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Institut d'Archéologie
Prof. V. Dasen
Séminaire
Nécromancie
La consultation des morts
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Mottiez Paul-Emile
Rte Cantonale 45D
1964 Conthey
Semestre de Printemps 2013
Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
1. Définition de la nécromancie p. 3
2. Les sources écrites p. 4
Apparitions diverses p. 4
Pratiques et rituels p. 5
Tirésias dans L'Odyssée p. 5
Anchise dans L'Enéïde p. 6
Darius dans Les Perses p. 7
Orphée et des têtes parlantes p. 7
Comparaison et commentaire p. 8
L'Odyssée et L'Enéïde p. 8
Les oracles des morts p. 10
Remarques générales p. 10
3. Les sources iconographiques p. 15
Ulysse et Tirésias p. 15
Orphée p. 16
4. Découverte archéologique - Vigna Codini p. 18
Une amulette en or p. 18
Contexte de découverte p. 19
5. Conclusion p. 20
6. Annexes p. 21
7. Bibliographie p. 26
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
1. Définition de la nécromancie
Si nous prenons les définitions modernes du terme de Nécromancie, voici ce que l'on en dit :
« Science occulte qui prétend évoquer les morts pour obtenir d'eux des révélations de tous ordres,
particulièrement sur l'avenir1
. »
« Interrogation, dans un but de divination, des morts, censés survivre et pouvoir communiquer avec
les vivants2
. »
Il est une chose qu'il nous faut remarquer. Les arts divinatoires sont fort répandus et prennent de
multiples formes. Citons pour exemple les oracles, comme celui du célèbre temple de Delphes, où
le dieu Apollon " parle " au travers de la Pythie. N'oublions non plus pas le caractère onirique des
conseils d'Asclépios envers les malades auxquels il rend visite la nuit dans ses sanctuaires.
Mais qu'en est-il alors de la définition de la nécromancie durant la période antique ? Selon toute
vraisemblance, cette divination regroupe trois types de procédés3
.
Le premier, l'oniromancie qui, nous venons de le citer avec l'exemple d'Asclépios, donnant une
dimension divinatoire aux songes, devait pouvoir mener à cette nouvelle forme de divination qu'est
la nécromancie. Les consultants, qui allaient dormir sur des tombeaux bien définis, devaient pouvoir
obtenir des rêves révélateurs où, dans la majorité des cas, le défunt invoqué leurs apparaissait.
Le second se trouve être la nékyomancie que nous retrouvons dans l'Odyssée, mais également dans
l'Enéïde de Virgile. Il s'agit là d'un voyage effectué dans le monde des morts afin d'obtenir les
réponses aux questions posées.
Le dernier type est la psychomancie, ou plus exactement l'évocation des ombres. Il consiste à
invoquer les défunts pour qu'ils puissent revenir dans le monde des mortels.
Auguste Bouché-Leclercq met en lumière le fait fort probable d'une évolution des pratiques
nécromantiques où, si l'oniromancie devait être un point de départ, la psychomancie devait suivre à
la nékyomancie. Quand il s'agit de jouer avec le monde des morts, il semble préférable de le faire
dans le monde des vivants. Ce qu'apparemment Ulysse et Enée auraient fait s'ils avaient eu
connaissance d'un autre moyen que celui de se rendre eux-mêmes chez les morts pour les consulter.
Mais cette affirmation est à prendre avec des pincettes. Car, comme nous le verrons, le " voyage "
en enfer d'Ulysse reste très ambigu4
.
Mais malgré tout, nous verrons bien, par les sources dont nous disposons, que les définitions
actuelles de la nécromancie, et qu'importe par quels procédés les consultations sont faites, reflètent
bien la volonté antique.
Il ne faut en aucun cas s'imaginer des histoires de praticiens relevant des revenants ou des zombies à
but de domination ou rêvant d'immortalité, que la culture populaire moderne tient à lier au terme
nécromancie, à travers histoires fantastiques, films ou encore jeux vidéo.
1 Petit Robert, 1987.
2 Larousse, 1998.
3 A. Bouché-Leclercq, 1879, 330-332.
4 A. Bouché-Leclercq, 1879, 332.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
2. Les sources écrites
Apparitions diverses
Il ne manque pas de sources écrites sur ce sujet, des apparitions diverses et variées, que cela soit
dans des pièces de théâtre, des documents historiques, voire même dans des textes dont la volonté
d'écriture se veut scientifique.
C'est notamment le cas dans un passage de Pline l'Ancien, où un certain Gabiénus revient du
royaume des morts avec l'approbation des dieux des Enfers afin de délivrer un message à Pompée :
« [...] Au cours de la guerre de Sicile, Gabiénus, un des plus braves marins de la flotte de César, fut
pris par Sextus Pompée qui lui fit couper la gorge ; il resta étendu tout un jour sur le rivage, le cou
tenant à peine au tronc. Vers le soir, ses gémissements et ses prières attroupèrent du monde ; il
demanda que Pompée vînt le voir ou envoyât un de ses intimes : on l'avait relâché des Enfers avec un
message. Pompée envoya plusieurs de ses amis à qui Gabiénus déclara que les dieux infernaux
agréaient la politique et le parti de Pompée, qui étaient légitime ; aussi l'issue des événements
serait-elle conforme à ses vœux ; il avait reçu l'ordre d'annoncer cette nouvelle et il prouverait la
véracité de ses dires par le fait qu'il allait expirer, aussitôt sa mission remplie, et il en fut ainsi. On cite
encore des cas de revenants, mais notre enquête a pour objet les faits naturels et non les prodiges5
. »
Il ne s'agit pas là du seul fait paranormal relaté par l'auteur. Avant cela, il fait référence à de
nombreux cas de personnes pouvant séparer leur esprit de leur corps, comme celui d'Epiménide de
Cnosse6
qui s'endormit durant cinquante-sept ans avant de revenir à lui et qui s'étonna de voir que le
monde avait changé. Pline finit par considérer que ces objets font partie de prodiges sur lesquels il
ne tient pas à enquêter car il ne s'agit là, pour lui, de faits non naturels.
Mais l'histoire de Gabiénus montre bien que la croyance en la possibilité d'un retour temporaire du
monde des morts, par l'approbation des dieux des Enfers, est bel et bien présente. Et cet exemple
n'en est qu'un parmi beaucoup d'autres, comme tient à le préciser Pline7
.
En dehors du cas que nous venons de voir, où les morts prennent l'initiative de revenir dans le
monde des vivants, et qui, selon moi, ne se trouve pas lié à des pratiques nécromantiques, d'autres
sources relatent des consultations aux morts.
C'est le cas d'Hérodote qui, dans le cadre de ses recherches historiques, nous cite une histoire sur le
tyran Périandre de Corinthe :
« Il (Périandre) fit aussi en un même jour dépouiller de leurs habits toutes les femmes de Corinthe, à
l'occasion de Mélisse, sa femme. Il avait envoyé consulter l'oracle des morts sur les bords de
l'Achéron, dans le pays des Thesprotiens, au sujet d'un dépôt qu'avait laissé un étranger. Mélisse,
étant apparue, répondit qu'elle ne dirait ni n'indiquerait où était ce dépôt, parce qu'étant nue, elle
avait froid ; les habits qu'on avait enterrés avec elle ne lui servant de rien, puisqu'on ne les avait pas
brûlés. Et, pour prouver la vérité de ce qu'elle avançait, elle ajouta que Périandre avait déposé dans
le sein de la mort le germe de la vie.
5 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179.
6 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 175.
7 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 179.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Cette preuve parut d'autant plus certaine à Périandre, qu'il avait joui de sa femme après sa mort. Ses
envoyés ne lui eurent pas plutôt fait part, à leur retour, de la réponse de Mélisse, qu'il fit publier par
un héraut que toutes les femmes de Corinthe eussent à s'assembler dans le temple de Junon. Elles s'y
rendirent comme à une fête, avec leurs plus riches parures ; mais, les femmes libres comme les
suivantes, il les fit toutes dépouiller par ses gardes, qu'il avait apostés dans ce dessein. On porta
ensuite par son ordre tous ces habits dans une fosse, où on les brûla, après qu'il eut adressé ses
prières à Mélisse. Cela fait, l'ombre de Mélisse indiqua à celui qu'il avait envoyé pour la seconde fois
le lieu où elle avait mis le dépôt8
. »
Pratiques et rituels
Tirésias dans L'Odyssée
Il est sans doute impossible de savoir réellement à quelle époque les Grecs ont commencé à faire
comparaître les morts devant eux en délaissant l'état onirique de leur consultation. Toujours est-il
que l'Odyssée se trouve être le plus vieux document connu de nos jours relatant la pratique de la
nékyomancie, plus précisément celle d'un voyage aux Enfers pour consulter les défunts. C'est
également le plus vieux document relatant le rituel à accomplir afin de pouvoir pénétrer dans le
monde des morts.
Dans ce texte, Circé indique avec exactitude le rituel qu'Ulysse devra suivre à la lettre afin de
pouvoir pénétrer dans les Enfers et converser avec Tirésias :
« [...], quand avec ta nef tu auras passé à travers l'Océan, là, tu trouveras un petit promontoire et un
bois de Perséphone, avec des grands peupliers et des saules dont périssent les fruits. Fais aborder ta
nef à l'endroit même, au bord de l'Océan et de ses tourbillons profonds. Pour toi, entre dans la
fangeuse demeure d'Hadès. Là, le Pyriphlégéthon coule dans l'Achéron avec le Cocyte, issu de la
rupture des eaux du Styx.
Au point où les deux fleuves se jettent ensemble, tout mugissants, dans l'Achéron, il y a un rocher.
Approche-toi alors, homme preux, jusqu'à l'effleurer, et, comme je t'y invite, creuse un trou de la
dimension d'une coudée dans les deux sens. Verse autour une libation pour tous les morts, d'abord
avec un mélange de miel, ensuite avec du vin délicieux, en troisième lieu avec de l'eau. Par-dessus,
saupoudre la blanche farine d'orge, et multiplie les supplications aux têtes sans force des morts.
Dis-leur qu'une fois revenu en Ithaque, tu feras au manoir l'offrande d'une vache stérile, la meilleure
qui soit, que tu rempliras noblement le bûcher, et que, pour le seul Tirésias, tu sacrifieras, à part, un
bélier tout noir, le plus remarquable de votre troupeau. Puis, quand tu auras adressé ta prière et tes
vœux aux tribus fameuses des morts, fais l'offrande d'un bélier et d'une femelle noire, en les tournants
vers l'Érèbe, mais toi, détourne-toi en direction du cours du fleuve.
Les âmes des défunts disparus viendront nombreuses. Pour lors, presse tes compagnons et
commande-leur de prendre les bêtes gisant égorgées sous les coups du bronze sans pitié, de les
écorcher et de les brûler toutes, puis d'adresser des vœux aux dieux, au robuste Hadès, à la terrible
Perséphone. Toi, tirant ton glaive aigu au long de ta cuisse, reste sans bouger et ne laisse pas les têtes
sans force des morts s'approcher du sang, avant d'être par Tirésias informé. [...]9
»
L'important dans ce texte est bel et bien ce point précis. Ulysse ne part pas consulter n'importe qui,
mais Tirésias. C'était un célèbre devin. Il existe différentes versions sur l'acquisition de son don de
voyance, ce qui fait que je ne m'y attarderai pas. Mais le point important est que ce dernier avait
8 Hérodote, Histoires V, 92.
9 Homère, Odyssée X, 489-537.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
reçu de Zeus le privilège de conserver, après sa mort, son don. De ce fait, il était le seul à pouvoir
renseigner Ulysse sur sa recherche d'Ithaque.
Anchise dans L'Enéïde
Dans l'Enéïde, bien que restant dans le domaine de la nékyomancie, Virgile nous peint un autre
tableau :
« [...] Il y avait une caverne profonde, monstrueuse, ouverte en un bâillement énorme, hérissée de
rocs, défendue par un lac noir et les ténèbres des bois. Nul oiseau ne pouvait dans son vol passer
impunément au-dessus ; tel était le souffle qui se dégageait de ces gorges sombres et montait
jusqu'aux voûtes célestes. La prêtresse y fait d'abord conduire quatre taureaux au dos noir et verse du
vin sur leur front ; coupant entre leurs cornes l'extrémité de quelques mèches, elle les dépose dans les
feux sacrés comme première offrande, appelant à haute voix Hécate puissante au ciel et dans l'Érèbe.
D'autres enfoncent les couteaux et recueillent dans des patères le sang tiède. Enée lui-même, pour la
mère des Euménides et pour sa puissante sœur frappe de l'épée une brebis à la toison noire et pour
toi, Proserpine, une vache stérile. Alors il élève pour le roi stygien des autels nocturnes, dépose dans
les flammes les chairs entières des taureaux, répandant l'huile grasse sur les entrailles ardentes. Et
voici qu'au lever, sur le seuil du premier soleil, le sol commença à mugir sous leurs pieds, les
montagnes à se mouvoir dans les forêts ; on crut entendre des chiennes, hurlant à travers l'ombre, aux
approches de la déesse. " Loin, loin d'ici, profanes, s'écrie la prêtresse, retirez-vous de tout ce bois ; et
toi entre au chemin, sors le fer du fourreau ; c'est maintenant, Enée, qu'il faut de la vaillance, un cœur
ferme. " Elle ne dit que ces mots, hors d'elle-même, et s'élança dans l'antre béant ; lui, règle son pas
sur le pas résolu de son guide.10
»
Bien entendu, le lieu à atteindre et le rituel à accomplir sont également décrit. Mais Enée,
contrairement à Ulysse, ne se contente pas de rester sur le seuil des Enfers. Il prend la décision d'y
entrer en tant que mortel afin, non pas de converser avec un grand devin, mais de rencontrer son
propre père, Anchise, qui révèlera l'avenir qu'il voit de sa propre lignée.
Les différences sont de taille et l'enjeu également. De plus, la Sybille l'avertit du danger que
représente cette démarche.
« [...], il est facile de descendre en l'Averne : elle est ouverte nuit et jour, la porte de sombre Dis, mais
revenir sur ses pas, se retrouver libre sous les souffles d'en haut, voilà ce qui est l'affaire et qui
demande effort.11
»
C'est pour cette raison qu'elle ordonne au héros d'aller en quête d'un rameau d'or que plus tard elle
offrira à Charon, afin d'en apaiser la colère et pouvoir traverser sans encombre le Styx.12
10 Virgile, Enéïde VI, 237-263.
11 Virgile, Enéïde VI, 126-129.
12 Virgile, Enéïde VI, 405.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Darius dans Les Perses
Bien que se rattachant au monde perse, Echyle nous peint également le tableau d'une évocation, où
le rituel semble bien relater une pratique psychomantique13
. Cette hypothèse peut s'appuyer sur le
fait que, lors de la venue du roi Darius, autant son épouse Atossa que le chœur qui l'accompagne,
peuvent voir son ombre.
