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Texte diffusé dans la lettre d’ALEF mars 2017 pour introduire la venue de Stéphane Thibierge le 20 mai 2017 à Orléans.
A vos ficelles !
Du fil des nœuds au fil du temps : le fil de l’analyse.
Dès le début de son enseignement, Lacan propose de distinguer les registres que sont le réel,
le symbolique et l’imaginaire. Il spécifiera des années plus tard, en 1972, un nouage spécifique de ces
trois registres à travers le nœud borroméen.
Le nœud borroméen est une mise à plat composé de trois ronds de ficelle qui sont liées, nouées
d’une telle façon que si l’on touche à l’une des ficelles, les autres en seront directement impactées.
De cette façon, nous pouvons envisager et mesurer la responsabilité de l’analyste dans la
direction d’une cure. Dès lors qu’il intervient dans l’un des registres, c’est l’ensemble du nœud qui peut
être soumis à ces effets.
Pour Lacan, le sujet de l’inconscient est tissé, lié par le nouage de ces trois registres. Le
symbolique vient faire trou, trou qui se définit par le terme de réel. L’imaginaire recouvre le tout et
donne ainsi une consistance, un corps à cet ensemble.
Pour Marc Darmon1
, le nouage ou non borroméen s’opère très tôt dans l’enfance. Tout travail
analytique renvoie le sujet à sa névrose infantile, une névrose marquée de signifiants maîtres que le
sujet va tenter de retrouver. La névrose infantile s’inscrit donc dans une chaîne liée à la structure même
de la chaîne signifiante. Nous retrouvons trace de cette idée chez Freud lorsqu’il affirme que la névrose
infantile de Ernst Lanzer, l’homme aux rats, est déjà constituée à ses six ans.
Nous avons à faire à une topologie des surfaces dans l’analyse mais également à une topologie
du temps. Le signifiant fait durer l’objet au-delà de l’absence et l’inscrit par de fait dans une
temporalité. Pour Lacan, « la topologie, c’est le temps » ; un temps présent nécessaire dans
l’élaboration de la cure. Un temps ponctué d’aller-retours dans le passé qui ouvre sur la question du
désir. Le sujet est en quête de ce qui l’a précédé, ce qui était là avant lui. Il désire retrouver son histoire
singulière c’est-à-dire le moment où ça s’est noué (joué) pour lui subjectivement. Le nouage traverse
le temps et s’élabore au fil des générations.
Les cliniciens de l’enfance ont à écouter et accompagner les élaborations des patients au fil
des séances pour entendre le nouage à chaque fois singulier qui se met en place. Mais alors, comment
l’analyste peut-il se repérer et isoler ces registres dans sa clinique ? Comment peut-il mesurer les
enjeux subjectifs d’un point de vue borroméen ?
Lacan a formalisé des outils pour tenter de rendre compte de l’agencement et de l‘intrication
de ces registres notamment avec le stade du miroir et le schéma optique qui sont, pour ma part, des
outils utiles et pratiques.
Là où la métaphore paternelle opérait une restriction de jouissance chez la mère comme chez
l’enfant, le nœud borroméen, mis à plat, présente un point de coincement entre les nœuds du réel, du
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Darmon, M., La revue lacanienne, numéro 16.
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symbolique et de l’imaginaire. Ce point de coincement borde un réel, un réel déterminant pour le sujet.
C’est à cette place, dans ce réel, que Lacan situe l’objet cause du désir, à savoir l’objet a. Le nœud
borroméen permet de penser les questions de structures que ce soit dans la névrose ou dans la
psychose mais toujours en lien avec cet objet. La névrose se spécifie pour un nouage « classique » des
registres. L’image enveloppe, habille l’objet et le symbolise. L’objet devient absent, manquant du fait
de cette symbolisation. Dans la psychose, l’objet est dévoilé et identifié par le sujet. La psychose se
caractérise généralement par un dénouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Le sujet
psychotique est saturé de jouissance du fait que l’objet soit trop présent et encombrant jusqu’à se
manifester dans le réel.
Il me semble indispensable de pouvoir s’intéresser cliniquement aux fils désintriqués dans la
psychose pour pouvoir commencer à tresser et à penser le nouage névrotique. En effet, la clinique des
psychoses s’avère éminemment instructive puisque c’est une mise à ciel ouvert de la structure et des
éléments qui la composent. La clinique des psychoses a le mérite de distinguer à l’état isolé les
éléments de la structure.
Dans son ouvrage Le nom, l’image, l’objet2
, Stéphane Thibierge analyse les éléments de
reconnaissance à partir des pathologies de l’image du corps.
Le syndrome de Frégoli, le syndrome d’illusion des sosies, le syndrome d’intermétamorphose,
les syndromes de fausse reconnaissance ou encore l’identification délirante sont des pathologies
psychiatriques de l’image du corps dont l’analyse dévoile clairement les coordonnées symboliques et
la fonction de l’objet dans l’image spéculaire, formalisée par Lacan par l’écriture suivante i(a).
La clinique des fausses reconnaissances dans la psychose présente une décomposition
caractéristique des coordonnées de la reconnaissance des personnes en leurs éléments, à savoir : le
nom (symbolique), l’image (imaginaire) et l’objet (réel, un x autonome et xénopathique)
L’analyse consiste à défaire les nœuds du symptôme. L’artisan, qu’est l’analyste, doit pouvoir
isoler le matériel qu’il manie. Il avance de fil en fil pour coudre et découdre le discours de son patient.
Parfois, il tire une ficelle. A d’autre moment, il coupe. Toujours est-il que dans sa couture, il doit opérer
des coupures, n’est-ce pas là l’une de ses responsabilités ?
Pierrick RIDIRA
2
Thibierge, S., Le nom l’image l’objet (2011), Paris, PUF.