du désarroi lié à la faim. L’aspect traumatique
apparaît dès lors que c’est le psychisme de l’enfant, encore
en construction, qui est emprunté par l’adulte comme
dépositaire de ses états affectifs. Pour Bion, les « éléments-
bêta » non assimilables, incorporés, conservant une valeur
de chose en soi, du traumatique clivé, en l’occurrence, la
consistance psychique ne permettant pas de les
34. 33
appréhender. Ces éléments continuent cependant d’agir en
le sujet, de régir une part de sa vie inconsciente,
contrairement aux « éléments-alpha », qui peuvent être
assimilés et appréhendés par le sujet, tel des phénomènes.
Là où la fonction alpha devait assurer l’assimilation des
affects, sa défaillance amène l’enfant à être aux prises avec
des éléments-bêta, indigestes. Cette indigestion mentale
pourrait être à l’origine d’une carence d’élaboration
psychique dans l’anorexie mentale. La réalité psychique,
envahie par des éléments difficiles à lier, connaît ce trop-
plein, que plus tard la pathologie va recréer avec l’inertie
de la pensée autour de la faim et de la nourriture. L’enfant
s’est retrouvé intoxiqué par les élans affectifs de l’adulte,
tout en étant carencé dans la disponibilité, et la possibilité
de contenir puis de détoxifier, de ce dernier. La
disponibilité et la détoxification sont nécessaires pour
renvoyer l’expression de ses besoins à l’enfant et remplir
ainsi la fonction réflexive. Sans cela, l’objet apparaîtrait
comme inconsistant, rompant traumatiquement le confort
de la complétude primaire, et le sujet se retrouve aux prises
avec des éléments non appropriés qui envahissent son
espace psychique.
Cette déchirure de la subjectivité, entre éléments
assimilés et clivés, trouve une autre formulation chez
Roussillon (1999), qui a proposé le terme de « clivage au
Moi » plutôt que clivage du Moi. Le « clivage au Moi »
insisterait sur la déchirure subjective entre une partie
représentée et éprouvée et une partie non représentable,
non élaborée, ni constituée dans la psyché.
Roussillon (2015) étoffe sa conceptualisation du
clivage au Moi (1999) en reliant sa formation à la faille de
la fonction réflexive. Le clivage au Moi advient au sein
35. 34
même du Moi, entre du symbolisé et du non symbolisé,
abordé ci-après par la question de l’empiètement
imagoïque. Celui-ci découle des traumatismes où une
partie de l’expérience est irreprésentable au vu de
l’intensité des excitations. Une partie reste en souffrance,
en attente de symbolisation.
« Quand la « fonction miroir » est insuffisante ou
quand elle subit des torsions trop importantes –
l’environnement interprète les états affectifs et les processus
de l’enfant en fonction de ses caractéristiques propres et de
sa propre capacité à entrer en contact avec ses propres états
internes – le bébé́ vit une déception narcissique primaire
qu’il endure sans pouvoir identifier précisément la source de
son mal être. Cela provoque une forme de traumatisme
primaire et mobilise des défenses contre l’impact de cette
situation traumatique et en particulier des défenses qui
amputent le développement de sa subjectivation, des
défenses par « retrait de sa subjectivité́ » hors des
expériences traumatiques » (Roussillon, 2015, p.33).
Le clivage au Moi serait une déclinaison particulière
du clivage du Moi, où ce qui est clivé du Moi, c’est le vécu
affectif et expérientiel, amenant le sujet à se couper de son
expérience subjective par retrait. Avec ce sens du clivage au
Moi nous sommes proches de l’alexithymie intervenant
dans la psychopathologie de l’anorexie Corcos (2000).
Dans l’alexithymie ses affects mêmes semblent étrangers
au sujet. Le sujet se retire pour ne pas se déchirer, il se
retire pour survivre, il ne pourra revenir sur scène, se
retrouver comme acteur et sujet que lorsqu’il aura trouvé
une solution pour suturer la menace de brèche que
l’expérience catastrophique lui a fait encourir. Le clivage au
Moi en tant que mécanisme de défense semble étroitement
36. 35
lié au clivage du Moi d’une part, mais aussi à l’agir
anorexique et à ses effets sur le corps. La pathologie, au
moyen du corps anorexique, permet une mise à distance,
telle une barrière étanche entre soi et sa souffrance, ses
affects, tel un produit psychotrope permettant au
toxicomane une évasion, une échappée à la réalité. Si nous
mettons en lien ce retrait-ci au retrait des investissements
mélancolique, alors l’affectivité limitée de l’anorexique
prend du sens en tant qu’extension de l’alexithymie. Elle a
besoin de se tenir suffisamment éloignée de l’autre pour ne
pas être débordée par son propre vécu affectif, le contact
semblant tout aussi intrusif que la nourriture. L’expérience
catastrophique encourue pourrait être ici celle de
l’abandon, ne pas être confrontée à l’autre c’est ne pas être
confrontée à la perte potentielle de l’autre, en tant qu’elle
rappellerait cette première expérience traumatique. En tant
que ce contact renvoie au traumatisme et donc à la part
incorporée du Moi, à la part clivée et non symbolisée, il est
également intrusif. Ainsi le clivage au Moi permet de
comprendre comment l’angoisse d’intrusion et l’angoisse
de perte amènent le sujet au retrait, vis-à-vis de la relation
et vis-à-vis de lui-même.
Le refus d’absorber l’objet venant de l’extérieur,
comme la nourriture, aurait-il valeur de reproche, adressée
à la présence inconsistante de l’objet ? La restriction
alimentaire dans l’anorexie mentale, trouve ici une logique
si nous la rapprochons du fait de malmener l’autre en se
malmenant dans la mélancolie. L’angoisse d’intrusion
aurait émergé à cette période de défaillance de la fonction
réflexive, et s’en défendre, c’est se défendre de cette
potentielle toxicité, transmissible par l’autre. D’après le
paradigme de la mère morte de Green, la qualité de
37. 36
présence aurait pu être physique mais non psychique dans
les premiers mois, avec une imposition, par l’objet, de son
propre vécu mortifère et envahissant à l’enfant. Utilisé
ainsi, comme contenant, il n’a pu que de manquer de
bénéficier de la fonction contenante maternelle : « [… ]
dans certains cas, nous observons un renversement de
cette relation, les projections du bébé étant non seulement
mal contenues par la mère, mais le bébé devenant lui-
même le réceptacle des projections parentales massives […
] La seule défense possible devient alors de bloquer celles-
ci hors de lui, hors de son corps en ne les laissant pas
entrer ou en les reprojetant à l’extérieur de lui, en les
vomissant, au moyen de la nourriture qui se confond avec
sa source, la mère » (Simas & Golse, 2010, p. 82). La
toxicité de l’objet à l’œuvre, marquant un premier vécu
d’incomplétude, en lieu et place de l’expérience de
satisfaction primaire, risque d’amener massivement des
angoisses d’intrusion, dans la suite du développement,
justifiant le recours défensif à l’agir au moyen de la
restriction alimentaire.