Dans ce texte, le rituel est également décrit. Atossa arrive sur le tertre de son défunt mari, portant
des offrandes14
. Puis, il s'ensuit tout un chant et une danse d'évocation, faits par le chœur afin de
prier Darius de revenir parmi les vivants :
« Lui, l'éternel Roi, lui, l'égal des bienheureux, m'entendra-t-il faire jaillir ce cri de notre langue
barbare, lugubre lamentation ? Plein de souffrance, plaintif, je l'appelle, lui, m'entend-il, dans
l'abîme ? Vous, écoutez, Terre, écoutez, vous, souterrains maître des morts, ô souverains seigneurs,
faites sortir notre aimé, le fils de Suse, dieu perse! Des profondeurs, guidez-le jusqu'en terre perse, le
Roi sans pareil ! Tombe adorée ! L'homme adoré, l'âme adorée repose ici; Aïdonée, mène-le à la
surface, Aïdonée, notre Darios, l'incomparable ! Èhé ! Aucun revers, aucune perte, aucun désastre
militaire, sa pensée, digne des dieux, pensée divine pour les Perses savait conduire notre armée. Èhé !
Ô mon Grand Roi, ô mon vieux Roi, viens-nous vite ! Viens au-dessus de ton tertre ! Que tes
babouches safranées apparaissent, resplendisse la cime de la tiare impériale ! Père infaillible, viens à
nous, Darios ! Oï ! Viens vite apprendre les souffrances nouvelles, Maître du Maître, montre-toi ! Un
brouillard monte du Styx, âcre venin, mort ! Tous nos jeunes sont perdus, tous, ils ont disparu ! Père
infaillible, viens à nous, Darios ! Oï ! Aïaï ! Aïaï ! Larmes, sanglots pour nos aimés perdus !
Pourquoi, Seigneur, ô Seigneur, pourquoi ce double égarement s'abat-il sur tes biens ? Ta terre, toute,
a perdu ses barques triples ! Battus, nos bateaux abattus !15
»
Orphée et des têtes parlantes
Un autre personnage important ayant un lien avec le monde des morts est Orphée. Comme Enée et
quelques autres héros, celui-ci avait entrepris un voyage dans les Enfers. Son but n'était pas la
consultation, mais la volonté d'en faire ressortir son amour, Eurydice, afin qu'elle puisse revivre à
ses côtés dans le monde des mortels. Bien entendu, à cause de la perfidie des dieux infernaux, il
échoua. Malgré tout, lui-même ressortit des Enfers.
Mais le destin d'Orphée demeure très particulier. Ovide nous raconte comment les femmes thraces
déchiquetèrent son corps, à la suite de quoi sa lyre et sa tête furent emportées par le fleuve jusqu'à
Lesbos :
« [...] Les membres d'Orphée gisent dispersés. Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre; et - prodige ! -
tandis qu'elle est emportée au milieu de ton fleuve, cette lyre plaintivement fait entendre je ne sais
quels reproches, plaintivement la langue privée de sentiment murmure, plaintivement répondent les
rives. Et maintenant emportés à la mer, ces restes abandonnent le fleuve de leur patrie et prennent
possession du rivage de Méthymne à Lesbos.16
»
13 La frontière séparant le monde onirique et le monde conscient durant les évocations se trouve être parfois très
maigre. Les rêves pouvaient apparaître avec un tel réalisme que la venue du défunt pouvait porter la confusion dans
l'esprit du consultant quant à son propre état durant la consultation.
14 Eschyle, Les Perses, 597.
15 Eschyle, Les Perses, 633-680.
16 Ovide, Les métamorphoses XI, 276.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Cette histoire de la tête d'Orphée est d'autant plus intéressante que Philostrate fait mention d'un
sanctuaire oraculaire en son honneur :
« Il (Apollonius) aborda ensuite à Lesbos et visita le sanctuaire d'Orphée. On dit qu'Orphée aimait à
prédire l'avenir en cet endroit, avant qu'Apollon lui-même se fût chargé de ce soin. En effet, il était
arrivé que l'on n'allait plus demander l'avenir, ni à Grynée, ni à Claros, ni dans aucun des autres
endroits où il y avait un trépied d'Apollon : Orphée seul, dont la tête était récemment arrivée de
Thrace, rendait des oracles à Lesbos. Mais Apollon vint l'interrompre : " Cesse d’empiéter, lui dit-il,
sur mes attributions ; il n'y a que trop longtemps que je souffre tes oracles. " 17
»
Ce genre d'histoire n'est pas la seule que nous retrouvons dans les textes. Nous pouvons citer
plusieurs exemples de têtes coupées parlantes, comme le souligne Aristote dans un commentaire sur
le rire :
« On prétend aussi que des blessures de guerre dans la région du diaphragme provoque le rire, à
cause de la chaleur qui se dégage de la blessure. Car ce fait, rapporté par des gens dignes de foi, est
plus croyable que ce que l'on raconte de la tête d'homme qui parlait après avoir été coupée ! Certains,
à l'appui de cette assertion, vont jusqu'à citer Homère qui ferait allusion à ce fait quand il dit: " Elle
parle encore, que déjà sa tête est dans la poussière ", et non " il parle ". Et en Carie, on a si bien cru à
la réalité du fait qu'on est allé jusqu'à faire passer en jugement un habitant du pays. En effet, le prêtre
de Zeus Armé ayant été tué sans qu'on sût par qui, quelques personnes prétendirent avoir entendu sa
tête coupée dire plusieurs fois: " Kerkidas a commis meurtre sur meurtre. " Aussi l'on chercha qui
dans le pays s'appelait Kerkidas et on le jugea.18
»
Nous pouvons également citer l'histoire extraordinaire de Polycrite, que nous relate Phlégon de
Tralles dans son De mirabilibus19
, dans laquelle, non seulement le spectre de Polycrite revient parmi
les vivants de sa propre initiative, mais où ce dernier finit aussi par dévorer le corps de son enfant,
hormis sa tête qui dévoilera par la suite un oracle aux Etoliens.
Une autre histoire d'une tête oraculaire est aussi décrite dans le chapitre trois du De mirabilibus. Il
s'agit là du général romain Publius qui fut dévoré par un loup roux, à la suite de quoi, sa tête, qui
gisait par terre, proféra des vers.
Comparaison et commentaire
L’Odyssée et l’Enéïde
Bien que se référant tous deux à la pratique de la nékyomancie, les textes d'Homère et de Virgile
comportent des éléments différents. Bien entendu, le but des deux héros, Ulysse et Enée, sont
atteints. Comme nous l'avons vu précédemment, Enée ne se contente pas de rester devant l'entrée
des Enfers, mais il y effectue un voyage. Est-ce cette différence qui fait que le rituel qu'il effectue,
avec l'aide de la Sybille, se trouve être différent de celui effectué par Ulysse ?
Il s'agit là d'une question qui restera sans doute sans réponse. Toutefois, Ulysse se contentant
seulement de faire venir Tirésias à lui, il n'a nul besoin de trouver une offrande pour Charon,
comme dû le faire Enée en apportant un rameau d'or.
17 Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane IV, XIV.
18 Aristote, Les parties des animaux, 673a.
19 Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Nous pouvons voir l'ensemble des deux rituels pour établir leurs ressemblances ainsi que leurs
différences20
.
Dans l'Odyssée, Ulysse doit se rendre auprès d'un rocher qui se trouve être là où le Pyriphlégéthon
et le Cocyte se jettent ensemble dans l'Achéron. A cet endroit, ce dernier creuse, contre le rocher, un
trou d'une coudée dans les deux sens. Autour, il y verse une libation d'un mélange de miel, de vin
délicieux et d'eau. Il saupoudre cette libation de farine d'orge blanche, en faisant des promesses aux
morts. Après quoi, il coupa le cou d'un bélier et d'une femelle noire dans la fosse. Alors, les âmes
des défunts sortirent de l'Érèbe et s'assemblèrent autour du trou. Puis les compagnons d'Ulysse
écorchèrent les deux victimes et les brûlèrent. Enfin, Ulysse adressa des vœux à Hadès et
Perséphone, et sortit son glaive afin d'empêcher les morts de boire le sang des victimes, sang
réservé à Tirésias.
Enée, quant à lui, se rend devant une profonde caverne, ressemblant à un gouffre, défendue par un
lac noir et un bois ténébreux. Ici, c'est la prêtresse qui commence le rituel. Elle amène quatre
taureaux au dos noir et verse sur leur front des libations de vin. Ensuite, elle coupe entre leurs
cornes, le bout des poils et les jette dans un feu sacré, en invoquant Hécate. Les taureaux ont ensuite
le cou tranché et leur sang est recueilli dans des patères. Enée, quant à lui, égorge une brebis noire
pour la mère des Euménides, Nyx, et sa sœur, Érèbe21
, ainsi qu'une vache stérile pour Proserpine.
Puis il dresse des autels au roi du Styx et livre les chairs des taureaux. A la suite de quoi, dès
l'apparition du soleil, le sol mugit et la Sybille s'élance dans la grotte, suivie d'Enée.
Après l'analyse de ces deux cérémonies, le premier point à soulever est que, dans un cas comme
dans l'autre, ces dernières se déroulent devant les portes des Enfers. Les autres points communs sont
que les compagnons des deux héros ont un rôle durant le rituel, bien que ce rôle soit différent d'un
texte à l'autre. Dans l'Odyssée, ceux-ci s'occupent d'écorcher les victimes et de les brûler. Dans
l'Enéïde, ils égorgent les taureaux et en récoltent le sang. En parlant des autres protagonistes, Ulysse
suit les indications de Circé, qui ne se trouve pas présente avec lui. Alors que de l'autre côté, c'est la
prêtresse qui démarre le rituel, à la suite de quoi Enée y prend part.
Les libations sont également différentes. Ulysse en effectue une de miel, de vin et d'eau autour d'un
trou qu'il a creusé et sur lequel il répand de la farine d'orge. De son côté, Enée ne fait aucune
libation. C'est la prêtresse qui la pratique. Mais elle se contente d'une simple libation de vin, ici non
pas autour d'un trou, mais sur le front des taureaux. Après quoi elle en coupe les poils devant être
mouillés et les jette dans un feu sacré. De son côté, le seul feu dont parle Homère est celui dans
lequel les victimes sont brûlées.
Les animaux utilisés pour le sacrifice sont aussi très différents. Dans l'Enéïde, quatre jeunes
taureaux au dos noir, une brebis noire et une vache stérile y sont décrits. De son côté, bien qu'Ulysse
promette aux morts, une fois de retour en Ithaque, le sacrifice d'une vache stérile en plus d'un bélier
noir uniquement pour Tirésias, il n'utilise que deux béliers pour le rituel, un mâle dont la couleur
n'est pas mentionnée et une femelle noire. Quant au sang des victimes, il se laisse couler dans le
trou qu'avait creusé Ulysse. Et le héros doit protéger ce sang afin que seul Tirésias ne le boive, pour
que celui-ci puisse, en quelque sorte, revenir à la vie. Dans l'Enéïde, ce sang est recueilli dans des
patères, mais le texte ne précise pas son utilisation. Il n'explique pas non plus le rôle des autels que
dresse Enée. Nous pouvons supposer que ces patères y seraient déposées. Le dernier point
concernant les victimes est commun aux deux textes. Les chairs sont brûlées.
20 Voir tableau Annexe 1
21 A la Nuit et aux Ténèbres souterraines
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Hormis ces différences dans leur rituel, ces deux textes en possèdent encore quelques-unes qui ne
sont pas sans importance. Mais ces dernières, entrant dans un cadre plus large de la nécromancie,
seront développées plus en comparaison des autres sources citées auparavant.
Les oracles des morts
Si nous nous penchons sur le cas des têtes coupées, nous avons vu précédemment quatre cas
d'oracle. Comme le fait remarquer Brisson22
, le plus ancien de ces exemples est probablement celui
de la tête d'Orphée. Mais si le texte décrit bien que la tête parle, il faut le revoir plus en détail :
Il est à remarquer qu'il est stipulé ici que la lyre émet aussi du bruit, une chose qui semble sans
importance pour Philostrate qui n'en fait pas mention lorsqu'il nous parle du sanctuaire d'Orphée à
Lesbos. En plus de cela, le texte parle simplement de murmures. Ces paroles, elles-mêmes émises
par la tête d'Orphée, semblent d'une moins grande importance que le fait qu'Orphée puisse continuer
à parler. Et rien n'indique un caractère prophétique. Ce qui est différent des deux oracles que nous
retrouvons dans le De mirabilibus.
Les têtes, que ce soit celle du général Publius ou celle de l'enfant de Polycrite, émettent clairement
un oracle. De plus, la ressemblance de ces deux textes est frappante. Dans le premier cas, un loup
roux apparait et dévore le corps de Publius, à la suite de quoi sa tête vaticine. Dans le second, il
s'agit de Polycrite lui-même dévorant son propre enfant en y laissant que la tête qui, par la suite,
établit un oracle.
Le cas de Gabiénus, décrit par Pline l'Ancien, peut être également rapproché du thème des têtes
coupées, bien que celle de ce dernier ne soit pas totalement détachée de son corps. Mais toutefois,
dans ce dernier exemple, le défunt rapporte la parole des dieux des Enfers d'une manière claire.
Quant au cas auquel fait référence Aristote, les paroles émises par la tête du prêtre de Zeus Armé ne
semblent pas être d'ordre oraculaire, mais elles ne désignent que simplement le meurtrier de ce
dernier.
Dans la mesure où ces textes proviennent du même auteur, il semble logique que les histoires de
Polycrite et de Publius présentent de grandes ressemblances. Mais, en dehors de cela, il est difficile
de trouver des points communs entre ces différents textes, hormis deux choses : Ce sont des têtes
qui parlent, manifestement après avoir subi une mort violente.
Remarques générales
A la vue de ces différents éléments, il serait mal venu de classifier d'un côté les voyages d'Ulysse et
Enée, de l'autre les têtes coupées parlantes, puis les autres sources.
Premièrement car certains textes ne donnent pas assez de détails pour pouvoir être classifier sans
émettre de doutes. Et deuxièmement, bien que les manières de procéder soient différentes, ces textes
font tous partie d'un même thème de divination.
Certaines questions peuvent rester en suspens. Tous les morts peuvent-ils prédire d'avenir ?
