SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  56
Télécharger pour lire hors ligne
Le Roch Master 1 SSSATI
Jérémy
Mémoire de recherche
Sujet: Le transfert de sportif professionnel
Sous la direction de Monsieur François Mandin, Maître de conférences en droit (Hdr)
à l'Université de Nantes
UFR STAPS Nantes Année universitaire 2015-2016
1
Remerciements
Je tiens à remercier Monsieur François Mandin pour ses précieux conseils et sa disponibilité.
Ensuite, je remercie tous mes amis et ma famille qui m'ont apporté un soutien sans faille tout au
long de la réalisation de ce mémoire.
Enfin, je souhaiterais remercier Stéphane Pédron, recruteur au FC Lorient et François Marchal,
journaliste à Canal +, pour m'avoir accordé de leur temps afin d'échanger sur la thématique du
transfert.
2
Table des matières
Introduction............................................................................................................................. 4-9
Chapitre 1 :Le transfert : mode de rupture original des relations de travail dans le sport
professionnel.......................................................................................................................... 10-31
Section 1 :Le transfert comme résultante d'une double approche de la liberté
A L'approche communautaire: la liberté de circulation des travailleurs comme justification
essentielle du transfert de sportifs professionnels
B L'approche française: Le transfert au nom de la liberté du travail
Section 2 : Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail et sa mise en œuvre par les
mouvements sportif et politique
A Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail du sportif
B L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives et le droit positif
Chapitre 2 : Le transfert : un système imparfait............................................................... 32-52
Section 1 : Les représentants du sportif dans la négociation : entre conseil et appât du gain
A La profession d'agent sportif : un encadrement à géométrie variable
B Les fonds d'investissement : l'exemple de la tierce propriété
Section 2 :Les limites du transfert comme opération économique
A L'illusion d'une réification du sportif
B La nécessaire refonte du système
Bibliographie......................................................................................................................... 53-56
3
Introduction
"Pogba plaît à tout le monde. Mais il y a des choses qu'on peut faire et d'autres pas. La Tour Eiffel
me plaît beaucoup mais je ne peux pas l'avoir dans mon jardin."1
Lors d'une conférence de presse donnée le 19 juillet 2015, José Mourinho, alors entraîneur du
Chelsea FC avait une nouvelle fois fait l'étalage de son sens de la communication en pleine période
de mercato.
Objet de tractations intenses et de déclarations en tout genre, le transfert même s'il soulève des
enjeux économiques, met aussi en exergue des enjeux juridiques.
Cela renvoie d'abord à la capacité des joueurs à conclure un contrat de travail.
Ce dernier peut le faire du moment qu'il respecte à la fois le droit positif (droit de l'Union
européenne, droit français et règles sportives françaises et internationales)
Ensuite, cela renvoie à la valeur juridique de l'accord passé entre les clubs concernés et le joueur.
Ce dernier est un premier élément de la réalisation du transfert et est complété par l'apport des
règles sportives à savoir la visite médicale et l'homologation fédérale des contrats.
Enfin, le transfert est l'occasion d'observer un encadrement de la capacité à agir des représentants du
joueur que ce soit par les règles sportives ou le droit positif.
Traiter du transfert de joueur professionnel, c'est aussi donner des éléments de définition de cette
notion a priori relativement complexe.
L'opération de transfert renvoie à un accord triangulaire entre le sportif et les clubs concernés : le
club quitté accepte de libérer le joueur de manière anticipée, ce dernier promet de se mettre au
service du nouveau club qui, de son côté, s’oblige à indemniser le premier club.2
Au-delà de ces considérations sportives et financières, force est de constater que le transfert fait
l'objet d'un encadrement juridique.
En effet, le transfert suppose l'intervention de différentes branches du droit positif, comme le droit
de l'union européenne mais aussi le droit étatique à travers le droit commun du travail et le droit du
sport. Enfin, le transfert doit respecter les règles sportives.
L'intervention du droit permet au moins une chose : l'exercice des libertés.
Pays où en théorie « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » au sens de l'article
1er de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, la France met en œuvre
des outils juridiques censés garantir l'exercice des libertés individuelles comme collectives.
Celles-ci trouvent également à s'appliquer dans le sport professionnel et constituent un élément
1 L'Equipe, « José Mourinho compare Paul Pogba à la Tour Eiffel », www.lequipe.fr, 19 juillet 2015
2 Fabrice Rizzo, « La conclusion et l’exécution des contrats de transfert des sportifs professionnels », RLDC 2005, n°
22, disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr
4
central du transfert de joueur.
En effet, il n'est pas rare de voir un joueur rompre son contrat de travail après accord avec son club
dans le but de rejoindre une nouvelle équipe. Néanmoins, cela est possible selon des conditions
fixées à la fois par le droit commun du travail, le droit de travail du sport et les règles sportives.
Cette possibilité offerte au joueur de rompre son contrat rappelle l'existence d'une liberté c'est à dire
la liberté du travail.
Cette dernière peut se définir comme la faculté pour un individu de conclure, rompre un contrat de
travail, choisir une profession ou encore de changer d'employeur
Le contrat de travail.doit permettre son plein exercice.
De manière générale, l'article 1134 du Code civil énonce que « les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur
consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne
foi. »
Celui-ci instaure une relation juridique entre un employeur c'est à dire un club et un salarié, le
joueur.
Appliqué au domaine du sport, cet article met en évidence qu'un contrat de travail ne peut pas être
rompu dans n'importe quelles conditions puisque le transfert induit un accord avec un autre club
futur employeur du joueur et le versement d'une indemnité financière envers le club vendeur.
Son instauration ainsi que l'apparition du premier Code du travail au début du XXème siècle ont
permis de rééquilibrer le rapport de force entre employeur et salarié.3
En effet, historiquement, le droit du travail a été construit avant tout pour protéger la partie faible
au contrat c'est à dire le salarié. De plus, son apparition a aussi servi à la construction d'un cadre
normatif de la relation de travail.
D'un point de vue économique, le contrat de travail marque de manière générale la reconnaissance
de l'individu comme être économique c'est à dire capable de créer de la richesse via sa force de
travail, gagner sa vie à travers le versement d'un salaire et subvenir à ses besoins ou à ceux de sa
famille.
En définitive, le contrat de travail a un double visage car il permet à la fois au travailleur de
participer à l'enrichissement de son entreprise et de pouvoir vivre dans des conditions décentes.
Ramené au sport, l'existence d'un contrat de travail permet d'opérer la distinction entre le monde
amateur et le monde professionnel puisqu'il existe seulement au niveau professionnel.
Il renvoie ainsi à deux logiques du sport à savoir la logique économique et la logique plus
traditionnelle où la gratuité de la performance et le plaisir de jouer sont les leitmotivs.
3 Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, Droit du travail, Edition Dalloz, 2016, p.4
5
Toutefois, l'existence d'un contrat de travail ne résout pas tous les problèmes et peut donner lieu à
des mouvements de contestation comme on peut le voir dans Germinal d'Emile Zola ou le film Les
Temps Modernes de Charlie Chaplin.
Le transfert apparaît lui aussi comme le fruit de la lutte des sportifs pour plus de libertés et est à
mettre en lien avec la professionnalisation du sport.
Apparu en France lors de la saison 1932/1933, le championnat de football professionnel marque
l'avènement d'un contrat de travail à savoir le contrat à vie.
Ce dernier liait le joueur à un club pendant toute sa carrière.
Puis lors des événements de Mai 1968, les footballeurs, s'estimant considérés comme de vulgaires
marchandises, réclament plus de libertés. Grâce à ce mouvement de contestation, ils obtiennent en
1972 l'établissement d'un nouveau contrat à savoir le contrat à temps.4
Ce nouveau contrat est à mettre en lien avec la fin de la période des Trente Glorieuses en France,
période de quasi plein emploi et le début d'une ère bien moins faste commençant au début des
années 70 avec la première crise pétrolière et marquant le début de la précarisation du marché du
travail comme en témoigne l'avènement du contrat à durée déterminée.
Les premiers transferts comme on l'entend aujourd'hui sont apparus. Michel Platini a ainsi rejoint la
Juventus Turin en provenance de l'AS Saint-Etienne en 1982.
C'est cependant l'arrêt Bosman qui va marquer un vrai bouleversement dans la pratique du transfert.
En effet, il met fin aux quotas de nationalité. La première conséquence de cette mesure est une forte
internationalisation des effectifs.5
Le rugby n'aura lui aussi pas mis longtemps à être touché par la déferlante des transferts.
Professionnalisé en France en 1995, il voit ses équipes de Top 14 composées pour plus de la moitié
d'entre elles d'une majorité de joueurs étrangers. Certes, les sommes dépensées sur le marché des
transferts ne sont pas aussi importantes qu'en football mais cela pourrait s'équilibrer dans les années
à venir.
Enfin, la consécration par la loi du 27 novembre 2015 du recours au CDD dans le sport
professionnel a entériné le transfert comme mode de rupture des contrats de travail de sportifs.6
Par ailleurs, le transfert voit son champ d'application relativement restreint puisqu'elle se limite aux
sports collectifs.7
4 Bastien Drut, Economie du football professionnel, page 77, Editions La Découverte,Paris, 2011
5 CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois
SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc
Bosman. Affaire C-415/93, 15 décembre 1995, http://curia.europa.eu
6 Loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 portant réforme du statut juridique des sportifs professionnels et des sportifs
de haut niveau, www.legifrance.gouv.fr
7 F. Buy, J-M. Marmayou, D. Poracchia, et F. Rizzo, Droit du sport, LGDJ, 2ème édition, 2009, n° 1349, p. 861
6
Le football est probablement le sport le plus imprégné par cette opération.
Toutefois, d'autres disciplines comme le rugby ou encore le basket ont elles aussi vu les transferts se
multiplier.
Il convient d'ajouter que le développement de la pratique du transfert met en évidence un rapport de
force entre le monde sportif représenté par les différentes institutions mondiales (FIFA, FIBA,
World Rugby) comme nationales (FFF, FFR, FFBB) et le monde politique, en particulier les
instances communautaires (Commission européenne, Conseil européen).
Chacun édicte ses règles mais nous verrons que même si la spécificité du sport est reconnue par
l'Union Européenne, son autonomie reste relative.
Au-delà de cela, l'idée sera de montrer que ces deux mondes ont chacun une idéologie propre.
Le mouvement sportif s'est constitué sur le modèle de la liberté d'association.
Derrière cette liberté, on retrouve les notions de gratuité de la performance, d'équité sportive avec la
logique de « juste vainqueur » mais également de civisme et de fair-play.
L'Union a une logique totalement différente.
Elle justifie le recours aux activités physiques et sportives en arguant que le sport est bon pour la
santé. Pour véhiculer ce message, les Etats interviennent à travers les politiques publiques de santé.
Autre élément mis en relation avec le sport par l'UE : le sport permettrait une insertion plus facile
dans la société. On part de l'idée que le sport est outil de construction individuelle dans le sens où il
permet l'apprentissage de la vie en société. En outre, le sport serait un outil au service de la
réduction des inégalités notamment entre classes sociales et entre genres.
La dernière idée sur laquelle se base l'approche communautaire c'est que le sport doit respecter un
certain nombre de principes parmi lesquels la liberté de prestation de services (renvoi aux sports
individuels), la liberté du travail notamment à travers la libre circulation des travailleurs et la libre
concurrence entre les clubs de façon à garantir l'équilibre des compétitions.
Juridiquement, l'UE dispose de trois blocs de compétence : la compétence exclusive pour laquelle
elle bénéficie d'un transfert total de compétences de la part des Etats membres, la compétence
partagée où cette fois, elle coopère avec les Etats membres et la compétence d'appui qui renvoie à
l'hypothèse dans laquelle les Etats membres conservent leurs compétences et où l'UE appuie
coordonne et complète l'action des Etats membres.
La compétence sport prévue par l'article 165 du TFUE est en fait une compétence d'appui accordée
à l'UE. Dès lors même si juridiquement, cela limite son intervention, elle pose les jalons d'une
politique sportive communautaire et donne un poids politique supplémentaire à l'UE.
Toutefois, cette compétence doit comme les autres s'exercer dans le respect de principes tels que
celui de proportionnalité ou celui de subsidiarité.
7
Le premier induit que l'UE doit prendre les mesures les mieux adaptées aux objectifs qu'elle
poursuit sans que cela ne soit trop contraignant pour les Etats.
Ensuite, le principe de subsidiarité sous-entend que l'UE agit quand les Etats membres ne sont pas
en mesure de le faire. Il faut pour cela 2 conditions cumulatives à savoir une carence étatique et
surtout une plus-value de l'action communautaire.
Enfin, l'UE dispose de plusieurs moyens pour mener à bien ses actions à savoir les traités c'est à dire
des accords entre les Etats membres fixant différentes normes et dotés de la force exécutoire.
Par ailleurs, elle peut faire appel au droit dérivé notamment les règlements et directives.
Le premier ne laisse pas de marge de manœuvre aux Etats membres au contraire du second.
Enfin, l'UE peut s'appuyer sur la jurisprudence communautaire, notamment celle émanant de la
CJUE pour justifier une politique donnée.
Le mouvement sportif produit également ses règles et dispose d'une organisation spécifique.
En effet, il dispose lui aussi d'instances internationales (FIBA, FIFA, World Rugby) et d'instances
nationales telles que la FFR, la FFF ou encore la FFBB.
Au niveau national et particulièrement français, l'action des fédérations se fait en association étroite
avec les ligues qui peuvent agir grâce à des conventions passées avec lesdites fédérations.
Par ailleurs, le mouvement sportif dispose aussi d'un organe juridique majeur à savoir le TAS.
Celui-ci contribue à travers son appréciation des règlements sportifs internationaux à la construction
d'un ordre juridique sportif.
En définitive, on voit que même si les logiques organisationnelles se rapprochent, deux mondes
s'affrontent.
L'analyse du transfert nous permettra de mieux appréhender l'articulation entre règles sportives et
règles étatiques mais également de voir si les unes surpassent les autres ou s'il y a un certain
équilibre qui s'opère.
A l'échelle nationale, nous constaterons que jusqu'à la loi du 27 novembre 2015, le sport
professionnel voyait son régime contractuel fixé par le droit commun du travail.
Or avec cette réforme, une bascule s'opère et c'est désormais le Code du Sport qui consacre un
régime spécifique au sport professionnel.
Autre point sur lequel il convient d'insister : les imperfections du système de transfert.
Mobilisant un nombre très important d'acteurs, le transfert se réalise après une succession d'étapes.
La première est la négociation.
Dans cette phase, le joueur via son agent ou même parfois un fonds d'investissement se met
d'accord avec un autre club.
Ce dernier doit se mettre d'accord avec le club avec lequel le joueur est toujours sous contrat.
8
L'accord passé entre les deux clubs se matérialise par la fixation d'une compensation financière par
un contrat écrit.
Il est à noter que plus les qualités sportives et extra-sportives (image, notoriété) d'un joueur sont
reconnues, plus sa valeur marchande est élevée et plus sa signature semble a fortiori difficile à
obtenir.
Les négociations terminées, le joueur doit encore répondre à plusieurs exigences fédérales pour
pouvoir évoluer sous ses nouvelles couleurs c'est à dire satisfaire à une visite médicale et voir son
contrat homologué au cours de la période d'enregistrement des contrats.
D'une manière générale, on a trop souvent tendance à penser que le sportif est réduit au rang de
marchandise par le transfert. Seulement, le fait que le joueur fasse valoir sa volonté en donnant son
accord à la réalisation du transfert nous laisse supposer que c'est loin d'être le cas.
Il n'en demeure pas moins que le système du transfert, tel qu'il est présenté actuellement mérite
d'être amélioré.
Les réformes entreprises en ce sens tendent à démontrer que le transfert n'a pas que des
inconvénients mais qu'il tend à être perfectionné pour gagner en efficacité et en transparence
notamment.
Ces considérations nous amènent à poser la problématique suivante:
Dans quelle mesure les outils juridiques mobilisés par le transfert impactent-ils la liberté du travail
du sportif ?
Pour y répondre, nous expliquerons tout d'abord que le transfert s'avère être un mode de rupture
original des relations de travail. (Chapitre 1)
Dans ce sens, nous nous attarderons sur le fait que la liberté en cause dans le transfert n'est pas la
même suivant qu'on se situe à l'échelle communautaire ou française. Ensuite, nous insisterons sur
les mécanismes permettant la mise en œuvre de cette liberté ainsi que sur son articulation avec les
règles sportives et le droit positif.
Ensuite, nous insisterons davantage sur les imperfections du transfert. (Chapitre 2)
Nous aborderons à cet effet la législation française et internationale gouvernant la profession
d'agent sportif et nous adopterons une démarche similaire pour les fonds d'investissement
intervenant dans le cadre de la tierce propriété. Nous en profiterons pour appréhender l'effet de leur
intervention sur la liberté du travail du sportif.
Enfin, nous envisagerons les limites économiques du transfert en démontrant que la personne du
sportif n'est que partiellement réifiée à travers cette pratique et nous reviendrons sur les réformes
engagées donc l'objectif affiché est de préserver l'exercice de la liberté du travail tout en atténuant
l'emprise de l'économie sur la sphère sportive.
9
Chapitre 1 : Le transfert : mode de rupture classique des relations de travail dans le sport
professionnel
Mode de rupture classique des relations de travail dans le sport professionnel, le transfert se
démarque des types de rupture que l'on peut rencontrer dans le droit commun du travail.
En effet, la démission ou le licenciement émanent d'un seul acteur (le salarié pour le premier et
l'employeur pour le second.)
Or, le transfert suppose qu'il y ait un accord entre l'employeur (club quitté) et son salarié (le joueur)
de façon à ce que chacun y trouve son intérêt. L'un voudra obtenir une compensation financière
suffisante pour compenser la perte de son joueur et en réinjecter une partie dans son remplacement
et l'autre voudra rejoindre une nouvelle équipe dans l'optique d'embellir son palmarès et de gagner
en notoriété par exemple.
En définitive, le transfert est un mode de rupture propre au sport professionnel.
Il constitue l'expression positive de la liberté notamment grâce à la rupture anticipée du contrat de
travail.
Cette liberté trouve à s'appliquer dans les relations de travail à l'échelle communautaire comme
nationale.
Simplement, la liberté en jeu n'est pas la même à ces deux niveaux puisque c'est la liberté du travail
qui est principalement mise en cause au niveau français et la liberté de circulation au niveau
communautaire.(Section 1)
Ensuite, nous nous attarderons sur les mécanismes permettant la mise en œuvre de la liberté du
travail du sportif. Dans cette optique, nous interrogerons la cohérence du CDD vis à vis de cette
liberté, et nous adopterons une démarche similaire concernant le transfert, la visite médicale et
l'homologation du contrat.(Section 2)
Section 1: Le transfert comme résultante d'une double approche de la liberté
Le transfert met en évidence une approche différente de la liberté suivant que l'on se situe au niveau
français ou au niveau de l'Union européenne.
Dans le premier cas, celui-ci est justifié essentiellement par la liberté de circulation reconnue au
travailleur. L'arrêt Bosman marque l'avènement de cette logique en matière sportive alors même
qu'elle était déjà reconnue dans d'autres secteurs d'activité depuis le traité de Rome de 1957. (A)
L'approche française est sensiblement différente puisque la principale liberté en cause dans le
transfert est la liberté du travail. Héritage de la Révolution Française, la liberté du travail consacre
la reconnaissance des libertés individuelles marquant l'émancipation progressive de l'individu. Dans
le sport professionnel, cette liberté trouve à s'exercer que ce soit lors de la période de formation ou
10
de la carrière professionnelle.(B)
A L'approche communautaire: la liberté de circulation des travailleurs comme justification
essentielle du transfert de sportifs professionnels
Le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er janvier 2009 reprend en son article 45 le principe de
libre circulation des travailleurs déjà consacré par le traité de Rome de 1957.
Ce dernier permet de façon générale à tout individu ressortissant d'un des Etats membres de l'Union
européenne de pouvoir circuler au sein de l'espace communautaire afin de prétendre à un emploi
dans un Etat membre autre que le sien.
Les sportifs professionnels étant des travailleurs, ils peuvent en bénéficier. Son exercice est d'autant
plus important que leur carrière sportive demeure relativement courte.
La jurisprudence communautaire a ainsi pu à plusieurs reprises rappeler que la liberté de circulation
constituait la principale justification à la liberté de travail des sportifs professionnels.
Si les arrêts Walrave et Koch et Dona marquent les prémices d'une reconnaissance de la liberté de
travail des sportifs professionnels au moyen de la liberté de circulation des travailleurs, l'arrêt
Bosman de 1995 marque l'avènement de la liberté de circulation des sportifs professionnels dans le
cadre de la pratique du transfert.8
Rappelons tout d'abord les faits à l'origine de l'affaire.
En l'espèce, Jean-Marc Bosman, joueur de football arrive en fin de contrat avec un club belge et
souhaite partir à l'étranger, plus précisément en France. Seulement, son club s'y oppose et réclame le
paiement d'une indemnité de transfert pour le libérer.
A l'époque, les clubs désirant acquérir un joueur qu'il soit en fin de contrat ou non devaient
s'acquitter du paiement d'une indemnité de transfert envers le club vendeur.
La question soulevée par cet arrêt est de savoir si un joueur peut à l'issue de son contrat s'engager
avec une nouvelle équipe sans qu'une indemnité de transfert soit versée.
Dans l'affirmative, il s'agit d'en préciser le fondement.
En l'occurrence, c'est le cas et la CJUE justifie cette position en invoquant le principe de libre
circulation des travailleurs.
En définitive, cette jurisprudence permettra aux joueurs en fin de contrat de se retrouver libérés de
leurs obligations contractuelles vis à vis de leur ancien club sans qu'une indemnité de transfert soit
perçue par son ancien club mais également aux équipes de compter autant de joueurs ressortissants
8 CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois
SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc
Bosman. Affaire C-415/93, 15 décembre 1995, op.cit
11
de l'Union européenne qu'ils le souhaitent.9
Cet arrêt révèle l'aboutissement de la logique de libre
circulation des travailleurs prévu par le traité de Rome et repris à l'article 45 du Traité de Lisbonne.
Cependant comme le souligne Gérard Auneau, « le mouvement sportif européen n'a pas vraiment
anticipé cette décision et a considéré trop vite qu'il pourrait bénéficier d'un régime particulier. Il
n'a pas su mesurer l'ampleur de ses transformations au point de représenter aujourd'hui un
phénomène économique majeur. »10
L'idée qui ressort de cette déclaration, c'est que le mouvement sportif a cru encore une fois passer à
travers les mailles du filet en faisant valoir la spécificité du sport.
Malheureusement, la CJUE a privilégié l'approche communautaire fondée sur la liberté de
circulation.
Cette jurisprudence vient confirmer le fait que tôt ou tard, le principe de libre circulation des
travailleurs allait s'appliquer au domaine du sport professionnel.
Dès lors, même s'il défend ses intérêts, il paraît assez surprenant que le mouvement sport n'ait pas
anticipé une telle prise de position de la part de la CJUE.
La préparation en amont à ce genre de décisions aurait probablement permis au mouvement sportif
de ne pas se laisser déborder par l'ampleur monumentale de la solution retenue par l'arrêt Bosman.
Malgré tout, cet arrêt n'est pas le premier à consacrer la suprématie des règles issues du droit de
l'Union européenne sur les règles sportives.
En effet, l'arrêt Walrave et Koch opérait déjà la distinction entre les questions intéressant
uniquement le sport en tant que tel et le sport en tant qu'activité économique. Dans le premier cas,
les règles sportives s'appliquent et dans le second, c'est le droit de l'UE.
Par conséquent, l'idée est la suivante : lorsque les règles sportives s'appliquent, elles peuvent porter
atteinte à la liberté du travail. En revanche, dans le cas contraire, cela est tout bonnement
inconcevable.
Si l'arrêt Bosman marque la consécration de la liberté de circulation comme moyen au service de la
liberté du travail des sportifs évoluant au niveau professionnel en matière de transfert, d'autres
jurisprudences vont s'inscrire dans la même lignée à commencer par l'arrêt Malaja.11
En l'espèce, Lilia Malaja, basketteuse polonaise s'est vu refuser par la fédération française de
basket-ball le droit d'évoluer sous les couleurs du club de Strasbourg car ce dernier a dépassé le
quota de joueurs extracommunautaires autorisé.
Saisi, le Conseil d'Etat affirme par un arrêt en date du 30 décembre 2002 que les accords passés par
9 Michel Pautot, « La libre circulation et les transferts de footballeurs professionnels en Europe », AJDA 2002, p. 1001,
consultable sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr
10 Gérard Auneau, « Le mouvement sportif européen à l'épreuve du droit communautaire », RTD eur. 1996, p. 101,
https://nomade.etu.univ-nantes.fr
11 Conseil d'Etat, 2/1 SSR, 30 décembre 2002, n°219646, publié au recueil Lebon, www.legifrance.gouv.fr
12
l'Union européenne avec des pays tiers interdisent la discrimination à l'embauche en raison de la
nationalité.
Par conséquent, il donne l'autorisation à cette joueuse d'évoluer avec sa nouvelle équipe.
Cet arrêt donne encore davantage de poids à la vision de la CJCE consistant à placer la liberté de
circulation du sportif comme un moyen au service de sa liberté de travail en l'élargissant aux
sportifs ressortissants de 24 pays non-membres de l'UE mais ayant signé un accord de coopération
ou d'association avec l'Union européenne dont la Pologne.
Les arrêts Kolpak de 2003 et Simutenkov de 2005 étendent cette jurisprudence à la Slovaquie et à la
Russie.12
Ces différents exemples illustrent l'approche communautaire consistant à justifier principalement la
pratique du transfert au moyen de la liberté de circulation des travailleurs, reléguant ainsi au second
plan les règles sportives.
Ainsi, comme l'affirme Prune Rocipon « La Cour procède donc à un contrôle de proportionnalité
entre l'objectif poursuivi et l'atteinte portée à une liberté fondamentale. Il résulte de cette
appréciation au cas par cas une insécurité notable pour les organisations sportives lorsqu'elles
réglementent leur discipline. »13
Cette approche trouve sa source dans le fait que le droit de l'Union européenne repose sur le
mécanisme de la liberté. Par conséquent, la hiérarchie des normes donnant le primat au droit de
l'UE, toute pratique entravant l'exercice de la liberté constitue une atteinte au droit de l'Union.
Toutefois, ce contrôle de proportionnalité fragilise les règlementations sportives dans le sens où ce
ne sont plus elles qui ont le dernier mot mais bien les juges de Luxembourg.
En y regardant de plus près, on s'aperçoit que derrière cette approche se joue un véritable rapport de
force entre l'Union européenne représentée par ses institutions et le mouvement sportif.
Le primat accordé à la liberté témoigne de l'indépendance relative de ce dernier et de la volonté
communautaire de faire également respecter la primauté du droit communautaire en matière
sportive. L'introduction d'une compétence d'appui en faveur de l'UE dans le domaine du sport par le
traité de Lisbonne ne fait que renforcer cette analyse.
Reconnue par les articles 6 et 165 du TFUE, cette compétence est un premier pas vers une politique
sportive communautaire.
Cette compétence d'appui a un effet restreint sur le plein juridique mais constitue une arme
juridique intéressante pour l'UE, lui donnant l'opportunité de s'affirmer comme une acteur à part
entière du sport. Ce mouvement est mis en évidence par Prune Rocipon qui souligne que, le fait qu'
12 CJCE, aff. n°C-438/00, 8 mai 2003 et CJCE, aff. n°C-265/03, 12 avril 2005 consultables sur http://curia.europa.eu
13 Prune Rocipon, « L'Union européenne et le sport, panorama d'une relation tourmentée », Jurisport 2015, n°159, page
23, https://nomade.etu.univ-nantes.fr
13
« elles [les organisations sportives] semblent avoir désormais pris conscience, sous l'impulsion de
la jurisprudence communautaire, qu'une telle exonération absolue [d'application du droit
communautaire]ne saurait être. »14
Si la liberté du travail des sportifs professionnels est principalement fondée à l'échelle
communautaire sur la libre circulation, l'approche française en la matière n'est pas exactement la
même.
B L'approche française: Le transfert au nom de la liberté du travail
En France, il faut remonter à la Révolution française pour observer les premières traces de la liberté
du travail. Période charnière de l'Histoire de notre pays, la Révolution marque la consécration de
l'individu au détriment des corporations. Cette idée est consacrée par me décret d'Allarde des 2 et 17
mars 1791 :
« il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier
qu’elle trouvera bon [...] »15
Le transfert met principalement en jeu cette liberté à différents moments puisqu'il peut aussi bien
avoir lieu au cours de la formation du joueur qu'au cours de sa carrière professionnelle. Il est
également à signaler que le montant d'un transfert peut être impacté par le parcours de formation du
joueur.
L'accès à la formation est régi par l'article L 211-5 du Code du Sport.
Ce dernier dispose que « L'accès à une formation […] est subordonné à la conclusion d'une
convention entre le bénéficiaire de la formation ou son représentant légal et l'association ou la
société sportive. »
Il ajoute qu'« Elle prévoit qu'à l'issue de la formation, s'il entend exercer à titre professionnel la
discipline sportive à laquelle il a été formé, le bénéficiaire de la formation peut être dans