Au moment de la constitution psychique sous le
regard maternel, non reflété par celui-ci, l’enfant n’a pas pu
se sentir désiré, d’avoir de place, de légitimité dans le désir
maternel, rendant problématique l’accès à sa propre
désirance, au cours de la suite de son développement. Ne
pas toucher les aliments sauf par un regard avide, sert-il à
garder cet élément intact à l’extérieur d’elle-même, par
peur de le détruire ? Cette mise à distance vis-à-vis de la
bouche mais à la fois mise en scène ou exposition au
regard du sujet anorexique, lui permet de continuer à le
dévorer avec les yeux, ainsi que de se sentir elle-même
dévorée tout en restant intacte, par les yeux de l’autre.
38. 37
L’anorexique « vampirise » le regard de l’autre (Marinov,
2008), affamée peut-être de ce regard miroir dont elle a pu
être carencée, au moment du développement où se
constitue le Moi, où se produit l’avènement du soi et la
constitution du psychisme. Comme dans une recherche de
réparation de la fonction réflexive défaillante, une faim de
reflet s’instaure et les yeux deviennent une bouche avide.
Les projections maternelles dont procède
l’incorporation aliénante pour le self, dans le schéma
conceptuel de Fonagy et Target (1997), empêcheraient
l’appropriation de ses propres besoins, processus
nécessaire à l’intégration du Moi, à la constitution du
narcissisme. Pour Bion, c’est dans la relation précoce
mère-bébé que la vie psychique de l’enfant commence à se
construire, à travers le travail psychique de la mère qui
reçoit et transforme les projections non-métabolisées du
bébé, pour les lui rendre sous forme digérée, et utilisable
pour sa croissance psychique.
La faille de la fonction réflexive, serait partie prise de
la constitution de la faille narcissique, avec une
chronologie du regard vide, au vécu de vide, à l’absorption
de ce vide, par la restriction alimentaire de l’anorexie
mentale. L’émergence du self, pouvant être compromise
par une faille de la fonction réflexive, est un stade essentiel
dans la construction de l’objet interne. Le processus de la
séparation-individuation, tel qu’il est décrit par Mahler
(1968) y est intrinsèque. Ces carences posent la question
du rapport à l’objet, dans l’interdépendance du rapport à
soi, à l’autre, et au monde. Ceux-ci peuvent être interrogés
à partir du rapport de l’anorexique à son propre corps.
Dans le miroir brisé, le corps semble un objet
extérieur faisant barrière entre le soi fragile et l’autre, entre
39. 38
le soi et le monde. Ce que supporte ce corps, au-delà de
l’ombre de l’objet qui y serait tombée, éclipsant le Moi, qui
en retour, fonctionne en faux-self au travers de ce corps,
c’est la non légitimité de la place qu’il prend ; légitimité,
dans l’idéal, accordée par la contenance et la réflexivité
maternelle. Ce corps fait barrage, il porte la trace du refus
de ce que ce monde extérieur aurait à offrir, c’est un corps
inaccueillant, non réceptif, non contenant, fermé ainsi sur
l’extérieur. Le corps vient revêtir les fonctions maternelles
défaillantes : non contenance, le corps qui ne se reflète pas
tel quel dans le miroir. Un corps coupé de sa vie, un corps
mort, qui répond à son rôle potentiel de prolongement
narcissique de la mère morte. Cette éclipse, cette ombre
portée sur le Moi, est analogue, et se rejoint ici, avec
l’enclave du Moi, abordée dans la suite au moyen du
mécanisme d’incorporation, formée par l’intrusion de cet
élément aliénant prenant la place du reflet de ses propres
besoins. Des néo-besoins (McDougall, 2001) appelant à
une jouissance mortifère qui ne peut les remplir sont peut-
être ce qui vient en place de cette non appropriation des
besoins réels.
3.1.2. Indisponibilité psychique maternelle
L’objet à perdre, aurait-il pu, n’avoir jamais été là ? Le
bon objet manquerait en soi, aurait manqué son
intériorisation (Klein, 1937). Une insatisfaction vécue
précocement en lien avec la qualité de la complétude
première avec son premier objet d’investissement, va
compliquer autant la constitution narcissique que celle de
l’objet, et par conséquent, le lien. Le complexe de la mère
morte (Green, 1980), permet de comprendre un aspect
essentiel dans l’émergence de la faille narcissique, par
40. 39
l’indisponibilité maternelle psychique projetée par le
regard vide en question. L’« ombre de l’objet tombant sur
le Moi » de la mélancolie, se constitue peut-être ici à partir
des projections maternelles, venant à la place du reflet
nécessaire à l’appropriation de ses besoins de l’enfant.
Sans l’expérience primaire de satisfaction (Freud, 1900),
ni l’expérience de perte, précurseurs du désir, celui-ci ne
pourra se former, mettant en jeu la possibilité d’atteindre la
position de sujet désirant. Au lieu d’un manque, c’est une
absence maternelle psychique et corporelle qui s’offre à
l’enfant, entravant la transmission de l’érotique, ce que
relève Corcos (2005b) : « à l’absence de la mère dans certains
domaines érotiques et affectifs répond une absence de soi de
la fille psychique et corporelle » (p. 269). Comment se
séparer de ce qui n’avait pas été complètement, totalement,
de manière suffisamment consistante, présent ? Où est
l’inconsistance ? La faille dans la fonction maternelle
réflexive (Fonagy & Target, 1997), elle-même pouvant
reposer sur la présence physique accompagnée d’une
indisponibilité psychique de la mère, sur le modèle du
complexe de la mère morte (Green, 1980) peut
compromettre les premières expériences de satisfaction.
Après six mois, ce moment crucial de l’avènement du
psychisme, le bébé n’hallucine plus mais fantasme la
présence affective de la mère grâce à l’auto-érotisme
(Fanguin, 2009, p. 55). Est-ce cela qui n’aurait pas pu être
fantasmé dans la problématique de la mère morte, de par le
défaut de cette présence psychique ? L’absence maternelle
ne pourrait être représentée puisqu’il y a absence
psychique dans la présence physique ; cette absence
psychique elle-même étant d’autant plus irreprésentable.
