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29/05/15
PARIS GLOBAL FORUM
OBSERVATOIRE DES CONFLITS
L’état des conflits dans la région des Grands
Lacs
I) La question sécuritaire en République
Démocratique du Congo
II) Quel potentiel insurrectionnel pour la LRA
en 2015 ?
III) Le rôle des minerais dans le financement des
groupes armés congolais
Par Carolina Fantini et Thibault Ferrier
I) La question sécuritaire en République Démocratique du Congo
A) 1. « En RDC, l'histoire est souvent un champ de bataille politique. »
L’est de la RDC ne s’est pas transformé en un théâtre fragmenté de champs de batailles du jour
au lendemain. Beaucoup de facteurs qui nourrissent la militarisation de ce conflit au Kivu
peuvent être retracés à des décennies auparavant. Cette précaution s’applique à fragilité des
institutions gouvernementales et militaires, dont les disfonctionnements remontent
similairement au passé du pays. Le rappel de cette histoire est la première étape dans l’analyse
des facteurs de cette insurrection armée.
Actuellement, le conflit dans l’est du Congo met en péril la stabilité de toute la région des
Grands Lacs, en raison de la multiplicité d’acteurs actifs au Nord-Kivu et Sud-Kivu et sa
complexité politique, ethnique et militaire. Des milliards de dollars ont été consacrés à la
résolution du conflit afin de mettre fin aux souffrances prolongées qu’endurent les habitants de
cette région depuis deux décennies, toutefois les efforts nationaux et internationaux doivent
prendre en compte la multiplicité de ce conflit pour le résoudre d'une façon durable. Surtout, il
faut garder en tête que la solution sur cette situation ne proviendra que des Congolais eux-
mêmes, de façon à ce que le rôle de la communauté internationale soit de créer un espace pour
que les Congolais résolvent et se chargent eux-mêmes des défis auxquels ils font face, tout en
renforçant l’indépendance de ce pays face à ses voisins.
Afin de mieux saisir la problématique de l’instabilité dans l’est du Congo, il faut bien
comprendre l’origine historique de ce conflit qui a surgit en conséquence du génocide au
Rwanda, de la première guerre civile du Congo (1996–1997) et la deuxième guerre civile dans
le pays (1998–2003). L’histoire montre que, à cause de la porosité des frontières nationales
dans cette région, l’instabilité dans un pays affecte directement la sécurité de ses voisins. En
revanche, l’histoire de ces conflits est parfois complexe, notamment en ce qui concerne le
nombre de morts liés aux conflits et la formation des groupes rebelles (quant à leurs objectifs
politiques et leurs origines géographique entre Rwanda et Uganda). Pour cette raison, notre
objectif est de trouver le plus grand nombre de sources possibles, et de mettre en question ces
points de vue.
Il faut que le lecteur garde en tête que chaque point de vue ici représenté est une expression de
la complexité de ce conflit en lui-même, qui résulte des contentieux pour des demandes
divergentes, de l’absence de dialogue et d’initiatives politiques.
1.1 Les conséquences du génocide du Rwanda: La première etdeuxième guerres du Congo
Alors que la communauté internationale n’est pas d’accord sur le montant exact des
réfugiés Rwandais qui ont fui vers le territoire de l’RDC (ancien Zaïre) pendant le génocide en
1994, les conséquences de cet exode pour la stabilité de la région sont incontestables. Le
génocide au Rwanda a déclenché l'exode d'environ 2 millions de réfugiés (principalement
Hutus) entre 1994 jusqu’à la prise du pouvoir par le Front Patriotique Rwandais (FPR). A cette
occasion, les membres des milices qui prirent part au génocide des Tutsis au Rwanda ont fui le
pays parmi la population civile, motivé en premier lieu par le désir de se soustraire à de
nouveaux combats, et d’autre part par la peur des représailles du FPR. D’après l’image suivante,
la principale destination du flux de réfugiés était le Zaïre. En conséquence, les grands camps de
Goma (dans les provinces du Kivu), ont devenu rapidement une base important des forces
armées rwandaises (FAR) et de la milice militaire Hutue Interahamwe (souvent dénommées
collectivement les génocidaires).
Populations réfugiées rwandaise et burundaise, entre 1993 et 1999
Source : UNHCR
Cette situation a aggravé l’instabilité dans la région pour deux raisons principales: les ex-
combattants Interahamwe (hutus) ont utilisé leurs bases dans l’est du Zaïre (parfois dans des
camps de réfugiés du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) pour réorganiser leurs forces
et lancer des attaques transfrontalières, en visant à déstabiliser le nouveau gouvernement Tutsi
du Rwanda. Dans ce scénario, les réfugiés sont devenus les otages politiques de ces groupes,
qui constituaient une menace pour le nouveau gouvernement de Kigali et pour la population
Tutsi dans ces camps de réfugiés, peu protégés contre un nouveau massacre. De plus, les
combattants hutus de l’est du Zaïre ont aussi menacé et effectivement attaqué la population
congolaise des Banyamulengue (Tutsis du Sud-Kivu1) dans la région, sans aucune réaction
proactive du président Mobutu.2
En 1996, le gouverneur du Kivu du Sud a déclaré que les Banyamulenge devraient quitter le
pays avant 6 jours pour le Rwanda. En réponse, les Banyamulenge se sont rebellés et ont joint
l'Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) en opposition au
gouvernement de Mobutu et avec le soutien important des chefs d’état du Rwanda (Paul
Kagame) et de l'Ouganda (Yoweri Museveni) ainsi que d’autres leaders régionaux. À ce
moment, la force rebelle du l'Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre
(AFDL) était constituée sous supervision et contrôle rwandais et avec le chef rebelle congolais
vétéran Laurent-Désiré Kabila comme son porte-parole.
Entre-temps, la Front Patriotique Rwandaise (FPR) s’est allié au AFDL afin de lancer plusieurs
offensives vers le Zaïre afin d’éliminer des centaines des réfugiés dans l’est du pays, avec le
support du président Museveni en Uganda, notamment dans les camps de réfugiés à Birava.
Sous le prétexte de combattre les survivants Interahamwe et du FAR, le FPR a aussi profité de
1 STEARNS J., «Banyamulenge Insurgencyandexclusioninthe mountains of South Kivu», Rift ValleyInstitute, 2013, pp.6-61,
p.11
2 OMEJE K., 2013, « Theorizing the Conflicts inEastern Congo» contribution de «Identités, ressourcesnaturelles et conflits
en DRC» edit L’Harmattan, pp.27-44, p.31
la situation pour piller les ressources minérales à est, abondantes dans cette région, afin de
rembourser ses crédits contractés pendant ses années de rébellion tutsi.
Les premiers mois du conflit étaient un succès pour les forces du AFDL et FPR, tandis que
Kabila s’approchait de son objectif de renverser le gouvernement de Mobutu. Sept mois plus
tard, devant l'inaction des alliés traditionnels de Mobutu comme la France et les États Unis (en
conséquence de la fin de la guerre froide), la marche de Kabila de l’est du pays vers Kinshasa
était arrivé à sa fin dans la capitale Kinshasa en mai de 1997, ou Kabila a pris officiellement le
pouvoir et a rebaptisé le Zaïre ‘République démocratique du Congo’. Cette période de conflit
et d’instabilité qui a culminé avec la prise du pouvoir par Kabila est nommée la première guerre
du Congo.
La deuxième et plus violente guerre du Congo (également connu comme la première guerre
mondiale de l’Afrique) a duré plus longtemps (1998-2003), et a aussi impliqué autres pays de
la région. Aussitôt le pouvoir pris, Kabila a déçu les attentes de Kagame au Rwanda, puisque
que le nouveau président congolais ne semblait pas être très déterminé à combattre les Hutus
au Congo et à protéger ses frontières avec le Rwanda pour une sécurité commune. Par ailleurs,
Kabila a renforcé la protection des territoires et frontières orientales et par conséquence
empêché l’exploitation illégal des minéraux (notablement diamants, or et coltan) dans l’est de
son pays par ses voisins Rwanda et Uganda. En conséquence, le Rwanda a envahi l‘est du
Congo à nouveau en 1998 avec l'intention de créer une zone tampon s’étendant sur des centaines
de kilomètres de sa frontière avec la RDC, accompagné par l'installation d'un nouveau régime
à Kinshasa, plus acquis à la cause rwandaise.
Les alliés de l’Uganda et du Rwanda étaient notamment constitués par les forces rebelles des
Banyamulengue (Tutsis) à l’est du pays. Toutefois, les forces opposées à Kabila n’ont pas
abouti immédiatement, et le recrutement par l’armée congolaise de forces hutus et d’anciens
génocidaires, ont rendu Kagame furieux. La rivalité croissante entre les deux leaders a attiré
d’autres pays de la région et par conséquence prolongée de guerre. Angola, Namibie, Soudan,
Libye, Tchad, et Zimbabwe ont donné support militaire au Congo tandis que l'Ouganda et le
Burundi ont s’alignés au côté de Rwanda. La deuxième guerre du Congo fut finie en 2003 et
été marqué par un grand nombre des victimes (qui reste encore inexact, mais estimé à plus de
quatre millions) et par l’afflux de nouveaux groupes armés dans le conflit.
Une mutinerie de la faction Tutsi dans la force ADFL (qu’a soutenu Kabila) a formé un nouveau
mouvement, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par Rwanda et
l’Uganda et a conquis rapidement un vaste territoire à l’est du pays. Face à cette instabilité
croissance, Kinshasa a financé et donné un soutien militaire conséquent aux groupes armés dans
les zones tenues par le RCD, nommant certains leaders Maï-Maï, comme officiers supérieurs
de l'armée nationale. Kabila a aussi a également forgé des alliances avec des dissidents des FAR
et des Interahamwe.
En ce qui concerne la nature du conflit et des ces groupes, la transition la plus radicale fut
perceptible dans la transition des milices « traditionnelles » (rurales et localement enracinées)
qui sont ensuite devenues impliquées dans les complexes réseaux dirigés par des entreprises et
les élites politiques. Ces activités ont été appuyées par le développement d'une économie de
guerre, qui a prospéré par l’intermédiaire de taxation illégale, de contrebande et de racket.
La deuxième guerre a laissé de grandes cicatrices dans la politique et la société congolaise, en
raison de l’arrivée sur la scène de figures militaires fortes, qui sont devenu profondément
impliquées dans l'administration locale, et par conséquent ont érodé les fragiles structures de
l'autorité et de la cohésion sociale établies. Ces chefs militaires ont développé leurs propres
moyens autonomes de revenus financiers (basées sur l’exploitation locale) et de soutiens à
travers des liens avec Kinshasa, des groupes armés étrangers, et des réseaux commerciaux
régionaux. 3
En Décembre 2002, les principaux belligérants de la deuxième guerre du Congo ont signé
l'Accord global Inclusif, en visant le partage du pouvoir politique et militaire. Cet accord a été
suivi d'une période de stabilité, marqué par les premières élections en 40 ans, une nouvelle
constitution consacré aux droits des citoyens et garantissant une cohésion sociale. Néanmoins,
en conséquence du renforcement des groupes rebelles dans l’est du pays et du pouvoir politique
et militaire de plusieurs seigneurs de guerre, les résultats des élections ont été rejeté par les
milices Hutues des Interahamwe, qui ont donc formé un nouveau mouvement des Forces
démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). En réalité, les élections n’ont pas reflété le
pouvoir de ces groups, puisque la plupart des milices n’ont pas conquis de sièges au parlement
et ont donc refusé l’alternative démocratique.
De même façon, groupes militaires tutsis ont été admis dans l’armée nationale de Kabila. Visant
à protéger les tutsis du FDLR et refusant de rejoindre l’armée congolaise, le seigneur de guerre
Tutsi, Laurent Nkunda (ex-RCD) a formé le nouveau groupe le Congrès national pour la
défense du peuple (CNDP), avec le soutien de Goma et Kigali, qui voulaient protéger ses
propres intérêts économiques et politiques dans les Kivus.
L’échec du processus démocratique et du renforcement institutionnel a donné lieu à l'apparition
de nouvelles forces rebelles (qui seront explorés ensuite) et à l’instabilité dans l’est de la RDC.
En 2009, un accord de paix a été signé entre le gouvernement de la RDC et Rwanda, qui
permettait aux forces rwandaises de rentrer sur le territoire congolais pour combattre les FDLR
et ainsi neutraliser le général Nkunda. Les milices liées à Nkunda ont été incorporées par
l’armée congolaise, qui elle seule n’était pas capable de neutraliser les nombreux défis de cette
intégration et par conséquent est devenu encore plus instable. Ainsi, le M23 a été formé par les
mutins de l’armée congolaise.
Enfin, l’instabilité découle ensuite de l’incapacité du gouvernement à gérer les crises dans l’est
du pays et par conséquence la transmission du pouvoir national vers les forces locales. Cette
instabilité se base sur les seigneurs de guerres, qui ont leurs propres alliances parfois
transfrontalières, et qui menacent la souveraineté de l’Etat congolais. La difficulté de mettre en
place des institutions capables d’assurer les processus démocratiques est également devenu une
opportunité de transgressions politiques et militaires commis par les voisins de la RDC
(notamment le Rwanda).
3 STEARNS J., VERWEIJEN J., BAAZ M. E., 2013, “The national armyandarmedgroups inthe eastern Congo, Untanglingthe
Gordian
knot of insecurity“,Rift ValleyInstitute
, PP. 6-87
B) 1. Etude de la situation sécuritaire en RDC
1.1. La situation actuelle sur le terrain
L’émergence des groupes rebelles a évolué malgré la signature de l’Accord Global Inclusif et
l’établissement d’une nouvelle constitution en 2002, ces groupes sont devenus intrinsèquement
liés à l’exploitation des ressources naturelles dans l’est du pays, et parfois soutenus par des
forces militaires des pays voisins.
Il y a aujourd’hui plus de 30 groupes actifs sur le terrain dans l’est de la RDC comme nous
montre l’image 1 et selon des spécialistes c’est assez net que leur disposition dans cette zone
change régulièrement, en fonction leurs interactions mutuelles. Nous allons alors explorer les
événements les plus importants pour la compréhension de la situation actuelle sur le terrain.
 La chute du M23 par l’action de la MONUSCO
Le M23 (mouvement du 23 mars) est majoritairement composé par des ex-rebelles du Congrès
national pour la défense du peuple (CNDP) qui ont été réintégrés dans l'armée congolaise
(FARDC) à la suite d'un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement congolais.
Toutefois, face à l’échec du processus d’intégration et l’incapacité à gérer les anciens
combattants au sein des forces nationales, ils se sont mutinés en 2012 et ont formé le M23.
Selon un groupe d’experts de l’ONU le M23 a eu le soutien de Rwanda au niveau du
recrutement, du renforcement des troupes, des livraisons de munitions et d'appui-feu.
