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PSYPROPOS 2014 : JEUX DE CONSTRUCTION
Journées de PSYPROPOS BLOIS 4 octobre 2014
« OBJEU DE CONSTRUCTION » Patrice RIDOUX
Je souhaite, par cette intervention, rendre à ma façon hommage à Jean
OURY.
Lors d’une soirée Psypropos, soirée d’échanges pas tant que cela en
marge, j’évoquais quelques repérages de ma trajectoire personnelle. En
l’occurrence, faire part de la manière dont j’avais été paternellement
propulsé vers une filière technique dès le début du collège.
Me revenaient des sensorialités diverses de cette époque, celle qui
introduisait aussi l’ère gaullienne. La dite filière passait alors par la
fréquentation d’ateliers d’ajustage, tournage du bois et de l’acier,
fonderie, forge, menuiserie, ajustage etc…et ce dans un rapport d’élève
aux matériaux à travailler et à leurs champs ouvriers.
Les objets, les pièces disait-on, s’obtiennent et se façonnent le plus
souvent par un prélèvement de matière sur le bloc brut à usiner.
C’est cette opération qui pour moi a fait retour, celle de la vigilance
anxieuse autour de la question du jeu mécanique. Trop de prélèvement
et c’est l’irréversibilité: l’objet de fabrication passe au rebus, à la casse.
Le jeu mécanique, positif ou négatif est une nécessité, une contrainte à
l’assemblage des éléments. Il se définit par un intervalle de tolérance –le
tolérancement- et la différence doit être maîtrisée dans l’ajustement avec
jeu ou serrage.
Me reviennent les normes ISO, le fameux H7g6, ce jeu minima 5-29
microns pour un diamètre de 10cm. Précision, sinon recyclage !
D’imaginer ce qui se révèle dans ce jeu supposé mécanique ne
demande pas d’avancées métapsychologiques bien complexes.
Le propos du collège technique était de faire de chacun des élèves un
futur maître du jeu à travers une formation normée.
Mon histoire a glissé sur cette pente avec d’autres contraintes du jeu,
celles des mathématiques d’une classe dite supérieure, mat-sup, dont le
terme fût également celui mis à l’ambition supposée paternelle.
Les jeux de construction d’une place se sont dirigés ensuite vers les
facultés de médecine et écoles de psychanalyse, mais avec ces objets
en poche et la boite à outils de ces premières traces techniques
laborieuses.
1
Qu’en est il resté ? Probablement mon intérêt pour les espaces de jeu,
les lieux du jeu pourrait-on dire.
La suite tenta d’être psychiatrique, freudienne, lacanienne, et puis des
rencontres, dont celles formidables avec Jean OURY, Horace
TORRUBIA et bien d’autres, ont ajoutées une vivacité continue avec le
souci d’inclure dans les champs que je tentais de soutenir des apports
poético-philosophico-cliniques de première nécessité.
Me voici donc aujourd’hui à tenter de traduire quelques traces de ce que
mes maîtres ne cessent d’écrire.
De la mécanique à la Psychiatrie au risque de la Psychanalyse,
trajectoires de divers objets.
Je vous proposerai celui que Jacques LACAN a tenté de façonner, si ce
n’est de saisir, et de ce qui, chez Francis PONGE fait écho, « résone, »,
à la démarche de ce dernier et aux histoires de l’objet.
A) L’OBJET « a » LACAN.
LACAN ne cessera de le redéfinir, au cours de ces formulations
enseignantes, comme non représentable, insaisissable, toujours en
mouvement dans sa théorisation.
D’abord comme « petit autre », objet du Moi se constituant dans un
rapport aliénant qu’est celui à l’image.
Dans le séminaire « l’Ethique », LACAN reprend le Das-Ding
freudien « La Chose » étrangère et perdue lors de l’accès au langage.
L’objet « a » venant en place de cette perte.
Le tournant du Séminaire VI, « Le désir et son interprétation » fait passer
cet objet à cette nomination : « objet du désir » qui devient peu de temps
après « objet cause » du fait même de l’écriture et donc de la place de
« a » dans le fantasme, autrement dit : soit un soutient du désir, soit un
leurre.
Donc objet « cause du désir » qui fait division pour un sujet, noté dans
le mathème $ <> a, ce sujet « en exclusion interne à son objet ».
Dans les séminaires, « L’Angoisse » et « L’Identification » l’objet « a »
est développé dans la Topologie que LACAN déroulera à partir de 1962.
Mettant impérativement – et certains y ont laissé des plumes – la
topologie au travail, de 1962 « l’ Identification » à 1972 « l’Etourdit » ,
avec tore, bande de Moebius, cross-cap et bouteille de Klein, ces objets
topologiques vont permettre avec les opérations de coupure qu’ils
concèdent, de dire, d’écrire quelque chose –du fantasme par exemple si
nous nous en tenons au cross- cap-.
2
L’important est que ces opérations ne peuvent s’imaginer en 3D, puisque
les surfaces en question se traversent et s’interpénètrent. Finie la
sphère, qui pour LACAN - et pour PONGE, nous le verrons -, ne dit rien,
ne permet que des découpes simples, simplistes pourrions nous dire.
La rencontre du désir de l’Autre est anxiogène, le névrosé en tente
l’évitement. $<>D est une écriture de la Demande qui est une manière
de rendre compte de la Pulsion prise dans cette Demande.
