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Université Paris Diderot
Master Géographie et Sciences du Territoire
Mémoire de Master 1
2014-2015
Tristan Laithier
Sous la direction de Laurent Faret
Les migrations en milieu urbain des
populations indigènes au Brésil :
L’exemple des Kariri-Xocó et Fulni-ô dans l’état de
Bahia
Soutenu le 30 juin 2015
U.F.R. Géographie, Histoire, Sciences de la Société (GHSS)
« Precisamos ter consciência da existência
indígena, não importa o passado, as mágoas,
as dores, importa hoje O que importa é que o
índio conserva sua essência, mesmo
miscigendo. Não temos culpa se fomos quase
dizimados e influenciados pelos brancos
invasores. Hoje precisamos muito da
verdadeira integração cultural e social. »
Wakay, « Indios na Visão dos Indios »
“Nous avons besoin d’avoir conscience de
l’existence indigène, peu importe le passé,
les blessures, les douleurs, c’est
aujourd’hui qui importe ! Ce qui importe,
c’est que l’indigène conserve son essence,
même mélangé. Ce n’est pas de notre faute
si nous étions presque décimés et influencés
par les envahisseurs blancs. Aujourd’hui,
nous avons plus besoin d’une réelle
intégration culturelle et sociale. »
Table des matières
Résumés………………………………………………………………………………………………..1
Remerciements…………………………………………………………………………………………2
Introduction……………………………………….....…………………………………………………3
I. Les populations indigènes nordestines marquées par l’empreinte colonialiste............................. 15
I.1. Entre esclavage et « reconnaissance »................................................................................... 15
I.1.1. Le Nordeste colonial...................................................................................................... 16
I.1.2. L'esclavage masqué des populations indigènes............................................................. 20
I.2. Les périodes migratoires des populations indigènes ............................................................. 22
I.2.1. Des populations soumises au départ.............................................................................. 22
I.2.2. Les mélanges ethniques................................................................................................. 26
I.3. Le contexte urbain de la Région Métropolitaine de Salvador ............................................... 28
I.3.1. Présentation générale de Salvador................................................................................. 29
I.3.2. Une ville empreinte d’inégalités socio-économiques.................................................... 34
I.3.3. Ethnicité, culture(s) et spécificités................................................................................. 36
II. Les populations indigènes en milieu urbain : mythe ou réalité ? .................................................. 40
II.1. Les populations indigènes urbanisées : situation actuelle et permanences conflictuelles ..... 41
II.1.1. Etat des lieux des indigènes urbanisés........................................................................... 41
II.1.2. Conflits sociaux et fonciers ........................................................................................... 44
II.2. Les principaux organismes indigénistes du Brésil : La FUNAI et la FUNASA ................... 47
II.2.1. La FUNAI, symbole d'une politique désuète ................................................................ 48
II.2.2. Le non-interventionnisme de la FUNASA.................................................................... 50
II.3. Les processus d'intégration politique et urbaine des populations indigènes.......................... 53
II.3.1. L’autodétermination chez les populations indigènes..................................................... 53
II.3.2. Les mécanismes d'intégration des populations indigènes en milieu urbain .................. 56
III. Dynamiques migratoires et d'installation à Bahia : L'exemple de la population de la Réserve
Thá-Fene................................................................................................................................................ 59
III.1. Bref historique de la réserve : de la création à la pérennité............................................... 60
III.1.1. L’aide des populations locales....................................................................................... 60
III.1.2. La création de la réserve................................................................................................ 62
III.2. Les origines des populations de la réserve ........................................................................ 65
III.2.1. Le Pernambuco.............................................................................................................. 65
III.2.2. L’Alagoas...................................................................................................................... 68
III.2.3. Les allers-retours entre les villages d’origine et la Réserve .......................................... 71
III.3. Les modes d’intégration urbaine et les actions mises en œuvre........................................ 74
III.3.1. Les partenariats mis en place......................................................................................... 74
III.3.2. Les activités moteur d’intégration................................................................................. 77
Conclusion……………………………………………………………………………………………..80
Bibliographie…………………………………………………………………………………………..83
Table des illustrations………………………………………………………………………………….87
Annexe…………………………………………………………………………………………………88
1
Résumé : Cette étude a pour but de montrer les mécanismes d'intégration des populations
indigènes en milieu urbain au Brésil. Ces nouvelles dynamiques spatiales, à travers
l'augmentation des migrations internes, reconfigurent intégralement les territoires ruraux et
urbains. Les processus d'intégration de ces populations indigènes sont soumis à des acteurs
exogènes, publics et privés. Les différentes politiques indigénistes mettent en avant la
complexité de la reconnaissance indigène au Brésil, à l'échelle nationale et locale, et certains
conflits apparaissent alors et constituent une entrave à cette intégration urbaine. Cependant,
des dispositifs d'intégration, individuels et communautaires, sont mis en place. C'est le cas de
la Réserve Thá-Fene, dans la Région Métropolitaine de Salvador qui constituera un exemple
de notre étude.
Abstract : This study wants to show the integration's mechanisms of indigenous people in
urban area in Brazil. Those new spatial dynamics completely reconfigure the rural and urban
territories through the increase of the internal migrations. The integration's process of
indigenous people are subject of exogenous actors, public and private and the multiple
indigenist policies bring out the complexity of the indigenous recognition in Brazil, at the
national and local scales. Some conflicts appear and are a shackle for this urban's integration.
However, integration's plans are organised by the community and individuals initiatives. That
is the case of the Thá-Fene Reserve in the Metropolitan Area of Salvador which will be an
example of our study.
Resumo : Essa pesquisa quer mostrar os mecanismos da integração dos povos indígenas na
área urbana no Brasil. Essas novas dinâmicas espaciais, através do crescimento das internas
migracões, reconfiguram completamente os territórios rurais e urbanos. Os processos da
integração dos povos indígenas são determinados pelos atos exógenos, públicos e privados.
As diferentes políticas indigenistas chamam atencão à complexidade do reconhecimento
indígena no Brasil - numa escala local e global - e alguns conflitos aparecem e são uma trava
para integração urbana. Apesar disso, os planos da integração são organizados pela
comunidade ou pela iniciativa individual. O caso da Reserva Thá-Fene, na Região
Metropolitana de Salvador, é um bom exemplo da integração.
Mots-clé : Populations indigènes ; Brésil ; migrations ; milieu urbain ; intégration ; Région
Métropolitaine de Salvador.
2
Remerciements
En premier lieu, je souhaite remercier mon directeur de mémoire Laurent Faret, qui m’a
fourni les informations et les conseils nécessaires à la bonne conduite de mon sujet de
recherche.
Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé à développer mon sujet de recherche, aiguillé
sur la bonne voie et transmis les contacts nécessaires pour effectuer mon étude. Je pense
notamment à François-Michel Le Tourneau, Julie, Ana-Claudia, Nathalie et, surtout, Larissa
avec qui j’ai pu échanger de nombreuses heures et sans qui je n’aurai pu réaliser cette étude.
Je remercie aussi Wakay, Ketsan et Lymbo, qui m’ont réservé un accueil extraordinaire à la
Réserve Thá-Fene et qui ont pris le temps de répondre à mes attentes.
Je remercie aussi ma famille et mes amis qui ont su être là lorsque je doutais et m’ont
continuellement soutenu lors de mes recherches.
3
“C’est celui de la ville, comme étendue concrète, spatiale et temporelle, en tant qu’elle constitue un lieu
d’expérience pour des populations qui, sur ce sol commun, vivent de leurs différences et de leurs
complémentarités.“11
Anne Raulin
La ville symbolise pour les minorités, et ce paradoxalement, un espace à la fois intégrateur et
excluant. Ville intégratrice car elle permet la mise en valeur des différences tout en les
acceptant. Ville excluante car elle peut être suffisamment inégalitaire pour être impraticable.
C'est tout le défi, néo-sociétal, des populations indigènes du Brésil. L'urbanisation prend
actuellement une place de plus en plus importante chez ces populations, et ce sur tout le
territoire brésilien. La plupart du temps, elles sont en quête de meilleures conditions de vie
d'une part et d'une valorisation de leur culture d'autre part. Ainsi, les populations indigènes
adaptent leurs modes de vie en fonction des modes de vie urbains, et acquiert, au fur et à
mesure, avec cette nouvelle configuration urbano-rurale, la légitimité souhaitée depuis
maintenant des siècles.
Le Brésil constitue à lui seul, en tant qu'espace fragmenté et uni, un thème de recherche en
Sciences Humaines crucial et remarquable. De son histoire coloniale jusqu'à la scène politique
actuelle, les études menées sont nombreuses et variées. Avec une forte croissance depuis
quelques décennies, le Brésil a toujours été objet d'étude important, et peut-être encore plus
aujourd'hui avec l'organisation d'événements sportifs majeurs, soulevant des problématiques
sociales importantes. La formation du Brésil, basée sur des relations sociales et ethniques
complexes, rend son étude difficile à appréhender. Son territoire a sans cesse été modifié par
la mosaïque démographique et spatiale, inlassablement migrante.
1 . Raulin A., Minorités urbaines : des mutations conceptuelles en anthropologie, Revue Européenne des Migrations
Internationales, vol. 25 – n°3, 2009, p. 33-51
4
Figure 1 : Le Brésil : Ses régions, ses Etas et leurs capitales
5
Ces migrations ont été le fer de lance de la construction du territoire brésilien, par
l’intermédiaire de sa découverte, des migrations forcées, du front pionnier et des migrations
actuelles urbaines. Les déplacements de population, à travers le temps, ont rempli l’espace,
jusqu’à compter aujourd’hui environ 200 millions d’habitants, avec des densités d’habitation
très importantes à certains endroits. Le Nordeste a eu un rôle important dans la configuration
du Brésil actuel, car la région a été un des premiers lieux d’établissement des colons portugais
et a assuré la liaison politique et commerciale avec Lisbonne. Salvador de Bahia, capitale de
l’Etat de Bahia, connue pour avoir été durant deux siècles capitale du Brésil présente des
caractéristiques très particulières sur le plan social et culturel.
La ville, comme le Nordeste, montre des faiblesses économiques importantes et présente un
nombre d’émigrants plus important que le nombre d’immigrants. Néanmoins, les études
récentes montrent une tendance à un déplacement des populations rurales vers les capitales
régionales. Depuis longtemps et encore aujourd'hui, les migrations internes modifient
constamment l'espace connu, urbain et rural.
Ces déplacements de population, à plus ou moins grande échelle, ne sont pas complètement
indépendants des conditions sociétales et spatiales du territoire. Au-delà de l'étude de la
linéarité même de ce territoire, il est important d'appréhender les raisons du départ et les
dispositifs mis en place sur le lieu d'arrivée. Ces migrations provoquent une reconfiguration
des espaces, du local à l'international, et permettent alors une étude spatiale par la
démographie. Pourtant, les migrations ont pendant longtemps été « dé-spatialisées », au sens
où leur étude était réservée aux démographes et sociologues, sans que les géographes ne s'y
intéressent particulièrement. Sous l'impulsion de la globalisation, les migrations, conjuguées
au concept de mobilité, ont trouvé leur place dans les études géographiques et territoriales.
Ainsi, les migrations ne sont pas étudiables sans prendre compte la pluridisciplinarité même
qu’elle évoque, dans le sens d’un déplacement de population sur un espace donné et modifiant
les modalités mêmes de celui-ci et de la population migrante.
Afin de définir la population d'étude, à savoir la population indigène brésilienne, elle a été
définie, dans l'article 3 du Statut de l'Indien (Lei No. 6.001, du 19 décembre 1973) comme
« tout individu d'origine et d'ascendance pré-colombienne qui s'identifie et est identifié
comme appartenant à un groupe ethnique dont les caractéristiques culturelles le distingue de
la société nationale ».
J’utiliserai, tout au long de l'étude, le terme « indigène », au lieu de l’utilisation des termes
« indien » ou « autochtone », pour deux raisons : la première étant que ce terme est moins
6
péjoratif que les deux autres termes, qui renvoient, à mon sens, au mythe du bon sauvage,
mythe selon lequel l’individu n’est pas civilisé et ne peut pas l’être. Lors de la période
colonialiste, les récits décrivent « l’indien » anthropophage, nu et non « développé ». La
deuxième raison réside dans la traduction littérale du terme portugais « indígena », terme le
plus largement utilisé dans les écrits institutionnels. Je considère donc ce terme le plus
adéquat à mon sujet d’étude, tant sur le plan historique que social.
Des changements majeurs se sont produits ces dernières décennies et parmi ces mutations
dans la communauté indigène, nous pouvons noter la remarquable croissance de sa population
accompagnée d’une identification plus forte qu’auparavant. En effet, nous pouvions recenser,
selon l'IBGE2
, 294 131 indigènes en 1991 et 817 963 en 2010, avec une population urbaine
passant de 71 026 à 315 180 sur la même période (soit une multiplication par 4 !). Pour
beaucoup de chercheurs, cette différence notable entre les deux années s’explique en partie
par la revendication identitaire plus forte qu’auparavant. En effet, la population indigène ne
considérait pas avoir les moyens de revendiquer leur indianité, définit par la revendication
indigène et la conscience d’être indigène. Les recensements sont donc peut-être biaisés par
l’appréhension d’affirmer cette indianité mais qui, aujourd’hui, connaît un sursaut
remarquable. Le droit d’autodétermination des populations, qui est la liberté des peuples de
disposer d’eux-mêmes, s’exerce aujourd’hui, en partie, par les migrations en milieu urbain.
Ces migrations ne sont pas statiques, et englobent un ensemble d'éléments mouvants dans
l'espace et dans le temps. La forme et la spatialité même de la mobilité varient en fonction de
la démarche migratrice, de l'objectif de celle-ci. Les causes de la migration sont multiples et le
but de celle-ci également. La migration vers le milieu urbain se fait majoritairement vers les
capitales régionales dans le but de rester proche de la communauté d'origine, afin de pouvoir
revenir facilement lors des fêtes annuelles ou de faciliter les très nombreux échanges
(humains, économiques ou matériel) entre la population urbaine et celle encore rurale. Les
dispositifs mis en place par les populations concernées par ces migrations diffèrent selon
l'origine, l'arrivée et le chemin entre ces deux points. Nous assistons à un affranchissement
des distances qui met en évidence la modification des modes d'accès aux déplacements (à
pieds, voiture,…) et donc une dynamique migratoire qui prend de la vitesse.
Ces migrations comprennent un ensemble d’éléments, qui ne peuvent être étudiés séparément.
L'étude du concept « migrations » sous-entend la multiplicité même de l'étude, à travers les
2 . IBGE : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística. J'utiliserai de manière générale cette source pour mes
données chiffrées. Bien que souvent décriée, l'IBGE détient une quantité de données et d'informations non négligeables.
7
transformations qu'elles apportent dans toutes les sphères humaines, du niveau local jusqu'au
niveau national. Ainsi, la migration des populations indigènes en milieu urbain exprime une
transformation claire dans les modes de vie originels. En effet, chacune des composantes
(sociales, culturelles, ethniques, conscience politique,…) se déplacent en même temps que le
migrant lui-même. Il apporte avec lui son histoire, ses appartenances, ses croyances, ses
pratiques, ses mythes et adapte ainsi la ville à lui et inversement. Mais la ville, elle, ancrée
dans un système national, a un pouvoir de décision plus grand que l’individu lui-même. Elle a
la capacité d’engloutir, le pouvoir d’intégrer, en facilitant la cohabitation, mais elle a aussi les
moyens d’exclure, en ne fournissant pas de supports à ces minorités néo-urbaines. Celles-ci se
retrouvent alors parfois confrontées au problème suivant : être intégrées ou être assimilées.
Deux termes proches mais tellement distincts, qui relèvent alors d’une géographie culturelle,
sociale et urbaine. L’assimilation relèverait pour ainsi dire d’une « totale » intégration, dans le
sens où les populations minoritaires intégreraient pleinement les normes, les pratiques et la
vie urbaine, délaissant leurs origines et ce qui les a construits à travers le temps, sans jamais
les valoriser. Quant à l’intégration, elle pourrait se définir comme le « vivre ensemble »31
,
comme une société vivant comme un tout sans renier les différences de chacun mais
justement en les valorisant et bénéficiant de la complémentarité qui en résulte, afin de garantir
l’intégration socio-spatiale.
Ces deux termes renvoient aux problématiques sociales de base qui ont une importance
cruciale dans la construction de l’espace, dans l’identité urbaine et dans l’appropriation du
territoire. Espace tel que les minorités souhaitent qu’il soit, une identité urbaine afin d’avoir la
garantie d’être reconnu par la ville et dans la ville, et l’appropriation du territoire pour vivre et
pratiquer la ville. Mais qu’en est-il dans le Nordeste ?
Problématiques et hypothèses
Ces problématiques migratoires, liées d’une part au milieu urbain et d’autre part aux
populations indigènes du Brésil, nous imposent de nous poser un certain nombre de questions.
D'une part, les déplacements de population modifient l'imaginaire et la réalité spatiale des
territoires et des villes. Quel(s) impact(s) les migrations ont-elles dans la configuration et la
pratique de l’espace nordestin d’une part et de la Région Métropolitaine de Salvador d’autre
part ?
3 . Durkheim, E. De la division du travail social, Paris, Félix Alcan, 1893; réimpression Paris, PUF
8
D'autre part, les mécanismes intégrateurs des populations indigènes en milieu urbain sont
multiples et conditionnent leur position sociale dans la ville. Quels sont donc les modes
d’accès de ces populations indigènes pour construire une entité matérielle et symbolique de
leur indianité en milieu urbain ?
Enfin, les communautés indigènes, historiquement absentes des milieux urbains, s'installent
depuis peu dans les villes mais qu’est-il mis en œuvre par les institutions publiques et privées
pour l’accueil de ces populations, notamment à Salvador de Bahia ? Le multiculturalisme
brésilien constitue-t-il une entrave à la reconnaissance politique et sociale des populations
indigènes ?
Ces questions problématisées nous aideront à mieux comprendre la complexité même des
relations qui existent entre les groupes de population du Brésil et plus particulièrement dans le
Nordeste. Cela nous permet d’émettre des hypothèses afin d’avoir une vue d’ensemble sur ces
problématiques. Hypothèses qui seront par la suite affirmées ou infirmées :
H1 : Certaines migrations des populations indigènes sont le fruit de mauvaises conditions de
vie (sanitaires, sociales, ethniques) dans les régions d'origine. Ainsi, une partie de la
communauté migre vers le milieu urbain.
H2 : Les organismes indigénistes (FUNAI et FUNASA41
notamment) ont un rôle crucial dans
la reconnaissance des droits autochtones sur le territoire brésilien. Elles favorisent
l'intégration et soutiennent financièrement ces populations en vue de leur obtention du droit à
l’autodétermination.
H3 : Des dispositifs d’assimilation et d’intégration se sont succédés dans le processus de
reterritorialisation des populations indigènes. Celles-ci ont successivement été soumises aux
pouvoirs puis reconnues par les institutions politiques.
H4 : Aujourd’hui, la valorisation de la culture indigène et de ses traditions par la mise en
œuvre d’activités dans la Région Métropolitaine de Salvador ne signifie pas la perte de
l’identité indigène. Ils revendiquent et partagent leurs différences afin, justement, d’intégrer
pleinement la ville.
4 . FUNAI: Fundação Nacional do Indio (Fondation Nationale de l'Indien). FUNASA : Fundação Nacional de Saúde
(Fondation Nationale de la Santé)
9
Les choix de l’étude
Ce travail a été réalisé en plusieurs phases. Mon projet initial de travail se portait sur les
migrations forcées des populations indigènes en milieu urbain dans le cas de la construction
du barrage de Belo Monte, dans l’État de Pará (Région Norte). Pour diverses raisons sur
lesquelles je reviendrai par la suite, ce travail n’a pas pu être mis en place. Suite à des lectures
générales sur les populations indigènes brésiliennes et notamment amazoniennes, je décidai
de continuer mon étude sur la problématique indigène et urbaine du Brésil. Je me suis rendu
compte que plusieurs indicateurs étaient intéressants d’étudier. Premièrement, la région
Nordeste présente une histoire riche. Comme évoqué précédemment, lors de l’arrivée des
colons portugais, elle a été frappée par la violence colonialiste et l’esclavagisme ethnique. La
côte océanique était alors composée de centaines de communautés indigènes qui ont été dans
l’obligation de migrer ce qui a provoqué des modifications majeures dans la configuration
territoriale du Brésil de cette époque jusqu’à aujourd’hui. Ces migrations étaient pour la
plupart tournées vers l’ouest, peuplant alors la forêt amazonienne de façon remarquable.
Malgré cela, la région Nordeste a conservé une empreinte indigène très importante51
, que ce
soit dans les États de Bahia, de l’Alagoas, du Pernambuco ou encore du Maranhão.
Figure 2: La population indigène brésilienne
Région
Population
Indigène
totale
Total en terre
indigène
Se déclarent
indigènes et
vivent en
terres
indigènes
Ne se déclarent
pas indigènes
mais vivent en
terres indigènes
A l'extérieur
des terres
indigènes
Brésil 896 917 517 383 438 429 78 954 379 534
Norte 342 836 251 891 214 929 36 963 90 945
Nordeste 232 739 106 142 82 094 24 048 126 597
Sudeste 99 137 15 904 14 727 1 177 83 233
Sul 78 773 39 427 35 599 3 828 39 346
Centro-oeste 143 432 104 019 91 081 12 938 39 413
Source : Censo do IBGE, 2010
5 . 23,2% en 2000 contre 19% en 1991 de la population indigène totale brésilienne habite dans le Nordeste, selon
l'IBGE (Censo Demográfico 1991/2000.)
10
Nous voyons ici que le Nordeste se démarque avec une population indigène importante
(126 597) vivant à l’extérieur des terres indigènes.
Puis, je me suis aperçu que, dans la configuration démographique actuelle du Nordeste,
Salvador de Bahia présentait une diversité culturelle indéniable, un multiculturalisme
permettant un accueil favorable aux minorités que constituent les populations indigènes.
Selon l’IBGE, la ville était habitée par 7 563 individus indigènes en 2010 (Censo do
IBGE/2010). Cela constituait tout bonnement la ville du Nordeste avec la plus grande
population indigène.
Enfin, suite à des lectures plus avancées sur la ville et sur ce qui la composait, je me suis
rendu compte qu’elle comportait quelques associations, notamment l'UNID (Uniao Nacional
dos Indiodescendantes) et l’ANAI (Associação Nacional de Acão Indigenista61
). Ces
associations pouvaient alors être d’une grande aide dans mes recherches, car elle pouvait me
mettre en contact avec la population d’étude.
Ces éléments m’ont conduit à affiner mes recherches sur ce terrain qu’est Salvador de Bahia.