En 2013 le mandat de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en
République démocratique du Congo (MONUSCO), qui est sur le terrain depuis 2010, a changé
pour faire face à l’instabilité croissante dans l’est de la RDC. Le Conseil de Sécurité de l’ONU
a autorisé pas sa résolution 2098 la MONUSCO à créer une « brigade d’intervention » (BI)
spécialisée afin de neutraliser les groupes armés sur le terrain et alors réduire la menace qu’ils
représentaient pour l’autorité de l’État et la sécurité des civils dans l’est du pays.
L’armée congolaise et la BI ont lutté contre le M23 tout au long de l'année de 2013, et la fin du
groupe est venue rapidement après l'échec des négociations en octobre à Kampala. Pendant la
trêve des négociations, les deux parties ont renforcé leurs positions et se sont préparées pour la
bataille qui suivrait. Finalement en novembre la FIB a bombardé Shanzu en utilisant des
hélicoptères d'attaque alors que les forces congolaises maintenaient la pression en utilisant
l'artillerie et des chars dans les villes de Shanzu et Runyoni.
À la suite de cette bataille, certains combattants du M23 se sont rendus en RDC, et certains se
sont retirés au Rwanda et la force du "général" Sultani Makenga a fui vers l'Ouganda.
Néanmoins, bien que le M23 a déclaré la fin de sa rébellion le 5 novembre 2013, les experts de
l’ONU affirment qui certains rebelles restent actifs et recrutent de nouveaux combattants dans
le territoire du Rwanda.
 Les forces d’insurrection qui restent actives sur le terrain et leur démobilisation
La victoire des forces armées congolaises (soutenus par la Brigade d'Intervention de la
MONUSCO) contre le M23, a envoyé un message fort aux autres groupes armés dans l'est de
la RDC. Tandis que certains sont devenus plus agressifs, il y a en a d'autres qui ont développé
des postures défensives en raison des craintes d'attaque par les FARDC et la BI. Néanmoins il
y a encore plusieurs groupes armés sur le terrain, parmi lesquels les plus notables selon l’ONU
sont le Défense Nduma du Congo (DNC),), le Kata Katanga, les Forces de résistance
patriotiques en Ituri (FRPI), les Maï Maï, les Forces démocratiques alliées (FDA) et les Forces
démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Pour cette raison, la situation dans l’est de la
RDC reste encore fragile et instable. En revanche, depuis la défaite du M23 certains groupes
rebelles ont exprimé leur volonté de se rendre, à l'exception notable des FDA.
Les groupes armés dans l’Est de la RDC en Octobre 2014
Source : Christoph Vogel’s blog, en ligne: http://christophvogel.net/mapping/
Le 20 novembre 2013, le général commandant des FARDC Didier Etumba a lancé un appel à
tous les groupes armés de se rendre et ce jusqu’au 30 novembre : environ 2 230 combattants de
la Défense Nduma du Congo (DNC), l'APCLS (Alliance Pour un Congo libre et souverain),
PARECO, Maï Maï Hilaire, Raia Mutomboki, et d'autres petits groupes Maï Maï se sont rendus
aux FARDC dans le Nord-Kivu (à Beni, Bweramana et Kanyaruchinya) et le Sud-Kivu
(Nyamunyunyi). Afin d’accueillir ces combattants démobilisés dans les forces armées
congolaises, le gouvernement de la RDC a mis en place un nouveau programme de
désarmement, démobilisation et de réinsertion (DDR), appelé DDR III. Le moment avait suscité
de l’espoir sur la possibilité de mettre fin à un conflit qui a duré très longtemps et fait des
nombreuses victimes ; pourtant, l’historique des programmes de DDR en RDC met en question
l’efficacité du programme de DDR III et les résultats concrets de la démobilisation de ces
groupes armés pour la stabilisation du pays.
Autrement dit, les FARDC font face à plusieurs défis concernant l’existence de forces rebelles
en son sein, et l’incorporation de nouveaux combattants rebelles peut mettre en péril la sécurité
du pays. Cela étant dit, nous allons comprendre dans la dernière partie quels sont les enjeux
concernant à la réforme sécuritaire des forces armées congolaises et comment les programmes
de DDR pourraient répondre à la nécessité de stabiliser les FARDC.
2. Quelle réforme pour le secteur de sécurité en RDC ?
Afin de bien comprendre comment les limites actuelles des FARDC peuvent poser des défis
pour le processus de transition décrit ci-dessus, il faut premièrement explorer les origines de
ces faiblesses avec la création des FARDC, ses conséquences au niveau l'incidence des
violations les droits de l’Homme et finalement comment la reforme sécuritaire peut adresser
ces questions afin de permettre que les nouveaux combattants démobilisés soient bien intégrés
dans les forces armées ou dans la population civile.
2.1 La naissance du secteur de sécurité congolais
L’accord de Pretoria (signé en 2002 par les principales parties de la deuxième guerre du Congo)
assure la mise en place des mécanismes de transition vers la paix et plus spécifiquement ceux
de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) du pays (Annexe V, Article 2a). L’accord a
également établi le Conseil Supérieur de la Défense, qui est devenu responsable d’assister à
l’établissement d'une armée nationale restructurée et intégrée, au désarmement des groupes
armés, au retrait des troupes étrangères et d’élaborer une politique nationale de défense.
Dans ce moment de transition politique à la suite du conflit, la création des forces armées
congolaises (FARDC) en 2003 reflète l’importance de l’armée nationale pour le processus de
transition, notamment pour assurer la paix encore fragile, mais également clé pour assurer le
succès des initiatives d'intégration des anciens combattants rebelles dans les forces nationales.
Ces initiatives sont donc complémentées par un premier programme national de désarmement,
démobilisation et réinsertion (DDR) également connu comme brassage.
Malgré le rôle stratégique que les FARDC devaient jouer dans le processus de transition, la loi
de défense qui a établi les FARDC ne précise ni la taille, ni le cadre spécifique de ses opérations
ou du fonctionnement de ses forces, se concentrant plutôt sur l'organisation et la structure de
l’appareil de défense et sur la clarification des responsabilités attachées aux différents postes.
En effet c’est très difficile de trouver des chiffres crédibles et exacts sur la taille ou la puissance
des FARDC aujourd’hui, ce qui montre le manque de contrôle sur cette structure très large et
problématique en termes de respect des droits de l’Homme.
De plus, la stratégie de brassage, qui visait à intégrer les parties belligérantes en une seule
armée nationale, est beaucoup critiquée pour sa mauvaise mise en place, et s’est montrée
insoutenable en raison de l'absence d'un système fiable de paiement des salaires au sein des
forces armées. Pas conséquence, les soldats impayés ou ceux qui agissent encore dans une
logique milicienne institutionnalisée dans les FARDC, attaquent fréquemment la population
locale pour l’extorquer.
Finalement, l’histoire de la création des FARDC nous montre que les forces congolaises n’ont
pas réussi dans leur rôle stratégique pour le processus de transition vers paix, notamment en ce
qui concerne l’échec du processus de brassage (qui n’a pas empêché la formation de milices au
sien des forces armées), et son incapacité à sécuriser le processus de transition, dès que les
FARDC sont devenues elles-mêmes une source d’insécurité (selon un rapport publié par Oxfam
en 2013, les FARDC sont perçues par population locale comme une des principales sources de
insécurité et crainte).
2.2 Les FARDC
 Les conséquences de la mauvaise structure des forces armées sur les droits de
l’Homme
Le discours sur les faiblesses des FARDC, ses conséquences sur la population locale, et la
nécessité de mettre en place des mécanismes de RSS en RDC n’est pas nouveau. En 2009 par
exemple, l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW) a révélé
les chiffres concernant les actes de violences sexuelles dans l’est du pays, et affirme que les
FARDC étaient l'un des principaux auteurs de ces violences sexuelles documentés au Congo
dans la période de 2007 à 2009. Selon HRW, entre les mois de janvier et mai de 2009, 143 cas
de viols commis par des soldats de l'armée nationale au Nord-Kivu ont été documentés, et
l’échec des commandants des forces nationales à arrêter la violence sexuelle et à punir les
responsables constituait un facteur aggravant de la situation sur le terrain (HRW 2009).
L’exemple donné sur la 14e brigade illustre bien les limites du processus de brassage sur le
terrain et les conséquences d’une mauvaise mise en place des mécanismes de sécurité. La
brigade était composée par des anciens rebelles du Rassemblement Congolais pour la
Démocratie (RCD), des Maï Maï et des Forces Armées Congolaises (FAC). Après neuf mois
de formation militaire et d'instruction sur le droit international humanitaire, y compris
concernant la protection des civils (soutenus par l'Afrique du Sud et par la Croix-Rouge), la
brigade a été envoyée en 2007 au front afin de combattre les forces du Congrès National pour
la Défense du Peuple (CNDP) dans les Kivus. Faisant face à de nombreuses pertes militaires,
les soldats de la 14e brigade ont fui le champ de bataille et selon les individus interviewés par
HRW, ils ont commis des nombreuses atrocités sur leur route (HRW 2009, p.24).
La reconstitution en 2008 de la brigade sous le commandement du colonel John Tshibangu, a
été de nouveau marquée par des pillages, des violences à l’égard de la population civile et des
conflits au sein même de la brigade, lorsque les clivages ethniques et régionaux dans le groupe
ont devenues plus claires, résultant en animosités entre les combattants. La mauvaise
administration des ressources a eu des conséquences négatives sur la population locale ;
lorsqu’environ 4 500 soldats et leurs familles sont arrivés à Kabare, l’armée ne leur a fourni
aucune disposition, nourriture, ou abri. Les soldats ont été responsables pour leur propre
maintien, et par conséquence ils ont usurpé la population locale pour leurs besoins de base. Les
soldats ont érigé des barricades afin d’extorquer les civils, qui étaient selon HRW détenus
arbitrairement, torturés et tués. De plus, les actes de violence sexuelle contre les femmes et les
filles ont énormément augmenté pendant cette période (HRW 2009, p.26).
La 14e brigade nous montre clairement que l’instabilité interne dans les FARDC résulte en
grande partie de l’échec du processus d’incorporation et de réinsertion des combattants dans les
forces armées (brassage) et de l’incapacité des FARDC de soutenir les forces locales en
logistique (en fournissant de la nourriture ou en assurant le paiement des soldats). De cette
façon, c’est évident qu’une réforme du secteur de sécurité congolaise doit adresser l’efficacité
du processus d’intégration des nouveaux combattants et également la disparité entre les
ressources financières des forces armées congolaises et la croissance de son personnel (en
conséquence de l’intégration des combattants rebelles). Il est clair que la question du respect
des droits de l’Homme est clé pour la modification de la culture de violence qui existe dans
l’est du pays, mais il sera certainement plus difficile de la changer sans réformer les structures
militaires afin de garantir que les soldats des FARDC n’aient pas besoin d’extorquer les civils
pour leur subsistance.
 Le rôle du gouvernement
L’abus de pouvoir de la part des forces armées congolaises ne se limite pas à l’est du pays où
les groupes rebelles sont actifs; en 2012 la MONUSCO en partenariat avec le Haut-
Commissariat des Nations Unis aux Droits des Hommes (HCDH) a publié un rapport sur les
violations des droits de l’Homme commis par les FARDC dans la capitale (Kinshasa). Selon le
rapport, pendant la période des élections entre le 26 Novembre et 25 Décembre 2011, le Bureau
conjoint des droits de l'homme des Nations Unies a documenté l'arrestation d'au moins 265
civils, la plupart illégalement ou arbitrairement détenue principalement en raison de leur
appartenance réelle ou supposée à un parti politique d'opposition. Dans la même occasion, au
moins 33 personnes ont été tuées et au moins 83 ont été blessés par des membres des forces de
défense et de sécurité nationales (HCDH et MONUSCO 2012).
Les preuves recueillies par le HCDH prouvent l’existence d’une logique de violence contre la
population civile du pays qui n’est pas limitée à la région des Kivus, puisque les forces de
sécurité sont également abusives dans la capitale Kinshasa. Cela nous amène à un facteur
important pour comprendre les enjeux des FARDC: la connivence ou parfois le soutien
politique des élites à Kinshasa.
En effet, le Secrétaire General de l’ONU a présenté au Conseil de Sécurité un rapport qui
condamne l’inaction du gouvernement congolais par rapport aux abus sur la population civile,
dont il précise que les violations des droits de l'Homme (y compris des viols en masse) ont été
commis entre 2010 et 2011 par des hommes identifiés par les sources locales comme étant des
soldats des FARDC. Le secrétaire a souligné qu’aucune action n'avait été prise par les autorités
congolaises dans le cadre de cette affaire, et il a déploré le rejet à l'unanimité au Sénat congolais
du projet de loi sur la création, l'organisation et le fonctionnement d’un tribunal spécialisé sur
les droits de l'Homme en charge de la répression des crimes de génocide, des crimes de guerre
et crimes contre l'humanité.
Malgré la volonté politique à Kinshasa, il semble que la réforme du secteur de la sécurité en
RDC est la seule solution capable d’adresser les fragilités internes des FARDC et d’éliminer
les chaînes de commandement parallèles qui ont survécu au sein des structures de sécurité
congolaises même après le processus de brassage. Dans le contexte actuel de succès militaires
dans l’est du pays, le gouvernement doit se poser la question sur la capacité des FARDC de
gérer toutes seules la situation sur le terrain après le possible retrait de la MONUSCO dans
quelques mois. Et parmi les nombreuses mesures et mécanismes de RSS, les programmes de
DDR semblent être les plus efficaces, si effectivement bien mis en place.
2.3 La DDR et la RSS en RDC
Selon la résolution 1522 du Conseil de Sécurité de l’ONU, le processus de désarmement,
démobilisation et réinsertion (DDR) des anciens combattants joue un rôle central pour la
réforme du secteur de sécurité de la RDC. Il semble selon le rapport que l'efficacité de la
restructuration des forces nationales, la création d'une police nationale unifiée et l'intégration
dans les forces armées d’anciens combattants rebelles sont des éléments clés pour le succès du
processus de transition du pays. Dans le contexte de reconstruction post-conflit, souvent
difficile à gérer, le DDR et la création d'une nouvelle armée sont présentés comment deux
objectifs fondamentaux qui sont intimement liés les uns aux autres ; le DDR étant un projet
essentiellement civil et la réforme de l'armée nationale étant une initiative militaire, il y a
néanmoins un lien fondamental entre le succès des deux dans un contexte de création et de
maintien des FARDC.
 DDR I
Actuellement, le processus de DDR en RDC impose que tous les combattants, soit ceux qui
vont être recruté dans les forces armées ou ceux qui vont être réintégrés à la vie civile, doivent
suivre les mêmes procédures de sensibilisation, de désarmement, d'identification et
d'orientation. Cette stratégie envisage que les soldats des FARDC aient la même conscience sur
les règles du vivre ensemble que les futurs civils.