22 L. Brisson, 1978, 117.
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Selon l'Odyssée, il est clair que seul Tirésias en est capable. Ce fait est illustré par la venue d'autres
morts qui, en plus de ne pas connaître l'avenir, ne semblent non plus pas en mesure de savoir ce qui
se passe dans le présent du monde des vivants. Quelques morts ne peuvent s'empêcher de
questionner Ulysse. C'est le cas de sa mère :
« Mon enfant, comment as-tu fait pour venir, quand tu es en vie, sous les brumes de l'occident
obscur ? [...] Arrives-tu ici à présent de la Troade, vagabondant depuis longtemps avec tes
compagnons et ta nef ? Tu n'es pas encore allé en Ithaque ? Tu n'as pas encore vu ta femme, dans ton
manoir ?23
»
Puis d'Agamemnon :
« [...] peut-être avez-vous appris que mon fils vit encore ? A Orchoménos peut-être, dans l'aréneuse
Pylos, ou peut-être chez Ménélas, dans la large Sparte ?24
»
Ou encore d'Achille :
« [...] Mais va, dis-moi un mot de mon merveilleux fils : est-il ou non venu à son tour à la guerre, pour
y combattre des premiers ?... Et dis-moi si tu as quelque nouvelle du noble Pélée : est-il encore honoré
parmi la foule des Myrmidons ? Ou bien le tient-on sans honneur à travers l'Hellas et la Phthie, parce
que la vieillesse s'empare de ses mains et de ses pieds ?...25
»
Il faut toutefois avouer que, si la pratique de la consultation des morts ne devait que se résumer à
consulter ce défunt devin, ce dernier devait avoir un agenda plutôt chargé. Heureusement pour lui,
et comme nous l'avons vu précédemment avec Anchise, Orphée et d'autres textes, ce n'était pas le
cas.
Pourtant, le questionnement de ces morts au sujet du monde des vivants est bien présent. L'Odyssée
n'est pas le seul texte qui y fait référence. Quand, dans Les Perses, Darius est invoqué par sa veuve
Atossa, ce dernier semble lui aussi ignorant de ce qui se déroule chez les vivants :
« Fidèles des Fidèles, compagnons d'antan, vieillards de Perse, quel mal tourmente ma cité ? [...] de
quelles nouvelles peines les Perses souffrent-ils ?26
»
Mais est-ce une totale ignorance ? Celui-ci sait, d'une certaine manière, que quelque chose se trame.
Le seul problème est qu'il s'en sait pas plus. Il posera toute une série de questions à Atossa, qui lui
répondra. Après quoi les Perses demanderont conseil à Darius. Une chose très étrange que l'on
constate dans cette partie du texte est que, si Darius commence par donner un véritable conseil, il
finit tout de même par dire qu'il sait que " L'armée qui se trouve maintenant sur le sol des Grecs ne
connaîtra jamais le retour ni le salut.27
".
Cette phrase dénote un caractère prophétique. Mais, il est tout à fait possible que, suite aux
interrogations de Darius et aux réponses qu'il eut en retour, celui-ci ne fit que prédire un avenir,
conséquence logique des évènements présents.
Si, dans le cadre de la visite de spectres, la question de savoir si n'importe quel mort peut prédire
23 Homère, Odyssée XI, 127-171.
24 Homère, Odyssée XI, 445-492.
25 Homère, Odyssée XI, 492-536.
26 Eschyle, Les Perses, 681-694.
27 Eschyle, Les Perses, 796-797.
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
l'avenir semble trouver une réponse. Cette question, dans le cadre des têtes parlantes, peut aussi être
liée à une autre : Est-ce le mort lui-même qui parle ?
Aucun élément ne semble dire le contraire. Sans précision dans les textes, la logique veut que la
question ne se pose pas. Il est certain que Gabiénus parle lui-même au nom des divinités des Enfers.
Orphée étant déjà revenu des Enfers une fois, rien ne permet de douter qu'il ne sache plus en revenir
pour y faire des prédictions. Le prêtre de Zeus Armé semble parler de lui-même, bien qu'Aristote
précise dans ce texte que c'est la tête qui parle et non le propriétaire initial de cette tête.
Les paroles de Publius prêtent à confusion. Ce dernier ne parle pas de sa tête comme étant la sienne,
mais il déclare " notre tête " et encore " une tête divine ". Cependant, la dernière phrase étonne :
« Ce sont des choses véridiques que t'a dites Phoibos Apollon Pythien, qui m'a envoyé son puissant
serviteur pour me conduire vers les demeures des bienheureux et de Perséphone.28
»
Cette phrase laisse supposer qu'il s'agit à la fois des paroles de Publius et d'Apollon. Ou alors, il est
possible de la comprendre dans le sens que le début de la prédiction fut énoncée par Apollon. A la
suite de quoi, Publius reprit la parole de sa propre tête.
Mais il est aussi très étonnant de constater que l'enfant de Polycrite, qui semble être un nouveau-né
au moment des faits, puisse parler. Pourtant c'est bien lui qui s'adresse à la foule des Etoliens :
« Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctement
tous mes membres, mais m'a laissé sur terre.29
»
Il est difficile de pouvoir voir clair dans ces textes. Surtout que Phlégon, tout comme Aristote, nous
dit que ce sont les têtes, de Publius et de l'enfant de Polycrite, qui parlent. Cette précision n'aurait
pas lieu d'être si nous étions certains qu'il s'agissait des paroles de la personne à laquelle la tête
appartenait.
Quoi qu'il en soit, le fait de ne pouvoir donner de véritables réponses sur ce point est une chose qui
semble voulue par les différents auteurs. Cet univers veut rester dans le flou. Comme Ulysse
semblant se trouver à la fois dans le monde des vivants et des morts, personne ne peut dire qui se
permet de parler à travers des têtes coupées.
Une autre question demeure également en suspens : Existe-t-il un rituel en ce qui concerne les têtes
coupées ? Et si c'est le cas, quel est-il ?
Les morts n'en font-il qu'à leur tête ? C'est ce que nous pourrions penser. Au contraire d'Ulysse et
d'Enée, la pratique des têtes parlantes ne semble pas connaître de rituel particulier à accomplir avant
leur consultation. Nous serions tentés de dire qu'il y a une différence entre le fait que ces deux
derniers héros effectuent un voyage chez les morts, alors que dans l'autre cas, les morts reviennent
chez les vivants pour parler. Toutefois, dans l'exemple de Darius, Atossa effectue bien un rituel avec
plusieurs libations de lait, de miel, d'eau, de vin, ainsi que des offrandes d'olives et de fleurs
tressées, pour faire revenir son mari parmi les vivants.30
Nous retrouvons ici des éléments que
Ulysse et Enée ont également utilisés. Mais même s'il n'existe aucun voyage et que, contrairement à
l'Odyssée et à l'Enéïde, le rituel ne se déroule pas devant la porte des Enfers, l'apparition de Darius
se trouve être également un spectre.
28 L. Brisson, 1978, 116.
29 L. Brisson, 1978, 87.
30 Eschyle, Les Perses, 609-618.
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
Les textes relatant les histoires de têtes coupées ne présentent aucun rituel apparent. Le seul point
commun et macabre que nous pouvons faire remarquer est que chacune de ces têtes appartinrent à
des personnes s'étant faites tuées de manière brutale.
Tout en restant critique car ne s'agissant pas véritablement d'une tête coupée, un texte d'Héliodore
parlant d'une vieille nécromancienne, pourrait donner quelques éléments de réponse :
« La vieille mère, pensant que nul ne la dérangerait, ni ne la verrait, commença par creuser un trou
dans la terre. A droite et à gauche elle alluma deux foyers, entre lesquels elle déposa le corps de son
fils. Puis elle prit successivement sur un trépied placé à côté, trois coupes d'argile, qu'elle vida dans le
trou : l'une était remplie de miel, la seconde de lait, la troisième de vin. Elle prit ensuite un gâteau de
farine qui figurait un homme, le couronna de laurier et de fenouil et le jeta dans le trou. Enfin, elle
ramassa une épée, et agitée de mouvements frénétiques, adressa à la lune des invocations dans une
langue barbare et étrange. Elle se fit une incision au bras, recueillit le sang avec une branche de
laurier et en asperge le foyer. Après d'autres pratiques non moins étonnantes, elle se pencha sur le
cadavre de son fils, lui murmura à l'oreille je ne sais quelles incantations, et cette sorcière parvint à le
réveiller et à le faire se dresser sur ses pieds. [...] la vieille [...] interrogeait le cadavre. Elle lui
demandait si son frère, le fils qui lui restait, reviendrait sain et sauf. Aucune parole ne sortit de sa
bouche, mais il fit un signe de tête que la mère pouvait interpréter comme une réponse favorable, puis
s'affaissa soudain et s'allongea la face contre terre. Elle retourna le corps sur le dos et, loin de
renoncer à obtenir une réponse claire, elle réitéra avec plus de force encore les moyens de contrainte
qu'elle avait déjà employés, le harcelant de ses incantations, et bondissant l'épée à la main, tantôt
vers le feu, tantôt vers la fosse. Elle le réveilla une seconde fois, et quand il se fut dressé, elle lui posa
la même question et le contraignit à répondre, non point par des signes équivoques, mais par des
paroles claires. [...] le cadavre, d'une voix sourde et rauque qui semblait sortir de la terre ou des
profondeurs d'une caverne, prononça ces parole : [...]31
»
La description de ce rituel permet de le comparer aux textes de l'Odyssée et de l'Enéïde.32
En effet
bien différent de ces deux derniers par son emplacement, quoiqu'un champ de cadavres pourrait
s'apparenter à une porte des Enfers, et dans sa manière de procéder, les éléments de la libation
demeurent très ressemblants, tout comme l'utilisation de feu, ou encore le creusement d'un trou
comme le fit Ulysse.
Toutefois le but de la personne pratiquant le rituel n'est pas un voyage vers le monde des morts. Il
s'agit de faire revenir le défunt dans le monde des vivants et ce dernier finit par se mettre à parler,
comme le feraient nos chères têtes coupées. La seule différence est que, dans ce dernier cas, le corps
tout entier du jeune homme est utilisé et se dresse debout pour parler de vive voix.
Lorsque nous voyons le caractère secret de ce rituel, que cette vieille femme tente de cacher à toute
autre personne, et l'image diabolique qu'en ont les deux voyeurs qui y assistent en cachette, il n'est
pas étonnant de ne trouver sur ce sujet que des textes flous, évasifs et ambigus.
Mais finalement, l'idée sur le monde des morts reste constante : Il est difficile d'en revenir.33
Ce qui
31 Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV.
32 Voir tableau Annexe 1
33 Cette idée se retrouve dans plusieurs texte :
« [...] on l'avait relâché des enfers avec un message [...] » - Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179.
« [...] Il est facile de descendre à l’Averne. La porte du noir Pluton est ouvert nuit et jour. Mais revenir sur ses pas et
remonter à la lumière d’en haut, c’est là le pénible effort [...] » - Virgile, L’Enéïde VI.
« [...] le chemin est malaisé, il est même bien difficile, car les dieux d’en bas sont meilleurs pour nous saisir que
pour nous relâcher [...] » - Eschyle, Les Perses, 689-691.
« [...] Il ne m'est pas possible, en effet, à cause des maîtres du monde souterrain, de passer plus de temps. » -
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
fait qu'il n'est pas étonnant de voir, autour de la nécromancie, un mystère bien caché où les
pratiques divinatoires sont contre nature et diaboliques. Malgré tout, cela n'exclut pas le fait que,
probablement, ces pratiques devaient être plus courantes que ce que ces textes nous laissent
entendre.34
Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2.
34 C. A. Faraone, Necromancy goes Underground, 2005, 256.
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
3. Les sources iconographiques
Contrairement aux sources écrites, la nécromancie est un thème que nous retrouvons bien plus
rarement dans les représentations iconographiques connues à ce jour. A aucun moment, l'imagerie
d'Anchise et d'Enée ne présente leur rencontre au cœur des Enfers. Les seules représentations de ces
deux protagonistes ne se retrouvent que dans le cadre de leur fuite de Troie. Un instant où Anchise
se trouve encore vivant.
Ulysse et Tirésias
C'est en se rapprochant des thèmes de l'Odyssée qu'il est possible de voir apparaître la consultation
des morts. Mais toutefois, la rareté de ces représentations ne permet pas une analyse satisfaisante.
Certaines pièces nous sont parvenues de manière fragmentaire. Il s'agit, entre autre, du cas d'un
buste en marbre retrouvé en 1939 dans le village moderne de Samothrace dont K.
Lehmann-Hartleben rapprocha les traits physiologiques à ceux de Tirésias et qui pourrait appartenir
à un groupe statuaire plus important.35
Toutefois, quelques œuvres nous sont parvenues de manière intacte.
Le premier exemple est un cratère attribué au peintre de Dolon, datant de 440-390 avant J.-C..36
Dans cette composition, Ulysse se trouve au centre, tourné vers la gauche, entre deux personnages
debout qui seraient peut-être Euryloque et Périmédès.37
Il tient son épée dans la main. Aucun
élément ne précise le cadre de la scène, mise à part un empilement de pierres dont Ulysse se sert
comme siège. La tête de Tirésias émerge du trou creusé par Ulysse auprès duquel gisent les victimes
sacrifiées.
Un autre exemple d'Ulysse consultant Tirésias se retrouve sur un relief en marbre datant du
quatrième quart du Ier
siècle après J.-C..38
Cette scène est différente. Elle se déroule dans une grotte.
Tirésias est assis sur un rocher à droite. Tenant un sceptre, il est enveloppé d'un manteau et une
couronne, ou un bandeau, entoure sa tête. Ulysse, dans l'attitude du consultant, est debout en face de
lui, le corps légèrement en avant et le pied de la jambe gauche, sur laquelle repose ces avant-bras,
est appuyé sur une pierre. Il pointe son épée devant lui.
Le dernier exemple que nous citerons ici fait également partie de la consultation des morts d'Ulysse,
bien que la scène représentée soit différente. Celle-ci se retrouve sur une pélikè attique à figures
rouges, attribuée au peintre de Lycaon, datant des environs de 440 avant J.-C..39
Bien que la
composition ressemble fortement à celle du cratère du Cabinet des Médailles de Paris, l'épisode
représenté diffère.
Ulysse est toujours assis sur un rocher au centre de l'image, tourné vers la gauche. Les deux
victimes, dont le sang coule en direction du trou, se trouvent à ses pieds. Il tient son épée afin de
menacer les morts qui tenteraient de boire le sang réservé à Tirésias. Le héros écoute son défunt ami
Elpénor qui, à sa droite, sort de la terre et des roseaux représentant l'entrée marécageuse des Enfers.
35 O. Touchefeu-Meynier, 1968, 134.
36 Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 422 - Voir Annexe 2.
37 Homère, Odyssée XI, 1-37.
38 Paris : Musée du Louvre, 574 - Voir Annexe 3.
39 Boston : Museum of Fine Arts, 34-79 - Voir Annexe 4
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
Cette ombre, bien que d'apparence musclée, s'appuie sur les rochers environnants pour mettre en
évidence la faiblesse des " têtes sans force des morts ".40
Le troisième protagoniste se trouvant sur la scène ne figure pas dans le Chant XI de l'Odyssée.