Je me suis ensuite tourné vers la prise de contacts avec les associations et les chercheurs
universitaires basés à Salvador. Malgré les nombreuses difficultés pour entrer en contact, c’est
grâce à l’un d’eux que j’ai pu réorienter ma recherche lors de mon terrain. En effet, mon étude
s’est orientée vers la Réserve Thá-Fene, située à une quinzaine de kilomètres au nord de
Salvador.
Difficultés :
Tout d’abord, mon choix de recherche s’était arrêté sur le barrage de Belo Monte et sur les
problématiques sociales qu’il engendrait. En effet, la construction du barrage – toujours en
cours - suscite de nombreux problèmes concernant les populations vivant sur place,
notamment les populations indigènes. De nombreux groupes ethniques vivent sur les terres du
barrage et du chantier et ont dû migrer vers d’autres terres par obligation de survie. Deux
grandes trajectoires ressortaient alors : soit les populations migraient vers des terres rurales,
où ils pouvaient avoir accès aux même ressources ou presque que leur offraient leurs
6 . Union Nationale des Descendants d'Indiens et Association Nationale de l'Action Indigéniste
11
anciennes terres. Ils recréaient un village in-situ. L’autre option qui s’offrait à eux consistait à
migrer et aller vivre en milieu urbain, soit vers l’ouest (Manaus), soit vers le nord (à la
frontière guyanaise) soit vers l’est (Belém). Mon projet de recherche s‘orientait vers cette
deuxième trajectoire et plus particulièrement les migrations vers la ville de Belém, capitale de
l’état du Para, dans la région Nordeste. Dans le cadre de ces migrations forcées, les
populations indigènes se tournaient vers un nouveau mode de vie, une toute nouvelle
expérience qu’était le milieu urbain. Or, nombreux ont été les conseils de chercheurs et
professeurs à m’avertir sur les risques de cette étude, et cela pour deux raisons : la première
visait la ville d’Altamira, située à quelques kilomètres de la construction du barrage, qui est
devenue, depuis peu, une ville de tous les vices (trafic en tous genre, prostitution, alcoolisme,
homicides,…) et une ville-dortoir avec l’arrivée par milliers des ouvriers du barrage. L’autre
condition était la demande d’autorisation pour rentrer sur les terres indigènes à faire à la
FUNAI. Sans cette autorisation, je risquais le renvoi immédiat à la frontière. Pour ces deux
raisons, j’ai dû orienter mon étude vers un autre espace, sans pour autant modifier mes
questions de départ, notamment en ce qui concerne les indigènes urbanisés.
Cette présente étude met donc en avant les difficultés pour les populations indigènes
d’intégrer le milieu urbain, milieu impliquant des normes et des pratiques particulières et
différentes qu’en milieu rural, notamment dans les villages indigènes. Cette urbanisation
s’intensifie depuis maintenant quelques décennies, mais les lieux de cette urbanisation sont
bien localisés. En effet, comme nous le verrons par la suite, les villes d’Amazonie sont les
localités préférentielles de cette nouvelle urbanisation, le Nordeste étant plus en retrait. De
fait, peu d’études sur la migration des populations indigènes en milieu urbain ont été réalisées
dans cette région.
Méthodologie et entretiens
Précédent mon terrain, mon étude s’est donc principalement basée sur des ouvrages
théoriques de la migration urbaine, et ce dans tout le territoire brésilien. Ces références me
permettaient d’avoir un aperçu sur les conditions de vie dans le village d’origine et dans la
ville d’arrivée et les conditions de migrations.
Malgré ces lectures fructueuses sur les problématiques migratoires et le milieu urbain de la
Région Métropolitaine de Salvador, les données m’étaient limitées. Le terrain prenait alors
toute son importance mais je me suis vite rendu compte que celui-ci ne satisferait pas toutes
mes attentes. La prise de contact avec les associations n’ont pas été satisfaisantes car aucune
12
d’elles ne m’a répondu et ce malgré mes relances et mes visites directes dans les locaux qui
étaient, pour la plupart, fermés pour cause de vacances d’été. De plus, mon arrivée a
correspondu au carnaval, pendant lequel tous les magasins, services publics, associations sont
fermés.
Il m’a été alors difficile d’établir rapidement des contacts directs et de manière objective avec
la population d’étude. Ainsi, j'étais dans l'obligation de me tourner vers des ressources plus
indirectes mais toutes aussi importantes. Le premier mois à Salvador était fait d’entretiens
informels et de déambulation dans la ville afin de m’y habituer, de prendre son pouls. Ces
nombreuses marches m’ont permis de comprendre la ville, ses quartiers, sa population à
travers les magasins que je pouvais trouver à tel endroit, le type d’objets vendus et le
processus de vente, le type d’habitation, l’organisation spatiale des quartiers,…Lors de mes
premiers jours, je visitais la ville à pied, et cela m’a permis de comprendre où je pouvais aller
et où je ne pouvais aller. De nombreuses personnes m’ont très fortement déconseillé de
continuer dans telle ou telle direction (au nord notamment), au risque d’avoir des
complications avec la population locale des quartiers. Des normes informelles existent dans
certains quartiers. Par exemple, il est important, lors d’une visite d’un quartier, de prendre
avec soi un objet ou un peu d’argent pour donner aux personnes généralement peu enclines à
accueillir un visiteur, de surcroît étranger. Le terrain s’est donc avéré plus compliqué que je
l’imaginais, et la compréhension de certaines règles devait se faire préalablement à ma
démarche de recherche (entretiens, prise de rendez-vous,…). Cette complexité locale n’a pas
empêché pour autant l’avancée dans mon étude, mais j’ai dû me tourner vers des processus
plus indirects.
J’ai donc pu obtenir de nombreux entretiens informels, dans la rue et le centre historique de
Salvador, avec des personnes qui m'ont aidé à appréhender la ville et ses composantes.
J'utiliserai donc certains de ces entretiens afin de valoriser et justifier mes propos.
L'observation directe avait donc pour but d'entrer en contact et d'appréhender la présence
indigène en ville. Les résultats n'ont pas été en adéquation avec mes espérances, mais ces
observations n'ont pas été inutiles. Je reviendrai sur ces notes aux cours de mon
développement.
J'ai aussi pu consulter de nombreux documents sur la présence indigène à Bahia et Salvador,
notamment à la Fundação Cultural do Estado da Bahia. Ces documents, en portugais, français
et allemands, m'ont aidé à comprendre la situation indigène bahianaise, et je m'appuie
beaucoup sur ces documents, notamment dans ma première partie plus historique que les
autres.
13
Le journal « A Tarde », journal local, a aussi été une source d'informations importantes dans
le sens où elle m'a fournie une compréhension locale, régionale et nationale autour de la
problématique indigène. De nombreux articles traitent des conflits fonciers qui touchent les
populations indigènes et leur revendication mais aussi de la Réserve Thá-Fene que j'étudierai
par la suite.
La composition ethnique de Salvador et cette difficile prise de contact avec les personnes
ressources adéquates ont constitué un frein dans mes recherches. Néanmoins, j’ai pu mettre en
place un dispositif méthodologique courant, la méthode dite de « boule de neige ».
La première personne ressource que j’ai pu rencontrer (le 6 mars, soit presque quatre
semaines après mon arrivée à Salvador) était Julie Sarah Lourau Silva, professeur
d’anthropologie à l’Université Catholique de Salvador. Lui présentant mon sujet d’étude, elle
m’a mis en contact avec Ana-Claudia (rencontrée le 13 mars), doctorante et travaillant avec
les étudiants indigènes de l’Université Fédérale de Salvador. Elle m’a alors mis en garde sur
les difficultés inhérentes à ce genre de recherche à Salvador. Cependant, elle m’a mis en
contact avec Larissa Nascimento, étudiante ayant réalisée sa maîtrise en ethnologie sur la
Réserve Thá-Fene. C’est cette dernière qui m’a permis de rencontrer Wakay, le chef de cette
Réserve et d’avoir un entretien
primordial avec les acteurs
directement concernés par
mon nouveau sujet d’étude.
Les entretiens :
C’est sur la base de mon
entretien avec le chef (Wakay)
et un membre de la direction
(Lymbo) de la Réserve que
j’ai pu réaliser mon travail.
Accompagné par Larissa
Nascimento, l’entretien s’est
déroulé de manière semi-
directive, dans le sens où ma
grille d’entretien n’avait que
Arrivant en bus à 10h à la Réserve, Larissa et moi étions
attendus par Wakay. Tandis que chacun s'occupait de
tâches ménagères (Lymbo ratissait les feuilles à côté de la
maison), Wakay nous invitait à prendre l'ampleur de la
Réserve, et notamment la nouvelle structure dédiée aux
danses traditionnelles (Toré). Wakay nous invita alors à
rentrer dans la maison. Les autres résidents (enfants,
adolescents et adultes) me saluaient sans qu'il n'y ait de
préjugés apparents. Wakay me mis en confiance très vite de
façon très ouverte, en me parlant, me demandant quelle
était ma recherche, quelles étaient mes impressions sur la
maison et la Réserve. S'ensuit alors un entretien riche de
deux heures, à l'intérieur de la maison, sur le canapé. Dans
la maison, il y avait beaucoup de passage, les enfants
intervenaient, et venaient sur les genoux de chacun de nous.
Par la suite, Wakay partit manger, et Lymbo pris alors le
relais et nous invita à sortir et à s'installer sur la terrasse.
Tandis que les jeunes jouaient au football dans l'espace
dédié au Toré, Lymbo nous parlait et fumait et ce pendant
deux autres heures. Durant les quatre heures d'entretien,
deux termes revenaient très fréquemment : “conhecer“ et
“conhecimento“, pouvant être respectivement traduit par
les termes “connaître“ et la “connaissance“.
Bien que le lieu me fût totalement étranger, je n'ai ressenti
à aucun moment de gêne ou d'intrusion dans la
communauté. Ces entretiens se sont déroulés naturellement
bien que nous ayons enregistré tout l'entretien. Nous ne
posions pas beaucoup de questions et le fil de la
conversation avait une implacable continuité logique,
14
des thèmes et non des questions. Plus que des questions-réponses basiques, je souhaitais saisir
l’histoire de vie, son récit. Wakay a un passé particulier, et cela lui confère un charisme
important. Très axé sur la philosophie et la « conscience indigène », il était plus intéressant
d’écouter ce qu’il a à nous dire plutôt que de poser sans arrêt des questions. Suite à cet
entretien qui a duré environ deux heures, nous nous sommes aussi entretenus avec Lymbo.
Plus calme mais tout aussi réfléchi et ayant fait des études de pédagogie, il orientait la
conversation vers l’éducation, premier objectif de la Réserve. Ces deux entretiens, d’une
durée d’environ quatre heures, seront la base et la fondation même de mon étude. C’est sur
ces quatre heures riches en données qualitatives, informations et réflexions que je construirai
ma présente recherche, m’aidant aussi parfois des entretiens que j’ai pu obtenir dans la rue
lors des premières semaines à Salvador.
Mon travail sera en trois temps. Nous verrons tout d’abord l’empreinte colonialiste portugaise
sur l’espace Nordeste et sur les populations indigènes de la côte océanique. Les retours
historiques nous permettent de comprendre le territoire tel qu’il est aujourd’hui et les
caractéristiques ethniques et sociales de la région et de Salvador de Bahia plus
particulièrement. Par la suite, nous verrons les migrations urbaines des populations indigènes,
par l’intermédiaire des processus et organismes indigénistes qui permettent l'intégration ainsi
que les raisons de leur départ. Enfin, nous verrons la Réserve Thá-Fene, qui constituera un
exemple de ma démonstration, dans le sens de l’évolution croissante de ces migrations et
d’une population indigène plus urbaine. Cet exemple sera caractérisé par l’étude
ethnographique de la spatialité et de l’occupation de cet espace. En effet, la petite population,
Kariri-Xocó et Fulni-ô, regroupée en famille, permet une étude très locale et détaillée de la
Réserve. Les liens familiaux étant prégnants dans les relations qu’ils entretiennent entre eux et
avec les villages d’origine, cela permet de réaliser l’étude à une échelle très locale.
15
I. Les populations indigènes nordestines marquées par l’empreinte
colonialiste
Comme toute l’Amérique Latine, le Brésil a été victime de la vague colonisatrice européenne,
et ce plus particulièrement dans le Nordeste, où les colons qui s’arrimaient, profitaient des
faiblesses des peuples d’alors. Comme toutes les colonies, le territoire qui constitue
aujourd’hui le Brésil a été laboratoire d’expérience religieuse et esclavagiste, au point de
toucher et de traverser les temps, car, encore aujourd’hui, les populations, les règles, les lois
ou encore les modes de vie sont, de Salvador de Bahia à Belém, marquées par cette empreinte
indéfectible de l’ère coloniale.
L’histoire des populations indigènes brésiliennes et plus particulièrement nordestines définit
assez clairement les tumultes et les défis auxquels elles ont été et sont confrontés, que ce soit
face aux pouvoirs colonisateurs dans un premier temps ou face aux belligérants nationaux et
régionaux dans un second temps. Actuellement en quête de stabilité sociale et politique, les
populations indigènes sont dans l’obligation d’avancer en prenant en compte leur histoire. Ils
ont pendant longtemps été discriminés, stigmatisés, forcés au travail et à la migration,
massacrés, expropriés. Aujourd’hui, leurs progrès passent par la redéfinition de leur statut, sur
les scènes politiques et idéologiques. Ici, il ne s'agit pas d'étudier la population de façon
chronologique, avec les différentes étapes de leur passé, mais bien d’essayer de comprendre
dans son ensemble la problématique autochtone au Brésil. Ainsi, si nous voulons parler de
l’indianité actuelle et de son évolution, nous devons parler, même brièvement, de son Histoire
afin de comprendre les conditions actuelles socio-spatiales de la population nordestine.
I.1. Entre esclavage et « reconnaissance »
Les populations indigènes ont été soumis aux autorités portugaises et ce dès le XVIème siècle.
Par l'intermédiaire d'un esclavage massif et d'expéditions mortelles, les communautés
nordestines ont vu leur population diminuer de manière drastique. En effet, une grande partie
de la communauté littorale a été contrainte à l'esclavage, provoquant souvent la mort ou la
migration. Malgré les politiques à visée indigéniste débutées au XVIIIème siècle, les
populations indigènes souffraient encore d'une extermination massive ou bien
d'expropriations brutales. Ces situations de précarité foncière et vitales ont marqué une
reconfiguration spatiale des territoires.
16
I.1.1. Le Nordeste colonial
Le territoire aujourd'hui appelé Brésil a souffert des jeux colonisateurs des métropoles
européennes. En 1500, lors de la découverte du nouveau territoire, faite au sud de l’État de
Bahia, de très nombreux accords et principes informels se succèdent entre les différentes
parties, constituées par les gouvernements portugais et espagnols d'une part et l'Eglise
Catholique d'autre part. Ainsi, chacune des parties, voulant tirer profit de ce nouveau territoire
aux ressources abondantes, a joué sur les écrits, les cartes et les démonstrations. Durant la
première moitié du XVIème siècle et suite à d'importants conflits économiques et
idéologiques, le Portugal, alors en avance technologique à cette période, pérennise « son »
territoire, en y installant des « capitaineries » le long de la côte, gérées par des donataires aux
« pouvoirs militaires, judiciaires et administratifs » (Droulers, 2001). Sous cette nouvelle
gouvernance, de grands espaces fonciers apparaissent et marquent alors le début des cultures
de canne à sucre et de bois. Ces cultures, auxquelles se combinent très vite les notions
d'esclavage et de travail forcé, sont extrêmement importantes en superficie, ce qui rend leur
gestion très difficile.
“Mais l'histoire généralise. Non? Alors chacun a pris une part du gâteau, la part du gâteau a
été divisée entre les jésuites, les bandeirantes et les sertanistas. Il y a trois part. Et tous
venaient d'Europe. Il y avait une lutte contre les Hollandais, contre les français, ici et au
nord. Au Pernambuco, il y avait une lutte parce qu'à ce moment-là, c'était l'extraction d'une
époque, à travers le bois, mais pas d'or, pas de diamants, pas de pierres, le bois. Ils en
utilisaient très peu – et tout le monde s'implantait dans cette politique, c'est ça….l'esclavage.”
Wakay7
La population indigène côtière se divise, principalement, en deux grands groupes linguistiques
avec d'un côté les Guarani, situés au sud, et de l'autre les Tupi, localisés dans le Nordeste (cf
figure 3 ci-après).
7 . Je m'appuierai tout au long de mon travail sur les propos qu'ont tenus Wakay et Lymbo. L'entretien ayant étant
très riche, les informations collectées sont utiles sur tous les plans du travail. Leur position de migrants indigènes en milieu
urbain ainsi que leur formation et réflexion leur confèrent une parole très intéressante et non négligeable. La position qu'ils
occupent à l'intérieur même de la Réserve Thá-Fene met en évidence l'importance de leurs propos.
17
Les grandes installations agricoles et le front pionnier exercé par les portugais empiétaient sur
les territoires indigènes et de nombreux conflits apparaissent alors. Bien que durant le
XVIème siècle, « les autorités coloniales reconnaissent des droits aux Indiens et légifèrent
pour promulguer l'égalité entre les Indiens, leurs descendants et les colons »8
, certains
territoires semblent être source de conflit important, comme sur l'ile d'Itamaraca (un peu au
nord de Recife, Pernambuco), où les indigènes, forts de leur alliance avec les français,
résistaient aux colons. Les donataires perdant peu à peu de leurs pouvoirs, Lisbonne, alors
centre de décision, instaure en 1549 le pouvoir et le nouveau gouvernement à Salvador de
Bahia, alors plaque tournante du commerce extérieur et port majeur du néo-territoire.
8 . Droulers, M (2001), « Brésil : une géohistoire », Paris, PUF, Géographies, 308 p.
Figure 3: Principales familles linguistiques d’Amérique du Sud
18
La canne à sucre représentait durant cette période la culture la plus importante, faisant alors
du Brésil le premier producteur mondial de sucre. Ces grandes plantations étant établies
notamment dans le Nordeste et son littoral, les autorités portugaises et grands propriétaires
fonciers voyaient alors l’occasion d’apporter des esclaves africains sur les rives de l’Océan
Atlantique pouvant travailler dans les cultures en compagnies des quelques populations
indigènes déjà sur place. Afin de « payer » ces esclaves, les colons mirent en place des
plantations de tabac et des élevages de bœufs dans le « sertão », zone semi-aride non-
cultivable du Nordeste. Alors, comme le note Hervé Théry, « autour de la canne à sucre se
constitua donc une véritable construction économique, sociale et géographique qui marqua
jusqu’à nos jours la structure du Nordeste »9
.
En effet, les mélanges culturels, sociaux et physiologiques ont logiquement et totalement
modifié le paysage balbutiant du Nordeste. La population africaine, apportant outils et
méthodes, s’est progressivement installée dans la région et nous avons encore aujourd’hui des
traces remarquables à Salvador de Bahia comme nous le verrons par la suite. Les populations
indigènes ont elles apporté leur culture (manioc notamment) et leur manière de vivre et les
colons portugais, par l’intermédiaire des missionnaires jésuites ayant pour objectif la
« catéchisation » qui ont été, selon Florent Kohler, « les premiers d’une longue série
d’oppresseurs »10
, leurs techniques, leurs idéologies et leur langue. Ces trois populations tout
à fait singulières se sont alors mélangées, « et on ne saurait oublier les liens charnels entre le
maître et ses esclaves, dont naquirent les premiers métis » (H. Théry, 2012).
Le Nordeste compose aujourd’hui la région la plus particulière du Brésil, et son Histoire,
extrêmement vite étudiée ici, peut en partie expliquer les caractéristiques culturelles et
sociales de la région. Comme le note Hervé Théry, « de cette époque, de ce cycle économique,
date donc la mise en place d’un complexe économico-socio-spatial dont bien des traits ont
survécu, notamment dans le Nordeste, faute d’être retouché par un cycle postérieur » (H.
Théry, 2012). Il faut par ailleurs noter deux types de villages indiens : l’aldeia d’une part, qui
constitue les villages indigènes formés de manière totalement indépendante des autorités
exogènes et qui se structurent selon les propres composantes sociales des populations et,
d’autre part, l’aldeamento, qui est un regroupement de populations indigènes dans un village
sous la contrainte des autorités portugaises de l’époque (L.F. Alencastro, 2002).
9 . Hervé Théry, Le Brésil, 6ème édition, 2012, Paris : Armand Colin, collection U, 296 pages
10 . Florent Kohler, « Du caboclo à l’indigène : réflexions sur l’ethnogenèse au Brésil », Journal de la société des
américanistes [En ligne], 95-1 | 2009,
19
Les populations indigènes ont vu leur quotidien être totalement modifié lors de l’arrivée des
colons portugais, où ils ont été soumis à l’esclavage pour certains, contraints de migrer pour
d’autres ou tout simplement exterminés. Les chiffres estimés de Darcy Ribeiro montrent bien
la baisse significative de la population « d'indiens isolés », où l'on comptait au départ environ
mille groupes ethniques distincts : 5 millions en 1500, 4 en 1600, 2 en 1700 et 1 petit million
en 1800. (D. Ribeiro, 1995). Mais comment expliquer ces chiffres tout aussi effrayants
qu’importants et qui ont impact certain sur la relation « population indigène-société
brésilienne » d’aujourd’hui ?
Durant le XVIIème siècle, dans le territoire néo-portugais, aussi développé soit-il, les colons
s’organisaient et mettaient petit à petit en place une réelle autorité politique associée à une
croissance agricole très forte. De São Paulo à Belém, les littoraux étaient occupés de cultures
céréalières et de canne à sucre. Une spécialisation de la culture du blé s’installa à São Paulo,
et les plus gros importateurs étaient, du fait de la guerre luso-hollandaise, les populations de
Nordeste. Associées à cette appropriation agricole de l'espace, apparaissent les missions et
expéditions appelées « bandeiras », dans le seul but de conquérir le territoire. Une certaine
catégorie de la population pauliste se voyait alors confier ces expéditions, cherchant, durant
cette période, à chasser les populations indigènes et à les soumettre à l’esclavage, et ce dans
tout le Brésil11
, afin de les envoyer dans les cultures céréalières du sud. Mais, comme le
souligne Luiz Felipe de Alencastro, « dès le rétablissement des liens réguliers entre le Brésil
et le Portugal, la céréaliculture de São Paulo perdit ses marchés du Nordeste, entra en crise
et disparut ». Les bandeirantes sont alors devenus, suite à l’abandon de la chasse à l’indien
pour en faire un esclave, des « tueurs d’indiens, au service des grands propriétaires du
Nordeste » (L.F. Alencastro, 2002). Suite à ce nouveau statut et ces nouvelles missions, éclata
la « Guerre des Barbares », s’étendant de 1651 à 1704, où les populations indigènes ont subi
une vraie extermination, de Bahia jusqu’à Belém.