Nous avons précédemment abordé les carences dans les
41. 40
processus d’élaboration sous l’angle d’éléments-bêta, que la
fonction alpha défaillante ne serait pas parvenue à
transformer. Cela met l’accent sur les empêchements
potentiels au « travail de métabolisation de l’expérience
subjective » (Roussillon, 2000). La pensée étant
représentation de l’absence, pour pouvoir se re-présenter
une chose, il faut qu’elle ait été présente dans un premier
temps. Autrement dit, pour passer à l’identité de pensée, il
faut avoir fait le deuil de l’identité de perception (ibid.), et
pour celle-ci, il faut qu’il y ait eu perception réelle de
satisfaction d’un besoin. Ainsi, pour l’émergence du désir,
il faut avoir connu et perdu l’objet, pour le désirer. Cette
carence de présence affective, en amenant aux carences
élaboratives et fantasmatiques, empêche automatiquement
l’émergence du désir qui trouve son support dans le
fantasme.
Reconnaître l’autre différent de soi, et se reconnaître
distinct d’autrui, c’est également comprendre que l’on peut
perdre son objet d’attachement. Cette expérience de la
séparation peut être ressentie douloureuse voire
angoissante (Fanguin, 2009, p. 55). Si donc cette douleur,
cette angoisse, ne peut être supportée grâce au fantasme
qui n’aurait pu se former, le risque est de ne pas pouvoir
renoncer à la complétude primaire, et se vivre comme un
tout indifférencié d’avec l’objet, dans une relation
fusionnelle. La perte de l’objet, au sens de la possibilité de
se séparer, repose sur cette différenciation, qui amène avec
elle, les angoisses de perte d’objet. Si une perte traumatique
a pu advenir, alors que le soi et l’objet sont encore en
pleine construction, précédant la perte constitutive du
développement, la différenciation pourrait en être
compromise. Cette différenciation repose sur une première
42. 41
expérience de séparation, formatrice du Moi, comme le
décrit Mahler (1968) en analysant le processus de
séparation-individuation.
Cette faille de la fonction réflexive, intervenant lors
des six mois, ce manque, ou carence précoce du regard de
l’autre, amènerait à une recherche de compensation avec
l’anorexie. Une revendication de ce qui n’avait pas été là,
de la même manière que la jouissance destructrice et
discontinue revendique le manque ou carence de
l’expérience de satisfaction primaire. À la plénitude de
l’expérience de la satiété, à laquelle la régression semble
illusoirement possible via l’agir boulimique, s’oppose
l’« orgasme de la faim » dans l’anorexie mentale. Dans les
deux cas, c’est le « deuil de l’identité de perception »
(Roussillon, 2000) qui semble n’avoir pas été achevé. Cette
différence pourrait reposer sur la porosité de la censure
apposée sur l’association entre absorption alimentaire et
destruction cannibalique de l’objet. « De ce point de vue, le
propre de l’anorexique est de rester fixée à un orgasme
originaire et à un orgasme primaire défaillants qui
n’arrivent à se « convertir » en plaisir auto-érotique »
(Marinov, 2008, pp. 256-257), nécessaire au
développement du monde fantasmatique. La qualité des
processus d’élaboration et les possibilités de fantasme
découlent de l’expérience primaire de satisfaction (Freud,
1900). À la place nous assistons au maintien du fantasme
archaïque du retour dans le sein maternel (Freud, 1905),
traduisant la nostalgie d’un narcissisme primaire intra-
utérin. Par cette fixation, l’anorexique tenterait d’annuler
la confrontation avec les deux expériences « orgastiques »
de la naissance et de l’allaitement, qui ont été
insatisfaisantes dans son cas (Marinov, 2008). Il est peut-
43. 42
être question d’« auto-engendrement » (Racamier, 1992),
comme si revenir à ce narcissisme primaire intra-utérin
pouvait réparer la faille narcissique constituée peu après la
naissance.
L’inconsistance de soi et de l’objet seraient
conséquentes aux défaillances développementales amenant
à la pathologie. Or cette inconsistance peut aussi être
supposée aux origines (Marinov, 2008). Et le sevrage
d’avec un objet insuffisamment consistant, ne peut pas être
clairement achevé. Ni investir, ni laisser partir l’objet, la
dynamique de l’angoisse d’abandon et de la pulsion
d’emprise, nous parlent du trop près et du trop loin, par
opposition à une distance qui serait « suffisamment
bonne » (Winnicott, 1966). Le trop loin peut être rattaché à
l’indisponibilité psychique et au regard vide d’une mère
prise par le travail du deuil et insuffisamment présente. Le
trop près renvoie aux éléments intrusifs conduisant à
l’incorporation, et sera abordé en détail ultérieurement.
Sachant que les liens aux premiers objets d’investissement
pourvoient le sujet en modèles pour ses futurs liens, nous
pouvons supposer que cette distance provient d’une mère
non « suffisamment bonne » au sens de Winnicott (1956).
La capacité d’être seul de l’enfant (Winnicott, 1958), part
essentielle servant l’autonomie, découle d’un lien avec une
mère suffisamment bonne. L’incapacité à être seul
constatée dans l’anorexie mentale, pourrait être imputable
à cette distance insuffisamment bonne, d’un lien avec une
mère trop proche, intrusive, ou trop distante comme dans
le paradigme de la mère morte (Green, 1980). Le
suffisamment bon est intégré via une alternance
d’expériences de satisfaction et de frustration.
Si le complexe de mère morte de Green (1980) permet
44. 43
de relier l’absence psychique maternelle, aux carences
narcissiques chez l’enfant, d’autres ont repensé ce rapport.
Nabati (2012) expose clairement le lien de cette
indisponibilité à la faille narcissique et au vide engendrés
chez l’enfant : « Toutes ces circonstances dans lesquelles le
bébé subit, en toute impuissance, une interruption de
l’apport narcissique, une pénurie d’amour et
d’enveloppement matriciel, imprimeront donc dans son
esprit un vide, un blanc, et risqueront de le rendre plus tard
absent à lui-même » (p. 13), répétant l’absence maternelle.
Cette « absence à soi » est définie par Nabati comme « une
indisponibilité psychique » empêchant le sujet, entre autres,
« d’habiter sereinement son corps » (ibid., p. 10). À la suite
de Bion, de Green, et de Fonagy, Nabati va accorder une
importance majeure à l’indisponibilité maternelle psychique
dans la construction de soi de l’enfant. Cherchant à
comprendre les sentiments de vide formulés par ses
patients, il avance que ce « mal-être reflète [rait] l’absence à
soi », que les manifestations pathologiques engendrées
proviennent d’une « carence due à l’indisponibilité
psychique de la mère » (ibid.). « Le sentiment d’abandon
crée chez le bébé une dépression précoce, responsable plus
tard du vide intérieur empêchant l’adulte d’être présent à soi
et aux autres. Ce dernier aura alors tendance à rechercher, à
l’excès, amour et reconnaissance afin de combler son vide »,
quête qui ne fera qu’exacerber la « dépendance affective » en
termes de Nabati (2012), que nous pouvons rapprocher du
rapport anaclitique à l’objet, et plus spécifiquement d’un
rapport d’emprise à un objet, qui semble nécessaire à la
survie psychique (McDougall, 2001). Il est insupportable à
l’anorexique que l’objet échappe à son emprise, signant la
perte voire l’abandon.