l'obligation de conclure, avec l'association ou la société dont relève le centre, un contrat de travail
[...], dont la durée ne peut excéder trois ans. »
Cette possibilité d'obliger à conclure un contrat de travail à l'issue de la période de formation limite
la liberté du travail du joueur mais est destiné comme l'indique Mathieu Verly à « procurer au club
formateur un retour sur l’investissement mis dans la structure de formation, en s’assurant les
services des meilleurs jeunes qui y ont été formés pour son équipe professionnelle. »16
14 Prune Rocipon, L'Union européenne et le sport, panorama d'une relation tourmentée », op.cit
15 Jean Savatier, Liberté du travail, Répertoire de droit du travail, 2005, https://nomade.etu.univ-nantes.fr
16 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », p. 3,
http://staps.univ-lille2.fr
14
Cependant, même si le travail de formation est considérable, le joueur doit être en capacité de
choisir le club dans lequel il souhaite évoluer.
Néanmoins, comme le soutient Mathieu Verly, l'indemnité de formation « […] tend à concilier les
intérêts de chaque partie […] »17
et il ajoute que « Il y a donc place à un dialogue social entre
clubs-employeurs et sportifs-salariés. »18
En outre, cet article opère la distinction entre la formation effectuée par les centres de formation des
clubs professionnels et celle des clubs amateurs.
Ce qui fait la différence entre les deux c'est que dans le cas professionnel, le joueur dispose de tout
un suivi extérieur à sa formation de sportif (suivi scolaire, nutritionnel) qu'on ne retrouve pas
forcément dans les clubs amateurs.
En outre, le joueur en intégrant un centre de formation de club professionnel sait que s'il fait ses
preuves, il pourra signer un contrat professionnel lui ouvrant droit à une rémunération, chose qu'il
ne pourra pas avoir en restant au niveau amateur.
Le versement d'indemnités de formation limite dans la plupart des cas la liberté du travail car le
joueur ne peut pas changer de club à sa guise sans qu'elles soient versées mais trouve sa justification
dans le fait que les joueurs au cours de leur période en centres de formation sont subordonnés via
une convention de formation à leur club. Ils sont en quelque sorte de la main d'œuvre et leur force
de travail mérite à ce titre d'être monnayée. Néanmoins, dans le cas d'une clause de formation-dédit,
le joueur fait davantage usage de sa liberté du travail en rompant unilatéralement son contrat de
travail et en ayant seulement à charge le remboursement à son club des frais engagés pour sa
formation.19
Dans le football, cette indemnité est notamment abordée à l'article 261 du règlement administratif
de la LFP. Le versement de cette indemnité est rendu possible depuis l'accord que nous avons déjà
évoqué entre la FIFA et la Commission européenne en 2001.
Depuis cette date, l'instance internationale du football prévoit à l'article 20 de son règlement sur le
statut et le transfert des joueurs que « Des indemnités de formation sont redevables à l’ancien club
ou aux anciens clubs formateur(s) :lorsqu’un joueur signe son premier contrat en tant que joueur
professionnel, et lors de chaque transfert d’un joueur professionnel jusqu’à la saison de son 23e
anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de formation existe que le transfert ait lieu
pendant ou à la fin du contrat »
Cette obligation est un sérieux frein à la liberté du travail du sportif.
17 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », ibid
18 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », ibid
19 Comité départemental olympique et sportif d'Isère, « Formation professionnelle : la clause de dédit de formation »,
1er avril 2009, http://isere.franceolympique.com
15
En effet, il n'est déjà pas forcément évident pour les clubs de s'entendre sur le montant de
l'indemnité de transfert.
Alors, s'il faut prendre en compte le fait qu'il faille encore verser une indemnité de formation, cela
ne fait que ralentir les négociations. Au final, le versement de l'indemnité de formation a tendance à
limiter la liberté du travail.
Elle ajoute dans son article 21 que le versement de cette indemnité de formation répond à une
logique de solidarité envers les clubs ayant œuvré dans la formation des joueurs.
On y devine l'influence du mouvement sportif qui insiste depuis plusieurs années sur le rôle social
et éducatif de la formation des sportifs notamment reconnu via l'arrêt Bernard de la CJUE en date
de 2010.20
Prenons le cas d'Anthony Martial.
Il quitte l'OL à l'âge de 18 ans pour rejoindre l'AS Monaco en 2013. A l'été 2015, il est transféré par
la somme de 50 millions d'euros (part fixe à laquelle peuvent s'ajouter 30 millions d'euros) au club
anglais de Manchester United.
Ce transfert a fait deux heureux à savoir les deux clubs français puisque l'AS Monaco peut toucher
jusqu'à 80 millions d'euros et l'OL puisque ce dernier avait prévu dans le contrat de transfert de
toucher 20% du montant du futur transfert de son ancien joueur auxquels viennent s'ajouter 5% au
titre des indemnités de formation.21
Ces clauses limitent la liberté du travail du sportif puisque si le club dans lequel il évolue souhaite
désormais le vendre, il doit veiller à ce que l'indemnité de transfert soit suffisamment importante
pour rentabiliser ce transfert ou au moins ne pas perdre trop d'argent. Tout cela a une influence
relative sur la carrière du joueur qui doit bien malgré lui, composer avec les intérêts économiques
de ses anciens clubs.
En rugby, la logique est similaire. La World Rugby mettant au travers de la section 3 de son
règlement 4 de son manuel en exergue l'importance de récompenser le travail des clubs dans la
formation des sportifs pour à la fois leur permettre d'évoluer au niveau professionnel et leur
apprendre à agir dans le respect d'autrui en leur enseignant des valeurs telles que l'exemplarité se
manifestant par le respect des adversaires par exemple.
L'article 260 des statuts et règlements généraux de la FFR précise que « l'indemnité de formation a
pour objet d'indemniser une association lors de la mutation d'un de ses licenciés vers une autre
association au titre des efforts et des investissements consentis par l'association quittée. »
20 CJUE, aff. C-325/08, Olympique Lyonnais SASP c/ Olivier Bernard et Newcastle UFC, 16 mars 2010,
http://curia.europa.eu
21 Quentin Migliarini, « Transfert de Martial: Pourquoi Lyon et Aulas sont (aussi) les grands gagnants? »
http://sport24.lefigaro.fr 1er septembre 2015
16
Ces différentes dispositions nous permettent de voir que l'indemnité de formation est une notion
présente dans les différents sports collectifs.
Il est vrai qu'on peut dès lors se poser la question de la pertinence d'une telle indemnité.
En vérité, il faut chercher sa justification principale dans le fait que le mouvement sportif insiste
grandement sur le versant éducatif du sport.
Ce motif un peu bancal pour justifier le versement d'une indemnité de formation est en réalité un
prétexte visant à masquer le véritable enjeu que recouvre la formation de joueur à savoir un enjeu
économique.
En effet, le versement d'une indemnité de formation permet surtout d'encourager l'investissement
dans la formation et d'atténuer même si c'est très relatif, l'écart avec les clubs fortunés qui axent
moins leur politique sur la formation.
Ainsi dans l'arrêt Bernard rendu par la CJUE le 16 mars 2010, l'instance communautaire rappelle
que «la perspective des indemnités de formation est de nature à encourager les clubs de football à
[…] assurer la formation des jeunes joueurs »22
.
En outre, elle insiste sur le fait que la somme versée au titre de la formation du joueur doit être
proportionnée au but poursuivi. Elle entend par là que l'indemnité doit avant tout chercher à
valoriser le travail réalisé par les éducateurs tant dans la formation sportive qu'humaine du joueur.
L'article 20 du règlement FIFA du statut et du transfert de joueur dispose que « Des indemnités de
formation sont redevables à l’ancien club ou aux anciens clubs formateur(s) : lorsqu’un joueur
signe son premier contrat en tant que joueur professionnel, et lors de chaque transfert d’un joueur
professionnel jusqu’à la saison de son 23e anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de
formation existe que le transfert ait lieu pendant ou à la fin du contrat. Les dispositions concernant
l’indemnité de formation sont détaillées dans l’annexe 4 du présent règlement. »
On voit que les grands gagnants de ce mécanisme sont avant tout les clubs amateurs qui œuvrent
eux aussi à la formation des joueurs.
Toutefois, le versement d'une telle indemnité pose inévitablement la question de la qualification
juridique du jeune joueur. Peut-on considérer un joueur mineur comme un travailleur ?
Nous répondrons à cette question en prenant le parti que le joueur acquiert le statut de travailleur à
partir du moment où il intègre un centre de formation. En conséquence, il paraît légitime de verser
une indemnité aux clubs ayant participé à sa formation.
Ensuite, la fixation à 23 ans de la limite d'âge pour le versement d'une indemnité de formation
constitue à notre sens une façon pour les instances internationales comme la FIFA ou la World
22 Julien Zylberstein, « L'arrêt Olivier Bernard : une avancée significative pour la formation des sportifs », Revue UE
2010, p.653, disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr
17
Rugby de marquer le passage à la vie d'adulte pour le sportif même si celui-ci est depuis longtemps
un travailleur.
L'arrêt du versement de l'indemnité de formation à 23 ans pose question.23
En y réfléchissant bien, on pourrait y voir une sorte de majorité sportive, marquant l'émancipation
définitive du joueur vis à vis de ses clubs formateurs et la fin du versement des indemnités de
formation.
Enfin, on peut penser que cet âge est une preuve de la volonté d'autonomie du mouvement sportif
vis à vis de l'Etat.
Cette section nous a permis de voir que la liberté en cause dans le transfert n'est pas la même
suivant qu'on se situe à l'échelle de l'Union européenne ou à l'échelle française.
Malgré tout, un dénominateur commun en ressort à savoir la préservation des libertés.
Ce constat fait, il nous faut désormais appréhender les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté
du travail puis l'articulation de cette liberté avec les règles sportives et le droit positif.
Section 2: Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail et sa mise en œuvre par les
mouvements sportif et politique
Le contrat de travail du sportif tout comme le transfert doit s'inscrire en conformité avec la liberté
du travail.
Suite au transfert, la visite médicale mais aussi l'homologation du contrat entravent l'exercice de
cette liberté mais sont justifiées par des considérations sportives à savoir l'existence d'un contrôle
administratif émanant du mouvement sportif. (A)
Ce contrôle n'empêche pas que les règles sportives comme le droit positif doivent veiller à bien
s'articuler avec l'exercice de la liberté du travail. Dans ce sens, nous traiterons notamment de la
période de stabilité mise en place par la FIFA et de l'articulation de cette liberté avec le droit
communautaire et français. (B)
Au demeurant, comme le suggère Jean-Pierre Karaquillo « plutôt que de s'attarder sur les
imperfections des organisations sportives pour justifier l'interventionnisme des États, le temps est
venu, sans faux-semblants et sans tarder, de réordonnancer les différents pouvoirs en imaginant les
modalités d'un « pluralisme constructif ordonné » déjouant le choc des ordres juridiques d'État et
des ordres juridiques du sport en s'astreignant à les coordonner. »24
Il ressort de ces propos qu'au-delà des particularismes inhérents à chacun des ordres juridiques, il
23 Michel Pautot, op.cit
24 Jean-Pierre Karaquillo , « Le transfert du sport dans la chronique du fait divers », Jurisport 2016, n°162, p.3,
https://nomade.etu.univ-nantes.fr
18
est primordial de coordonner leur action sans conpromettre l'exercice de la liberté.
A Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail du sportif
Dans la sphère sportive, on voit que l'exercice de la liberté doit d'abord composer avec un contrat de
travail spécifique, le CDD et le transfert. Une fois le transfert réalisé, deux conditions restent à
remplir : l'homologation du contrat et la visite médicale. Elles sont le témoignage d'une limite
apportée à la liberté du travail mais justifiée par la nécessité d'un contrôle administratif sportif dans
le sens où le mouvement sportif y fait appel pour valider le transfert et le rendre effectif.
-Le CDD comme élément déclencheur du transfert
1) La cohérence du recours au CDD dans le sport professionnel vis à vis de la liberté du travail
Si la loi du 27 novembre 2015 vient consacrer le CDD comme contrat de principe en matière de
sport professionnel en le codifiant notamment à l'article L 222-2-3 du Code du Sport, examinons
son impact sur la liberté du travail.
Défini pour la première fois par une loi du 3 janvier 1979, le CDD allait peu à peu s'imposer dans le
sport professionnel puisqu'il sera rattaché pour la première fois à ce domaine par une autre loi du 12
juillet 1990.25
En France, alors que le principe veut que le contrat de travail soit le contrat à durée indéterminée, le
sport professionnel échappait déjà à cette règle en ayant recours au CDD comme contrat d'usage tel
que prévu au 3° de l'article L 1242-2 du Code du travail.
Le recours d'usage au CDD dans le sport professionnel trouvait sa principale justification dans
l'argument consistant à déclarer que ce contrat permettait de préserver l'équilibre des compétitions.
Si le recours au CDD dans le sport professionnel est aujourd'hui reconnu par le Code du sport, ce
contrat a mis plusieurs années avant de s'imposer.
Concernant plus globalement la question du recours au CDD dans le sport professionnel, force est
de reconnaître que la loi de 2015 a opéré un basculement majeur en soumettant non plus le contrat
de travail du sportif au Code du travail mais au Code du Sport.
On peut penser que les acteurs du sport ont pu via le lobbying inciter à ce changement.26
Néanmoins, on se rend compte que le CDD n'est pas vraiment un allié du mouvement sportif
puisqu'il vient limiter la liberté du travail.
En effet, d'un côté, la liberté du travail induit que tout travailleur peut choisir son employeur et donc
25 Loi n°79-11 du 3 janvier 1979 et Loi n°90-613 du 12 juillet 1990 évoquées dans « Le contrat de travail du sportif »
de Nathalie Brandon et Jean-Jacques Bertrand, www.cairn.info
26 Assemblée nationale, Compte rendu de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, compte rendu n°35,
Mercredi 25 mars 2015, www.assemblee-nationale.fr
19
quitter son emploi. De l'autre, le système du transfert légitimé par le CDD limite la liberté du travail
puisqu'il oblige le club souhaitant s'attacher ses services à verser une indemnité de transfert.
En somme, la consécration du CDD par le Code du sport a validé la pratique du transfert et par la
même occasion légitimer l'inflation des salaires et le déséquilibre des compétitions.
Le CDI évitait tout cela.
En effet, via ce contrat, le joueur pouvait user de sa faculté de démission s'il souhaitait changer de
club en théorie. Néanmoins, comme nous avons pu l'observer plus haut, le CDI était dans la
pratique plutôt liberticide pour les joueurs puisque très peu usaient de cette prérogative, plaçant leur
employeur en position de force.
Il permettait surtout aux clubs de garder plus facilement leurs meilleurs éléments et de rester
compétitifs.
En outre, le CDI signifiait absence de versement d'une indemnité de transfert.
Or avec l'instauration du CDD, l'indemnité de transfert est devenue la norme.
On peut se demander si finalement en cherchant à obtenir davantage de libertés, les sportifs n'ont
pas œuvré à la diminution progressive des possibilités d'expression de leur liberté du travail.
En outre, on est en droit de s'interroger sur les motifs d'une consécration du CDD par la loi dans le
sport professionnel quand on sait que dans le cadre du CDI, le joueur pourrait comme on vient de le
voir user de sa faculté de démission s'il souhaite changer de club et que l'insertion d'une clause de
non concurrence dans ce contrat éviterait les départs en cours de saison dans le but de ne pas fausser
l'équilibre des compétitions.
Au final, le recours au CDD, présenté comme un contrat relativement précaire dans un champ tel
que le sport professionnel nous laisse penser que les acteurs du sport cherchent avant tout à asseoir
leur légitimité vis à vis de la sphère politique.
Le CDD légitime le transfert et en est a fortiori le déclencheur.
2) Le transfert
Le transfert est lui le fruit d'une longue lutte des sportifs pour plus de libertés.
Tout d'abord, dans les années 60, les sportifs face au refus de leur employeur de leur permettre
d'user de leur faculté de démission octroyée par le contrat en vigueur à l'époque à savoir le CDI,
réclament du changement. Ils finiront par obtenir gain de cause avec l'instauration du contrat à
temps sans transfert au début des années 70.27
Pour le football par exemple, ce nouveau contrat fait suite en France aux événements de Mai 1968
27 Bastien Drut, Economie du football professionnel, page 77, Editions La Découverte,Paris, 2011
20
au cours desquels les joueurs exigent davantage de libertés et verra véritablement le jour en 1972.28
Les prémices de cet élan de contestation sont déjà palpables lorsque Raymond Kopa en qualité de
vice-président de l'UNFP affirme dans la presse en 1963 que « les footballeurs sont des esclaves. »29
Le recours d'usage au CDD dans le sport professionnel au début des années 90 marque le début
d'une légitimation des transferts.
La jurisprudence Bosman du 15 décembre 1995 poursuit ce mouvement en supprimant les quotas de
nationalité.
Suite à cette jurisprudence, on a pu assister une internationalisation massive des clubs ainsi qu'à une
inflation des indemnités de transfert et des salaires.
En France, la consécration législative d'un contrat spécifique au sport professionnel intervenue en
fin d'année dernière marque la légitimation définitive du système de transferts dans sa forme
actuelle.
En définitive, le transfert présenté comme une expression de la liberté du travail n'est qu'en partie
vrai puisqu'on sait qu'avec les enjeux économiques toujours plus importants dans le sport
professionnel, le joueur n'est plus le seul décideur de sa carrière et doit composer avec les intérêts
d'autres acteurs comme les agents, les clubs ou encore les fonds d'investissement.
Suite à la réalisation du transfert, le joueur doit passer une série d'examens médicaux pour s'assurer
qu'il a toutes les capacités physiques pour jouer. Cela témoigne d'un contrôle administratif du
mouvement sportif destiné à valider le transfert et le rendre effectif.
- Les modalités de validation du transfert
1) La visite médicale
Tout d'abord, force est de constater que la visite médicale est obligatoire peu importe l'emploi visé.
Néanmoins, dans le domaine du sport, celle-ci valide le transfert de joueur et permet au club
acquéreur de s'assurer que le joueur qu'il vient de recruter est en capacité de jouer mais donne
également au joueur l'opportunité de faire valoir sa liberté du travail en exerçant sa profession de
sportif professionnel.
A l'appui de la jurisprudence, nous allons voir que la satisfaction à la visite médicale entre un des
critères retenus par les juges dans l'appréciation de la validité d'un transfert.30
28 Bastien Drut, Ibid
29 Bastien Drut, op.cit, page 76
30 CA Toulouse, 6 juin 2014, n°12/03411, (voir notamment le commentaire de Antoine Semeria sur
www.juritravail.com)
21
Cet arrêt a été l'occasion pour la cour d'appel de Toulouse de signifier qu'il y avait rupture abusive
de contrat dès lors qu'il était prouvé qu'un président de club avait clairement affirmé son désir de ne
pas renouveler le contrat d'un joueur pour convenance personnelle et non pour des motifs d'ordre
sportif tels qu'une descente ou une visite médicale non concluante.
Cette visite médicale s'avère être une atteinte justifiée à la liberté du travail dans le sens où les
employeurs doivent s'assurer de la bonne condition physique des joueurs qu'ils souhaitent recruter.
Cela est d'autant plus vrai dans le sport professionnel où l'exigence de performance est
particulièrement élevée.
En outre, elle a affirmé qu'on était en présence de travail dissimulé puisque le club propriétaire du
joueur l'a contraint le joueur à demander une mutation dans un club évoluant deux divisions en
dessous du club de Toulouse sans rémunération avant la clôture des demandes de mutation.
La qualification de travail dissimulé est en l'espèce justifiée. Rien n'autorise un club à se comporter
d'une telle façon qui plus est dans le cas où le joueur en question n'a commis aucune faute.
Il ressort de cette dernière jurisprudence, qu'il existait malgré tout une protection des salariés contre
les ruptures abusives de leur contrat de travail de la part de leur employeur.
Une fois la visite médicale effectuée, il reste en théorie encore une étape à franchir avant de pouvoir
étrenner ses nouvelles couleurs à savoir l'homologation du contrat. La pratique nous révèle qu'il
peut arriver qu'un joueur n'en ait pas besoin pour jouer avec sa nouvelle équipe.
2) L'homologation du contrat
Concernant l'homologation des contrats, dans le cadre du transfert, comme l'indique François
Bizeur, « le contrat reste valablement formé mais attend cette homologation pour pouvoir trouver
sa pleine efficacité. »31
Ensuite, il ajoute à l'appui de l'article 1178 du Code civil qu'« en cas de défaillance du club
employeur au moment de procéder à l'homologation du contrat de travail […]celui-ci reste lié à un
joueur qui ne peut pas jouer tandis que son contrat ne peut être remis en cause. »32
L'idée est par conséquent de montrer que l'homologation a même après la loi de novembre 2015 une
portée juridique limitée puisque le manquement à cette obligation n'emportait pas nullité du contrat.
Cette conception pose problème puisque si le lien contractuel est maintenu entre le joueur et son
nouveau club, il ne peut pas exercer pleinement sa liberté du travail puisque la non-homologation de
son contrat l'empêche de participer aux rencontres de son club.
31 François Bizeur, « Le transfert du sportif professionnel », Petites affiches, 19 décembre 2013, n°253, disponible sur
http://laboratoire-droit-sport.fr
32 Ibid
22
Il ressort de ces propos que la réglementation fédérale met au nom de l'équilibre des compétitions
des mécanismes comme le transfert et l'homologation ayant des conséquences sur le contrat de
travail du sportif.
Le lien entre transfert et homologation est évident puisque la non-conformité d'un transfert aux
règles fédérales entraînera probablement l'absence d'homologation du contrat de travail du nouvel
arrivant. Néanmoins la loi du 27 novembre 2015 change la donne.
En effet, elle crée un régime spécifique au sport professionnel qui se traduit notamment par
l'imposition du recours au CDD notamment à l'article L 222-2-3 du Code du sport et la validation de
la procédure d'homologation par l'article L 222-2-6 du même code.
Cette dernière constitue une limite à la liberté du travail du sportif car la non-homologation de son
contrat l'empêche d'évoluer sous ses nouvelles couleurs mais est justifiée car il est soumis
juridiquement à un club qui doit lui-ême respecter les règles établies par la fédération dont il
dépend.
Enfin, même si les transferts doivent nécessairement être encadrés dans leur déroulement, comme
l'affirme le Conseil d'Etat, « une fédération nationale ne peut pas les réduire dans des conditions à
ce point restrictives qu'elles constituent une atteinte au principe de libre accès aux activités
sportives et au principe d'égalité. »33
Maintenant que nous évoqué les différents mécanismes permettant l'exercice de la liberté du travail,
regardons comment les règles sportives et le droit positif organisent la pratique du transfert tout en
permettant l'exercice de cette liberté.
B L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives et le droit positif
L'examen de la jurisprudence du TAS et des règles fédérales internationales comme françaises nous
permettra d'y voir un peu plus clair sur l'impact des règles sportives sur la liberté du travail du
sportif.
Ensuite nous verrons que le mouvement politique en créant des règles de droit contribue que ce soit
au niveau communautaire ou français à organiser l'exercice de cette liberté.
Enfin, à titre de comparaison, nous observerons que contrairement au système de l'Union
européenne où l'autonomie des règles sportives est relative, l'hémisphère sud opte pour une
séparation plus marquée entre règles sportives et étatiques restreignant ainsi considérablement la
33 « Une fédération sportive ne peut réglementer les transferts dans des conditions telles qu'elle porte atteinte au
principe de libre accès au sport », Conseil d'Etat 14 mai 1990, Dalloz 1991, p.396, https://nomade.etu.univ-nantes.fr
23
liberté du travail notamment dans le domaine du rugby.
L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives
Comme le soutiennent Nathalie Bourzat-Alaphilippe et Franck Lagarde, « au nom de la liberté du
travail, un club ne peut pas empêcher un sportif de rompre unilatéralement son contrat et de
s'engager auprès d'un autre club. Le club quitté peut simplement prétendre, dans ce cas, à être
indemnisé de son préjudice. »34
Ainsi, afin de limiter la liberté du travail du sportif au nom de l'investissement réalisé par les clubs,
des organismes comme la FIFA n'ont pas hésité à mettre en place une période protégée.
La période protégée rappelle que l'autonomie du mouvement sportif dans l'édiction de ses règles de
fonctionnement reste relative puisqu'en l'occurrence la période protégée résulte d'une négociation
avec la Commission européenne débouchant en 2001 sur le règlement du statut et du transfert des
joueurs.
La période protégée, définie au point 7 de la page 5 du règlement FIFA du statut et du transfert des
joueurs renvoie à « une période de trois saisons entières ou de trois ans [...] suivant l’entrée en
vigueur d’un contrat, si le contrat en question a été conclu avant le 28e anniversaire du joueur
professionnel, ou une période de deux saisons entières ou de deux ans suivant l’entrée en vigueur
d’un contrat si le contrat en question a été conclu [...]après le 28e anniversaire du joueur
professionnel. » Elle est transposée en France de manière implicite par la convention passée entre
la FFF et la LFP.
Concrètement, quand le joueur est âgé de moins de 28 ans, il ne peut pas rompre unilatéralement
son contrat de travail dans une période de trois ans suivant son transfert. Ce délai est porté à deux
ans lorsqu'il a 28 ans et plus.
En cas de non-respect de cette période, et en dehors du cas de juste cause précisé articles 14 et 15
du règlement FIFA précité, le joueur s'expose à de lourdes sanctions sportives et financières.
En définitive, la période protégée revêt avant tout un effet dissuasif pour les joueurs. Elle est une
preuve supplémentaire de l'importance de l'économie dans le sport professionnel.
En effet, alors que cette période soulève la question de la pertinence du CDD en matière sportive,
on réalise que la règle sportive cherche à répondre à une double logique : économique puisqu'il
s'agit de gérer une entreprise en donnant aux clubs la possibilité d'amortir leurs investissements tout
en limitant leurs pertes financières et sportive puisque le maintien de la compétitivité de l'équipe
34 Nathalie Bourzat-Alaphilippe et Franck Lagarde, « Qu'est ce qu'un transfert ? », Jurisport 2013, n°133, page 18,
https://nomade.etu.univ-nantes.fr
24
permet d'attirer des joueurs de qualité.35
Le TAS donne un vrai crédit aux règles sportives en se rangeant à travers sa jurisprudence du côté
des règles édictées par la FIFA. L'exemple de la période protégée met en évidence le fait que cette
juridiction fait une stricte application de la réglementation sportive reléguant au second plan la
liberté du travail au nom de l'existence d'un lien de subordination entre la FIFA et tous les salariés
des clubs issus d'une fédération affiliée.
Prenons le cas d'Adrian Mutu.36
Le célèbre footballeur roumain pourtant acheté 22,5 millions d'euros par Chelsea pendant le
mercato estival 2003 avait été licencié par ce club en octobre 2004 et suspendu pour sept mois
après avoir été contrôlé positif à la cocaïne.
Par une sentence du 31 juillet 2009, le TAS le condamne à payer plus de 17 millions d'euros de
dommages-intérêts au club de Chelsea.
Pour justifier ce montant, le raisonnement du TAS prend en compte plusieurs éléments à savoir le
droit applicable en l'espèce, la spécificité du sport la rémunération et les autres avantages liés au
contrat, la durée de contrat restant à courir, le montant des frais payés par l'ancien club et amortis
tout au long de la durée du contrat et si la rupture de contrat a eu lieu au cours de la période
protégée.
Sur le premier point, le TAS précise que le droit applicable à l'affaire est le droit anglais et que « la
détermination du montant de la compensation financière due par un joueur ayant rompu son
contrat doit être basé sur le montant non encore amorti du transfert et que cette pratique est
conforme au droit anglais. »
Sur ce point, rien de contestable puisque le joueur avait quitté un club évoluant en Angleterre.
A propos de la spécificité du sport, le TAS met en évidence que les règles sportives prennent en
compte la valeur marchande du joueur, ce qui justifie que lors de rupture unilatérale émanant de sa
part, le club soit indemnisé pour compenser la perte financière engendrée par son départ.
D'un point juridique, cela est justifié par le fait que le joueur constitue un actif au bilan financier du
club et que sa perte engendre un préjudice économique car le club perd de l'argent par rapport à
l'investissement qu'il a pu réaliser.
De plus, elle constitue un préjudice sportif car la perte d'un joueur peut influer sur les performances
de l'équipe et cela peut également se ressentir au niveau des recettes de billetterie.
Par ailleurs, la durée restant à courir dans le contrat est d'à peu près 3 ans et demi.
Le TAS prend en compte ce critère pour évaluer le préjudice économique subi par le club.
35 Fabrice Rizzo, « La conclusion et l’exécution des contrats de transfert des sportifs professionnels », op.cit
36 CAS, Adrian Mutu v/ Chelsea Football Club Limited , affaire n° 2008/A/1644 31 juillet 2009,
www.centrostudisport.it
25
La prise en compte du montant non encore amorti du transfert dans l'évaluation du préjudice subi
est discutable dans le sens où le joueur n'a aucunement participé à la fixation du prix du transfert et
qu'il peut avoir perdu de la valeur depuis son arrivée dans son nouveau club notamment en raison
de performances en deçà de ce à quoi on pouvait s'attendre.
En définitive, utiliser le montant non encore amorti est très avantageux pour le club et terrible pour
le joueur.
Enfin, le contrat du joueur était encore dans sa période protégée au moment des faits, ce qui ne fait
qu'alourdir son amende.
Certes, cette période est justifiée par des considérations sportives notamment l'équilibre des
compétitions mais ici elle joue clairement en défaveur du joueur.
Pour conclure notre analyse, cette jurisprudence prouve que des limitations à la liberté du travail
sont nécessaires mais que celles-ci doivent être proportionnées aux faits reprochés afin de ne pas
non plus mettre en péril la situation financière du joueur.
Adrian Mutu avait déjà reçu une suspension suite à son contrôle antidopage positif, le privant d'user
de sa liberté du travail pendant un certain temps. Le fait d'y ajouter une amende aussi conséquente,
même si les faits reprochés sont graves n'est clairement pas une aide pour le joueur.