En plus de ces expéditions, les colons portugais voyaient la pression foncière s’accentuait,
notamment pour les cultures et l’élevage. L’esclavage passant au second plan, c’est
l’expansion territoriale qui prône alors. Cela a pour conséquence directe l’extermination déjà
entamée des populations indigènes, sur toutes les côtes atlantiques. Les peuples Tupi, Kariri
ou encore Tapuya sont les premières victimes de cette guerre des natifs.
11 . « Les plus fameuses, la bandeira fluviale de Pedro Teixeira (1637-1639) et l’épopée d’Antonio Raposo Tavares
(1648-1651), parcourent des milliers de kilomètres et sont décisives pour la reconnaissance des territoires, ainsi que pour
l’extension des limites de la souveraineté portugaise dans l’ouest et en Amazonie. » (M. Droulers, 2001 : 65)
20
Ce processus colonial a donc été accompagné durant plusieurs siècles par l’esclavagisme. Au
fur et à mesure de cette extermination massive, des revendications se mettent en place, et le
début d’une politique indigéniste voit pendant la première moitié du XVIIIème siècle, mais
ces progrès apparaissent alors uniquement comme une illusion.
I.1.2. L'esclavage masqué des populations indigènes
Les populations indigènes ont ainsi été chassées, stigmatisées et exterminées, et cela au nom
de l’appropriation territoriale des colonisateurs portugais, qui ont largement profité des
faiblesses des populations indigènes par rapport à la leur, notamment en leur supprimant leur
identité propre, comme le souligne Marcio André Braga : « Cette attribution d’identité a
marqué le départ de la déconstruction d’identité culturelle des populations indigènes,
laquelle a continué avec l’envoi de missionnaires religieux venus regrouper les indiens pour
les missions, « les remettant sur la voie », pour leur présenter la foi catholique à travers la
catéchisation, les modèles de convivance et les modèles de production qui étaient intéressants
pour les colonisateurs. »12
Ces entreprises coloniales ont constitué un véritable génocide, terme employé par un certain
nombre de chercheurs pour définir cette période. Les populations indigènes n'avaient que très
peu de moyens techniques pour rivaliser ou même protester. Ils devaient donc se soumettre
aux maîtres portugais, sans avoir l'espoir que cet ethnocide se termine. Les populations
indigènes ont donc connu de véritables combats et luttes avec les portugais. En plus de cela, la
forme de travail imposée aux populations indigènes était éprouvante. La culture du sucre et
l'extraction de bois étant les deux plus importantes activités des portugais à cette époque, la
main-d’œuvre devait être abondante. Ainsi, beaucoup d'esclaves, indigènes et africains,
fuyaient les camps et les champs de travail. Allant vers l'intérieur des terres, ils créaient de
véritables villages-refuges. C'est ainsi qu'ont été créé les quilombos, villages d'esclaves et de
réfugiés à l'intérieur du Brésil, sujet sur lequel je ne peux m'attarder ici.13
Cette main-d’œuvre était directement « prélevée » dans les villages indigènes de la côte
océanique. Cette prise de force a causé la suppression de bon nombre de villages indigènes du
12 . « Essa atribuição de identidade marcou o início do processo de desconstrução da identidade cultural das
populações indígenas, o qual continuou com o envio de missionários religiosos que passaram a agrupar os índios em missões,
reduções e aldeamentos, para lhes apresentar a fé católica e, através da catequização, os padrões de convivência e os modelos
de produção que eram interessantes ao colonizador. » p. 174 in BRAGA, Márcio André. Identidade étnica e os índios no
Brasil. Dimensões, Espírito Santo, vol. 18, 2006, p.172-185
13 . Pour plus de précision sur les quilombos, importants lieux d'histoire du Brésil, je renvoie à cet ouvrage très
complet : E. C. O’Dwyer. Quilombos: identidade étnica e territorialidade. São Paulo: ABA/FGV, 2002. 293p.
21
Nordeste. En effet, la reproduction à l'intérieur des villages ne pouvant être assurée à cause de
la mise en esclavage des hommes, le village voyait sa population diminuait de manière
draconienne. C'est l'une des raisons qui explique la faible densité (en comparaison avec cette
époque) de réserves et villages indigènes dans le Nordeste actuel, notamment dans les Etats
du Pernambuco, de l'Alagoas et de Bahia.
Au fur et à mesure de l'évolution des mentalités et des besoins, le statut des populations
indigènes s'est vu modifié. Le XVIIIème siècle marque ainsi un changement majeur dans la
relation que pouvaient avoir les maîtres avec les esclaves, puisque, comme le note Natalia
Moreira, « avec les diverses lois du Diretório Pombalino dans la seconde moitié du XVIIIème
siècle, l'indigène a maintenant la liberté légale de vendre sa main-d’œuvre en échange d'un
salaire. »14
. Les études historiques réalisées sur cette période ne sont pas nombreuses ni
réellement précises. En effet, l'abolition de l'esclavage des populations indigènes n'a pas de
date figée, comme en témoigne les documents de recherche se contredisant les uns aux autres.
Selon Yuko Miki, c'est en 1831 que l'esclavage indigène est entériné :
« Tandis que l'abolition de l'esclavage noir en 1888 et ses conséquences sont bien
documentées, les chercheurs doivent encore entièrement examiner comment l'esclavage
indigène, aboli en 1831, a continué en pratique pendant des décennies. Ensemble, ces deux
types d'esclavage ont révélé la nouvelle incapacité nationale à abandonner sa dépendance au
travail des esclaves malgré des efforts visant à promouvoir le travail libre15 ». Yuko Miki
Les populations indigènes ne sont alors plus soumises à un esclavage barbare, mais ont la
liberté de vendre, ou non, leur force de travail et ce en étant rémunéré. En 1757, les lois du
Marquis de Pombal et la création du Diretório dos índios marquent les premières politiques
indigénistes du Brésil, auxquelles ont succédées de nombreuses autres réformes et lois (Da
Cunha M.C., 1992). Ces politiques n'ont pas été totalement suivies d'une situation plus
favorable aux indigènes, puisque l'esclavage était encore appliqué. Certains pouvoirs
provinciaux n'hésitaient pas à exproprier de manière sauvage les populations de leurs terres
14 « Com as diversas leis do Diretório Pombalino na segunda metade do século XVIII, o indígena passou a ter a
liberdade legal de vender sua mão-de-obra em troca de salário », p. 117, in SILVA, N. M. . Papel de índio: políticas
indigenistas nas províncias de Minas Gerais e Bahia na primeira metade do oitocentos (1808-1845). 1. ed. Rio De Janeiro:
Multifoco, 2014
15 . « While the abolition of black slavery in 1888 and its aftermath are well documented, scholars have yet to fully
investigate how Indian slavery, abolished in 1831, continued in practice for decades. Together, these two types of slavery
revealed the new nation’s inability to end its dependence on slave labor in spite of efforts to foster free labor. » p. 2 in Yuko
Miki (2014) Slave and Citizen in Black and Red: Reconsidering the Intersection of African and Indigenous Slavery in
Postcolonial Brazil, Slavery & Abolition: A Journal of Slave and Post-Slave Studies, 35:1, 1-22,
22
ancestrales ou menaient des « expéditions offensives » dans les villages, à qui ils offraient de
choisir entre l'abandon de leurs terres, la mort ou l'esclavage (Da Cunha M.C., 1992). Les
politiques indigénistes étaient donc, sur le papier, un moyen d'apaiser les tensions mais, en
réalité, les pouvoirs publics, locaux notamment, exerçaient de leur autorité sans prendre en
compte ces nouvelles réformes.
L'esclavage indigène sauvage étant de moins en moins pratiqué, cette période marque le
rebond de l'importation d'esclaves venus d'Afrique. Le territoire brésilien, et notamment
nordestin, est alors occupé par une nouvelle population, tandis que les populations indigènes
profitent des nouvelles politiques indigénistes pour fuir, comme l'ont fait certains groupes
ethniques auparavant. En effet, les migrations des populations indigènes du littoral ont été très
nombreuses durant les siècles qui ont suivis la découverte du territoire, notamment en raison
de l'esclavage et des envahisseurs portugais. Ces migrations marquent une reconfiguration
totale de l'espace et de l'occupation du territoire nordestin, puisque c'est dans cette région que
se sont produites la plupart des actions colonisatrices et esclavagistes.
I.2. Les périodes migratoires des populations indigènes
Afin d'avoir la meilleure compréhension possible sur un sujet aussi vaste que sont les
populations indigènes et leurs migrations actuelles, il paraît important d'évoquer, même
brièvement, les migrations « indiennes » nordestines des siècles précédents. Le Nordeste
apparaît lui-même comme un sujet d'étude propice à la recherche, car c'est le premier
territoire découvert, l'espace où se sont installées les capitaineries portugaises et c'est aussi le
territoire où l'on recensait le plus de populations indigènes. Les migrations paraissaient alors
évidentes : des colons portugais aux expropriations étatiques en passant par les mouvements
jésuites, les populations ont dû se soumettre aux départs, tantôt pour échapper à la servitude
esclavagiste tantôt pour gagner du territoire.
I.2.1. Des populations soumises au départ
« Ces populations ont été soumises à des migrations permanentes, des déstructurations
sociales et une retérritorialisation, et ce tout au long des 500 années de contacts avec les
européens et la société nationale. »16
16 . Essas populações são levadas a permanentes migrações, desestruturações sociais e reterritorialização, ao longo dos
500 anos de contato com europeus e da sociedade nacional. » p.6 in Vieira, Jorge Luiz Gonzaga. Povos do Sertao de
Alagoas : confinamento, diáspora e reterritorialização, incelencias revista do Nucleo de programas de pesquisa. CESMAC.
Maceió, 2010.
23
Cette citation n'est bien entendu pas anodine. Elle nous permet de faire le constat suivant : les
populations indigènes brésiliennes se sont, de tout temps, déplacées au gré des opportunités
et, surtout, des invasions et autres conflits idéologiques et territoriaux. Comme le rappelle
Alfred Métraux au sujet des Tupi-Guarani, « ils [les Tupi-Guarani] semblent avoir toujours
été une race remuante. Déjà dans les temps précolombiens leurs migrations ont été
nombreuses ; la dispersion de leurs tribus à des distances énormes en fait foi »17
. Comme il
l'explique très bien, et ce quelques fois en dépit d'un vocabulaire adapté et allant à l'encontre
d'autres auteurs, les Tupi-Guarani se sont toujours déplacés dans le territoire aujourd'hui
appelé Brésil. Certains groupes ethniques des Tupi-Guarani, tels que les Tapuyas, les
Tupinambas ou encore les Tupinas se sont successivement combattus afin de gagner les
territoires d'autrui, notamment la côte du Nordeste actuel comme le souligne Alfred Métraux :
« Les Tupina furent à leur tour expulsés par les Tupinamba qui, après avoir traversé le São
Francisco, abandonnèrent le « sertão » pour s'établir sur le rivage de la mer »18
. Ces conflits
étaient notamment localisés dans les actuels états de Bahia, du Pernambuco, du Maranhão et
de Pará. De fait, de très nombreuses migrations, en mêmes temps qu'un fractionnement des
groupes ethniques, se sont faites sur le territoire et sur de grands espaces. Le Nordeste et le
Norte ont donc été témoins de déplacements ethniques majeurs, et les populations indigènes
de cette époque étaient tantôt poussées vers la côte tantôt poussés vers l'intérieur des terres et
plus particulièrement vers l'Amazone19
.
Certaines populations indigènes, malgré leurs migrations pré-colonisation, ont largement été
soumises aux « envahisseurs portugais », lesquels, comme expliqué plus haut, les ont
soumises à l'esclavage et, donc, forcées au départ de leurs terres ancestrales tout au long du
XVIème, XVIIème et XVIIIème siècle. Sous l'impulsion de Mem de Sá, gouverneur du Brésil
entre 1558 et 1572, les populations indigènes devaient vivre sous les ordres des colons et dans
les « aldeamento », fournissant en main-d’œuvre les travaux agricoles. Conjugué à ce
déplacement forcé dans des « camps », qui deviendront par la suite interdits aux blancs de
peur « de les voir succomber aux séductions d'un mode de vie proche de la nature qui attire
bon nombre d'entre eux » (M. Droulers, 2001), les populations indigènes fuient aussi la
catéchisation des missionnaires jésuites et l'obligation d'apprendre la langue nationale.
17 . Métraux Alfred. Migrations historiques des Tupi-Guarani. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 19,
1927. pp. 1-45.
18 . Gabriel Soares de Souza, Tradado Desciptivo do Brasil em 1587 in Alfred Métraux
19 Ne pouvant m'étaler sur les caractéristiques migratoires de chaque groupe ethnique Tupi-Guarani du territoire, je
renvoie à l'annexe 1 où le tableau et sa carte, élaborés par Alfred Métraux, dépeignent, à mon sens, parfaitement les
mouvements de populations de cette époque.
24
Comme le note Martine Droulers, « le plus souvent, peu enclins à la lutte armée, ils [les
indiens] sont systématiquement repoussés et largement éliminés, même lorsqu'ils sont
reconnus comme pacifiques » (M. Droulers, 2001). Ainsi, comme le décrit de manière
incroyablement précise Gabriel Soares de Souza dans son ouvrage Tratado descriptivo do
Brazil em 1587, les colons portugais exerçaient une telle pression foncière, territoriale et
sociale sur les populations indigènes vivant sur la côte que ces dernières étaient dans
l'obligation de migrer vers l'intérieur des terres. Les colons portugais exerçaient alors une
« chasse à l'indien », volontairement et involontairement, combinée à l'extermination d'autres
comme le fait remarquer Alfred Métraux selon Soares de Souza : « Ceux qui ne furent tués ou
réduits en servitude durent se retirer vers l'intérieur, à 50 lieues du littoral ». (A. Métraux,
1927).
Comme le note Alfred Métraux, quelques ouvrages évoquent les migrations des populations
indigènes des capitaineries du Nordeste et ailleurs dues « aux atrocités portugaises ». Suite à
ces invasions territoriales, certains territoires ressortent comme un lieu d'accueil plus
favorable que d'autres. Les Tupinamba notamment fuient les Etats du Pernambuco et de Bahia
pour s'établir dans l’État du Maranhão, état le plus au nord du Nordeste actuel ou vers l'ouest,
vers l'Amazonie voire le Pérou actuel (cf figure 4 ci-après). Malgré l'absence de détails plus
spécifiques sur l'origine spatiale de ces migrations vers le Pérou comme le souligne Alfred
Métraux, il est presque certain que les populations provenaient de la côte brésilienne. Ces près
de 12 000 individus indigènes sont partis, pour certains, dans le seul but de trouver
l'eternalité20
; pour d'autres, ils sont partis dans le seul but d'échapper à la servitude appliquée
par les portugais et pour d'autres enfin ces migrations relevaient de la volonté d'expansion
territoriale. Ces groupes d'indigènes étaient la plupart du temps accompagnés par un certain
nombre de portugais qui souhaitaient profiter des découvertes (en termes de territoires et de
richesse). Il est alors intéressant de relever que les populations indigènes n'avaient pas
d'amertume particulière pour « l'étranger » que représentait le colon portugais. Peut-être
pouvons-nous voir ici une sorte d'arrangement tacite, d'entraide plus ou moins acceptée, où les
deux parties trouvent leur intérêt.
20 . Certaines migrations étaient basées sur les croyances cosmologiques des populations, à la recherche du « paradis
terrestre ».
25
Ces migrations des Tupi-Guarani sont donc le symbole d'une résistance faite aux colons
portugais, mettant en exergue les difficultés que les populations côtières pouvaient rencontrer
vis-à-vis du nouveau pouvoir. Des populations côtières qui étaient aussi composées de
Pankaruru, de Kariri ou encore de Fulni-ô qui ont, elles aussi, beaucoup migré vers l'ouest du
territoire pour ne pas succomber aux menaces de servitude des colons portugais. Comme le
rappelle Jorge Luiz Gonzaga Vieira, « la présence des colonisateurs a provoqué la
Figure 4: Principaux mouvements migratoires des populations au XVème
e XVIème siècle en Amérique du Sud
26
désoccupation obligatoire des peuples de leurs territoires traditionnels et, conséquemment, la
déstructuration des organisations sociales, politiques et ethniques. Les peuples ont été obligés
de se réfugier dans d'autres espaces étrangers à leur habitat »21
.
Les migrations sur le territoire et les alliances qui ont en ont découlé ont provoqué des
particularités ethniques, tout comme les relations ambiguës qu'entretenaient les maîtres
portugais avec leurs esclaves. Ainsi, les récits et les diverses explications de l'appartenance de
ces groupes ethniques à tel ou tel groupe linguistique sont quelques fois controversés, à
l'image de l'ouvrage de Estevao Pinto, Alguns aspectos da cultura artistica dos Pancararu de
Tacaratu, Revista do Patrimonio Historico e Artistico Nacional en 193822
, qui, selon Dirceu
Lindoso, « les indécisions de Estavão Pinto augmentent les difficultés historiques et
ethnographiques concernant l'ethnonyme « Tapuia »23
».. L'espace nordestin apparaît alors
comme le territoire symbolique des modifications ethniques, où la catégorisation de chacun
des groupes s'est avérée complexe et difficile à identifier de manière très claire.
I.2.2. Les mélanges ethniques
A travers ces migrations, volontaires ou forcées, de nombreux groupes ethniques sont issus
des mêmes origines (Tupi ou Guarani, pour ne citer qu'eux), se divisant ainsi en sous-groupes,
éparpillés sur le territoire. La colonisation a aussi entraîné une certaine miscégénation,
rapports de mariage entre groupes ethniques plus vastes, tels que les colons portugais avec des
femmes indigènes et/ou africaines. Une vraie relation inter-ethnique et donc d'interactions
entre les territoires se sont produits sur le sol brésilien, et cela a conduit à des spécificités
sociales caractéristiques du Brésil actuel, issues d’un processus historico-culturel.
Jusqu’à la fin de l’esclavage en 1888, les relations entre les trois « races », terme le plus
couramment utilisé à l’époque, ont construit le Brésil d’aujourd’hui. Associée à l’expansion
géographique, le Nordeste apparaît comme le territoire le plus marquant. En effet, durant ces
trois siècles, où alternaient chasse à l’indien et immigration africaine, portugaise et française,
les groupes ethniques n’avaient pas d’autres choix que de se côtoyer. Et lorsque l’on parle des
21 . « A presença dos colonizadores provocou a desocupação compulsória dos povos de seus territórios tradicionais e,
conseqüentemente, a desestruturação das organizações sociais, políticas e étnicas. Os povos foram obrigados a se refugiarem
em outros espaços estranhos ao seu habitat. » p.11 in Vieira, Jorge Luiz Gonzaga. Povos do Sertao de Alagoas :
confinamento, diáspora e reterritorialização, incelencias revista do Nucleo de programas de pesquisa. CESMAC. Maceió,
2010.
22 . Pinto, Estevão.“Alguns aspectos da cultura artística dos Pancarús de Tacaratu”. In: Revista do Serviço do
Patrimônio Histórico e Artístico Nacional nº 2, 1938.
23 . « De certa maneira, as indecisões de Estevão Pinto aumentam as difuculdades historicas e etnograficas sobre o
signifcado do etnônimo “Tapuia“. » p. 211 in Lindoso, Dirceu, and Bruno César Cavalcanti. Lições de etnologia geral:
introdução ao estudo de seus princípios : seguido de dois estudos de etnologia brasileira. Maceió, AL: EDUFAL, 2008.
27
relations entre maîtres et esclaves, il nous est impossible de passer à côté de l’œuvre
magistrale de Gilberto Freyre, « Casa-Grande e Senzala »24
dans son titre original. Dans cet
ouvrage, l’auteur nous explique et nous donne toutes les clés de la compréhension des
relations entre les envahisseurs (portugais, français et hollandais) et les esclaves (population
venue d’Afrique et population indigène).
« La réaction à la domination européenne, dans l’aire amérindienne envahie par les
Portugais, fut celle de la pure sensibilité et de la pure contraction végétale, l’Indien se
retirant ou se contractant au contact civilisateur de l’Européen, dans son incapacité de
s’adapter à la nouvelle technique économique, au nouveau régime social et moral. » p.95
Au cours du XVIème siècle, le manque cruel de femmes chez les colons portugais était
évident, et ne permettait pas de peupler la côte brésilienne. Aussi, les mœurs différentes
(indiennes nues, libertinage, échanges de culture) ont permis ce repeuplement et une nouvelle
catégorie de population est apparue : les mamelucos, appelés par la suite les métis. Les
mariages inter-ethniques étant prohibés par l’église jésuite durant cette époque, la plupart des
enfants se retrouvaient qu’avec leur mère ou même seuls. L’agriculture de la canne à sucre
dans toutes les capitaineries du Nordeste (de Bahia jusqu’au Maranhão) se développait très
rapidement, et la main-d’œuvre devenait de plus en plus nécessaire. Plus il y avait d’esclaves,
plus il y avait d’interactions. Les métis ont eu un rôle très important durant ces trois siècles
puisqu’ils accompagnaient souvent les nouveaux explorateurs, les pionniers et les
bandeirantes. Ils facilitaient la communication et les échanges entre les portugais et les
populations indigènes. Les métis et les mariages inter-ethniques devenant de plus en plus
socialement acceptés par les pouvoirs (politique et religieux), nous avons donc aujourd’hui
une partie de la population brésilienne issue de ce métissage.
La diversité ethnique du Nordeste provient notamment de ces relations et mariages mais
personne n’oublie aujourd’hui ses origines, comme le signale Wakay :
« Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, nous faisons partie d’une grande masse très
mélangée, nous avons des descendants afro-indigènes, nous avons des individus indigènes
descendants d’européens, nous avons des individus seulement indigènes. Mais qui naît parmi
les Kariri est Kariri. Il peut avoir les yeux bleus, il est Kariri. ». Wakay
La miscigénation a eu un impact considérable sur la population brésilienne, accélérant d’une
24 . Freyre G., 1979, Maîtres et esclaves, Paris, Gallimard
28
part la croissance de la population et mettant en œuvre d’autre part un processus ethnique
complexe. En effet, la rapide croissance d’une catégorie de population issue de deux groupes
ethniques différents a rendu le processus d’identification difficile, comme le démontre
Martine Droulers à travers le recensement brésilien de 1976, où sont ressortit 136 couleurs
différentes (Annexe 2) (M. Droulers, 2001). Dans ce contexte, il nous est donc impossible
d’identifier l’origine exacte de chaque individu, notamment car le recensement se fait selon
l’auto-identification et dépend de la couleur de peau de l’enquêteur. En revanche, Martine
Droulers nous montre que la distribution géographique des « couleurs » varie : 65% de la
population du Nordeste se dit métisse et seulement 27% dans le Sudeste, et « à Salvador de
Bahia, tenue pour la ville noire du Brésil, les Noirs constituent 18% de la population et les
métis 60% ; la population métisse assume l’ « héritage du Noir » ». (M. Droulers, 2001 : 195)
Les Etats du Nordeste, qui constituaient les capitaineries principales lors de la période
d’esclavage, se sont bâties sur l’agriculture de la canne à sucre et sur la relation autoritaire
entre « le maître et l’esclave » et ce jusqu’à la fin du XIXème siècle. Le rôle dynamique des
migrations ont reconfiguré avec verve le paysage nordestin, et ce même dans les premières
villes du territoire. Dans le contexte d’une nation métisse fondée sur ces caractéristiques
particulières, Salvador de Bahia, ville aux multiples rôles, symbolise aujourd’hui ce processus
historico-culturel des cinq derniers siècles.