45. 44
En quoi l’environnement maternel dénote d’une
inconsistance et est-il capable d’entraver « l’expérience
primaire de satisfaction » ? Dans le témoignage d’Isabelle
Caro (2008), il y a ce complexe de la « mère morte » qui
semble apparaître en filigrane. Sa mère semblait en sevrage
affectif et Caro écrit, dans son autobiographie, se souvenir
de ses pleurs, durant son enfance. Nous pouvons supposer
une composante dépressive présente lors de la période des
premiers soins. D’après Green, une mère souffrant de
dépression risque de ne pouvoir offrir que sa présence
physique à l’enfant, mais ne pas être présente affectivement
(Fanguin, 2009, p. 19), ne pas être disponible
psychiquement. Là où cela risque d’entraver la
construction de soi, c’est que l’enfant a besoin de cette
disponibilité psychique maternelle, nécessaire à la fonction
réflexive, pour qu’en s’autorégulant à ses besoins, elle l’aide
à se les approprier, à construire ainsi son propre
psychisme. Si la fonction réflexive et contenante n’ont pas
été complètement remplies, comment l’anorexie tente d’y
pallier ? Or ces fonctions contenante, détoxifiante, et
réflexive, exigent beaucoup de disponibilité psychique. Si
une part de libido est indisponible car prise dans un travail
psychique de deuil chez la mère, cela semble presque
normal qu’elle ne puisse offrir cette disponibilité. Un peu
comme dans l’expérience du Still face, où le regard vide
déroute et désécurise l’enfant (Field, Vega-Lahr, Scafidi, &
Goldstein, 1986). De même, dans l’expérience de privation
maternelle de Harlow (1959) où le singe préfère la chaleur
sans nourrissage, au biberon sans chaleur. Si donc, c’est un
regard vide qui fait face à l’enfant, un Still face qui ne lui
fait pas miroir, visage impassible, décrit d’ailleurs au
départ en termes d’« indisponibilité maternelle » (Field,
46. 45
Vega-Lahr, Scafidi, & Goldstein, 1986), l’enfant risque de
rester sur sa faim par rapport à ce regard. Il va être assoiffé
de ce regard de l’autre, et ne pas en manquer puisqu’il n’en
a pas bénéficié avant d’en voir le retrait. Toutefois, dans le
« complexe de la mère morte » de Green, il y a un temps où
l’enfant est investi, puis, brutalement, désinvesti. Pour
synthétiser cela, nous pouvons supposer que l’enfant a pu
ne pas avoir « assez » de ce regard. Tout en ayant été
investi, il a pu ne pas avoir été satisfait5
, ce qui nous invite à
réfléchir en termes de failles ou de carences que la
pathologie tenterait de compenser, ou du moins, colmater.
Lorsque Marinov (2008) parle de la recherche de
« vampiriser » le regard de l’autre, de se laisser dévorer par
ce regard, c’est peut-être une recherche à compenser ce
vide de regard vécu précocement. La libido maternelle se
retire de lui, tout comme ce qui advient dans le mécanisme
de la mélancolie. Ce moment dont on a évoqué la
culpabilité émergente et qui n’aurait pu trouver d’autre
support que sa propre existence, pour l’enfant. Les
anorexiques, au moyen de leur maigreur, vont pouvoir
« vampiriser » le regard de l’autre (ibid.). Et ce, peut-être
comme pour tenter de récupérer le regard manquant.
Aussi, « [l’] hypothèse d’une mère dépressive et/ou
anxieuse cadre bien avec l’image d’une mère érotiquement
et ludiquement plutôt défaillante » (ibid., p. 213). Aux
côtés des impacts sur le narcissisme et la construction de
l’objet qui vont rendre difficile l’accès au désir, Marinov
semble nous présenter une voie plus directe entre
l’indisponibilité psychique maternelle, et la recherche de
plaisir ultérieure : « [la] mère est [dans ce contexte] perçue
5
Satisfaction vient de « satis »=étymologiquement, « assez »
47. 46
par sa fille comme ayant du mal à y introduire un plaisir
érotique gratuit » (ibid.).
Pour Lacan, cité par Recalcati (2010), l’Autre de
l’anorexique tend à réduire le sujet à un objet passif de
soins, en rabattant le désir sur la dimension du besoin.
D’où la confusion ultérieure entre besoin et désir, et celle
entre autosuffisance et autonomie. Il s’agit là également de
cette « demande invasive de l’autre » (Recalcati, 2010), qui
nous permet de penser le « trop proche » de la distance
insuffisamment bonne des premiers liens. Marinov (2008)
présente le cas d’une patiente anorexique « qui avait du
mal à trouver une bonne distance par rapport à une mère
« absente » mentalement mais excessivement présente
physiquement » (p. 215), décalage qui viendrait perturber
la formation de l’aire et de l’objet transitionnels.
3.1.3. Instabilité des assises narcissiques
« Les insuffisances d’intériorisation des assises
narcissiques, la fragilité des limites et des processus de
différenciations : insuffisance du pare-excitation, failles
narcissiques, mauvaise différenciation des imagos,
permanence de la bisexualité, inachèvement des
identifications, mauvaise différenciation du Surmoi et de
l’Idéal du Moi qui demeurent imprégnés d’éléments
archaïques » (Jeammet, 1991, p. 87).
Jeammet expose une pluralité d’éléments au niveau de
la construction de l’objet, définissant la faille narcissique.
Ce que notre questionnement y ajoute, c’est que cette
« mauvaise différenciation du Surmoi et de l’Idéal du
Moi » pourrait être comprise par les processus
mélancoliques à l’œuvre. En situant l’anorexique, dans une
problématique narcissique, Jeammet en pointe les
48. 47
difficultés de séparation. Chez les adolescentes souffrant
d’anorexie, aux prises aux restes de dépendance infantile, il
y a un échec du processus de séparation-individuation. Un
rapport d’emprise à l’objet s’instaure pour pallier à ce qui
n’a pu se différencier. « Au travers de ce fonctionnement,
la possibilité de se construire une identité passe par une
emprise de l’objet externe qui ne permet pas l’élaboration
des rapports à cet objet qui menace des assises narcissiques
défaillantes » (Pedinielli, Rouan, & Bertagne, 1997, p. 67).
Cette recherche de dépendance physique à un objet
externe, éviterait, d’après Jeammet (1990), « la dépendance
affective à un objet libidinal » (p. 137).
La relation anaclitique, à laquelle amènent les failles
dans la construction de l’objet, repose sur les tentatives du
Moi de se re-compléter au contact de l’objet, formant un
tout indifférencié toutefois différent du rapport fusionnel.
