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Exposé du 27/03/2016 sur la leçon 8 (8/02/2001) Les Paranoïas de C.
Melman
Melman part de la question suivante en s’adressant à la salle :
qu’est-ce qui distingue une société humaine d’une société animale ? Après
plusieurs propositions des auditeurs présents, B. Vandermersch propose la
réponse suivante : c’est la mort, le rapport à la mort qui spécifie l’être
humain.
En effet, pour Melman, ces ancêtres, qui sont célébrés dans les
différentes cérémonies, invitent et autorisent les êtres vivants à la
perpétuation de la lignée. Ces derniers sont inscrits ainsi dans une lignée
qui leur préexiste en vue d’en assurer la perpétuation au nom de l’ancêtre.
Au cours de la leçon, Melman s’intéresse à une loi qui est sur le point
d’être votée à l’assemblée nationale et qui concerne justement des
questions de filiation et de transmission. Cette loi, qui fut adoptée en 2002
sur proposition de la Ministre de la famille Mme S. Royal, vise à
abandonner toute référence à la lignée paternelle pour cause d’égalité des
sexes. Dans cette loi, le terme de « nom patronymique » est remplacé par
« nom de famille », la question de la différence des sexes étant tout
bonnement effacée. Cette loi est entrée en vigueur en janvier 2005. Les
parents ont alors le choix de transmettre à leur enfant soit le nom du père,
soit le nom de la mère ou bien les deux. En cas de conflit entre les
parents, l’arbitraire de l’ordre alphabétique permet de trancher.
Pour Melman, on assiste à une sorte de dérégulation de la filiation dû
à un élan libertaire et égalitaire. L’instance phallique se trouve
dépossédée de son statut d’instance pour s’inscrire dans une logique de
l’échange. Le père, par le biais du patronyme, n’est plus le garant de la
valeur phallique.
Or Melman précise et insiste sur le fait que l’instance phallique ne
s’échange pas. Elle se transmet à travers les générations tout en étant
1
propre à chacun. Ce qui s’échange, c’est l’objet a. L’instance phallique a
une valeur d’usage tandis que l’objet a a une valeur d’échange. On assiste
à une confusion entre le phallus et l’objet a.
Dans la théorie psychanalytique, déjà depuis Freud, le phallus est le
symbole de la libido pour les deux sexes. C’est le signifiant du désir pour
Lacan. Si le phallus est élevé au rang de signifiant, c’est qu’il s’inscrit dans
le registre du symbolique au niveau de l’inconscient, de l’Autre.
Au départ, le phallus lacanien est le produit de la métaphore
paternelle. La métaphore paternelle consiste en la substitution d’un
signifiant à l’énigme du désir de la mère pour l’enfant. Ce dernier
s’interroge sur un « que me veut-elle ? » ou encore « qui veut-elle que je
sois ? ». Face à ce questionnement existentiel pour lui, l’enfant va
s’imaginer pouvoir combler sa mère, d’être à la place du phallus maternel.
Il s’inscrit imaginairement là où il y a un manque chez la mère, manque
qu’il tente de combler pour s’assurer une assise existentielle. Cependant
progressivement, l’enfant va finir par se rendre compte que sa mère désire
ailleurs, au-delà de lui. Il n’est pas tout pour elle et il ne la satisfait pas
totalement. La mère parle au Nom-du-Père, un Nom-du-Père qui fait loi
pour elle et qui vectorise son désir. Le Nom-du-père est le signifiant qui se
substitue au désir de la mère. Cette métaphore paternelle a pour effet que
le phallus se trouve relégué dans l’inconscient à l’état de refoulé, ce qui ne
l’empêchera pas de se manifester en étant représenté dans les signifiés
(retour du refoulé).
L’entrée dans le symbolique, c’est la rencontre avec le phallus et par
conséquent avec le sexuel. Métaphoriquement, lorsqu’on ouvre un
dictionnaire pour chercher une signification, une définition renvoie à une
autre définition, qui renvoie elle-même à une autre définition et ainsi de
suite. C’est le même principe pour l’Autre, le trésor des signifiants, où un
signifiant renvoie toujours à un autre signifiant. Or pour éviter un
glissement permanent et permettre un capitonnage assurant un minimum
de sens pour parler et se comprendre les uns les autres, le phallus se
trouve à cette place d’exception qui fait qu’il est un signifiant sans pair. Là
2
où l’Autre se présente comme un espace ouvert, infini, le phallus va venir
faire limite pour border et compacifier l’Autre. Il permet le passage d’un
trou sans bord à un trou avec bord. Le signifiant phallique est le signifiant
qui fait référence pour que le langage tienne. Il permet les effets de sens
et donne un sens à la fois au discours et au désir. La signifiance prend
racine dans les premières expériences de l’enfant quant à la présence et
aux absences de la mère. Expériences de présence et d’absence que l’on
retrouve également dans les enjeux subjectifs autour de la différence
anatomique des sexes.