Il y a actuellement, deux processus de DDR en cours en RDC. Le premier concerne le
désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réinstallation et la réintégration (DDRRR)
des forces d’insurrection qui restent dans les Kivus mais qui n’ont pas des origines congolaises,
comme les anciens Forces Armées Rwandaises (FAR), les Forces démocratiques pour la
libération du Rwanda (FDLR), les Forces démocratiques alliées (ADF), Lord’s Resistence
Army (LRA), et le Front National de Libération - Burundi (FNL). Cela implique le rapatriement
volontaire de ces forces par le programme soutenu par la MONUSCO et le gouvernement de la
RDC.
 DDR II
Le deuxième processus s’agit du Processus National de DDR, une initiative qui fait partie de la
RSS dont le but est de démobiliser, désarmer et réintégrer les signataires de l'Accord global et
Inclusif et l'Acte Final du 2 Avril 2003. Comment la montre l’image 2, les membres des groupes
rebelles ont la possibilité de choisir entre la réinsertion dans la communauté civile ou de joindre
l’armée congolaise (suite à leur réussite dans l’entraînement militaire). Autrement dit, les
groupes armés devront rester pendant cinq jours dans les centres où ils seront soumis à la
sensibilisation, l'orientation et aux formalités d'enregistrement avant d'être autorisés à choisir
entre l'intégration dans l'armée ou dans la communauté civile. Ceux qui ont choisi l'armée ont
été envoyés aux centres de formation militaire ; ceux qui réussissent sont finalement intégrés
dans les FARDC, et ceux qui ne réussissent pas sont envoyés aux programmes de
démobilisation pour les futurs citoyens.
Le programme de DDR en RDC
Source: Amnesty International, 25 janvier 2007, N° d'index: AFR 62/001/2007, p. 3.
Il est estimé que plus de 200 000 combattants des différents groupes ont été impliqués par cette
initiative4. Néanmoins selon HRW, au cours des dernières années, les actes de violence sexuelle
commis par des civils ont également augmenté possiblement en raison de l’échec de
l'intégration des anciens combattants dans leurs communautés, conséquence des mesures de
réhabilitation minimales et insuffisantes (HRW 2009, p.15). Les experts de l’ONU ont
également déploré le retour au combat d’individus démobilisés, ce qui que montre parfois
l’impossibilité d’assurer leur vie en société sans appui sur les économies locales (HRW 2009,
p.23).
4.3.3 DDR III
Pour cette raison, le programme actuel de DDR (III) essaye d'aller au-delà des approches de
DDR traditionnelles pour assurer la réinsertion durable des combattants dans leurs
communautés à travers des mesures de stabilisation socio-économiques de long terme, y
compris des programmes d'emploi d'urgence et des approches de développement des
communautés.
En conclusion, le programme de DDR III semble être en mesure d’adresser une problématique
clé pour le processus de réforme du secteur de sécurité en RDC, c’est à dire la démobilisation
des anciens rebelles et leur incorporation dans la société civile à travers des mesures de
stabilisation socio-économiques durables. Toutefois, le processus de réforme du secteur de
sécurité ne peut être limité aux mesures qui adressent uniquement les FARDC, il faut également
améliorer le système judiciaire et la police par exemple
Avant de poursuivre notre analyse sur les conflits dans l’est de la RDC, intéressons-nous au cas
très concret du groupe rebelle de la Lord’s Resistance Army (LRA) de Joseph Kony, qui est
actif depuis le milieu des années 1980. Nous allons voir que ce groupe, non seulement a été
actif dans l’est du Congo, mais qu’il a aussi des caractéristiques similaires à d’autres groupes
armés déjà rencontrés.
4 Selon Henri Boshoff les chiffres estimés de soldats impliqués sont:FAC: 100 000; Le Rassemblement
congolais don démocratie-Goma (RCD-G): 45 000; Le Rassemblement congolais pour la démocratie-National
(RCD-N): 10 000; Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani / Mouvement de libération (RCD-K /
ML), 15 000; MLC: 30, 000; Mayi Mayi: 30 000 à 50 000; et les groupes armés de l'Ituri: 30 000 (Boshoff 2004,
p.64).
II) Quel potentiel insurrectionnel pour la LRA en 2015 ?
La LRA est-elle encore en état de nuire ? Etude de son potentiel néfaste et de sa conflictualité
possible dans le contexte actuel tendu de l’Afrique Centrale.
La Lord’s Resistance Army est pour le moment dispersée sur quatre pays : la République
Centrafricaine, le Sud-Soudan, la République Démocratique du Congo et dans une moindre
mesure l’Ouganda – dont le mouvement est originaire. En effet, à l’origine la LRA était une
milice dont la cause était de défendre l’ethnie Acholi contre le gouvernement ougandais du
président Museveni, mais peu après, leurs tactiques brutales les ont rendus infréquentables.
Depuis 2006, la LRA ne fait plus partie du paysage politique et sécuritaire ougandais, mais il
continue de causer des ravages et le chaos à ses frontières.
Il faut savoir que le Soudan d’Omar al Béchir a longtemps supporté et entraîné la LRA (même
si depuis 2011 il le dénie) particulièrement dans les années 1990 afin de conduire une guerre
par procuration contre l’Ouganda et les rebelles soudanais du sud à la fois. Beaucoup disent que
la LRA est depuis devenu une force de mercenaires acquises à la cause du plus offrant.
Situation fin 2013 :
Source: The Internal Displacement Monitoring Center, 2013
En 2013, nous observions une claire baisse de son influence, avec une baisse des attaques et
enlèvements, dans les zones d’opérations originelles du groupe armé. En effet, depuis sa
création en 1986 (une des plus anciennes guerres d’insurrection africaine), le territoire où opère
la LRA s’est déplacé régulièrement, opérant maintenant entre les frontières poreuses d’Afrique
Centrale. Nous verrons en conclusion que ces chiffres annonçant une baisse de l’influence de
la LRA dans la région sont à prendre avec précaution.
Grâce aux opérations conjointement menées par les forces armées de l’Ouganda et de RDC, il
y a eu beaucoup de défections de soldats de base dans les rangs de la LRA. Il reste donc les
« officiers » et proches du leader, Joseph Kony. On estimait fin 2013 que la LRA disposait d’un
peu plus de 200 combattants, majoritairement originaires d’Ouganda et plutôt chevronnés. Des
actions ciblées menées surtout par les forces ougandaises ont éliminés plusieurs commandants
dans la hiérarchie du groupe rebelle.5
Il est estimé cependant que le groupe a perdu environ un quart de sa capacité de combat à cause
des défections dans ses rangs, des pertes en main d’œuvre importantes (échappées de
prisonniers) et des opérations multilatérales menées par les pays où sévit la LRA. En effet,
l’Union Africaine a créé une Force d’Intervention Régionale, l’UA RTF, en 2013 en réponse à
la mobilisation internationale menée par l’ONG Save the Children qui avait eu un succès
retentissant.
Cependant, nous allons voir que la LRA reste active et opérationnelle dans l’est de la RCA, et
aussi au Sud-Soudan, ces deux états connaissant depuis quelques années une instabilité
politique et sécuritaire favorable à l’installation de groupes armés étrangers sur son territoire.
L’organisation LRA Crisis Tracker, qui surveille les opérations du groupe armé, a reporté de
nombreuses intrusions et raid commis par la LRA en RCA (région du sud-est autour de la ville
de Obo) et au Sud-Soudan (région de Ezo).
En RDC, dans le nord-est du pays autour des villes de Duru et Dungu, la LRA avait établi des
lieux de refuge quasi permanents pour ses militants, et ces sites servaient aussi à opérer leur
trafic d’ivoire et de contrebande. Ces régions frontalières tant de RDC que de RCA ont souvent
été emprises de groupes d’insurrections, profitant de l’absence de l’état central, qui diversifient
leurs activités par la contrebande et les trafics en tous genres. La LRA en particulier est connu
pour ses réseaux de braconnage qui sévissent dans toute cette région, ayant installé ses propres
réseaux depuis des années. Certains parcs nationaux de l’est de RDC sont infiltrés par des
combattants de la LRA pour procédé à du braconnage illégal, ainsi revendant de l’ivoire ou
autre denrée rares pour se financer. Le groupe utilise des collaborateurs pour son trafic de
ressources illicites, opérants et négociants dans les principaux marchés de la région. Les forêts
denses de cette région rendent difficile la localisation et l’identification de ses groupes armés.
La LRA est en soit un groupe armé assez unique et résilient puisqu’il dispose de toute une
gamme de stratégies de survie et de résistance depuis le milieu des années 2000, depuis qu’il a
quitté le territoire ougandais. Principalement, le groupe parvient à se financer par une aide
extérieure de certains fonctionnaires corrompus ; de leurs revenus issue de l’agriculture et des
cultures qu’ils contrôlent ; et par le trafic d’ivoire et de minerais (or et diamants).
Il faut savoir que l’une des spécificités de la LRA est qu’elle procède à des enlèvements massifs
principalement afin de subvenir à ses besoins en main d’œuvre, pour cultiver les zones agricoles
qu’elle contrôle ou bien pour s’en servir comme mercenaires. L’usage de drogue, les raids sur
les villages, les mutilations, le viol et l’extorsion des familles de personnes enlevées est le mode
opératoire terrifiant du groupe.
La coopération multilatérale entre les Forces Armées de RDC (FARDC) et celles du Sud-
Soudan a été un succès en 2013, quant au début de l’année des opérations menées conjointement
ont détruits des camps de la LRA dans l’enclave de Kafia Kingi (LRA Crisis Tracker, 2013).
5 http://invisiblechildren.com/blog/2013/01/21/top-lra-commander-killed-new-details/
En septembre de la même année, une opération militaire menée par ces mêmes pays, sous
l’égide de l’UA RTF, a mis en déroute des forces de la LRA opérants autour du parc national
de Garamba, là où ses opérations de braconnage sévissaient.
L’offensive sud-soudanaise et congolaise fut soutenue par le renseignement et la logistique des
forces américaines basées en Ouganda (AFRICOM). Ce fut un succès pour ce qui est de la
RDC, puisqu’en 2013 les actes de violences de la LRA c’est-à-dire principalement les
enlèvements et attaques, ont chuté fortement en RDC. Il faut tout de même rappeler que la LRA
fut le groupe armé ayant causé le plus de victimes et d’enlèvements en RDC sur la période
2008-2010, avant une chute depuis 2011.
De plus, avec la présence rappelée précédemment de dizaines de groupes armés insurrectionnels
dans l’est congolais, il est très difficile pour les autorités et les ONG de mettre une « signature »
sur tel ou tel acte de violence ou enlèvement.
Tandis qu’en RCA, jusqu’à l’intervention française et de l’Union Africaine fin 2013 du moins,
il y avait une connivence et complicité entre la LRA et les dirigeants du groupe armé de la
Séléka, qui eux avait semé le trouble politique en RCA depuis début 2013 après avoir renversé
le président François Bozizé. C’est assez curieux puisque la Séléka est composée
majoritairement de musulmans, tandis que la LRA se présente comme une « milice chrétienne ».
Par ailleurs, en novembre 2013, Joseph Kony avait rencontré le président Djotodia – mis en
place par la Séléka – pour discuter du rôle de la LRA en Centrafrique et de ses besoins en
ravitaillement.6 A présent, les deux groupes rebelles ont des relations compliquées, facilitant
parfois les défections, même si ils ont en commun de combattre les troupes ougandaises.
Jusqu’à la stabilisation de la RCA à l’été 2014, les troupes de l’UA RTF avait peu accès au
territoire de la RCA, ce qui montre les problèmes juridiques concernant la mise en place de
cette opération multilatérale dont le mandat et sa délimitation territoriale posent problème.
En 2014, la LRA a commise 157 attaques sur le territoire centrafricain, a procédé à 432
enlèvements, tuant ainsi une trentaine d’individus ; cela représente 80% des attaques commises
par la LRA sur toute l’année 2014 (UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs,
2014). Malgré l’Opération Sangaris menée par la France et la mission des Nations Unies
MINUSCA, la LRA reste une menace pour les communautés vulnérables de RCA. Au total, les
enlèvements menés par le groupe sont en légère augmentation dans le pays, tandis que les
attaques commises au Sud-Soudan et en RDC sont en diminution. Ainsi chaque pays est plus
ou moins affecté et résistant face à l’armée de Kony. On estime à 145 000 le nombre de
personnes déplacées dans les régions affectées par les actions de la LRA en RDC et RCA (UN,
2014).
De plus, la mission de l’UA RTF a été rendu difficile depuis le début de la guerre civile au Sud-
Soudan, basée sur des contentieux ethniques et économiques, mais aussi par l’instabilité de l’est
centrafricain. On peut donc se demander quelle aurait été le niveau d’insurrection et d’attaques
commises par la LRA en Centrafrique si la France et l’Union Africaine n’étaient pas intervenus.
L’enclave de Kafia Kingi, située au Soudan mais frontalier du Sud-Soudan et du nord de la
RCA, est connu pour avoir été lieu de refuge et de ravitaillement important pour la LRA. C’est
donc une zone où les soldats de l’Union Africaine et les conseillers américains ne peuvent aller.
Les ONG précisent que cette enclave connait aussi la majorité des enlèvements d’enfants
auxquels à recours le groupe. D’après les ONG Enough Project et Invisible Children ainsi
6 http://www.theguardian.com/world/2013/nov/21/ugandan-warlord-joseph-kony-urged-surrender
qu’avec l’aide du renseignement américain, il est fort probable que Joseph Kony se trouve dans
cette enclave.
Depuis la campagne Stop Kony 2012, il est vrai que la traque du leader de la LRA a mobilisé
beaucoup d’efforts interrégionaux, malgré sa capacité de résilience et de mouvement
permanent.
Déplacements de Joseph Kony et de la LRA depuis 2005 :
Sources : ONG LRA Crisis Tracker
En résumé et d’après les dernières informations obtenues concernant l’évolution de la LRA tout
récemment, nous pouvons affirmer les points suivants. En 2014, le total des attaques de la LRA
a augmenté de 10% et les enlèvements de 32% en comparaison à 2013. Les tendances de
violences de la LRA ont considérablement varié au niveau local. Les attaques et les enlèvements
en 2014 ont augmenté de manière significative dans certaines zones, telles que l'ouest du district
du Haut Uélé (RDC) et l'ouest de Mbomou (RCA), et ont considérablement diminué dans
d'autres. La zone d’activité de la LRA s’est aussi précisée : en 2014, presque 80% des pillages
se sont déroulés dans une zone allant de Mboki à Obo(RCA), en passant par Bangadi au Congo.
La structure de commandement de la LRA est en plein bouleversement puisqu’elle a perdu une
douzaine d’officiers supérieurs depuis 2012 (même si Kony les a remplacés depuis par ses
jeunes lieutenants).
III) Le rôle des minerais dans le financement des groupes rebelles
3.1 La contrebande lucrative des « minerais de sang »
La République Démocratique du Congo est l’un des pays les plus pauvres du monde. Pourtant,
sont territoire dispose de ressources naturelles inestimables qui, si exploitées convenablement
et efficacement, pourrait faire du pays une économie émergente majeure en Afrique. Cependant,
depuis plus d’une décennie, on assiste à un véritable pillage des ressources de l’est de la RDC.