« Les identifications narcissiques à tonalité mélancolique
donnent à voir l’impossible différenciation sujet/objet »
notent Chabert et Vibert (2009, p. 353), d’après leurs
observations en recherche clinique de l’anorexie mentale.
Pour pallier aux carences identitaires procédant de la
faille narcissique, l’identité s’organise autour d’un faux-self.
Ce faux-self, se constitue-t-il par incorporation du mauvais
objet ? La nature de ce faux-self serait-elle manifestée par le
phénomène de la résistance de l’anorexique au traitement ?
La pathologie, partie intégrante de l’économie psychique, ne
constituerait-elle pas, elle-même, ce faux-self ? N’y aurait-il
pas là également un deuil de la pathologie elle-même qui
semble problématique (McLaughlin, 2007). D’après Rufo
(2005), se séparer de sa pathologie présente des difficultés
« dans la mesure où le sujet s’identifie peu à peu à [elle],
toute son existence s’organisant autour d’ [elle], créant une
49. 48
contrainte qui le fait souffrir et l’isole, au point qu’il ne
parvient plus à voir autre chose. Si la maladie enchaîne, c’est
aussi parce qu’elle procure des bénéfices secondaires non
négligeables, notamment cette possibilité de monopoliser
l’attention, la disponibilité et l’affection de l’entourage » (p.
93). Qu’adviendrait-il du sujet sans sa pathologie qui pallie
aux défauts de construction identitaire ? La pathologie lui
permet une sorte de quête, de recherche de réparation d’un
manque précoce et fondamental de ce qui n’avait pas eu lieu
au moment opportun. L’objet non totalement trouvé ne
pourrait être perdu. Renoncer à la pathologie, c’est renoncer
à l’espoir d’un meilleur passé, en faire le deuil. Comment se
séparer d’une identité rigide d’anorexique, d’une identité
construite grâce à la pathologie, répondant à un « fantasme
d’auto-engendrement » (Racamier, 1992) en quelque sorte,
pour affronter les défauts de construction de son identité ?
La potentialité identitaire offerte par la pathologie n’est-elle
pas un palliatif puissant aux défauts de construction du soi,
maintenant le risque de désubjectivation à distance, et cet
équilibre psychique pathologique mais qui assure la survie
psychique ? Dumet (2006) supposait que l’agir alimentaire
pouvait venir au service de la subjectivation : « Ces troubles
s’observeraient principalement chez des personnalités
marquées par des carences narcissiques, des souffrances
identitaires et des difficultés d’élaboration psychique ».
Les risques de désubjectivation, de dépersonnalisation,
évoquées comme potentialités décompensatoires de
l’anorexie mentale, rendent compte des souffrances
identitaires sous-jacentes à la pathologie. C’est pourquoi,
grandir sur un tel terrain structurel équivaudrait à se
perdre soi-même. La pulsion d’emprise, présente dans
l’anorexie mentale, semble protéger la fragile intégrité du
50. 49
Moi contre ces risques de déstructuration identitaire. Le
Moi incomplètement constitué, de par la faille narcissique,
l’objet construit de manière incomplète, la survie
psychique de l’un semble dépendre de la constance de
l’objet dans la réalité psychique. Or, sans possibilité de
fantasmer l’objet absent, il n’y a pas de permanence, mais
plutôt cette illusion de constance passant par un recours à
la présence physique externe de l’objet ainsi que des
sensations physiologiques liées à la faim. L’absorption
serait donc menaçante par son impact sur cette illusion de
constance, l’objet présent physiquement disparaissant aux
yeux et mettant fin aux sensations de faim. C’est en cela
que la restriction alimentaire permettrait de lutter contre
l’angoisse de perte et le vécu d’impermanence. La
séparation présente alors un risque de mort psychique.
C’est au niveau de la constitution psychique de l’objet, de
la représentation de sa continuité que dépend le sentiment
de continuité du Moi. Le risque de désubjectivation
représenté par la perte est évoqué dans les termes suivants
par Pedinielli, Ferran, Grimaldi, et Carmen (2012) :
« Ces atteintes à la constitution du narcissisme ont
pour conséquence une impossibilité de travail de liaison
des affects et des représentations, du travail d’élaboration
(ce qui va poser un problème dans la formation du
fantasme). [Les relations familiales] sont donc à l’origine
d’un échec d’intériorisation des objets et d’une soumission
aux objets extérieurs (réels), comme si l’intériorité avait
moins de poids que la réalité ».
L’inconsistance du Moi est reliée au vécu de
l’impermanence et rend nécessaire des repères physiques
extérieurs, dont la présence de l’autre. L’anorexique vit au
travers du regard de l’autre. La « position subjective
51. 50
autonome », terme d’un développement psycho-affectif
fluide, opposée à la position de dépendance à l’objet, « être
l’objet de son objet »6
, et à l’autre, semble inatteignable
dans la rigidité des défenses mises en place dans l’anorexie
mentale (Pedinielli, Ferran, Grimaldi, & Carmen, 2012, p.
95). Celles-ci la placent dans un double mouvement
d’emprise : sur l’objet par l’agir, et de l’objet sur
l’anorexique par incorporation, par l’ombre, par l’intrusion
psychique qui empêche cette capacité d’être seul en
présence de l’autre (Winnicott, 1958). Le « vertige de la
domination » proposé par Kestemberg, Kestemberg et
Decobert (1972) évoque l’état du sujet qui jouit de la
maîtrise qui l’enivre et dont il est, aussi, prisonnier.
L’intégrité du soi permet un vécu de la continuité de
son existence malgré les changements induits par la
temporalité ; l’intégrité de l’objet, permet la conscience de
permanence de l’objet, i.e. de la continuité de son existence
par-delà l’expérience de son absence. Ces deux
permanences ou intégrités sont interdépendantes, c’est
pourquoi elles font défaut ensemble dans l’anorexie
mentale, au vu des défenses déployées. En tentant de
maintenir, par l’emprise, l’autre, proche, et son corps,
identique, par cette même emprise, l’anorexique tente de
se soustraire à la temporalité, ne pouvant supporter ce vécu
d’impermanence, empreint de l’angoisse de mort.
« L’émergence du pubertaire est traumatique, mais l’enfant
à la possibilité de ne pas le laisser advenir en empêchant
6
La dynamique de l’autonomie psychique offre la possibilité d’être
désirée ou non par l’Autre, alors que dans la dynamique de l’emprise,
i.e. devenir l’objet de son objet, évite cette contingence par une
rigidification du lien.
52. 51
son corps de changer. Pour éviter peut-être que son propre
corps [ne] lui échappe entrainant avec lui le sentiment de
continuité de son existence » (Chabert & Vibert, 2009).