Autre cas de figure : la rupture de contrat en dehors de la période protégée.
Comme le souligne Frédéric Buy, « en dehors de la période protégée, les textes sont beaucoup
moins clairs et ne disent pas qu'il faut prendre en compte la valeur marchande du joueur. »37
Cela a conduit le TAS à adopter sa propre position en témoigne la sentence Webster rendue le 30
janvier 2008.38
Concernant le droit applicable, il estime que c'est le droit écossais qui doit être retenu, le litige
opposant deux clubs écossais.
Ensuite, il fonde son raisonnement sur la spécificité du sport.
Pour cela, il indique que la spécificité du sport réside dans le fait de « recherche un équilibre
raisonnable entre d'une part le besoin de stabilité contractuelle et d'autre part, la libre circulation
des joueurs. »39
On le voit l'objectif de la spécificité du sport est de permettre d'opérer une conciliation entre les
intérêts des différents acteurs à savoir les clubs et les joueurs.
Ensuite, le TAS précise qu'il n'est « pas convaincu par le fait qu'au-delà de la période protégée, il
soit donné la possibilité au club de demander en guise de compensation le versement d'une partie
37 Frédéric Buy, « Droit(s) des transferts de joueurs », www.canalu.tv
38 CAS, 30 janvier 2008, n° 2007/A/1298/1299/1300, http://jurisprudence.tas-cas.org
39 Ibid
26
de salaires restant à verser à moins que cela soit précisé dans le contrat de travail. »40
car cela à
l'encontre de l'équilibre raisonnable précité.
Cette mesure est juridiquement justifiée car si dans le cadre de la période protégée, ce sont les
intérêts des clubs qui sont protégés, il faut bien pour des raisons d'équilibre qu'en dehors cela
bascule en faveur du joueur.
Enfin, pour terminer son raisonnement, le TAS insiste sur le fait que « dans le cadre d'un CDD, les
deux parties ont des intérêts semblables et iront jusqu'au bout du contrat de telle sorte que si le
joueur souhaite rompre son contrat, il devra se mettre d'accord avec son club et payer en guise
d'indemnité de fin de contrat, le montant des salaires restant à verser. »41
Là encore, on comprend que l'objectif est de permettre un équilibre des forces en présence et non
pas de favoriser l'une ou l'autre des parties.
Cela permet à la fois au club de bénéficier d'une indemnité et au joueur de pouvoir user de sa liberté
du travail sans compromettre les bases de son existence économique.
Malheureusement, la solution de la sentence Webster n'a pas été reprise depuis.
Cela soulève la problématique de la distinction entre période protégée et fin de la période protégée.
Il paraît souhaitable que d'autres jurisprudence s'inscrivent dans la lignée de la jurisprudence
Webster car comme l'indique Frédéric Buy « vous avez déjà une période de stabilité qui est
extrêmement dure pour les joueurs. Si les sanctions sont les mêmes [dans ces périodes], il va être
difficile d'expliquer au juge que la liberté du joueur n'est pas entravée. »42
Ainsi, si des sanctions aussi fortes persistent, c'est la liberté du travail et ses corollaires c'est à dire
la liberté de contracter et de circulation qui seront impactés.
Tout l'enjeu se situe donc dans une recherche d'équilibre entre les intérêts des joueurs et des clubs.
L'articulation de la liberté du travail avec le droit de l'Union européenne et le droit français
Fruit d'une volonté politique, le droit a pour but principal d'encadrer les actions de la société civile.
Dans le domaine sportif, il ne permet pas au sportif de rompre de manière unilatérale son contrat de
travail à durée déterminée.
En effet, une telle manœuvre représenterait un préjudice économique important pour le club qui
avait décidé de miser sur lui. En France, cette interdiction est posée par l'article L 1243-3 du Code
du travail. Celle-ci est reprise par l'article L 222-2-7 du Code du Sport qui précise que « Les clauses
de rupture unilatérale pure et simple du contrat de travail à durée déterminée du sportif et de
40 Ibid
41 Frédéric Buy, ibid
42 Frédéric Buy, Ibid
27
l'entraîneur professionnels salariés sont nulles et de nul effet. »
Si le sportif ne peut pas rompre son contrat de travail à sa guise, il ne faut pas oublier qu'il bénéficie
de la liberté de circulation.
En effet, depuis l'arrêt Bosman de 1995, le sportif bénéficie comme tout travailleur de la liberté de
circulation sur le territoire communautaire.
Pour autant, il ne faut pas oublier que sa liberté de circulation connaît quelques tempéraments.
En effet, le joueur étant encore sous contrat doit attendre que son club reçoive une offre jugée
financièrement suffisante pour pouvoir partir. Dans le même temps, il doit se mettre d'accord avec
le club potentiellement acquéreur.
Ensuite, le sportif, étant encore sous contrat avec un employeur doit être transféré pendant les
périodes de mutations prévues par les différentes fédérations.
Le principe veut qu'il y en a souvent une seule sur l'ensemble de la saison dans le but pour reprendre
l'arrêt Lehtonen de 2000 « d'assurer l'intégrité et l'équilibre des compétitions »43
. Ces deux notions
soulèvent également le respect par les clubs des périodes d'homologation des contrats de joueurs.
Ainsi, l'article L 131-6 du Code du sport prévoit que «la licence sportive est délivrée par une
fédération sportive ou en son nom. Elle ouvre droit à participer aux activités sportives qui s'y
rapportent et, selon des modalités fixées par ses statuts, à son fonctionnement. »
Il ressort de cet article que les fédérations interviennent dans la pratique du transfert à travers
l'homologation des contrats de travail des joueurs dont le cadre juridique est fixé à l'article L 222-2-
6 du Code du Sport. Elles disposent d'une prérogative fondamentale en ayant la capacité de délivrer
une licence sportive. Celle-ci constitue un acte règlementaire dans le sens où elle s'impose à
l'ensemble des sportifs souhaitant s'affilier à elle pour pouvoir participer aux compétitions qu'elle
organise. L'homologation s'inscrit par conséquent pleinement dans l'opération de transfert puisque
c'est elle qui le valide et lui donne toute son effectivité. L'homologation est la traduction d'un
contrôle administratif de la part du mouvement sportif. Certes, il a intégré depuis l'arrêt Bosman la
notion de liberté de circulation du sportif mais grâce à l'homologation, il a encore son mot à dire.
Enfin, l'homologation du contrat est une limite à la liberté du travail du sportif qui est nécessaire à
au moins deux titres : elle constitue un moyen pour le mouvement sportif de faire valoir ses propres
règles et contribue au maintien de l'équilibre des compétitions.
On le voit bien, la liberté de circulation des sportifs est loin d'être totale tant les conditions à remplir
pour la rendre sont nombreuses. Par exemple l'alinéa 2.4 de l'article 41 du règlement administratif
de la ligue nationale de rugby dispose que « pour que le contrat du joueur soit homologué et que le
43 CJCE. Jyri Lehtonen et Castors Canada Dry Namur-Braine ASBL contre Fédération royale belge des sociétés de
basket-ball ASBL (FRBSB), affaire C-176/96, 13 avril 2000, http://curia.europa.eu
28
joueur puisse participer au Championnat de France professionnel, le club doit justifier du seul fait
de sa sélection en équipe nationale à cette date. Toutefois, le document requis ci-dessus devra dans
cette hypothèse être reçu par la LNR et prendre effet au plus tard 7 jours après la fin de la période
de sélection en équipe nationale. » L'homologation sert donc à entériner le transfert.
A titre de comparaison, en football, l'article 254 du règlement administratif de la ligue de football
professionnel prévoit tout d'abord que pour être homologué « chaque dossier est transmis
individuellement par le club à la Commission juridique de la LFP pour homologation dans le délai
de quinze jours après la signature du contrat. » (alinéa 2)
En outre, selon l'alinéa 3, il doit remplir les conditions suivantes :
« a) si la situation du club vis-à-vis de la DNCG ne comporte aucune restriction, il est
homologué ;
b) si le club fait l’objet d’une mesure de contrôle il est transmis à la DNCG pour
décision :
 si la décision est favorable il est homologué
 si elle est défavorable elle est notifiée par lettre recommandée au club, au joueur et/ou à son
représentant légal. Le club est également informé de la décision par isyFoot. Elle peut être frappée
d’appel par le club, le joueur et/ou son représentant légal devant la commission d’appel de la
DNCG. »
Le pouvoir d'homologation dont bénéficient les ligues professionnelles leur permet de veiller au
respect des règlements sportifs et d'éviter tout abus émanant du mécanisme de transfert. Cela
engendre comme conséquence que la liberté du travail des sportifs est loin d'être totale tant les
conditions à remplir pour la rendre sont nombreuses.
Néanmoins, nous sommes convaincus que le système communautaire reste moins contraignant que
d'autres au regard de la liberté de circulation des travailleurs.
A titre d'exemple en matière de rugby, les joueurs australiens et néo-zélandais internationaux
disposent de deux contrats : un avec leur club et un avec leur fédération en tant qu'international.
Le but de manœuvre est d'éviter la fuite des talents vers l'Europe.
Les champions du monde Dan Carter, Conrad Smith mais aussi Ma'a Nonu ayant rejoint la France
après le mondial en Angleterre, ils se trouvent automatiquement privés de sélection nationale.
Stev Tew, directeur de la fédération néo-zélandaise a commenté ces départs en déclarant que
« Alors que nous voyons des joueurs quitter nos rivages, nous sommes rassurés par la nouvelle (du
prolongement de contrat de Kaino, ndlr) qui prouve que l'environnement rugby que nous proposons
ici en Nouvelle-Zélande reste stimulant et attractif pour nos meilleurs joueurs ».44
44 AFP, « Nouvelle Zélande : Jérôme Kaino prolonge avec les All Blacks jusqu'en 2018 », www.rugbyrama.fr, 31 mars
2015
29
Dans le même temps, des joueurs tels que Jérôme Kaino, Israel Dagg ou Kieran Read ont eux
décidé de prolonger leur contrat avec la fédération au-delà du mondial 2015.
L'Australie a été plus souple dans sa réglementation en autorisant les joueurs comptant plus de
soixante sélections avec les Wallabies à évoluer avec l'équipe nationale même s'ils évoluent à
l'étranger. Les principaux bénéficiaires de cette mesure ont été les toulonnais Matt Giteau et Drew
Mitchell qui ont pu disputer la coupe du monde de rugby.
Celle-ci a été étendue aux joueurs s'engageant à évoluer deux saisons dans les équipes australiennes
du Super 15 à compter de la fin du dernier mondial.
«On a dû faire face au recrutement de nos joueurs par des équipes étrangères. Même si on ne croit
pas que ces changements sont la solution miracle, on pense qu'ils représentent un pas dans le bon
sens pour obtenir les résultats attendus», explique le directeur exécutif de l'ARU Bill Pulver avant
de préciser que «le nombre (de sélections requises) était volontairement élevé afin d'inciter les
meilleurs espoirs à rester en Australie plus longtemps, jusqu'à atteindre ce seuil.»45
On le constate, en Nouvelle Zélande en particulier, la liberté de circulation des joueurs de rugby
professionnel est très limitée ce qui empêche un transfert à l'étranger.
Néanmoins, la tendance est depuis quelques années maintenant, une réglementation plus souple
comme celle retenue dernièrement par la fédération australienne du rugby, contribuant ainsi à
l'internationalisation des effectifs notamment issus des championnats européens.
Ces limitations portées à la liberté du travail des joueurs de rugby dans l'hémisphère sud ne sont pas
justifiées pour au moins deux raisons : sportive car les championnats européens sont peut-être un
peu moins compétitifs que les championnats de l'hémisphère sud mais ils restent d'un bon niveau.
S'expatrier ne devrait pas les empêcher d'être toujours sélectionnables.
D'un point de vue économique, cette restriction n'est pas compréhensible dans le sens où les joueurs
peuvent très bien gagner leur vie ailleurs.
Néanmoins, deux paramètres peuvent justifier cette logique du double contrat : la limitation de
l'internationalisation des effectifs et surtout un soucis de compétitivité de l'équipe nationale.
Cette conception est d'ailleurs une source d'inspiration pour certains des candidats à la présidence
de la FFR.
Au fond, nous pensons que la logique des nations du Sud est une sorte d'arbitraire culturel qui
consisterait à dire que si les joueurs internationaux restent au pays, l'équipe nationale sera meilleure.
Cela nous semble un peu léger pour fonder une limitation à la liberté du travail des rugbymen
puisque dans le même temps cela les empêchent de rejoindre les championnats européens.
45 L'Equipe, « L'Australie assouplit ses règles : Matt Giteau redevient sélectionnable » , www.lequipe.fr, 22 avril 2015
30
Cette partie a été pour nous l'occasion de voir que le transfert constituait une mode de rupture
original des relations de travail du sportif tout en réussissant à se concilier avec plus ou moins de
succès avec la liberté du travail du sportif.
Cependant, l'intervention d'un nombre toujours plus important d'acteurs dans ce mécanisme nous
laisse penser qu'il faudrait au moins l'améliorer afin de préserver au mieux la liberté du travail du
sportif.
31
Chapitre 2 : Le transfert : un système imparfait
Si depuis une vingtaine d'années, on a pu observer un essor des transferts, il faut admettre que cette
pratique demeure perfectible.
En effet, elle implique l'intervention de différents acteurs comme les agents ou encore les fonds
d'investissement qui eux interviennent dans le cadre plus spécifique de la tierce propriété.
Ceux-ci ont un impact énorme sur l'exercice de la liberté du travail du sportif puisque le premier par
exemple est censé le conseiller dans ses choix de carrière, lui donnant les éléments à prendre à
compte pour pouvoir envisager une progression à la fois sportive et financière. En principe, le
joueur reste par conséquent le seul décideur dans la phase de transfert, faisant ainsi usage de sa
liberté du travail ou choisissant de quitter un club pour en rejoindre un autre.
Pourtant, la réforme de la FIFA relative au statut d'agent de joueur de football professionnel, en
supprimant l'obligation de licence pour exercer, a ouvert l'accès à cette profession à des individus
dont le seul objectif est l'enrichissement personnel.
En pareille situation, l'agent oriente la décision du joueur dans un sens favorable à la satisfaction de
ses intérêts alors qu'il devrait donner la priorité à ceux de son joueur. Dès lors, la mission de conseil
est bien souvent utilisée à mauvais escient et en plus de limiter la liberté du travail du joueur, cela
peut dans certains cas avoir des conséquences désastreuses sur sa carrière.
La TPO nous amènera à la même conclusion puisque ce mécanisme dans lequel un fonds
d'investissement possède des droits économiques sur le joueur limite forcément sa liberté du travail
en faisant valoir ses intérêts économiques dans le transfert sans même se préoccuper des souhaits du
joueur.(Section 1)
Malgré tout, l'affirmation selon laquelle le joueur est via le transfert assimilable à une marchandise
mérite d'être nuancée car même si le transfert se réalise grâce à la fixation d'un prix, l'accord du
joueur est essentiel.
Manifestation de sa liberté du travail, son accord pour quitter un club dans le but de rejoindre une
nouvelle équipe constitue une des preuves de l'inexistence de réification du sportif.
Il faut ajouter à cela que sa force de travail de même que son image par exemple peuvent faire
l'objet d'une commercialisation seulement avec son accord.
D'autres éléments viennent confirmer cette emprise relative de l'économie sur le sport professionnel
comme la valorisation de jeunes joueurs ou encore le désir d'une uniformisation de la période
unique de mutations à l'ensemble des sports collectifs. (Section 2)
32
Section 1 : Les représentants du sportif dans la négociation : entre conseil et appât du gain
Cette section nous amène à aborder la question des représentants du joueur dans la négociation du
transfert.
Veillant en principe à la préservation des intérêts du joueur tout en le conseillant tout au long de sa
carrière sportive, l'activité d'agent est parfois décrédibilisée par des individus mal intentionnés
guidés par une volonté d'enrichissement personnel.
Ce phénomène déjà observable avant la réforme de la FIFA d'avril 2015, est accentué depuis car
celle-ci autorise à exercer la profession d'agent de joueur au niveau international sans même
posséder de licence. On peut alors penser que la liberté du travail du joueur est entravée puisqu'il
n'est a priori pas totalement libre dans ses choix dans le sens où l'intérêt économique de l'agent
prime.
Cependant, la France fait de la résistance en maintenant l'obligation de licence.
Ce système semble plutôt s'inscrire en conformité avec la préservation de la liberté du travail du
joueur et cela permet par la même occasion à la France de confirmer son statut de nation à part
comme dans le domaine du cinéma.(A)
Par ailleurs, le développement du recours à la tierce propriété ces dernières années dans les
transferts pose question.
D'un côté, il vient apporter un semblant de rééquilibrage des compétitions. De l'autre, il nuit
gravement et de manière injustifiée à la liberté du travail des joueurs.
En effet, en ayant des droits économiques sur les joueurs, les fonds d'investissement, principaux
acteurs de ce système influent grandement sur la politique de recrutement des clubs.
Ainsi, leurs intérêts économiques peuvent les conduire à inciter le club dans lequel évolue un de
leurs clients à le vendre, l'obligeant à prospecter sur le marché pour trouver son remplaçant.
Néanmoins, la remise en cause de la TPO notamment par l'article 18 du règlement FIFA relatif au
statut et au transfert de joueur a contraint ces fonds à trouver une nouvelle manière d'exercer leur
influence.
Cela se matérialise notamment par la TPI, système dans lequel ils se muent en organismes de
crédit.46
Certes, ils ne possèdent plus de droits économiques sur les joueurs mais continuent de faire des
affaires avec les clubs, s'affirmant de la sorte comme des acteurs incontournables de la phase de
transferts. (B)
46 Pierre Rondeau, « Les TPO/TPI favorisent-elles une dérégulation du football international ? », www.ecofoot.fr, 22
septembre 2015
33
A La profession d'agent sportif : un encadrement à géométrie variable
L'agent de joueur doit avant tout défendre les intérêts d'un joueur en lui permettant notamment de
rejoindre un club en adéquation avec ses ambitions sportives.
Profession incontournable dans la phase de transfert et très réglementée en France, l'activité d'agent
peut parfois être confiée à des gens mal intentionnés dont le seul but est de décrédibiliser ce métier.
La réforme intervenue en avril 2015 supprimant la licence pour exercer en tant qu'agent de joueur
de football au niveau international a accentué cette dérive, mettant encore davantage en péril la
liberté du travail du joueur.
Les modalités d'exercice de l'activité d'agent sportif en droit français
L'agent de joueur : le représentant des intérêts du joueur
1) La nature du contrat d'agent
L’article L. 222-7 du Code sport, codifiant tout en le complétant l’ancien article 15-2 al.
1 de la loi du 16 juillet 1984, qualifie l’activité d’agent sportif intervenant dans le cadre d’une
opération de transfert comme « l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les
parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité
sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet
l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement ». Il en ressort que la profession
d’agent sportif, semble s'apparenter à une opération de courtage dans le sens où comme l'indique
Stéphane Joly, « l'agent rapproche les parties intéressées sans pouvoir engager juridiquement son
client. »47
A l'inverse, un contrat de mandat sous-entend que le mandant, en l'espèce le joueur donne au
mandataire, son agent des prérogatives lui permettant de conclure pour son compte un ou plusieurs
actes juridiques.48
Si l'on doit admettre que la qualification de contrat de courtage avantage le joueur car il reste in fine
le seul décideur de son avenir, le contrat de mandat, donne encore plus de poids à l'agent.
En effet, ce dernier s'accapare des pouvoirs lui permettant de recevoir une légitimité car l'apposition
de sa signature sur le contrat de transfert fait foi quant à son implication dans le transfert.
Une loi du 1er février 2012 est venue remédier à ce problème de qualification en abandonnant le
terme mandat et en consacrant implicitement le contrat d'agent sportif comme contrat de courtage.49
47 Stéphane Joly, « L'opération de transfert de sportifs professionnels », mémoire, disponible sur https://docassas.u-
paris2.fr, page 31
48 Dictionnaire de droit privé, « Définition de Mandat », www.dictionnaire-juridique.com
49 Loi n°2012-58 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique dans le sport et les droits des sportifs,
www.assemblee-nationale.fr
34
2) Une rémunération forfaitaire
L'article L 222-17 du Code du sport précise les conditions de rémunération de l'agent sportif.
Selon ce dernier, « le montant de la rémunération de l'agent sportif, ne peut excéder 10 % du
montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport. »
Par parties mises en rapport, on entend le joueur et son club.
Dans cette optique, si le joueur touche 1 million d'euros par an et signe un contrat de quatre ans, son
agent pourra toucher jusqu'à 400 000 euros.
On comprend mieux pourquoi les agents cherchent à attirer toujours plus de joueurs dans leur
écurie.
Ainsi, en matière de football Mino Raiola et Jorge Mendes font partie des agents les plus influents
du monde.
La réglementation fédérale de la profession d'agent sportif: l'exemple de la FIFA
Entrée en vigueur le 1er avril 2015, la réforme relative à l'accès à la profession d'agent a changé la
donne. En effet, depuis cette date, il n'est plus obligatoire de posséder une licence pour exercer au
niveau international.
La France fait néanmoins figure d'exception en conservant l'ancien système.
Jean Lapeyre, responsable juridique de la fédération française de football soutient que « la FIFA a
fait le choix de la facilité. Elle ne pouvait plus suivre. Réguler les agents sur monde entier, ça
demandait énormément de travail. »50
Ainsi, au lieu d’accroitre les conditions de délivrance de la licence, la FIFA supprime le système.
Celle-ci soulève un inconvénient majeur.
En effet, selon nous, les nouveaux intermédiaires sur le marché pourront totalement ignorer le
fonctionnement de la FIFA et le cadre juridique des opérations de transfert sans que cela pose
problème.
En supprimant le processus de délivrance de la licence, le risque pour la FIFA est d’avoir affaire à
des individus uniquement intéressés par l'appât du gain ce qui peut s'avérer très dangereux vis à vis
de la liberté du travail des sportifs puisque ceux-ci peuvent se retrouver dans des situations plus que
précaires alors que les « agents » leur avaient promis monts et merveilles. Comme l'indique Fabrice
Picot « Prendre un agent qui ne connaît pas les clubs, les structures de contrats, les grilles de
salaire... C'est un danger. »51
Au niveau français, un des seuls pays ayant conservé un système de licence, la solution retenue a
50 Dimanche Ouest-France, « Le statut d'agent, une exception française », 31 janvier 2016
51 Ibid
35
été celle de la continuité du système en vigueur. « La loi française est supérieure aux décisions de la
FIFA » dixit Jean Lapeyre.52
Désormais,en vertu de l'article R 222-22 du Code du Sport, les intermédiaires ressortissants d'un des
Etats membres de l'UE ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen souhaitant travailler
en France doivent continuer à s'associer à un licencié FFF ou, s'ils veulent mener leurs affaires de
manière indépendante, demander une autorisation à la FFF.
Avant la réforme, ils pouvaient obtenir une équivalence sur présentation de la licence FIFA, mais
cette possibilité disparaît. Il faut ajouter à cela que pour «les nouveaux (ceux qui n'ont jamais été
agents FIFA), il faudra justifier de un ou deux ans d'activité».53
Cette nouvelle donne n'est pas sans susciter quelques remous dans certaines fédérations.
Ainsi, « en Angleterre, l’association des agents de football britannique s’est vivement opposée à ce
texte, permettant de manière tout à fait légale aux intermédiaires non-licenciés d’agir. »54
Comme l’expose son président Mel Stein, « ce texte ruine les efforts faits jusqu’à présent pour
encadrer un minimum l’activité des agents de joueurs licenciés. Il faudra selon lui que la fédération
anglaise, lorsqu’elle modifiera son règlement actuel en application du règlement FIFA, permette aux
agents licenciés d’avoir une certaine priorité et une protection sur le marché des transferts par
rapport aux intermédiaires non-licenciés. »55
Comme le sous-entend Fabrice Picot, agent de joueur, les transferts sont un monde sans pitié.
Selon lui, « Quand des clubs souhaitent avoir un joueur, s'ils doivent parler avec quelqu'un qui
n'est pas licencié, ils le font. Ils sont prêts à fermer les yeux... Ils savent qu'ils pourront ensuite
conclure des papiers officiels avec des personnes qui ont la licence, qui feront office de prête-noms.
C'est la réalité du marché. »56
L'idée de cette réforme est bel et bien comme l'indique Maxime François dans son article précité, de
responsabiliser les joueurs et les clubs en leur donnant carte blanche quant aux choix des agents
avec qui ils souhaitent négocier, que ceux-ci soient reconnus par la profession ou non.
B Les fonds d'investissements : l'exemple de la tierce propriété
Si les agents ont encore une place importante dans la réalisation des transferts, il est depuis
quelques années apparu nécessaire de faire appel aux fonds d'investissement dans l'optique de
rétablir un semblant d'équilibre dans les compétitions.
52 Ibid
53 Maxime François, « Le rôle de l’agent sportif dans les transferts liés au football (Partie III) », www.thelawsp.com
54 Ibid
55 Ibid
56 Dimanche Ouest-France, Interview de Fabrice Picot, 31 janvier 2016
36
Derrière cet objectif louable, se cache une situation bien moins reluisante puisque les joueurs faisant
l'objet de TPO voyent leur carrière davantage dicter par les intérêts économiques du fonds auquel ils
appartiennent que par leur propre volonté, réduisant quasiment à néant leur liberté de travail.
Interdite en France, la tierce propriété qui consiste en la possession de droits économiques sur un
joueur par un tiers est pourtant largement utilisée dans d'autres pays comme le Portugal et la Russie
qui eux continuent de faire de la résistance à l'instance internationale du football au nom de leur
survie sportive.57
A priori, ces fonds n'ont pas grand à chose à voir avec le sport professionnel.
Néanmoins, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que la TPO (tierce propriété) présente un
véritable intérêt pour eux. Explications.
Comme l'indique Shervine Nafissi, « le contrat de TPO comporte deux prestations principales.
D'un côté le club cède une partie de la valeur économique d'un ou de plusieurs de ses joueurs en
échange d'une contrepartie financière. »58
L'objectif majeur du contrat de TPO est de permettre à un club d'obtenir des joueurs à un moindre
coût qui vont œuvrer à son développement sportif et aux fonds d'investissement d'accentuer leur
manne financière.
De nombreux transferts de joueurs ont été rendus possibles par cette technique comme celui de
Eliaquim Mangala du Standard de Liège vers le FC Porto en 2011 ou encore celui de Radamel
Falcao du FC Porto vers l'Atletico Madrid cette même année.
Nous pouvons dès lors avancer que ces contrats vont à l'encontre de l'esprit de l'article 18 bis du
Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs puisqu'ils placent les clubs dans une dépendance
financière excessive envers le fonds.
Néanmoins, on peut se poser la question de la pertinence d'une telle interdiction.
En effet, comme l'avance Luis Manfredi, « l'interdiction totale des TPO est une mesure contraire au
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est ainsi parce que toute mesure limitant la
concurrence doit être justifiée en fonction des principes de nécessité, de proportionnalité et de
contrainte concurrentielle minimale. »59
Il est vrai que l'interdiction de la tierce propriété du point de vue du droit communautaire n'est pas
compréhensible étant donné que la tierce propriété permet aux clubs plus modestes de survivre
financièrement face aux plus puissants, faisant ainsi joué le principe de libre concurrence.
57 Article 221 du règlement administratif de la LFP
58 Shervine Nafissi, « Pourquoi les contrats TPO peuvent s’avérer être un piège pour les clubs ? », www.ecofoot.fr, 21
décembre 2015
59 Luis Manfredi, « L'interdiction des fonds d'investissement dans le football », Jurisport n°160, page 27, 2016,
disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr
37
Il ajoute que la FIFA en avançant que « les clubs les plus modestes peuvent être soumis à des
conditions abusives de la part des tiers détenteurs ignore que ces abus sont déjà interdits en vertu
des normes commerciales et pénales. »60
Le positionnement de l'instance internationale met en exergue la lutte entre règles sportives et droit
commun. On a l'impression que la FIFA est persuadée que la spécificité du sport induit une
exemption de l'application des réglementations internationales de droit commun à ce secteur
d'activité comme le souligne Luis Manfredi.61
Dans ce sens, un entretien nous a permis d'y voir concernant l'encadrement de la tierce propriété.
« Maintenant, s'ils se renseignent un minimum, ils savent à qui ils appartiennent surtout au
Portugal où tu dois tout communiquer à la CMVM, (commission marchande des valeurs mobilières.
Tu dois tout communiquer, que t'as vendu tel pourcentage de joueurs. Donc, si le joueur le voulait,
il pourrait aller voir à qui il appartient [...]»62
Par ailleurs, en y réfléchissant bien, si on remet en cause la TPO, on pourrait également le faire avec
les emprunts bancaires que peuvent effectuer les clubs pour réaliser leurs transferts puisque leur
remboursement entraîne aussi « la fuite de ressources de l'industrie du football. »63
A titre d'exemple, Florentino Pérez, actuel président du Real Madrid a eu très souvent recours à des
emprunts bancaires pour financer les transferts de ces joueurs sans que cela pose problème.
A ce titre, interdire la TPO sous prétexte que cela engendre une fuite des capitaux vers les fonds
d'investissement paraît hypocrite puisque c'est aussi le cas dans le cadre des emprunts bancaires.
Un autre argument peut être avancé pour justifier le recours à la TPO : la préservation de l'équilibre
des compétitions.
En effet, cette technique permet à des clubs comme le SL Benfica ou l'Atlético Madrid de rester
performants dans les compétitions européennes et de tenter de remettre en cause l'ultra domination
des mastodontes européens comme le FC Barcelone ou le Bayern Munich.
Pour prouver les bienfaits de la TPO, nous pouvons prendre l'exemple de l'Atlético Madrid qui a sur
les trois dernières saisons atteint deux fois la finale de la Ligue des champions. (2014 et 2016)
Certes, ces performances ne sont pas seulement à mettre au crédit du recours à la TPO, mais elle y a
en partie contribué.
Si abordé sous l'angle de l'économie et de l'équilibre des compétitions, la TPO ne semble pas poser
de problème, en revanche sa pertinence vis à vis de la question de la dignité humaine mérite d'être
abordée.
60 Ibid
61 Ibid
62 Extrait d'un entretien semi-directif réalisé avec un supporter du FC Porto
63 Luis Manfredi, Ibid
38
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts
Les transferts