Dans le séminaire « l’Angoisse – Livre X » de 1962-63 « a » représente
le manque à être et il est donc référé à la cause du désir et non pas à sa
visée. Ce n’est pas tant la nostalgie de cet objet qui engendre l’angoisse
mais son imminence, quand le manque vient à manquer.
L ‘Angoisse, c’est ce qui ne trompe pas, et si l’homme parle, c’est parce
qu’il veut dire, être ce « Parlêtre ». Elle surgit lorsque le leurre du désir
n’opère plus, lorsque le Sujet redécouvre sa division.
Mais, par ailleurs, « le désir est un remède à l’angoisse ». « Je vous
serine, dit LACAN, que l’amour, c’est donner ce qu’on à pas », le
signifiant phallique.
L‘angoisse se situe entre désir et jouissance, et tient les deux faces. Elle
n’est pas sans objet « Pas-sans » trace d’un objet perdu qu’il est en tant
qu’absent. « L’angoisse, je vous ai dit, qu’il faut la définir comme ce qui
ne trompe pas, précisément en tant que tout objet lui échappe », son
objet c’est le manque, « ce que suppose de vide une demande ».
Le vide est occupé par l’objet perdu, celui partiel de la pulsion
freudienne. Le fantasme est encadré, l’angoisse l’est également. Il s’agit
de « prendre acte du manque comme tel » et de nous permettre, à nous
« cet acte manqué de le réussir, c’est à dire, de ne pas manquer au
manque ».
Si je vous propose cet arrêt sur la question de l’Angoisse, c’est parce
que nous interrogerons, chez PONGE, la manière dont elle pourrait
s’articuler avec, et je le dis ainsi, ses serrages d’objets.
Par la suite, LACAN dans le séminaire XVII, « l’Envers » formalisera les
quatre discours, discours qui permettent de structurer les modalités du
lien social.
Dans le discours du Maître « a » est en place de production et devient le
« plus de jouir », version lacanienne de la plus value marxiste.
agent Autre
vérité production
S1 S2
$ a
et $ est en place de vérité sous la barre de S1 signifiant maître.
3
1974-1975 est l’année de RSI. L’effet de ce séminaire est sidérant.
« a » jusque là proposé comme un effet de coupure devient un point de
coincement entre les trois registres Réel, Symbolique, Imaginaire, noués
boroméennement, et le nœud est une écriture. « a » deviendra la lettre
détachée du signifiant symbolique, autorisant ainsi le refoulement et
chutant dans le réel.
« a » c’est l’objet de la psychanalyse.
Cette invention de l’objet « a » à eu un effet remarquable, celui de
désolidariser l’objet de la question de l’être ; l’objet manque à être force
à la structure langagière.
C’est le presque rien qui brille par son absence et donne un certain éclat
aux objets de la réalité.
Dans la Revue Lacanienne n°15, Claire POURGET nous rappelle ce que
dit la langue courante : « ça me regarde, ça me parle », donc la valeur
de l’objet touche au corps et fait inscription dans un espace autre,
prenant toute sa valeur dans ce qu’il creuse entre l’Un et l’Autre.
Je la cite : « ton absence m’est intolérable, mais c’est elle qui est là, à
me faire éprouver le désir de te retrouver ». C’est un acte de
consentement, accompagnant la perte de l’objet et qui lui en conférera
sa valeur.
L’Objet est destiné à un autre, petit autre, grand Autre, du fait de la
nécessité d’une adresse référée aux lois de la parole et du langage.
Claire POURGET demande : entre Un et Autre, s’agit il d’une différence
ou d’un écart ?
Le nœud boroméen que nous évoquions, ce nœud, ce nouage, ne dit
rien du serrage. L’analyse pourrait-elle se définir comme ce qui autorise
un peu d’erre dans un nœud, un peu de jeu dirait l’artisan ?
L’analyste veille à ce que cette place face trou et non pas coinçage.
C’est un art, « art comme celui du gabier » dit-elle. Le gabier, ajouterais-
je, en poste sur sa hune.
C’est l’œuvre d’art et la création pongienne.
Dans tous les cas l’analysant aura, lui, à se déprendre de la valeur de
l’objet. Quant à ce que ça produit, cela sera à d’autres que sera confiée
la délicate mission d’en décider les effets.
B) FRANCIS PONGE
Ce tour de la question de l’objet lacanien nous conduit à Francis
PONGE (1899-1988) qui me serait sans doute plus étranger si Jean
OURY ne nous avait convié à cette lecture avec, entre autres « le
4
vouloir dire de Francis PONGE » d’Henry MALDINEY – qui nous a quitté
en décembre 2013 –
En dehors de quelques uns des ouvrage de PONGE, je me suis appuyé
sur la remarquable thèse de Sophie COSTE ( 2008 – Lyon2 -) : « la
parole mise au monde. Poétique de la parole dans l’œuvre de Francis
PONGE »
Elle scinde ainsi, historiquement, plusieurs période dans cette œuvre :
1) La parole empêchée de 1915 à 1919, dite « drame de
l’expression »
2) La parole sous condition de 1930 à 1938, date de la rédaction de
« Prendre le parti des choses »
La parole de PONGE s’élève, mais dans un cadre strict avec des
conditions nécessaires pour tenter de parer les risques.