Nous pouvons nous poser la question, avec elles, de ce qui
échappe véritablement au sujet dans l’anorexie mentale :
son corps, l’objet dans son altérité, son corps en tant qu’il
pourrait revêtir cette altérité ?
La peur de perdre le corps connu, semble analogue à
l’objet dans la mélancolie qui risque d’entrainer le sujet
dans sa mort. « Il y a comme une double perte : la perte de
l’objet entraîne la perte d’une partie du sujet. Dans la
mélancolie, l’objet ne peut pas être perdu parce qu’il n’a
jamais été structuralement acquis » (Bulat-Manenti, 2010).
3.1.4. Du transgénérationnel à l’empiétement imagoïque :
mort réelle, mort psychique
Sur quel objet ou quel idéal porte le travail de deuil qui
n’aurait pas été achevé dans l’anorexie mentale ? Serait-ce
une perte réelle qui transcende les générations, une
séparation avec le monde de l’enfance même, une non
perte de ce qui n’aurait jamais été présent ? Est-ce qu’un
travail de deuil, en cours, ou problématique, avec lequel la
mère serait aux prises, se transmettrait, par ce regard vide,
et un holding sans chaleur, à l’enfant pour qui il devient
automatiquement travail de la mélancolie, vu qu’il ne peut
être conscient de l’objet perdu ? La mère elle-même par
contre devrait sa dépressivité aux pertes réelles, ce qui nous
amène à rechercher du côté de l’impact transgénérationnel.
En recherchant à explorer le potentiel mélancolique dans
l’anorexie mentale, nous sommes amenés à considérer un
potentiel mélancolique maternel, voire parental, et son
impact sur le développement.
53. 52
L’absence psychique de la « mère morte » (Green,
1980), amène traumatiquement l’enfant face à la mort
psychique, à l’absence de l’autre malgré sa présence
physique, l’endeuillant à son tour, et lui faisant
expérimenter la discontinuité de cette présence de l’autre au
moment-même où la permanence est censée se constituer,
lui permettant de s’extraire de la complétude primaire. Ce
potentiel mélancolique maternel pourrait donc être à
l’origine dans le potentiel mélancolique de l’anorexie
mentale. Et là, on parlerait d’un objet de deuil qui n’aura
jamais été présent dans l’inconscient de l’enfant, et dont le
travail se présente d’emblée sous forme mélancolique.
Parmi « ces circonstances » où la mère serait
« empêchée d’offrir une bonne enveloppe matricielle », est
invoquée la perte inopinée d’un être cher, la rendant
endeuillée (Nabati, 2012, p. 13). Le travail de deuil
maternel devient travail de mélancolie pour l’enfant, au
travers d’une perte transmise, car il s’agit d’un passage
d’une perte réelle à une perte inconsciente, ce qui
caractérise la mélancolie. « Le mélancolique semble avoir
perdu un objet aimé, cependant, on peut difficilement
mettre en évidence ce qui a été perdu, comme s’il s’agissait
d’un objet dérobé à la conscience » (Freud, 1917). L’objet
ici n’aurait jamais composé la conscience de l’enfant qui lit
la perte sur le visage maternel. Ce deuil potentiellement à
l’œuvre, amène peut-être ce regard vide, corroborant au
complexe de la mère morte. « Dans la grande majorité des
cas rencontrés, [intervient] la confrontation avec une
problématique de deuil, deuil des patients eux-mêmes, ou
plus souvent deuil des parents de l’anorexique » ;
« l’anorexique est liée à une personne morte énigmatique –
car souvent peu connue, voire inconnue –, dont la mort
54. 53
affecte la mère ou les deux parents ; [et] qu’on trouve dans
ses fantasmes » (Marinov, 2008, pp. 49-51). Nous trouvons
réponse à ce questionnement d’une mort réelle et de la
présence de deuil qui vient altérer l’environnement
nécessaire au bon déroulement du développement psycho-
affectif. Ce qui apparaît également ici, c’est la question du
« deuil de soi », qui serait de l’ordre de la problématique
identitaire, l’anorexique ne se reconnaissant pas dans la
glace, et risquant la désubjectivation si elle se laisse sortir
de l’agir répétitif défensif, par lequel elle trouve une
identité en dehors de l’ombre aliénante de l’objet perdu par
les parents et qui semble portée sur elle.
Au sujet de la clinique d’une patiente anorexique,
Marinov (2008) évoque « l’ombre d’ [un] nouveau-né » se
projetant sur toute la lignée de la fratrie, dont elle-même,
et qui rêvait d’engendrement de mort-nés « comme si elle
avait incorporé un deuil par procuration, le deuil de sa
mère [… ] » (p. 29). Il suppose que « l’âme des morts [… ]
serait présente dans la vie de beaucoup d’anorexiques », et
qu’il s’agit de l’apaiser en revêtant un « Moi-os-peau » de la
maigreur. Cela donnerait une défense contre l’angoisse
d’effondrement, permettant d’« incarner » enfin ce corps
devenu squelettique, i.e. après avoir été vidé par expulsion
de tout ce qui aurait pu contenir, ou être une part de cette
« âme du mort » : « aliment, chair, sang, entrailles » (ibid.
p. 43).
« Les patientes [… ] sont en réalité prisonnières, à leur
insu, d’un idéal contraignant directement hérité des liens
précoces avec l’objet fondamental [… ]. On s’aperçoit que,
dans l’histoire de la mère, le plus souvent, cet idéal fait
référence à un parent disparu. [… ] on peut quelquefois
repérer une trame transgénérationelle dans l’anorexie
55. 54
mentale qui implique que, d’une certaine façon, la patiente
s’identifie à l’objet mort de l’autre » (Ferrant, 2007, p. 493).
Marinov (2008) invoque cette potentielle perte réelle pour
comprendre le clivage dans l’anorexie mentale : « Ce
clivage entre corps et esprit s’explique, entre autres, parce
que l’esprit d’un mort ou d’un disparu a été projeté
précocement sur le corps de l’enfant et ce, parfois à un âge
préverbal » (p. 278). Dans « [… ] cette ligne de clivage
corporel [… ], quelque chose semble resté en travers de la
gorge, quelque chose d’étouffant » poursuit Marinov. Nous
en déduisons que l’ombre de l’objet perdu, via les
projections parentales, semblerait projetée sur le corps, et
pas seulement sur le Moi. De plus, le clivage corporel
répond à ce questionnement du conflit interne induit dans
la mélancolie, qui se rejouerait au niveau du corps, dans
l’anorexie mentale. Donc au départ, par ces considérations
sur le transgénérationnel, une perte réelle semble bien en
jeu dans la constitution de l’anorexie mentale, empêchant
celle, liée au développement.