Les différents groupes armés précédemment cités ont pour la plupart joué un rôle dans le
commerce des pierres rares ou des minerais des mines de l’est de la RDC. On parle de tungstène,
d’étain, d’or et de coltan, tous minerais rares ou ayant une grande valeur pour les industries
concernées.
A cause de la grande profitabilité de ce trafic, les conflits en RDC ont pu jusqu’à maintenant
s’autofinancer, grâce aux activités minières et commerçantes de certains groupes rebelles. On
pourra donc se demander quelle est la capacité pour la MONUSCO, bien qu’étant la mission
des Nations Unis la plus large et coûteuse, de faire face à cette économie parallèle qui paralyse
les négociations de paix et les plans de pacification. Autrement dit, on peut se demander si
l’efficacité de la coordination internationale, une fois que les efforts de la MONUSCO sur le
terrain, s’attaque vraiment à la source financière de l’activité rebelle.
Le financement de ces groupes armés par le commerce de ces minerais ne fait plus de doute.
Cependant, ces grandes richesses naturelles du pays ne sont pas en soit la racine fondamentale
du conflit, mais la compétition pour le commerce très lucratif de ces minerais a certainement
incité les factions belligérantes à poursuivre la lutte armée.
Le problème est que les métaux extraits des mines de l’est de la RDC sont utilisés dans la chaîne
de fabrication globale des téléphones portables, des voitures, des avions et de la joaillerie. Il est
donc très difficile d’établir une traçabilité de ces métaux transformés, et les consommateurs au
bout de la ligne ne peuvent pas savoir si leurs produits ont été fabriqués avec des « minerais de
sang ».
Des organisations criminelles étatiques et non-étatiques diversifient leurs activités depuis le
début des années 2000 dans le pillage de ressources. Il faut savoir que ces groupes armés ont
récolté 185 millions de dollars en 2008 (seuls chiffres disponibles) de l’exploitation minière
dans l’est congolais (Enough Project, 2009).
Ces groupes, en plus d’utiliser des enfants soldats, font appel à de la main d’œuvre très jeune
dans ces mines, à cause de la dangerosité et de la promiscuité du lieu de travail. Les viols en
masse et la torture sont aussi utilisés comme arme majeure pour assurer une main d’œuvre dans
les mines et une certaine coopération/collaboration des villages environnants.
Quels sont ces minerais en question ?
- Etain : le premier minerai en termes de source de revenus pour les groupes armés, la
RDC étant le 6ème producteur mondial. Principalement utilisé pour les soudures dans
l’électronique. Contribution à la hauteur de 115 millions de dollars en 2008.
- Coltan : un des premiers producteurs mondiaux de coltan, ce fut le premier minerai qui
fut sujet à préoccupation lorsque son prix a explosé en lien avec la hausse de la demande
pour l’industrie de l’électronique. On le trouve dans les composants électroniques pour
les voitures, les téléphones et les ordinateurs. Son exploitation a rapporté 12 millions de
dollars en 2008.
- Tungstène : 5ème producteur mondial, il est peu reconnaissable par les consommateurs
car peu utilisé dans les produits ménagers. Contribution de 7.4 millions de dollars en
2008.
- Or : c’est le plus petit minerai en volume échangé par les rebelles, mais le second en
terme de contribution financière (50 million USD). Il est très facile à transporter et à
dissimuler lors des échanges, 95% de la production d’or de l’est du Congo est vendu
illégalement. Utilisé dans l’électronique, le matériel médical et l’aérospatial.
Les groupes armés actifs dans l’exploitation minière :
Source: Conrad Taylor, The curse of Congo’s mineral wealth, 2008
Les groupes armés ainsi que les quelques acteurs étatiques étant engagés dans ce commerce de
minerais illégal ont organisé un véritable réseau de trafic de minerais et de ressources naturelles
en tout type (bois, récoltes agricoles etc.).
Il y a 13 principales mines dans les régions de l’est du Congo (Kivus, Ituri, Maniema), mais on
trouve également 200 sites miniers qui sont associés à ce trafic. 12 des 13 mines sont en réalité
contrôlée par des groupes armés, et on estime que ces groupes, avec la participation de membres
de l’armée nationale (FARDC), contrôlent environ 50% des 200 sites miniers.
Les minerais sont transportés vers des cités commerçantes, puis vers les deux principales villes
régionales que sont Bukavu et Goma. L’étain, le tungstène et coltan sont amenés en fonction
des situations par des hommes à pied, ou par camions, ou parfois même à bord de petit avions.
Enfin, les minerais sont traités et triés chez des négociants.
Les compagnies d’export achètent les minerais de ces négociants et des transporteurs, puis elles
travaillent les minerais avec des outils spécialisés, et enfin les revendent à des acheteurs
étrangers. Goma est la première ville d’export devant Bukavu. Les minerais ensuite transitent
par le Rwanda, l’Uganda et le Burundi, pour atteindre les ports de Mombassa ou Dar es Salam
par exemple.
Enfin, les entreprises transformant les produits finaux mélangent les minerais issus des zones
de conflits de RDC avec les minerais extraits d’autre pays de manière légale. Jusqu’à l’année
dernière, les principales entreprises utilisant ces minerais dans leur chaîne de fabrication furent
Samsung, Apple, Nokia et Canon (ONG Raise Hope for Congo, 2014).
Routes du trafic transfrontalier de minerais :
Source: ONG Enough Project, novembre 2009
3.2) Les tentatives internationales de contrer ce trafic
En 2009, la situation dans l’est du Congo étant plus instable que jamais auparavant, des efforts
de la communauté internationale ont essayé d’adresser la question du commerce des minerais
issus de zones de guerres. Il s’agit principalement d’exiger des entreprises se fournissant en
métaux de RDC qu’elles fassent des évaluations de leur chaîne d’approvisionnement afin de
faire en sorte qu’elles ne soutiennent pas des groupes armés s’étant investi dans le commerce
de ces tels métaux. C’est une vérification préalable en amont de la chaîne.
Cet engagement a été suivi depuis par l’Organisation pour la Coopération Economique et le
Développement (OCDE) qui a institué en 2010 un « Guide sur le devoir de diligence pour des
chaînes d’approvisionnement responsable en minerais provenant de zones de conflits ».7 Ce
principe s’applique aux entreprises minières exploitant l’étain, le coltan, le tungstène et l’or.
Depuis ce principe a été suivi par le Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui a émis les mêmes
recommandations. Il s’agit du seul cadre international visant à enrayer l’exploitation de
minerais issus de zones de conflits.
Plus fondamentalement, nous retiendront le très marquant Dodd-Frank Act de juillet 2010
(Section 1502), qui émanait du Sénat américain, et qui pour la première fois exigeait aux
compagnies américaines ou établies aux Etats Unis utilisant des minerais issus du Congo ou de
sa région d’opérer leur devoir de diligence concernant leur approvisionnement. Elles doivent
aussi évaluer si les minerais qu’elles importent de RDC ou de pays voisins, leur permettent de
dire si ces minerais financent les conflits.
Cette première loi contraignante fut historique, et suite à l’engagement personnel du président
Obama sur la question, douze états africains, y compris le Rwanda, la République
Centrafricaine et la RDC, ont depuis fait passer une législation exigeant aux entreprises
d’effectuer une vérification de leur chaîne d’approvisionnement.
Mais il faut noter qu’un grand nombre des entreprises étrangères ayant recours à ces « minerais
de sang » sont en fait chinoises, car la Chine est le 1er fabricant mondial de téléphone,
d’ordinateur et son marché automobile est en pleine expansion. Les minerais de RDC et de sa
région se retrouvent donc dans les chaînes de fabrication chinoises. Sous la pression d’activistes
et depuis les révélations marquantes d’ONG comme Global Witness en 2013, la Chambre de
Commerce chinoise (CCCMC) a émis des recommandations pour les entreprises chinoises les
incitant à agir en faveur de leur responsabilité sociale en tant que firme multinationale. Ces
principes font également état d’une nécessaire diligence raisonnable.
Plus récemment, le Parlement Européen doit voter sur un projet de loi similaire au Dodd-Frank
Act américain, d’ici l’été. Près d’un quart des importations totales d’étain, de tungstène, d’or et
d’autres métaux sont effectués par des entreprises européennes, et il y a pour le moment aucune
législation contraignante qui les oblige à s’assurer de l’origine de leur minerai.
Cependant, il y a aussi des obstacles et questions internes au secteur minier de RDC. Le
Ministère des Mines a fait passer un décret en 2012 qui contraint toutes les entreprises de
prospection minière ou de commerce de minerai, opérants en RDC, de satisfaire les exigences
énoncées par l’OCDE concernant la diligence des approvisionnements.
7 http://www.oecd.org/fr/daf/inv/mne/GuideEdition2.pdf
Malgré tous ces efforts et engagements internationaux et nationaux, la question du commerce
des « minerais de sang » reste entière puisqu’il y a connivence entre les groupes sous-traitant
l’exploitation de mines dans l’est de la RDC, et des membres des Forces Armés de la
République Démocratique du Congo (FARDC). Des membres de l’armée nationale – parfois
associé aux chefs des districts ou province – sont actifs dans l’excavation, les taxes et le
transport de ces ressources lucratives (Global Witness Report on Conflict Minerals, 2014)
Il a aussi été établi que les autorités de Kinshasa n’appliquent pas dans sa totalité le décret de
2012 obligeant une traçabilité de la chaîne d’approvisionnement des entreprises minières du
pays, sur fond de corruption et de népotisme au sein du « clan Kabila ». Par ailleurs, le rôle de
la Chine et de ses investissements dans la région reste ambigu puisque les autorités chinoises
ont un double langage quant à l’application des normes d’exploitations des ressources
naturelles, s’agissant du Soudan ou de la RDC.
3.3 Les limites de l’engagement international
Depuis le Dodd-Frank Act de 2010, de grands groupes d’électronique comme Apple ou
Intel ont aussi pris des engagements dans le même sens depuis, garantissant que matières qui
ont servi à fabriquer leurs produits n’émanent pas de zones de conflits.
Cependant, un groupe de 70 experts congolais et internationaux sur la question ont alerté la
communauté internationale dans un communiqué sur les conséquences concrètes des de cette
approche internationale pour la transparence des approvisionnements et l’établissement de
règles contraignantes dans le secteur minier8. Selon eux, le mouvement pour cette transparence
et pour plus de contrôle aurait au contraire favorisé la conflictualité de la région des Kivus – et
débordant même les frontières.
Quatre ans après la mise en application de la loi Dodd-Frank, seul une fraction des centaines de
sites miniers de l’est du pays ont été concerné par les efforts de traçabilité et de certification
d’exploitation. 9 En conséquence, la majorité des sites reste dans l’illégalité ou bien sont hors
d’usage, avec des mineurs au chômage technique car la compagnie sous-traitant l’exploitation
de la mine a cessé ses activités sous la contrainte des pressions de l’entreprise-mère, au nom de
la diligence. Il y a malheureusement des conséquences néfastes à cette situation.
Tout d’abord, certains des mineurs ayant perdu leur emploi ont rejoint des groupes armés - qui
restent très actifs dans les zones riches en ressources – afin de retrouver un certain salaire, en
l’absence d’offre alternative d’emplois. Ensuite, le marché noir des minerais s’est retrouvé
renforcé dans la région dû au désengagement des entreprises minières « légales ». Des réseaux
de rebelles organisés en véritables mafia ont depuis pris les commandes de ce marché noir, alors
que la campagne pour plus de transparence visait à les éliminer avec ses nouvelles normes. Il
s’agit donc d’un paradoxe tragique pour les habitants de l’est RDC.
Ajouté à cela, lorsqu’un site minier doit être certifié par les autorités, cela peut prendre plusieurs
mois entre le moment où le site est évalué et sa certification comme site libre de conflit (conflict
free). Cette certification est également loin d’être fiable étant donné les dynamiques et la fluidité
de mouvement des groupes armés (et de leur associés civils) autour des mines. Il y a en effet
8 https://ethuin.files.wordpress.com/2014/09/09092014-open-letter-final-and-list.pdf
9 http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2014/09/drc-conflict-minerals-movement--
201491081725285533.html
tout un réseau de complicités et de transactions plus ou moins opaques qui s’est établi dans les
alentours de certains sites miniers de l’est RDC.
Les critiques qui émanent de ce groupe d’experts visent le caractère trop « technique » de cette
démarche qui veut régulariser le commerce de minerai dans l’optique de réduire la violence
intrinsèque à cette région. Elles l’accusent de détourner le peu d’attention et de moyens
financiers et humains qui sont attribué à trouver une solution politique violences qui secouent
toute la région. Ce sont donc deux démarches qui s’opposent, traitant les conflits de RDC soit
en amont soit en aval.
Il y a en effet une opposition aux institutions ou acteurs qui affirment que la majorité des conflits
qui touchent la RDC est liés au contrôle de ses ressources naturelles, question qui remonte à la
colonisation belge de ces territoires. En face, il y en a qui affirme que les causes des conflits
qui troublent la RDC depuis deux décennies émanent en réalité de problématiques liées aux
conflits identitaires, ceux liés à l’appropriation des terres, et enfin plus politiques.
D’après eux, il faudrait davantage impliquer les diverses parties prenantes de RDC, à tous les
niveaux d’autorité, et il faudrait aussi agrandir l’objectif des politiques mises en place, afin
d’assurer que les législations passées par les gouvernements nationaux respectifs soient
appliqués de manière plus intégrée et mieux adaptées aux réalités locales.
Considérations finales
La réforme du secteur de sécurité doit être comprise par le gouvernement congolais comme une
condition sine qua non pour la réussite de la lutte efficace contre les groupes armés de l’est du
pays.
L’historique des processus de brassage abordés dans la section 2 montre bien que combattre
les groupes rebelles militairement n’est pas suffisant pour assurer la stabilité du pays.
Indépendamment de la destination des individus mobilisés (soit la population locale, soit les
FARDC), il est essentiel qu’ils soient prêts à respecter les règles de vivre ensemble et les droits
de l’Homme. Au contraire, des situations comment celles vécues par la 14e brigade feront
toujours partie de la réalité du pays et empêcheront l’établissement de la paix durable.
Les processus de brassage et de DDR antérieurs ont également prouvé la nécessité d’appuyer
les efforts de démobilisation avec des mesures économiques et de développement, et pour cette
raison le processus de DDR III suscite de l’espor par rapport à l’efficacité de l’incorporation
des anciens combattants rebelles. En effet, en considérant le contexte actuel de succès militaires
contre le M23 et de lutte contre le FDLR, c’est probable que les individus qui combattent dans
les groupes armés rebelles soient démobilisés par le programme de DDR III. Pour ces raisons,
le moment est clé pour s’assurer que les erreurs du passé ne soient pas répétées, et que seulement
la réforme du secteur de sécurité est capable d’assurer la mise en œuvre des mécanismes que
permet la stabilisation des FARDC.