Hermès est représenté à droite, derrière d'Ulysse. Cette présence divine peut s'expliquer assez
aisément car ce dernier se trouve être à la fois le conducteur des morts aux Enfers, mais également
celui des vivants rendant visite à ceux-ci. Ce fut le cas d'Héraklès et d'Orphée pour lesquelles les
exemples iconographiques ne manquent pas.41
En conclusion, la rareté des illustrations de ce thème homérique déçoit. Il semble difficile de croire
qu'à l'époque archaïque ce sujet ait pu effrayer les artistes ou leurs clients éventuels, alors que les
œuvres littéraires tendraient à en démontrer le contraire. Il est possible que la difficulté technique de
représenter graphiquement des morts, de manière vivante, en soit la cause. Alors que l'épisode
lui-même du sacrifice des victimes se trouvaient être facilement réalisable. Quoi qu'il en soit, le
thème qui finit par être représenté, devait être vraisemblablement assez connu à l'époque romaine
pour qu'une représentation schématique comme celle du relief précédemment cité soit comprise.42
Orphée
Orphée se situe dans un cas plus ou moins similaire. Ses représentations très diverses se retrouvent
bien maigres si l'on n'en garde uniquement l'épisode où sa tête, coupée, se met à parler.
Je ne ferai que relever ici le fait que le chapitre de sa mort, où il est sauvagement tué par les femmes
thraces, se retrouve assez souvent. Nous pouvons voir aussi quelques images représentant une de
ces meurtrières tenir, à hauteur de son visage, la tête d'Orphée dans sa main gauche.43
Un passage
qui n’est pas relevé dans les métamorphoses.
Cependant la tête elle-même d'Orphée établissant des oracles se retrouve au moins sur trois vases
attiques. Au centre des compositions, apparait la tête du jeune homme, flottant dans le champ.
La première se trouve sur une hydrie attique à figures rouges, datant de 440-430 avant J.-C.. 44
Sur
celle-ci, un homme couronné, un pied appuyé sur un rocher et tenant de la main gauche deux objets
longs et minces ressemblant à des bandes ou des bâtons45
, s'adresse à une tête, identifiée comme
étant celle d'Orphée. La scène est entourée de femmes, qui pourraient être des Muses, portants des
instruments de musique.
L'autre représentation de cette scène ne fait que substituer l'homme couronné, à Apollon.
La seconde est représentée sur une coupe attique à figures rouges, datant de 420-410 avant J.-C.. 46
A droite de la scène, Apollon porte une branche de laurier dans la main gauche et pointe, de l’autre
main, une personne assise sur un rocher. Cette dernière écrit, sur une tablette, le chant oraculaire
d'Orphée, dont la tête se trouve sur le sol, au centre de la scène.
40 Homère, Odyssée XI, 1-37.
41 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 135-136.
42 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 143-144.
43 Lécythe à figure rouge sur fond blanc, Bâle : Marché de l’art - Voir Annexe 5
Hydrie à figure rouge, Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 456 - Voir Annexe 6
44 Bâle : Antikenmuseum, BS 481 - Voir Annexe 7
45 Selon M. Schmidt, ce serait des cordes. Et selon Graf, il s’agirait de lances.
46 Cambridge : Fitzwilliam Museum, 463 - Voir Annexe 8
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Il est intéressant de noter que si, dans la première composition, la bouche de la tête d'Orphée ne
semble pas demeurer ouverte, annonçant ses paroles, cela n'est pas le cas de la deuxième dont la
bouche l'est clairement, alors que la personne assise écrit le flot de paroles qui s'en écoule.
Il faut noter que, devant la divergence chronologique entre ces images et les sources écrites, il fut
avancé que le scribe de la coupe de Cambridge n'écrivait pas des prophéties, mais plutôt des poèmes
d'Orphée47
ou des ordonnances48
. Alors que la transcription des oracles fut, en Grèce antique, l'une
des premières applications de l'écriture.
47 Selon Nilsson
48 Selon Graf
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
4. Découverte archéologique - Vigna Codini
Un des questionnements que nous pouvons également soulever est de savoir si les pratiques de la
nécromancie, dans le monde gréco-romain, ont laissé des traces archéologiques. La réponse à cet
élément semble relativement difficile à donner.
Les pratiques magiques, au même titre que ce que nous avons vu jusqu'ici, possèdent leur part de
mystère. De plus, il ne faudrait pas oublier que la recherche dans ce domaine est relativement
récente. Les possibilités de liens avec des pratiques occultes ont souvent été écartées des possibilités
d'interprétation des anciennes découvertes archéologiques. Mais toutefois, parmi ce chaos,
Christopher A. Faraone revient sur l'étude d'une découverte faite en 1852 par Gaetano Canestrelli.49
Une amulette en or
Cette année-là, Canestrelli découvrit, dans un columbarium, à côté du tombeau des Scipions de
Vigna Codini, une petite plaque en or. Plus d'une demi-douzaine d'interprétations différentes ont
découlé de cette découverte et, pour alimenter la controverse, cette dernière avait disparue durant
près d'un siècle.
Toutes les personnes qui l'ont examinée s'accordent sur le fait que cette tablette demande à un dieu
d'accorder la victoire sur un ennemi ou sur le mal. Mais il ne s'agit là que de l'idée générale
commune qui en ressort. En réalité il y eut, jusqu'au réexamen de Faraone, deux tendances majeures
et divergentes sur l'interprétation paléographique du texte retrouvé sur cette pièce.
En 1944, Campbell Bonner émit l'hypothèse selon laquelle la tablette invoquait le dieu Aiôn sous la
forme d'un serpent afin de protéger son propriétaire de l'attaque de serpents. Par la suite, Henri
Seyig publia un article dans lequel il confirma cette hypothèse, en l'accompagnant d'une
photographie de la plaque, dont voici la transcription :
"Aἰὼν ἑρπέτα κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπὸ πέτραν"
"Aiôn, Serpent, Seigneur Sérapis, donne la victoire sur ceux qui sont sous la pierre."
Cette idée de lecture devint la référence durant les trente années qui la suivirent. Mais, en 1985, une
seconde hypothèse fut présentée par David Jordan qui fournit alors un nouveau dessin, offrant du
même coup une lecture bien différente du document :
"Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπογεγραμ [μένων...]"
"Travailleur éternel, Seigneur Sérapis accorde la victoire sur ceux qui sont écrit ci-dessous..."
D'après Jordan, la tablette donnerait la victoire sur un nombre d'ennemis dont les noms auraient été
inscrits sur une partie inférieure qui aurait disparu. Mais, quelques années plus tard, Roy Kotansky
dans son corpus d'amulettes, reprend cette interprétation en y rajoutant deux abréviations qui
auraient été omises, donnant ainsi le texte suivant :
"Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι, δὸς νείκην κατὰ ὀ(νομάτων) τῶν ὑπογεγραμ(μένων)"
49 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, 27-43.
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"Travailleur éternel, Seigneur Sérapis donne la victoire sur les noms écrits ci-dessous."
Jordan et Kotansky sont de très bons épigraphistes. Mais malgré tout, Faraone accueille avec
réticence cette nouvelle hypothèse et préfère celle émise auparavant par Bonner-Seyrig, dont l'un
des points vise à contrôler " ceux qui sont sous la pierre ", bien que sa propre interprétation se
déplace dans une direction différente. Car pour lui, " ceux " sont les morts qui se trouvent sous leur
" pierre " tombale.
Contexte de découverte
A première vue, la découverte d'une tablette en or n'a pas à se retrouver liée à notre sujet. Pourtant,
écarté des débats sur l'interprétation de cette dernière, le contexte archéologique permet un nouvel
éclairage sur l'utilisation de cette plaque.
En réalité, celle-ci a été découverte dans un cadre inhabituel. Elle fut placée dans la bouche du
crâne d'un homme. Ce dernier, très bien conservé, fut enfermé dans une urne en terre cuite avant
d'être placé dans ce columbarium jouxtant le tombeau des Scipions et dont les sépultures datent du
Ier
siècle avant, au Ier
siècle après J.-C..
Les études concernant la tablette le mentionnent bien. Mais cela ne demeurait qu'un simple détail
annexé à la découverte, car ces études préféraient se concentrer uniquement sur l'exploitation du
texte. Il est clair que, dans de telles conditions, il devient difficile de se prononcer en faveur de l'une
des deux interprétations que nous venons de citer ci-dessus.
Faisant un parallèle avec l'obole à Charon, il a vite été conclu que cette plaque était une amulette
utilisée par un homme afin de se protéger durant sa vie et qu'elle fut placée dans sa bouche après sa
mort, pour maintenir cette protection dans l'au-delà.50
Si pour Bonner les ennemis sont des reptiles, alors que pour Jordan et Kotansky il s'agit de maladies
ou d'humains, il faut toutefois constater l'existence d'un désaccord entre cette utilisation de la
tablette et le contexte de sa découverte. Cette tablette, introduite dans la bouche d'un humain dont
seul le crâne a été mis dans une urne, puis enterré, est pour Faraone le signe plutôt évident que
celle-ci fut d'abord utilisée dans une pratique de la nécromancie.
Pour appuyer ses dires, celui-ci présente des relations entre cette découverte et l'utilisation de crânes
dans les pratiques de la nécromancie que nous retrouvons dans deux textes mésopotamiens datant
du Ier
siècle avant J.-C.51
. Il effectue également un parallèle de cette utilisation dans le monde juif.
La constatation est que, au terme de ces rituels, le sorcier prend bien soin de retourner le crâne à
l'endroit où celui-ci se trouvait à l'origine. Autrement dit, de bien le remettre sous terre, afin que
l'esprit, dont on pensait qu'il était toujours lié au crâne, puisse retourner dans l'au-delà.
Un autre élément faisant terriblement penser à cette découverte se trouve être une anecdote
concernant le roi de Sparte, Cléomènes.52
Celui-ci avait tué son ami Archonidès, lui avait coupé la
tête afin de la conserver dans un pot rempli de miel, dans le but de pouvoir consulter l'avenir dès
qu'il le souhaitait.
50 Seul Seyrig suggère que l'amulette fut écrite uniquement dans un but de protection dans l'après-vie.
51 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, p. 35.
52 Hélien, Histoire variée XII, 8.
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
Dans le même ordre d'idées, il est possible de penser que Périandre ait volontairement omis de
brûler les vêtements de sa femme Mélisse afin que, ne pouvant pas franchir l'Achéron, elle puisse
revenir plus facilement dans le monde des vivants.
Tous ces éléments nous rappellent bien toutes les histoires de têtes coupées parlantes que nous
avons vues précédemment. Et pour appuyer l'idée de retourner le crâne dans le sol pour faire
retourner l'esprit du défunt dans l'autre monde, nous pouvons citer un passage de l'histoire de
Polycrite, où la tête de son enfant nous révèle ceci :
« Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctement
tous mes membres, mais m'a laissée sur terre. Eh bien ! Allez, exposez ma tête en plein jour, et n'allez
pas la cacher sous la terre ombreuse ; [...]53
»
Finalement, il devient clair que le contexte de cette trouvaille dans ce columbarium de Vigna Codini
amène à penser à une utilisation dans le cadre d'une pratique de la nécromancie. Toutefois plusieurs
questions restent en suspens.
Était-ce une amulette de protection portée par le nécromancien, afin de lui accorder la victoire sur
les spectres qu'il invoquait ? Mais dans ce cas-là, pourquoi la retrouver dans la bouche d'un crâne ?
Cette victoire inscrite sur la plaque n'était-elle pas, au contraire, destinée au défunt lui-même afin
d'éviter que n'importe quel mort ne puisse venir à la place de ce dernier ? Ou alors, cette amulette
avait-elle été destinée uniquement à la restitution du crâne, afin de faire retourner l'esprit dans le
royaume des morts, ou alors pour empêcher de le voir reparler à nouveau ?
Le débat reste, pour le moment, ouvert.
5. Conclusion
Au regard des éléments que nous venons de voir, il est très clair que nous pourrions pousser l'étude
plus loin. Je pense surtout au côté symbolique que nous pourrions trouver au travers des éléments
décrits dans les différents rituels des textes.
Il faut également constater qu'en comparaison des sources écrites, l'iconographie manque
cruellement. De plus, l'intérêt pour le sujet étant relativement récent dans le domaine de
l'archéologie, avec ce seul exemple de Vigna Codini, ce dernier ne permet pas pour le moment de
faire une étude comparative avec d'autres découvertes. Des découvertes qui, je l'espère, se feront un
peu plus nombreuses à l'avenir.
Quoi qu'il en soit, pour notre temps, le domaine de la magie, qu'il soit un sujet de fascination ou de
superstition, tiendra à garder pour lui une grande part de ses mystères.
53 L. Brisson, 1978, p. 87
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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
6. Annexes
Annexe 1
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
Annexe 2
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
Annexe 3
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Annexe 4
Annexe 5 Annexe 6
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Annexe 7
Annexe 8
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Tirésias, Orphée et autres apparitions
7. Bibliographie
Sources
Aristote, Les parties des animaux, texte établi et traduit par Pierre Louis, Les Belles Lettres, 1956
Eschyle, Les Perses, traduit du grec par Guillaume Boussard, Ed. du Relief, 2009
Hélien, Histoire variée XII, traduit par A. Lukinovich et A.-Fr. Morand, Les Belles Lettres, 1991
Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV, texte établi par R. M. Rattenbury, T. W. Lumb et traduit par J.
Maillon, Les Belles Lettres, 1938
Hérodote, Histoires V, texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand, Les Belles Lettres, 1946
Homère, Odyssée, édition établie et traduit par Louis Bardollet, R. Laffont, 2004
Ovide, Les métamorphoses, traduit, introduit et notes par Joseph Chamonard, GF Flammarion, 1999
Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane IV, traduit par Alain Chassang, Sand, 1995
Phlegon de Tralles, De mirabilibus, texte établi par A. Giannini et traduit par L. Brisson, " Aspects
politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten J. Vermaseren,
Leiden, 1978, p. 80-122.
Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, texte établi, traduit et commenté par Robert Schilling, Les
Belles Lettres, 1977
Virgile, Enéïde VI, texte établi et traduit par Jacques Perret, Les Belles Lettres, 2007
Ouvrages généraux
P. Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, 1951
LIMC II 2, 1984
LIMC VII 2, 1994
Ouvrages
A. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, Paris, 1879
D. Ogden, Magic, Witchcraft, and Ghosts in the Greek and Roman Worlds : a Sourcebook, Oxford,
2009
O. Touchefeu-Meynier, Thèmes odysséens dans l’art antique, Paris, 1968
02/09/2013 26/27
Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile
Tirésias, Orphée et autres apparitions
Articles particuliers
L. Brisson, " Aspects politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten
J. Vermaseren, Leiden, 1978, p. 80-122.
C. A. Faraone, " A Gold Amulet and a Ceramic Pot : Evidence for Necromancy in the Vigna
Codini ", MHNH 5, 2005, p. 27-43
C. A. Faraone, " Necromancy goes Underground " in S. I. Johnston and P. T. Struck, Mantike:
Studies in Ancient Divination, 2005, p. 255-282
M.-X. Garezou, " La tête oraculaire d’Orphée " in LIMC VII 1, 1994, p. 88-101-102
W. Lambrinudakis, " Apollon und Orpheus " in LIMC II 1, 1984 p. 290
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Necromancie la consultation des morts

  • 1. Institut d'Archéologie Prof. V. Dasen Séminaire Nécromancie La consultation des morts Tirésias, Orphée et autres apparitions Mottiez Paul-Emile Rte Cantonale 45D 1964 Conthey Semestre de Printemps 2013
  • 2. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 1. Définition de la nécromancie p. 3 2. Les sources écrites p. 4 Apparitions diverses p. 4 Pratiques et rituels p. 5 Tirésias dans L'Odyssée p. 5 Anchise dans L'Enéïde p. 6 Darius dans Les Perses p. 7 Orphée et des têtes parlantes p. 7 Comparaison et commentaire p. 8 L'Odyssée et L'Enéïde p. 8 Les oracles des morts p. 10 Remarques générales p. 10 3. Les sources iconographiques p. 15 Ulysse et Tirésias p. 15 Orphée p. 16 4. Découverte archéologique - Vigna Codini p. 18 Une amulette en or p. 18 Contexte de découverte p. 19 5. Conclusion p. 20 6. Annexes p. 21 7. Bibliographie p. 26 02/09/2013 2/27
  • 3. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 1. Définition de la nécromancie Si nous prenons les définitions modernes du terme de Nécromancie, voici ce que l'on en dit : « Science occulte qui prétend évoquer les morts pour obtenir d'eux des révélations de tous ordres, particulièrement sur l'avenir1 . » « Interrogation, dans un but de divination, des morts, censés survivre et pouvoir communiquer avec les vivants2 . » Il est une chose qu'il nous faut remarquer. Les arts divinatoires sont fort répandus et prennent de multiples formes. Citons pour exemple les oracles, comme celui du célèbre temple de Delphes, où le dieu Apollon " parle " au travers de la Pythie. N'oublions non plus pas le caractère onirique des conseils d'Asclépios envers les malades auxquels il rend visite la nuit dans ses sanctuaires. Mais qu'en est-il alors de la définition de la nécromancie durant la période antique ? Selon toute vraisemblance, cette divination regroupe trois types de procédés3 . Le premier, l'oniromancie qui, nous venons de le citer avec l'exemple d'Asclépios, donnant une dimension divinatoire aux songes, devait pouvoir mener à cette nouvelle forme de divination qu'est la nécromancie. Les consultants, qui allaient dormir sur des tombeaux bien définis, devaient pouvoir obtenir des rêves révélateurs où, dans la majorité des cas, le défunt invoqué leurs apparaissait. Le second se trouve être la nékyomancie que nous retrouvons dans l'Odyssée, mais également dans l'Enéïde de Virgile. Il s'agit là d'un voyage effectué dans le monde des morts afin d'obtenir les réponses aux questions posées. Le dernier type est la psychomancie, ou plus exactement l'évocation des ombres. Il consiste à invoquer les défunts pour qu'ils puissent revenir dans le monde des mortels. Auguste Bouché-Leclercq met en lumière le fait fort probable d'une évolution des pratiques nécromantiques où, si l'oniromancie devait être un point de départ, la psychomancie devait suivre à la nékyomancie. Quand il s'agit de jouer avec le monde des morts, il semble préférable de le faire dans le monde des vivants. Ce qu'apparemment Ulysse et Enée auraient fait s'ils avaient eu connaissance d'un autre moyen que celui de se rendre eux-mêmes chez les morts pour les consulter. Mais cette affirmation est à prendre avec des pincettes. Car, comme nous le verrons, le " voyage " en enfer d'Ulysse reste très ambigu4 . Mais malgré tout, nous verrons bien, par les sources dont nous disposons, que les définitions actuelles de la nécromancie, et qu'importe par quels procédés les consultations sont faites, reflètent bien la volonté antique. Il ne faut en aucun cas s'imaginer des histoires de praticiens relevant des revenants ou des zombies à but de domination ou rêvant d'immortalité, que la culture populaire moderne tient à lier au terme nécromancie, à travers histoires fantastiques, films ou encore jeux vidéo. 1 Petit Robert, 1987. 2 Larousse, 1998. 3 A. Bouché-Leclercq, 1879, 330-332. 4 A. Bouché-Leclercq, 1879, 332. 02/09/2013 3/27
  • 4. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 2. Les sources écrites Apparitions diverses Il ne manque pas de sources écrites sur ce sujet, des apparitions diverses et variées, que cela soit dans des pièces de théâtre, des documents historiques, voire même dans des textes dont la volonté d'écriture se veut scientifique. C'est notamment le cas dans un passage de Pline l'Ancien, où un certain Gabiénus revient du royaume des morts avec l'approbation des dieux des Enfers afin de délivrer un message à Pompée : « [...] Au cours de la guerre de Sicile, Gabiénus, un des plus braves marins de la flotte de César, fut pris par Sextus Pompée qui lui fit couper la gorge ; il resta étendu tout un jour sur le rivage, le cou tenant à peine au tronc. Vers le soir, ses gémissements et ses prières attroupèrent du monde ; il demanda que Pompée vînt le voir ou envoyât un de ses intimes : on l'avait relâché des Enfers avec un message. Pompée envoya plusieurs de ses amis à qui Gabiénus déclara que les dieux infernaux agréaient la politique et le parti de Pompée, qui étaient légitime ; aussi l'issue des événements serait-elle conforme à ses vœux ; il avait reçu l'ordre d'annoncer cette nouvelle et il prouverait la véracité de ses dires par le fait qu'il allait expirer, aussitôt sa mission remplie, et il en fut ainsi. On cite encore des cas de revenants, mais notre enquête a pour objet les faits naturels et non les prodiges5 . » Il ne s'agit pas là du seul fait paranormal relaté par l'auteur. Avant cela, il fait référence à de nombreux cas de personnes pouvant séparer leur esprit de leur corps, comme celui d'Epiménide de Cnosse6 qui s'endormit durant cinquante-sept ans avant de revenir à lui et qui s'étonna de voir que le monde avait changé. Pline finit par considérer que ces objets font partie de prodiges sur lesquels il ne tient pas à enquêter car il ne s'agit là, pour lui, de faits non naturels. Mais l'histoire de Gabiénus montre bien que la croyance en la possibilité d'un retour temporaire du monde des morts, par l'approbation des dieux des Enfers, est bel et bien présente. Et cet exemple n'en est qu'un parmi beaucoup d'autres, comme tient à le préciser Pline7 . En dehors du cas que nous venons de voir, où les morts prennent l'initiative de revenir dans le monde des vivants, et qui, selon moi, ne se trouve pas lié à des pratiques nécromantiques, d'autres sources relatent des consultations aux morts. C'est le cas d'Hérodote qui, dans le cadre de ses recherches historiques, nous cite une histoire sur le tyran Périandre de Corinthe : « Il (Périandre) fit aussi en un même jour dépouiller de leurs habits toutes les femmes de Corinthe, à l'occasion de Mélisse, sa femme. Il avait envoyé consulter l'oracle des morts sur les bords de l'Achéron, dans le pays des Thesprotiens, au sujet d'un dépôt qu'avait laissé un étranger. Mélisse, étant apparue, répondit qu'elle ne dirait ni n'indiquerait où était ce dépôt, parce qu'étant nue, elle avait froid ; les habits qu'on avait enterrés avec elle ne lui servant de rien, puisqu'on ne les avait pas brûlés. Et, pour prouver la vérité de ce qu'elle avançait, elle ajouta que Périandre avait déposé dans le sein de la mort le germe de la vie. 5 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179. 6 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 175. 7 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 179. 02/09/2013 4/27
  • 5. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Cette preuve parut d'autant plus certaine à Périandre, qu'il avait joui de sa femme après sa mort. Ses envoyés ne lui eurent pas plutôt fait part, à leur retour, de la réponse de Mélisse, qu'il fit publier par un héraut que toutes les femmes de Corinthe eussent à s'assembler dans le temple de Junon. Elles s'y rendirent comme à une fête, avec leurs plus riches parures ; mais, les femmes libres comme les suivantes, il les fit toutes dépouiller par ses gardes, qu'il avait apostés dans ce dessein. On porta ensuite par son ordre tous ces habits dans une fosse, où on les brûla, après qu'il eut adressé ses prières à Mélisse. Cela fait, l'ombre de Mélisse indiqua à celui qu'il avait envoyé pour la seconde fois le lieu où elle avait mis le dépôt8 . » Pratiques et rituels Tirésias dans L'Odyssée Il est sans doute impossible de savoir réellement à quelle époque les Grecs ont commencé à faire comparaître les morts devant eux en délaissant l'état onirique de leur consultation. Toujours est-il que l'Odyssée se trouve être le plus vieux document connu de nos jours relatant la pratique de la nékyomancie, plus précisément celle d'un voyage aux Enfers pour consulter les défunts. C'est également le plus vieux document relatant le rituel à accomplir afin de pouvoir pénétrer dans le monde des morts. Dans ce texte, Circé indique avec exactitude le rituel qu'Ulysse devra suivre à la lettre afin de pouvoir pénétrer dans les Enfers et converser avec Tirésias : « [...], quand avec ta nef tu auras passé à travers l'Océan, là, tu trouveras un petit promontoire et un bois de Perséphone, avec des grands peupliers et des saules dont périssent les fruits. Fais aborder ta nef à l'endroit même, au bord de l'Océan et de ses tourbillons profonds. Pour toi, entre dans la fangeuse demeure d'Hadès. Là, le Pyriphlégéthon coule dans l'Achéron avec le Cocyte, issu de la rupture des eaux du Styx. Au point où les deux fleuves se jettent ensemble, tout mugissants, dans l'Achéron, il y a un rocher. Approche-toi alors, homme preux, jusqu'à l'effleurer, et, comme je t'y invite, creuse un trou de la dimension d'une coudée dans les deux sens. Verse autour une libation pour tous les morts, d'abord avec un mélange de miel, ensuite avec du vin délicieux, en troisième lieu avec de l'eau. Par-dessus, saupoudre la blanche farine d'orge, et multiplie les supplications aux têtes sans force des morts. Dis-leur qu'une fois revenu en Ithaque, tu feras au manoir l'offrande d'une vache stérile, la meilleure qui soit, que tu rempliras noblement le bûcher, et que, pour le seul Tirésias, tu sacrifieras, à part, un bélier tout noir, le plus remarquable de votre troupeau. Puis, quand tu auras adressé ta prière et tes vœux aux tribus fameuses des morts, fais l'offrande d'un bélier et d'une femelle noire, en les tournants vers l'Érèbe, mais toi, détourne-toi en direction du cours du fleuve. Les âmes des défunts disparus viendront nombreuses. Pour lors, presse tes compagnons et commande-leur de prendre les bêtes gisant égorgées sous les coups du bronze sans pitié, de les écorcher et de les brûler toutes, puis d'adresser des vœux aux dieux, au robuste Hadès, à la terrible Perséphone. Toi, tirant ton glaive aigu au long de ta cuisse, reste sans bouger et ne laisse pas les têtes sans force des morts s'approcher du sang, avant d'être par Tirésias informé. [...]9 » L'important dans ce texte est bel et bien ce point précis. Ulysse ne part pas consulter n'importe qui, mais Tirésias. C'était un célèbre devin. Il existe différentes versions sur l'acquisition de son don de voyance, ce qui fait que je ne m'y attarderai pas. Mais le point important est que ce dernier avait 8 Hérodote, Histoires V, 92. 9 Homère, Odyssée X, 489-537. 02/09/2013 5/27
  • 6. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions reçu de Zeus le privilège de conserver, après sa mort, son don. De ce fait, il était le seul à pouvoir renseigner Ulysse sur sa recherche d'Ithaque. Anchise dans L'Enéïde Dans l'Enéïde, bien que restant dans le domaine de la nékyomancie, Virgile nous peint un autre tableau : « [...] Il y avait une caverne profonde, monstrueuse, ouverte en un bâillement énorme, hérissée de rocs, défendue par un lac noir et les ténèbres des bois. Nul oiseau ne pouvait dans son vol passer impunément au-dessus ; tel était le souffle qui se dégageait de ces gorges sombres et montait jusqu'aux voûtes célestes. La prêtresse y fait d'abord conduire quatre taureaux au dos noir et verse du vin sur leur front ; coupant entre leurs cornes l'extrémité de quelques mèches, elle les dépose dans les feux sacrés comme première offrande, appelant à haute voix Hécate puissante au ciel et dans l'Érèbe. D'autres enfoncent les couteaux et recueillent dans des patères le sang tiède. Enée lui-même, pour la mère des Euménides et pour sa puissante sœur frappe de l'épée une brebis à la toison noire et pour toi, Proserpine, une vache stérile. Alors il élève pour le roi stygien des autels nocturnes, dépose dans les flammes les chairs entières des taureaux, répandant l'huile grasse sur les entrailles ardentes. Et voici qu'au lever, sur le seuil du premier soleil, le sol commença à mugir sous leurs pieds, les montagnes à se mouvoir dans les forêts ; on crut entendre des chiennes, hurlant à travers l'ombre, aux approches de la déesse. " Loin, loin d'ici, profanes, s'écrie la prêtresse, retirez-vous de tout ce bois ; et toi entre au chemin, sors le fer du fourreau ; c'est maintenant, Enée, qu'il faut de la vaillance, un cœur ferme. " Elle ne dit que ces mots, hors d'elle-même, et s'élança dans l'antre béant ; lui, règle son pas sur le pas résolu de son guide.10 » Bien entendu, le lieu à atteindre et le rituel à accomplir sont également décrit. Mais Enée, contrairement à Ulysse, ne se contente pas de rester sur le seuil des Enfers. Il prend la décision d'y entrer en tant que mortel afin, non pas de converser avec un grand devin, mais de rencontrer son propre père, Anchise, qui révèlera l'avenir qu'il voit de sa propre lignée. Les différences sont de taille et l'enjeu également. De plus, la Sybille l'avertit du danger que représente cette démarche. « [...], il est facile de descendre en l'Averne : elle est ouverte nuit et jour, la porte de sombre Dis, mais revenir sur ses pas, se retrouver libre sous les souffles d'en haut, voilà ce qui est l'affaire et qui demande effort.11 » C'est pour cette raison qu'elle ordonne au héros d'aller en quête d'un rameau d'or que plus tard elle offrira à Charon, afin d'en apaiser la colère et pouvoir traverser sans encombre le Styx.12 10 Virgile, Enéïde VI, 237-263. 11 Virgile, Enéïde VI, 126-129. 12 Virgile, Enéïde VI, 405. 02/09/2013 6/27