3) « Parole confrontée à l’histoire » 1938-1944
C’est la parole pour l’homme
4) « Prendre son propre parti »1944-1950
« Je pris mon propre parti, celui de la parole naissante » écrit
PONGE, la « tentative orale »
5) le Malherbe de 1951 : c’est l’Avènement de la Parole en Majesté.
La parole devient la Parole.
6) Enfin, à partir de 1961, avec Figue, le Grand Recueil,
l’achèvement de l’écriture du Savon et de la Table, c’est, dit Sophie
COSTE « La Parole table ouverte »
La démarche de Francis PONGE peut s’entendre comme un pari : celui
d’écrire contre la parole avec l’aspiration tenace à la réalisation pleine et
entière. Pour lui, rien ne préexiste à la parole.
En ce sens, PONGE est très winicottien : c’est l’absence qui permet le
jeu et donc l’existence.
Ses contemplations d’objets du monde sont une manière de suturer, de
clore l’abime vertigineuse. L’objet est cet objet tiers, le caillou par
exemple,… et ce qui vaut pour le caillou vaut pour le reste.
Cela fait garant de l’altérité avec un risque majeur pour le scripteur dans
son écriture. Je le cite : « la naissance du texte ne pouvait avoir lieu que
par la mort du scripteur » (Entretiens avec Philippe SOLLERS)
Avec le « soleil placé en abime » PONGE avance son « objeu ». C’est
un genre nouveau, une recherche pour arracher les mots de la
signification figée des objets, et ce, par un retour quasi mythique au
monde originaire de la mobilité.
Ce traitement de l’abime, pour qu’elle ne soit plus menace de déperdition
pour la parole, nécessite d’abord un enfouissement, et ce, pour lui créer
un fonctionnement.
5
Cet enfouissement n’est pas sans nous rappeler Michel TOURNIER et
son « Vendredi ou les limbes du Pacifique » ou les cryptes de Maria
TÖRÖK et ses introjections ferencziennes.
MALDINEY, dans le « vouloir dire de Francis PONGE » édité en 1994 et
réédité en février 2014, avait noté : « surgissez, bois des pins, surgissez
dans la parole ! ».
La poésie de Francis PONGE se cherche entre choses et mots. PPC
(Parti Pris des Choses) avec la « Rage de l’expression » sont l’oser dire.
« Comment dire la chose sans faire d’elle un objet mort ? » car entre la
chose et le mot, il faut un jeu, celui qui suscite l’origine de la parole, de
notre être au monde.
PONGE écrit ce genre nouveau, « le Soleil » ; Je cite : « ou l’objet de
notre émotion, placé d’abord en abime, l’épaisseur vertigineuse et
l’absurdité du langage, considérées seules, sont manipulées de telle
façon que, par la multiplication intérieure des rapports, les liaisons
formées au niveau des racines et les significations bouclées à double
tour, soit créé ce fonctionnement qui seul peut rendre compte de la
profondeur substantielle de la variété et de la rigoureuse harmonie du
monde ».
Et encore : « il arrive que le caillou s’entrouvre à son tour et devienne un
précipice, un abime… mais cela peut se refermer, c’est plus petit, on
peut par les moyens de l’art refermer le grand trou métaphysique mais
peut-être le façon de refermer le caillou vaut elle pour le reste
« thérapeutiquement » »
Peut on entendre dans sa signification bouclée à double tour un écho
lacanien de la double coupure, huit intérieur, structure même du
signifiant, coupure qui opère sur le cross-cap ?
Cet Objeu « Soleil placé en abime » c’est un texte prismatique dont le
fonctionnement logique se refuse à la contrainte cartésienne.
Dans les entretiens avec Philippe SOLLERS, PONGE affirme le
mouvement tournant, la « sphéricité grandiose et permanente ». C’est ce
qui donne au monde, par l’objeu, une manière dynamique de penser la
clôture.
Ce qui est possible pour le monde l’est aussi pour le texte :
PPC=CTM (Parti Pris des Choses= Compte Tenu des Mots)
PONGE est cité par Lacan dans les Ecrits « fonction et champ de la
parole et du langage » « PONGE écrit ça réson » et ce renvoi lacanien
est d’abord un renvoi à la parole et non pas à la raison comme l’écrit Jo
ATTIE, c’est un écho entre écriture et parole.
Dans l’aspiration de la réalisation d’une parole pleine et entière, il faut
écrire contre la parole, en recherche de ce qui pourrait la garantir.
6
L’objet chez PONGE fonctionne comme un 3ème terme entre Je et Tu,
garant qui conditionne l’altérité, instance tierce venant arrimer la
Symbolique.
Reprenant les avancées de Sophie COSTE, proposons que ce qui fait
support de la parole serait l’objet pour PONGE et le grand Autre pour
LACAN.
Devenir l’auteur de sa parole, dans la confrontation à l’altérité est cette
demande de mettre la parole au monde des objets dans un auto
engendrement.
Lorsque PONGE prendre la décision de publier ses brouillons en 1952 «
la Rage de l’expression », il fait comme d’autres à son époque, tomber
en désuétude le terme même de poésie, on ne parlera plus, ensuite, que
d’un poème.
Comme l’avance Jean ALLOUCH, ce qui fait traits communs entre
PONGE et LACAN pourrait se repérer d’abord dans l’insistance de
PONGE à rejeter la géométrie euclidienne au même titre que LACAN a
poussé l’objet topologique et l’écriture du nœud.