M. Czermak aime répéter lors de ses interventions que « le phallus,
ça sert à biaiser » pour montrer à la fois la fonction de tiers entre le sujet
et le langage et en même temps la dimension de la jouissance et de la
sexualité.
Dans la topologie lacanienne et notamment dans la construction du
cross-cap à partir du schéma R, le point phallique et le Nom-du-père vont
venir coïncider l’un envers l’autre pour fermer cette surface en une sphère
trouée. La fermeture du schéma R en cross-cap répond à la règle du
signifiant à savoir qu’un signifiant renvoie toujours à un autre signifiant.
Un signifiant n’est que pur différence soit a= -a d’où la fermeture du
schéma R en faisant coïncider les points opposés (mM ;iI et ϕP).
A partir du cross-cap, il est possible de réaliser une coupure
signifiante autour du point ф en tant qu’il est le signifiant référent du
langage. Cette coupure signifiante s’obtient en réalisant une découpe par
3
le biais du huit inverséᵃ (ou double boucle signifiante) qui prend en compte
la spécificité du signifiant à savoir qu’il n’est que pur différence.
L’équivocité signifiante notamment dans l’interprétation vient raisonner
autour de ce point phallique.
Une telle coupure réalisée sur le cross-cap va venir détacher un
disque, l’objet a. Le reste de la figure topologique est une bande de
Moebius qui représente la structure du sujet de l’inconscient. Le sujet
névrosé est pris dans une jouissance finie, délimitée et orientée par le
phallus mais il reste tout de même déterminé, causé par l’objet a. Le
phallus et l’objet sont indexés l’un à l’autre.
Le phallus borde l’Autre, le délimite mais c’est bien l’objet a dans le
fantasme qui va venir boucher, combler la défaillance de l’Autre soit le fait
qu’il manque un signifiant ultime qui viendrait dire « c’est ça ».
L’objet a pour Lacan, c’est l’objet cause du désir. Lacan introduit
l’objet a, sa seule invention selon lui, en lien avec l’organisation du
discours avec la double insertion suivante : du côté du corps avec les
jouissances orificielles partielles (les trous du corps) et du côté de la
nature langagière et signifiante de cet objet.
L’objet a est l’objet d’échange entre le sujet et l’Autre. Il est en
étroite relation avec la demande du sujet. L’utilisation que Lacan fait du
tore dans son séminaire sur l’identification peut nous éclairer à ce sujet. Le
tore est une figure topologique qui présente l’articulation de la demande
(D) et du désir (d).
4
La demande est ce qui lie la pulsion au langage. Ce qui est demandé
par le sujet, le sujet en cède une partie à l’Autre. Il s’en remet à l’Autre
pour lui demander ce qui lui manque. Il se confronte alors à une double
béance : béance liée intrinsèquement à sa demande (un manque à
satisfaire) et béance liée à la répétition de l’échec de la demande. Le désir
trouve sa cause dans la béance et la répétition de la demande. Lacan situe
l’objet a dans le trou central du tore. L’embrassement de deux tores
permet à Lacan de rendre compte de la dialectique entre le sujet et l’Autre
chez le névrosé.
L’objet a, positionné dans le trou central du tore, est en position
d’objet d’échange entre le sujet et l’Autre. La demande du sujet, c’est le
5
désir de l’Autre et inversement, la demande de l’Autre, c’est le désir du
sujet. L’objet a se situe au carrefour de deux manques, d’un manque du
sujet et d’un manque de l’Autre. C’est une partie du corps exclue de la
représentation, un objet immonde en tant qu’il ne peut pas être figuré.
Pour Lacan, l’objet a est dans le réel : un réel du corps et un réel pour le
sujet. En entrant dans le langage, le sujet disparait du fait de son
aliénation dans la chaîne signifiante.
A partir de RSI en 1974, Lacan présentera l’objet a non plus comme
l’effet d’une coupure mais comme un point de coincement des trois
registres de la subjectivité que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire.