  • 7. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Darius dans Les Perses Bien que se rattachant au monde perse, Echyle nous peint également le tableau d'une évocation, où le rituel semble bien relater une pratique psychomantique13 . Cette hypothèse peut s'appuyer sur le fait que, lors de la venue du roi Darius, autant son épouse Atossa que le chœur qui l'accompagne, peuvent voir son ombre. Dans ce texte, le rituel est également décrit. Atossa arrive sur le tertre de son défunt mari, portant des offrandes14 . Puis, il s'ensuit tout un chant et une danse d'évocation, faits par le chœur afin de prier Darius de revenir parmi les vivants : « Lui, l'éternel Roi, lui, l'égal des bienheureux, m'entendra-t-il faire jaillir ce cri de notre langue barbare, lugubre lamentation ? Plein de souffrance, plaintif, je l'appelle, lui, m'entend-il, dans l'abîme ? Vous, écoutez, Terre, écoutez, vous, souterrains maître des morts, ô souverains seigneurs, faites sortir notre aimé, le fils de Suse, dieu perse! Des profondeurs, guidez-le jusqu'en terre perse, le Roi sans pareil ! Tombe adorée ! L'homme adoré, l'âme adorée repose ici; Aïdonée, mène-le à la surface, Aïdonée, notre Darios, l'incomparable ! Èhé ! Aucun revers, aucune perte, aucun désastre militaire, sa pensée, digne des dieux, pensée divine pour les Perses savait conduire notre armée. Èhé ! Ô mon Grand Roi, ô mon vieux Roi, viens-nous vite ! Viens au-dessus de ton tertre ! Que tes babouches safranées apparaissent, resplendisse la cime de la tiare impériale ! Père infaillible, viens à nous, Darios ! Oï ! Viens vite apprendre les souffrances nouvelles, Maître du Maître, montre-toi ! Un brouillard monte du Styx, âcre venin, mort ! Tous nos jeunes sont perdus, tous, ils ont disparu ! Père infaillible, viens à nous, Darios ! Oï ! Aïaï ! Aïaï ! Larmes, sanglots pour nos aimés perdus ! Pourquoi, Seigneur, ô Seigneur, pourquoi ce double égarement s'abat-il sur tes biens ? Ta terre, toute, a perdu ses barques triples ! Battus, nos bateaux abattus !15 » Orphée et des têtes parlantes Un autre personnage important ayant un lien avec le monde des morts est Orphée. Comme Enée et quelques autres héros, celui-ci avait entrepris un voyage dans les Enfers. Son but n'était pas la consultation, mais la volonté d'en faire ressortir son amour, Eurydice, afin qu'elle puisse revivre à ses côtés dans le monde des mortels. Bien entendu, à cause de la perfidie des dieux infernaux, il échoua. Malgré tout, lui-même ressortit des Enfers. Mais le destin d'Orphée demeure très particulier. Ovide nous raconte comment les femmes thraces déchiquetèrent son corps, à la suite de quoi sa lyre et sa tête furent emportées par le fleuve jusqu'à Lesbos : « [...] Les membres d'Orphée gisent dispersés. Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre; et - prodige ! - tandis qu'elle est emportée au milieu de ton fleuve, cette lyre plaintivement fait entendre je ne sais quels reproches, plaintivement la langue privée de sentiment murmure, plaintivement répondent les rives. Et maintenant emportés à la mer, ces restes abandonnent le fleuve de leur patrie et prennent possession du rivage de Méthymne à Lesbos.16 » 13 La frontière séparant le monde onirique et le monde conscient durant les évocations se trouve être parfois très maigre. Les rêves pouvaient apparaître avec un tel réalisme que la venue du défunt pouvait porter la confusion dans l'esprit du consultant quant à son propre état durant la consultation. 14 Eschyle, Les Perses, 597. 15 Eschyle, Les Perses, 633-680. 16 Ovide, Les métamorphoses XI, 276. 02/09/2013 7/27
  • 8. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Cette histoire de la tête d'Orphée est d'autant plus intéressante que Philostrate fait mention d'un sanctuaire oraculaire en son honneur : « Il (Apollonius) aborda ensuite à Lesbos et visita le sanctuaire d'Orphée. On dit qu'Orphée aimait à prédire l'avenir en cet endroit, avant qu'Apollon lui-même se fût chargé de ce soin. En effet, il était arrivé que l'on n'allait plus demander l'avenir, ni à Grynée, ni à Claros, ni dans aucun des autres endroits où il y avait un trépied d'Apollon : Orphée seul, dont la tête était récemment arrivée de Thrace, rendait des oracles à Lesbos. Mais Apollon vint l'interrompre : " Cesse d’empiéter, lui dit-il, sur mes attributions ; il n'y a que trop longtemps que je souffre tes oracles. " 17 » Ce genre d'histoire n'est pas la seule que nous retrouvons dans les textes. Nous pouvons citer plusieurs exemples de têtes coupées parlantes, comme le souligne Aristote dans un commentaire sur le rire : « On prétend aussi que des blessures de guerre dans la région du diaphragme provoque le rire, à cause de la chaleur qui se dégage de la blessure. Car ce fait, rapporté par des gens dignes de foi, est plus croyable que ce que l'on raconte de la tête d'homme qui parlait après avoir été coupée ! Certains, à l'appui de cette assertion, vont jusqu'à citer Homère qui ferait allusion à ce fait quand il dit: " Elle parle encore, que déjà sa tête est dans la poussière ", et non " il parle ". Et en Carie, on a si bien cru à la réalité du fait qu'on est allé jusqu'à faire passer en jugement un habitant du pays. En effet, le prêtre de Zeus Armé ayant été tué sans qu'on sût par qui, quelques personnes prétendirent avoir entendu sa tête coupée dire plusieurs fois: " Kerkidas a commis meurtre sur meurtre. " Aussi l'on chercha qui dans le pays s'appelait Kerkidas et on le jugea.18 » Nous pouvons également citer l'histoire extraordinaire de Polycrite, que nous relate Phlégon de Tralles dans son De mirabilibus19 , dans laquelle, non seulement le spectre de Polycrite revient parmi les vivants de sa propre initiative, mais où ce dernier finit aussi par dévorer le corps de son enfant, hormis sa tête qui dévoilera par la suite un oracle aux Etoliens. Une autre histoire d'une tête oraculaire est aussi décrite dans le chapitre trois du De mirabilibus. Il s'agit là du général romain Publius qui fut dévoré par un loup roux, à la suite de quoi, sa tête, qui gisait par terre, proféra des vers. Comparaison et commentaire L’Odyssée et l’Enéïde Bien que se référant tous deux à la pratique de la nékyomancie, les textes d'Homère et de Virgile comportent des éléments différents. Bien entendu, le but des deux héros, Ulysse et Enée, sont atteints. Comme nous l'avons vu précédemment, Enée ne se contente pas de rester devant l'entrée des Enfers, mais il y effectue un voyage. Est-ce cette différence qui fait que le rituel qu'il effectue, avec l'aide de la Sybille, se trouve être différent de celui effectué par Ulysse ? Il s'agit là d'une question qui restera sans doute sans réponse. Toutefois, Ulysse se contentant seulement de faire venir Tirésias à lui, il n'a nul besoin de trouver une offrande pour Charon, comme dû le faire Enée en apportant un rameau d'or. 17 Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane IV, XIV. 18 Aristote, Les parties des animaux, 673a. 19 Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2. 02/09/2013 8/27
  • 9. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Nous pouvons voir l'ensemble des deux rituels pour établir leurs ressemblances ainsi que leurs différences20 . Dans l'Odyssée, Ulysse doit se rendre auprès d'un rocher qui se trouve être là où le Pyriphlégéthon et le Cocyte se jettent ensemble dans l'Achéron. A cet endroit, ce dernier creuse, contre le rocher, un trou d'une coudée dans les deux sens. Autour, il y verse une libation d'un mélange de miel, de vin délicieux et d'eau. Il saupoudre cette libation de farine d'orge blanche, en faisant des promesses aux morts. Après quoi, il coupa le cou d'un bélier et d'une femelle noire dans la fosse. Alors, les âmes des défunts sortirent de l'Érèbe et s'assemblèrent autour du trou. Puis les compagnons d'Ulysse écorchèrent les deux victimes et les brûlèrent. Enfin, Ulysse adressa des vœux à Hadès et Perséphone, et sortit son glaive afin d'empêcher les morts de boire le sang des victimes, sang réservé à Tirésias. Enée, quant à lui, se rend devant une profonde caverne, ressemblant à un gouffre, défendue par un lac noir et un bois ténébreux. Ici, c'est la prêtresse qui commence le rituel. Elle amène quatre taureaux au dos noir et verse sur leur front des libations de vin. Ensuite, elle coupe entre leurs cornes, le bout des poils et les jette dans un feu sacré, en invoquant Hécate. Les taureaux ont ensuite le cou tranché et leur sang est recueilli dans des patères. Enée, quant à lui, égorge une brebis noire pour la mère des Euménides, Nyx, et sa sœur, Érèbe21 , ainsi qu'une vache stérile pour Proserpine. Puis il dresse des autels au roi du Styx et livre les chairs des taureaux. A la suite de quoi, dès l'apparition du soleil, le sol mugit et la Sybille s'élance dans la grotte, suivie d'Enée. Après l'analyse de ces deux cérémonies, le premier point à soulever est que, dans un cas comme dans l'autre, ces dernières se déroulent devant les portes des Enfers. Les autres points communs sont que les compagnons des deux héros ont un rôle durant le rituel, bien que ce rôle soit différent d'un texte à l'autre. Dans l'Odyssée, ceux-ci s'occupent d'écorcher les victimes et de les brûler. Dans l'Enéïde, ils égorgent les taureaux et en récoltent le sang. En parlant des autres protagonistes, Ulysse suit les indications de Circé, qui ne se trouve pas présente avec lui. Alors que de l'autre côté, c'est la prêtresse qui démarre le rituel, à la suite de quoi Enée y prend part. Les libations sont également différentes. Ulysse en effectue une de miel, de vin et d'eau autour d'un trou qu'il a creusé et sur lequel il répand de la farine d'orge. De son côté, Enée ne fait aucune libation. C'est la prêtresse qui la pratique. Mais elle se contente d'une simple libation de vin, ici non pas autour d'un trou, mais sur le front des taureaux. Après quoi elle en coupe les poils devant être mouillés et les jette dans un feu sacré. De son côté, le seul feu dont parle Homère est celui dans lequel les victimes sont brûlées. Les animaux utilisés pour le sacrifice sont aussi très différents. Dans l'Enéïde, quatre jeunes taureaux au dos noir, une brebis noire et une vache stérile y sont décrits. De son côté, bien qu'Ulysse promette aux morts, une fois de retour en Ithaque, le sacrifice d'une vache stérile en plus d'un bélier noir uniquement pour Tirésias, il n'utilise que deux béliers pour le rituel, un mâle dont la couleur n'est pas mentionnée et une femelle noire. Quant au sang des victimes, il se laisse couler dans le trou qu'avait creusé Ulysse. Et le héros doit protéger ce sang afin que seul Tirésias ne le boive, pour que celui-ci puisse, en quelque sorte, revenir à la vie. Dans l'Enéïde, ce sang est recueilli dans des patères, mais le texte ne précise pas son utilisation. Il n'explique pas non plus le rôle des autels que dresse Enée. Nous pouvons supposer que ces patères y seraient déposées. Le dernier point concernant les victimes est commun aux deux textes. Les chairs sont brûlées. 20 Voir tableau Annexe 1 21 A la Nuit et aux Ténèbres souterraines 02/09/2013 9/27
  • 10. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Hormis ces différences dans leur rituel, ces deux textes en possèdent encore quelques-unes qui ne sont pas sans importance. Mais ces dernières, entrant dans un cadre plus large de la nécromancie, seront développées plus en comparaison des autres sources citées auparavant. Les oracles des morts Si nous nous penchons sur le cas des têtes coupées, nous avons vu précédemment quatre cas d'oracle. Comme le fait remarquer Brisson22 , le plus ancien de ces exemples est probablement celui de la tête d'Orphée. Mais si le texte décrit bien que la tête parle, il faut le revoir plus en détail : Il est à remarquer qu'il est stipulé ici que la lyre émet aussi du bruit, une chose qui semble sans importance pour Philostrate qui n'en fait pas mention lorsqu'il nous parle du sanctuaire d'Orphée à Lesbos. En plus de cela, le texte parle simplement de murmures. Ces paroles, elles-mêmes émises par la tête d'Orphée, semblent d'une moins grande importance que le fait qu'Orphée puisse continuer à parler. Et rien n'indique un caractère prophétique. Ce qui est différent des deux oracles que nous retrouvons dans le De mirabilibus. Les têtes, que ce soit celle du général Publius ou celle de l'enfant de Polycrite, émettent clairement un oracle. De plus, la ressemblance de ces deux textes est frappante. Dans le premier cas, un loup roux apparait et dévore le corps de Publius, à la suite de quoi sa tête vaticine. Dans le second, il s'agit de Polycrite lui-même dévorant son propre enfant en y laissant que la tête qui, par la suite, établit un oracle. Le cas de Gabiénus, décrit par Pline l'Ancien, peut être également rapproché du thème des têtes coupées, bien que celle de ce dernier ne soit pas totalement détachée de son corps. Mais toutefois, dans ce dernier exemple, le défunt rapporte la parole des dieux des Enfers d'une manière claire. Quant au cas auquel fait référence Aristote, les paroles émises par la tête du prêtre de Zeus Armé ne semblent pas être d'ordre oraculaire, mais elles ne désignent que simplement le meurtrier de ce dernier. Dans la mesure où ces textes proviennent du même auteur, il semble logique que les histoires de Polycrite et de Publius présentent de grandes ressemblances. Mais, en dehors de cela, il est difficile de trouver des points communs entre ces différents textes, hormis deux choses : Ce sont des têtes qui parlent, manifestement après avoir subi une mort violente. Remarques générales A la vue de ces différents éléments, il serait mal venu de classifier d'un côté les voyages d'Ulysse et Enée, de l'autre les têtes coupées parlantes, puis les autres sources. Premièrement car certains textes ne donnent pas assez de détails pour pouvoir être classifier sans émettre de doutes. Et deuxièmement, bien que les manières de procéder soient différentes, ces textes font tous partie d'un même thème de divination. Certaines questions peuvent rester en suspens. Tous les morts peuvent-ils prédire d'avenir ? 22 L. Brisson, 1978, 117. 02/09/2013 10/27