Contenu connexe

Similaire à Les transferts

Droit des affaires marocain
Droit des affaires marocainDroit des affaires marocain
Droit des affaires marocain
hanae boubnane
 
Legislation pme pme (1)
Legislation pme pme (1)Legislation pme pme (1)
Legislation pme pme (1)
Ayoub Napoli
 
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
kirurzun
 

Similaire à Les transferts (20)

Droit des affaires marocain
Droit des affaires marocainDroit des affaires marocain
Droit des affaires marocain
 
Droit des affaires marocain
Droit des affaires marocainDroit des affaires marocain
Droit des affaires marocain
 
Cours sur. traitement des salaires.pptx
Cours sur.  traitement des salaires.pptxCours sur.  traitement des salaires.pptx
Cours sur. traitement des salaires.pptx
 
Legislation pme pme (1)
Legislation pme pme (1)Legislation pme pme (1)
Legislation pme pme (1)
 
Legislationpme pme
Legislationpme pmeLegislationpme pme
Legislationpme pme
 
Extrait de la Revue Lamy Droit des Affaires
Extrait de la Revue Lamy Droit des AffairesExtrait de la Revue Lamy Droit des Affaires
Extrait de la Revue Lamy Droit des Affaires
 
Io 268 page 3
Io 268 page 3Io 268 page 3
Io 268 page 3
 
Legislation du travail
Legislation du travailLegislation du travail
Legislation du travail
 
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
Tas Bueno Rodriguez PeñArol 2006
 
Idcc 1790 avenant dialogue social
Idcc 1790 avenant dialogue socialIdcc 1790 avenant dialogue social
Idcc 1790 avenant dialogue social
 
Apartheid social ?
Apartheid social ?Apartheid social ?
Apartheid social ?
 