I.3. Le contexte urbain de la Région Métropolitaine de Salvador
Comme expliqué en introduction, mon sujet d'étude de départ se portait sur l'intégration
urbaine des populations indigènes à Salvador de Bahia. Ville aux symboles multiples
(historiques, sociaux et culturels), elle apparaît comme une cité mystique, comme un territoire
où les enjeux ont été et sont des plus complexes, et semble traverser le temps, aspirant d'un
côté les contradictions humaines et expiant l'héritage des heures les plus sombres du Brésil de
l'autre. Véritable référence urbaine dans le Nordeste et au Brésil, elle se révèle comme un
espace d'étude aussi passionnant qu'abscons.
29
I.3.1. Présentation générale de Salvador
Érigée première capitale du Brésil, entre 1549 et 1763, la ville actuelle le manifeste et le
valorise, notamment à travers son slogan (« A primeira Capital do Brasil »). Aujourd'hui
capitale de l’État de Bahia, aux superficies démesurées (564 733km2 soit plus que la France
métropolitaine), la ville comptait 2.675.656 habitants en 2010 (Censo do IBGE/2010)
constituant ainsi la troisième plus grande ville du Brésil derrière São Paulo et Rio de Janeiro.
La Région Métropolitaine de Salvador, comptant quatorze municipes, comptait elle 3 573 973
habitants, la plaçant au septième rang des régions métropolitaines brésliennes.
Source : http://www.ub.edu
Figure 5: Les villes de la Région Métropolitaine de Salvador
30
Ce rapide aperçu sur les caractéristiques démographiques de Salvador nous rend compte de
l'importance de la ville sur le territoire brésilien, et encore plus dans le Nordeste et l’État de
Bahia, majoritairement rural et pauvre. Comme s'est permis Milton Santos25
de le signifier, la
ville de Salvador apparaît, « en lien avec l’État de Bahia comme une sorte de réplique, toutes
proportions gardées, à ce que la France appelle, par convention, “Paris et le désert
français“ »26
. De plus, son statut d'ancienne capitale et sa localisation sur les bords de l'Océan
Atlantique lui offrent la possibilité de s'émanciper et de croire en un développement urbain et
social potentiel important.
Lors de la découverte du territoire en 1500, les colons portugais ont accosté à l'embouchure
du Rio do Queimado, à environ 650km au Sud de Salvador. Il n'est donc pas étonnant que la
ville ait été l'une des pierres fondatrices du territoire. Ainsi, durant les siècles suivants, la ville
s'est développée, forte de son statut de capitale, assurant la liaison entre Lisbonne et le
nouveau territoire, pouvant gérer les échanges commerciaux des nouvelles ressources
(humaines et agricoles) grâce à ses ports et défendre le territoire des attaques ennemies.
Comme l'explique Pedro de Almeida Vasconcelos, « Salvador était formée d'une île basse
commerciale et portuaire, étroite, et d'une ville haute où se sont installés les principaux
établissements religieux, publics et privés, bien protégés et jouissant des meilleurs conditions
climatiques » (P. A. Vasconcelos, 2000 : 79).
Actuellement, les particularités de Salvador de Bahia résident dans sa trame urbaine, dans les
modes de vie, dans sa culture (musicale, culinaire, artistique, architecturale…) et dans sa
population, qui sont chacun issus de l'héritage colonial de la ville. Lorsque nous nous
promenons dans la ville, nous remarquons aisément cette ville haute, où se concentrent le
centre historique (le Pelourinho dans le quatier Comercio, à l’ouest de la ville comme nous
pouvons le voir su la figure 6), les églises jésuites et les rues pavées où affluent les touristes.
Les immeubles, faisant office aujourd'hui d'hôtels ou d'auberges (pousadas), sont bas (pas
plus de trois étages) et se distinguent par leurs couleurs vives. Les commerces, à vocation
principalement touristique (cartes postales, objets artisanaux, tuniques, instruments, centres
25 . Milton Santos fait partie des chercheurs brésiliens les plus influents. Géographe et penseur, il fit ses études à
Salvador de Bahia et à Strasbourg (où il a réalisé sa thèse sous la direction de J. Tricart). Il a par la suite enseigné partout
dans le monde (Paris, Toulouse, MIT, Toronto, Lima, Dar es Salaam entre autre) et a largement contribué à l'évolution de la
pensée géographique.
26 . Santos, M. Salvador e o deserto. Revista Brasileira dos Municípios, Rio de Janeiro, v.12, n.47/48, p. 127-128,
jul./dez.1959.
31
internet) s'entrechoquent avec les bars et restaurants. Autour, déambulent les vendeurs de
rues, vendant boissons (eau, bières) et autres objets manufacturés sur place (colliers, bracelets,
boucles d'oreille,…) au milieu des mendiants de tout âge, espérant le peu de dons qu’offrent
les touristes
Source : CIAGS - Centro Interdisciplinar de Desenvolvimento e Gestão Social
Beaucoup de lectures (touristiques et journalistiques) que nous pouvons avoir sur la ville de
Salvador mettent en garde contre la violence urbaine et la mendicité, au grand dam des
brésiliens. Le centre-ville étant relativement restreint, les habitants de Salvador préfèrent s'en
éloigner, et occupent ainsi les plages, situées notamment sur la côte océanique, et les très
grands “shopping-centers“, construits il y a de nombreuses années pour favoriser la
consommation et les déplacements intra-urbains. Nous retrouvons alors une certaine catégorie
de la population dans ces centres commerciaux et, comme j'ai pu le remarquer, une classe
sociale moyenne voire aisée restant une bonne partie de la journée dans ces centres, profitant
des commerces (vêtements, hi-fi, mobiliers et parfums principalement) et des restaurants. Ces
centres commerciaux offrant l'avantage d'être hyper-sécurisés, la part de la population la plus
aisée vivent et utilisent ces lieux comme lieux de rencontre et lieux de vie, au détriment de la
Figure 6: Les différents quartiers de la ville de Salvador de Bahia
32
rue devenue simple passage ou simple lieu de mendicité. La plupart des centres (commerciaux
et résidentiels) sont reliés par d'importants axes routiers, sorte d'autoroutes urbaines, facilitant
la circulation et l'accessibilité.
La ville de Salvador met en exergue la ville coloniale type : un centre historique sur les
hauteurs, ses ports en contre-bas ; un développement tardif de sa périphérie, bloquée un temps
par les fortifications ; l'importance cruciale de l’Église dans la construction urbaine et sur sa
prégnance spatiale dans la ville qui symbolise bien son importance dans l'édifice étatique et
social brésilien.
La grande particularité de la ville réside également dans sa population, qui se caractérise par
un multiculturalisme très important qui, là aussi, est issu du passé colonial du pays. En effet,
lors du recensement brésilien de 2005, nous pouvions noter que la RMS comptait 18,3 % de
« blancs », 26 % de « noirs » (preto), 54,9 % de métis (pardo) et 0,7 % d'indigènes. Il faut
noter, encore une fois, que les recensements se font selon l’auto-détermination, ce qui rend les
choses plus complexes qu'elles n'en ont l'air comme le souligne Richard Marin : « Compte
tenu de l'intériorisation par ses victimes du préjugé racial, la sous-évaluation des Mulâtres et
des Noirs est évidente mais impossible à mesurer. » (R. Marin, 1992 : 136). Ces chiffres font
de la ville de Salvador la ville où nous comptons le plus d’afro-brésiliens, et symbolise de fait
le multiculturalisme de l’ancienne capitale. C’est ce multiculturalisme qui nous amène à
identifier les particularités, qui nous ouvre les yeux sur les caractéristiques propres à la ville et
permet d’obtenir une vision plus large de la ville grâce aux détails qui la font.
Les migrations internes brésiliennes ayant considérablement augmenté lors durant la
deuxième moitié du XXème siècle, la ville de Salvador a été témoin du phénomène suivant :
une part importante de la population rurale bahianaise a migré vers la ville en même temps
qu'une part importante de la population de Salvador a migré vers d'autres région
métropolitaines. Les dynamiques migratoires actuelles se concentrent donc dans l'est du pays,
où des échanges réguliers se produisent entre les Etats et entre les grandes Régions
Métropolitaines. De grandes tendances ressortent alors : la population de Salvador migre vers
le sud du pays en quête de stabilité sociale et professionnelle tandis que certains habitants du
sud migrent vers le Nordeste et occupent alors des emplois sous-payés tels que la vente de rue
ou le travail domestique. Salvador présente un solde migratoire négatif, dans le sens où elle
accueille moins de migrants (de l'intérieur de l’État surtout) mais voit, au contraire, plus
d'émigrants partir vers le sud, notamment Sao Paulo, même si la tendance est à la baisse (cf
33
figure 7).
Figure 7 : Les migrations de et vers l'Etat de Bahia entre 1995 et 2010
Etats
Immigrants (origine) Emigrants (destination)
1995-2000 2005-2010 1995-2000 2005-2010
Chiffres
absolus
%
Chiffres
absolus
%
Chiffres
absolus
%
Chiffres
absolus
%
Rondônia 1 134 0.5 1 014 0.4 2 621 0.5 1 895 0.4
Acre 76 0 68 0 190 0 378 0.1
Amazonas 755 0.3 682 0.3 819 0.2 841 0.2
Roraima 277 0.1 130 0.1 225 0 361 0.1
Pará 2 944 1.2 4 171 1.8 5 000 1.0 3 337 0.7
Amapá 29 0 55 0 170 0 134 0
Tocantins 1 535 0.6 1 330 0.6 2 071 0.4 2 756 0.6
Maranhão 1 941 0.8 1 935 0.8 1 729 0.3 2 555 0.5
Piauí 2 924 1.2 3 468 1.5 3 736 0.7 2 960 0.6
Ceará 6 655 2.7 7 509 3.3 7 346 1.4 5 181 1.1
Rio Grande do Norte 1 673 0.7 1 715 0.7 2 963 0.6 2 383 0.5
Paraíba 4 423 1.8 4 081 1.8 4 698 0.9 3 270 0.7
Pernambuco 23 139 9.2 17 872 7.8 17 696 3.4 18 165 3.9
Alagoas 7 832 3.1 8 141 3.6 3 885 0.7 4 351 0.9
Sergipe 13 433 5.4 11 526 5.0 17 094 3.3 17 733 3.8
Minas Gerais 19 859 7.9 20 627 9.0 36 772 7.1 38 101 8.2
Espírito Santo 14 447 5.8 11 010 4.8 31 743 6.1 39 523 8.5
Rio de Janeiro 15 280 6.1 13 891 6.1 29 035 5.6 27 031 5.8
São Paulo 105 691 42.2 89 695 39.1 277 306 53.5 215 005 46.1
Paraná 4 023 1.6 4 661 2.0 5 145 1.0 6 376 1.4
Santa Catarina 1 215 0.5 1 541 0.7 1 904 0.4 7 392 1.6
Rio Grande do Sul 3 600 1.4 3 443 1.5 2 136 0.4 2 889 0.6
Mato Grosso do Sul 1 299 0.5 1 317 0.6 1 621 0.3 2 216 0.5
Mato Grosso do Sul 1 891 0.8 2 199 1.0 4 479 0.9 3 538 0.8
Goiás 7 580 3.0 8 336 3.6 32 067 6.2 37 144 8.0
Distrito Federal
(Brasilia)
6 917 2.8 8 809 3.8 25 587 4.9 20 845 4.5
Total 250 571 100 229 224 100 518 036 100 466 360 100
Souce : Censo IBGE
L'attractivité de Salvador a ses limites spatiales, puisque elle n'est attractive que sur un rayon
régional.
Les processus spatiaux de la croissance urbaine de Salvador se construisent sur cette
singularité migratoire, multiculturelle, sociale et économique. L’histoire de Salvador, faite de
ruptures et de mutations, constitue le cœur et l’emblème de la ville. Celle-ci ne peut être
étudiée sans la prise en compte de son passé qui n’est que le reflet de son statut actuel et de
son caractère.
Si la ville présente aujourd’hui un multiculturalisme exceptionnel, lui offrant une richesse
34
sociale hors du commun, cela la place, de l’autre côté, dans une position fragile comme le
note Yvan Desbiens : « La ville a hérité à la fois des bienfaits et des malheurs du
colonialisme, des œuvres audacieuses et magnifiques, mais aussi de l’afflux de population
rurale (noire, métis, autochtones…) nombreuse et pauvre de l’arrière-pays (ressacs de la
région rurale du São Francisco). » (Y. Desbiens, 2004 : 6). Ses particularités maintiennent la
difficile mise en œuvre du développement socio-spatial et son équilibre. Cela se traduit
notamment par l’émergence de fortes inégalités et, surtout, par la proximité géographique de
celles-ci. Nous pouvons trouver, dans la ville, certains espaces où les rues emplies de pauvreté
côtoient celles des condominiums fermés réservés à une classe aisée. Ces inégalités et ce
multiculturalisme, symptômes les plus marquants d’un passé trouble, font de la ville de
Salvador un territoire révélateur d’une politique sociale déchue.
I.3.2. Une ville empreinte d’inégalités socio-économiques
En effet, l’histoire et plus particulièrement les dernières décennies ont formé une véritable
mosaïque sociale, basée sur le colonialisme puis sur le développement industriel. La
croissance urbaine a pris une vraie ampleur pendant la seconde moitié du XXème siècle,
lorsque la région a profité de l’industrialisation et, plus tard, de la tertiarisation. Cet extrait de
Michel Agier exprime bien les particularités de la ville :
« La réorganisation de l'espace urbain de Salvador de Bahia, dans la période 1965-1985
(transfert des favelas vers la périphérie, nouveaux quartiers de classe moyenne en bord de
mer, vaste zone de grands ensembles au nord de la ville) a mis en évidence et renforcé les
distinctions entre une société visible, une masse pauvre qui devrait rester invisible et des flux
de mobilité sociale moderne dans une ville qui comptait environ 400 000 habitants en 1950 et
en compte aujourd’hui environ deux millions et demi - plus un pôle pétrochimique, diverses
unités d'exploration et de raffinage de pétrole, un centre d’industries métallurgiques,…etc. »
(Agier M., 1992 : 55)
Ainsi, l’industrialisation dans la branche automobile et pétrochimique s’est faite très
rapidement modifiant totalement le visage de la ville. L’attraction provoquée par cette
industrialisation n’a pas été gérée par les autorités, et l’urbanisation n’a, de fait, pas été
contrôlée. Une immigration massivement rurale a migré vers la ville de Salvador et a
provoqué un afflux trop important vis-à-vis du marché foncier. Le pôle pétrochimie de
Camaçari, situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Salvador, a eu véritable impact sur
la RMS, comme le souligne Cristiane Santos Souza. Nous pouvons alors y voir des voies de
35
communication bouchées, un marché foncier saturé et une nouvelle manière de vivre,
« puisque Salvador est devenue la ville dortoir de la population employée dans les 56
entreprises du Pôle Pétrochimique de Camaçari » (T. Fischer et al., 1992 : 34).
La structure urbaine modifiée et un tout nouveau secteur économique émergeant, de nouvelles
catégories socio-professionnelles sont apparues, engendrant des déplacements de populations
intra-urbains. En effet, un schéma se dégage selon M. Agier (M. Agier, 1999) : la rapide
industrialisation de la région a créé une mobilité résidentielle très importante, où des
agrégations sociales se sont formées. La lecture de la ville ne se fait plus de manière verticale
(ville haute/ville basse comme au temps de la colonisation) mais se fait de façon horizontale.
Le centre historique, autrefois habité par les populations riches, par les « maîtres », et par la
classe moyenne jusque dans les années 1980-1990, est aujourd’hui délaissé par cette même
classe au profit des grandes tours surplombant l’Océan Atlantique et la Baie de Tous les
Saints. Formant de véritables condominiums fermés, nous pouvons y trouver toutes sortes de
services (sécurité, éducation, parc, garderies,…), et suivent alors un processus
« d’européisation ». Tandis que ces structures gagnent du terrain – lors de mon séjour, j’ai
moi-même pu voir, sur la côte Atlantique, de très nombreuses constructions d’immeubles
d’une vingtaine d’étages – des terrains sont abandonnés, délaissés et forment dorénavant des
parcelles inutilisées ou des campements illégaux des populations pauvres de la ville. Nous
pouvons alors voir ces terrains vagues côtoyer les grandes tours modernes, et nous amène à
parler de ce que R. Park a appelé les « aires de ségrégation naturelles », où la ségrégation
n’est pas institutionnalisée mais existe de manière à créer des aires de concentration ethnique
(Y. Grafmeyer et I. Joseph, 1979). Une réelle opposition se dessine donc: un dessein
moderniste, capitaliste et individuel est mis en place par les promoteurs et par la ville opposé
à un abandon social des populations pauvres et des minorités, tendant les bras au marché du
travail informel.
En effet, comme le note Tania Fischer, 44% de la population active se trouve sur le marché de
l’emploi informel. Nous remarquons dans la rue, et cela est particulièrement visible lors du
carnaval, de très nombreux individus et de marchands ambulants vendant boissons, objets
artisanaux, ustensiles de cuisine, fruits,… « Tout objet est vendable ». Ce marché informel ne
garantit pas, de fait, des sources de revenus suffisamment conséquentes pour vivre voire
survivre. Ainsi, ils vivent dans des habitations très précaires, à l’extérieur du centre-ville, et
ne bénéficient pas d’aides sociales particulières. Ces conditions de vie, alimentées par un
marché du travail non-soutenu et par un marché foncier délaissé, laissent la place aux dérives
36
sociales et à la violence urbaine, comme le souligne Julie Sarah Lourau Silva.
En effet, « les chiffres sont alarmants lorsque l’on parle d’homicides intentionnels à Bahia ;
cet état occupe la troisième place nationale » (J.S. Lourau Silva, 2014). Bien que ces chiffres
(une moyenne de 1.500 homicides par an sur la dernière décennie) soient importants, l’auteur
met en garde l’utilisation des chiffres, des statistiques et des espaces de recherches. Les
frontières administratives intra-urbaines créées pour ces recherches statistiques ainsi que
l’homogénéisation interne de ces quartiers ne reflète pas la réalité et la pertinence de ces
études sur la criminalité. Ces données peuvent être utilisées à des fins politiques, sociales
voire ethniques contribuant à justifier l’intervention policière dans les quartiers périphériques
de la ville. Mais ces chiffres ne sont pas à banaliser non plus : il existe des violences urbaines
à Salvador et les tensions sociales qui existent dans la ville ne contribuent pas à apaiser ces
violences, comme en témoigne les manifestations qui ont eu lieues en avril 201427
.
La ville de Salvador présente une structure urbaine intéressante, et symbolise l’ambiguïté
existante entre les discours (politiques, sociaux, ethniques) et la réalité du terrain. Les
multiples facettes de la ville, bénéficiant tout à tour des bienfaits et des maux de son passé
colonial, mettent en exergue les spécificités qui construisent la ville et qui contribuent à
rendre existantes les représentations mythiques bâtissant l’image internationale de cette
« Rome Noire ».
I.3.3. Ethnicité, culture(s) et spécificités
Comme évoqué précédemment, Salvador offre un paysage multiculturel exceptionnel. Cette
diversité de cultures trouve son origine dans des moments historiques et des lieux bien
particuliers. Ainsi, aujourd’hui, nous remarquons les traditions conservées de chacune des
cultures, les mets d’origine différente, les tenues vestimentaires multiples ou encore des cultes
différents. C’est cette importante diversité culturelle qui crée la forme et la vie de la ville,
fondant ses activités sur ces origines variées et mettant en place des particularités propres à
elle.
Nous avons à mettre en évidence les spécificités de la ville de Salvador, et pour cela
l’ethnicité dont elle est imprégnée doit être définie. Selon M. Weber, les groupes ethniques
sont « des groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté
d'origine fondés sur des similitudes de l'habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur
27 . La grève était notamment causée par les menaces du pouvoir judiciaire sur la Police Militaire. De nombreux
braquages et vols ont alors eu lieu dans la ville de Salvador.
37
des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devienne
importante pour la propagation de la communalisation – peu importe qu'une communauté de
sang existe objectivement »28
. Cette conscience ethnique, de la colonisation et d'une culture
commune, s'applique à la ville de Salvador, notamment pour la population afro-brésilienne.
Considérant la population afro-brésilienne majoritaire à Salvador, les problématiques politico-
raciales et d’ethnicité doivent être abordées. Durant le XXème siècle, et toujours selon le
passé esclavagiste du Nordeste et donc de la ville de Salvador, les communautés minoritaires
ont vu leurs statuts être modifiés et évoluer. Grâce à des mouvements sociaux exemplaires
(les Congrès Afro-brésiliens de Recife et de Bahia en 1934 et 1937 notamment) et des
revendications touchant aussi bien les aspects politiques, culturels ou religieux, les
populations afro-brésiliennes et indigènes ont pu obtenir cette visibilité qu’ils souhaitaient.
Malgré la dictature brésilienne du milieu du XXème siècle, les populations minoritaires
s’organisaient, essayant de se démarquer des groupes dominants et de s’extirper des
stigmatisations raciales dont ils souffraient. Actuellement, l’objectif du discours culturel
bahianais, via ces mouvements sociaux toujours existants, réside dans l’intégration dans la
société des cultes et des religions africains, notamment le candomblé. Comme le souligne
Michel Agier, « ce mouvement dont les limites et les discours incorporent, voire privilégient
la dimension culturelle, renvoient de plus en plus nettement à un système d’identité global -
mouvement plus soucieux de délimiter les espaces et l’identité de la “communauté noire” que
de négocier l’insertion des Noirs dans la société globale. » (M. Agier, 1994 : 110)
Ce « référent religieux » se présente comme l’un des artifices majeurs de cette revendication
identitaire de la communauté afro-brésilienne, tout comme la formation d’associations
culturelles et récréatives spécifiques à la culture et au carnaval. En effet, celui-ci joue un rôle
essentiel dans la construction de l’identité noire de Salvador. Le carnaval est un instrument
important afin d’obtenir la visibilité nécessaire en vue de l’intégration de la culture afro dans
la société. Le nombre d’associations carnavalesques n’a cessé d’augmenter, tout comme le
nombre d’inscrits. Selon Michel Agier, trois caractéristiques émanent du carnaval et des
associations :
« Premièrement, ils tendent à se transformer en associations officielles et durables, luttant
contre la précarité inhérente aux initiatives nées dans la convivialité familiale ou urbaine.