Le nœud borroméen permet à Lacan de se décentrer de la question
du phallus dans un but de laïcisation de la psychanalyse et d’éviter une
lecture exclusivement phallique et œdipienne de la psychanalyse. Nous
pouvons d’ailleurs observer que le phallus en tant que point phallique
disparaît dans ce nouage au profit de la jouissance phallique, jouissance
phallique qui se retrouve sur un pied d’égalité par rapport aux autres
jouissances. Le phallus se retrouve à nouveau voilé, en position d’ex-
istence c’est-à-dire à la fois en lien mais à l’extérieur du sujet.
Revenons à la leçon 8 après ce détour théorique visant à indiquer les
points de différences mais aussi d’indexation entre le phallus et l’objet a.
6
Cette loi visant à libéraliser la transmission du nom-du-père en
passant du nom patronymique au nom de famille a pour effet une mise en
défaut de l’instance phallique. L’instance phallique qui se retrouve mise à
mal, récusée alors qu’elle visait justement à vectoriser le désir des sujets à
travers les générations, est libéralisée telle un objet de consommation
c’est-à-dire qu’elle peut fonctionner au bon vouloir de chacun.
Le symbolique est attaqué, dénaturé. D’un point de vue borroméen,
lorsqu’un nœud est coupé, le nouage se défait. Le sujet a à faire à un réel,
à l’objet dans le réel. Le sujet s’adonne et se supporte exclusivement de
l’objet de sa jouissance. La jouissance l’emporte sur le désir. On voit déjà
émerger à cette époque chez Melman la conceptualisation future de la
nouvelle économie psychique qu’il développera quelques années plus tard.
Melman développera l’idée de l’arrivée contemporaine d’hommes sans
gravité c’est-à-dire des « sujets » non lestés au phallus mais voués et
déterminés par leur propre jouissance. Ces modifications culturelles
soulèvent d’importantes questions sur les éventuelles modifications ou
transformations de l’inconscient et du statut du sujet contemporain et par
conséquent la place et le rôle de la psychanalyse actuellement ;
considérations majeures qui nécessiteraient un important travail de
réflexion et de conceptualisation.
Néanmoins, afin de résumer grossièrement mon propos, je
terminerais par cette assertion qui peut paraître simpliste mais à mon avis
utile : alors que l’objet a cause le désir, l’instance phallique – le phallus-
permet que ça cause.
Pierrick RIDIRA
7

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  • 1. Exposé du 27/03/2016 sur la leçon 8 (8/02/2001) Les Paranoïas de C. Melman Melman part de la question suivante en s’adressant à la salle : qu’est-ce qui distingue une société humaine d’une société animale ? Après plusieurs propositions des auditeurs présents, B. Vandermersch propose la réponse suivante : c’est la mort, le rapport à la mort qui spécifie l’être humain. En effet, pour Melman, ces ancêtres, qui sont célébrés dans les différentes cérémonies, invitent et autorisent les êtres vivants à la perpétuation de la lignée. Ces derniers sont inscrits ainsi dans une lignée qui leur préexiste en vue d’en assurer la perpétuation au nom de l’ancêtre. Au cours de la leçon, Melman s’intéresse à une loi qui est sur le point d’être votée à l’assemblée nationale et qui concerne justement des questions de filiation et de transmission. Cette loi, qui fut adoptée en 2002 sur proposition de la Ministre de la famille Mme S. Royal, vise à abandonner toute référence à la lignée paternelle pour cause d’égalité des sexes. Dans cette loi, le terme de « nom patronymique » est remplacé par « nom de famille », la question de la différence des sexes étant tout bonnement effacée. Cette loi est entrée en vigueur en janvier 2005. Les parents ont alors le choix de transmettre à leur enfant soit le nom du père, soit le nom de la mère ou bien les deux. En cas de conflit entre les parents, l’arbitraire de l’ordre alphabétique permet de trancher. Pour Melman, on assiste à une sorte de dérégulation de la filiation dû à un élan libertaire et égalitaire. L’instance phallique se trouve dépossédée de son statut d’instance pour s’inscrire dans une logique de l’échange. Le père, par le biais du patronyme, n’est plus le garant de la valeur phallique. Or Melman précise et insiste sur le fait que l’instance phallique ne s’échange pas. Elle se transmet à travers les générations tout en étant 1