Livre blanc : Un cadre collectif pour les ruptures amiables
Livre blanc : Un cadre collectif pour les ruptures amiablesLivre blanc : Un cadre collectif pour les ruptures amiables
Livre blanc : Un cadre collectif pour les ruptures amiables
 
Rapport Brachard de 1935
Rapport Brachard de 1935Rapport Brachard de 1935
Rapport Brachard de 1935
 
Projet de loi d'habilitation
Projet de loi d'habilitationProjet de loi d'habilitation
Projet de loi d'habilitation
 
Projet de loi_d_habilitation_pour_le_renforcement_dialogue_social
Projet de loi_d_habilitation_pour_le_renforcement_dialogue_socialProjet de loi_d_habilitation_pour_le_renforcement_dialogue_social
Projet de loi_d_habilitation_pour_le_renforcement_dialogue_social
 
Le travailleur
Le travailleurLe travailleur
Le travailleur
 
GE-CM-M202.pdf
GE-CM-M202.pdfGE-CM-M202.pdf
GE-CM-M202.pdf
 
Idcc 1790 avenant dialogue social
Idcc 1790 avenant dialogue socialIdcc 1790 avenant dialogue social
Idcc 1790 avenant dialogue social
 
Loi habilitation ordonnances juin 2017
Loi habilitation ordonnances juin 2017Loi habilitation ordonnances juin 2017
Loi habilitation ordonnances juin 2017
 
Idcc 200 accord interessement
Idcc 200 accord interessementIdcc 200 accord interessement
Idcc 200 accord interessement
 