Deuxièmement, ils représentent un espace de productions et manifestations culturelles
28 . Weber Max, Economie et société, Paris, Plon, volume 1. Traduit par Julien Freund et al. À partir de Wirtschaft
une Gesellschaft, Gundriss der vertehenden Soziologie, fondé sur la 4è édition allemande, J. Wickermann (ed.) Tübingen,
J.C.B. Mohr (P. Siebeck), 1956, première édition allemande, 1921.
Mémoirefinal
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Mémoirefinal

  • 1. Université Paris Diderot Master Géographie et Sciences du Territoire Mémoire de Master 1 2014-2015 Tristan Laithier Sous la direction de Laurent Faret Les migrations en milieu urbain des populations indigènes au Brésil : L’exemple des Kariri-Xocó et Fulni-ô dans l’état de Bahia Soutenu le 30 juin 2015 U.F.R. Géographie, Histoire, Sciences de la Société (GHSS)
  • 2.
  • 3. « Precisamos ter consciência da existência indígena, não importa o passado, as mágoas, as dores, importa hoje O que importa é que o índio conserva sua essência, mesmo miscigendo. Não temos culpa se fomos quase dizimados e influenciados pelos brancos invasores. Hoje precisamos muito da verdadeira integração cultural e social. » Wakay, « Indios na Visão dos Indios » “Nous avons besoin d’avoir conscience de l’existence indigène, peu importe le passé, les blessures, les douleurs, c’est aujourd’hui qui importe ! Ce qui importe, c’est que l’indigène conserve son essence, même mélangé. Ce n’est pas de notre faute si nous étions presque décimés et influencés par les envahisseurs blancs. Aujourd’hui, nous avons plus besoin d’une réelle intégration culturelle et sociale. »
  • 4. Table des matières Résumés………………………………………………………………………………………………..1 Remerciements…………………………………………………………………………………………2 Introduction……………………………………….....…………………………………………………3 I. Les populations indigènes nordestines marquées par l’empreinte colonialiste............................. 15 I.1. Entre esclavage et « reconnaissance »................................................................................... 15 I.1.1. Le Nordeste colonial...................................................................................................... 16 I.1.2. L'esclavage masqué des populations indigènes............................................................. 20 I.2. Les périodes migratoires des populations indigènes ............................................................. 22 I.2.1. Des populations soumises au départ.............................................................................. 22 I.2.2. Les mélanges ethniques................................................................................................. 26 I.3. Le contexte urbain de la Région Métropolitaine de Salvador ............................................... 28 I.3.1. Présentation générale de Salvador................................................................................. 29 I.3.2. Une ville empreinte d’inégalités socio-économiques.................................................... 34 I.3.3. Ethnicité, culture(s) et spécificités................................................................................. 36 II. Les populations indigènes en milieu urbain : mythe ou réalité ? .................................................. 40 II.1. Les populations indigènes urbanisées : situation actuelle et permanences conflictuelles ..... 41 II.1.1. Etat des lieux des indigènes urbanisés........................................................................... 41 II.1.2. Conflits sociaux et fonciers ........................................................................................... 44 II.2. Les principaux organismes indigénistes du Brésil : La FUNAI et la FUNASA ................... 47 II.2.1. La FUNAI, symbole d'une politique désuète ................................................................ 48 II.2.2. Le non-interventionnisme de la FUNASA.................................................................... 50 II.3. Les processus d'intégration politique et urbaine des populations indigènes.......................... 53 II.3.1. L’autodétermination chez les populations indigènes..................................................... 53 II.3.2. Les mécanismes d'intégration des populations indigènes en milieu urbain .................. 56 III. Dynamiques migratoires et d'installation à Bahia : L'exemple de la population de la Réserve Thá-Fene................................................................................................................................................ 59 III.1. Bref historique de la réserve : de la création à la pérennité............................................... 60 III.1.1. L’aide des populations locales....................................................................................... 60 III.1.2. La création de la réserve................................................................................................ 62 III.2. Les origines des populations de la réserve ........................................................................ 65 III.2.1. Le Pernambuco.............................................................................................................. 65 III.2.2. L’Alagoas...................................................................................................................... 68 III.2.3. Les allers-retours entre les villages d’origine et la Réserve .......................................... 71 III.3. Les modes d’intégration urbaine et les actions mises en œuvre........................................ 74 III.3.1. Les partenariats mis en place......................................................................................... 74
  • 5. III.3.2. Les activités moteur d’intégration................................................................................. 77 Conclusion……………………………………………………………………………………………..80 Bibliographie…………………………………………………………………………………………..83 Table des illustrations………………………………………………………………………………….87 Annexe…………………………………………………………………………………………………88
  • 6. 1 Résumé : Cette étude a pour but de montrer les mécanismes d'intégration des populations indigènes en milieu urbain au Brésil. Ces nouvelles dynamiques spatiales, à travers l'augmentation des migrations internes, reconfigurent intégralement les territoires ruraux et urbains. Les processus d'intégration de ces populations indigènes sont soumis à des acteurs exogènes, publics et privés. Les différentes politiques indigénistes mettent en avant la complexité de la reconnaissance indigène au Brésil, à l'échelle nationale et locale, et certains conflits apparaissent alors et constituent une entrave à cette intégration urbaine. Cependant, des dispositifs d'intégration, individuels et communautaires, sont mis en place. C'est le cas de la Réserve Thá-Fene, dans la Région Métropolitaine de Salvador qui constituera un exemple de notre étude. Abstract : This study wants to show the integration's mechanisms of indigenous people in urban area in Brazil. Those new spatial dynamics completely reconfigure the rural and urban territories through the increase of the internal migrations. The integration's process of indigenous people are subject of exogenous actors, public and private and the multiple indigenist policies bring out the complexity of the indigenous recognition in Brazil, at the national and local scales. Some conflicts appear and are a shackle for this urban's integration. However, integration's plans are organised by the community and individuals initiatives. That is the case of the Thá-Fene Reserve in the Metropolitan Area of Salvador which will be an example of our study. Resumo : Essa pesquisa quer mostrar os mecanismos da integração dos povos indígenas na área urbana no Brasil. Essas novas dinâmicas espaciais, através do crescimento das internas migracões, reconfiguram completamente os territórios rurais e urbanos. Os processos da integração dos povos indígenas são determinados pelos atos exógenos, públicos e privados. As diferentes políticas indigenistas chamam atencão à complexidade do reconhecimento indígena no Brasil - numa escala local e global - e alguns conflitos aparecem e são uma trava para integração urbana. Apesar disso, os planos da integração são organizados pela comunidade ou pela iniciativa individual. O caso da Reserva Thá-Fene, na Região Metropolitana de Salvador, é um bom exemplo da integração. Mots-clé : Populations indigènes ; Brésil ; migrations ; milieu urbain ; intégration ; Région Métropolitaine de Salvador.
  • 7. 2 Remerciements En premier lieu, je souhaite remercier mon directeur de mémoire Laurent Faret, qui m’a fourni les informations et les conseils nécessaires à la bonne conduite de mon sujet de recherche. Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé à développer mon sujet de recherche, aiguillé sur la bonne voie et transmis les contacts nécessaires pour effectuer mon étude. Je pense notamment à François-Michel Le Tourneau, Julie, Ana-Claudia, Nathalie et, surtout, Larissa avec qui j’ai pu échanger de nombreuses heures et sans qui je n’aurai pu réaliser cette étude. Je remercie aussi Wakay, Ketsan et Lymbo, qui m’ont réservé un accueil extraordinaire à la Réserve Thá-Fene et qui ont pris le temps de répondre à mes attentes. Je remercie aussi ma famille et mes amis qui ont su être là lorsque je doutais et m’ont continuellement soutenu lors de mes recherches.
  • 8. 3 “C’est celui de la ville, comme étendue concrète, spatiale et temporelle, en tant qu’elle constitue un lieu d’expérience pour des populations qui, sur ce sol commun, vivent de leurs différences et de leurs complémentarités.“11 Anne Raulin La ville symbolise pour les minorités, et ce paradoxalement, un espace à la fois intégrateur et excluant. Ville intégratrice car elle permet la mise en valeur des différences tout en les acceptant. Ville excluante car elle peut être suffisamment inégalitaire pour être impraticable. C'est tout le défi, néo-sociétal, des populations indigènes du Brésil. L'urbanisation prend actuellement une place de plus en plus importante chez ces populations, et ce sur tout le territoire brésilien. La plupart du temps, elles sont en quête de meilleures conditions de vie d'une part et d'une valorisation de leur culture d'autre part. Ainsi, les populations indigènes adaptent leurs modes de vie en fonction des modes de vie urbains, et acquiert, au fur et à mesure, avec cette nouvelle configuration urbano-rurale, la légitimité souhaitée depuis maintenant des siècles. Le Brésil constitue à lui seul, en tant qu'espace fragmenté et uni, un thème de recherche en Sciences Humaines crucial et remarquable. De son histoire coloniale jusqu'à la scène politique actuelle, les études menées sont nombreuses et variées. Avec une forte croissance depuis quelques décennies, le Brésil a toujours été objet d'étude important, et peut-être encore plus aujourd'hui avec l'organisation d'événements sportifs majeurs, soulevant des problématiques sociales importantes. La formation du Brésil, basée sur des relations sociales et ethniques complexes, rend son étude difficile à appréhender. Son territoire a sans cesse été modifié par la mosaïque démographique et spatiale, inlassablement migrante. 1 . Raulin A., Minorités urbaines : des mutations conceptuelles en anthropologie, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 25 – n°3, 2009, p. 33-51
  • 9. 4 Figure 1 : Le Brésil : Ses régions, ses Etas et leurs capitales
  • 10. 5 Ces migrations ont été le fer de lance de la construction du territoire brésilien, par l’intermédiaire de sa découverte, des migrations forcées, du front pionnier et des migrations actuelles urbaines. Les déplacements de population, à travers le temps, ont rempli l’espace, jusqu’à compter aujourd’hui environ 200 millions d’habitants, avec des densités d’habitation très importantes à certains endroits. Le Nordeste a eu un rôle important dans la configuration du Brésil actuel, car la région a été un des premiers lieux d’établissement des colons portugais et a assuré la liaison politique et commerciale avec Lisbonne. Salvador de Bahia, capitale de l’Etat de Bahia, connue pour avoir été durant deux siècles capitale du Brésil présente des caractéristiques très particulières sur le plan social et culturel. La ville, comme le Nordeste, montre des faiblesses économiques importantes et présente un nombre d’émigrants plus important que le nombre d’immigrants. Néanmoins, les études récentes montrent une tendance à un déplacement des populations rurales vers les capitales régionales. Depuis longtemps et encore aujourd'hui, les migrations internes modifient constamment l'espace connu, urbain et rural. Ces déplacements de population, à plus ou moins grande échelle, ne sont pas complètement indépendants des conditions sociétales et spatiales du territoire. Au-delà de l'étude de la linéarité même de ce territoire, il est important d'appréhender les raisons du départ et les dispositifs mis en place sur le lieu d'arrivée. Ces migrations provoquent une reconfiguration des espaces, du local à l'international, et permettent alors une étude spatiale par la démographie. Pourtant, les migrations ont pendant longtemps été « dé-spatialisées », au sens où leur étude était réservée aux démographes et sociologues, sans que les géographes ne s'y intéressent particulièrement. Sous l'impulsion de la globalisation, les migrations, conjuguées au concept de mobilité, ont trouvé leur place dans les études géographiques et territoriales. Ainsi, les migrations ne sont pas étudiables sans prendre compte la pluridisciplinarité même qu’elle évoque, dans le sens d’un déplacement de population sur un espace donné et modifiant les modalités mêmes de celui-ci et de la population migrante. Afin de définir la population d'étude, à savoir la population indigène brésilienne, elle a été définie, dans l'article 3 du Statut de l'Indien (Lei No. 6.001, du 19 décembre 1973) comme « tout individu d'origine et d'ascendance pré-colombienne qui s'identifie et est identifié comme appartenant à un groupe ethnique dont les caractéristiques culturelles le distingue de la société nationale ». J’utiliserai, tout au long de l'étude, le terme « indigène », au lieu de l’utilisation des termes « indien » ou « autochtone », pour deux raisons : la première étant que ce terme est moins
  • 11. 6 péjoratif que les deux autres termes, qui renvoient, à mon sens, au mythe du bon sauvage, mythe selon lequel l’individu n’est pas civilisé et ne peut pas l’être. Lors de la période colonialiste, les récits décrivent « l’indien » anthropophage, nu et non « développé ». La deuxième raison réside dans la traduction littérale du terme portugais « indígena », terme le plus largement utilisé dans les écrits institutionnels. Je considère donc ce terme le plus adéquat à mon sujet d’étude, tant sur le plan historique que social. Des changements majeurs se sont produits ces dernières décennies et parmi ces mutations dans la communauté indigène, nous pouvons noter la remarquable croissance de sa population accompagnée d’une identification plus forte qu’auparavant. En effet, nous pouvions recenser, selon l'IBGE2 , 294 131 indigènes en 1991 et 817 963 en 2010, avec une population urbaine passant de 71 026 à 315 180 sur la même période (soit une multiplication par 4 !). Pour beaucoup de chercheurs, cette différence notable entre les deux années s’explique en partie par la revendication identitaire plus forte qu’auparavant. En effet, la population indigène ne considérait pas avoir les moyens de revendiquer leur indianité, définit par la revendication indigène et la conscience d’être indigène. Les recensements sont donc peut-être biaisés par l’appréhension d’affirmer cette indianité mais qui, aujourd’hui, connaît un sursaut remarquable. Le droit d’autodétermination des populations, qui est la liberté des peuples de disposer d’eux-mêmes, s’exerce aujourd’hui, en partie, par les migrations en milieu urbain. Ces migrations ne sont pas statiques, et englobent un ensemble d'éléments mouvants dans l'espace et dans le temps. La forme et la spatialité même de la mobilité varient en fonction de la démarche migratrice, de l'objectif de celle-ci. Les causes de la migration sont multiples et le but de celle-ci également. La migration vers le milieu urbain se fait majoritairement vers les capitales régionales dans le but de rester proche de la communauté d'origine, afin de pouvoir revenir facilement lors des fêtes annuelles ou de faciliter les très nombreux échanges (humains, économiques ou matériel) entre la population urbaine et celle encore rurale. Les dispositifs mis en place par les populations concernées par ces migrations diffèrent selon l'origine, l'arrivée et le chemin entre ces deux points. Nous assistons à un affranchissement des distances qui met en évidence la modification des modes d'accès aux déplacements (à pieds, voiture,…) et donc une dynamique migratoire qui prend de la vitesse. Ces migrations comprennent un ensemble d’éléments, qui ne peuvent être étudiés séparément. L'étude du concept « migrations » sous-entend la multiplicité même de l'étude, à travers les 2 . IBGE : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística. J'utiliserai de manière générale cette source pour mes données chiffrées. Bien que souvent décriée, l'IBGE détient une quantité de données et d'informations non négligeables.
  • 12. 7 transformations qu'elles apportent dans toutes les sphères humaines, du niveau local jusqu'au niveau national. Ainsi, la migration des populations indigènes en milieu urbain exprime une transformation claire dans les modes de vie originels. En effet, chacune des composantes (sociales, culturelles, ethniques, conscience politique,…) se déplacent en même temps que le migrant lui-même. Il apporte avec lui son histoire, ses appartenances, ses croyances, ses pratiques, ses mythes et adapte ainsi la ville à lui et inversement. Mais la ville, elle, ancrée dans un système national, a un pouvoir de décision plus grand que l’individu lui-même. Elle a la capacité d’engloutir, le pouvoir d’intégrer, en facilitant la cohabitation, mais elle a aussi les moyens d’exclure, en ne fournissant pas de supports à ces minorités néo-urbaines. Celles-ci se retrouvent alors parfois confrontées au problème suivant : être intégrées ou être assimilées. Deux termes proches mais tellement distincts, qui relèvent alors d’une géographie culturelle, sociale et urbaine. L’assimilation relèverait pour ainsi dire d’une « totale » intégration, dans le sens où les populations minoritaires intégreraient pleinement les normes, les pratiques et la vie urbaine, délaissant leurs origines et ce qui les a construits à travers le temps, sans jamais les valoriser. Quant à l’intégration, elle pourrait se définir comme le « vivre ensemble »31 , comme une société vivant comme un tout sans renier les différences de chacun mais justement en les valorisant et bénéficiant de la complémentarité qui en résulte, afin de garantir l’intégration socio-spatiale. Ces deux termes renvoient aux problématiques sociales de base qui ont une importance cruciale dans la construction de l’espace, dans l’identité urbaine et dans l’appropriation du territoire. Espace tel que les minorités souhaitent qu’il soit, une identité urbaine afin d’avoir la garantie d’être reconnu par la ville et dans la ville, et l’appropriation du territoire pour vivre et pratiquer la ville. Mais qu’en est-il dans le Nordeste ? Problématiques et hypothèses Ces problématiques migratoires, liées d’une part au milieu urbain et d’autre part aux populations indigènes du Brésil, nous imposent de nous poser un certain nombre de questions. D'une part, les déplacements de population modifient l'imaginaire et la réalité spatiale des territoires et des villes. Quel(s) impact(s) les migrations ont-elles dans la configuration et la pratique de l’espace nordestin d’une part et de la Région Métropolitaine de Salvador d’autre part ? 3 . Durkheim, E. De la division du travail social, Paris, Félix Alcan, 1893; réimpression Paris, PUF
  • 13. 8 D'autre part, les mécanismes intégrateurs des populations indigènes en milieu urbain sont multiples et conditionnent leur position sociale dans la ville. Quels sont donc les modes d’accès de ces populations indigènes pour construire une entité matérielle et symbolique de leur indianité en milieu urbain ? Enfin, les communautés indigènes, historiquement absentes des milieux urbains, s'installent depuis peu dans les villes mais qu’est-il mis en œuvre par les institutions publiques et privées pour l’accueil de ces populations, notamment à Salvador de Bahia ? Le multiculturalisme brésilien constitue-t-il une entrave à la reconnaissance politique et sociale des populations indigènes ? Ces questions problématisées nous aideront à mieux comprendre la complexité même des relations qui existent entre les groupes de population du Brésil et plus particulièrement dans le Nordeste. Cela nous permet d’émettre des hypothèses afin d’avoir une vue d’ensemble sur ces problématiques. Hypothèses qui seront par la suite affirmées ou infirmées : H1 : Certaines migrations des populations indigènes sont le fruit de mauvaises conditions de vie (sanitaires, sociales, ethniques) dans les régions d'origine. Ainsi, une partie de la communauté migre vers le milieu urbain. H2 : Les organismes indigénistes (FUNAI et FUNASA41 notamment) ont un rôle crucial dans la reconnaissance des droits autochtones sur le territoire brésilien. Elles favorisent l'intégration et soutiennent financièrement ces populations en vue de leur obtention du droit à l’autodétermination. H3 : Des dispositifs d’assimilation et d’intégration se sont succédés dans le processus de reterritorialisation des populations indigènes. Celles-ci ont successivement été soumises aux pouvoirs puis reconnues par les institutions politiques. H4 : Aujourd’hui, la valorisation de la culture indigène et de ses traditions par la mise en œuvre d’activités dans la Région Métropolitaine de Salvador ne signifie pas la perte de l’identité indigène. Ils revendiquent et partagent leurs différences afin, justement, d’intégrer pleinement la ville. 4 . FUNAI: Fundação Nacional do Indio (Fondation Nationale de l'Indien). FUNASA : Fundação Nacional de Saúde (Fondation Nationale de la Santé)
  • 14. 9 Les choix de l’étude Ce travail a été réalisé en plusieurs phases. Mon projet initial de travail se portait sur les migrations forcées des populations indigènes en milieu urbain dans le cas de la construction du barrage de Belo Monte, dans l’État de Pará (Région Norte). Pour diverses raisons sur lesquelles je reviendrai par la suite, ce travail n’a pas pu être mis en place. Suite à des lectures générales sur les populations indigènes brésiliennes et notamment amazoniennes, je décidai de continuer mon étude sur la problématique indigène et urbaine du Brésil. Je me suis rendu compte que plusieurs indicateurs étaient intéressants d’étudier. Premièrement, la région Nordeste présente une histoire riche. Comme évoqué précédemment, lors de l’arrivée des colons portugais, elle a été frappée par la violence colonialiste et l’esclavagisme ethnique. La côte océanique était alors composée de centaines de communautés indigènes qui ont été dans l’obligation de migrer ce qui a provoqué des modifications majeures dans la configuration territoriale du Brésil de cette époque jusqu’à aujourd’hui. Ces migrations étaient pour la plupart tournées vers l’ouest, peuplant alors la forêt amazonienne de façon remarquable. Malgré cela, la région Nordeste a conservé une empreinte indigène très importante51 , que ce soit dans les États de Bahia, de l’Alagoas, du Pernambuco ou encore du Maranhão. Figure 2: La population indigène brésilienne Région Population Indigène totale Total en terre indigène Se déclarent indigènes et vivent en terres indigènes Ne se déclarent pas indigènes mais vivent en terres indigènes A l'extérieur des terres indigènes Brésil 896 917 517 383 438 429 78 954 379 534 Norte 342 836 251 891 214 929 36 963 90 945 Nordeste 232 739 106 142 82 094 24 048 126 597 Sudeste 99 137 15 904 14 727 1 177 83 233 Sul 78 773 39 427 35 599 3 828 39 346 Centro-oeste 143 432 104 019 91 081 12 938 39 413 Source : Censo do IBGE, 2010 5 . 23,2% en 2000 contre 19% en 1991 de la population indigène totale brésilienne habite dans le Nordeste, selon l'IBGE (Censo Demográfico 1991/2000.)