Pourtant, l’exemple de la 14e brigade montre également que la démobilisation n’est pas toujours
suffisante pour assurer la stabilisation du pays. Même après la chute des rebelles, les FARDC
peuvent facilement devenir une source importante d’insécurité et une menace directe aux civils,
particulièrement face au manque de ressources et l’incapacité des dirigeants des FARDC à gérer
leurs forces. Si cette situation perdure, même les combattants démobilisés et sensibilisés aux
droits de l’Homme et sur le règlement militaire, n’ont d’autre option que d’extorquer et usurper
la population civile pour garantir leur survie.
C’est pourquoi le gouvernement doit changer son comportement actuel et se responsabiliser par
la réforme du secteur de la sécurité du pays, sinon malgré le succès de la lutte militaire contre
les rebelles et l’actuel soutien de la communauté internationale, la mise en place sans succès
d’un programme efficace de RSS amènerait les groupes rebelles ou les FARDC à constituer
un facteur d’instabilité nationale ou une menace à la population congolaise.

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Projet Co Grands Lacs Fantini Ferrier

  • 1. 29/05/15 PARIS GLOBAL FORUM OBSERVATOIRE DES CONFLITS L’état des conflits dans la région des Grands Lacs I) La question sécuritaire en République Démocratique du Congo II) Quel potentiel insurrectionnel pour la LRA en 2015 ? III) Le rôle des minerais dans le financement des groupes armés congolais Par Carolina Fantini et Thibault Ferrier
  • 2. I) La question sécuritaire en République Démocratique du Congo A) 1. « En RDC, l'histoire est souvent un champ de bataille politique. » L’est de la RDC ne s’est pas transformé en un théâtre fragmenté de champs de batailles du jour au lendemain. Beaucoup de facteurs qui nourrissent la militarisation de ce conflit au Kivu peuvent être retracés à des décennies auparavant. Cette précaution s’applique à fragilité des institutions gouvernementales et militaires, dont les disfonctionnements remontent similairement au passé du pays. Le rappel de cette histoire est la première étape dans l’analyse des facteurs de cette insurrection armée. Actuellement, le conflit dans l’est du Congo met en péril la stabilité de toute la région des Grands Lacs, en raison de la multiplicité d’acteurs actifs au Nord-Kivu et Sud-Kivu et sa complexité politique, ethnique et militaire. Des milliards de dollars ont été consacrés à la résolution du conflit afin de mettre fin aux souffrances prolongées qu’endurent les habitants de cette région depuis deux décennies, toutefois les efforts nationaux et internationaux doivent prendre en compte la multiplicité de ce conflit pour le résoudre d'une façon durable. Surtout, il faut garder en tête que la solution sur cette situation ne proviendra que des Congolais eux- mêmes, de façon à ce que le rôle de la communauté internationale soit de créer un espace pour que les Congolais résolvent et se chargent eux-mêmes des défis auxquels ils font face, tout en renforçant l’indépendance de ce pays face à ses voisins. Afin de mieux saisir la problématique de l’instabilité dans l’est du Congo, il faut bien comprendre l’origine historique de ce conflit qui a surgit en conséquence du génocide au Rwanda, de la première guerre civile du Congo (1996–1997) et la deuxième guerre civile dans le pays (1998–2003). L’histoire montre que, à cause de la porosité des frontières nationales dans cette région, l’instabilité dans un pays affecte directement la sécurité de ses voisins. En revanche, l’histoire de ces conflits est parfois complexe, notamment en ce qui concerne le nombre de morts liés aux conflits et la formation des groupes rebelles (quant à leurs objectifs politiques et leurs origines géographique entre Rwanda et Uganda). Pour cette raison, notre objectif est de trouver le plus grand nombre de sources possibles, et de mettre en question ces points de vue. Il faut que le lecteur garde en tête que chaque point de vue ici représenté est une expression de la complexité de ce conflit en lui-même, qui résulte des contentieux pour des demandes divergentes, de l’absence de dialogue et d’initiatives politiques. 1.1 Les conséquences du génocide du Rwanda: La première etdeuxième guerres du Congo Alors que la communauté internationale n’est pas d’accord sur le montant exact des réfugiés Rwandais qui ont fui vers le territoire de l’RDC (ancien Zaïre) pendant le génocide en 1994, les conséquences de cet exode pour la stabilité de la région sont incontestables. Le génocide au Rwanda a déclenché l'exode d'environ 2 millions de réfugiés (principalement Hutus) entre 1994 jusqu’à la prise du pouvoir par le Front Patriotique Rwandais (FPR). A cette occasion, les membres des milices qui prirent part au génocide des Tutsis au Rwanda ont fui le pays parmi la population civile, motivé en premier lieu par le désir de se soustraire à de nouveaux combats, et d’autre part par la peur des représailles du FPR. D’après l’image suivante,
  • 3. la principale destination du flux de réfugiés était le Zaïre. En conséquence, les grands camps de Goma (dans les provinces du Kivu), ont devenu rapidement une base important des forces armées rwandaises (FAR) et de la milice militaire Hutue Interahamwe (souvent dénommées collectivement les génocidaires). Populations réfugiées rwandaise et burundaise, entre 1993 et 1999 Source : UNHCR Cette situation a aggravé l’instabilité dans la région pour deux raisons principales: les ex- combattants Interahamwe (hutus) ont utilisé leurs bases dans l’est du Zaïre (parfois dans des camps de réfugiés du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) pour réorganiser leurs forces et lancer des attaques transfrontalières, en visant à déstabiliser le nouveau gouvernement Tutsi du Rwanda. Dans ce scénario, les réfugiés sont devenus les otages politiques de ces groupes, qui constituaient une menace pour le nouveau gouvernement de Kigali et pour la population Tutsi dans ces camps de réfugiés, peu protégés contre un nouveau massacre. De plus, les combattants hutus de l’est du Zaïre ont aussi menacé et effectivement attaqué la population congolaise des Banyamulengue (Tutsis du Sud-Kivu1) dans la région, sans aucune réaction proactive du président Mobutu.2 En 1996, le gouverneur du Kivu du Sud a déclaré que les Banyamulenge devraient quitter le pays avant 6 jours pour le Rwanda. En réponse, les Banyamulenge se sont rebellés et ont joint l'Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) en opposition au gouvernement de Mobutu et avec le soutien important des chefs d’état du Rwanda (Paul Kagame) et de l'Ouganda (Yoweri Museveni) ainsi que d’autres leaders régionaux. À ce moment, la force rebelle du l'Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) était constituée sous supervision et contrôle rwandais et avec le chef rebelle congolais vétéran Laurent-Désiré Kabila comme son porte-parole. Entre-temps, la Front Patriotique Rwandaise (FPR) s’est allié au AFDL afin de lancer plusieurs offensives vers le Zaïre afin d’éliminer des centaines des réfugiés dans l’est du pays, avec le support du président Museveni en Uganda, notamment dans les camps de réfugiés à Birava. Sous le prétexte de combattre les survivants Interahamwe et du FAR, le FPR a aussi profité de 1 STEARNS J., «Banyamulenge Insurgencyandexclusioninthe mountains of South Kivu», Rift ValleyInstitute, 2013, pp.6-61, p.11 2 OMEJE K., 2013, « Theorizing the Conflicts inEastern Congo» contribution de «Identités, ressourcesnaturelles et conflits en DRC» edit L’Harmattan, pp.27-44, p.31
  • 4. la situation pour piller les ressources minérales à est, abondantes dans cette région, afin de rembourser ses crédits contractés pendant ses années de rébellion tutsi. Les premiers mois du conflit étaient un succès pour les forces du AFDL et FPR, tandis que Kabila s’approchait de son objectif de renverser le gouvernement de Mobutu. Sept mois plus tard, devant l'inaction des alliés traditionnels de Mobutu comme la France et les États Unis (en conséquence de la fin de la guerre froide), la marche de Kabila de l’est du pays vers Kinshasa était arrivé à sa fin dans la capitale Kinshasa en mai de 1997, ou Kabila a pris officiellement le pouvoir et a rebaptisé le Zaïre ‘République démocratique du Congo’. Cette période de conflit et d’instabilité qui a culminé avec la prise du pouvoir par Kabila est nommée la première guerre du Congo. La deuxième et plus violente guerre du Congo (également connu comme la première guerre mondiale de l’Afrique) a duré plus longtemps (1998-2003), et a aussi impliqué autres pays de la région. Aussitôt le pouvoir pris, Kabila a déçu les attentes de Kagame au Rwanda, puisque que le nouveau président congolais ne semblait pas être très déterminé à combattre les Hutus au Congo et à protéger ses frontières avec le Rwanda pour une sécurité commune. Par ailleurs, Kabila a renforcé la protection des territoires et frontières orientales et par conséquence empêché l’exploitation illégal des minéraux (notablement diamants, or et coltan) dans l’est de son pays par ses voisins Rwanda et Uganda. En conséquence, le Rwanda a envahi l‘est du Congo à nouveau en 1998 avec l'intention de créer une zone tampon s’étendant sur des centaines de kilomètres de sa frontière avec la RDC, accompagné par l'installation d'un nouveau régime à Kinshasa, plus acquis à la cause rwandaise. Les alliés de l’Uganda et du Rwanda étaient notamment constitués par les forces rebelles des Banyamulengue (Tutsis) à l’est du pays. Toutefois, les forces opposées à Kabila n’ont pas abouti immédiatement, et le recrutement par l’armée congolaise de forces hutus et d’anciens génocidaires, ont rendu Kagame furieux. La rivalité croissante entre les deux leaders a attiré d’autres pays de la région et par conséquence prolongée de guerre. Angola, Namibie, Soudan, Libye, Tchad, et Zimbabwe ont donné support militaire au Congo tandis que l'Ouganda et le Burundi ont s’alignés au côté de Rwanda. La deuxième guerre du Congo fut finie en 2003 et été marqué par un grand nombre des victimes (qui reste encore inexact, mais estimé à plus de quatre millions) et par l’afflux de nouveaux groupes armés dans le conflit. Une mutinerie de la faction Tutsi dans la force ADFL (qu’a soutenu Kabila) a formé un nouveau mouvement, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par Rwanda et l’Uganda et a conquis rapidement un vaste territoire à l’est du pays. Face à cette instabilité croissance, Kinshasa a financé et donné un soutien militaire conséquent aux groupes armés dans les zones tenues par le RCD, nommant certains leaders Maï-Maï, comme officiers supérieurs de l'armée nationale. Kabila a aussi a également forgé des alliances avec des dissidents des FAR et des Interahamwe. En ce qui concerne la nature du conflit et des ces groupes, la transition la plus radicale fut perceptible dans la transition des milices « traditionnelles » (rurales et localement enracinées) qui sont ensuite devenues impliquées dans les complexes réseaux dirigés par des entreprises et les élites politiques. Ces activités ont été appuyées par le développement d'une économie de guerre, qui a prospéré par l’intermédiaire de taxation illégale, de contrebande et de racket.
  • 5. La deuxième guerre a laissé de grandes cicatrices dans la politique et la société congolaise, en raison de l’arrivée sur la scène de figures militaires fortes, qui sont devenu profondément impliquées dans l'administration locale, et par conséquent ont érodé les fragiles structures de l'autorité et de la cohésion sociale établies. Ces chefs militaires ont développé leurs propres moyens autonomes de revenus financiers (basées sur l’exploitation locale) et de soutiens à travers des liens avec Kinshasa, des groupes armés étrangers, et des réseaux commerciaux régionaux. 3 En Décembre 2002, les principaux belligérants de la deuxième guerre du Congo ont signé l'Accord global Inclusif, en visant le partage du pouvoir politique et militaire. Cet accord a été suivi d'une période de stabilité, marqué par les premières élections en 40 ans, une nouvelle constitution consacré aux droits des citoyens et garantissant une cohésion sociale. Néanmoins, en conséquence du renforcement des groupes rebelles dans l’est du pays et du pouvoir politique et militaire de plusieurs seigneurs de guerre, les résultats des élections ont été rejeté par les milices Hutues des Interahamwe, qui ont donc formé un nouveau mouvement des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). En réalité, les élections n’ont pas reflété le pouvoir de ces groups, puisque la plupart des milices n’ont pas conquis de sièges au parlement et ont donc refusé l’alternative démocratique. De même façon, groupes militaires tutsis ont été admis dans l’armée nationale de Kabila. Visant à protéger les tutsis du FDLR et refusant de rejoindre l’armée congolaise, le seigneur de guerre Tutsi, Laurent Nkunda (ex-RCD) a formé le nouveau groupe le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), avec le soutien de Goma et Kigali, qui voulaient protéger ses propres intérêts économiques et politiques dans les Kivus. L’échec du processus démocratique et du renforcement institutionnel a donné lieu à l'apparition de nouvelles forces rebelles (qui seront explorés ensuite) et à l’instabilité dans l’est de la RDC. En 2009, un accord de paix a été signé entre le gouvernement de la RDC et Rwanda, qui permettait aux forces rwandaises de rentrer sur le territoire congolais pour combattre les FDLR et ainsi neutraliser le général Nkunda. Les milices liées à Nkunda ont été incorporées par l’armée congolaise, qui elle seule n’était pas capable de neutraliser les nombreux défis de cette intégration et par conséquent est devenu encore plus instable. Ainsi, le M23 a été formé par les mutins de l’armée congolaise. Enfin, l’instabilité découle ensuite de l’incapacité du gouvernement à gérer les crises dans l’est du pays et par conséquence la transmission du pouvoir national vers les forces locales. Cette instabilité se base sur les seigneurs de guerres, qui ont leurs propres alliances parfois transfrontalières, et qui menacent la souveraineté de l’Etat congolais. La difficulté de mettre en place des institutions capables d’assurer les processus démocratiques est également devenu une opportunité de transgressions politiques et militaires commis par les voisins de la RDC (notamment le Rwanda). 3 STEARNS J., VERWEIJEN J., BAAZ M. E., 2013, “The national armyandarmedgroups inthe eastern Congo, Untanglingthe Gordian
knot of insecurity“,Rift ValleyInstitute
, PP. 6-87
  • 6. B) 1. Etude de la situation sécuritaire en RDC 1.1. La situation actuelle sur le terrain L’émergence des groupes rebelles a évolué malgré la signature de l’Accord Global Inclusif et l’établissement d’une nouvelle constitution en 2002, ces groupes sont devenus intrinsèquement liés à l’exploitation des ressources naturelles dans l’est du pays, et parfois soutenus par des forces militaires des pays voisins. Il y a aujourd’hui plus de 30 groupes actifs sur le terrain dans l’est de la RDC comme nous montre l’image 1 et selon des spécialistes c’est assez net que leur disposition dans cette zone change régulièrement, en fonction leurs interactions mutuelles. Nous allons alors explorer les événements les plus importants pour la compréhension de la situation actuelle sur le terrain.  La chute du M23 par l’action de la MONUSCO Le M23 (mouvement du 23 mars) est majoritairement composé par des ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) qui ont été réintégrés dans l'armée congolaise (FARDC) à la suite d'un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement congolais. Toutefois, face à l’échec du processus d’intégration et l’incapacité à gérer les anciens combattants au sein des forces nationales, ils se sont mutinés en 2012 et ont formé le M23. Selon un groupe d’experts de l’ONU le M23 a eu le soutien de Rwanda au niveau du recrutement, du renforcement des troupes, des livraisons de munitions et d'appui-feu. En 2013 le mandat de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), qui est sur le terrain depuis 2010, a changé pour faire face à l’instabilité croissante dans l’est de la RDC. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a autorisé pas sa résolution 2098 la MONUSCO à créer une « brigade d’intervention » (BI) spécialisée afin de neutraliser les groupes armés sur le terrain et alors réduire la menace qu’ils représentaient pour l’autorité de l’État et la sécurité des civils dans l’est du pays. L’armée congolaise et la BI ont lutté contre le M23 tout au long de l'année de 2013, et la fin du groupe est venue rapidement après l'échec des négociations en octobre à Kampala. Pendant la trêve des négociations, les deux parties ont renforcé leurs positions et se sont préparées pour la bataille qui suivrait. Finalement en novembre la FIB a bombardé Shanzu en utilisant des hélicoptères d'attaque alors que les forces congolaises maintenaient la pression en utilisant l'artillerie et des chars dans les villes de Shanzu et Runyoni. À la suite de cette bataille, certains combattants du M23 se sont rendus en RDC, et certains se sont retirés au Rwanda et la force du "général" Sultani Makenga a fui vers l'Ouganda. Néanmoins, bien que le M23 a déclaré la fin de sa rébellion le 5 novembre 2013, les experts de l’ONU affirment qui certains rebelles restent actifs et recrutent de nouveaux combattants dans le territoire du Rwanda.