Les transferts

  • 1. Le Roch Master 1 SSSATI Jérémy Mémoire de recherche Sujet: Le transfert de sportif professionnel Sous la direction de Monsieur François Mandin, Maître de conférences en droit (Hdr) à l'Université de Nantes UFR STAPS Nantes Année universitaire 2015-2016 1
  • 2. Remerciements Je tiens à remercier Monsieur François Mandin pour ses précieux conseils et sa disponibilité. Ensuite, je remercie tous mes amis et ma famille qui m'ont apporté un soutien sans faille tout au long de la réalisation de ce mémoire. Enfin, je souhaiterais remercier Stéphane Pédron, recruteur au FC Lorient et François Marchal, journaliste à Canal +, pour m'avoir accordé de leur temps afin d'échanger sur la thématique du transfert. 2
  • 3. Table des matières Introduction............................................................................................................................. 4-9 Chapitre 1 :Le transfert : mode de rupture original des relations de travail dans le sport professionnel.......................................................................................................................... 10-31 Section 1 :Le transfert comme résultante d'une double approche de la liberté A L'approche communautaire: la liberté de circulation des travailleurs comme justification essentielle du transfert de sportifs professionnels B L'approche française: Le transfert au nom de la liberté du travail Section 2 : Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail et sa mise en œuvre par les mouvements sportif et politique A Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail du sportif B L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives et le droit positif Chapitre 2 : Le transfert : un système imparfait............................................................... 32-52 Section 1 : Les représentants du sportif dans la négociation : entre conseil et appât du gain A La profession d'agent sportif : un encadrement à géométrie variable B Les fonds d'investissement : l'exemple de la tierce propriété Section 2 :Les limites du transfert comme opération économique A L'illusion d'une réification du sportif B La nécessaire refonte du système Bibliographie......................................................................................................................... 53-56 3
  • 4. Introduction "Pogba plaît à tout le monde. Mais il y a des choses qu'on peut faire et d'autres pas. La Tour Eiffel me plaît beaucoup mais je ne peux pas l'avoir dans mon jardin."1 Lors d'une conférence de presse donnée le 19 juillet 2015, José Mourinho, alors entraîneur du Chelsea FC avait une nouvelle fois fait l'étalage de son sens de la communication en pleine période de mercato. Objet de tractations intenses et de déclarations en tout genre, le transfert même s'il soulève des enjeux économiques, met aussi en exergue des enjeux juridiques. Cela renvoie d'abord à la capacité des joueurs à conclure un contrat de travail. Ce dernier peut le faire du moment qu'il respecte à la fois le droit positif (droit de l'Union européenne, droit français et règles sportives françaises et internationales) Ensuite, cela renvoie à la valeur juridique de l'accord passé entre les clubs concernés et le joueur. Ce dernier est un premier élément de la réalisation du transfert et est complété par l'apport des règles sportives à savoir la visite médicale et l'homologation fédérale des contrats. Enfin, le transfert est l'occasion d'observer un encadrement de la capacité à agir des représentants du joueur que ce soit par les règles sportives ou le droit positif. Traiter du transfert de joueur professionnel, c'est aussi donner des éléments de définition de cette notion a priori relativement complexe. L'opération de transfert renvoie à un accord triangulaire entre le sportif et les clubs concernés : le club quitté accepte de libérer le joueur de manière anticipée, ce dernier promet de se mettre au service du nouveau club qui, de son côté, s’oblige à indemniser le premier club.2 Au-delà de ces considérations sportives et financières, force est de constater que le transfert fait l'objet d'un encadrement juridique. En effet, le transfert suppose l'intervention de différentes branches du droit positif, comme le droit de l'union européenne mais aussi le droit étatique à travers le droit commun du travail et le droit du sport. Enfin, le transfert doit respecter les règles sportives. L'intervention du droit permet au moins une chose : l'exercice des libertés. Pays où en théorie « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » au sens de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, la France met en œuvre des outils juridiques censés garantir l'exercice des libertés individuelles comme collectives. Celles-ci trouvent également à s'appliquer dans le sport professionnel et constituent un élément 1 L'Equipe, « José Mourinho compare Paul Pogba à la Tour Eiffel », www.lequipe.fr, 19 juillet 2015 2 Fabrice Rizzo, « La conclusion et l’exécution des contrats de transfert des sportifs professionnels », RLDC 2005, n° 22, disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr 4
  • 5. central du transfert de joueur. En effet, il n'est pas rare de voir un joueur rompre son contrat de travail après accord avec son club dans le but de rejoindre une nouvelle équipe. Néanmoins, cela est possible selon des conditions fixées à la fois par le droit commun du travail, le droit de travail du sport et les règles sportives. Cette possibilité offerte au joueur de rompre son contrat rappelle l'existence d'une liberté c'est à dire la liberté du travail. Cette dernière peut se définir comme la faculté pour un individu de conclure, rompre un contrat de travail, choisir une profession ou encore de changer d'employeur Le contrat de travail.doit permettre son plein exercice. De manière générale, l'article 1134 du Code civil énonce que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. » Celui-ci instaure une relation juridique entre un employeur c'est à dire un club et un salarié, le joueur. Appliqué au domaine du sport, cet article met en évidence qu'un contrat de travail ne peut pas être rompu dans n'importe quelles conditions puisque le transfert induit un accord avec un autre club futur employeur du joueur et le versement d'une indemnité financière envers le club vendeur. Son instauration ainsi que l'apparition du premier Code du travail au début du XXème siècle ont permis de rééquilibrer le rapport de force entre employeur et salarié.3 En effet, historiquement, le droit du travail a été construit avant tout pour protéger la partie faible au contrat c'est à dire le salarié. De plus, son apparition a aussi servi à la construction d'un cadre normatif de la relation de travail. D'un point de vue économique, le contrat de travail marque de manière générale la reconnaissance de l'individu comme être économique c'est à dire capable de créer de la richesse via sa force de travail, gagner sa vie à travers le versement d'un salaire et subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille. En définitive, le contrat de travail a un double visage car il permet à la fois au travailleur de participer à l'enrichissement de son entreprise et de pouvoir vivre dans des conditions décentes. Ramené au sport, l'existence d'un contrat de travail permet d'opérer la distinction entre le monde amateur et le monde professionnel puisqu'il existe seulement au niveau professionnel. Il renvoie ainsi à deux logiques du sport à savoir la logique économique et la logique plus traditionnelle où la gratuité de la performance et le plaisir de jouer sont les leitmotivs. 3 Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, Droit du travail, Edition Dalloz, 2016, p.4 5
  • 6. Toutefois, l'existence d'un contrat de travail ne résout pas tous les problèmes et peut donner lieu à des mouvements de contestation comme on peut le voir dans Germinal d'Emile Zola ou le film Les Temps Modernes de Charlie Chaplin. Le transfert apparaît lui aussi comme le fruit de la lutte des sportifs pour plus de libertés et est à mettre en lien avec la professionnalisation du sport. Apparu en France lors de la saison 1932/1933, le championnat de football professionnel marque l'avènement d'un contrat de travail à savoir le contrat à vie. Ce dernier liait le joueur à un club pendant toute sa carrière. Puis lors des événements de Mai 1968, les footballeurs, s'estimant considérés comme de vulgaires marchandises, réclament plus de libertés. Grâce à ce mouvement de contestation, ils obtiennent en 1972 l'établissement d'un nouveau contrat à savoir le contrat à temps.4 Ce nouveau contrat est à mettre en lien avec la fin de la période des Trente Glorieuses en France, période de quasi plein emploi et le début d'une ère bien moins faste commençant au début des années 70 avec la première crise pétrolière et marquant le début de la précarisation du marché du travail comme en témoigne l'avènement du contrat à durée déterminée. Les premiers transferts comme on l'entend aujourd'hui sont apparus. Michel Platini a ainsi rejoint la Juventus Turin en provenance de l'AS Saint-Etienne en 1982. C'est cependant l'arrêt Bosman qui va marquer un vrai bouleversement dans la pratique du transfert. En effet, il met fin aux quotas de nationalité. La première conséquence de cette mesure est une forte internationalisation des effectifs.5 Le rugby n'aura lui aussi pas mis longtemps à être touché par la déferlante des transferts. Professionnalisé en France en 1995, il voit ses équipes de Top 14 composées pour plus de la moitié d'entre elles d'une majorité de joueurs étrangers. Certes, les sommes dépensées sur le marché des transferts ne sont pas aussi importantes qu'en football mais cela pourrait s'équilibrer dans les années à venir. Enfin, la consécration par la loi du 27 novembre 2015 du recours au CDD dans le sport professionnel a entériné le transfert comme mode de rupture des contrats de travail de sportifs.6 Par ailleurs, le transfert voit son champ d'application relativement restreint puisqu'elle se limite aux sports collectifs.7 4 Bastien Drut, Economie du football professionnel, page 77, Editions La Découverte,Paris, 2011 5 CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc Bosman. Affaire C-415/93, 15 décembre 1995, http://curia.europa.eu 6 Loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 portant réforme du statut juridique des sportifs professionnels et des sportifs de haut niveau, www.legifrance.gouv.fr 7 F. Buy, J-M. Marmayou, D. Poracchia, et F. Rizzo, Droit du sport, LGDJ, 2ème édition, 2009, n° 1349, p. 861 6
  • 7. Le football est probablement le sport le plus imprégné par cette opération. Toutefois, d'autres disciplines comme le rugby ou encore le basket ont elles aussi vu les transferts se multiplier. Il convient d'ajouter que le développement de la pratique du transfert met en évidence un rapport de force entre le monde sportif représenté par les différentes institutions mondiales (FIFA, FIBA, World Rugby) comme nationales (FFF, FFR, FFBB) et le monde politique, en particulier les instances communautaires (Commission européenne, Conseil européen). Chacun édicte ses règles mais nous verrons que même si la spécificité du sport est reconnue par l'Union Européenne, son autonomie reste relative. Au-delà de cela, l'idée sera de montrer que ces deux mondes ont chacun une idéologie propre. Le mouvement sportif s'est constitué sur le modèle de la liberté d'association. Derrière cette liberté, on retrouve les notions de gratuité de la performance, d'équité sportive avec la logique de « juste vainqueur » mais également de civisme et de fair-play. L'Union a une logique totalement différente. Elle justifie le recours aux activités physiques et sportives en arguant que le sport est bon pour la santé. Pour véhiculer ce message, les Etats interviennent à travers les politiques publiques de santé. Autre élément mis en relation avec le sport par l'UE : le sport permettrait une insertion plus facile dans la société. On part de l'idée que le sport est outil de construction individuelle dans le sens où il permet l'apprentissage de la vie en société. En outre, le sport serait un outil au service de la réduction des inégalités notamment entre classes sociales et entre genres. La dernière idée sur laquelle se base l'approche communautaire c'est que le sport doit respecter un certain nombre de principes parmi lesquels la liberté de prestation de services (renvoi aux sports individuels), la liberté du travail notamment à travers la libre circulation des travailleurs et la libre concurrence entre les clubs de façon à garantir l'équilibre des compétitions. Juridiquement, l'UE dispose de trois blocs de compétence : la compétence exclusive pour laquelle elle bénéficie d'un transfert total de compétences de la part des Etats membres, la compétence partagée où cette fois, elle coopère avec les Etats membres et la compétence d'appui qui renvoie à l'hypothèse dans laquelle les Etats membres conservent leurs compétences et où l'UE appuie coordonne et complète l'action des Etats membres. La compétence sport prévue par l'article 165 du TFUE est en fait une compétence d'appui accordée à l'UE. Dès lors même si juridiquement, cela limite son intervention, elle pose les jalons d'une politique sportive communautaire et donne un poids politique supplémentaire à l'UE. Toutefois, cette compétence doit comme les autres s'exercer dans le respect de principes tels que celui de proportionnalité ou celui de subsidiarité. 7
  • 8. Le premier induit que l'UE doit prendre les mesures les mieux adaptées aux objectifs qu'elle poursuit sans que cela ne soit trop contraignant pour les Etats. Ensuite, le principe de subsidiarité sous-entend que l'UE agit quand les Etats membres ne sont pas en mesure de le faire. Il faut pour cela 2 conditions cumulatives à savoir une carence étatique et surtout une plus-value de l'action communautaire. Enfin, l'UE dispose de plusieurs moyens pour mener à bien ses actions à savoir les traités c'est à dire des accords entre les Etats membres fixant différentes normes et dotés de la force exécutoire. Par ailleurs, elle peut faire appel au droit dérivé notamment les règlements et directives. Le premier ne laisse pas de marge de manœuvre aux Etats membres au contraire du second. Enfin, l'UE peut s'appuyer sur la jurisprudence communautaire, notamment celle émanant de la CJUE pour justifier une politique donnée. Le mouvement sportif produit également ses règles et dispose d'une organisation spécifique. En effet, il dispose lui aussi d'instances internationales (FIBA, FIFA, World Rugby) et d'instances nationales telles que la FFR, la FFF ou encore la FFBB. Au niveau national et particulièrement français, l'action des fédérations se fait en association étroite avec les ligues qui peuvent agir grâce à des conventions passées avec lesdites fédérations. Par ailleurs, le mouvement sportif dispose aussi d'un organe juridique majeur à savoir le TAS. Celui-ci contribue à travers son appréciation des règlements sportifs internationaux à la construction d'un ordre juridique sportif. En définitive, on voit que même si les logiques organisationnelles se rapprochent, deux mondes s'affrontent. L'analyse du transfert nous permettra de mieux appréhender l'articulation entre règles sportives et règles étatiques mais également de voir si les unes surpassent les autres ou s'il y a un certain équilibre qui s'opère. A l'échelle nationale, nous constaterons que jusqu'à la loi du 27 novembre 2015, le sport professionnel voyait son régime contractuel fixé par le droit commun du travail. Or avec cette réforme, une bascule s'opère et c'est désormais le Code du Sport qui consacre un régime spécifique au sport professionnel. Autre point sur lequel il convient d'insister : les imperfections du système de transfert. Mobilisant un nombre très important d'acteurs, le transfert se réalise après une succession d'étapes. La première est la négociation. Dans cette phase, le joueur via son agent ou même parfois un fonds d'investissement se met d'accord avec un autre club. Ce dernier doit se mettre d'accord avec le club avec lequel le joueur est toujours sous contrat. 8
  • 9. L'accord passé entre les deux clubs se matérialise par la fixation d'une compensation financière par un contrat écrit. Il est à noter que plus les qualités sportives et extra-sportives (image, notoriété) d'un joueur sont reconnues, plus sa valeur marchande est élevée et plus sa signature semble a fortiori difficile à obtenir. Les négociations terminées, le joueur doit encore répondre à plusieurs exigences fédérales pour pouvoir évoluer sous ses nouvelles couleurs c'est à dire satisfaire à une visite médicale et voir son contrat homologué au cours de la période d'enregistrement des contrats. D'une manière générale, on a trop souvent tendance à penser que le sportif est réduit au rang de marchandise par le transfert. Seulement, le fait que le joueur fasse valoir sa volonté en donnant son accord à la réalisation du transfert nous laisse supposer que c'est loin d'être le cas. Il n'en demeure pas moins que le système du transfert, tel qu'il est présenté actuellement mérite d'être amélioré. Les réformes entreprises en ce sens tendent à démontrer que le transfert n'a pas que des inconvénients mais qu'il tend à être perfectionné pour gagner en efficacité et en transparence notamment. Ces considérations nous amènent à poser la problématique suivante: Dans quelle mesure les outils juridiques mobilisés par le transfert impactent-ils la liberté du travail du sportif ? Pour y répondre, nous expliquerons tout d'abord que le transfert s'avère être un mode de rupture original des relations de travail. (Chapitre 1) Dans ce sens, nous nous attarderons sur le fait que la liberté en cause dans le transfert n'est pas la même suivant qu'on se situe à l'échelle communautaire ou française. Ensuite, nous insisterons sur les mécanismes permettant la mise en œuvre de cette liberté ainsi que sur son articulation avec les règles sportives et le droit positif. Ensuite, nous insisterons davantage sur les imperfections du transfert. (Chapitre 2) Nous aborderons à cet effet la législation française et internationale gouvernant la profession d'agent sportif et nous adopterons une démarche similaire pour les fonds d'investissement intervenant dans le cadre de la tierce propriété. Nous en profiterons pour appréhender l'effet de leur intervention sur la liberté du travail du sportif. Enfin, nous envisagerons les limites économiques du transfert en démontrant que la personne du sportif n'est que partiellement réifiée à travers cette pratique et nous reviendrons sur les réformes engagées donc l'objectif affiché est de préserver l'exercice de la liberté du travail tout en atténuant l'emprise de l'économie sur la sphère sportive. 9
  • 10. Chapitre 1 : Le transfert : mode de rupture classique des relations de travail dans le sport professionnel Mode de rupture classique des relations de travail dans le sport professionnel, le transfert se démarque des types de rupture que l'on peut rencontrer dans le droit commun du travail. En effet, la démission ou le licenciement émanent d'un seul acteur (le salarié pour le premier et l'employeur pour le second.) Or, le transfert suppose qu'il y ait un accord entre l'employeur (club quitté) et son salarié (le joueur) de façon à ce que chacun y trouve son intérêt. L'un voudra obtenir une compensation financière suffisante pour compenser la perte de son joueur et en réinjecter une partie dans son remplacement et l'autre voudra rejoindre une nouvelle équipe dans l'optique d'embellir son palmarès et de gagner en notoriété par exemple. En définitive, le transfert est un mode de rupture propre au sport professionnel. Il constitue l'expression positive de la liberté notamment grâce à la rupture anticipée du contrat de travail. Cette liberté trouve à s'appliquer dans les relations de travail à l'échelle communautaire comme nationale. Simplement, la liberté en jeu n'est pas la même à ces deux niveaux puisque c'est la liberté du travail qui est principalement mise en cause au niveau français et la liberté de circulation au niveau communautaire.(Section 1) Ensuite, nous nous attarderons sur les mécanismes permettant la mise en œuvre de la liberté du travail du sportif. Dans cette optique, nous interrogerons la cohérence du CDD vis à vis de cette liberté, et nous adopterons une démarche similaire concernant le transfert, la visite médicale et l'homologation du contrat.(Section 2) Section 1: Le transfert comme résultante d'une double approche de la liberté Le transfert met en évidence une approche différente de la liberté suivant que l'on se situe au niveau français ou au niveau de l'Union européenne. Dans le premier cas, celui-ci est justifié essentiellement par la liberté de circulation reconnue au travailleur. L'arrêt Bosman marque l'avènement de cette logique en matière sportive alors même qu'elle était déjà reconnue dans d'autres secteurs d'activité depuis le traité de Rome de 1957. (A) L'approche française est sensiblement différente puisque la principale liberté en cause dans le transfert est la liberté du travail. Héritage de la Révolution Française, la liberté du travail consacre la reconnaissance des libertés individuelles marquant l'émancipation progressive de l'individu. Dans le sport professionnel, cette liberté trouve à s'exercer que ce soit lors de la période de formation ou 10
  • 11. de la carrière professionnelle.(B) A L'approche communautaire: la liberté de circulation des travailleurs comme justification essentielle du transfert de sportifs professionnels Le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er janvier 2009 reprend en son article 45 le principe de libre circulation des travailleurs déjà consacré par le traité de Rome de 1957. Ce dernier permet de façon générale à tout individu ressortissant d'un des Etats membres de l'Union européenne de pouvoir circuler au sein de l'espace communautaire afin de prétendre à un emploi dans un Etat membre autre que le sien. Les sportifs professionnels étant des travailleurs, ils peuvent en bénéficier. Son exercice est d'autant plus important que leur carrière sportive demeure relativement courte. La jurisprudence communautaire a ainsi pu à plusieurs reprises rappeler que la liberté de circulation constituait la principale justification à la liberté de travail des sportifs professionnels. Si les arrêts Walrave et Koch et Dona marquent les prémices d'une reconnaissance de la liberté de travail des sportifs professionnels au moyen de la liberté de circulation des travailleurs, l'arrêt Bosman de 1995 marque l'avènement de la liberté de circulation des sportifs professionnels dans le cadre de la pratique du transfert.8 Rappelons tout d'abord les faits à l'origine de l'affaire. En l'espèce, Jean-Marc Bosman, joueur de football arrive en fin de contrat avec un club belge et souhaite partir à l'étranger, plus précisément en France. Seulement, son club s'y oppose et réclame le paiement d'une indemnité de transfert pour le libérer. A l'époque, les clubs désirant acquérir un joueur qu'il soit en fin de contrat ou non devaient s'acquitter du paiement d'une indemnité de transfert envers le club vendeur. La question soulevée par cet arrêt est de savoir si un joueur peut à l'issue de son contrat s'engager avec une nouvelle équipe sans qu'une indemnité de transfert soit versée. Dans l'affirmative, il s'agit d'en préciser le fondement. En l'occurrence, c'est le cas et la CJUE justifie cette position en invoquant le principe de libre circulation des travailleurs. En définitive, cette jurisprudence permettra aux joueurs en fin de contrat de se retrouver libérés de leurs obligations contractuelles vis à vis de leur ancien club sans qu'une indemnité de transfert soit perçue par son ancien club mais également aux équipes de compter autant de joueurs ressortissants 8 CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc Bosman. Affaire C-415/93, 15 décembre 1995, op.cit 11
  • 12. de l'Union européenne qu'ils le souhaitent.9 Cet arrêt révèle l'aboutissement de la logique de libre circulation des travailleurs prévu par le traité de Rome et repris à l'article 45 du Traité de Lisbonne. Cependant comme le souligne Gérard Auneau, « le mouvement sportif européen n'a pas vraiment anticipé cette décision et a considéré trop vite qu'il pourrait bénéficier d'un régime particulier. Il n'a pas su mesurer l'ampleur de ses transformations au point de représenter aujourd'hui un phénomène économique majeur. »10 L'idée qui ressort de cette déclaration, c'est que le mouvement sportif a cru encore une fois passer à travers les mailles du filet en faisant valoir la spécificité du sport. Malheureusement, la CJUE a privilégié l'approche communautaire fondée sur la liberté de circulation. Cette jurisprudence vient confirmer le fait que tôt ou tard, le principe de libre circulation des travailleurs allait s'appliquer au domaine du sport professionnel. Dès lors, même s'il défend ses intérêts, il paraît assez surprenant que le mouvement sport n'ait pas anticipé une telle prise de position de la part de la CJUE. La préparation en amont à ce genre de décisions aurait probablement permis au mouvement sportif de ne pas se laisser déborder par l'ampleur monumentale de la solution retenue par l'arrêt Bosman. Malgré tout, cet arrêt n'est pas le premier à consacrer la suprématie des règles issues du droit de l'Union européenne sur les règles sportives. En effet, l'arrêt Walrave et Koch opérait déjà la distinction entre les questions intéressant uniquement le sport en tant que tel et le sport en tant qu'activité économique. Dans le premier cas, les règles sportives s'appliquent et dans le second, c'est le droit de l'UE. Par conséquent, l'idée est la suivante : lorsque les règles sportives s'appliquent, elles peuvent porter atteinte à la liberté du travail. En revanche, dans le cas contraire, cela est tout bonnement inconcevable. Si l'arrêt Bosman marque la consécration de la liberté de circulation comme moyen au service de la liberté du travail des sportifs évoluant au niveau professionnel en matière de transfert, d'autres jurisprudences vont s'inscrire dans la même lignée à commencer par l'arrêt Malaja.11 En l'espèce, Lilia Malaja, basketteuse polonaise s'est vu refuser par la fédération française de basket-ball le droit d'évoluer sous les couleurs du club de Strasbourg car ce dernier a dépassé le quota de joueurs extracommunautaires autorisé. Saisi, le Conseil d'Etat affirme par un arrêt en date du 30 décembre 2002 que les accords passés par 9 Michel Pautot, « La libre circulation et les transferts de footballeurs professionnels en Europe », AJDA 2002, p. 1001, consultable sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr 10 Gérard Auneau, « Le mouvement sportif européen à l'épreuve du droit communautaire », RTD eur. 1996, p. 101, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 11 Conseil d'Etat, 2/1 SSR, 30 décembre 2002, n°219646, publié au recueil Lebon, www.legifrance.gouv.fr 12
  • 13. l'Union européenne avec des pays tiers interdisent la discrimination à l'embauche en raison de la nationalité. Par conséquent, il donne l'autorisation à cette joueuse d'évoluer avec sa nouvelle équipe. Cet arrêt donne encore davantage de poids à la vision de la CJCE consistant à placer la liberté de circulation du sportif comme un moyen au service de sa liberté de travail en l'élargissant aux sportifs ressortissants de 24 pays non-membres de l'UE mais ayant signé un accord de coopération ou d'association avec l'Union européenne dont la Pologne. Les arrêts Kolpak de 2003 et Simutenkov de 2005 étendent cette jurisprudence à la Slovaquie et à la Russie.12 Ces différents exemples illustrent l'approche communautaire consistant à justifier principalement la pratique du transfert au moyen de la liberté de circulation des travailleurs, reléguant ainsi au second plan les règles sportives. Ainsi, comme l'affirme Prune Rocipon « La Cour procède donc à un contrôle de proportionnalité entre l'objectif poursuivi et l'atteinte portée à une liberté fondamentale. Il résulte de cette appréciation au cas par cas une insécurité notable pour les organisations sportives lorsqu'elles réglementent leur discipline. »13 Cette approche trouve sa source dans le fait que le droit de l'Union européenne repose sur le mécanisme de la liberté. Par conséquent, la hiérarchie des normes donnant le primat au droit de l'UE, toute pratique entravant l'exercice de la liberté constitue une atteinte au droit de l'Union. Toutefois, ce contrôle de proportionnalité fragilise les règlementations sportives dans le sens où ce ne sont plus elles qui ont le dernier mot mais bien les juges de Luxembourg. En y regardant de plus près, on s'aperçoit que derrière cette approche se joue un véritable rapport de force entre l'Union européenne représentée par ses institutions et le mouvement sportif. Le primat accordé à la liberté témoigne de l'indépendance relative de ce dernier et de la volonté communautaire de faire également respecter la primauté du droit communautaire en matière sportive. L'introduction d'une compétence d'appui en faveur de l'UE dans le domaine du sport par le traité de Lisbonne ne fait que renforcer cette analyse. Reconnue par les articles 6 et 165 du TFUE, cette compétence est un premier pas vers une politique sportive communautaire. Cette compétence d'appui a un effet restreint sur le plein juridique mais constitue une arme juridique intéressante pour l'UE, lui donnant l'opportunité de s'affirmer comme une acteur à part entière du sport. Ce mouvement est mis en évidence par Prune Rocipon qui souligne que, le fait qu' 12 CJCE, aff. n°C-438/00, 8 mai 2003 et CJCE, aff. n°C-265/03, 12 avril 2005 consultables sur http://curia.europa.eu 13 Prune Rocipon, « L'Union européenne et le sport, panorama d'une relation tourmentée », Jurisport 2015, n°159, page 23, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 13
  • 14. « elles [les organisations sportives] semblent avoir désormais pris conscience, sous l'impulsion de la jurisprudence communautaire, qu'une telle exonération absolue [d'application du droit communautaire]ne saurait être. »14 Si la liberté du travail des sportifs professionnels est principalement fondée à l'échelle communautaire sur la libre circulation, l'approche française en la matière n'est pas exactement la même. B L'approche française: Le transfert au nom de la liberté du travail En France, il faut remonter à la Révolution française pour observer les premières traces de la liberté du travail. Période charnière de l'Histoire de notre pays, la Révolution marque la consécration de l'individu au détriment des corporations. Cette idée est consacrée par me décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 : « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon [...] »15 Le transfert met principalement en jeu cette liberté à différents moments puisqu'il peut aussi bien avoir lieu au cours de la formation du joueur qu'au cours de sa carrière professionnelle. Il est également à signaler que le montant d'un transfert peut être impacté par le parcours de formation du joueur. L'accès à la formation est régi par l'article L 211-5 du Code du Sport. Ce dernier dispose que « L'accès à une formation […] est subordonné à la conclusion d'une convention entre le bénéficiaire de la formation ou son représentant légal et l'association ou la société sportive. » Il ajoute qu'« Elle prévoit qu'à l'issue de la formation, s'il entend exercer à titre professionnel la discipline sportive à laquelle il a été formé, le bénéficiaire de la formation peut être dans l'obligation de conclure, avec l'association ou la société dont relève le centre, un contrat de travail [...], dont la durée ne peut excéder trois ans. » Cette possibilité d'obliger à conclure un contrat de travail à l'issue de la période de formation limite la liberté du travail du joueur mais est destiné comme l'indique Mathieu Verly à « procurer au club formateur un retour sur l’investissement mis dans la structure de formation, en s’assurant les services des meilleurs jeunes qui y ont été formés pour son équipe professionnelle. »16 14 Prune Rocipon, L'Union européenne et le sport, panorama d'une relation tourmentée », op.cit 15 Jean Savatier, Liberté du travail, Répertoire de droit du travail, 2005, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 16 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », p. 3, http://staps.univ-lille2.fr 14