  • 2. propre à chacun. Ce qui s’échange, c’est l’objet a. L’instance phallique a une valeur d’usage tandis que l’objet a a une valeur d’échange. On assiste à une confusion entre le phallus et l’objet a. Dans la théorie psychanalytique, déjà depuis Freud, le phallus est le symbole de la libido pour les deux sexes. C’est le signifiant du désir pour Lacan. Si le phallus est élevé au rang de signifiant, c’est qu’il s’inscrit dans le registre du symbolique au niveau de l’inconscient, de l’Autre. Au départ, le phallus lacanien est le produit de la métaphore paternelle. La métaphore paternelle consiste en la substitution d’un signifiant à l’énigme du désir de la mère pour l’enfant. Ce dernier s’interroge sur un « que me veut-elle ? » ou encore « qui veut-elle que je sois ? ». Face à ce questionnement existentiel pour lui, l’enfant va s’imaginer pouvoir combler sa mère, d’être à la place du phallus maternel. Il s’inscrit imaginairement là où il y a un manque chez la mère, manque qu’il tente de combler pour s’assurer une assise existentielle. Cependant progressivement, l’enfant va finir par se rendre compte que sa mère désire ailleurs, au-delà de lui. Il n’est pas tout pour elle et il ne la satisfait pas totalement. La mère parle au Nom-du-Père, un Nom-du-Père qui fait loi pour elle et qui vectorise son désir. Le Nom-du-père est le signifiant qui se substitue au désir de la mère. Cette métaphore paternelle a pour effet que le phallus se trouve relégué dans l’inconscient à l’état de refoulé, ce qui ne l’empêchera pas de se manifester en étant représenté dans les signifiés (retour du refoulé). L’entrée dans le symbolique, c’est la rencontre avec le phallus et par conséquent avec le sexuel. Métaphoriquement, lorsqu’on ouvre un dictionnaire pour chercher une signification, une définition renvoie à une autre définition, qui renvoie elle-même à une autre définition et ainsi de suite. C’est le même principe pour l’Autre, le trésor des signifiants, où un signifiant renvoie toujours à un autre signifiant. Or pour éviter un glissement permanent et permettre un capitonnage assurant un minimum de sens pour parler et se comprendre les uns les autres, le phallus se trouve à cette place d’exception qui fait qu’il est un signifiant sans pair. Là 2
  • 3. où l’Autre se présente comme un espace ouvert, infini, le phallus va venir faire limite pour border et compacifier l’Autre. Il permet le passage d’un trou sans bord à un trou avec bord. Le signifiant phallique est le signifiant qui fait référence pour que le langage tienne. Il permet les effets de sens et donne un sens à la fois au discours et au désir. La signifiance prend racine dans les premières expériences de l’enfant quant à la présence et aux absences de la mère. Expériences de présence et d’absence que l’on retrouve également dans les enjeux subjectifs autour de la différence anatomique des sexes. M. Czermak aime répéter lors de ses interventions que « le phallus, ça sert à biaiser » pour montrer à la fois la fonction de tiers entre le sujet et le langage et en même temps la dimension de la jouissance et de la sexualité. Dans la topologie lacanienne et notamment dans la construction du cross-cap à partir du schéma R, le point phallique et le Nom-du-père vont venir coïncider l’un envers l’autre pour fermer cette surface en une sphère trouée. La fermeture du schéma R en cross-cap répond à la règle du signifiant à savoir qu’un signifiant renvoie toujours à un autre signifiant. Un signifiant n’est que pur différence soit a= -a d’où la fermeture du schéma R en faisant coïncider les points opposés (mM ;iI et ϕP). A partir du cross-cap, il est possible de réaliser une coupure signifiante autour du point ф en tant qu’il est le signifiant référent du langage. Cette coupure signifiante s’obtient en réalisant une découpe par 3
  • 4. le biais du huit inverséᵃ (ou double boucle signifiante) qui prend en compte la spécificité du signifiant à savoir qu’il n’est que pur différence. L’équivocité signifiante notamment dans l’interprétation vient raisonner autour de ce point phallique. Une telle coupure réalisée sur le cross-cap va venir détacher un disque, l’objet a. Le reste de la figure topologique est une bande de Moebius qui représente la structure du sujet de l’inconscient. Le sujet névrosé est pris dans une jouissance finie, délimitée et orientée par le phallus mais il reste tout de même déterminé, causé par l’objet a. Le phallus et l’objet sont indexés l’un à l’autre. Le phallus borde l’Autre, le délimite mais c’est bien l’objet a dans le fantasme qui va venir boucher, combler la défaillance de l’Autre soit le fait qu’il manque un signifiant ultime qui