  • 15. 10 Nous voyons ici que le Nordeste se démarque avec une population indigène importante (126 597) vivant à l’extérieur des terres indigènes. Puis, je me suis aperçu que, dans la configuration démographique actuelle du Nordeste, Salvador de Bahia présentait une diversité culturelle indéniable, un multiculturalisme permettant un accueil favorable aux minorités que constituent les populations indigènes. Selon l’IBGE, la ville était habitée par 7 563 individus indigènes en 2010 (Censo do IBGE/2010). Cela constituait tout bonnement la ville du Nordeste avec la plus grande population indigène. Enfin, suite à des lectures plus avancées sur la ville et sur ce qui la composait, je me suis rendu compte qu’elle comportait quelques associations, notamment l'UNID (Uniao Nacional dos Indiodescendantes) et l’ANAI (Associação Nacional de Acão Indigenista61 ). Ces associations pouvaient alors être d’une grande aide dans mes recherches, car elle pouvait me mettre en contact avec la population d’étude. Ces éléments m’ont conduit à affiner mes recherches sur ce terrain qu’est Salvador de Bahia. Je me suis ensuite tourné vers la prise de contacts avec les associations et les chercheurs universitaires basés à Salvador. Malgré les nombreuses difficultés pour entrer en contact, c’est grâce à l’un d’eux que j’ai pu réorienter ma recherche lors de mon terrain. En effet, mon étude s’est orientée vers la Réserve Thá-Fene, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Salvador. Difficultés : Tout d’abord, mon choix de recherche s’était arrêté sur le barrage de Belo Monte et sur les problématiques sociales qu’il engendrait. En effet, la construction du barrage – toujours en cours - suscite de nombreux problèmes concernant les populations vivant sur place, notamment les populations indigènes. De nombreux groupes ethniques vivent sur les terres du barrage et du chantier et ont dû migrer vers d’autres terres par obligation de survie. Deux grandes trajectoires ressortaient alors : soit les populations migraient vers des terres rurales, où ils pouvaient avoir accès aux même ressources ou presque que leur offraient leurs 6 . Union Nationale des Descendants d'Indiens et Association Nationale de l'Action Indigéniste
  • 16. 11 anciennes terres. Ils recréaient un village in-situ. L’autre option qui s’offrait à eux consistait à migrer et aller vivre en milieu urbain, soit vers l’ouest (Manaus), soit vers le nord (à la frontière guyanaise) soit vers l’est (Belém). Mon projet de recherche s‘orientait vers cette deuxième trajectoire et plus particulièrement les migrations vers la ville de Belém, capitale de l’état du Para, dans la région Nordeste. Dans le cadre de ces migrations forcées, les populations indigènes se tournaient vers un nouveau mode de vie, une toute nouvelle expérience qu’était le milieu urbain. Or, nombreux ont été les conseils de chercheurs et professeurs à m’avertir sur les risques de cette étude, et cela pour deux raisons : la première visait la ville d’Altamira, située à quelques kilomètres de la construction du barrage, qui est devenue, depuis peu, une ville de tous les vices (trafic en tous genre, prostitution, alcoolisme, homicides,…) et une ville-dortoir avec l’arrivée par milliers des ouvriers du barrage. L’autre condition était la demande d’autorisation pour rentrer sur les terres indigènes à faire à la FUNAI. Sans cette autorisation, je risquais le renvoi immédiat à la frontière. Pour ces deux raisons, j’ai dû orienter mon étude vers un autre espace, sans pour autant modifier mes questions de départ, notamment en ce qui concerne les indigènes urbanisés. Cette présente étude met donc en avant les difficultés pour les populations indigènes d’intégrer le milieu urbain, milieu impliquant des normes et des pratiques particulières et différentes qu’en milieu rural, notamment dans les villages indigènes. Cette urbanisation s’intensifie depuis maintenant quelques décennies, mais les lieux de cette urbanisation sont bien localisés. En effet, comme nous le verrons par la suite, les villes d’Amazonie sont les localités préférentielles de cette nouvelle urbanisation, le Nordeste étant plus en retrait. De fait, peu d’études sur la migration des populations indigènes en milieu urbain ont été réalisées dans cette région. Méthodologie et entretiens Précédent mon terrain, mon étude s’est donc principalement basée sur des ouvrages théoriques de la migration urbaine, et ce dans tout le territoire brésilien. Ces références me permettaient d’avoir un aperçu sur les conditions de vie dans le village d’origine et dans la ville d’arrivée et les conditions de migrations. Malgré ces lectures fructueuses sur les problématiques migratoires et le milieu urbain de la Région Métropolitaine de Salvador, les données m’étaient limitées. Le terrain prenait alors toute son importance mais je me suis vite rendu compte que celui-ci ne satisferait pas toutes mes attentes. La prise de contact avec les associations n’ont pas été satisfaisantes car aucune
  • 17. 12 d’elles ne m’a répondu et ce malgré mes relances et mes visites directes dans les locaux qui étaient, pour la plupart, fermés pour cause de vacances d’été. De plus, mon arrivée a correspondu au carnaval, pendant lequel tous les magasins, services publics, associations sont fermés. Il m’a été alors difficile d’établir rapidement des contacts directs et de manière objective avec la population d’étude. Ainsi, j'étais dans l'obligation de me tourner vers des ressources plus indirectes mais toutes aussi importantes. Le premier mois à Salvador était fait d’entretiens informels et de déambulation dans la ville afin de m’y habituer, de prendre son pouls. Ces nombreuses marches m’ont permis de comprendre la ville, ses quartiers, sa population à travers les magasins que je pouvais trouver à tel endroit, le type d’objets vendus et le processus de vente, le type d’habitation, l’organisation spatiale des quartiers,…Lors de mes premiers jours, je visitais la ville à pied, et cela m’a permis de comprendre où je pouvais aller et où je ne pouvais aller. De nombreuses personnes m’ont très fortement déconseillé de continuer dans telle ou telle direction (au nord notamment), au risque d’avoir des complications avec la population locale des quartiers. Des normes informelles existent dans certains quartiers. Par exemple, il est important, lors d’une visite d’un quartier, de prendre avec soi un objet ou un peu d’argent pour donner aux personnes généralement peu enclines à accueillir un visiteur, de surcroît étranger. Le terrain s’est donc avéré plus compliqué que je l’imaginais, et la compréhension de certaines règles devait se faire préalablement à ma démarche de recherche (entretiens, prise de rendez-vous,…). Cette complexité locale n’a pas empêché pour autant l’avancée dans mon étude, mais j’ai dû me tourner vers des processus plus indirects. J’ai donc pu obtenir de nombreux entretiens informels, dans la rue et le centre historique de Salvador, avec des personnes qui m'ont aidé à appréhender la ville et ses composantes. J'utiliserai donc certains de ces entretiens afin de valoriser et justifier mes propos. L'observation directe avait donc pour but d'entrer en contact et d'appréhender la présence indigène en ville. Les résultats n'ont pas été en adéquation avec mes espérances, mais ces observations n'ont pas été inutiles. Je reviendrai sur ces notes aux cours de mon développement. J'ai aussi pu consulter de nombreux documents sur la présence indigène à Bahia et Salvador, notamment à la Fundação Cultural do Estado da Bahia. Ces documents, en portugais, français et allemands, m'ont aidé à comprendre la situation indigène bahianaise, et je m'appuie beaucoup sur ces documents, notamment dans ma première partie plus historique que les autres.
  • 18. 13 Le journal « A Tarde », journal local, a aussi été une source d'informations importantes dans le sens où elle m'a fournie une compréhension locale, régionale et nationale autour de la problématique indigène. De nombreux articles traitent des conflits fonciers qui touchent les populations indigènes et leur revendication mais aussi de la Réserve Thá-Fene que j'étudierai par la suite. La composition ethnique de Salvador et cette difficile prise de contact avec les personnes ressources adéquates ont constitué un frein dans mes recherches. Néanmoins, j’ai pu mettre en place un dispositif méthodologique courant, la méthode dite de « boule de neige ». La première personne ressource que j’ai pu rencontrer (le 6 mars, soit presque quatre semaines après mon arrivée à Salvador) était Julie Sarah Lourau Silva, professeur d’anthropologie à l’Université Catholique de Salvador. Lui présentant mon sujet d’étude, elle m’a mis en contact avec Ana-Claudia (rencontrée le 13 mars), doctorante et travaillant avec les étudiants indigènes de l’Université Fédérale de Salvador. Elle m’a alors mis en garde sur les difficultés inhérentes à ce genre de recherche à Salvador. Cependant, elle m’a mis en contact avec Larissa Nascimento, étudiante ayant réalisée sa maîtrise en ethnologie sur la Réserve Thá-Fene. C’est cette dernière qui m’a permis de rencontrer Wakay, le chef de cette Réserve et d’avoir un entretien primordial avec les acteurs directement concernés par mon nouveau sujet d’étude. Les entretiens : C’est sur la base de mon entretien avec le chef (Wakay) et un membre de la direction (Lymbo) de la Réserve que j’ai pu réaliser mon travail. Accompagné par Larissa Nascimento, l’entretien s’est déroulé de manière semi- directive, dans le sens où ma grille d’entretien n’avait que Arrivant en bus à 10h à la Réserve, Larissa et moi étions attendus par Wakay. Tandis que chacun s'occupait de tâches ménagères (Lymbo ratissait les feuilles à côté de la maison), Wakay nous invitait à prendre l'ampleur de la Réserve, et notamment la nouvelle structure dédiée aux danses traditionnelles (Toré). Wakay nous invita alors à rentrer dans la maison. Les autres résidents (enfants, adolescents et adultes) me saluaient sans qu'il n'y ait de préjugés apparents. Wakay me mis en confiance très vite de façon très ouverte, en me parlant, me demandant quelle était ma recherche, quelles étaient mes impressions sur la maison et la Réserve. S'ensuit alors un entretien riche de deux heures, à l'intérieur de la maison, sur le canapé. Dans la maison, il y avait beaucoup de passage, les enfants intervenaient, et venaient sur les genoux de chacun de nous. Par la suite, Wakay partit manger, et Lymbo pris alors le relais et nous invita à sortir et à s'installer sur la terrasse. Tandis que les jeunes jouaient au football dans l'espace dédié au Toré, Lymbo nous parlait et fumait et ce pendant deux autres heures. Durant les quatre heures d'entretien, deux termes revenaient très fréquemment : “conhecer“ et “conhecimento“, pouvant être respectivement traduit par les termes “connaître“ et la “connaissance“. Bien que le lieu me fût totalement étranger, je n'ai ressenti à aucun moment de gêne ou d'intrusion dans la communauté. Ces entretiens se sont déroulés naturellement bien que nous ayons enregistré tout l'entretien. Nous ne posions pas beaucoup de questions et le fil de la conversation avait une implacable continuité logique,
  • 19. 14 des thèmes et non des questions. Plus que des questions-réponses basiques, je souhaitais saisir l’histoire de vie, son récit. Wakay a un passé particulier, et cela lui confère un charisme important. Très axé sur la philosophie et la « conscience indigène », il était plus intéressant d’écouter ce qu’il a à nous dire plutôt que de poser sans arrêt des questions. Suite à cet entretien qui a duré environ deux heures, nous nous sommes aussi entretenus avec Lymbo. Plus calme mais tout aussi réfléchi et ayant fait des études de pédagogie, il orientait la conversation vers l’éducation, premier objectif de la Réserve. Ces deux entretiens, d’une durée d’environ quatre heures, seront la base et la fondation même de mon étude. C’est sur ces quatre heures riches en données qualitatives, informations et réflexions que je construirai ma présente recherche, m’aidant aussi parfois des entretiens que j’ai pu obtenir dans la rue lors des premières semaines à Salvador. Mon travail sera en trois temps. Nous verrons tout d’abord l’empreinte colonialiste portugaise sur l’espace Nordeste et sur les populations indigènes de la côte océanique. Les retours historiques nous permettent de comprendre le territoire tel qu’il est aujourd’hui et les caractéristiques ethniques et sociales de la région et de Salvador de Bahia plus particulièrement. Par la suite, nous verrons les migrations urbaines des populations indigènes, par l’intermédiaire des processus et organismes indigénistes qui permettent l'intégration ainsi que les raisons de leur départ. Enfin, nous verrons la Réserve Thá-Fene, qui constituera un exemple de ma démonstration, dans le sens de l’évolution croissante de ces migrations et d’une population indigène plus urbaine. Cet exemple sera caractérisé par l’étude ethnographique de la spatialité et de l’occupation de cet espace. En effet, la petite population, Kariri-Xocó et Fulni-ô, regroupée en famille, permet une étude très locale et détaillée de la Réserve. Les liens familiaux étant prégnants dans les relations qu’ils entretiennent entre eux et avec les villages d’origine, cela permet de réaliser l’étude à une échelle très locale.
  • 20. 15 I. Les populations indigènes nordestines marquées par l’empreinte colonialiste Comme toute l’Amérique Latine, le Brésil a été victime de la vague colonisatrice européenne, et ce plus particulièrement dans le Nordeste, où les colons qui s’arrimaient, profitaient des faiblesses des peuples d’alors. Comme toutes les colonies, le territoire qui constitue aujourd’hui le Brésil a été laboratoire d’expérience religieuse et esclavagiste, au point de toucher et de traverser les temps, car, encore aujourd’hui, les populations, les règles, les lois ou encore les modes de vie sont, de Salvador de Bahia à Belém, marquées par cette empreinte indéfectible de l’ère coloniale. L’histoire des populations indigènes brésiliennes et plus particulièrement nordestines définit assez clairement les tumultes et les défis auxquels elles ont été et sont confrontés, que ce soit face aux pouvoirs colonisateurs dans un premier temps ou face aux belligérants nationaux et régionaux dans un second temps. Actuellement en quête de stabilité sociale et politique, les populations indigènes sont dans l’obligation d’avancer en prenant en compte leur histoire. Ils ont pendant longtemps été discriminés, stigmatisés, forcés au travail et à la migration, massacrés, expropriés. Aujourd’hui, leurs progrès passent par la redéfinition de leur statut, sur les scènes politiques et idéologiques. Ici, il ne s'agit pas d'étudier la population de façon chronologique, avec les différentes étapes de leur passé, mais bien d’essayer de comprendre dans son ensemble la problématique autochtone au Brésil. Ainsi, si nous voulons parler de l’indianité actuelle et de son évolution, nous devons parler, même brièvement, de son Histoire afin de comprendre les conditions actuelles socio-spatiales de la population nordestine. I.1. Entre esclavage et « reconnaissance » Les populations indigènes ont été soumis aux autorités portugaises et ce dès le XVIème siècle. Par l'intermédiaire d'un esclavage massif et d'expéditions mortelles, les communautés nordestines ont vu leur population diminuer de manière drastique. En effet, une grande partie de la communauté littorale a été contrainte à l'esclavage, provoquant souvent la mort ou la migration. Malgré les politiques à visée indigéniste débutées au XVIIIème siècle, les populations indigènes souffraient encore d'une extermination massive ou bien d'expropriations brutales. Ces situations de précarité foncière et vitales ont marqué une reconfiguration spatiale des territoires.
  • 21. 16 I.1.1. Le Nordeste colonial Le territoire aujourd'hui appelé Brésil a souffert des jeux colonisateurs des métropoles européennes. En 1500, lors de la découverte du nouveau territoire, faite au sud de l’État de Bahia, de très nombreux accords et principes informels se succèdent entre les différentes parties, constituées par les gouvernements portugais et espagnols d'une part et l'Eglise Catholique d'autre part. Ainsi, chacune des parties, voulant tirer profit de ce nouveau territoire aux ressources abondantes, a joué sur les écrits, les cartes et les démonstrations. Durant la première moitié du XVIème siècle et suite à d'importants conflits économiques et idéologiques, le Portugal, alors en avance technologique à cette période, pérennise « son » territoire, en y installant des « capitaineries » le long de la côte, gérées par des donataires aux « pouvoirs militaires, judiciaires et administratifs » (Droulers, 2001). Sous cette nouvelle gouvernance, de grands espaces fonciers apparaissent et marquent alors le début des cultures de canne à sucre et de bois. Ces cultures, auxquelles se combinent très vite les notions d'esclavage et de travail forcé, sont extrêmement importantes en superficie, ce qui rend leur gestion très difficile. “Mais l'histoire généralise. Non? Alors chacun a pris une part du gâteau, la part du gâteau a été divisée entre les jésuites, les bandeirantes et les sertanistas. Il y a trois part. Et tous venaient d'Europe. Il y avait une lutte contre les Hollandais, contre les français, ici et au nord. Au Pernambuco, il y avait une lutte parce qu'à ce moment-là, c'était l'extraction d'une époque, à travers le bois, mais pas d'or, pas de diamants, pas de pierres, le bois. Ils en utilisaient très peu – et tout le monde s'implantait dans cette politique, c'est ça….l'esclavage.” Wakay7 La population indigène côtière se divise, principalement, en deux grands groupes linguistiques avec d'un côté les Guarani, situés au sud, et de l'autre les Tupi, localisés dans le Nordeste (cf figure 3 ci-après). 7 . Je m'appuierai tout au long de mon travail sur les propos qu'ont tenus Wakay et Lymbo. L'entretien ayant étant très riche, les informations collectées sont utiles sur tous les plans du travail. Leur position de migrants indigènes en milieu urbain ainsi que leur formation et réflexion leur confèrent une parole très intéressante et non négligeable. La position qu'ils occupent à l'intérieur même de la Réserve Thá-Fene met en évidence l'importance de leurs propos.
  • 22. 17 Les grandes installations agricoles et le front pionnier exercé par les portugais empiétaient sur les territoires indigènes et de nombreux conflits apparaissent alors. Bien que durant le XVIème siècle, « les autorités coloniales reconnaissent des droits aux Indiens et légifèrent pour promulguer l'égalité entre les Indiens, leurs descendants et les colons »8 , certains territoires semblent être source de conflit important, comme sur l'ile d'Itamaraca (un peu au nord de Recife, Pernambuco), où les indigènes, forts de leur alliance avec les français, résistaient aux colons. Les donataires perdant peu à peu de leurs pouvoirs, Lisbonne, alors centre de décision, instaure en 1549 le pouvoir et le nouveau gouvernement à Salvador de Bahia, alors plaque tournante du commerce extérieur et port majeur du néo-territoire. 8 . Droulers, M (2001), « Brésil : une géohistoire », Paris, PUF, Géographies, 308 p. Figure 3: Principales familles linguistiques d’Amérique du Sud
  • 23. 18 La canne à sucre représentait durant cette période la culture la plus importante, faisant alors du Brésil le premier producteur mondial de sucre. Ces grandes plantations étant établies notamment dans le Nordeste et son littoral, les autorités portugaises et grands propriétaires fonciers voyaient alors l’occasion d’apporter des esclaves africains sur les rives de l’Océan Atlantique pouvant travailler dans les cultures en compagnies des quelques populations indigènes déjà sur place. Afin de « payer » ces esclaves, les colons mirent en place des plantations de tabac et des élevages de bœufs dans le « sertão », zone semi-aride non- cultivable du Nordeste. Alors, comme le note Hervé Théry, « autour de la canne à sucre se constitua donc une véritable construction économique, sociale et géographique qui marqua jusqu’à nos jours la structure du Nordeste »9 . En effet, les mélanges culturels, sociaux et physiologiques ont logiquement et totalement modifié le paysage balbutiant du Nordeste. La population africaine, apportant outils et méthodes, s’est progressivement installée dans la région et nous avons encore aujourd’hui des traces remarquables à Salvador de Bahia comme nous le verrons par la suite. Les populations indigènes ont elles apporté leur culture (manioc notamment) et leur manière de vivre et les colons portugais, par l’intermédiaire des missionnaires jésuites ayant pour objectif la « catéchisation » qui ont été, selon Florent Kohler, « les premiers d’une longue série d’oppresseurs »10 , leurs techniques, leurs idéologies et leur langue. Ces trois populations tout à fait singulières se sont alors mélangées, « et on ne saurait oublier les liens charnels entre le maître et ses esclaves, dont naquirent les premiers métis » (H. Théry, 2012). Le Nordeste compose aujourd’hui la région la plus particulière du Brésil, et son Histoire, extrêmement vite étudiée ici, peut en partie expliquer les caractéristiques culturelles et sociales de la région. Comme le note Hervé Théry, « de cette époque, de ce cycle économique, date donc la mise en place d’un complexe économico-socio-spatial dont bien des traits ont survécu, notamment dans le Nordeste, faute d’être retouché par un cycle postérieur » (H. Théry, 2012). Il faut par ailleurs noter deux types de villages indiens : l’aldeia d’une part, qui constitue les villages indigènes formés de manière totalement indépendante des autorités exogènes et qui se structurent selon les propres composantes sociales des populations et, d’autre part, l’aldeamento, qui est un regroupement de populations indigènes dans un village sous la contrainte des autorités portugaises de l’époque (L.F. Alencastro, 2002). 9 . Hervé Théry, Le Brésil, 6ème édition, 2012, Paris : Armand Colin, collection U, 296 pages 10 . Florent Kohler, « Du caboclo à l’indigène : réflexions sur l’ethnogenèse au Brésil », Journal de la société des américanistes [En ligne], 95-1 | 2009,
  • 24. 19 Les populations indigènes ont vu leur quotidien être totalement modifié lors de l’arrivée des colons portugais, où ils ont été soumis à l’esclavage pour certains, contraints de migrer pour d’autres ou tout simplement exterminés. Les chiffres estimés de Darcy Ribeiro montrent bien la baisse significative de la population « d'indiens isolés », où l'on comptait au départ environ mille groupes ethniques distincts : 5 millions en 1500, 4 en 1600, 2 en 1700 et 1 petit million en 1800. (D. Ribeiro, 1995). Mais comment expliquer ces chiffres tout aussi effrayants qu’importants et qui ont impact certain sur la relation « population indigène-société brésilienne » d’aujourd’hui ? Durant le XVIIème siècle, dans le territoire néo-portugais, aussi développé soit-il, les colons s’organisaient et mettaient petit à petit en place une réelle autorité politique associée à une croissance agricole très forte. De São Paulo à Belém, les littoraux étaient occupés de cultures céréalières et de canne à sucre. Une spécialisation de la culture du blé s’installa à São Paulo, et les plus gros importateurs étaient, du fait de la guerre luso-hollandaise, les populations de Nordeste. Associées à cette appropriation agricole de l'espace, apparaissent les missions et expéditions appelées « bandeiras », dans le seul but de conquérir le territoire. Une certaine catégorie de la population pauliste se voyait alors confier ces expéditions, cherchant, durant cette période, à chasser les populations indigènes et à les soumettre à l’esclavage, et ce dans tout le Brésil11 , afin de les envoyer dans les cultures céréalières du sud. Mais, comme le souligne Luiz Felipe de Alencastro, « dès le rétablissement des liens réguliers entre le Brésil et le Portugal, la céréaliculture de São Paulo perdit ses marchés du Nordeste, entra en crise et disparut ». Les bandeirantes sont alors devenus, suite à l’abandon de la chasse à l’indien pour en faire un esclave, des « tueurs d’indiens, au service des grands propriétaires du Nordeste » (L.F. Alencastro, 2002). Suite à ce nouveau statut et ces nouvelles missions, éclata la « Guerre des Barbares », s’étendant de 1651 à 1704, où les populations indigènes ont subi une vraie extermination, de Bahia jusqu’à Belém. En plus de ces expéditions, les colons portugais voyaient la pression foncière s’accentuait, notamment pour les cultures et l’élevage. L’esclavage passant au second plan, c’est l’expansion territoriale qui prône alors. Cela a pour conséquence directe l’extermination déjà entamée des populations indigènes, sur toutes les côtes atlantiques. Les peuples Tupi, Kariri ou encore Tapuya sont les premières victimes de cette guerre des natifs. 11 . « Les plus fameuses, la bandeira fluviale de Pedro Teixeira (1637-1639) et l’épopée d’Antonio Raposo Tavares (1648-1651), parcourent des milliers de kilomètres et sont décisives pour la reconnaissance des territoires, ainsi que pour l’extension des limites de la souveraineté portugaise dans l’ouest et en Amazonie. » (M. Droulers, 2001 : 65)
  • 25. 20 Ce processus colonial a donc été accompagné durant plusieurs siècles par l’esclavagisme. Au fur et à mesure de cette extermination massive, des revendications se mettent en place, et le début d’une politique indigéniste voit pendant la première moitié du XVIIIème siècle, mais ces progrès apparaissent alors uniquement comme une illusion. I.1.2. L'esclavage masqué des populations indigènes Les populations indigènes ont ainsi été chassées, stigmatisées et exterminées, et cela au nom de l’appropriation territoriale des colonisateurs portugais, qui ont largement profité des faiblesses des populations indigènes par rapport à la leur, notamment en leur supprimant leur identité propre, comme le souligne Marcio André Braga : « Cette attribution d’identité a marqué le départ de la déconstruction d’identité culturelle des populations indigènes, laquelle a continué avec l’envoi de missionnaires religieux venus regrouper les indiens pour les missions, « les remettant sur la voie », pour leur présenter la foi catholique à travers la catéchisation, les modèles de convivance et les modèles de production qui étaient intéressants pour les colonisateurs. »12 Ces entreprises coloniales ont constitué un véritable génocide, terme employé par un certain nombre de chercheurs pour définir cette période. Les populations indigènes n'avaient que très peu de moyens techniques pour rivaliser ou même protester. Ils devaient donc se soumettre aux maîtres portugais, sans avoir l'espoir que cet ethnocide se termine. Les populations indigènes ont donc connu de véritables combats et luttes avec les portugais. En plus de cela, la forme de travail imposée aux populations indigènes était éprouvante. La culture du sucre et l'extraction de bois étant les deux plus importantes activités des portugais à cette époque, la main-d’œuvre devait être abondante. Ainsi, beaucoup d'esclaves, indigènes et africains, fuyaient les camps et les champs de travail. Allant vers l'intérieur des terres, ils créaient de véritables villages-refuges. C'est ainsi qu'ont été créé les quilombos, villages d'esclaves et de réfugiés à l'intérieur du Brésil, sujet sur lequel je ne peux m'attarder ici.13 Cette main-d’œuvre était directement « prélevée » dans les villages indigènes de la côte océanique. Cette prise de force a causé la suppression de bon nombre de villages indigènes du 12 . « Essa atribuição de identidade marcou o início do processo de desconstrução da identidade cultural das populações indígenas, o qual continuou com o envio de missionários religiosos que passaram a agrupar os índios em missões, reduções e aldeamentos, para lhes apresentar a fé católica e, através da catequização, os padrões de convivência e os modelos de produção que eram interessantes ao colonizador. » p. 174 in BRAGA, Márcio André. Identidade étnica e os índios no Brasil. Dimensões, Espírito Santo, vol. 18, 2006, p.172-185 13 . Pour plus de précision sur les quilombos, importants lieux d'histoire du Brésil, je renvoie à cet ouvrage très complet : E. C. O’Dwyer. Quilombos: identidade étnica e territorialidade. São Paulo: ABA/FGV, 2002. 293p.