  • 15. Cependant, même si le travail de formation est considérable, le joueur doit être en capacité de choisir le club dans lequel il souhaite évoluer. Néanmoins, comme le soutient Mathieu Verly, l'indemnité de formation « […] tend à concilier les intérêts de chaque partie […] »17 et il ajoute que « Il y a donc place à un dialogue social entre clubs-employeurs et sportifs-salariés. »18 En outre, cet article opère la distinction entre la formation effectuée par les centres de formation des clubs professionnels et celle des clubs amateurs. Ce qui fait la différence entre les deux c'est que dans le cas professionnel, le joueur dispose de tout un suivi extérieur à sa formation de sportif (suivi scolaire, nutritionnel) qu'on ne retrouve pas forcément dans les clubs amateurs. En outre, le joueur en intégrant un centre de formation de club professionnel sait que s'il fait ses preuves, il pourra signer un contrat professionnel lui ouvrant droit à une rémunération, chose qu'il ne pourra pas avoir en restant au niveau amateur. Le versement d'indemnités de formation limite dans la plupart des cas la liberté du travail car le joueur ne peut pas changer de club à sa guise sans qu'elles soient versées mais trouve sa justification dans le fait que les joueurs au cours de leur période en centres de formation sont subordonnés via une convention de formation à leur club. Ils sont en quelque sorte de la main d'œuvre et leur force de travail mérite à ce titre d'être monnayée. Néanmoins, dans le cas d'une clause de formation-dédit, le joueur fait davantage usage de sa liberté du travail en rompant unilatéralement son contrat de travail et en ayant seulement à charge le remboursement à son club des frais engagés pour sa formation.19 Dans le football, cette indemnité est notamment abordée à l'article 261 du règlement administratif de la LFP. Le versement de cette indemnité est rendu possible depuis l'accord que nous avons déjà évoqué entre la FIFA et la Commission européenne en 2001. Depuis cette date, l'instance internationale du football prévoit à l'article 20 de son règlement sur le statut et le transfert des joueurs que « Des indemnités de formation sont redevables à l’ancien club ou aux anciens clubs formateur(s) :lorsqu’un joueur signe son premier contrat en tant que joueur professionnel, et lors de chaque transfert d’un joueur professionnel jusqu’à la saison de son 23e anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de formation existe que le transfert ait lieu pendant ou à la fin du contrat » Cette obligation est un sérieux frein à la liberté du travail du sportif. 17 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », ibid 18 Mathieu Verly, « Aspects juridiques de la formation des jeunes sportifs dans les clubs professionnels », ibid 19 Comité départemental olympique et sportif d'Isère, « Formation professionnelle : la clause de dédit de formation », 1er avril 2009, http://isere.franceolympique.com 15
  • 16. En effet, il n'est déjà pas forcément évident pour les clubs de s'entendre sur le montant de l'indemnité de transfert. Alors, s'il faut prendre en compte le fait qu'il faille encore verser une indemnité de formation, cela ne fait que ralentir les négociations. Au final, le versement de l'indemnité de formation a tendance à limiter la liberté du travail. Elle ajoute dans son article 21 que le versement de cette indemnité de formation répond à une logique de solidarité envers les clubs ayant œuvré dans la formation des joueurs. On y devine l'influence du mouvement sportif qui insiste depuis plusieurs années sur le rôle social et éducatif de la formation des sportifs notamment reconnu via l'arrêt Bernard de la CJUE en date de 2010.20 Prenons le cas d'Anthony Martial. Il quitte l'OL à l'âge de 18 ans pour rejoindre l'AS Monaco en 2013. A l'été 2015, il est transféré par la somme de 50 millions d'euros (part fixe à laquelle peuvent s'ajouter 30 millions d'euros) au club anglais de Manchester United. Ce transfert a fait deux heureux à savoir les deux clubs français puisque l'AS Monaco peut toucher jusqu'à 80 millions d'euros et l'OL puisque ce dernier avait prévu dans le contrat de transfert de toucher 20% du montant du futur transfert de son ancien joueur auxquels viennent s'ajouter 5% au titre des indemnités de formation.21 Ces clauses limitent la liberté du travail du sportif puisque si le club dans lequel il évolue souhaite désormais le vendre, il doit veiller à ce que l'indemnité de transfert soit suffisamment importante pour rentabiliser ce transfert ou au moins ne pas perdre trop d'argent. Tout cela a une influence relative sur la carrière du joueur qui doit bien malgré lui, composer avec les intérêts économiques de ses anciens clubs. En rugby, la logique est similaire. La World Rugby mettant au travers de la section 3 de son règlement 4 de son manuel en exergue l'importance de récompenser le travail des clubs dans la formation des sportifs pour à la fois leur permettre d'évoluer au niveau professionnel et leur apprendre à agir dans le respect d'autrui en leur enseignant des valeurs telles que l'exemplarité se manifestant par le respect des adversaires par exemple. L'article 260 des statuts et règlements généraux de la FFR précise que « l'indemnité de formation a pour objet d'indemniser une association lors de la mutation d'un de ses licenciés vers une autre association au titre des efforts et des investissements consentis par l'association quittée. » 20 CJUE, aff. C-325/08, Olympique Lyonnais SASP c/ Olivier Bernard et Newcastle UFC, 16 mars 2010, http://curia.europa.eu 21 Quentin Migliarini, « Transfert de Martial: Pourquoi Lyon et Aulas sont (aussi) les grands gagnants? » http://sport24.lefigaro.fr 1er septembre 2015 16
  • 17. Ces différentes dispositions nous permettent de voir que l'indemnité de formation est une notion présente dans les différents sports collectifs. Il est vrai qu'on peut dès lors se poser la question de la pertinence d'une telle indemnité. En vérité, il faut chercher sa justification principale dans le fait que le mouvement sportif insiste grandement sur le versant éducatif du sport. Ce motif un peu bancal pour justifier le versement d'une indemnité de formation est en réalité un prétexte visant à masquer le véritable enjeu que recouvre la formation de joueur à savoir un enjeu économique. En effet, le versement d'une indemnité de formation permet surtout d'encourager l'investissement dans la formation et d'atténuer même si c'est très relatif, l'écart avec les clubs fortunés qui axent moins leur politique sur la formation. Ainsi dans l'arrêt Bernard rendu par la CJUE le 16 mars 2010, l'instance communautaire rappelle que «la perspective des indemnités de formation est de nature à encourager les clubs de football à […] assurer la formation des jeunes joueurs »22 . En outre, elle insiste sur le fait que la somme versée au titre de la formation du joueur doit être proportionnée au but poursuivi. Elle entend par là que l'indemnité doit avant tout chercher à valoriser le travail réalisé par les éducateurs tant dans la formation sportive qu'humaine du joueur. L'article 20 du règlement FIFA du statut et du transfert de joueur dispose que « Des indemnités de formation sont redevables à l’ancien club ou aux anciens clubs formateur(s) : lorsqu’un joueur signe son premier contrat en tant que joueur professionnel, et lors de chaque transfert d’un joueur professionnel jusqu’à la saison de son 23e anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de formation existe que le transfert ait lieu pendant ou à la fin du contrat. Les dispositions concernant l’indemnité de formation sont détaillées dans l’annexe 4 du présent règlement. » On voit que les grands gagnants de ce mécanisme sont avant tout les clubs amateurs qui œuvrent eux aussi à la formation des joueurs. Toutefois, le versement d'une telle indemnité pose inévitablement la question de la qualification juridique du jeune joueur. Peut-on considérer un joueur mineur comme un travailleur ? Nous répondrons à cette question en prenant le parti que le joueur acquiert le statut de travailleur à partir du moment où il intègre un centre de formation. En conséquence, il paraît légitime de verser une indemnité aux clubs ayant participé à sa formation. Ensuite, la fixation à 23 ans de la limite d'âge pour le versement d'une indemnité de formation constitue à notre sens une façon pour les instances internationales comme la FIFA ou la World 22 Julien Zylberstein, « L'arrêt Olivier Bernard : une avancée significative pour la formation des sportifs », Revue UE 2010, p.653, disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr 17
  • 18. Rugby de marquer le passage à la vie d'adulte pour le sportif même si celui-ci est depuis longtemps un travailleur. L'arrêt du versement de l'indemnité de formation à 23 ans pose question.23 En y réfléchissant bien, on pourrait y voir une sorte de majorité sportive, marquant l'émancipation définitive du joueur vis à vis de ses clubs formateurs et la fin du versement des indemnités de formation. Enfin, on peut penser que cet âge est une preuve de la volonté d'autonomie du mouvement sportif vis à vis de l'Etat. Cette section nous a permis de voir que la liberté en cause dans le transfert n'est pas la même suivant qu'on se situe à l'échelle de l'Union européenne ou à l'échelle française. Malgré tout, un dénominateur commun en ressort à savoir la préservation des libertés. Ce constat fait, il nous faut désormais appréhender les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail puis l'articulation de cette liberté avec les règles sportives et le droit positif. Section 2: Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail et sa mise en œuvre par les mouvements sportif et politique Le contrat de travail du sportif tout comme le transfert doit s'inscrire en conformité avec la liberté du travail. Suite au transfert, la visite médicale mais aussi l'homologation du contrat entravent l'exercice de cette liberté mais sont justifiées par des considérations sportives à savoir l'existence d'un contrôle administratif émanant du mouvement sportif. (A) Ce contrôle n'empêche pas que les règles sportives comme le droit positif doivent veiller à bien s'articuler avec l'exercice de la liberté du travail. Dans ce sens, nous traiterons notamment de la période de stabilité mise en place par la FIFA et de l'articulation de cette liberté avec le droit communautaire et français. (B) Au demeurant, comme le suggère Jean-Pierre Karaquillo « plutôt que de s'attarder sur les imperfections des organisations sportives pour justifier l'interventionnisme des États, le temps est venu, sans faux-semblants et sans tarder, de réordonnancer les différents pouvoirs en imaginant les modalités d'un « pluralisme constructif ordonné » déjouant le choc des ordres juridiques d'État et des ordres juridiques du sport en s'astreignant à les coordonner. »24 Il ressort de ces propos qu'au-delà des particularismes inhérents à chacun des ordres juridiques, il 23 Michel Pautot, op.cit 24 Jean-Pierre Karaquillo , « Le transfert du sport dans la chronique du fait divers », Jurisport 2016, n°162, p.3, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 18
  • 19. est primordial de coordonner leur action sans conpromettre l'exercice de la liberté. A Les mécanismes relatifs à l'exercice de la liberté du travail du sportif Dans la sphère sportive, on voit que l'exercice de la liberté doit d'abord composer avec un contrat de travail spécifique, le CDD et le transfert. Une fois le transfert réalisé, deux conditions restent à remplir : l'homologation du contrat et la visite médicale. Elles sont le témoignage d'une limite apportée à la liberté du travail mais justifiée par la nécessité d'un contrôle administratif sportif dans le sens où le mouvement sportif y fait appel pour valider le transfert et le rendre effectif. -Le CDD comme élément déclencheur du transfert 1) La cohérence du recours au CDD dans le sport professionnel vis à vis de la liberté du travail Si la loi du 27 novembre 2015 vient consacrer le CDD comme contrat de principe en matière de sport professionnel en le codifiant notamment à l'article L 222-2-3 du Code du Sport, examinons son impact sur la liberté du travail. Défini pour la première fois par une loi du 3 janvier 1979, le CDD allait peu à peu s'imposer dans le sport professionnel puisqu'il sera rattaché pour la première fois à ce domaine par une autre loi du 12 juillet 1990.25 En France, alors que le principe veut que le contrat de travail soit le contrat à durée indéterminée, le sport professionnel échappait déjà à cette règle en ayant recours au CDD comme contrat d'usage tel que prévu au 3° de l'article L 1242-2 du Code du travail. Le recours d'usage au CDD dans le sport professionnel trouvait sa principale justification dans l'argument consistant à déclarer que ce contrat permettait de préserver l'équilibre des compétitions. Si le recours au CDD dans le sport professionnel est aujourd'hui reconnu par le Code du sport, ce contrat a mis plusieurs années avant de s'imposer. Concernant plus globalement la question du recours au CDD dans le sport professionnel, force est de reconnaître que la loi de 2015 a opéré un basculement majeur en soumettant non plus le contrat de travail du sportif au Code du travail mais au Code du Sport. On peut penser que les acteurs du sport ont pu via le lobbying inciter à ce changement.26 Néanmoins, on se rend compte que le CDD n'est pas vraiment un allié du mouvement sportif puisqu'il vient limiter la liberté du travail. En effet, d'un côté, la liberté du travail induit que tout travailleur peut choisir son employeur et donc 25 Loi n°79-11 du 3 janvier 1979 et Loi n°90-613 du 12 juillet 1990 évoquées dans « Le contrat de travail du sportif » de Nathalie Brandon et Jean-Jacques Bertrand, www.cairn.info 26 Assemblée nationale, Compte rendu de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, compte rendu n°35, Mercredi 25 mars 2015, www.assemblee-nationale.fr 19
  • 20. quitter son emploi. De l'autre, le système du transfert légitimé par le CDD limite la liberté du travail puisqu'il oblige le club souhaitant s'attacher ses services à verser une indemnité de transfert. En somme, la consécration du CDD par le Code du sport a validé la pratique du transfert et par la même occasion légitimer l'inflation des salaires et le déséquilibre des compétitions. Le CDI évitait tout cela. En effet, via ce contrat, le joueur pouvait user de sa faculté de démission s'il souhaitait changer de club en théorie. Néanmoins, comme nous avons pu l'observer plus haut, le CDI était dans la pratique plutôt liberticide pour les joueurs puisque très peu usaient de cette prérogative, plaçant leur employeur en position de force. Il permettait surtout aux clubs de garder plus facilement leurs meilleurs éléments et de rester compétitifs. En outre, le CDI signifiait absence de versement d'une indemnité de transfert. Or avec l'instauration du CDD, l'indemnité de transfert est devenue la norme. On peut se demander si finalement en cherchant à obtenir davantage de libertés, les sportifs n'ont pas œuvré à la diminution progressive des possibilités d'expression de leur liberté du travail. En outre, on est en droit de s'interroger sur les motifs d'une consécration du CDD par la loi dans le sport professionnel quand on sait que dans le cadre du CDI, le joueur pourrait comme on vient de le voir user de sa faculté de démission s'il souhaite changer de club et que l'insertion d'une clause de non concurrence dans ce contrat éviterait les départs en cours de saison dans le but de ne pas fausser l'équilibre des compétitions. Au final, le recours au CDD, présenté comme un contrat relativement précaire dans un champ tel que le sport professionnel nous laisse penser que les acteurs du sport cherchent avant tout à asseoir leur légitimité vis à vis de la sphère politique. Le CDD légitime le transfert et en est a fortiori le déclencheur. 2) Le transfert Le transfert est lui le fruit d'une longue lutte des sportifs pour plus de libertés. Tout d'abord, dans les années 60, les sportifs face au refus de leur employeur de leur permettre d'user de leur faculté de démission octroyée par le contrat en vigueur à l'époque à savoir le CDI, réclament du changement. Ils finiront par obtenir gain de cause avec l'instauration du contrat à temps sans transfert au début des années 70.27 Pour le football par exemple, ce nouveau contrat fait suite en France aux événements de Mai 1968 27 Bastien Drut, Economie du football professionnel, page 77, Editions La Découverte,Paris, 2011 20
  • 21. au cours desquels les joueurs exigent davantage de libertés et verra véritablement le jour en 1972.28 Les prémices de cet élan de contestation sont déjà palpables lorsque Raymond Kopa en qualité de vice-président de l'UNFP affirme dans la presse en 1963 que « les footballeurs sont des esclaves. »29 Le recours d'usage au CDD dans le sport professionnel au début des années 90 marque le début d'une légitimation des transferts. La jurisprudence Bosman du 15 décembre 1995 poursuit ce mouvement en supprimant les quotas de nationalité. Suite à cette jurisprudence, on a pu assister une internationalisation massive des clubs ainsi qu'à une inflation des indemnités de transfert et des salaires. En France, la consécration législative d'un contrat spécifique au sport professionnel intervenue en fin d'année dernière marque la légitimation définitive du système de transferts dans sa forme actuelle. En définitive, le transfert présenté comme une expression de la liberté du travail n'est qu'en partie vrai puisqu'on sait qu'avec les enjeux économiques toujours plus importants dans le sport professionnel, le joueur n'est plus le seul décideur de sa carrière et doit composer avec les intérêts d'autres acteurs comme les agents, les clubs ou encore les fonds d'investissement. Suite à la réalisation du transfert, le joueur doit passer une série d'examens médicaux pour s'assurer qu'il a toutes les capacités physiques pour jouer. Cela témoigne d'un contrôle administratif du mouvement sportif destiné à valider le transfert et le rendre effectif. - Les modalités de validation du transfert 1) La visite médicale Tout d'abord, force est de constater que la visite médicale est obligatoire peu importe l'emploi visé. Néanmoins, dans le domaine du sport, celle-ci valide le transfert de joueur et permet au club acquéreur de s'assurer que le joueur qu'il vient de recruter est en capacité de jouer mais donne également au joueur l'opportunité de faire valoir sa liberté du travail en exerçant sa profession de sportif professionnel. A l'appui de la jurisprudence, nous allons voir que la satisfaction à la visite médicale entre un des critères retenus par les juges dans l'appréciation de la validité d'un transfert.30 28 Bastien Drut, Ibid 29 Bastien Drut, op.cit, page 76 30 CA Toulouse, 6 juin 2014, n°12/03411, (voir notamment le commentaire de Antoine Semeria sur www.juritravail.com) 21
  • 22. Cet arrêt a été l'occasion pour la cour d'appel de Toulouse de signifier qu'il y avait rupture abusive de contrat dès lors qu'il était prouvé qu'un président de club avait clairement affirmé son désir de ne pas renouveler le contrat d'un joueur pour convenance personnelle et non pour des motifs d'ordre sportif tels qu'une descente ou une visite médicale non concluante. Cette visite médicale s'avère être une atteinte justifiée à la liberté du travail dans le sens où les employeurs doivent s'assurer de la bonne condition physique des joueurs qu'ils souhaitent recruter. Cela est d'autant plus vrai dans le sport professionnel où l'exigence de performance est particulièrement élevée. En outre, elle a affirmé qu'on était en présence de travail dissimulé puisque le club propriétaire du joueur l'a contraint le joueur à demander une mutation dans un club évoluant deux divisions en dessous du club de Toulouse sans rémunération avant la clôture des demandes de mutation. La qualification de travail dissimulé est en l'espèce justifiée. Rien n'autorise un club à se comporter d'une telle façon qui plus est dans le cas où le joueur en question n'a commis aucune faute. Il ressort de cette dernière jurisprudence, qu'il existait malgré tout une protection des salariés contre les ruptures abusives de leur contrat de travail de la part de leur employeur. Une fois la visite médicale effectuée, il reste en théorie encore une étape à franchir avant de pouvoir étrenner ses nouvelles couleurs à savoir l'homologation du contrat. La pratique nous révèle qu'il peut arriver qu'un joueur n'en ait pas besoin pour jouer avec sa nouvelle équipe. 2) L'homologation du contrat Concernant l'homologation des contrats, dans le cadre du transfert, comme l'indique François Bizeur, « le contrat reste valablement formé mais attend cette homologation pour pouvoir trouver sa pleine efficacité. »31 Ensuite, il ajoute à l'appui de l'article 1178 du Code civil qu'« en cas de défaillance du club employeur au moment de procéder à l'homologation du contrat de travail […]celui-ci reste lié à un joueur qui ne peut pas jouer tandis que son contrat ne peut être remis en cause. »32 L'idée est par conséquent de montrer que l'homologation a même après la loi de novembre 2015 une portée juridique limitée puisque le manquement à cette obligation n'emportait pas nullité du contrat. Cette conception pose problème puisque si le lien contractuel est maintenu entre le joueur et son nouveau club, il ne peut pas exercer pleinement sa liberté du travail puisque la non-homologation de son contrat l'empêche de participer aux rencontres de son club. 31 François Bizeur, « Le transfert du sportif professionnel », Petites affiches, 19 décembre 2013, n°253, disponible sur http://laboratoire-droit-sport.fr 32 Ibid 22
  • 23. Il ressort de ces propos que la réglementation fédérale met au nom de l'équilibre des compétitions des mécanismes comme le transfert et l'homologation ayant des conséquences sur le contrat de travail du sportif. Le lien entre transfert et homologation est évident puisque la non-conformité d'un transfert aux règles fédérales entraînera probablement l'absence d'homologation du contrat de travail du nouvel arrivant. Néanmoins la loi du 27 novembre 2015 change la donne. En effet, elle crée un régime spécifique au sport professionnel qui se traduit notamment par l'imposition du recours au CDD notamment à l'article L 222-2-3 du Code du sport et la validation de la procédure d'homologation par l'article L 222-2-6 du même code. Cette dernière constitue une limite à la liberté du travail du sportif car la non-homologation de son contrat l'empêche d'évoluer sous ses nouvelles couleurs mais est justifiée car il est soumis juridiquement à un club qui doit lui-ême respecter les règles établies par la fédération dont il dépend. Enfin, même si les transferts doivent nécessairement être encadrés dans leur déroulement, comme l'affirme le Conseil d'Etat, « une fédération nationale ne peut pas les réduire dans des conditions à ce point restrictives qu'elles constituent une atteinte au principe de libre accès aux activités sportives et au principe d'égalité. »33 Maintenant que nous évoqué les différents mécanismes permettant l'exercice de la liberté du travail, regardons comment les règles sportives et le droit positif organisent la pratique du transfert tout en permettant l'exercice de cette liberté. B L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives et le droit positif L'examen de la jurisprudence du TAS et des règles fédérales internationales comme françaises nous permettra d'y voir un peu plus clair sur l'impact des règles sportives sur la liberté du travail du sportif. Ensuite nous verrons que le mouvement politique en créant des règles de droit contribue que ce soit au niveau communautaire ou français à organiser l'exercice de cette liberté. Enfin, à titre de comparaison, nous observerons que contrairement au système de l'Union européenne où l'autonomie des règles sportives est relative, l'hémisphère sud opte pour une séparation plus marquée entre règles sportives et étatiques restreignant ainsi considérablement la 33 « Une fédération sportive ne peut réglementer les transferts dans des conditions telles qu'elle porte atteinte au principe de libre accès au sport », Conseil d'Etat 14 mai 1990, Dalloz 1991, p.396, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 23
  • 24. liberté du travail notamment dans le domaine du rugby. L'articulation de la liberté du travail avec les règles sportives Comme le soutiennent Nathalie Bourzat-Alaphilippe et Franck Lagarde, « au nom de la liberté du travail, un club ne peut pas empêcher un sportif de rompre unilatéralement son contrat et de s'engager auprès d'un autre club. Le club quitté peut simplement prétendre, dans ce cas, à être indemnisé de son préjudice. »34 Ainsi, afin de limiter la liberté du travail du sportif au nom de l'investissement réalisé par les clubs, des organismes comme la FIFA n'ont pas hésité à mettre en place une période protégée. La période protégée rappelle que l'autonomie du mouvement sportif dans l'édiction de ses règles de fonctionnement reste relative puisqu'en l'occurrence la période protégée résulte d'une négociation avec la Commission européenne débouchant en 2001 sur le règlement du statut et du transfert des joueurs. La période protégée, définie au point 7 de la page 5 du règlement FIFA du statut et du transfert des joueurs renvoie à « une période de trois saisons entières ou de trois ans [...] suivant l’entrée en vigueur d’un contrat, si le contrat en question a été conclu avant le 28e anniversaire du joueur professionnel, ou une période de deux saisons entières ou de deux ans suivant l’entrée en vigueur d’un contrat si le contrat en question a été conclu [...]après le 28e anniversaire du joueur professionnel. » Elle est transposée en France de manière implicite par la convention passée entre la FFF et la LFP. Concrètement, quand le joueur est âgé de moins de 28 ans, il ne peut pas rompre unilatéralement son contrat de travail dans une période de trois ans suivant son transfert. Ce délai est porté à deux ans lorsqu'il a 28 ans et plus. En cas de non-respect de cette période, et en dehors du cas de juste cause précisé articles 14 et 15 du règlement FIFA précité, le joueur s'expose à de lourdes sanctions sportives et financières. En définitive, la période protégée revêt avant tout un effet dissuasif pour les joueurs. Elle est une preuve supplémentaire de l'importance de l'économie dans le sport professionnel. En effet, alors que cette période soulève la question de la pertinence du CDD en matière sportive, on réalise que la règle sportive cherche à répondre à une double logique : économique puisqu'il s'agit de gérer une entreprise en donnant aux clubs la possibilité d'amortir leurs investissements tout en limitant leurs pertes financières et sportive puisque le maintien de la compétitivité de l'équipe 34 Nathalie Bourzat-Alaphilippe et Franck Lagarde, « Qu'est ce qu'un transfert ? », Jurisport 2013, n°133, page 18, https://nomade.etu.univ-nantes.fr 24
  • 25. permet d'attirer des joueurs de qualité.35 Le TAS donne un vrai crédit aux règles sportives en se rangeant à travers sa jurisprudence du côté des règles édictées par la FIFA. L'exemple de la période protégée met en évidence le fait que cette juridiction fait une stricte application de la réglementation sportive reléguant au second plan la liberté du travail au nom de l'existence d'un lien de subordination entre la FIFA et tous les salariés des clubs issus d'une fédération affiliée. Prenons le cas d'Adrian Mutu.36 Le célèbre footballeur roumain pourtant acheté 22,5 millions d'euros par Chelsea pendant le mercato estival 2003 avait été licencié par ce club en octobre 2004 et suspendu pour sept mois après avoir été contrôlé positif à la cocaïne. Par une sentence du 31 juillet 2009, le TAS le condamne à payer plus de 17 millions d'euros de dommages-intérêts au club de Chelsea. Pour justifier ce montant, le raisonnement du TAS prend en compte plusieurs éléments à savoir le droit applicable en l'espèce, la spécificité du sport la rémunération et les autres avantages liés au contrat, la durée de contrat restant à courir, le montant des frais payés par l'ancien club et amortis tout au long de la durée du contrat et si la rupture de contrat a eu lieu au cours de la période protégée. Sur le premier point, le TAS précise que le droit applicable à l'affaire est le droit anglais et que « la détermination du montant de la compensation financière due par un joueur ayant rompu son contrat doit être basé sur le montant non encore amorti du transfert et que cette pratique est conforme au droit anglais. » Sur ce point, rien de contestable puisque le joueur avait quitté un club évoluant en Angleterre. A propos de la spécificité du sport, le TAS met en évidence que les règles sportives prennent en compte la valeur marchande du joueur, ce qui justifie que lors de rupture unilatérale émanant de sa part, le club soit indemnisé pour compenser la perte financière engendrée par son départ. D'un point juridique, cela est justifié par le fait que le joueur constitue un actif au bilan financier du club et que sa perte engendre un préjudice économique car le club perd de l'argent par rapport à l'investissement qu'il a pu réaliser. De plus, elle constitue un préjudice sportif car la perte d'un joueur peut influer sur les performances de l'équipe et cela peut également se ressentir au niveau des recettes de billetterie. Par ailleurs, la durée restant à courir dans le contrat est d'à peu près 3 ans et demi. Le TAS prend en compte ce critère pour évaluer le préjudice économique subi par le club. 35 Fabrice Rizzo, « La conclusion et l’exécution des contrats de transfert des sportifs professionnels », op.cit 36 CAS, Adrian Mutu v/ Chelsea Football Club Limited , affaire n° 2008/A/1644 31 juillet 2009, www.centrostudisport.it 25