  • 11. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Selon l'Odyssée, il est clair que seul Tirésias en est capable. Ce fait est illustré par la venue d'autres morts qui, en plus de ne pas connaître l'avenir, ne semblent non plus pas en mesure de savoir ce qui se passe dans le présent du monde des vivants. Quelques morts ne peuvent s'empêcher de questionner Ulysse. C'est le cas de sa mère : « Mon enfant, comment as-tu fait pour venir, quand tu es en vie, sous les brumes de l'occident obscur ? [...] Arrives-tu ici à présent de la Troade, vagabondant depuis longtemps avec tes compagnons et ta nef ? Tu n'es pas encore allé en Ithaque ? Tu n'as pas encore vu ta femme, dans ton manoir ?23 » Puis d'Agamemnon : « [...] peut-être avez-vous appris que mon fils vit encore ? A Orchoménos peut-être, dans l'aréneuse Pylos, ou peut-être chez Ménélas, dans la large Sparte ?24 » Ou encore d'Achille : « [...] Mais va, dis-moi un mot de mon merveilleux fils : est-il ou non venu à son tour à la guerre, pour y combattre des premiers ?... Et dis-moi si tu as quelque nouvelle du noble Pélée : est-il encore honoré parmi la foule des Myrmidons ? Ou bien le tient-on sans honneur à travers l'Hellas et la Phthie, parce que la vieillesse s'empare de ses mains et de ses pieds ?...25 » Il faut toutefois avouer que, si la pratique de la consultation des morts ne devait que se résumer à consulter ce défunt devin, ce dernier devait avoir un agenda plutôt chargé. Heureusement pour lui, et comme nous l'avons vu précédemment avec Anchise, Orphée et d'autres textes, ce n'était pas le cas. Pourtant, le questionnement de ces morts au sujet du monde des vivants est bien présent. L'Odyssée n'est pas le seul texte qui y fait référence. Quand, dans Les Perses, Darius est invoqué par sa veuve Atossa, ce dernier semble lui aussi ignorant de ce qui se déroule chez les vivants : « Fidèles des Fidèles, compagnons d'antan, vieillards de Perse, quel mal tourmente ma cité ? [...] de quelles nouvelles peines les Perses souffrent-ils ?26 » Mais est-ce une totale ignorance ? Celui-ci sait, d'une certaine manière, que quelque chose se trame. Le seul problème est qu'il s'en sait pas plus. Il posera toute une série de questions à Atossa, qui lui répondra. Après quoi les Perses demanderont conseil à Darius. Une chose très étrange que l'on constate dans cette partie du texte est que, si Darius commence par donner un véritable conseil, il finit tout de même par dire qu'il sait que " L'armée qui se trouve maintenant sur le sol des Grecs ne connaîtra jamais le retour ni le salut.27 ". Cette phrase dénote un caractère prophétique. Mais, il est tout à fait possible que, suite aux interrogations de Darius et aux réponses qu'il eut en retour, celui-ci ne fit que prédire un avenir, conséquence logique des évènements présents. Si, dans le cadre de la visite de spectres, la question de savoir si n'importe quel mort peut prédire 23 Homère, Odyssée XI, 127-171. 24 Homère, Odyssée XI, 445-492. 25 Homère, Odyssée XI, 492-536. 26 Eschyle, Les Perses, 681-694. 27 Eschyle, Les Perses, 796-797. 02/09/2013 11/27
  • 12. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions l'avenir semble trouver une réponse. Cette question, dans le cadre des têtes parlantes, peut aussi être liée à une autre : Est-ce le mort lui-même qui parle ? Aucun élément ne semble dire le contraire. Sans précision dans les textes, la logique veut que la question ne se pose pas. Il est certain que Gabiénus parle lui-même au nom des divinités des Enfers. Orphée étant déjà revenu des Enfers une fois, rien ne permet de douter qu'il ne sache plus en revenir pour y faire des prédictions. Le prêtre de Zeus Armé semble parler de lui-même, bien qu'Aristote précise dans ce texte que c'est la tête qui parle et non le propriétaire initial de cette tête. Les paroles de Publius prêtent à confusion. Ce dernier ne parle pas de sa tête comme étant la sienne, mais il déclare " notre tête " et encore " une tête divine ". Cependant, la dernière phrase étonne : « Ce sont des choses véridiques que t'a dites Phoibos Apollon Pythien, qui m'a envoyé son puissant serviteur pour me conduire vers les demeures des bienheureux et de Perséphone.28 » Cette phrase laisse supposer qu'il s'agit à la fois des paroles de Publius et d'Apollon. Ou alors, il est possible de la comprendre dans le sens que le début de la prédiction fut énoncée par Apollon. A la suite de quoi, Publius reprit la parole de sa propre tête. Mais il est aussi très étonnant de constater que l'enfant de Polycrite, qui semble être un nouveau-né au moment des faits, puisse parler. Pourtant c'est bien lui qui s'adresse à la foule des Etoliens : « Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctement tous mes membres, mais m'a laissé sur terre.29 » Il est difficile de pouvoir voir clair dans ces textes. Surtout que Phlégon, tout comme Aristote, nous dit que ce sont les têtes, de Publius et de l'enfant de Polycrite, qui parlent. Cette précision n'aurait pas lieu d'être si nous étions certains qu'il s'agissait des paroles de la personne à laquelle la tête appartenait. Quoi qu'il en soit, le fait de ne pouvoir donner de véritables réponses sur ce point est une chose qui semble voulue par les différents auteurs. Cet univers veut rester dans le flou. Comme Ulysse semblant se trouver à la fois dans le monde des vivants et des morts, personne ne peut dire qui se permet de parler à travers des têtes coupées. Une autre question demeure également en suspens : Existe-t-il un rituel en ce qui concerne les têtes coupées ? Et si c'est le cas, quel est-il ? Les morts n'en font-il qu'à leur tête ? C'est ce que nous pourrions penser. Au contraire d'Ulysse et d'Enée, la pratique des têtes parlantes ne semble pas connaître de rituel particulier à accomplir avant leur consultation. Nous serions tentés de dire qu'il y a une différence entre le fait que ces deux derniers héros effectuent un voyage chez les morts, alors que dans l'autre cas, les morts reviennent chez les vivants pour parler. Toutefois, dans l'exemple de Darius, Atossa effectue bien un rituel avec plusieurs libations de lait, de miel, d'eau, de vin, ainsi que des offrandes d'olives et de fleurs tressées, pour faire revenir son mari parmi les vivants.30 Nous retrouvons ici des éléments que Ulysse et Enée ont également utilisés. Mais même s'il n'existe aucun voyage et que, contrairement à l'Odyssée et à l'Enéïde, le rituel ne se déroule pas devant la porte des Enfers, l'apparition de Darius se trouve être également un spectre. 28 L. Brisson, 1978, 116. 29 L. Brisson, 1978, 87. 30 Eschyle, Les Perses, 609-618. 02/09/2013 12/27
  • 13. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Les textes relatant les histoires de têtes coupées ne présentent aucun rituel apparent. Le seul point commun et macabre que nous pouvons faire remarquer est que chacune de ces têtes appartinrent à des personnes s'étant faites tuées de manière brutale. Tout en restant critique car ne s'agissant pas véritablement d'une tête coupée, un texte d'Héliodore parlant d'une vieille nécromancienne, pourrait donner quelques éléments de réponse : « La vieille mère, pensant que nul ne la dérangerait, ni ne la verrait, commença par creuser un trou dans la terre. A droite et à gauche elle alluma deux foyers, entre lesquels elle déposa le corps de son fils. Puis elle prit successivement sur un trépied placé à côté, trois coupes d'argile, qu'elle vida dans le trou : l'une était remplie de miel, la seconde de lait, la troisième de vin. Elle prit ensuite un gâteau de farine qui figurait un homme, le couronna de laurier et de fenouil et le jeta dans le trou. Enfin, elle ramassa une épée, et agitée de mouvements frénétiques, adressa à la lune des invocations dans une langue barbare et étrange. Elle se fit une incision au bras, recueillit le sang avec une branche de laurier et en asperge le foyer. Après d'autres pratiques non moins étonnantes, elle se pencha sur le cadavre de son fils, lui murmura à l'oreille je ne sais quelles incantations, et cette sorcière parvint à le réveiller et à le faire se dresser sur ses pieds. [...] la vieille [...] interrogeait le cadavre. Elle lui demandait si son frère, le fils qui lui restait, reviendrait sain et sauf. Aucune parole ne sortit de sa bouche, mais il fit un signe de tête que la mère pouvait interpréter comme une réponse favorable, puis s'affaissa soudain et s'allongea la face contre terre. Elle retourna le corps sur le dos et, loin de renoncer à obtenir une réponse claire, elle réitéra avec plus de force encore les moyens de contrainte qu'elle avait déjà employés, le harcelant de ses incantations, et bondissant l'épée à la main, tantôt vers le feu, tantôt vers la fosse. Elle le réveilla une seconde fois, et quand il se fut dressé, elle lui posa la même question et le contraignit à répondre, non point par des signes équivoques, mais par des paroles claires. [...] le cadavre, d'une voix sourde et rauque qui semblait sortir de la terre ou des profondeurs d'une caverne, prononça ces parole : [...]31 » La description de ce rituel permet de le comparer aux textes de l'Odyssée et de l'Enéïde.32 En effet bien différent de ces deux derniers par son emplacement, quoiqu'un champ de cadavres pourrait s'apparenter à une porte des Enfers, et dans sa manière de procéder, les éléments de la libation demeurent très ressemblants, tout comme l'utilisation de feu, ou encore le creusement d'un trou comme le fit Ulysse. Toutefois le but de la personne pratiquant le rituel n'est pas un voyage vers le monde des morts. Il s'agit de faire revenir le défunt dans le monde des vivants et ce dernier finit par se mettre à parler, comme le feraient nos chères têtes coupées. La seule différence est que, dans ce dernier cas, le corps tout entier du jeune homme est utilisé et se dresse debout pour parler de vive voix. Lorsque nous voyons le caractère secret de ce rituel, que cette vieille femme tente de cacher à toute autre personne, et l'image diabolique qu'en ont les deux voyeurs qui y assistent en cachette, il n'est pas étonnant de ne trouver sur ce sujet que des textes flous, évasifs et ambigus. Mais finalement, l'idée sur le monde des morts reste constante : Il est difficile d'en revenir.33 Ce qui 31 Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV. 32 Voir tableau Annexe 1 33 Cette idée se retrouve dans plusieurs texte : « [...] on l'avait relâché des enfers avec un message [...] » - Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179. « [...] Il est facile de descendre à l’Averne. La porte du noir Pluton est ouvert nuit et jour. Mais revenir sur ses pas et remonter à la lumière d’en haut, c’est là le pénible effort [...] » - Virgile, L’Enéïde VI. « [...] le chemin est malaisé, il est même bien difficile, car les dieux d’en bas sont meilleurs pour nous saisir que pour nous relâcher [...] » - Eschyle, Les Perses, 689-691. « [...] Il ne m'est pas possible, en effet, à cause des maîtres du monde souterrain, de passer plus de temps. » - 02/09/2013 13/27
  • 14. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions fait qu'il n'est pas étonnant de voir, autour de la nécromancie, un mystère bien caché où les pratiques divinatoires sont contre nature et diaboliques. Malgré tout, cela n'exclut pas le fait que, probablement, ces pratiques devaient être plus courantes que ce que ces textes nous laissent entendre.34 Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2. 34 C. A. Faraone, Necromancy goes Underground, 2005, 256. 02/09/2013 14/27
  • 15. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 3. Les sources iconographiques Contrairement aux sources écrites, la nécromancie est un thème que nous retrouvons bien plus rarement dans les représentations iconographiques connues à ce jour. A aucun moment, l'imagerie d'Anchise et d'Enée ne présente leur rencontre au cœur des Enfers. Les seules représentations de ces deux protagonistes ne se retrouvent que dans le cadre de leur fuite de Troie. Un instant où Anchise se trouve encore vivant. Ulysse et Tirésias C'est en se rapprochant des thèmes de l'Odyssée qu'il est possible de voir apparaître la consultation des morts. Mais toutefois, la rareté de ces représentations ne permet pas une analyse satisfaisante. Certaines pièces nous sont parvenues de manière fragmentaire. Il s'agit, entre autre, du cas d'un buste en marbre retrouvé en 1939 dans le village moderne de Samothrace dont K. Lehmann-Hartleben rapprocha les traits physiologiques à ceux de Tirésias et qui pourrait appartenir à un groupe statuaire plus important.35 Toutefois, quelques œuvres nous sont parvenues de manière intacte. Le premier exemple est un cratère attribué au peintre de Dolon, datant de 440-390 avant J.-C..36 Dans cette composition, Ulysse se trouve au centre, tourné vers la gauche, entre deux personnages debout qui seraient peut-être Euryloque et Périmédès.37 Il tient son épée dans la main. Aucun élément ne précise le cadre de la scène, mise à part un empilement de pierres dont Ulysse se sert comme siège. La tête de Tirésias émerge du trou creusé par Ulysse auprès duquel gisent les victimes sacrifiées. Un autre exemple d'Ulysse consultant Tirésias se retrouve sur un relief en marbre datant du quatrième quart du Ier siècle après J.-C..38 Cette scène est différente. Elle se déroule dans une grotte. Tirésias est assis sur un rocher à droite. Tenant un sceptre, il est enveloppé d'un manteau et une couronne, ou un bandeau, entoure sa tête. Ulysse, dans l'attitude du consultant, est debout en face de lui, le corps légèrement en avant et le pied de la jambe gauche, sur laquelle repose ces avant-bras, est appuyé sur une pierre. Il pointe son épée devant lui. Le dernier exemple que nous citerons ici fait également partie de la consultation des morts d'Ulysse, bien que la scène représentée soit différente. Celle-ci se retrouve sur une pélikè attique à figures rouges, attribuée au peintre de Lycaon, datant des environs de 440 avant J.-C..39 Bien que la composition ressemble fortement à celle du cratère du Cabinet des Médailles de Paris, l'épisode représenté diffère. Ulysse est toujours assis sur un rocher au centre de l'image, tourné vers la gauche. Les deux victimes, dont le sang coule en direction du trou, se trouvent à ses pieds. Il tient son épée afin de menacer les morts qui tenteraient de boire le sang réservé à Tirésias. Le héros écoute son défunt ami Elpénor qui, à sa droite, sort de la terre et des roseaux représentant l'entrée marécageuse des Enfers. 35 O. Touchefeu-Meynier, 1968, 134. 36 Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 422 - Voir Annexe 2. 37 Homère, Odyssée XI, 1-37. 38 Paris : Musée du Louvre, 574 - Voir Annexe 3. 39 Boston : Museum of Fine Arts, 34-79 - Voir Annexe 4 02/09/2013 15/27