Quelques cas de rémission partielle d’anorexie
mentale ont été observés par Palazzoli-Selvini (1979)7
à la
suite à des cérémonies funéraires rendant hommage au
mort-fantôme familial. Nous pouvons donc nous
demander si une perte réelle serait toujours présente en
amont de cette perte psychique inconsciente dans
l’anorexie mentale. La culpabilité « cachée » (McAll &
McAll, 1980), latente, liée à cette perte, amènerait à des
comportements d’expiation au travers de la restriction
alimentaire. Ainsi, relier cette culpabilité sans support dans
7
Résultats de recherche traduits et rapportés par McAll & McAll (1980)
dans The Lancet
56. 55
l’histoire individuelle, à la perte survenue à la génération
précédente, permettrait peut-être d’aménager le travail de
la mélancolie en travail de deuil, tout en restaurant la
différence entre les générations qui aurait pu manquer à la
structuration psychique dans l’anorexie mentale.
Ainsi, le potentiel maternel dépressif peut provenir de
morts réelles. Marqués par une perte réelle, les premiers
liens « ont le plus souvent été empreints d’une forme de
rigidité, comme si l’objet imposait ses rythmes sans tenir
suffisamment compte des rythmes propres du sujet. On
peut dire que les besoins du Moi ont été satisfaits de façon
contraignante, sans mise en œuvre d’un plaisir
suffisamment partagé » (Ferrant, 2007, pp. 492-493). « Le
clivage entre corps et esprit existe déjà dans le psychisme
parental. Le mort saisit le vif, le vampirise à travers le
regard que l’entourage projette sur l’infans. Le corps de
l’enfant vivant est traité comme une peluche ou un objet
inerte tandis que l’esprit du défunt, lui, reste vivant dans la
mémoire des adultes. Si l’enfant ne se sent pas
nécessairement identifié à un esprit dans le psychisme
parental, il s’est néanmoins souvent senti « mal accueilli8
« »
(Marinov, 2008, p. 278). Ce corps-peluche, n’est pas sans
rappeler le cas de « Julie, ou le corps chiffon » présenté par
Houssier (2011). C’est comme si le regard parental, vide et
endeuillé, engendrait un corps mort, ne permettant pas au
psychisme de s’incarner, de prendre place dans ce corps
chosifié.
La nature de l’objet déterminerait le mode de
8
Il s’agit d’un renvoi au texte de Ferenczi, « L’enfant mal accueilli » et sa
pulsion de mort, in Psychanalyse 4, Œuvres complètes, t. IV, Paris,
Payot, 1982, p.76-81.
57. 56
transmission d’après Ciccone (1999). Avec le concept
d’empiètement imagoïque il aborde la manière dont les
objets transgénérationnels s’imposent et aliènent le sujet.
L’empiètement imagoïque amène aux liens d’emprise, en
particulier pour celle que l’objet semble exercer sur le sujet.
Dans la relation à l’objet de soins, l’empiètement
imagoïque utilise les voies de l’identification projective
mutuelle où l’imago parentale est projetée et identifiée à
l’enfant, capté ou persécuté mais privé d’autonomie dans
les deux cas (Ciccone, 1999). Ciccone remarque que ce
processus peut répondre à un traumatisme « affectant
profondément le narcissisme ». Le traumatique dans la
transmission ainsi que son contexte reposent sur la
précocité avec laquelle l’enfant a pu être confronté à la
perte de l’autre, alors qu’il n’a pas encore eu l’occasion
d’élaborer la perte fondamentale, celle liée au
développement. Comme arraché aux possibilités du travail
de deuil originaire (Racamier, 1992), il est confronté
traumatiquement au deuil de l’autre. De cette expérience
sont issus des éléments non symbolisables pour l’enfant, ce
qui en fait, des éléments incorporés. C’est alors que le
processus d’empiètement imagoïque s’instaure, à la fois
comme tentative de symbolisation du traumatisme et de
son échec, mettant en évidence les efforts du sujet pour se
débattre avec son expérience traumatique. L’ampleur et la
qualité du travail psychique qui en découle se fondent sur
« [… ] la manière dont [le sujet] travaille à réduire le
traumatisme, à constituer des zones cicatricielles résorbant
l’impact traumatique, [… ] la manière dont il tente de
contenir l’expérience traumatique » (Ciccone, 1999, p. 83).
En décrivant l’identification projective avec l’objet
incorporé, Ciccone (1999, p. 87) ne reformule-il pas, en en
58. 57
précisant le mécanisme, l’ombre de l’objet tombant sur le
Moi ? Le processus d’encapsulation par lequel se forme la
crypte décrite par Abraham et Torok (1978) serait-il du
même ordre que l’empiètement imagoïque décrit par
Ciccone ? Dans Deuil ou mélancolie, Abraham et Torok
(1972), cités par Ciccone (1999), décrivent le processus
selon lequel « un deuil indicible installe à l’intérieur du
sujet, « un caveau secret », ce processus produit une
incorporation ». Quand bien même, les propositions
d’Abraham et Torok concernent un deuil « inavouable »,
ici le deuil est du moins indicible, puisqu’intervenant au
stade de l’infans, l’enfant qui ne peut encore lier par le
langage. Ils précisent aussi que pour qu’il y ait crypte, il
faut que l’inavouable soit du fait « d’un objet jouant le rôle
de l’Idéal du Moi ». Si nous tentons de vérifier l’application
d’un tel processus pour l’incorporation de l’anorexique,
l’inavouable, ou du moins l’indicible ne serait-il pas l’objet
du deuil maternel ? L’enfant risquant de s’en attribuer la
cause, l’objet jouant le rôle de l’idéal, pouvant être
également placé comme causant le deuil maternel, c’est
peut-être ce qui mélancoliquement, confondrait par suite
le Moi avec l’Idéal du Moi. Le Moi idéal qui émerge de
cette confusion, permettrait à l’anorexique de tenter de
remplacer cet objet perdu pour l’autre, d’en devenir le
substitut, comme si devenir l’objet retrouvé de la perte de
l’autre pouvait le protéger d’être sujet de sa propre
expérience de perte. Pour Abraham et Torok (1975), il
s’agit là, d’« identification endocryptique » : « le sujet
échange sa propre identité contre celle fantasmée de
l’objet, et le « je » s’entend comme le Moi fantasmé de
l’objet perdu » (p. 314). L’« ombre de l’objet » se réincarne
ainsi dans la personne même du sujet, résume Ciccone
59. 58
(1999). Nous verrons plus loin que l’incarnation se réalise
à travers le corps même dans l’anorexie mentale, au travers
du mécanisme d’incorporation. En tant que palliatif à la
perte de l’autre, cette identification endocryptique fait
rentrer le sujet dans le prolongement narcissique de
l’autre ; ce qui peut empêcher le sujet de tendre vers
l’autonomie psychique.