  • 26. La prise en compte du montant non encore amorti du transfert dans l'évaluation du préjudice subi est discutable dans le sens où le joueur n'a aucunement participé à la fixation du prix du transfert et qu'il peut avoir perdu de la valeur depuis son arrivée dans son nouveau club notamment en raison de performances en deçà de ce à quoi on pouvait s'attendre. En définitive, utiliser le montant non encore amorti est très avantageux pour le club et terrible pour le joueur. Enfin, le contrat du joueur était encore dans sa période protégée au moment des faits, ce qui ne fait qu'alourdir son amende. Certes, cette période est justifiée par des considérations sportives notamment l'équilibre des compétitions mais ici elle joue clairement en défaveur du joueur. Pour conclure notre analyse, cette jurisprudence prouve que des limitations à la liberté du travail sont nécessaires mais que celles-ci doivent être proportionnées aux faits reprochés afin de ne pas non plus mettre en péril la situation financière du joueur. Adrian Mutu avait déjà reçu une suspension suite à son contrôle antidopage positif, le privant d'user de sa liberté du travail pendant un certain temps. Le fait d'y ajouter une amende aussi conséquente, même si les faits reprochés sont graves n'est clairement pas une aide pour le joueur. Autre cas de figure : la rupture de contrat en dehors de la période protégée. Comme le souligne Frédéric Buy, « en dehors de la période protégée, les textes sont beaucoup moins clairs et ne disent pas qu'il faut prendre en compte la valeur marchande du joueur. »37 Cela a conduit le TAS à adopter sa propre position en témoigne la sentence Webster rendue le 30 janvier 2008.38 Concernant le droit applicable, il estime que c'est le droit écossais qui doit être retenu, le litige opposant deux clubs écossais. Ensuite, il fonde son raisonnement sur la spécificité du sport. Pour cela, il indique que la spécificité du sport réside dans le fait de « recherche un équilibre raisonnable entre d'une part le besoin de stabilité contractuelle et d'autre part, la libre circulation des joueurs. »39 On le voit l'objectif de la spécificité du sport est de permettre d'opérer une conciliation entre les intérêts des différents acteurs à savoir les clubs et les joueurs. Ensuite, le TAS précise qu'il n'est « pas convaincu par le fait qu'au-delà de la période protégée, il soit donné la possibilité au club de demander en guise de compensation le versement d'une partie 37 Frédéric Buy, « Droit(s) des transferts de joueurs », www.canalu.tv 38 CAS, 30 janvier 2008, n° 2007/A/1298/1299/1300, http://jurisprudence.tas-cas.org 39 Ibid 26
  • 27. de salaires restant à verser à moins que cela soit précisé dans le contrat de travail. »40 car cela à l'encontre de l'équilibre raisonnable précité. Cette mesure est juridiquement justifiée car si dans le cadre de la période protégée, ce sont les intérêts des clubs qui sont protégés, il faut bien pour des raisons d'équilibre qu'en dehors cela bascule en faveur du joueur. Enfin, pour terminer son raisonnement, le TAS insiste sur le fait que « dans le cadre d'un CDD, les deux parties ont des intérêts semblables et iront jusqu'au bout du contrat de telle sorte que si le joueur souhaite rompre son contrat, il devra se mettre d'accord avec son club et payer en guise d'indemnité de fin de contrat, le montant des salaires restant à verser. »41 Là encore, on comprend que l'objectif est de permettre un équilibre des forces en présence et non pas de favoriser l'une ou l'autre des parties. Cela permet à la fois au club de bénéficier d'une indemnité et au joueur de pouvoir user de sa liberté du travail sans compromettre les bases de son existence économique. Malheureusement, la solution de la sentence Webster n'a pas été reprise depuis. Cela soulève la problématique de la distinction entre période protégée et fin de la période protégée. Il paraît souhaitable que d'autres jurisprudence s'inscrivent dans la lignée de la jurisprudence Webster car comme l'indique Frédéric Buy « vous avez déjà une période de stabilité qui est extrêmement dure pour les joueurs. Si les sanctions sont les mêmes [dans ces périodes], il va être difficile d'expliquer au juge que la liberté du joueur n'est pas entravée. »42 Ainsi, si des sanctions aussi fortes persistent, c'est la liberté du travail et ses corollaires c'est à dire la liberté de contracter et de circulation qui seront impactés. Tout l'enjeu se situe donc dans une recherche d'équilibre entre les intérêts des joueurs et des clubs. L'articulation de la liberté du travail avec le droit de l'Union européenne et le droit français Fruit d'une volonté politique, le droit a pour but principal d'encadrer les actions de la société civile. Dans le domaine sportif, il ne permet pas au sportif de rompre de manière unilatérale son contrat de travail à durée déterminée. En effet, une telle manœuvre représenterait un préjudice économique important pour le club qui avait décidé de miser sur lui. En France, cette interdiction est posée par l'article L 1243-3 du Code du travail. Celle-ci est reprise par l'article L 222-2-7 du Code du Sport qui précise que « Les clauses de rupture unilatérale pure et simple du contrat de travail à durée déterminée du sportif et de 40 Ibid 41 Frédéric Buy, ibid 42 Frédéric Buy, Ibid 27
  • 28. l'entraîneur professionnels salariés sont nulles et de nul effet. » Si le sportif ne peut pas rompre son contrat de travail à sa guise, il ne faut pas oublier qu'il bénéficie de la liberté de circulation. En effet, depuis l'arrêt Bosman de 1995, le sportif bénéficie comme tout travailleur de la liberté de circulation sur le territoire communautaire. Pour autant, il ne faut pas oublier que sa liberté de circulation connaît quelques tempéraments. En effet, le joueur étant encore sous contrat doit attendre que son club reçoive une offre jugée financièrement suffisante pour pouvoir partir. Dans le même temps, il doit se mettre d'accord avec le club potentiellement acquéreur. Ensuite, le sportif, étant encore sous contrat avec un employeur doit être transféré pendant les périodes de mutations prévues par les différentes fédérations. Le principe veut qu'il y en a souvent une seule sur l'ensemble de la saison dans le but pour reprendre l'arrêt Lehtonen de 2000 « d'assurer l'intégrité et l'équilibre des compétitions »43 . Ces deux notions soulèvent également le respect par les clubs des périodes d'homologation des contrats de joueurs. Ainsi, l'article L 131-6 du Code du sport prévoit que «la licence sportive est délivrée par une fédération sportive ou en son nom. Elle ouvre droit à participer aux activités sportives qui s'y rapportent et, selon des modalités fixées par ses statuts, à son fonctionnement. » Il ressort de cet article que les fédérations interviennent dans la pratique du transfert à travers l'homologation des contrats de travail des joueurs dont le cadre juridique est fixé à l'article L 222-2- 6 du Code du Sport. Elles disposent d'une prérogative fondamentale en ayant la capacité de délivrer une licence sportive. Celle-ci constitue un acte règlementaire dans le sens où elle s'impose à l'ensemble des sportifs souhaitant s'affilier à elle pour pouvoir participer aux compétitions qu'elle organise. L'homologation s'inscrit par conséquent pleinement dans l'opération de transfert puisque c'est elle qui le valide et lui donne toute son effectivité. L'homologation est la traduction d'un contrôle administratif de la part du mouvement sportif. Certes, il a intégré depuis l'arrêt Bosman la notion de liberté de circulation du sportif mais grâce à l'homologation, il a encore son mot à dire. Enfin, l'homologation du contrat est une limite à la liberté du travail du sportif qui est nécessaire à au moins deux titres : elle constitue un moyen pour le mouvement sportif de faire valoir ses propres règles et contribue au maintien de l'équilibre des compétitions. On le voit bien, la liberté de circulation des sportifs est loin d'être totale tant les conditions à remplir pour la rendre sont nombreuses. Par exemple l'alinéa 2.4 de l'article 41 du règlement administratif de la ligue nationale de rugby dispose que « pour que le contrat du joueur soit homologué et que le 43 CJCE. Jyri Lehtonen et Castors Canada Dry Namur-Braine ASBL contre Fédération royale belge des sociétés de basket-ball ASBL (FRBSB), affaire C-176/96, 13 avril 2000, http://curia.europa.eu 28
  • 29. joueur puisse participer au Championnat de France professionnel, le club doit justifier du seul fait de sa sélection en équipe nationale à cette date. Toutefois, le document requis ci-dessus devra dans cette hypothèse être reçu par la LNR et prendre effet au plus tard 7 jours après la fin de la période de sélection en équipe nationale. » L'homologation sert donc à entériner le transfert. A titre de comparaison, en football, l'article 254 du règlement administratif de la ligue de football professionnel prévoit tout d'abord que pour être homologué « chaque dossier est transmis individuellement par le club à la Commission juridique de la LFP pour homologation dans le délai de quinze jours après la signature du contrat. » (alinéa 2) En outre, selon l'alinéa 3, il doit remplir les conditions suivantes : « a) si la situation du club vis-à-vis de la DNCG ne comporte aucune restriction, il est homologué ; b) si le club fait l’objet d’une mesure de contrôle il est transmis à la DNCG pour décision :  si la décision est favorable il est homologué  si elle est défavorable elle est notifiée par lettre recommandée au club, au joueur et/ou à son représentant légal. Le club est également informé de la décision par isyFoot. Elle peut être frappée d’appel par le club, le joueur et/ou son représentant légal devant la commission d’appel de la DNCG. » Le pouvoir d'homologation dont bénéficient les ligues professionnelles leur permet de veiller au respect des règlements sportifs et d'éviter tout abus émanant du mécanisme de transfert. Cela engendre comme conséquence que la liberté du travail des sportifs est loin d'être totale tant les conditions à remplir pour la rendre sont nombreuses. Néanmoins, nous sommes convaincus que le système communautaire reste moins contraignant que d'autres au regard de la liberté de circulation des travailleurs. A titre d'exemple en matière de rugby, les joueurs australiens et néo-zélandais internationaux disposent de deux contrats : un avec leur club et un avec leur fédération en tant qu'international. Le but de manœuvre est d'éviter la fuite des talents vers l'Europe. Les champions du monde Dan Carter, Conrad Smith mais aussi Ma'a Nonu ayant rejoint la France après le mondial en Angleterre, ils se trouvent automatiquement privés de sélection nationale. Stev Tew, directeur de la fédération néo-zélandaise a commenté ces départs en déclarant que « Alors que nous voyons des joueurs quitter nos rivages, nous sommes rassurés par la nouvelle (du prolongement de contrat de Kaino, ndlr) qui prouve que l'environnement rugby que nous proposons ici en Nouvelle-Zélande reste stimulant et attractif pour nos meilleurs joueurs ».44 44 AFP, « Nouvelle Zélande : Jérôme Kaino prolonge avec les All Blacks jusqu'en 2018 », www.rugbyrama.fr, 31 mars 2015 29
  • 30. Dans le même temps, des joueurs tels que Jérôme Kaino, Israel Dagg ou Kieran Read ont eux décidé de prolonger leur contrat avec la fédération au-delà du mondial 2015. L'Australie a été plus souple dans sa réglementation en autorisant les joueurs comptant plus de soixante sélections avec les Wallabies à évoluer avec l'équipe nationale même s'ils évoluent à l'étranger. Les principaux bénéficiaires de cette mesure ont été les toulonnais Matt Giteau et Drew Mitchell qui ont pu disputer la coupe du monde de rugby. Celle-ci a été étendue aux joueurs s'engageant à évoluer deux saisons dans les équipes australiennes du Super 15 à compter de la fin du dernier mondial. «On a dû faire face au recrutement de nos joueurs par des équipes étrangères. Même si on ne croit pas que ces changements sont la solution miracle, on pense qu'ils représentent un pas dans le bon sens pour obtenir les résultats attendus», explique le directeur exécutif de l'ARU Bill Pulver avant de préciser que «le nombre (de sélections requises) était volontairement élevé afin d'inciter les meilleurs espoirs à rester en Australie plus longtemps, jusqu'à atteindre ce seuil.»45 On le constate, en Nouvelle Zélande en particulier, la liberté de circulation des joueurs de rugby professionnel est très limitée ce qui empêche un transfert à l'étranger. Néanmoins, la tendance est depuis quelques années maintenant, une réglementation plus souple comme celle retenue dernièrement par la fédération australienne du rugby, contribuant ainsi à l'internationalisation des effectifs notamment issus des championnats européens. Ces limitations portées à la liberté du travail des joueurs de rugby dans l'hémisphère sud ne sont pas justifiées pour au moins deux raisons : sportive car les championnats européens sont peut-être un peu moins compétitifs que les championnats de l'hémisphère sud mais ils restent d'un bon niveau. S'expatrier ne devrait pas les empêcher d'être toujours sélectionnables. D'un point de vue économique, cette restriction n'est pas compréhensible dans le sens où les joueurs peuvent très bien gagner leur vie ailleurs. Néanmoins, deux paramètres peuvent justifier cette logique du double contrat : la limitation de l'internationalisation des effectifs et surtout un soucis de compétitivité de l'équipe nationale. Cette conception est d'ailleurs une source d'inspiration pour certains des candidats à la présidence de la FFR. Au fond, nous pensons que la logique des nations du Sud est une sorte d'arbitraire culturel qui consisterait à dire que si les joueurs internationaux restent au pays, l'équipe nationale sera meilleure. Cela nous semble un peu léger pour fonder une limitation à la liberté du travail des rugbymen puisque dans le même temps cela les empêchent de rejoindre les championnats européens. 45 L'Equipe, « L'Australie assouplit ses règles : Matt Giteau redevient sélectionnable » , www.lequipe.fr, 22 avril 2015 30
  • 31. Cette partie a été pour nous l'occasion de voir que le transfert constituait une mode de rupture original des relations de travail du sportif tout en réussissant à se concilier avec plus ou moins de succès avec la liberté du travail du sportif. Cependant, l'intervention d'un nombre toujours plus important d'acteurs dans ce mécanisme nous laisse penser qu'il faudrait au moins l'améliorer afin de préserver au mieux la liberté du travail du sportif. 31
  • 32. Chapitre 2 : Le transfert : un système imparfait Si depuis une vingtaine d'années, on a pu observer un essor des transferts, il faut admettre que cette pratique demeure perfectible. En effet, elle implique l'intervention de différents acteurs comme les agents ou encore les fonds d'investissement qui eux interviennent dans le cadre plus spécifique de la tierce propriété. Ceux-ci ont un impact énorme sur l'exercice de la liberté du travail du sportif puisque le premier par exemple est censé le conseiller dans ses choix de carrière, lui donnant les éléments à prendre à compte pour pouvoir envisager une progression à la fois sportive et financière. En principe, le joueur reste par conséquent le seul décideur dans la phase de transfert, faisant ainsi usage de sa liberté du travail ou choisissant de quitter un club pour en rejoindre un autre. Pourtant, la réforme de la FIFA relative au statut d'agent de joueur de football professionnel, en supprimant l'obligation de licence pour exercer, a ouvert l'accès à cette profession à des individus dont le seul objectif est l'enrichissement personnel. En pareille situation, l'agent oriente la décision du joueur dans un sens favorable à la satisfaction de ses intérêts alors qu'il devrait donner la priorité à ceux de son joueur. Dès lors, la mission de conseil est bien souvent utilisée à mauvais escient et en plus de limiter la liberté du travail du joueur, cela peut dans certains cas avoir des conséquences désastreuses sur sa carrière. La TPO nous amènera à la même conclusion puisque ce mécanisme dans lequel un fonds d'investissement possède des droits économiques sur le joueur limite forcément sa liberté du travail en faisant valoir ses intérêts économiques dans le transfert sans même se préoccuper des souhaits du joueur.(Section 1) Malgré tout, l'affirmation selon laquelle le joueur est via le transfert assimilable à une marchandise mérite d'être nuancée car même si le transfert se réalise grâce à la fixation d'un prix, l'accord du joueur est essentiel. Manifestation de sa liberté du travail, son accord pour quitter un club dans le but de rejoindre une nouvelle équipe constitue une des preuves de l'inexistence de réification du sportif. Il faut ajouter à cela que sa force de travail de même que son image par exemple peuvent faire l'objet d'une commercialisation seulement avec son accord. D'autres éléments viennent confirmer cette emprise relative de l'économie sur le sport professionnel comme la valorisation de jeunes joueurs ou encore le désir d'une uniformisation de la période unique de mutations à l'ensemble des sports collectifs. (Section 2) 32
  • 33. Section 1 : Les représentants du sportif dans la négociation : entre conseil et appât du gain Cette section nous amène à aborder la question des représentants du joueur dans la négociation du transfert. Veillant en principe à la préservation des intérêts du joueur tout en le conseillant tout au long de sa carrière sportive, l'activité d'agent est parfois décrédibilisée par des individus mal intentionnés guidés par une volonté d'enrichissement personnel. Ce phénomène déjà observable avant la réforme de la FIFA d'avril 2015, est accentué depuis car celle-ci autorise à exercer la profession d'agent de joueur au niveau international sans même posséder de licence. On peut alors penser que la liberté du travail du joueur est entravée puisqu'il n'est a priori pas totalement libre dans ses choix dans le sens où l'intérêt économique de l'agent prime. Cependant, la France fait de la résistance en maintenant l'obligation de licence. Ce système semble plutôt s'inscrire en conformité avec la préservation de la liberté du travail du joueur et cela permet par la même occasion à la France de confirmer son statut de nation à part comme dans le domaine du cinéma.(A) Par ailleurs, le développement du recours à la tierce propriété ces dernières années dans les transferts pose question. D'un côté, il vient apporter un semblant de rééquilibrage des compétitions. De l'autre, il nuit gravement et de manière injustifiée à la liberté du travail des joueurs. En effet, en ayant des droits économiques sur les joueurs, les fonds d'investissement, principaux acteurs de ce système influent grandement sur la politique de recrutement des clubs. Ainsi, leurs intérêts économiques peuvent les conduire à inciter le club dans lequel évolue un de leurs clients à le vendre, l'obligeant à prospecter sur le marché pour trouver son remplaçant. Néanmoins, la remise en cause de la TPO notamment par l'article 18 du règlement FIFA relatif au statut et au transfert de joueur a contraint ces fonds à trouver une nouvelle manière d'exercer leur influence. Cela se matérialise notamment par la TPI, système dans lequel ils se muent en organismes de crédit.46 Certes, ils ne possèdent plus de droits économiques sur les joueurs mais continuent de faire des affaires avec les clubs, s'affirmant de la sorte comme des acteurs incontournables de la phase de transferts. (B) 46 Pierre Rondeau, « Les TPO/TPI favorisent-elles une dérégulation du football international ? », www.ecofoot.fr, 22 septembre 2015 33
  • 34. A La profession d'agent sportif : un encadrement à géométrie variable L'agent de joueur doit avant tout défendre les intérêts d'un joueur en lui permettant notamment de rejoindre un club en adéquation avec ses ambitions sportives. Profession incontournable dans la phase de transfert et très réglementée en France, l'activité d'agent peut parfois être confiée à des gens mal intentionnés dont le seul but est de décrédibiliser ce métier. La réforme intervenue en avril 2015 supprimant la licence pour exercer en tant qu'agent de joueur de football au niveau international a accentué cette dérive, mettant encore davantage en péril la liberté du travail du joueur. Les modalités d'exercice de l'activité d'agent sportif en droit français L'agent de joueur : le représentant des intérêts du joueur 1) La nature du contrat d'agent L’article L. 222-7 du Code sport, codifiant tout en le complétant l’ancien article 15-2 al. 1 de la loi du 16 juillet 1984, qualifie l’activité d’agent sportif intervenant dans le cadre d’une opération de transfert comme « l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement ». Il en ressort que la profession d’agent sportif, semble s'apparenter à une opération de courtage dans le sens où comme l'indique Stéphane Joly, « l'agent rapproche les parties intéressées sans pouvoir engager juridiquement son client. »47 A l'inverse, un contrat de mandat sous-entend que le mandant, en l'espèce le joueur donne au mandataire, son agent des prérogatives lui permettant de conclure pour son compte un ou plusieurs actes juridiques.48 Si l'on doit admettre que la qualification de contrat de courtage avantage le joueur car il reste in fine le seul décideur de son avenir, le contrat de mandat, donne encore plus de poids à l'agent. En effet, ce dernier s'accapare des pouvoirs lui permettant de recevoir une légitimité car l'apposition de sa signature sur le contrat de transfert fait foi quant à son implication dans le transfert. Une loi du 1er février 2012 est venue remédier à ce problème de qualification en abandonnant le terme mandat et en consacrant implicitement le contrat d'agent sportif comme contrat de courtage.49 47 Stéphane Joly, « L'opération de transfert de sportifs professionnels », mémoire, disponible sur https://docassas.u- paris2.fr, page 31 48 Dictionnaire de droit privé, « Définition de Mandat », www.dictionnaire-juridique.com 49 Loi n°2012-58 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique dans le sport et les droits des sportifs, www.assemblee-nationale.fr 34
  • 35. 2) Une rémunération forfaitaire L'article L 222-17 du Code du sport précise les conditions de rémunération de l'agent sportif. Selon ce dernier, « le montant de la rémunération de l'agent sportif, ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport. » Par parties mises en rapport, on entend le joueur et son club. Dans cette optique, si le joueur touche 1 million d'euros par an et signe un contrat de quatre ans, son agent pourra toucher jusqu'à 400 000 euros. On comprend mieux pourquoi les agents cherchent à attirer toujours plus de joueurs dans leur écurie. Ainsi, en matière de football Mino Raiola et Jorge Mendes font partie des agents les plus influents du monde. La réglementation fédérale de la profession d'agent sportif: l'exemple de la FIFA Entrée en vigueur le 1er avril 2015, la réforme relative à l'accès à la profession d'agent a changé la donne. En effet, depuis cette date, il n'est plus obligatoire de posséder une licence pour exercer au niveau international. La France fait néanmoins figure d'exception en conservant l'ancien système. Jean Lapeyre, responsable juridique de la fédération française de football soutient que « la FIFA a fait le choix de la facilité. Elle ne pouvait plus suivre. Réguler les agents sur monde entier, ça demandait énormément de travail. »50 Ainsi, au lieu d’accroitre les conditions de délivrance de la licence, la FIFA supprime le système. Celle-ci soulève un inconvénient majeur. En effet, selon nous, les nouveaux intermédiaires sur le marché pourront totalement ignorer le fonctionnement de la FIFA et le cadre juridique des opérations de transfert sans que cela pose problème. En supprimant le processus de délivrance de la licence, le risque pour la FIFA est d’avoir affaire à des individus uniquement intéressés par l'appât du gain ce qui peut s'avérer très dangereux vis à vis de la liberté du travail des sportifs puisque ceux-ci peuvent se retrouver dans des situations plus que précaires alors que les « agents » leur avaient promis monts et merveilles. Comme l'indique Fabrice Picot « Prendre un agent qui ne connaît pas les clubs, les structures de contrats, les grilles de salaire... C'est un danger. »51 Au niveau français, un des seuls pays ayant conservé un système de licence, la solution retenue a 50 Dimanche Ouest-France, « Le statut d'agent, une exception française », 31 janvier 2016 51 Ibid 35
  • 36. été celle de la continuité du système en vigueur. « La loi française est supérieure aux décisions de la FIFA » dixit Jean Lapeyre.52 Désormais,en vertu de l'article R 222-22 du Code du Sport, les intermédiaires ressortissants d'un des Etats membres de l'UE ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen souhaitant travailler en France doivent continuer à s'associer à un licencié FFF ou, s'ils veulent mener leurs affaires de manière indépendante, demander une autorisation à la FFF. Avant la réforme, ils pouvaient obtenir une équivalence sur présentation de la licence FIFA, mais cette possibilité disparaît. Il faut ajouter à cela que pour «les nouveaux (ceux qui n'ont jamais été agents FIFA), il faudra justifier de un ou deux ans d'activité».53 Cette nouvelle donne n'est pas sans susciter quelques remous dans certaines fédérations. Ainsi, « en Angleterre, l’association des agents de football britannique s’est vivement opposée à ce texte, permettant de manière tout à fait légale aux intermédiaires non-licenciés d’agir. »54 Comme l’expose son président Mel Stein, « ce texte ruine les efforts faits jusqu’à présent pour encadrer un minimum l’activité des agents de joueurs licenciés. Il faudra selon lui que la fédération anglaise, lorsqu’elle modifiera son règlement actuel en application du règlement FIFA, permette aux agents licenciés d’avoir une certaine priorité et une protection sur le marché des transferts par rapport aux intermédiaires non-licenciés. »55 Comme le sous-entend Fabrice Picot, agent de joueur, les transferts sont un monde sans pitié. Selon lui, « Quand des clubs souhaitent avoir un joueur, s'ils doivent parler avec quelqu'un qui n'est pas licencié, ils le font. Ils sont prêts à fermer les yeux... Ils savent qu'ils pourront ensuite conclure des papiers officiels avec des personnes qui ont la licence, qui feront office de prête-noms. C'est la réalité du marché. »56 L'idée de cette réforme est bel et bien comme l'indique Maxime François dans son article précité, de responsabiliser les joueurs et les clubs en leur donnant carte blanche quant aux choix des agents avec qui ils souhaitent négocier, que ceux-ci soient reconnus par la profession ou non. B Les fonds d'investissements : l'exemple de la tierce propriété Si les agents ont encore une place importante dans la réalisation des transferts, il est depuis quelques années apparu nécessaire de faire appel aux fonds d'investissement dans l'optique de rétablir un semblant d'équilibre dans les compétitions. 52 Ibid 53 Maxime François, « Le rôle de l’agent sportif dans les transferts liés au football (Partie III) », www.thelawsp.com 54 Ibid 55 Ibid 56 Dimanche Ouest-France, Interview de Fabrice Picot, 31 janvier 2016 36
  • 37. Derrière cet objectif louable, se cache une situation bien moins reluisante puisque les joueurs faisant l'objet de TPO voyent leur carrière davantage dicter par les intérêts économiques du fonds auquel ils appartiennent que par leur propre volonté, réduisant quasiment à néant leur liberté de travail. Interdite en France, la tierce propriété qui consiste en la possession de droits économiques sur un joueur par un tiers est pourtant largement utilisée dans d'autres pays comme le Portugal et la Russie qui eux continuent de faire de la résistance à l'instance internationale du football au nom de leur survie sportive.57 A priori, ces fonds n'ont pas grand à chose à voir avec le sport professionnel. Néanmoins, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que la TPO (tierce propriété) présente un véritable intérêt pour eux. Explications. Comme l'indique Shervine Nafissi, « le contrat de TPO comporte deux prestations principales. D'un côté le club cède une partie de la valeur économique d'un ou de plusieurs de ses joueurs en échange d'une contrepartie financière. »58 L'objectif majeur du contrat de TPO est de permettre à un club d'obtenir des joueurs à un moindre coût qui vont œuvrer à son développement sportif et aux fonds d'investissement d'accentuer leur manne financière. De nombreux transferts de joueurs ont été rendus possibles par cette technique comme celui de Eliaquim Mangala du Standard de Liège vers le FC Porto en 2011 ou encore celui de Radamel Falcao du FC Porto vers l'Atletico Madrid cette même année. Nous pouvons dès lors avancer que ces contrats vont à l'encontre de l'esprit de l'article 18 bis du Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs puisqu'ils placent les clubs dans une dépendance financière excessive envers le fonds. Néanmoins, on peut se poser la question de la pertinence d'une telle interdiction. En effet, comme l'avance Luis Manfredi, « l'interdiction totale des TPO est une mesure contraire au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est ainsi parce que toute mesure limitant la concurrence doit être justifiée en fonction des principes de nécessité, de proportionnalité et de contrainte concurrentielle minimale. »59 Il est vrai que l'interdiction de la tierce propriété du point de vue du droit communautaire n'est pas compréhensible étant donné que la tierce propriété permet aux clubs plus modestes de survivre financièrement face aux plus puissants, faisant ainsi joué le principe de libre concurrence. 57 Article 221 du règlement administratif de la LFP 58 Shervine Nafissi, « Pourquoi les contrats TPO peuvent s’avérer être un piège pour les clubs ? », www.ecofoot.fr, 21 décembre 2015 59 Luis Manfredi, « L'interdiction des fonds d'investissement dans le football », Jurisport n°160, page 27, 2016, disponible sur https://nomade.etu.univ-nantes.fr 37
  • 38. Il ajoute que la FIFA en avançant que « les clubs les plus modestes peuvent être soumis à des conditions abusives de la part des tiers détenteurs ignore que ces abus sont déjà interdits en vertu des normes commerciales et pénales. »60 Le positionnement de l'instance internationale met en exergue la lutte entre règles sportives et droit commun. On a l'impression que la FIFA est persuadée que la spécificité du sport induit une exemption de l'application des réglementations internationales de droit commun à ce secteur d'activité comme le souligne Luis Manfredi.61 Dans ce sens, un entretien nous a permis d'y voir concernant l'encadrement de la tierce propriété. « Maintenant, s'ils se renseignent un minimum, ils savent à qui ils appartiennent surtout au Portugal où tu dois tout communiquer à la CMVM, (commission marchande des valeurs mobilières. Tu dois tout communiquer, que t'as vendu tel pourcentage de joueurs. Donc, si le joueur le voulait, il pourrait aller voir à qui il appartient [...]»62 Par ailleurs, en y réfléchissant bien, si on remet en cause la TPO, on pourrait également le faire avec les emprunts bancaires que peuvent effectuer les clubs pour réaliser leurs transferts puisque leur remboursement entraîne aussi « la fuite de ressources de l'industrie du football. »63 A titre d'exemple, Florentino Pérez, actuel président du Real Madrid a eu très souvent recours à des emprunts bancaires pour financer les transferts de ces joueurs sans que cela pose problème. A ce titre, interdire la TPO sous prétexte que cela engendre une fuite des capitaux vers les fonds d'investissement paraît hypocrite puisque c'est aussi le cas dans le cadre des emprunts bancaires. Un autre argument peut être avancé pour justifier le recours à la TPO : la préservation de l'équilibre des compétitions. En effet, cette technique permet à des clubs comme le SL Benfica ou l'Atlético Madrid de rester performants dans les compétitions européennes et de tenter de remettre en cause l'ultra domination des mastodontes européens comme le FC Barcelone ou le Bayern Munich. Pour prouver les bienfaits de la TPO, nous pouvons prendre l'exemple de l'Atlético Madrid qui a sur les trois dernières saisons atteint deux fois la finale de la Ligue des champions. (2014 et 2016) Certes, ces performances ne sont pas seulement à mettre au crédit du recours à la TPO, mais elle y a en partie contribué. Si abordé sous l'angle de l'économie et de l'équilibre des compétitions, la TPO ne semble pas poser de problème, en revanche sa pertinence vis à vis de la question de la dignité humaine mérite d'être abordée. 60 Ibid 61 Ibid 62 Extrait d'un entretien semi-directif réalisé avec un supporter du FC Porto 63 Luis Manfredi, Ibid 38