  • 26. 21 Nordeste. En effet, la reproduction à l'intérieur des villages ne pouvant être assurée à cause de la mise en esclavage des hommes, le village voyait sa population diminuait de manière draconienne. C'est l'une des raisons qui explique la faible densité (en comparaison avec cette époque) de réserves et villages indigènes dans le Nordeste actuel, notamment dans les Etats du Pernambuco, de l'Alagoas et de Bahia. Au fur et à mesure de l'évolution des mentalités et des besoins, le statut des populations indigènes s'est vu modifié. Le XVIIIème siècle marque ainsi un changement majeur dans la relation que pouvaient avoir les maîtres avec les esclaves, puisque, comme le note Natalia Moreira, « avec les diverses lois du Diretório Pombalino dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, l'indigène a maintenant la liberté légale de vendre sa main-d’œuvre en échange d'un salaire. »14 . Les études historiques réalisées sur cette période ne sont pas nombreuses ni réellement précises. En effet, l'abolition de l'esclavage des populations indigènes n'a pas de date figée, comme en témoigne les documents de recherche se contredisant les uns aux autres. Selon Yuko Miki, c'est en 1831 que l'esclavage indigène est entériné : « Tandis que l'abolition de l'esclavage noir en 1888 et ses conséquences sont bien documentées, les chercheurs doivent encore entièrement examiner comment l'esclavage indigène, aboli en 1831, a continué en pratique pendant des décennies. Ensemble, ces deux types d'esclavage ont révélé la nouvelle incapacité nationale à abandonner sa dépendance au travail des esclaves malgré des efforts visant à promouvoir le travail libre15 ». Yuko Miki Les populations indigènes ne sont alors plus soumises à un esclavage barbare, mais ont la liberté de vendre, ou non, leur force de travail et ce en étant rémunéré. En 1757, les lois du Marquis de Pombal et la création du Diretório dos índios marquent les premières politiques indigénistes du Brésil, auxquelles ont succédées de nombreuses autres réformes et lois (Da Cunha M.C., 1992). Ces politiques n'ont pas été totalement suivies d'une situation plus favorable aux indigènes, puisque l'esclavage était encore appliqué. Certains pouvoirs provinciaux n'hésitaient pas à exproprier de manière sauvage les populations de leurs terres 14 « Com as diversas leis do Diretório Pombalino na segunda metade do século XVIII, o indígena passou a ter a liberdade legal de vender sua mão-de-obra em troca de salário », p. 117, in SILVA, N. M. . Papel de índio: políticas indigenistas nas províncias de Minas Gerais e Bahia na primeira metade do oitocentos (1808-1845). 1. ed. Rio De Janeiro: Multifoco, 2014 15 . « While the abolition of black slavery in 1888 and its aftermath are well documented, scholars have yet to fully investigate how Indian slavery, abolished in 1831, continued in practice for decades. Together, these two types of slavery revealed the new nation’s inability to end its dependence on slave labor in spite of efforts to foster free labor. » p. 2 in Yuko Miki (2014) Slave and Citizen in Black and Red: Reconsidering the Intersection of African and Indigenous Slavery in Postcolonial Brazil, Slavery & Abolition: A Journal of Slave and Post-Slave Studies, 35:1, 1-22,
  • 27. 22 ancestrales ou menaient des « expéditions offensives » dans les villages, à qui ils offraient de choisir entre l'abandon de leurs terres, la mort ou l'esclavage (Da Cunha M.C., 1992). Les politiques indigénistes étaient donc, sur le papier, un moyen d'apaiser les tensions mais, en réalité, les pouvoirs publics, locaux notamment, exerçaient de leur autorité sans prendre en compte ces nouvelles réformes. L'esclavage indigène sauvage étant de moins en moins pratiqué, cette période marque le rebond de l'importation d'esclaves venus d'Afrique. Le territoire brésilien, et notamment nordestin, est alors occupé par une nouvelle population, tandis que les populations indigènes profitent des nouvelles politiques indigénistes pour fuir, comme l'ont fait certains groupes ethniques auparavant. En effet, les migrations des populations indigènes du littoral ont été très nombreuses durant les siècles qui ont suivis la découverte du territoire, notamment en raison de l'esclavage et des envahisseurs portugais. Ces migrations marquent une reconfiguration totale de l'espace et de l'occupation du territoire nordestin, puisque c'est dans cette région que se sont produites la plupart des actions colonisatrices et esclavagistes. I.2. Les périodes migratoires des populations indigènes Afin d'avoir la meilleure compréhension possible sur un sujet aussi vaste que sont les populations indigènes et leurs migrations actuelles, il paraît important d'évoquer, même brièvement, les migrations « indiennes » nordestines des siècles précédents. Le Nordeste apparaît lui-même comme un sujet d'étude propice à la recherche, car c'est le premier territoire découvert, l'espace où se sont installées les capitaineries portugaises et c'est aussi le territoire où l'on recensait le plus de populations indigènes. Les migrations paraissaient alors évidentes : des colons portugais aux expropriations étatiques en passant par les mouvements jésuites, les populations ont dû se soumettre aux départs, tantôt pour échapper à la servitude esclavagiste tantôt pour gagner du territoire. I.2.1. Des populations soumises au départ « Ces populations ont été soumises à des migrations permanentes, des déstructurations sociales et une retérritorialisation, et ce tout au long des 500 années de contacts avec les européens et la société nationale. »16 16 . Essas populações são levadas a permanentes migrações, desestruturações sociais e reterritorialização, ao longo dos 500 anos de contato com europeus e da sociedade nacional. » p.6 in Vieira, Jorge Luiz Gonzaga. Povos do Sertao de Alagoas : confinamento, diáspora e reterritorialização, incelencias revista do Nucleo de programas de pesquisa. CESMAC. Maceió, 2010.
  • 28. 23 Cette citation n'est bien entendu pas anodine. Elle nous permet de faire le constat suivant : les populations indigènes brésiliennes se sont, de tout temps, déplacées au gré des opportunités et, surtout, des invasions et autres conflits idéologiques et territoriaux. Comme le rappelle Alfred Métraux au sujet des Tupi-Guarani, « ils [les Tupi-Guarani] semblent avoir toujours été une race remuante. Déjà dans les temps précolombiens leurs migrations ont été nombreuses ; la dispersion de leurs tribus à des distances énormes en fait foi »17 . Comme il l'explique très bien, et ce quelques fois en dépit d'un vocabulaire adapté et allant à l'encontre d'autres auteurs, les Tupi-Guarani se sont toujours déplacés dans le territoire aujourd'hui appelé Brésil. Certains groupes ethniques des Tupi-Guarani, tels que les Tapuyas, les Tupinambas ou encore les Tupinas se sont successivement combattus afin de gagner les territoires d'autrui, notamment la côte du Nordeste actuel comme le souligne Alfred Métraux : « Les Tupina furent à leur tour expulsés par les Tupinamba qui, après avoir traversé le São Francisco, abandonnèrent le « sertão » pour s'établir sur le rivage de la mer »18 . Ces conflits étaient notamment localisés dans les actuels états de Bahia, du Pernambuco, du Maranhão et de Pará. De fait, de très nombreuses migrations, en mêmes temps qu'un fractionnement des groupes ethniques, se sont faites sur le territoire et sur de grands espaces. Le Nordeste et le Norte ont donc été témoins de déplacements ethniques majeurs, et les populations indigènes de cette époque étaient tantôt poussées vers la côte tantôt poussés vers l'intérieur des terres et plus particulièrement vers l'Amazone19 . Certaines populations indigènes, malgré leurs migrations pré-colonisation, ont largement été soumises aux « envahisseurs portugais », lesquels, comme expliqué plus haut, les ont soumises à l'esclavage et, donc, forcées au départ de leurs terres ancestrales tout au long du XVIème, XVIIème et XVIIIème siècle. Sous l'impulsion de Mem de Sá, gouverneur du Brésil entre 1558 et 1572, les populations indigènes devaient vivre sous les ordres des colons et dans les « aldeamento », fournissant en main-d’œuvre les travaux agricoles. Conjugué à ce déplacement forcé dans des « camps », qui deviendront par la suite interdits aux blancs de peur « de les voir succomber aux séductions d'un mode de vie proche de la nature qui attire bon nombre d'entre eux » (M. Droulers, 2001), les populations indigènes fuient aussi la catéchisation des missionnaires jésuites et l'obligation d'apprendre la langue nationale. 17 . Métraux Alfred. Migrations historiques des Tupi-Guarani. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 19, 1927. pp. 1-45. 18 . Gabriel Soares de Souza, Tradado Desciptivo do Brasil em 1587 in Alfred Métraux 19 Ne pouvant m'étaler sur les caractéristiques migratoires de chaque groupe ethnique Tupi-Guarani du territoire, je renvoie à l'annexe 1 où le tableau et sa carte, élaborés par Alfred Métraux, dépeignent, à mon sens, parfaitement les mouvements de populations de cette époque.
  • 29. 24 Comme le note Martine Droulers, « le plus souvent, peu enclins à la lutte armée, ils [les indiens] sont systématiquement repoussés et largement éliminés, même lorsqu'ils sont reconnus comme pacifiques » (M. Droulers, 2001). Ainsi, comme le décrit de manière incroyablement précise Gabriel Soares de Souza dans son ouvrage Tratado descriptivo do Brazil em 1587, les colons portugais exerçaient une telle pression foncière, territoriale et sociale sur les populations indigènes vivant sur la côte que ces dernières étaient dans l'obligation de migrer vers l'intérieur des terres. Les colons portugais exerçaient alors une « chasse à l'indien », volontairement et involontairement, combinée à l'extermination d'autres comme le fait remarquer Alfred Métraux selon Soares de Souza : « Ceux qui ne furent tués ou réduits en servitude durent se retirer vers l'intérieur, à 50 lieues du littoral ». (A. Métraux, 1927). Comme le note Alfred Métraux, quelques ouvrages évoquent les migrations des populations indigènes des capitaineries du Nordeste et ailleurs dues « aux atrocités portugaises ». Suite à ces invasions territoriales, certains territoires ressortent comme un lieu d'accueil plus favorable que d'autres. Les Tupinamba notamment fuient les Etats du Pernambuco et de Bahia pour s'établir dans l’État du Maranhão, état le plus au nord du Nordeste actuel ou vers l'ouest, vers l'Amazonie voire le Pérou actuel (cf figure 4 ci-après). Malgré l'absence de détails plus spécifiques sur l'origine spatiale de ces migrations vers le Pérou comme le souligne Alfred Métraux, il est presque certain que les populations provenaient de la côte brésilienne. Ces près de 12 000 individus indigènes sont partis, pour certains, dans le seul but de trouver l'eternalité20 ; pour d'autres, ils sont partis dans le seul but d'échapper à la servitude appliquée par les portugais et pour d'autres enfin ces migrations relevaient de la volonté d'expansion territoriale. Ces groupes d'indigènes étaient la plupart du temps accompagnés par un certain nombre de portugais qui souhaitaient profiter des découvertes (en termes de territoires et de richesse). Il est alors intéressant de relever que les populations indigènes n'avaient pas d'amertume particulière pour « l'étranger » que représentait le colon portugais. Peut-être pouvons-nous voir ici une sorte d'arrangement tacite, d'entraide plus ou moins acceptée, où les deux parties trouvent leur intérêt. 20 . Certaines migrations étaient basées sur les croyances cosmologiques des populations, à la recherche du « paradis terrestre ».
  • 30. 25 Ces migrations des Tupi-Guarani sont donc le symbole d'une résistance faite aux colons portugais, mettant en exergue les difficultés que les populations côtières pouvaient rencontrer vis-à-vis du nouveau pouvoir. Des populations côtières qui étaient aussi composées de Pankaruru, de Kariri ou encore de Fulni-ô qui ont, elles aussi, beaucoup migré vers l'ouest du territoire pour ne pas succomber aux menaces de servitude des colons portugais. Comme le rappelle Jorge Luiz Gonzaga Vieira, « la présence des colonisateurs a provoqué la Figure 4: Principaux mouvements migratoires des populations au XVème e XVIème siècle en Amérique du Sud
  • 31. 26 désoccupation obligatoire des peuples de leurs territoires traditionnels et, conséquemment, la déstructuration des organisations sociales, politiques et ethniques. Les peuples ont été obligés de se réfugier dans d'autres espaces étrangers à leur habitat »21 . Les migrations sur le territoire et les alliances qui ont en ont découlé ont provoqué des particularités ethniques, tout comme les relations ambiguës qu'entretenaient les maîtres portugais avec leurs esclaves. Ainsi, les récits et les diverses explications de l'appartenance de ces groupes ethniques à tel ou tel groupe linguistique sont quelques fois controversés, à l'image de l'ouvrage de Estevao Pinto, Alguns aspectos da cultura artistica dos Pancararu de Tacaratu, Revista do Patrimonio Historico e Artistico Nacional en 193822 , qui, selon Dirceu Lindoso, « les indécisions de Estavão Pinto augmentent les difficultés historiques et ethnographiques concernant l'ethnonyme « Tapuia »23 ».. L'espace nordestin apparaît alors comme le territoire symbolique des modifications ethniques, où la catégorisation de chacun des groupes s'est avérée complexe et difficile à identifier de manière très claire. I.2.2. Les mélanges ethniques A travers ces migrations, volontaires ou forcées, de nombreux groupes ethniques sont issus des mêmes origines (Tupi ou Guarani, pour ne citer qu'eux), se divisant ainsi en sous-groupes, éparpillés sur le territoire. La colonisation a aussi entraîné une certaine miscégénation, rapports de mariage entre groupes ethniques plus vastes, tels que les colons portugais avec des femmes indigènes et/ou africaines. Une vraie relation inter-ethnique et donc d'interactions entre les territoires se sont produits sur le sol brésilien, et cela a conduit à des spécificités sociales caractéristiques du Brésil actuel, issues d’un processus historico-culturel. Jusqu’à la fin de l’esclavage en 1888, les relations entre les trois « races », terme le plus couramment utilisé à l’époque, ont construit le Brésil d’aujourd’hui. Associée à l’expansion géographique, le Nordeste apparaît comme le territoire le plus marquant. En effet, durant ces trois siècles, où alternaient chasse à l’indien et immigration africaine, portugaise et française, les groupes ethniques n’avaient pas d’autres choix que de se côtoyer. Et lorsque l’on parle des 21 . « A presença dos colonizadores provocou a desocupação compulsória dos povos de seus territórios tradicionais e, conseqüentemente, a desestruturação das organizações sociais, políticas e étnicas. Os povos foram obrigados a se refugiarem em outros espaços estranhos ao seu habitat. » p.11 in Vieira, Jorge Luiz Gonzaga. Povos do Sertao de Alagoas : confinamento, diáspora e reterritorialização, incelencias revista do Nucleo de programas de pesquisa. CESMAC. Maceió, 2010. 22 . Pinto, Estevão.“Alguns aspectos da cultura artística dos Pancarús de Tacaratu”. In: Revista do Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional nº 2, 1938. 23 . « De certa maneira, as indecisões de Estevão Pinto aumentam as difuculdades historicas e etnograficas sobre o signifcado do etnônimo “Tapuia“. » p. 211 in Lindoso, Dirceu, and Bruno César Cavalcanti. Lições de etnologia geral: introdução ao estudo de seus princípios : seguido de dois estudos de etnologia brasileira. Maceió, AL: EDUFAL, 2008.
  • 32. 27 relations entre maîtres et esclaves, il nous est impossible de passer à côté de l’œuvre magistrale de Gilberto Freyre, « Casa-Grande e Senzala »24 dans son titre original. Dans cet ouvrage, l’auteur nous explique et nous donne toutes les clés de la compréhension des relations entre les envahisseurs (portugais, français et hollandais) et les esclaves (population venue d’Afrique et population indigène). « La réaction à la domination européenne, dans l’aire amérindienne envahie par les Portugais, fut celle de la pure sensibilité et de la pure contraction végétale, l’Indien se retirant ou se contractant au contact civilisateur de l’Européen, dans son incapacité de s’adapter à la nouvelle technique économique, au nouveau régime social et moral. » p.95 Au cours du XVIème siècle, le manque cruel de femmes chez les colons portugais était évident, et ne permettait pas de peupler la côte brésilienne. Aussi, les mœurs différentes (indiennes nues, libertinage, échanges de culture) ont permis ce repeuplement et une nouvelle catégorie de population est apparue : les mamelucos, appelés par la suite les métis. Les mariages inter-ethniques étant prohibés par l’église jésuite durant cette époque, la plupart des enfants se retrouvaient qu’avec leur mère ou même seuls. L’agriculture de la canne à sucre dans toutes les capitaineries du Nordeste (de Bahia jusqu’au Maranhão) se développait très rapidement, et la main-d’œuvre devenait de plus en plus nécessaire. Plus il y avait d’esclaves, plus il y avait d’interactions. Les métis ont eu un rôle très important durant ces trois siècles puisqu’ils accompagnaient souvent les nouveaux explorateurs, les pionniers et les bandeirantes. Ils facilitaient la communication et les échanges entre les portugais et les populations indigènes. Les métis et les mariages inter-ethniques devenant de plus en plus socialement acceptés par les pouvoirs (politique et religieux), nous avons donc aujourd’hui une partie de la population brésilienne issue de ce métissage. La diversité ethnique du Nordeste provient notamment de ces relations et mariages mais personne n’oublie aujourd’hui ses origines, comme le signale Wakay : « Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, nous faisons partie d’une grande masse très mélangée, nous avons des descendants afro-indigènes, nous avons des individus indigènes descendants d’européens, nous avons des individus seulement indigènes. Mais qui naît parmi les Kariri est Kariri. Il peut avoir les yeux bleus, il est Kariri. ». Wakay La miscigénation a eu un impact considérable sur la population brésilienne, accélérant d’une 24 . Freyre G., 1979, Maîtres et esclaves, Paris, Gallimard
  • 33. 28 part la croissance de la population et mettant en œuvre d’autre part un processus ethnique complexe. En effet, la rapide croissance d’une catégorie de population issue de deux groupes ethniques différents a rendu le processus d’identification difficile, comme le démontre Martine Droulers à travers le recensement brésilien de 1976, où sont ressortit 136 couleurs différentes (Annexe 2) (M. Droulers, 2001). Dans ce contexte, il nous est donc impossible d’identifier l’origine exacte de chaque individu, notamment car le recensement se fait selon l’auto-identification et dépend de la couleur de peau de l’enquêteur. En revanche, Martine Droulers nous montre que la distribution géographique des « couleurs » varie : 65% de la population du Nordeste se dit métisse et seulement 27% dans le Sudeste, et « à Salvador de Bahia, tenue pour la ville noire du Brésil, les Noirs constituent 18% de la population et les métis 60% ; la population métisse assume l’ « héritage du Noir » ». (M. Droulers, 2001 : 195) Les Etats du Nordeste, qui constituaient les capitaineries principales lors de la période d’esclavage, se sont bâties sur l’agriculture de la canne à sucre et sur la relation autoritaire entre « le maître et l’esclave » et ce jusqu’à la fin du XIXème siècle. Le rôle dynamique des migrations ont reconfiguré avec verve le paysage nordestin, et ce même dans les premières villes du territoire. Dans le contexte d’une nation métisse fondée sur ces caractéristiques particulières, Salvador de Bahia, ville aux multiples rôles, symbolise aujourd’hui ce processus historico-culturel des cinq derniers siècles. I.3. Le contexte urbain de la Région Métropolitaine de Salvador Comme expliqué en introduction, mon sujet d'étude de départ se portait sur l'intégration urbaine des populations indigènes à Salvador de Bahia. Ville aux symboles multiples (historiques, sociaux et culturels), elle apparaît comme une cité mystique, comme un territoire où les enjeux ont été et sont des plus complexes, et semble traverser le temps, aspirant d'un côté les contradictions humaines et expiant l'héritage des heures les plus sombres du Brésil de l'autre. Véritable référence urbaine dans le Nordeste et au Brésil, elle se révèle comme un espace d'étude aussi passionnant qu'abscons.