  • 7.  Les forces d’insurrection qui restent actives sur le terrain et leur démobilisation La victoire des forces armées congolaises (soutenus par la Brigade d'Intervention de la MONUSCO) contre le M23, a envoyé un message fort aux autres groupes armés dans l'est de la RDC. Tandis que certains sont devenus plus agressifs, il y a en a d'autres qui ont développé des postures défensives en raison des craintes d'attaque par les FARDC et la BI. Néanmoins il y a encore plusieurs groupes armés sur le terrain, parmi lesquels les plus notables selon l’ONU sont le Défense Nduma du Congo (DNC),), le Kata Katanga, les Forces de résistance patriotiques en Ituri (FRPI), les Maï Maï, les Forces démocratiques alliées (FDA) et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Pour cette raison, la situation dans l’est de la RDC reste encore fragile et instable. En revanche, depuis la défaite du M23 certains groupes rebelles ont exprimé leur volonté de se rendre, à l'exception notable des FDA. Les groupes armés dans l’Est de la RDC en Octobre 2014 Source : Christoph Vogel’s blog, en ligne: http://christophvogel.net/mapping/
  • 8. Le 20 novembre 2013, le général commandant des FARDC Didier Etumba a lancé un appel à tous les groupes armés de se rendre et ce jusqu’au 30 novembre : environ 2 230 combattants de la Défense Nduma du Congo (DNC), l'APCLS (Alliance Pour un Congo libre et souverain), PARECO, Maï Maï Hilaire, Raia Mutomboki, et d'autres petits groupes Maï Maï se sont rendus aux FARDC dans le Nord-Kivu (à Beni, Bweramana et Kanyaruchinya) et le Sud-Kivu (Nyamunyunyi). Afin d’accueillir ces combattants démobilisés dans les forces armées congolaises, le gouvernement de la RDC a mis en place un nouveau programme de désarmement, démobilisation et de réinsertion (DDR), appelé DDR III. Le moment avait suscité de l’espoir sur la possibilité de mettre fin à un conflit qui a duré très longtemps et fait des nombreuses victimes ; pourtant, l’historique des programmes de DDR en RDC met en question l’efficacité du programme de DDR III et les résultats concrets de la démobilisation de ces groupes armés pour la stabilisation du pays. Autrement dit, les FARDC font face à plusieurs défis concernant l’existence de forces rebelles en son sein, et l’incorporation de nouveaux combattants rebelles peut mettre en péril la sécurité du pays. Cela étant dit, nous allons comprendre dans la dernière partie quels sont les enjeux concernant à la réforme sécuritaire des forces armées congolaises et comment les programmes de DDR pourraient répondre à la nécessité de stabiliser les FARDC. 2. Quelle réforme pour le secteur de sécurité en RDC ? Afin de bien comprendre comment les limites actuelles des FARDC peuvent poser des défis pour le processus de transition décrit ci-dessus, il faut premièrement explorer les origines de ces faiblesses avec la création des FARDC, ses conséquences au niveau l'incidence des violations les droits de l’Homme et finalement comment la reforme sécuritaire peut adresser ces questions afin de permettre que les nouveaux combattants démobilisés soient bien intégrés dans les forces armées ou dans la population civile. 2.1 La naissance du secteur de sécurité congolais L’accord de Pretoria (signé en 2002 par les principales parties de la deuxième guerre du Congo) assure la mise en place des mécanismes de transition vers la paix et plus spécifiquement ceux de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) du pays (Annexe V, Article 2a). L’accord a également établi le Conseil Supérieur de la Défense, qui est devenu responsable d’assister à l’établissement d'une armée nationale restructurée et intégrée, au désarmement des groupes armés, au retrait des troupes étrangères et d’élaborer une politique nationale de défense. Dans ce moment de transition politique à la suite du conflit, la création des forces armées congolaises (FARDC) en 2003 reflète l’importance de l’armée nationale pour le processus de transition, notamment pour assurer la paix encore fragile, mais également clé pour assurer le succès des initiatives d'intégration des anciens combattants rebelles dans les forces nationales. Ces initiatives sont donc complémentées par un premier programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) également connu comme brassage.
  • 9. Malgré le rôle stratégique que les FARDC devaient jouer dans le processus de transition, la loi de défense qui a établi les FARDC ne précise ni la taille, ni le cadre spécifique de ses opérations ou du fonctionnement de ses forces, se concentrant plutôt sur l'organisation et la structure de l’appareil de défense et sur la clarification des responsabilités attachées aux différents postes. En effet c’est très difficile de trouver des chiffres crédibles et exacts sur la taille ou la puissance des FARDC aujourd’hui, ce qui montre le manque de contrôle sur cette structure très large et problématique en termes de respect des droits de l’Homme. De plus, la stratégie de brassage, qui visait à intégrer les parties belligérantes en une seule armée nationale, est beaucoup critiquée pour sa mauvaise mise en place, et s’est montrée insoutenable en raison de l'absence d'un système fiable de paiement des salaires au sein des forces armées. Pas conséquence, les soldats impayés ou ceux qui agissent encore dans une logique milicienne institutionnalisée dans les FARDC, attaquent fréquemment la population locale pour l’extorquer. Finalement, l’histoire de la création des FARDC nous montre que les forces congolaises n’ont pas réussi dans leur rôle stratégique pour le processus de transition vers paix, notamment en ce qui concerne l’échec du processus de brassage (qui n’a pas empêché la formation de milices au sien des forces armées), et son incapacité à sécuriser le processus de transition, dès que les FARDC sont devenues elles-mêmes une source d’insécurité (selon un rapport publié par Oxfam en 2013, les FARDC sont perçues par population locale comme une des principales sources de insécurité et crainte). 2.2 Les FARDC  Les conséquences de la mauvaise structure des forces armées sur les droits de l’Homme Le discours sur les faiblesses des FARDC, ses conséquences sur la population locale, et la nécessité de mettre en place des mécanismes de RSS en RDC n’est pas nouveau. En 2009 par exemple, l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW) a révélé les chiffres concernant les actes de violences sexuelles dans l’est du pays, et affirme que les FARDC étaient l'un des principaux auteurs de ces violences sexuelles documentés au Congo dans la période de 2007 à 2009. Selon HRW, entre les mois de janvier et mai de 2009, 143 cas de viols commis par des soldats de l'armée nationale au Nord-Kivu ont été documentés, et l’échec des commandants des forces nationales à arrêter la violence sexuelle et à punir les responsables constituait un facteur aggravant de la situation sur le terrain (HRW 2009). L’exemple donné sur la 14e brigade illustre bien les limites du processus de brassage sur le terrain et les conséquences d’une mauvaise mise en place des mécanismes de sécurité. La brigade était composée par des anciens rebelles du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), des Maï Maï et des Forces Armées Congolaises (FAC). Après neuf mois de formation militaire et d'instruction sur le droit international humanitaire, y compris concernant la protection des civils (soutenus par l'Afrique du Sud et par la Croix-Rouge), la brigade a été envoyée en 2007 au front afin de combattre les forces du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) dans les Kivus. Faisant face à de nombreuses pertes militaires, les soldats de la 14e brigade ont fui le champ de bataille et selon les individus interviewés par HRW, ils ont commis des nombreuses atrocités sur leur route (HRW 2009, p.24).
  • 10. La reconstitution en 2008 de la brigade sous le commandement du colonel John Tshibangu, a été de nouveau marquée par des pillages, des violences à l’égard de la population civile et des conflits au sein même de la brigade, lorsque les clivages ethniques et régionaux dans le groupe ont devenues plus claires, résultant en animosités entre les combattants. La mauvaise administration des ressources a eu des conséquences négatives sur la population locale ; lorsqu’environ 4 500 soldats et leurs familles sont arrivés à Kabare, l’armée ne leur a fourni aucune disposition, nourriture, ou abri. Les soldats ont été responsables pour leur propre maintien, et par conséquence ils ont usurpé la population locale pour leurs besoins de base. Les soldats ont érigé des barricades afin d’extorquer les civils, qui étaient selon HRW détenus arbitrairement, torturés et tués. De plus, les actes de violence sexuelle contre les femmes et les filles ont énormément augmenté pendant cette période (HRW 2009, p.26). La 14e brigade nous montre clairement que l’instabilité interne dans les FARDC résulte en grande partie de l’échec du processus d’incorporation et de réinsertion des combattants dans les forces armées (brassage) et de l’incapacité des FARDC de soutenir les forces locales en logistique (en fournissant de la nourriture ou en assurant le paiement des soldats). De cette façon, c’est évident qu’une réforme du secteur de sécurité congolaise doit adresser l’efficacité du processus d’intégration des nouveaux combattants et également la disparité entre les ressources financières des forces armées congolaises et la croissance de son personnel (en conséquence de l’intégration des combattants rebelles). Il est clair que la question du respect des droits de l’Homme est clé pour la modification de la culture de violence qui existe dans l’est du pays, mais il sera certainement plus difficile de la changer sans réformer les structures militaires afin de garantir que les soldats des FARDC n’aient pas besoin d’extorquer les civils pour leur subsistance.  Le rôle du gouvernement L’abus de pouvoir de la part des forces armées congolaises ne se limite pas à l’est du pays où les groupes rebelles sont actifs; en 2012 la MONUSCO en partenariat avec le Haut- Commissariat des Nations Unis aux Droits des Hommes (HCDH) a publié un rapport sur les violations des droits de l’Homme commis par les FARDC dans la capitale (Kinshasa). Selon le rapport, pendant la période des élections entre le 26 Novembre et 25 Décembre 2011, le Bureau conjoint des droits de l'homme des Nations Unies a documenté l'arrestation d'au moins 265 civils, la plupart illégalement ou arbitrairement détenue principalement en raison de leur appartenance réelle ou supposée à un parti politique d'opposition. Dans la même occasion, au moins 33 personnes ont été tuées et au moins 83 ont été blessés par des membres des forces de défense et de sécurité nationales (HCDH et MONUSCO 2012). Les preuves recueillies par le HCDH prouvent l’existence d’une logique de violence contre la population civile du pays qui n’est pas limitée à la région des Kivus, puisque les forces de sécurité sont également abusives dans la capitale Kinshasa. Cela nous amène à un facteur important pour comprendre les enjeux des FARDC: la connivence ou parfois le soutien politique des élites à Kinshasa. En effet, le Secrétaire General de l’ONU a présenté au Conseil de Sécurité un rapport qui condamne l’inaction du gouvernement congolais par rapport aux abus sur la population civile, dont il précise que les violations des droits de l'Homme (y compris des viols en masse) ont été commis entre 2010 et 2011 par des hommes identifiés par les sources locales comme étant des soldats des FARDC. Le secrétaire a souligné qu’aucune action n'avait été prise par les autorités
  • 11. congolaises dans le cadre de cette affaire, et il a déploré le rejet à l'unanimité au Sénat congolais du projet de loi sur la création, l'organisation et le fonctionnement d’un tribunal spécialisé sur les droits de l'Homme en charge de la répression des crimes de génocide, des crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Malgré la volonté politique à Kinshasa, il semble que la réforme du secteur de la sécurité en RDC est la seule solution capable d’adresser les fragilités internes des FARDC et d’éliminer les chaînes de commandement parallèles qui ont survécu au sein des structures de sécurité congolaises même après le processus de brassage. Dans le contexte actuel de succès militaires dans l’est du pays, le gouvernement doit se poser la question sur la capacité des FARDC de gérer toutes seules la situation sur le terrain après le possible retrait de la MONUSCO dans quelques mois. Et parmi les nombreuses mesures et mécanismes de RSS, les programmes de DDR semblent être les plus efficaces, si effectivement bien mis en place. 2.3 La DDR et la RSS en RDC Selon la résolution 1522 du Conseil de Sécurité de l’ONU, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des anciens combattants joue un rôle central pour la réforme du secteur de sécurité de la RDC. Il semble selon le rapport que l'efficacité de la restructuration des forces nationales, la création d'une police nationale unifiée et l'intégration dans les forces armées d’anciens combattants rebelles sont des éléments clés pour le succès du processus de transition du pays. Dans le contexte de reconstruction post-conflit, souvent difficile à gérer, le DDR et la création d'une nouvelle armée sont présentés comment deux objectifs fondamentaux qui sont intimement liés les uns aux autres ; le DDR étant un projet essentiellement civil et la réforme de l'armée nationale étant une initiative militaire, il y a néanmoins un lien fondamental entre le succès des deux dans un contexte de création et de maintien des FARDC.  DDR I Actuellement, le processus de DDR en RDC impose que tous les combattants, soit ceux qui vont être recruté dans les forces armées ou ceux qui vont être réintégrés à la vie civile, doivent suivre les mêmes procédures de sensibilisation, de désarmement, d'identification et d'orientation. Cette stratégie envisage que les soldats des FARDC aient la même conscience sur les règles du vivre ensemble que les futurs civils. Il y a actuellement, deux processus de DDR en cours en RDC. Le premier concerne le désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réinstallation et la réintégration (DDRRR) des forces d’insurrection qui restent dans les Kivus mais qui n’ont pas des origines congolaises, comme les anciens Forces Armées Rwandaises (FAR), les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), les Forces démocratiques alliées (ADF), Lord’s Resistence Army (LRA), et le Front National de Libération - Burundi (FNL). Cela implique le rapatriement volontaire de ces forces par le programme soutenu par la MONUSCO et le gouvernement de la RDC.