Cerner ainsi, au lieu de l’Autre l’incrustation de l’agalma, fait écho à la
notion pongienne de Sapate, lieu de recel de l’objet précieux dont seul le
contenant est en surface et en image externe offert au champ du
scopique, du visible.
PONGE dénonçait le langage commun : « la Raison-au-plus-haut-prix »
à l’opposé de celle qui tient compte de la réson, la résonnance des
signifiants pour un sujet. LACAN, de son côté, donne force à ce sens
produit par la démarche analytique.
Le sens singulier, c’est le symptôme, sens singulier que chacun met sur
son hors-sens, sur sa jouissance.
Ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est le symptôme.
Si FREUD avait tenté de sauver le Père, LACAN pose que le Père est
un symptôme. Je rappelle cela, car il est souvent fait référence à ce que
la mort du père de Francis PONGE, en 1923, lui a imposé de mise au
travail.
« Comment une Figue de Parole et pourquoi ? » publiée en 1978,
regroupe tous les états du texte de la « figue » dont le début d’écriture se
situe en 1951 jusqu’ la version de 1960 parue dans la revue Tel Quel.
Pourquoi…il faut en finir avec le texte ?
Avec la « Figue », note Jean ALLOUCH, le rapport des mots et de la
chose peut se nommer Objeu ; avec l’ombilic ce la figue, donc son
irréductible, PONGE parlera d’Objoie.
C’est la jouissance de la chose qui s’échoue et l’objet qui vient dire « ce
n’est pas ça », écart entre jouissance attendue et celle obtenue.
LACAN disait, en 1971 dans Lituraterre : « qu’est-ce que ça gite la
jouissance ? Pour jouir, il faut un corps ! », « il n’y a de jouissance que
7
de mourir », « la Jouissance, c’est ce qui ne sert à rien » sauf peut être à
écrire…
Le « ce n’est pas ça » du nouage borroméen des trois verbes de : « je te
demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça »… ce
n’est pas ça…que tu désires… ,que tu désires que je te demande.. etc...
peut étourdir.
Et donc, si le sujet s’en tient névrotiquement aux tours de la Demande
sur le tore en ignorant l’erreur de comptage, c’est à dire le tour même
que décrivent ses relances de Demande, ce tour manquera dans son
compte névrotique. Il sera raté ce tour, celui du Désir qui cerne l’objet
cause.
C’est le « -1 inconscient dans sa forme constitutive, le désir inconscient
qui constitue, pourrait on dire la métonymie de la demande ».
Il es des moments ou le Sujet occupe la fonction objectale : en clinique,
le mélancolique le dit, le manique l’est, le paranoïaque se défend de
l’être comme le propose Marcel CZERMAK.
Ecrire la lettre qui fait littoral entre jouissance et savoir avec le signifiant
du côté du Symbolique et l’écriture du côté du Réel « c’est le
ravinement du signifié » donc de l’Imaginaire.
La Lettre est la précipitation du signifiant dans ce qui confère l’identité à
soi de la lettre et la non identité à soi du signifiant. L’écart de jouissance,
cette jouissance incomplète, c’est le trou dans le savoir inconscient dont
« a » en est la frontière.
Nous revenons sur la question du symptôme pour avancer comme
tentation de rapprochement, que PONGE comme JOYCE proposent par
leurs écritures la tentative d’une autre réparation, je veux dire celle de
leurs nœuds boroméens.
Pourrait-on énoncer, dès lors, que le poème pongien, le « Proème »
comme il dit serait un objet, l’objet « a »?
Le rêve n’est-il pas un poème surréaliste que le sujet renvoie à lui
même ?
LACAN en 1972, après « ou Pire » écrit l’ Etourdit , « Qu’on dise reste
oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » comme insistait à le
répéter jean OURY.
Avec le « dire » du côté de l’énonciation, le « qu’on dise » comme une
possibilité, et le « dit » du côté de cet acte, le dire ex-siste au dit. Cela se
traduit en termes de coupures topologiques : le « dire » coupure fermée
à un tour, le « dit » coupure à double boucle, celle de l’interprétation
dans le sens psychanalytique. Celle ci est opérante sur le tore, la bande
de Moebius, le cross-cap, aucunement sur la sphère, répétons le.
Nous aurions à poursuivre un pas à pas chez PONGE en dépliant :
« pour un Malherbe » de 1965, associé au nom du lycée qu’il fréquenta,
8
le « Savon » de 1967 qui lui valu manifestations organisées contre lui et
menaces de censure ; ou encore « la Table », communication utopiste.
L’utopie de retrouver, la communication rompue entre le sujet et l’objet ;
cette Table « ni dossier, ni fabrique mais de l’effacer et du même coup
effacer tout ce que j’ai écris sur elle , l’effaçant enfin du même coup elle-
même pour absolument en finir ».
C) CONCLUSION
Pourrait-on, pour conclure, proposer un point de vue comme perspective
sur le trajet du mécanique du jeu au jeu de la lettre, et du signifiant et à
l’objet qui vient toujours faire tourner asphériquement le discours
analytique ?
Comme un point de vue qui proposerait que les deux destins de la
pulsion pourraient être ceux de la pratique analytique d’une part, et celle
de l’écriture d’autre part ?