viendrait dire « c’est ça ». L’objet a pour Lacan, c’est l’objet cause du désir. Lacan introduit l’objet a, sa seule invention selon lui, en lien avec l’organisation du discours avec la double insertion suivante : du côté du corps avec les jouissances orificielles partielles (les trous du corps) et du côté de la nature langagière et signifiante de cet objet. L’objet a est l’objet d’échange entre le sujet et l’Autre. Il est en étroite relation avec la demande du sujet. L’utilisation que Lacan fait du tore dans son séminaire sur l’identification peut nous éclairer à ce sujet. Le tore est une figure topologique qui présente l’articulation de la demande (D) et du désir (d). 4
  • 5. La demande est ce qui lie la pulsion au langage. Ce qui est demandé par le sujet, le sujet en cède une partie à l’Autre. Il s’en remet à l’Autre pour lui demander ce qui lui manque. Il se confronte alors à une double béance : béance liée intrinsèquement à sa demande (un manque à satisfaire) et béance liée à la répétition de l’échec de la demande. Le désir trouve sa cause dans la béance et la répétition de la demande. Lacan situe l’objet a dans le trou central du tore. L’embrassement de deux tores permet à Lacan de rendre compte de la dialectique entre le sujet et l’Autre chez le névrosé. L’objet a, positionné dans le trou central du tore, est en position d’objet d’échange entre le sujet et l’Autre. La demande du sujet, c’est le 5
  • 6. désir de l’Autre et inversement, la demande de l’Autre, c’est le désir du sujet. L’objet a se situe au carrefour de deux manques, d’un manque du sujet et d’un manque de l’Autre. C’est une partie du corps exclue de la représentation, un objet immonde en tant qu’il ne peut pas être figuré. Pour Lacan, l’objet a est dans le réel : un réel du corps et un réel pour le sujet. En entrant dans le langage, le sujet disparait du fait de son aliénation dans la chaîne signifiante. A partir de RSI en 1974, Lacan présentera l’objet a non plus comme l’effet d’une coupure mais comme un point de coincement des trois registres de la subjectivité que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire. Le nœud borroméen permet à Lacan de se décentrer de la question du phallus dans un but de laïcisation de la psychanalyse et d’éviter une lecture exclusivement phallique et œdipienne de la psychanalyse. Nous pouvons d’ailleurs observer que le phallus en tant que point phallique disparaît dans ce nouage au profit de la jouissance phallique, jouissance phallique qui se retrouve sur un pied d’égalité par rapport aux autres jouissances. Le phallus se retrouve à nouveau voilé, en position d’ex- istence c’est-à-dire à la fois en lien mais à l’extérieur du sujet. Revenons à la leçon 8 après ce détour théorique visant à indiquer les points de différences mais aussi d’indexation entre le phallus et l’objet a. 6
  • 7. Cette loi visant à libéraliser la transmission du nom-du-père en passant du nom patronymique au nom de famille a pour effet une mise en défaut de l’instance phallique. L’instance phallique qui se retrouve mise à mal, récusée alors qu’elle visait justement à vectoriser le désir des sujets à travers les générations, est libéralisée telle un objet de consommation c’est-à-dire qu’elle peut fonctionner au bon vouloir de chacun. Le symbolique est attaqué, dénaturé. D’un point de vue borroméen, lorsqu’un nœud est coupé, le nouage se défait. Le sujet a à faire à un réel, à l’objet dans le réel. Le sujet s’adonne et se supporte exclusivement de l’objet de sa jouissance. La jouissance l’emporte sur le désir. On voit déjà émerger à cette époque chez Melman la conceptualisation future de la nouvelle économie psychique qu’il développera quelques années plus tard. Melman développera l’idée de l’arrivée contemporaine d’hommes sans gravité c’est-à-dire des « sujets » non lestés au phallus mais voués et déterminés par leur propre jouissance. Ces modifications culturelles soulèvent d’importantes questions sur les éventuelles modifications ou transformations de l’inconscient et du statut du sujet contemporain et par conséquent la place et le rôle de la psychanalyse actuellement ; considérations majeures qui nécessiteraient un important travail de réflexion et de conceptualisation. Néanmoins, afin de résumer grossièrement mon propos, je terminerais par cette assertion qui peut paraître simpliste mais à mon avis utile : alors que l’objet a cause le désir, l’instance phallique – le phallus- permet que ça cause. Pierrick RIDIRA 7