Histoire des Arts - XIX° - Les artistes s'engagent contre la misère - Peinture naturaliste - Image de la veuve et des orphelins - La dénonciation de l'indifférence de la société envers ses indigents.
2. Une mère et ses enfants, misérables
● Une femme, sans âge, la tête couverte d’un
voile noir, regarde dans notre direction.
● A son sein pâle, un nourrisson tète, un
bonnet blanc recouvrant ses cheveux.
● Autour d’elle, trois autres enfants, abrutis de
fatigue, dorment et un quatrième assis
derrière, a le regard perdu dans le vague.
5. ● Blancheur du bonnet du nourrisson et
du sein allaitant... rappelé par le teint
rose et clair de l’enfant endormi...
... et noirceur du corps et du voile de
la mère, au visage gris et abattu.
Des contrastes...
6. ● Blancheur du mur, autour des corps, belles pierres de taille... Lumière qui vient
d’en haut - il est donc près midi et ces enfants dorment, signe de leur épuisement.
... et aspect terne, grisâtre, de la masse formée par le corps de la mère, prolongée
par les corps avachis, couleurs terre, de ses enfants autour d’elle, et ruelle
sombre qui tranche avec le mur, sur le bord gauche du tableau.
Des contrastes...
7. .. mais une palette restreinte, de tons
éteints, pour un « terne lumineux »
Seules
quelques
pointes de
rouge, dans
l’imprimé des
foulards qui
enserre l’aîné,
et couvre le
nourrisson...
8. Une composition équilibrée...
● Par l’équilibre de la composition, sa symétrie, et la proximité du mur
du fond, le peintre renforce l’idée d’une réalité implacable, qui ne
laisse aucune option...
9. Une référence à la peinture sacrée
● Ou la sculpture de la Piéta,
par Michel Ange :
● La composition pyramidale évoque les peintures sacrées de la
Vierge à l’Enfant, de Vinci ou Raphaël, par exemple :
10. Une trop hideuse piéta...
● L’image de cette femme, vieillie
prématurément par le dénuement et
l’angoisse, évoque la mère de Jésus le
réceptionnant à sa descente de la croix,
comme dans cette Piéta du Gréco, en
1575... (on remarque toujours la
composition pyramidale)
● Mais elle rappelle aussi le regard et le
geste de la « Vierge allaitant l’enfant »,
de Lucas Cranach l’Ancien, en 1515.
● Ici, le peintre semble dénoncer cette
société chrétienne, qui condamne ces
enfants, comme on a condamné Jésus,
mais sans même leur donner le temps
de vivre...
11. Des influences proches et lointaines
● D’origine espagnole et issu d’une famille de peintres renommés,
Fernand Pelez a été influencé par la peinture de Murillo, au siècle
d’or espagnol (XVII°). Ainsi, les teintes et la physionomie de l’enfant
rappellent le tableau « Le jeune mendiant », peint entre 1645 et 1650.
● En 1880, il rencontre le peintre naturaliste Jules Bastien Lepage, qui
lui ouvrira les yeux sur le peuple, dont il montre les rudes conditions
de vie : « Les foins », en 1877, « Le colporteur endormi » et « Pas
mèche » en 1882 ...
12. ... pour dénoncer la persistance de la
misère à travers les siècles...
● Jusqu’en 1880, Fernand Pelez peint des sujets historiques ou mythologiques académiques, et remporte alors un certain
succès. Mais il est bouleversé par sa rencontre avec le peintre naturaliste Jules Bastien Lepage (1848-1884), et s’engage
à son tour dans la peinture de portraits du peuple, montrant surtout la misère urbaine.
●
Il s’inspire de la peinture espagnole de Murillo, dont le jeune mendiant de 1650 semble vivre encore sous les loques de
l’enfant misérable peints par les deux naturalistes du XIX° siècle.
●
F. Pelez - XIX°J-.B. Lepage - XIX°Murillo - XVII°
13. Un contexte houleux :
la lutte pour les droits sociaux...
● 1808 : Loi sur le vagabondage et la mendicité, qui l’interdisent et les rendent
passibles d’emprisonnement, en ville comme à la campagne.
● 1849 : La jeune II° République, progressiste et soucieuse d’amenuiser la
misère du peuple, crée l’Assistance sociale, pour venir en aide aux plus
démunis.
● 1850 : Sous la présidence de Louis Napoléon Bonaparte, et pour affaiblir les
revendications prolétaires, une loi exclut du corps électoral les hommes sans
abri, chômeurs et toute personne qui ne vivrait pas depuis trois ans à la même
adresse. Elle exclut aussi du droit de vote toute personne qui aurait été arrêtée
pour manifestations ou réunions politiques interdites...
● 1874 : Loi encadrant le travail des enfants, l’interdisant dans les usines et
chantiers avant l’âge de douze ans, sauf si l’enfant va à l’école ; le limitant à
six heures pour les moins de douze ans et à douze heures pour les plus de
douze ; interdisant le travail de nuit avant seize ans...
● 1882 : Loi Jules Ferry qui rend l’enseignement primaire obligatoire, et laïc,
pour les enfants des deux sexes, de six à treize ans.
« Le petit marchand de
citrons » (1895-97)
F. Pelez – Musée des
Beaux-Arts de Chambéry
14. ● Cette femme, probablement veuve si l’on
en croit son fichu noir et ses vêtements
sombres, a donc été mise à la rue, alors
qu’elle a à sa charge cinq enfants...
● Son regard, qui semble de prime abord
perdu dans le vide, parait regarder le
spectateur et, non pas le supplier, mais
l’incriminer sur cet état de faits, et
l’indifférence de la société, non à son
endroit, mais à l’égard de ses enfants.
● Le regard et la bouche de son fils aîné,
eux aussi, portent une ombre inquiétante,
qui témoignent de son amertume face à
ce que l’on fait subir à sa mère et aux
siens, à l’humiliation qu’il ressent et au
chagrin qui le mine.
... L’autre titre du tableau :
« Les expulsés »
15. Les réactions du salon de 1886
● Un collectionneur renommé, Seymour de Ricci, désigne avec mépris l’art de Pélez
comme « de la peinture de concierge sensible ». Un autre critique, Paul Lambert,
insinue qu’il va chercher ses modèles à la morgue...
● Le Figaro y voit de la "sentimentalité" déplacée et écrit : " Pelez exhibe un enfant à ce point misérable qu'il en devient répugnant" ;
évoquait-il « Un martyr ou le marchand de violettes », de 1885, ou « Un gamin de Paris », de 1880, ou « Petit mendiant », de 1886 ?
16. Le mot du peintre ...
● Selon ses propres termes, il voulait « raconter les pauvres de Paris. »
● A un collectionneur qui le sollicite pour une commande, il répond : "Je ne suis pas le tapissier des
bourgeois ; un jour peut-être je peindrai la misère des riches, et ce sera terrible".
Les Saltimbanques - 1883