Jean OURY viendrait probablement mettre un bémol à cette proposition
en y ajoutant la pratique de l’artisan, la sienne, avec entre autres
lumières d’éclairages celles de LACAN et PONGE, tout ceci venant
s’ajouter à la précieuse précarité de ma propre boite à outils
conceptuelle.
Merci
Patrice RIDOUX
Psychiatre-Psychanalyste
9

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Objeu de construction Patrice Ridoux

  • 1. PSYPROPOS 2014 : JEUX DE CONSTRUCTION Journées de PSYPROPOS BLOIS 4 octobre 2014 « OBJEU DE CONSTRUCTION » Patrice RIDOUX Je souhaite, par cette intervention, rendre à ma façon hommage à Jean OURY. Lors d’une soirée Psypropos, soirée d’échanges pas tant que cela en marge, j’évoquais quelques repérages de ma trajectoire personnelle. En l’occurrence, faire part de la manière dont j’avais été paternellement propulsé vers une filière technique dès le début du collège. Me revenaient des sensorialités diverses de cette époque, celle qui introduisait aussi l’ère gaullienne. La dite filière passait alors par la fréquentation d’ateliers d’ajustage, tournage du bois et de l’acier, fonderie, forge, menuiserie, ajustage etc…et ce dans un rapport d’élève aux matériaux à travailler et à leurs champs ouvriers. Les objets, les pièces disait-on, s’obtiennent et se façonnent le plus souvent par un prélèvement de matière sur le bloc brut à usiner. C’est cette opération qui pour moi a fait retour, celle de la vigilance anxieuse autour de la question du jeu mécanique. Trop de prélèvement et c’est l’irréversibilité: l’objet de fabrication passe au rebus, à la casse. Le jeu mécanique, positif ou négatif est une nécessité, une contrainte à l’assemblage des éléments. Il se définit par un intervalle de tolérance –le tolérancement- et la différence doit être maîtrisée dans l’ajustement avec jeu ou serrage. Me reviennent les normes ISO, le fameux H7g6, ce jeu minima 5-29 microns pour un diamètre de 10cm. Précision, sinon recyclage ! D’imaginer ce qui se révèle dans ce jeu supposé mécanique ne demande pas d’avancées métapsychologiques bien complexes. Le propos du collège technique était de faire de chacun des élèves un futur maître du jeu à travers une formation normée. Mon histoire a glissé sur cette pente avec d’autres contraintes du jeu, celles des mathématiques d’une classe dite supérieure, mat-sup, dont le terme fût également celui mis à l’ambition supposée paternelle. Les jeux de construction d’une place se sont dirigés ensuite vers les facultés de médecine et écoles de psychanalyse, mais avec ces objets en poche et la boite à outils de ces premières traces techniques laborieuses. 1
  • 2. Qu’en est il resté ? Probablement mon intérêt pour les espaces de jeu, les lieux du jeu pourrait-on dire. La suite tenta d’être psychiatrique, freudienne, lacanienne, et puis des rencontres, dont celles formidables avec Jean OURY, Horace TORRUBIA et bien d’autres, ont ajoutées une vivacité continue avec le souci d’inclure dans les champs que je tentais de soutenir des apports poético-philosophico-cliniques de première nécessité. Me voici donc aujourd’hui à tenter de traduire quelques traces de ce que mes maîtres ne cessent d’écrire. De la mécanique à la Psychiatrie au risque de la Psychanalyse, trajectoires de divers objets. Je vous proposerai celui que Jacques LACAN a tenté de façonner, si ce n’est de saisir, et de ce qui, chez Francis PONGE fait écho, « résone, », à la démarche de ce dernier et aux histoires de l’objet. A) L’OBJET « a » LACAN. LACAN ne cessera de le redéfinir, au cours de ces formulations enseignantes, comme non représentable, insaisissable, toujours en mouvement dans sa théorisation. D’abord comme « petit autre », objet du Moi se constituant dans un rapport aliénant qu’est celui à l’image. Dans le séminaire « l’Ethique », LACAN reprend le Das-Ding freudien « La Chose » étrangère et perdue lors de l’accès au langage. L’objet « a » venant en place de cette perte. Le tournant du Séminaire VI, « Le désir et son interprétation » fait passer cet objet à cette nomination : « objet du désir » qui devient peu de temps après « objet cause » du fait même de l’écriture et donc de la place de « a » dans le fantasme, autrement dit : soit un soutient du désir, soit un leurre. Donc objet « cause du désir » qui fait division pour un sujet, noté dans le mathème $ <> a, ce sujet « en exclusion interne à son objet ». Dans les séminaires, « L’Angoisse » et « L’Identification » l’objet « a » est développé dans la Topologie que LACAN déroulera à partir de 1962. Mettant impérativement – et certains y ont laissé des plumes – la topologie au travail, de 1962 « l’ Identification » à 1972 « l’Etourdit » , avec tore, bande de Moebius, cross-cap et bouteille de Klein, ces objets topologiques vont permettre avec les opérations de coupure qu’ils concèdent, de dire, d’écrire quelque chose –du fantasme par exemple si nous nous en tenons au cross- cap-. 2