  • 12.  DDR II Le deuxième processus s’agit du Processus National de DDR, une initiative qui fait partie de la RSS dont le but est de démobiliser, désarmer et réintégrer les signataires de l'Accord global et Inclusif et l'Acte Final du 2 Avril 2003. Comment la montre l’image 2, les membres des groupes rebelles ont la possibilité de choisir entre la réinsertion dans la communauté civile ou de joindre l’armée congolaise (suite à leur réussite dans l’entraînement militaire). Autrement dit, les groupes armés devront rester pendant cinq jours dans les centres où ils seront soumis à la sensibilisation, l'orientation et aux formalités d'enregistrement avant d'être autorisés à choisir entre l'intégration dans l'armée ou dans la communauté civile. Ceux qui ont choisi l'armée ont été envoyés aux centres de formation militaire ; ceux qui réussissent sont finalement intégrés dans les FARDC, et ceux qui ne réussissent pas sont envoyés aux programmes de démobilisation pour les futurs citoyens. Le programme de DDR en RDC Source: Amnesty International, 25 janvier 2007, N° d'index: AFR 62/001/2007, p. 3.
  • 13. Il est estimé que plus de 200 000 combattants des différents groupes ont été impliqués par cette initiative4. Néanmoins selon HRW, au cours des dernières années, les actes de violence sexuelle commis par des civils ont également augmenté possiblement en raison de l’échec de l'intégration des anciens combattants dans leurs communautés, conséquence des mesures de réhabilitation minimales et insuffisantes (HRW 2009, p.15). Les experts de l’ONU ont également déploré le retour au combat d’individus démobilisés, ce qui que montre parfois l’impossibilité d’assurer leur vie en société sans appui sur les économies locales (HRW 2009, p.23). 4.3.3 DDR III Pour cette raison, le programme actuel de DDR (III) essaye d'aller au-delà des approches de DDR traditionnelles pour assurer la réinsertion durable des combattants dans leurs communautés à travers des mesures de stabilisation socio-économiques de long terme, y compris des programmes d'emploi d'urgence et des approches de développement des communautés. En conclusion, le programme de DDR III semble être en mesure d’adresser une problématique clé pour le processus de réforme du secteur de sécurité en RDC, c’est à dire la démobilisation des anciens rebelles et leur incorporation dans la société civile à travers des mesures de stabilisation socio-économiques durables. Toutefois, le processus de réforme du secteur de sécurité ne peut être limité aux mesures qui adressent uniquement les FARDC, il faut également améliorer le système judiciaire et la police par exemple Avant de poursuivre notre analyse sur les conflits dans l’est de la RDC, intéressons-nous au cas très concret du groupe rebelle de la Lord’s Resistance Army (LRA) de Joseph Kony, qui est actif depuis le milieu des années 1980. Nous allons voir que ce groupe, non seulement a été actif dans l’est du Congo, mais qu’il a aussi des caractéristiques similaires à d’autres groupes armés déjà rencontrés. 4 Selon Henri Boshoff les chiffres estimés de soldats impliqués sont:FAC: 100 000; Le Rassemblement congolais don démocratie-Goma (RCD-G): 45 000; Le Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N): 10 000; Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani / Mouvement de libération (RCD-K / ML), 15 000; MLC: 30, 000; Mayi Mayi: 30 000 à 50 000; et les groupes armés de l'Ituri: 30 000 (Boshoff 2004, p.64).
  • 14. II) Quel potentiel insurrectionnel pour la LRA en 2015 ? La LRA est-elle encore en état de nuire ? Etude de son potentiel néfaste et de sa conflictualité possible dans le contexte actuel tendu de l’Afrique Centrale. La Lord’s Resistance Army est pour le moment dispersée sur quatre pays : la République Centrafricaine, le Sud-Soudan, la République Démocratique du Congo et dans une moindre mesure l’Ouganda – dont le mouvement est originaire. En effet, à l’origine la LRA était une milice dont la cause était de défendre l’ethnie Acholi contre le gouvernement ougandais du président Museveni, mais peu après, leurs tactiques brutales les ont rendus infréquentables. Depuis 2006, la LRA ne fait plus partie du paysage politique et sécuritaire ougandais, mais il continue de causer des ravages et le chaos à ses frontières. Il faut savoir que le Soudan d’Omar al Béchir a longtemps supporté et entraîné la LRA (même si depuis 2011 il le dénie) particulièrement dans les années 1990 afin de conduire une guerre par procuration contre l’Ouganda et les rebelles soudanais du sud à la fois. Beaucoup disent que la LRA est depuis devenu une force de mercenaires acquises à la cause du plus offrant. Situation fin 2013 : Source: The Internal Displacement Monitoring Center, 2013 En 2013, nous observions une claire baisse de son influence, avec une baisse des attaques et enlèvements, dans les zones d’opérations originelles du groupe armé. En effet, depuis sa création en 1986 (une des plus anciennes guerres d’insurrection africaine), le territoire où opère la LRA s’est déplacé régulièrement, opérant maintenant entre les frontières poreuses d’Afrique Centrale. Nous verrons en conclusion que ces chiffres annonçant une baisse de l’influence de la LRA dans la région sont à prendre avec précaution.
  • 15. Grâce aux opérations conjointement menées par les forces armées de l’Ouganda et de RDC, il y a eu beaucoup de défections de soldats de base dans les rangs de la LRA. Il reste donc les « officiers » et proches du leader, Joseph Kony. On estimait fin 2013 que la LRA disposait d’un peu plus de 200 combattants, majoritairement originaires d’Ouganda et plutôt chevronnés. Des actions ciblées menées surtout par les forces ougandaises ont éliminés plusieurs commandants dans la hiérarchie du groupe rebelle.5 Il est estimé cependant que le groupe a perdu environ un quart de sa capacité de combat à cause des défections dans ses rangs, des pertes en main d’œuvre importantes (échappées de prisonniers) et des opérations multilatérales menées par les pays où sévit la LRA. En effet, l’Union Africaine a créé une Force d’Intervention Régionale, l’UA RTF, en 2013 en réponse à la mobilisation internationale menée par l’ONG Save the Children qui avait eu un succès retentissant. Cependant, nous allons voir que la LRA reste active et opérationnelle dans l’est de la RCA, et aussi au Sud-Soudan, ces deux états connaissant depuis quelques années une instabilité politique et sécuritaire favorable à l’installation de groupes armés étrangers sur son territoire. L’organisation LRA Crisis Tracker, qui surveille les opérations du groupe armé, a reporté de nombreuses intrusions et raid commis par la LRA en RCA (région du sud-est autour de la ville de Obo) et au Sud-Soudan (région de Ezo). En RDC, dans le nord-est du pays autour des villes de Duru et Dungu, la LRA avait établi des lieux de refuge quasi permanents pour ses militants, et ces sites servaient aussi à opérer leur trafic d’ivoire et de contrebande. Ces régions frontalières tant de RDC que de RCA ont souvent été emprises de groupes d’insurrections, profitant de l’absence de l’état central, qui diversifient leurs activités par la contrebande et les trafics en tous genres. La LRA en particulier est connu pour ses réseaux de braconnage qui sévissent dans toute cette région, ayant installé ses propres réseaux depuis des années. Certains parcs nationaux de l’est de RDC sont infiltrés par des combattants de la LRA pour procédé à du braconnage illégal, ainsi revendant de l’ivoire ou autre denrée rares pour se financer. Le groupe utilise des collaborateurs pour son trafic de ressources illicites, opérants et négociants dans les principaux marchés de la région. Les forêts denses de cette région rendent difficile la localisation et l’identification de ses groupes armés. La LRA est en soit un groupe armé assez unique et résilient puisqu’il dispose de toute une gamme de stratégies de survie et de résistance depuis le milieu des années 2000, depuis qu’il a quitté le territoire ougandais. Principalement, le groupe parvient à se financer par une aide extérieure de certains fonctionnaires corrompus ; de leurs revenus issue de l’agriculture et des cultures qu’ils contrôlent ; et par le trafic d’ivoire et de minerais (or et diamants). Il faut savoir que l’une des spécificités de la LRA est qu’elle procède à des enlèvements massifs principalement afin de subvenir à ses besoins en main d’œuvre, pour cultiver les zones agricoles qu’elle contrôle ou bien pour s’en servir comme mercenaires. L’usage de drogue, les raids sur les villages, les mutilations, le viol et l’extorsion des familles de personnes enlevées est le mode opératoire terrifiant du groupe. La coopération multilatérale entre les Forces Armées de RDC (FARDC) et celles du Sud- Soudan a été un succès en 2013, quant au début de l’année des opérations menées conjointement ont détruits des camps de la LRA dans l’enclave de Kafia Kingi (LRA Crisis Tracker, 2013). 5 http://invisiblechildren.com/blog/2013/01/21/top-lra-commander-killed-new-details/
  • 16. En septembre de la même année, une opération militaire menée par ces mêmes pays, sous l’égide de l’UA RTF, a mis en déroute des forces de la LRA opérants autour du parc national de Garamba, là où ses opérations de braconnage sévissaient. L’offensive sud-soudanaise et congolaise fut soutenue par le renseignement et la logistique des forces américaines basées en Ouganda (AFRICOM). Ce fut un succès pour ce qui est de la RDC, puisqu’en 2013 les actes de violences de la LRA c’est-à-dire principalement les enlèvements et attaques, ont chuté fortement en RDC. Il faut tout de même rappeler que la LRA fut le groupe armé ayant causé le plus de victimes et d’enlèvements en RDC sur la période 2008-2010, avant une chute depuis 2011. De plus, avec la présence rappelée précédemment de dizaines de groupes armés insurrectionnels dans l’est congolais, il est très difficile pour les autorités et les ONG de mettre une « signature » sur tel ou tel acte de violence ou enlèvement. Tandis qu’en RCA, jusqu’à l’intervention française et de l’Union Africaine fin 2013 du moins, il y avait une connivence et complicité entre la LRA et les dirigeants du groupe armé de la Séléka, qui eux avait semé le trouble politique en RCA depuis début 2013 après avoir renversé le président François Bozizé. C’est assez curieux puisque la Séléka est composée majoritairement de musulmans, tandis que la LRA se présente comme une « milice chrétienne ». Par ailleurs, en novembre 2013, Joseph Kony avait rencontré le président Djotodia – mis en place par la Séléka – pour discuter du rôle de la LRA en Centrafrique et de ses besoins en ravitaillement.6 A présent, les deux groupes rebelles ont des relations compliquées, facilitant parfois les défections, même si ils ont en commun de combattre les troupes ougandaises. Jusqu’à la stabilisation de la RCA à l’été 2014, les troupes de l’UA RTF avait peu accès au territoire de la RCA, ce qui montre les problèmes juridiques concernant la mise en place de cette opération multilatérale dont le mandat et sa délimitation territoriale posent problème. En 2014, la LRA a commise 157 attaques sur le territoire centrafricain, a procédé à 432 enlèvements, tuant ainsi une trentaine d’individus ; cela représente 80% des attaques commises par la LRA sur toute l’année 2014 (UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, 2014). Malgré l’Opération Sangaris menée par la France et la mission des Nations Unies MINUSCA, la LRA reste une menace pour les communautés vulnérables de RCA. Au total, les enlèvements menés par le groupe sont en légère augmentation dans le pays, tandis que les attaques commises au Sud-Soudan et en RDC sont en diminution. Ainsi chaque pays est plus ou moins affecté et résistant face à l’armée de Kony. On estime à 145 000 le nombre de personnes déplacées dans les régions affectées par les actions de la LRA en RDC et RCA (UN, 2014). De plus, la mission de l’UA RTF a été rendu difficile depuis le début de la guerre civile au Sud- Soudan, basée sur des contentieux ethniques et économiques, mais aussi par l’instabilité de l’est centrafricain. On peut donc se demander quelle aurait été le niveau d’insurrection et d’attaques commises par la LRA en Centrafrique si la France et l’Union Africaine n’étaient pas intervenus. L’enclave de Kafia Kingi, située au Soudan mais frontalier du Sud-Soudan et du nord de la RCA, est connu pour avoir été lieu de refuge et de ravitaillement important pour la LRA. C’est donc une zone où les soldats de l’Union Africaine et les conseillers américains ne peuvent aller. Les ONG précisent que cette enclave connait aussi la majorité des enlèvements d’enfants auxquels à recours le groupe. D’après les ONG Enough Project et Invisible Children ainsi 6 http://www.theguardian.com/world/2013/nov/21/ugandan-warlord-joseph-kony-urged-surrender
  • 17. qu’avec l’aide du renseignement américain, il est fort probable que Joseph Kony se trouve dans cette enclave. Depuis la campagne Stop Kony 2012, il est vrai que la traque du leader de la LRA a mobilisé beaucoup d’efforts interrégionaux, malgré sa capacité de résilience et de mouvement permanent. Déplacements de Joseph Kony et de la LRA depuis 2005 : Sources : ONG LRA Crisis Tracker En résumé et d’après les dernières informations obtenues concernant l’évolution de la LRA tout récemment, nous pouvons affirmer les points suivants. En 2014, le total des attaques de la LRA a augmenté de 10% et les enlèvements de 32% en comparaison à 2013. Les tendances de violences de la LRA ont considérablement varié au niveau local. Les attaques et les enlèvements en 2014 ont augmenté de manière significative dans certaines zones, telles que l'ouest du district du Haut Uélé (RDC) et l'ouest de Mbomou (RCA), et ont considérablement diminué dans d'autres. La zone d’activité de la LRA s’est aussi précisée : en 2014, presque 80% des pillages se sont déroulés dans une zone allant de Mboki à Obo(RCA), en passant par Bangadi au Congo. La structure de commandement de la LRA est en plein bouleversement puisqu’elle a perdu une douzaine d’officiers supérieurs depuis 2012 (même si Kony les a remplacés depuis par ses jeunes lieutenants).