  • 16. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Cette ombre, bien que d'apparence musclée, s'appuie sur les rochers environnants pour mettre en évidence la faiblesse des " têtes sans force des morts ".40 Le troisième protagoniste se trouvant sur la scène ne figure pas dans le Chant XI de l'Odyssée. Hermès est représenté à droite, derrière d'Ulysse. Cette présence divine peut s'expliquer assez aisément car ce dernier se trouve être à la fois le conducteur des morts aux Enfers, mais également celui des vivants rendant visite à ceux-ci. Ce fut le cas d'Héraklès et d'Orphée pour lesquelles les exemples iconographiques ne manquent pas.41 En conclusion, la rareté des illustrations de ce thème homérique déçoit. Il semble difficile de croire qu'à l'époque archaïque ce sujet ait pu effrayer les artistes ou leurs clients éventuels, alors que les œuvres littéraires tendraient à en démontrer le contraire. Il est possible que la difficulté technique de représenter graphiquement des morts, de manière vivante, en soit la cause. Alors que l'épisode lui-même du sacrifice des victimes se trouvaient être facilement réalisable. Quoi qu'il en soit, le thème qui finit par être représenté, devait être vraisemblablement assez connu à l'époque romaine pour qu'une représentation schématique comme celle du relief précédemment cité soit comprise.42 Orphée Orphée se situe dans un cas plus ou moins similaire. Ses représentations très diverses se retrouvent bien maigres si l'on n'en garde uniquement l'épisode où sa tête, coupée, se met à parler. Je ne ferai que relever ici le fait que le chapitre de sa mort, où il est sauvagement tué par les femmes thraces, se retrouve assez souvent. Nous pouvons voir aussi quelques images représentant une de ces meurtrières tenir, à hauteur de son visage, la tête d'Orphée dans sa main gauche.43 Un passage qui n’est pas relevé dans les métamorphoses. Cependant la tête elle-même d'Orphée établissant des oracles se retrouve au moins sur trois vases attiques. Au centre des compositions, apparait la tête du jeune homme, flottant dans le champ. La première se trouve sur une hydrie attique à figures rouges, datant de 440-430 avant J.-C.. 44 Sur celle-ci, un homme couronné, un pied appuyé sur un rocher et tenant de la main gauche deux objets longs et minces ressemblant à des bandes ou des bâtons45 , s'adresse à une tête, identifiée comme étant celle d'Orphée. La scène est entourée de femmes, qui pourraient être des Muses, portants des instruments de musique. L'autre représentation de cette scène ne fait que substituer l'homme couronné, à Apollon. La seconde est représentée sur une coupe attique à figures rouges, datant de 420-410 avant J.-C.. 46 A droite de la scène, Apollon porte une branche de laurier dans la main gauche et pointe, de l’autre main, une personne assise sur un rocher. Cette dernière écrit, sur une tablette, le chant oraculaire d'Orphée, dont la tête se trouve sur le sol, au centre de la scène. 40 Homère, Odyssée XI, 1-37. 41 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 135-136. 42 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 143-144. 43 Lécythe à figure rouge sur fond blanc, Bâle : Marché de l’art - Voir Annexe 5 Hydrie à figure rouge, Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 456 - Voir Annexe 6 44 Bâle : Antikenmuseum, BS 481 - Voir Annexe 7 45 Selon M. Schmidt, ce serait des cordes. Et selon Graf, il s’agirait de lances. 46 Cambridge : Fitzwilliam Museum, 463 - Voir Annexe 8 02/09/2013 16/27
  • 17. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Il est intéressant de noter que si, dans la première composition, la bouche de la tête d'Orphée ne semble pas demeurer ouverte, annonçant ses paroles, cela n'est pas le cas de la deuxième dont la bouche l'est clairement, alors que la personne assise écrit le flot de paroles qui s'en écoule. Il faut noter que, devant la divergence chronologique entre ces images et les sources écrites, il fut avancé que le scribe de la coupe de Cambridge n'écrivait pas des prophéties, mais plutôt des poèmes d'Orphée47 ou des ordonnances48 . Alors que la transcription des oracles fut, en Grèce antique, l'une des premières applications de l'écriture. 47 Selon Nilsson 48 Selon Graf 02/09/2013 17/27
  • 18. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 4. Découverte archéologique - Vigna Codini Un des questionnements que nous pouvons également soulever est de savoir si les pratiques de la nécromancie, dans le monde gréco-romain, ont laissé des traces archéologiques. La réponse à cet élément semble relativement difficile à donner. Les pratiques magiques, au même titre que ce que nous avons vu jusqu'ici, possèdent leur part de mystère. De plus, il ne faudrait pas oublier que la recherche dans ce domaine est relativement récente. Les possibilités de liens avec des pratiques occultes ont souvent été écartées des possibilités d'interprétation des anciennes découvertes archéologiques. Mais toutefois, parmi ce chaos, Christopher A. Faraone revient sur l'étude d'une découverte faite en 1852 par Gaetano Canestrelli.49 Une amulette en or Cette année-là, Canestrelli découvrit, dans un columbarium, à côté du tombeau des Scipions de Vigna Codini, une petite plaque en or. Plus d'une demi-douzaine d'interprétations différentes ont découlé de cette découverte et, pour alimenter la controverse, cette dernière avait disparue durant près d'un siècle. Toutes les personnes qui l'ont examinée s'accordent sur le fait que cette tablette demande à un dieu d'accorder la victoire sur un ennemi ou sur le mal. Mais il ne s'agit là que de l'idée générale commune qui en ressort. En réalité il y eut, jusqu'au réexamen de Faraone, deux tendances majeures et divergentes sur l'interprétation paléographique du texte retrouvé sur cette pièce. En 1944, Campbell Bonner émit l'hypothèse selon laquelle la tablette invoquait le dieu Aiôn sous la forme d'un serpent afin de protéger son propriétaire de l'attaque de serpents. Par la suite, Henri Seyig publia un article dans lequel il confirma cette hypothèse, en l'accompagnant d'une photographie de la plaque, dont voici la transcription : "Aἰὼν ἑρπέτα κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπὸ πέτραν" "Aiôn, Serpent, Seigneur Sérapis, donne la victoire sur ceux qui sont sous la pierre." Cette idée de lecture devint la référence durant les trente années qui la suivirent. Mais, en 1985, une seconde hypothèse fut présentée par David Jordan qui fournit alors un nouveau dessin, offrant du même coup une lecture bien différente du document : "Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπογεγραμ [μένων...]" "Travailleur éternel, Seigneur Sérapis accorde la victoire sur ceux qui sont écrit ci-dessous..." D'après Jordan, la tablette donnerait la victoire sur un nombre d'ennemis dont les noms auraient été inscrits sur une partie inférieure qui aurait disparu. Mais, quelques années plus tard, Roy Kotansky dans son corpus d'amulettes, reprend cette interprétation en y rajoutant deux abréviations qui auraient été omises, donnant ainsi le texte suivant : "Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι, δὸς νείκην κατὰ ὀ(νομάτων) τῶν ὑπογεγραμ(μένων)" 49 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, 27-43. 02/09/2013 18/27
  • 19. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions "Travailleur éternel, Seigneur Sérapis donne la victoire sur les noms écrits ci-dessous." Jordan et Kotansky sont de très bons épigraphistes. Mais malgré tout, Faraone accueille avec réticence cette nouvelle hypothèse et préfère celle émise auparavant par Bonner-Seyrig, dont l'un des points vise à contrôler " ceux qui sont sous la pierre ", bien que sa propre interprétation se déplace dans une direction différente. Car pour lui, " ceux " sont les morts qui se trouvent sous leur " pierre " tombale. Contexte de découverte A première vue, la découverte d'une tablette en or n'a pas à se retrouver liée à notre sujet. Pourtant, écarté des débats sur l'interprétation de cette dernière, le contexte archéologique permet un nouvel éclairage sur l'utilisation de cette plaque. En réalité, celle-ci a été découverte dans un cadre inhabituel. Elle fut placée dans la bouche du crâne d'un homme. Ce dernier, très bien conservé, fut enfermé dans une urne en terre cuite avant d'être placé dans ce columbarium jouxtant le tombeau des Scipions et dont les sépultures datent du Ier siècle avant, au Ier siècle après J.-C.. Les études concernant la tablette le mentionnent bien. Mais cela ne demeurait qu'un simple détail annexé à la découverte, car ces études préféraient se concentrer uniquement sur l'exploitation du texte. Il est clair que, dans de telles conditions, il devient difficile de se prononcer en faveur de l'une des deux interprétations que nous venons de citer ci-dessus. Faisant un parallèle avec l'obole à Charon, il a vite été conclu que cette plaque était une amulette utilisée par un homme afin de se protéger durant sa vie et qu'elle fut placée dans sa bouche après sa mort, pour maintenir cette protection dans l'au-delà.50 Si pour Bonner les ennemis sont des reptiles, alors que pour Jordan et Kotansky il s'agit de maladies ou d'humains, il faut toutefois constater l'existence d'un désaccord entre cette utilisation de la tablette et le contexte de sa découverte. Cette tablette, introduite dans la bouche d'un humain dont seul le crâne a été mis dans une urne, puis enterré, est pour Faraone le signe plutôt évident que celle-ci fut d'abord utilisée dans une pratique de la nécromancie. Pour appuyer ses dires, celui-ci présente des relations entre cette découverte et l'utilisation de crânes dans les pratiques de la nécromancie que nous retrouvons dans deux textes mésopotamiens datant du Ier siècle avant J.-C.51 . Il effectue également un parallèle de cette utilisation dans le monde juif. La constatation est que, au terme de ces rituels, le sorcier prend bien soin de retourner le crâne à l'endroit où celui-ci se trouvait à l'origine. Autrement dit, de bien le remettre sous terre, afin que l'esprit, dont on pensait qu'il était toujours lié au crâne, puisse retourner dans l'au-delà. Un autre élément faisant terriblement penser à cette découverte se trouve être une anecdote concernant le roi de Sparte, Cléomènes.52 Celui-ci avait tué son ami Archonidès, lui avait coupé la tête afin de la conserver dans un pot rempli de miel, dans le but de pouvoir consulter l'avenir dès qu'il le souhaitait. 50 Seul Seyrig suggère que l'amulette fut écrite uniquement dans un but de protection dans l'après-vie. 51 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, p. 35. 52 Hélien, Histoire variée XII, 8. 02/09/2013 19/27
  • 20. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Dans le même ordre d'idées, il est possible de penser que Périandre ait volontairement omis de brûler les vêtements de sa femme Mélisse afin que, ne pouvant pas franchir l'Achéron, elle puisse revenir plus facilement dans le monde des vivants. Tous ces éléments nous rappellent bien toutes les histoires de têtes coupées parlantes que nous avons vues précédemment. Et pour appuyer l'idée de retourner le crâne dans le sol pour faire retourner l'esprit du défunt dans l'autre monde, nous pouvons citer un passage de l'histoire de Polycrite, où la tête de son enfant nous révèle ceci : « Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctement tous mes membres, mais m'a laissée sur terre. Eh bien ! Allez, exposez ma tête en plein jour, et n'allez pas la cacher sous la terre ombreuse ; [...]53 » Finalement, il devient clair que le contexte de cette trouvaille dans ce columbarium de Vigna Codini amène à penser à une utilisation dans le cadre d'une pratique de la nécromancie. Toutefois plusieurs questions restent en suspens. Était-ce une amulette de protection portée par le nécromancien, afin de lui accorder la victoire sur les spectres qu'il invoquait ? Mais dans ce cas-là, pourquoi la retrouver dans la bouche d'un crâne ? Cette victoire inscrite sur la plaque n'était-elle pas, au contraire, destinée au défunt lui-même afin d'éviter que n'importe quel mort ne puisse venir à la place de ce dernier ? Ou alors, cette amulette avait-elle été destinée uniquement à la restitution du crâne, afin de faire retourner l'esprit dans le royaume des morts, ou alors pour empêcher de le voir reparler à nouveau ? Le débat reste, pour le moment, ouvert. 5. Conclusion Au regard des éléments que nous venons de voir, il est très clair que nous pourrions pousser l'étude plus loin. Je pense surtout au côté symbolique que nous pourrions trouver au travers des éléments décrits dans les différents rituels des textes. Il faut également constater qu'en comparaison des sources écrites, l'iconographie manque cruellement. De plus, l'intérêt pour le sujet étant relativement récent dans le domaine de l'archéologie, avec ce seul exemple de Vigna Codini, ce dernier ne permet pas pour le moment de faire une étude comparative avec d'autres découvertes. Des découvertes qui, je l'espère, se feront un peu plus nombreuses à l'avenir. Quoi qu'il en soit, pour notre temps, le domaine de la magie, qu'il soit un sujet de fascination ou de superstition, tiendra à garder pour lui une grande part de ses mystères. 53 L. Brisson, 1978, p. 87 02/09/2013 20/27
  • 21. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 6. Annexes Annexe 1 02/09/2013 21/27
  • 22. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Annexe 2 02/09/2013 22/27
  • 23. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Annexe 3 02/09/2013 23/27
  • 24. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Annexe 4 Annexe 5 Annexe 6 02/09/2013 24/27
  • 25. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Annexe 7 Annexe 8 02/09/2013 25/27
  • 26. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions 7. Bibliographie Sources Aristote, Les parties des animaux, texte établi et traduit par Pierre Louis, Les Belles Lettres, 1956 Eschyle, Les Perses, traduit du grec par Guillaume Boussard, Ed. du Relief, 2009 Hélien, Histoire variée XII, traduit par A. Lukinovich et A.-Fr. Morand, Les Belles Lettres, 1991 Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV, texte établi par R. M. Rattenbury, T. W. Lumb et traduit par J. Maillon, Les Belles Lettres, 1938 Hérodote, Histoires V, texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand, Les Belles Lettres, 1946 Homère, Odyssée, édition établie et traduit par Louis Bardollet, R. Laffont, 2004 Ovide, Les métamorphoses, traduit, introduit et notes par Joseph Chamonard, GF Flammarion, 1999 Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane IV, traduit par Alain Chassang, Sand, 1995 Phlegon de Tralles, De mirabilibus, texte établi par A. Giannini et traduit par L. Brisson, " Aspects politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leiden, 1978, p. 80-122. Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, texte établi, traduit et commenté par Robert Schilling, Les Belles Lettres, 1977 Virgile, Enéïde VI, texte établi et traduit par Jacques Perret, Les Belles Lettres, 2007 Ouvrages généraux P. Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, 1951 LIMC II 2, 1984 LIMC VII 2, 1994 Ouvrages A. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, Paris, 1879 D. Ogden, Magic, Witchcraft, and Ghosts in the Greek and Roman Worlds : a Sourcebook, Oxford, 2009 O. Touchefeu-Meynier, Thèmes odysséens dans l’art antique, Paris, 1968 02/09/2013 26/27
  • 27. Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-Emile Tirésias, Orphée et autres apparitions Articles particuliers L. Brisson, " Aspects politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leiden, 1978, p. 80-122. C. A. Faraone, " A Gold Amulet and a Ceramic Pot : Evidence for Necromancy in the Vigna Codini ", MHNH 5, 2005, p. 27-43 C. A. Faraone, " Necromancy goes Underground " in S. I. Johnston and P. T. Struck, Mantike: Studies in Ancient Divination, 2005, p. 255-282 M.-X. Garezou, " La tête oraculaire d’Orphée " in LIMC VII 1, 1994, p. 88-101-102 W. Lambrinudakis, " Apollon und Orpheus " in LIMC II 1, 1984 p. 290 02/09/2013 27/27