  • 3. L’important est que ces opérations ne peuvent s’imaginer en 3D, puisque les surfaces en question se traversent et s’interpénètrent. Finie la sphère, qui pour LACAN - et pour PONGE, nous le verrons -, ne dit rien, ne permet que des découpes simples, simplistes pourrions nous dire. La rencontre du désir de l’Autre est anxiogène, le névrosé en tente l’évitement. $<>D est une écriture de la Demande qui est une manière de rendre compte de la Pulsion prise dans cette Demande. Dans le séminaire « l’Angoisse – Livre X » de 1962-63 « a » représente le manque à être et il est donc référé à la cause du désir et non pas à sa visée. Ce n’est pas tant la nostalgie de cet objet qui engendre l’angoisse mais son imminence, quand le manque vient à manquer. L ‘Angoisse, c’est ce qui ne trompe pas, et si l’homme parle, c’est parce qu’il veut dire, être ce « Parlêtre ». Elle surgit lorsque le leurre du désir n’opère plus, lorsque le Sujet redécouvre sa division. Mais, par ailleurs, « le désir est un remède à l’angoisse ». « Je vous serine, dit LACAN, que l’amour, c’est donner ce qu’on à pas », le signifiant phallique. L‘angoisse se situe entre désir et jouissance, et tient les deux faces. Elle n’est pas sans objet « Pas-sans » trace d’un objet perdu qu’il est en tant qu’absent. « L’angoisse, je vous ai dit, qu’il faut la définir comme ce qui ne trompe pas, précisément en tant que tout objet lui échappe », son objet c’est le manque, « ce que suppose de vide une demande ». Le vide est occupé par l’objet perdu, celui partiel de la pulsion freudienne. Le fantasme est encadré, l’angoisse l’est également. Il s’agit de « prendre acte du manque comme tel » et de nous permettre, à nous « cet acte manqué de le réussir, c’est à dire, de ne pas manquer au manque ». Si je vous propose cet arrêt sur la question de l’Angoisse, c’est parce que nous interrogerons, chez PONGE, la manière dont elle pourrait s’articuler avec, et je le dis ainsi, ses serrages d’objets. Par la suite, LACAN dans le séminaire XVII, « l’Envers » formalisera les quatre discours, discours qui permettent de structurer les modalités du lien social. Dans le discours du Maître « a » est en place de production et devient le « plus de jouir », version lacanienne de la plus value marxiste. agent Autre vérité production S1 S2 $ a et $ est en place de vérité sous la barre de S1 signifiant maître. 3
  • 4. 1974-1975 est l’année de RSI. L’effet de ce séminaire est sidérant. « a » jusque là proposé comme un effet de coupure devient un point de coincement entre les trois registres Réel, Symbolique, Imaginaire, noués boroméennement, et le nœud est une écriture. « a » deviendra la lettre détachée du signifiant symbolique, autorisant ainsi le refoulement et chutant dans le réel. « a » c’est l’objet de la psychanalyse. Cette invention de l’objet « a » à eu un effet remarquable, celui de désolidariser l’objet de la question de l’être ; l’objet manque à être force à la structure langagière. C’est le presque rien qui brille par son absence et donne un certain éclat aux objets de la réalité. Dans la Revue Lacanienne n°15, Claire POURGET nous rappelle ce que dit la langue courante : « ça me regarde, ça me parle », donc la valeur de l’objet touche au corps et fait inscription dans un espace autre, prenant toute sa valeur dans ce qu’il creuse entre l’Un et l’Autre. Je la cite : « ton absence m’est intolérable, mais c’est elle qui est là, à me faire éprouver le désir de te retrouver ». C’est un acte de consentement, accompagnant la perte de l’objet et qui lui en conférera sa valeur. L’Objet est destiné à un autre, petit autre, grand Autre, du fait de la nécessité d’une adresse référée aux lois de la parole et du langage. Claire POURGET demande : entre Un et Autre, s’agit il d’une différence ou d’un écart ? Le nœud boroméen que nous évoquions, ce nœud, ce nouage, ne dit rien du serrage. L’analyse pourrait-elle se définir comme ce qui autorise un peu d’erre dans un nœud, un peu de jeu dirait l’artisan ? L’analyste veille à ce que cette place face trou et non pas coinçage. C’est un art, « art comme celui du gabier » dit-elle. Le gabier, ajouterais- je, en poste sur sa hune. C’est l’œuvre d’art et la création pongienne. Dans tous les cas l’analysant aura, lui, à se déprendre de la valeur de l’objet. Quant à ce que ça produit, cela sera à d’autres que sera confiée la délicate mission d’en décider les effets. B) FRANCIS PONGE Ce tour de la question de l’objet lacanien nous conduit à Francis PONGE (1899-1988) qui me serait sans doute plus étranger si Jean OURY ne nous avait convié à cette lecture avec, entre autres « le 4