  • 34. 29 I.3.1. Présentation générale de Salvador Érigée première capitale du Brésil, entre 1549 et 1763, la ville actuelle le manifeste et le valorise, notamment à travers son slogan (« A primeira Capital do Brasil »). Aujourd'hui capitale de l’État de Bahia, aux superficies démesurées (564 733km2 soit plus que la France métropolitaine), la ville comptait 2.675.656 habitants en 2010 (Censo do IBGE/2010) constituant ainsi la troisième plus grande ville du Brésil derrière São Paulo et Rio de Janeiro. La Région Métropolitaine de Salvador, comptant quatorze municipes, comptait elle 3 573 973 habitants, la plaçant au septième rang des régions métropolitaines brésliennes. Source : http://www.ub.edu Figure 5: Les villes de la Région Métropolitaine de Salvador
  • 35. 30 Ce rapide aperçu sur les caractéristiques démographiques de Salvador nous rend compte de l'importance de la ville sur le territoire brésilien, et encore plus dans le Nordeste et l’État de Bahia, majoritairement rural et pauvre. Comme s'est permis Milton Santos25 de le signifier, la ville de Salvador apparaît, « en lien avec l’État de Bahia comme une sorte de réplique, toutes proportions gardées, à ce que la France appelle, par convention, “Paris et le désert français“ »26 . De plus, son statut d'ancienne capitale et sa localisation sur les bords de l'Océan Atlantique lui offrent la possibilité de s'émanciper et de croire en un développement urbain et social potentiel important. Lors de la découverte du territoire en 1500, les colons portugais ont accosté à l'embouchure du Rio do Queimado, à environ 650km au Sud de Salvador. Il n'est donc pas étonnant que la ville ait été l'une des pierres fondatrices du territoire. Ainsi, durant les siècles suivants, la ville s'est développée, forte de son statut de capitale, assurant la liaison entre Lisbonne et le nouveau territoire, pouvant gérer les échanges commerciaux des nouvelles ressources (humaines et agricoles) grâce à ses ports et défendre le territoire des attaques ennemies. Comme l'explique Pedro de Almeida Vasconcelos, « Salvador était formée d'une île basse commerciale et portuaire, étroite, et d'une ville haute où se sont installés les principaux établissements religieux, publics et privés, bien protégés et jouissant des meilleurs conditions climatiques » (P. A. Vasconcelos, 2000 : 79). Actuellement, les particularités de Salvador de Bahia résident dans sa trame urbaine, dans les modes de vie, dans sa culture (musicale, culinaire, artistique, architecturale…) et dans sa population, qui sont chacun issus de l'héritage colonial de la ville. Lorsque nous nous promenons dans la ville, nous remarquons aisément cette ville haute, où se concentrent le centre historique (le Pelourinho dans le quatier Comercio, à l’ouest de la ville comme nous pouvons le voir su la figure 6), les églises jésuites et les rues pavées où affluent les touristes. Les immeubles, faisant office aujourd'hui d'hôtels ou d'auberges (pousadas), sont bas (pas plus de trois étages) et se distinguent par leurs couleurs vives. Les commerces, à vocation principalement touristique (cartes postales, objets artisanaux, tuniques, instruments, centres 25 . Milton Santos fait partie des chercheurs brésiliens les plus influents. Géographe et penseur, il fit ses études à Salvador de Bahia et à Strasbourg (où il a réalisé sa thèse sous la direction de J. Tricart). Il a par la suite enseigné partout dans le monde (Paris, Toulouse, MIT, Toronto, Lima, Dar es Salaam entre autre) et a largement contribué à l'évolution de la pensée géographique. 26 . Santos, M. Salvador e o deserto. Revista Brasileira dos Municípios, Rio de Janeiro, v.12, n.47/48, p. 127-128, jul./dez.1959.
  • 36. 31 internet) s'entrechoquent avec les bars et restaurants. Autour, déambulent les vendeurs de rues, vendant boissons (eau, bières) et autres objets manufacturés sur place (colliers, bracelets, boucles d'oreille,…) au milieu des mendiants de tout âge, espérant le peu de dons qu’offrent les touristes Source : CIAGS - Centro Interdisciplinar de Desenvolvimento e Gestão Social Beaucoup de lectures (touristiques et journalistiques) que nous pouvons avoir sur la ville de Salvador mettent en garde contre la violence urbaine et la mendicité, au grand dam des brésiliens. Le centre-ville étant relativement restreint, les habitants de Salvador préfèrent s'en éloigner, et occupent ainsi les plages, situées notamment sur la côte océanique, et les très grands “shopping-centers“, construits il y a de nombreuses années pour favoriser la consommation et les déplacements intra-urbains. Nous retrouvons alors une certaine catégorie de la population dans ces centres commerciaux et, comme j'ai pu le remarquer, une classe sociale moyenne voire aisée restant une bonne partie de la journée dans ces centres, profitant des commerces (vêtements, hi-fi, mobiliers et parfums principalement) et des restaurants. Ces centres commerciaux offrant l'avantage d'être hyper-sécurisés, la part de la population la plus aisée vivent et utilisent ces lieux comme lieux de rencontre et lieux de vie, au détriment de la Figure 6: Les différents quartiers de la ville de Salvador de Bahia
  • 37. 32 rue devenue simple passage ou simple lieu de mendicité. La plupart des centres (commerciaux et résidentiels) sont reliés par d'importants axes routiers, sorte d'autoroutes urbaines, facilitant la circulation et l'accessibilité. La ville de Salvador met en exergue la ville coloniale type : un centre historique sur les hauteurs, ses ports en contre-bas ; un développement tardif de sa périphérie, bloquée un temps par les fortifications ; l'importance cruciale de l’Église dans la construction urbaine et sur sa prégnance spatiale dans la ville qui symbolise bien son importance dans l'édifice étatique et social brésilien. La grande particularité de la ville réside également dans sa population, qui se caractérise par un multiculturalisme très important qui, là aussi, est issu du passé colonial du pays. En effet, lors du recensement brésilien de 2005, nous pouvions noter que la RMS comptait 18,3 % de « blancs », 26 % de « noirs » (preto), 54,9 % de métis (pardo) et 0,7 % d'indigènes. Il faut noter, encore une fois, que les recensements se font selon l’auto-détermination, ce qui rend les choses plus complexes qu'elles n'en ont l'air comme le souligne Richard Marin : « Compte tenu de l'intériorisation par ses victimes du préjugé racial, la sous-évaluation des Mulâtres et des Noirs est évidente mais impossible à mesurer. » (R. Marin, 1992 : 136). Ces chiffres font de la ville de Salvador la ville où nous comptons le plus d’afro-brésiliens, et symbolise de fait le multiculturalisme de l’ancienne capitale. C’est ce multiculturalisme qui nous amène à identifier les particularités, qui nous ouvre les yeux sur les caractéristiques propres à la ville et permet d’obtenir une vision plus large de la ville grâce aux détails qui la font. Les migrations internes brésiliennes ayant considérablement augmenté lors durant la deuxième moitié du XXème siècle, la ville de Salvador a été témoin du phénomène suivant : une part importante de la population rurale bahianaise a migré vers la ville en même temps qu'une part importante de la population de Salvador a migré vers d'autres région métropolitaines. Les dynamiques migratoires actuelles se concentrent donc dans l'est du pays, où des échanges réguliers se produisent entre les Etats et entre les grandes Régions Métropolitaines. De grandes tendances ressortent alors : la population de Salvador migre vers le sud du pays en quête de stabilité sociale et professionnelle tandis que certains habitants du sud migrent vers le Nordeste et occupent alors des emplois sous-payés tels que la vente de rue ou le travail domestique. Salvador présente un solde migratoire négatif, dans le sens où elle accueille moins de migrants (de l'intérieur de l’État surtout) mais voit, au contraire, plus d'émigrants partir vers le sud, notamment Sao Paulo, même si la tendance est à la baisse (cf
  • 38. 33 figure 7). Figure 7 : Les migrations de et vers l'Etat de Bahia entre 1995 et 2010 Etats Immigrants (origine) Emigrants (destination) 1995-2000 2005-2010 1995-2000 2005-2010 Chiffres absolus % Chiffres absolus % Chiffres absolus % Chiffres absolus % Rondônia 1 134 0.5 1 014 0.4 2 621 0.5 1 895 0.4 Acre 76 0 68 0 190 0 378 0.1 Amazonas 755 0.3 682 0.3 819 0.2 841 0.2 Roraima 277 0.1 130 0.1 225 0 361 0.1 Pará 2 944 1.2 4 171 1.8 5 000 1.0 3 337 0.7 Amapá 29 0 55 0 170 0 134 0 Tocantins 1 535 0.6 1 330 0.6 2 071 0.4 2 756 0.6 Maranhão 1 941 0.8 1 935 0.8 1 729 0.3 2 555 0.5 Piauí 2 924 1.2 3 468 1.5 3 736 0.7 2 960 0.6 Ceará 6 655 2.7 7 509 3.3 7 346 1.4 5 181 1.1 Rio Grande do Norte 1 673 0.7 1 715 0.7 2 963 0.6 2 383 0.5 Paraíba 4 423 1.8 4 081 1.8 4 698 0.9 3 270 0.7 Pernambuco 23 139 9.2 17 872 7.8 17 696 3.4 18 165 3.9 Alagoas 7 832 3.1 8 141 3.6 3 885 0.7 4 351 0.9 Sergipe 13 433 5.4 11 526 5.0 17 094 3.3 17 733 3.8 Minas Gerais 19 859 7.9 20 627 9.0 36 772 7.1 38 101 8.2 Espírito Santo 14 447 5.8 11 010 4.8 31 743 6.1 39 523 8.5 Rio de Janeiro 15 280 6.1 13 891 6.1 29 035 5.6 27 031 5.8 São Paulo 105 691 42.2 89 695 39.1 277 306 53.5 215 005 46.1 Paraná 4 023 1.6 4 661 2.0 5 145 1.0 6 376 1.4 Santa Catarina 1 215 0.5 1 541 0.7 1 904 0.4 7 392 1.6 Rio Grande do Sul 3 600 1.4 3 443 1.5 2 136 0.4 2 889 0.6 Mato Grosso do Sul 1 299 0.5 1 317 0.6 1 621 0.3 2 216 0.5 Mato Grosso do Sul 1 891 0.8 2 199 1.0 4 479 0.9 3 538 0.8 Goiás 7 580 3.0 8 336 3.6 32 067 6.2 37 144 8.0 Distrito Federal (Brasilia) 6 917 2.8 8 809 3.8 25 587 4.9 20 845 4.5 Total 250 571 100 229 224 100 518 036 100 466 360 100 Souce : Censo IBGE L'attractivité de Salvador a ses limites spatiales, puisque elle n'est attractive que sur un rayon régional. Les processus spatiaux de la croissance urbaine de Salvador se construisent sur cette singularité migratoire, multiculturelle, sociale et économique. L’histoire de Salvador, faite de ruptures et de mutations, constitue le cœur et l’emblème de la ville. Celle-ci ne peut être étudiée sans la prise en compte de son passé qui n’est que le reflet de son statut actuel et de son caractère. Si la ville présente aujourd’hui un multiculturalisme exceptionnel, lui offrant une richesse
  • 39. 34 sociale hors du commun, cela la place, de l’autre côté, dans une position fragile comme le note Yvan Desbiens : « La ville a hérité à la fois des bienfaits et des malheurs du colonialisme, des œuvres audacieuses et magnifiques, mais aussi de l’afflux de population rurale (noire, métis, autochtones…) nombreuse et pauvre de l’arrière-pays (ressacs de la région rurale du São Francisco). » (Y. Desbiens, 2004 : 6). Ses particularités maintiennent la difficile mise en œuvre du développement socio-spatial et son équilibre. Cela se traduit notamment par l’émergence de fortes inégalités et, surtout, par la proximité géographique de celles-ci. Nous pouvons trouver, dans la ville, certains espaces où les rues emplies de pauvreté côtoient celles des condominiums fermés réservés à une classe aisée. Ces inégalités et ce multiculturalisme, symptômes les plus marquants d’un passé trouble, font de la ville de Salvador un territoire révélateur d’une politique sociale déchue. I.3.2. Une ville empreinte d’inégalités socio-économiques En effet, l’histoire et plus particulièrement les dernières décennies ont formé une véritable mosaïque sociale, basée sur le colonialisme puis sur le développement industriel. La croissance urbaine a pris une vraie ampleur pendant la seconde moitié du XXème siècle, lorsque la région a profité de l’industrialisation et, plus tard, de la tertiarisation. Cet extrait de Michel Agier exprime bien les particularités de la ville : « La réorganisation de l'espace urbain de Salvador de Bahia, dans la période 1965-1985 (transfert des favelas vers la périphérie, nouveaux quartiers de classe moyenne en bord de mer, vaste zone de grands ensembles au nord de la ville) a mis en évidence et renforcé les distinctions entre une société visible, une masse pauvre qui devrait rester invisible et des flux de mobilité sociale moderne dans une ville qui comptait environ 400 000 habitants en 1950 et en compte aujourd’hui environ deux millions et demi - plus un pôle pétrochimique, diverses unités d'exploration et de raffinage de pétrole, un centre d’industries métallurgiques,…etc. » (Agier M., 1992 : 55) Ainsi, l’industrialisation dans la branche automobile et pétrochimique s’est faite très rapidement modifiant totalement le visage de la ville. L’attraction provoquée par cette industrialisation n’a pas été gérée par les autorités, et l’urbanisation n’a, de fait, pas été contrôlée. Une immigration massivement rurale a migré vers la ville de Salvador et a provoqué un afflux trop important vis-à-vis du marché foncier. Le pôle pétrochimie de Camaçari, situé à une quarantaine de kilomètres au nord de Salvador, a eu véritable impact sur la RMS, comme le souligne Cristiane Santos Souza. Nous pouvons alors y voir des voies de
  • 40. 35 communication bouchées, un marché foncier saturé et une nouvelle manière de vivre, « puisque Salvador est devenue la ville dortoir de la population employée dans les 56 entreprises du Pôle Pétrochimique de Camaçari » (T. Fischer et al., 1992 : 34). La structure urbaine modifiée et un tout nouveau secteur économique émergeant, de nouvelles catégories socio-professionnelles sont apparues, engendrant des déplacements de populations intra-urbains. En effet, un schéma se dégage selon M. Agier (M. Agier, 1999) : la rapide industrialisation de la région a créé une mobilité résidentielle très importante, où des agrégations sociales se sont formées. La lecture de la ville ne se fait plus de manière verticale (ville haute/ville basse comme au temps de la colonisation) mais se fait de façon horizontale. Le centre historique, autrefois habité par les populations riches, par les « maîtres », et par la classe moyenne jusque dans les années 1980-1990, est aujourd’hui délaissé par cette même classe au profit des grandes tours surplombant l’Océan Atlantique et la Baie de Tous les Saints. Formant de véritables condominiums fermés, nous pouvons y trouver toutes sortes de services (sécurité, éducation, parc, garderies,…), et suivent alors un processus « d’européisation ». Tandis que ces structures gagnent du terrain – lors de mon séjour, j’ai moi-même pu voir, sur la côte Atlantique, de très nombreuses constructions d’immeubles d’une vingtaine d’étages – des terrains sont abandonnés, délaissés et forment dorénavant des parcelles inutilisées ou des campements illégaux des populations pauvres de la ville. Nous pouvons alors voir ces terrains vagues côtoyer les grandes tours modernes, et nous amène à parler de ce que R. Park a appelé les « aires de ségrégation naturelles », où la ségrégation n’est pas institutionnalisée mais existe de manière à créer des aires de concentration ethnique (Y. Grafmeyer et I. Joseph, 1979). Une réelle opposition se dessine donc: un dessein moderniste, capitaliste et individuel est mis en place par les promoteurs et par la ville opposé à un abandon social des populations pauvres et des minorités, tendant les bras au marché du travail informel. En effet, comme le note Tania Fischer, 44% de la population active se trouve sur le marché de l’emploi informel. Nous remarquons dans la rue, et cela est particulièrement visible lors du carnaval, de très nombreux individus et de marchands ambulants vendant boissons, objets artisanaux, ustensiles de cuisine, fruits,… « Tout objet est vendable ». Ce marché informel ne garantit pas, de fait, des sources de revenus suffisamment conséquentes pour vivre voire survivre. Ainsi, ils vivent dans des habitations très précaires, à l’extérieur du centre-ville, et ne bénéficient pas d’aides sociales particulières. Ces conditions de vie, alimentées par un marché du travail non-soutenu et par un marché foncier délaissé, laissent la place aux dérives
  • 41. 36 sociales et à la violence urbaine, comme le souligne Julie Sarah Lourau Silva. En effet, « les chiffres sont alarmants lorsque l’on parle d’homicides intentionnels à Bahia ; cet état occupe la troisième place nationale » (J.S. Lourau Silva, 2014). Bien que ces chiffres (une moyenne de 1.500 homicides par an sur la dernière décennie) soient importants, l’auteur met en garde l’utilisation des chiffres, des statistiques et des espaces de recherches. Les frontières administratives intra-urbaines créées pour ces recherches statistiques ainsi que l’homogénéisation interne de ces quartiers ne reflète pas la réalité et la pertinence de ces études sur la criminalité. Ces données peuvent être utilisées à des fins politiques, sociales voire ethniques contribuant à justifier l’intervention policière dans les quartiers périphériques de la ville. Mais ces chiffres ne sont pas à banaliser non plus : il existe des violences urbaines à Salvador et les tensions sociales qui existent dans la ville ne contribuent pas à apaiser ces violences, comme en témoigne les manifestations qui ont eu lieues en avril 201427 . La ville de Salvador présente une structure urbaine intéressante, et symbolise l’ambiguïté existante entre les discours (politiques, sociaux, ethniques) et la réalité du terrain. Les multiples facettes de la ville, bénéficiant tout à tour des bienfaits et des maux de son passé colonial, mettent en exergue les spécificités qui construisent la ville et qui contribuent à rendre existantes les représentations mythiques bâtissant l’image internationale de cette « Rome Noire ». I.3.3. Ethnicité, culture(s) et spécificités Comme évoqué précédemment, Salvador offre un paysage multiculturel exceptionnel. Cette diversité de cultures trouve son origine dans des moments historiques et des lieux bien particuliers. Ainsi, aujourd’hui, nous remarquons les traditions conservées de chacune des cultures, les mets d’origine différente, les tenues vestimentaires multiples ou encore des cultes différents. C’est cette importante diversité culturelle qui crée la forme et la vie de la ville, fondant ses activités sur ces origines variées et mettant en place des particularités propres à elle. Nous avons à mettre en évidence les spécificités de la ville de Salvador, et pour cela l’ethnicité dont elle est imprégnée doit être définie. Selon M. Weber, les groupes ethniques sont « des groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d'origine fondés sur des similitudes de l'habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur 27 . La grève était notamment causée par les menaces du pouvoir judiciaire sur la Police Militaire. De nombreux braquages et vols ont alors eu lieu dans la ville de Salvador.
  • 42. 37 des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devienne importante pour la propagation de la communalisation – peu importe qu'une communauté de sang existe objectivement »28 . Cette conscience ethnique, de la colonisation et d'une culture commune, s'applique à la ville de Salvador, notamment pour la population afro-brésilienne. Considérant la population afro-brésilienne majoritaire à Salvador, les problématiques politico- raciales et d’ethnicité doivent être abordées. Durant le XXème siècle, et toujours selon le passé esclavagiste du Nordeste et donc de la ville de Salvador, les communautés minoritaires ont vu leurs statuts être modifiés et évoluer. Grâce à des mouvements sociaux exemplaires (les Congrès Afro-brésiliens de Recife et de Bahia en 1934 et 1937 notamment) et des revendications touchant aussi bien les aspects politiques, culturels ou religieux, les populations afro-brésiliennes et indigènes ont pu obtenir cette visibilité qu’ils souhaitaient. Malgré la dictature brésilienne du milieu du XXème siècle, les populations minoritaires s’organisaient, essayant de se démarquer des groupes dominants et de s’extirper des stigmatisations raciales dont ils souffraient. Actuellement, l’objectif du discours culturel bahianais, via ces mouvements sociaux toujours existants, réside dans l’intégration dans la société des cultes et des religions africains, notamment le candomblé. Comme le souligne Michel Agier, « ce mouvement dont les limites et les discours incorporent, voire privilégient la dimension culturelle, renvoient de plus en plus nettement à un système d’identité global - mouvement plus soucieux de délimiter les espaces et l’identité de la “communauté noire” que de négocier l’insertion des Noirs dans la société globale. » (M. Agier, 1994 : 110) Ce « référent religieux » se présente comme l’un des artifices majeurs de cette revendication identitaire de la communauté afro-brésilienne, tout comme la formation d’associations culturelles et récréatives spécifiques à la culture et au carnaval. En effet, celui-ci joue un rôle essentiel dans la construction de l’identité noire de Salvador. Le carnaval est un instrument important afin d’obtenir la visibilité nécessaire en vue de l’intégration de la culture afro dans la société. Le nombre d’associations carnavalesques n’a cessé d’augmenter, tout comme le nombre d’inscrits. Selon Michel Agier, trois caractéristiques émanent du carnaval et des associations : « Premièrement, ils tendent à se transformer en associations officielles et durables, luttant contre la précarité inhérente aux initiatives nées dans la convivialité familiale ou urbaine. Deuxièmement, ils représentent un espace de productions et manifestations culturelles 28 . Weber Max, Economie et société, Paris, Plon, volume 1. Traduit par Julien Freund et al. À partir de Wirtschaft une Gesellschaft, Gundriss der vertehenden Soziologie, fondé sur la 4è édition allemande, J. Wickermann (ed.) Tübingen, J.C.B. Mohr (P. Siebeck), 1956, première édition allemande, 1921.