Ne serait-ce pas ce processus d’incorporation qui rend
compte de l’ombre de l’objet tombant sur le Moi ? Ce
processus rend compte à la fois de l’impact du traumatique
sur la constitution de l’objet interne, ainsi que de
l’aliénation du Moi. L’ombre portée sur le Moi
correspondrait-elle « crypte » en Moi, « imago empiétant »
le Moi ? Le toxique aliénant imposé conjugué à la non
réflectivité des besoins à l’enfant procédant des projections
de l’extérieur, créent-ils cette crypte, entachant le Moi dans
le schéma de l’alien self de Fonagy et Target (1997), tache
qui rappelle l’ombre ? La différenciation attendue au stade
anal serait empêchée par le mécanisme d’incorporation,
une part de l’objet altérant la constitution intégrée du Moi,
qui elle, nécessite l’appropriation de ses besoins propres.
Aussi, cet empiètement de l’imago est peut-être celui
de la mère morte, c’est le vide et la dépressivité, voire tout
le deuil maternel qui est peut-être incorporé dans l’enfant à
ce moment-là. Serait-il possible de condenser les
propositions de Ciccone et de Green en parlant de
l’empiètement imagoïque de l’imago de la mère morte ?
Cela éclairerait à la fois la nature du faux-self, et l’ombre de
l’objet tombant sur le Moi, voire sur le corps dans
l’anorexie mentale. Et cette ombre-là empêcherait la
constitution du « vrai » self, autrement dit, la constitution
de l’intégrité du Moi, sans faille. Le désinvestissement de
60. 59
l’objet maternel ainsi que l’identification à la mère morte
découleraient ensemble du « linceul blanc » offert par la
mère endeuillée (Corcos, 2005b).
3.2. « Incorporation faute d’introjection »
Quels liens entre la problématique de l’incorporation
dans l’anorexie et l’« introjection » de l’objet perdu dans la
mélancolie ?
Comment l’objet s’est-il intériorisé et vers quel
rapport à l’objet mène-t-il lorsqu’il y a faille narcissique et
faille de la fonction réflexive ? L’objet est-il incorporé,
introjecté, s’il n’est pas intégré, ni n’offre de possibilités
d’identifications alors comment est-il constitué ? Quelles
possibilités d’identification, et donc de possibilités de
construction psychique, offre-t-il ? Quel statut de l’objet
peut bien présupposer une identification narcissique, telle
que nous la découvrons dans la mélancolie ?
Widlöcher (2008) condamne les métaphores de l’objet
et de son ombre, nous invitant à dépasser la rhétorique
d’une telle formulation et d’en rechercher la
compréhension psychopathologique : « Peut-on se
satisfaire pour notre écoute de cette métaphore de l’objet
dont Freud fait le plus grand cas dans le texte de 1914
[(sic !)] ? Je ne le pense pas. Je tiens le concept d’objet pour
extrêmement ambigu, une métaphore qui très vite nous
enferme dans un modèle théorique appauvrissant ». Avec
le concept d’incorporation, nous tenons une piste du
mécanisme sous-jacent, à l’œuvre sous la formulation
métaphorique de l’ombre de l’objet tombant sur le Moi.
Nous devons préciser également, quelle part de cet objet
est ainsi incorporée, et ce que cela impliquera en termes de
perturbation à la constitution du Moi.
61. 60
L’anorexique aurait incorporé quelque chose d’aliénant,
constitué peut-être par l’imago de la mère morte qui
empiète sur la construction de son identité propre. Ce sont
également les projections maternelles incorporées au lieu de
ses propres contenus psychiques, lors de la faille de la
fonction réflexive, qui peuvent amener à la constitution d’un
faux-self. Au travers des conduites purgatives inhérentes à
l’anorexie et de la peur d’ingérer quoi que ce soit qui
l’amènerait à être débordée de l’intérieur, la personne
cherche peut-être à se débarrasser de cette incorporation
première et forcée, de l’indigeste mentalisé.
3.2.1. Les origines du concept d’introjection
En 1912, Ferenczi élabore des définitions de
l’introjection et de la projection, qui peuvent sembler
alternatives de celles, classiquement utilisées (Laplanche &
Pontalis, 1967). Pour lui, l’introjection serait le mécanisme
dynamique de tout amour objectal et de tout transfert sur
un objet, une extension du Moi.
Même si l’idée du mécanisme de l’incorporation
venant en lieu et place d’une introjection réussie de la
perte, présente dans Deuil et Mélancolie, relevée par de
nombreuses références à l’article (Dumet & Porte, 2008), et
apparaissant dans ses commentaires (Laufer, 2011 ; Louët,
2012), le terme de l’« introjection » n’y apparaît pas. Seul le
terme de l’incorporation se retrouve dans les traductions
du texte de Freud, sans avoir été définie à ce moment-là. Il
reste possible qu’il évoque encore ces deux mécanismes de
manière indifférenciée, au vu du stade de l’élaboration de
la métapsychologie à cette époque.
Du contenu présent sur les processus d’intériorisation
dans Deuil et Mélancolie, nous constatons que
62. 61
l’incorporation chez Ciccone, est proche de l’introjection
mélancolique. De là, parler de l’identification projective
aux objets transgénérationnels, s’oppose-t-il à
l’identification narcissique de la mélancolie ? Dans les deux
cas, le mécanisme permet d’appréhender une intrusion
ébranlant l’espace psychique interne et qui va promouvoir
le quantum d’angoisse d’intrusion en même temps que la
rigidité des défenses pour y lutter.
« L’identification narcissique avec l’objet devient alors
le substitut de l’investissement d’amour, ce qui a pour
conséquence que, malgré le conflit avec la personne aimée,
la relation d’amour n’a pas à être abandonnée. Une telle
substitution de l’identification à l’amour d’objet est un
mécanisme important dans les affections narcissiques. […
] Nous avons ailleurs émis l’idée que l’identification est le
stade préliminaire du choix d’objet et la première manière,
ambivalente dans son expression, selon laquelle le Moi élit
un objet. Il voudrait s’incorporer cet objet et cela,
conformément à la phase orale ou cannibalique du
développement de la libido, par le moyen de la
dévoration » (Freud, 1917).
C’est à cette relation entre identification narcissique et
incorporation, dans la mélancolie, que K. Abraham, cité
par Freud (1917), rapproche du refus d’alimentation qui se
manifeste dans les formes sévères de l’état mélancolique.
Ce lien semble crucial pour appréhender le potentiel
mélancolique dans l’anorexie mentale, d’où l’importance
de préciser les termes employés et référés.
Nous pouvons tenter d’éclaircir l’opposition entre
l’« introjection » apparaissant dans les commentaires, et
l’« incorporation » qui figure dans l’article original, en
posant l’« introjection mélancolique » comme le versant