  • 18. III) Le rôle des minerais dans le financement des groupes rebelles 3.1 La contrebande lucrative des « minerais de sang » La République Démocratique du Congo est l’un des pays les plus pauvres du monde. Pourtant, sont territoire dispose de ressources naturelles inestimables qui, si exploitées convenablement et efficacement, pourrait faire du pays une économie émergente majeure en Afrique. Cependant, depuis plus d’une décennie, on assiste à un véritable pillage des ressources de l’est de la RDC. Les différents groupes armés précédemment cités ont pour la plupart joué un rôle dans le commerce des pierres rares ou des minerais des mines de l’est de la RDC. On parle de tungstène, d’étain, d’or et de coltan, tous minerais rares ou ayant une grande valeur pour les industries concernées. A cause de la grande profitabilité de ce trafic, les conflits en RDC ont pu jusqu’à maintenant s’autofinancer, grâce aux activités minières et commerçantes de certains groupes rebelles. On pourra donc se demander quelle est la capacité pour la MONUSCO, bien qu’étant la mission des Nations Unis la plus large et coûteuse, de faire face à cette économie parallèle qui paralyse les négociations de paix et les plans de pacification. Autrement dit, on peut se demander si l’efficacité de la coordination internationale, une fois que les efforts de la MONUSCO sur le terrain, s’attaque vraiment à la source financière de l’activité rebelle. Le financement de ces groupes armés par le commerce de ces minerais ne fait plus de doute. Cependant, ces grandes richesses naturelles du pays ne sont pas en soit la racine fondamentale du conflit, mais la compétition pour le commerce très lucratif de ces minerais a certainement incité les factions belligérantes à poursuivre la lutte armée. Le problème est que les métaux extraits des mines de l’est de la RDC sont utilisés dans la chaîne de fabrication globale des téléphones portables, des voitures, des avions et de la joaillerie. Il est donc très difficile d’établir une traçabilité de ces métaux transformés, et les consommateurs au bout de la ligne ne peuvent pas savoir si leurs produits ont été fabriqués avec des « minerais de sang ». Des organisations criminelles étatiques et non-étatiques diversifient leurs activités depuis le début des années 2000 dans le pillage de ressources. Il faut savoir que ces groupes armés ont récolté 185 millions de dollars en 2008 (seuls chiffres disponibles) de l’exploitation minière dans l’est congolais (Enough Project, 2009). Ces groupes, en plus d’utiliser des enfants soldats, font appel à de la main d’œuvre très jeune dans ces mines, à cause de la dangerosité et de la promiscuité du lieu de travail. Les viols en masse et la torture sont aussi utilisés comme arme majeure pour assurer une main d’œuvre dans les mines et une certaine coopération/collaboration des villages environnants.
  • 19. Quels sont ces minerais en question ? - Etain : le premier minerai en termes de source de revenus pour les groupes armés, la RDC étant le 6ème producteur mondial. Principalement utilisé pour les soudures dans l’électronique. Contribution à la hauteur de 115 millions de dollars en 2008. - Coltan : un des premiers producteurs mondiaux de coltan, ce fut le premier minerai qui fut sujet à préoccupation lorsque son prix a explosé en lien avec la hausse de la demande pour l’industrie de l’électronique. On le trouve dans les composants électroniques pour les voitures, les téléphones et les ordinateurs. Son exploitation a rapporté 12 millions de dollars en 2008. - Tungstène : 5ème producteur mondial, il est peu reconnaissable par les consommateurs car peu utilisé dans les produits ménagers. Contribution de 7.4 millions de dollars en 2008. - Or : c’est le plus petit minerai en volume échangé par les rebelles, mais le second en terme de contribution financière (50 million USD). Il est très facile à transporter et à dissimuler lors des échanges, 95% de la production d’or de l’est du Congo est vendu illégalement. Utilisé dans l’électronique, le matériel médical et l’aérospatial. Les groupes armés actifs dans l’exploitation minière : Source: Conrad Taylor, The curse of Congo’s mineral wealth, 2008
  • 20. Les groupes armés ainsi que les quelques acteurs étatiques étant engagés dans ce commerce de minerais illégal ont organisé un véritable réseau de trafic de minerais et de ressources naturelles en tout type (bois, récoltes agricoles etc.). Il y a 13 principales mines dans les régions de l’est du Congo (Kivus, Ituri, Maniema), mais on trouve également 200 sites miniers qui sont associés à ce trafic. 12 des 13 mines sont en réalité contrôlée par des groupes armés, et on estime que ces groupes, avec la participation de membres de l’armée nationale (FARDC), contrôlent environ 50% des 200 sites miniers. Les minerais sont transportés vers des cités commerçantes, puis vers les deux principales villes régionales que sont Bukavu et Goma. L’étain, le tungstène et coltan sont amenés en fonction des situations par des hommes à pied, ou par camions, ou parfois même à bord de petit avions. Enfin, les minerais sont traités et triés chez des négociants. Les compagnies d’export achètent les minerais de ces négociants et des transporteurs, puis elles travaillent les minerais avec des outils spécialisés, et enfin les revendent à des acheteurs étrangers. Goma est la première ville d’export devant Bukavu. Les minerais ensuite transitent par le Rwanda, l’Uganda et le Burundi, pour atteindre les ports de Mombassa ou Dar es Salam par exemple. Enfin, les entreprises transformant les produits finaux mélangent les minerais issus des zones de conflits de RDC avec les minerais extraits d’autre pays de manière légale. Jusqu’à l’année dernière, les principales entreprises utilisant ces minerais dans leur chaîne de fabrication furent Samsung, Apple, Nokia et Canon (ONG Raise Hope for Congo, 2014). Routes du trafic transfrontalier de minerais : Source: ONG Enough Project, novembre 2009
  • 21. 3.2) Les tentatives internationales de contrer ce trafic En 2009, la situation dans l’est du Congo étant plus instable que jamais auparavant, des efforts de la communauté internationale ont essayé d’adresser la question du commerce des minerais issus de zones de guerres. Il s’agit principalement d’exiger des entreprises se fournissant en métaux de RDC qu’elles fassent des évaluations de leur chaîne d’approvisionnement afin de faire en sorte qu’elles ne soutiennent pas des groupes armés s’étant investi dans le commerce de ces tels métaux. C’est une vérification préalable en amont de la chaîne. Cet engagement a été suivi depuis par l’Organisation pour la Coopération Economique et le Développement (OCDE) qui a institué en 2010 un « Guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsable en minerais provenant de zones de conflits ».7 Ce principe s’applique aux entreprises minières exploitant l’étain, le coltan, le tungstène et l’or. Depuis ce principe a été suivi par le Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui a émis les mêmes recommandations. Il s’agit du seul cadre international visant à enrayer l’exploitation de minerais issus de zones de conflits. Plus fondamentalement, nous retiendront le très marquant Dodd-Frank Act de juillet 2010 (Section 1502), qui émanait du Sénat américain, et qui pour la première fois exigeait aux compagnies américaines ou établies aux Etats Unis utilisant des minerais issus du Congo ou de sa région d’opérer leur devoir de diligence concernant leur approvisionnement. Elles doivent aussi évaluer si les minerais qu’elles importent de RDC ou de pays voisins, leur permettent de dire si ces minerais financent les conflits. Cette première loi contraignante fut historique, et suite à l’engagement personnel du président Obama sur la question, douze états africains, y compris le Rwanda, la République Centrafricaine et la RDC, ont depuis fait passer une législation exigeant aux entreprises d’effectuer une vérification de leur chaîne d’approvisionnement. Mais il faut noter qu’un grand nombre des entreprises étrangères ayant recours à ces « minerais de sang » sont en fait chinoises, car la Chine est le 1er fabricant mondial de téléphone, d’ordinateur et son marché automobile est en pleine expansion. Les minerais de RDC et de sa région se retrouvent donc dans les chaînes de fabrication chinoises. Sous la pression d’activistes et depuis les révélations marquantes d’ONG comme Global Witness en 2013, la Chambre de Commerce chinoise (CCCMC) a émis des recommandations pour les entreprises chinoises les incitant à agir en faveur de leur responsabilité sociale en tant que firme multinationale. Ces principes font également état d’une nécessaire diligence raisonnable. Plus récemment, le Parlement Européen doit voter sur un projet de loi similaire au Dodd-Frank Act américain, d’ici l’été. Près d’un quart des importations totales d’étain, de tungstène, d’or et d’autres métaux sont effectués par des entreprises européennes, et il y a pour le moment aucune législation contraignante qui les oblige à s’assurer de l’origine de leur minerai. Cependant, il y a aussi des obstacles et questions internes au secteur minier de RDC. Le Ministère des Mines a fait passer un décret en 2012 qui contraint toutes les entreprises de prospection minière ou de commerce de minerai, opérants en RDC, de satisfaire les exigences énoncées par l’OCDE concernant la diligence des approvisionnements. 7 http://www.oecd.org/fr/daf/inv/mne/GuideEdition2.pdf
  • 22. Malgré tous ces efforts et engagements internationaux et nationaux, la question du commerce des « minerais de sang » reste entière puisqu’il y a connivence entre les groupes sous-traitant l’exploitation de mines dans l’est de la RDC, et des membres des Forces Armés de la République Démocratique du Congo (FARDC). Des membres de l’armée nationale – parfois associé aux chefs des districts ou province – sont actifs dans l’excavation, les taxes et le transport de ces ressources lucratives (Global Witness Report on Conflict Minerals, 2014) Il a aussi été établi que les autorités de Kinshasa n’appliquent pas dans sa totalité le décret de 2012 obligeant une traçabilité de la chaîne d’approvisionnement des entreprises minières du pays, sur fond de corruption et de népotisme au sein du « clan Kabila ». Par ailleurs, le rôle de la Chine et de ses investissements dans la région reste ambigu puisque les autorités chinoises ont un double langage quant à l’application des normes d’exploitations des ressources naturelles, s’agissant du Soudan ou de la RDC. 3.3 Les limites de l’engagement international Depuis le Dodd-Frank Act de 2010, de grands groupes d’électronique comme Apple ou Intel ont aussi pris des engagements dans le même sens depuis, garantissant que matières qui ont servi à fabriquer leurs produits n’émanent pas de zones de conflits. Cependant, un groupe de 70 experts congolais et internationaux sur la question ont alerté la communauté internationale dans un communiqué sur les conséquences concrètes des de cette approche internationale pour la transparence des approvisionnements et l’établissement de règles contraignantes dans le secteur minier8. Selon eux, le mouvement pour cette transparence et pour plus de contrôle aurait au contraire favorisé la conflictualité de la région des Kivus – et débordant même les frontières. Quatre ans après la mise en application de la loi Dodd-Frank, seul une fraction des centaines de sites miniers de l’est du pays ont été concerné par les efforts de traçabilité et de certification d’exploitation. 9 En conséquence, la majorité des sites reste dans l’illégalité ou bien sont hors d’usage, avec des mineurs au chômage technique car la compagnie sous-traitant l’exploitation de la mine a cessé ses activités sous la contrainte des pressions de l’entreprise-mère, au nom de la diligence. Il y a malheureusement des conséquences néfastes à cette situation. Tout d’abord, certains des mineurs ayant perdu leur emploi ont rejoint des groupes armés - qui restent très actifs dans les zones riches en ressources – afin de retrouver un certain salaire, en l’absence d’offre alternative d’emplois. Ensuite, le marché noir des minerais s’est retrouvé renforcé dans la région dû au désengagement des entreprises minières « légales ». Des réseaux de rebelles organisés en véritables mafia ont depuis pris les commandes de ce marché noir, alors que la campagne pour plus de transparence visait à les éliminer avec ses nouvelles normes. Il s’agit donc d’un paradoxe tragique pour les habitants de l’est RDC. Ajouté à cela, lorsqu’un site minier doit être certifié par les autorités, cela peut prendre plusieurs mois entre le moment où le site est évalué et sa certification comme site libre de conflit (conflict free). Cette certification est également loin d’être fiable étant donné les dynamiques et la fluidité de mouvement des groupes armés (et de leur associés civils) autour des mines. Il y a en effet 8 https://ethuin.files.wordpress.com/2014/09/09092014-open-letter-final-and-list.pdf 9 http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2014/09/drc-conflict-minerals-movement-- 201491081725285533.html
  • 23. tout un réseau de complicités et de transactions plus ou moins opaques qui s’est établi dans les alentours de certains sites miniers de l’est RDC. Les critiques qui émanent de ce groupe d’experts visent le caractère trop « technique » de cette démarche qui veut régulariser le commerce de minerai dans l’optique de réduire la violence intrinsèque à cette région. Elles l’accusent de détourner le peu d’attention et de moyens financiers et humains qui sont attribué à trouver une solution politique violences qui secouent toute la région. Ce sont donc deux démarches qui s’opposent, traitant les conflits de RDC soit en amont soit en aval. Il y a en effet une opposition aux institutions ou acteurs qui affirment que la majorité des conflits qui touchent la RDC est liés au contrôle de ses ressources naturelles, question qui remonte à la colonisation belge de ces territoires. En face, il y en a qui affirme que les causes des conflits qui troublent la RDC depuis deux décennies émanent en réalité de problématiques liées aux conflits identitaires, ceux liés à l’appropriation des terres, et enfin plus politiques. D’après eux, il faudrait davantage impliquer les diverses parties prenantes de RDC, à tous les niveaux d’autorité, et il faudrait aussi agrandir l’objectif des politiques mises en place, afin d’assurer que les législations passées par les gouvernements nationaux respectifs soient appliqués de manière plus intégrée et mieux adaptées aux réalités locales.
  • 24. Considérations finales La réforme du secteur de sécurité doit être comprise par le gouvernement congolais comme une condition sine qua non pour la réussite de la lutte efficace contre les groupes armés de l’est du pays. L’historique des processus de brassage abordés dans la section 2 montre bien que combattre les groupes rebelles militairement n’est pas suffisant pour assurer la stabilité du pays. Indépendamment de la destination des individus mobilisés (soit la population locale, soit les FARDC), il est essentiel qu’ils soient prêts à respecter les règles de vivre ensemble et les droits de l’Homme. Au contraire, des situations comment celles vécues par la 14e brigade feront toujours partie de la réalité du pays et empêcheront l’établissement de la paix durable. Les processus de brassage et de DDR antérieurs ont également prouvé la nécessité d’appuyer les efforts de démobilisation avec des mesures économiques et de développement, et pour cette raison le processus de DDR III suscite de l’espor par rapport à l’efficacité de l’incorporation des anciens combattants rebelles. En effet, en considérant le contexte actuel de succès militaires contre le M23 et de lutte contre le FDLR, c’est probable que les individus qui combattent dans les groupes armés rebelles soient démobilisés par le programme de DDR III. Pour ces raisons, le moment est clé pour s’assurer que les erreurs du passé ne soient pas répétées, et que seulement la réforme du secteur de sécurité est capable d’assurer la mise en œuvre des mécanismes que permet la stabilisation des FARDC. Pourtant, l’exemple de la 14e brigade montre également que la démobilisation n’est pas toujours suffisante pour assurer la stabilisation du pays. Même après la chute des rebelles, les FARDC peuvent facilement devenir une source importante d’insécurité et une menace directe aux civils, particulièrement face au manque de ressources et l’incapacité des dirigeants des FARDC à gérer leurs forces. Si cette situation perdure, même les combattants démobilisés et sensibilisés aux droits de l’Homme et sur le règlement militaire, n’ont d’autre option que d’extorquer et usurper la population civile pour garantir leur survie. C’est pourquoi le gouvernement doit changer son comportement actuel et se responsabiliser par la réforme du secteur de la sécurité du pays, sinon malgré le succès de la lutte militaire contre les rebelles et l’actuel soutien de la communauté internationale, la mise en place sans succès d’un programme efficace de RSS amènerait les groupes rebelles ou les FARDC à constituer un facteur d’instabilité nationale ou une menace à la population congolaise.