  • 5. vouloir dire de Francis PONGE » d’Henry MALDINEY – qui nous a quitté en décembre 2013 – En dehors de quelques uns des ouvrage de PONGE, je me suis appuyé sur la remarquable thèse de Sophie COSTE ( 2008 – Lyon2 -) : « la parole mise au monde. Poétique de la parole dans l’œuvre de Francis PONGE » Elle scinde ainsi, historiquement, plusieurs période dans cette œuvre : 1) La parole empêchée de 1915 à 1919, dite « drame de l’expression » 2) La parole sous condition de 1930 à 1938, date de la rédaction de « Prendre le parti des choses » La parole de PONGE s’élève, mais dans un cadre strict avec des conditions nécessaires pour tenter de parer les risques. 3) « Parole confrontée à l’histoire » 1938-1944 C’est la parole pour l’homme 4) « Prendre son propre parti »1944-1950 « Je pris mon propre parti, celui de la parole naissante » écrit PONGE, la « tentative orale » 5) le Malherbe de 1951 : c’est l’Avènement de la Parole en Majesté. La parole devient la Parole. 6) Enfin, à partir de 1961, avec Figue, le Grand Recueil, l’achèvement de l’écriture du Savon et de la Table, c’est, dit Sophie COSTE « La Parole table ouverte » La démarche de Francis PONGE peut s’entendre comme un pari : celui d’écrire contre la parole avec l’aspiration tenace à la réalisation pleine et entière. Pour lui, rien ne préexiste à la parole. En ce sens, PONGE est très winicottien : c’est l’absence qui permet le jeu et donc l’existence. Ses contemplations d’objets du monde sont une manière de suturer, de clore l’abime vertigineuse. L’objet est cet objet tiers, le caillou par exemple,… et ce qui vaut pour le caillou vaut pour le reste. Cela fait garant de l’altérité avec un risque majeur pour le scripteur dans son écriture. Je le cite : « la naissance du texte ne pouvait avoir lieu que par la mort du scripteur » (Entretiens avec Philippe SOLLERS) Avec le « soleil placé en abime » PONGE avance son « objeu ». C’est un genre nouveau, une recherche pour arracher les mots de la signification figée des objets, et ce, par un retour quasi mythique au monde originaire de la mobilité. Ce traitement de l’abime, pour qu’elle ne soit plus menace de déperdition pour la parole, nécessite d’abord un enfouissement, et ce, pour lui créer un fonctionnement. 5
  • 6. Cet enfouissement n’est pas sans nous rappeler Michel TOURNIER et son « Vendredi ou les limbes du Pacifique » ou les cryptes de Maria TÖRÖK et ses introjections ferencziennes. MALDINEY, dans le « vouloir dire de Francis PONGE » édité en 1994 et réédité en février 2014, avait noté : « surgissez, bois des pins, surgissez dans la parole ! ». La poésie de Francis PONGE se cherche entre choses et mots. PPC (Parti Pris des Choses) avec la « Rage de l’expression » sont l’oser dire. « Comment dire la chose sans faire d’elle un objet mort ? » car entre la chose et le mot, il faut un jeu, celui qui suscite l’origine de la parole, de notre être au monde. PONGE écrit ce genre nouveau, « le Soleil » ; Je cite : « ou l’objet de notre émotion, placé d’abord en abime, l’épaisseur vertigineuse et l’absurdité du langage, considérées seules, sont manipulées de telle façon que, par la multiplication intérieure des rapports, les liaisons formées au niveau des racines et les significations bouclées à double tour, soit créé ce fonctionnement qui seul peut rendre compte de la profondeur substantielle de la variété et de la rigoureuse harmonie du monde ». Et encore : « il arrive que le caillou s’entrouvre à son tour et devienne un précipice, un abime… mais cela peut se refermer, c’est plus petit, on peut par les moyens de l’art refermer le grand trou métaphysique mais peut-être le façon de refermer le caillou vaut elle pour le reste « thérapeutiquement » » Peut on entendre dans sa signification bouclée à double tour un écho lacanien de la double coupure, huit intérieur, structure même du signifiant, coupure qui opère sur le cross-cap ? Cet Objeu « Soleil placé en abime » c’est un texte prismatique dont le fonctionnement logique se refuse à la contrainte cartésienne. Dans les entretiens avec Philippe SOLLERS, PONGE affirme le mouvement tournant, la « sphéricité grandiose et permanente ». C’est ce qui donne au monde, par l’objeu, une manière dynamique de penser la clôture. Ce qui est possible pour le monde l’est aussi pour le texte : PPC=CTM (Parti Pris des Choses= Compte Tenu des Mots) PONGE est cité par Lacan dans les Ecrits « fonction et champ de la parole et du langage » « PONGE écrit ça réson » et ce renvoi lacanien est d’abord un renvoi à la parole et non pas à la raison comme l’écrit Jo ATTIE, c’est un écho entre écriture et parole. Dans l’aspiration de la réalisation d’une parole pleine et entière, il faut écrire contre la parole, en recherche de ce qui pourrait la garantir. 6
  • 7. L’objet chez PONGE fonctionne comme un 3ème terme entre Je et Tu, garant qui conditionne l’altérité, instance tierce venant arrimer la Symbolique. Reprenant les avancées de Sophie COSTE, proposons que ce qui fait support de la parole serait l’objet pour PONGE et le grand Autre pour LACAN. Devenir l’auteur de sa parole, dans la confrontation à l’altérité est cette demande de mettre la parole au monde des objets dans un auto engendrement. Lorsque PONGE prendre la décision de publier ses brouillons en 1952 « la Rage de l’expression », il fait comme d’autres à son époque, tomber en désuétude le terme même de poésie, on ne parlera plus, ensuite, que d’un poème. Comme l’avance Jean ALLOUCH, ce qui fait traits communs entre PONGE et LACAN pourrait se repérer d’abord dans l’insistance de PONGE à rejeter la géométrie euclidienne au même titre que LACAN a poussé l’objet topologique et l’écriture du nœud. Cerner ainsi, au lieu de l’Autre l’incrustation de l’agalma, fait écho à la notion pongienne de Sapate, lieu de recel de l’objet précieux dont seul le contenant est en surface et en image externe offert au champ du scopique, du visible. PONGE dénonçait le langage commun : « la Raison-au-plus-haut-prix » à l’opposé de celle qui tient compte de la réson, la résonnance des signifiants pour un sujet. LACAN, de son côté, donne force à ce sens produit par la démarche analytique. Le sens singulier, c’est le symptôme, sens singulier que chacun met sur son hors-sens, sur sa jouissance. Ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est le symptôme. Si FREUD avait tenté de sauver le Père, LACAN pose que le Père est un symptôme. Je rappelle cela, car il est souvent fait référence à ce que la mort du père de Francis PONGE, en 1923, lui a imposé de mise au travail. « Comment une Figue de Parole et pourquoi ? » publiée en 1978, regroupe tous les états du texte de la « figue » dont le début d’écriture se situe en 1951 jusqu’ la version de 1960 parue dans la revue Tel Quel. Pourquoi…il faut en finir avec le texte ? Avec la « Figue », note Jean ALLOUCH, le rapport des mots et de la chose peut se nommer Objeu ; avec l’ombilic ce la figue, donc son irréductible, PONGE parlera d’Objoie. C’est la jouissance de la chose qui s’échoue et l’objet qui vient dire « ce n’est pas ça », écart entre jouissance attendue et celle obtenue. LACAN disait, en 1971 dans Lituraterre : « qu’est-ce que ça gite la jouissance ? Pour jouir, il faut un corps ! », « il n’y a de jouissance que 7
  • 8. de mourir », « la Jouissance, c’est ce qui ne sert à rien » sauf peut être à écrire… Le « ce n’est pas ça » du nouage borroméen des trois verbes de : « je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça »… ce n’est pas ça…que tu désires… ,que tu désires que je te demande.. etc... peut étourdir. Et donc, si le sujet s’en tient névrotiquement aux tours de la Demande sur le tore en ignorant l’erreur de comptage, c’est à dire le tour même que décrivent ses relances de Demande, ce tour manquera dans son compte névrotique. Il sera raté ce tour, celui du Désir qui cerne l’objet cause. C’est le « -1 inconscient dans sa forme constitutive, le désir inconscient qui constitue, pourrait on dire la métonymie de la demande ». Il es des moments ou le Sujet occupe la fonction objectale : en clinique, le mélancolique le dit, le manique l’est, le paranoïaque se défend de l’être comme le propose Marcel CZERMAK. Ecrire la lettre qui fait littoral entre jouissance et savoir avec le signifiant du côté du Symbolique et l’écriture du côté du Réel « c’est le ravinement du signifié » donc de l’Imaginaire. La Lettre est la précipitation du signifiant dans ce qui confère l’identité à soi de la lettre et la non identité à soi du signifiant. L’écart de jouissance, cette jouissance incomplète, c’est le trou dans le savoir inconscient dont « a » en est la frontière. Nous revenons sur la question du symptôme pour avancer comme tentation de rapprochement, que PONGE comme JOYCE proposent par leurs écritures la tentative d’une autre réparation, je veux dire celle de leurs nœuds boroméens. Pourrait-on énoncer, dès lors, que le poème pongien, le « Proème » comme il dit serait un objet, l’objet « a »? Le rêve n’est-il pas un poème surréaliste que le sujet renvoie à lui même ? LACAN en 1972, après « ou Pire » écrit l’ Etourdit , « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » comme insistait à le répéter jean OURY. Avec le « dire » du côté de l’énonciation, le « qu’on dise » comme une possibilité, et le « dit » du côté de cet acte, le dire ex-siste au dit. Cela se traduit en termes de coupures topologiques : le « dire » coupure fermée à un tour, le « dit » coupure à double boucle, celle de l’interprétation dans le sens psychanalytique. Celle ci est opérante sur le tore, la bande de Moebius, le cross-cap, aucunement sur la sphère, répétons le. Nous aurions à poursuivre un pas à pas chez PONGE en dépliant : « pour un Malherbe » de 1965, associé au nom du lycée qu’il fréquenta, 8
  • 9. le « Savon » de 1967 qui lui valu manifestations organisées contre lui et menaces de censure ; ou encore « la Table », communication utopiste. L’utopie de retrouver, la communication rompue entre le sujet et l’objet ; cette Table « ni dossier, ni fabrique mais de l’effacer et du même coup effacer tout ce que j’ai écris sur elle , l’effaçant enfin du même coup elle- même pour absolument en finir ». C) CONCLUSION Pourrait-on, pour conclure, proposer un point de vue comme perspective sur le trajet du mécanique du jeu au jeu de la lettre, et du signifiant et à l’objet qui vient toujours faire tourner asphériquement le discours analytique ? Comme un point de vue qui proposerait que les deux destins de la pulsion pourraient être ceux de la pratique analytique d’une part, et celle de l’écriture d’autre part ? Jean OURY viendrait probablement mettre un bémol à cette proposition en y ajoutant la pratique de l’artisan, la sienne, avec entre autres lumières d’éclairages celles de LACAN et PONGE, tout ceci venant s’ajouter à la précieuse précarité de ma propre boite à outils conceptuelle. Merci Patrice RIDOUX Psychiatre-Psychanalyste 9