1. « Je suisdans unclasse de rien…»
C’est ce qu’a répondu un jeune, de Longueuil, à une enseignante qui lui demandait s’il faisait
partie d’une classe d’arts-études ou de profil sport. Propos déchirant, relaté par notre confrère
GuyBoivin,psychologue,alorsqu’il participaitàunateliersurlacompositiondesclassesdansnos
écoles, dans le cadre du « Rendez-vous CSQ de l’éducation 2016 ».
20 ans après les célèbres « États généraux sur l’éducation », le Rendez-vousCSQ de l’Éducation
de cette année a eu lieu les 15 et 16 mars derniers à Montréal. Sous le thème « Tout le monde
mérite une chance égale d’écrire son avenir », cet événement a rassemblé un grand nombre
d’acteurs du monde de l’éducation, des conférenciers d’origines diversestout comme des gens
de chez nous, reconnus pour leur capacité à prendre parole.
Le premiersoir,nousavonsnotamment entenduAnthonyM. Harmon, unenseignanttrèsmilitant
devenuprésidentde l’« Associationnationalepourl’avancementdesgensde couleur » (NAACP).
En ce moment, naître en milieu défavorisé à New-Yorksous les traits d’un garçon de couleur va
de pair avec 80% de chances de quitter l’école sans diplôme, sans compter celles d’aboutir en
prison (privées et lucratives) si ce n’est pire encore. Son message était néanmoins porteur
d’espoir. À découvrir:le conceptde « parentadvocacy » quiconsisteàoutillerlesparents, surtout
de milieudéfavorisé, afinqu’ilsse sententpluscompétentsàjouerunrôle plusimportantdansle
cheminement scolaire de leurs enfants.
Pas besoin d’aller bienloin pour constater que tous ne naissent pas avec des chances égalesde
réussir leurs études. Les clientèles fortement défavorisées, immigrantes et en difficulté
d’adaptationoud’apprentissage (EHDAA)constituantlamajeure partie deseffectifs de laCSDM.
Si on considère l’évolution des courants en éducation depuis les années 60, on constate que
depuis les années 2000, le modèle néo libéral dominant voit l’éducation comme quelque chose
qui se « marchandise » ou qui se « gestionne ».Le « nouveaumanagementpublic» impose des
résultats, des cibles (plans de réussites) et favorise la reddition de compte (conventions de
gestion). Lapression,déjàtrèsgrande surlesécolesenmilieudéfavorisé s’accentueencore avec
ces mesures de contrôle.
Il m’estapparude plusenplusclair,aufur età mesure duRendez-vousde l’Éducation,qu’undes
principaux problèmes que nous vivons au Québec actuellement est l’effritement de l’école
publique causée engrande partie parle conceptde concurrence en Éducation. Comme le disait
Claude Lessard, co-fondateur du « Centre de recherche interuniversitaire sur la profession
enseignante » (CRIFPE), « ce qui était au départ une manière de motiver les élèves est devenu
une dérive. »
Entre 1995 et 2012, les effectifs totaux en éducation au secteur public ont diminué de 16.5%
tandisque leseffectifsauprivé ontaugmenté de 20.5%. C’est39% desjeunesqui fréquententle
réseauscolaire privé dansla grande régionde Montréal.Quant aux « projetsparticuliers »,plus
ou moins officiels et déclarés parfois, on les estime à plus de 20% (17.1 % officiellement au
secondaire en2012-13). Anglaisintensif,Programme d’ÉducationInternationale,SportsouArts-
études, les élèves y sont sélectionnés plus souvent qu’autrement.
2. C’estdire combienla« classe de rien » ou si vouspréférezlaclasse ordinaire,n’aplusdésormais
d’ordinaire que le nom. D’autant plus qu’on y retrouve de plus en plus d’élèves en difficultés
graves que ce soit d’adaptation ou d’apprentissage. La diminution des classes spéciales est un
élémentdel’équation,maisaussi lahaussede prévalencedesélèvesprésentantcertainstroubles
par exemple,entre 2001 et 2014, hausse de 663% desTED, de 390% desdéficienceslangagières
et de 336% des troubles relevant de la psychopathologie.
Le Conseil Supérieur de l’éducation se penchera d’ailleurs sur l’inégalité des chances entre les
troisréseaux scolaires :privé (enrichi),publicàcaractère particulierouenrichi etpublicrégulier.
Cela sera à lire avec le plus grand intérêt.
Comme professionnels, nous avons à vivre au quotidien avec ces phénomènes. Cela ne nous
surprend guère.
Néanmoins, je dirais que la situation de l’inégalité des chances en éducation est encore plus
préoccupante que je ne le croyais. Le modèle Québécois a changé de modèle. En éducation,en
santé,et, de plusen plus,enmatière du commentvivre la vieillesse,onestdevantun modèle à
deux voire àtroisvitesses,unQuébec« cassé endeux» pourutiliserl’expressionde lapolitologue
Josée Legaux.
Biensûr,il yades pistesde solutionsquisurgissent, de partetd’autres.Etdesexpériencesvécues
dans certains milieux qui sont porteuses d’espoir.
Une des étapes les plus importantes reste de prendre conscience de ce qui se passe. Sans
s’«autrucher ».
En ce sens,dans unmonde où l’idéologie dominante se résume assezà« au plusfort la poche »,
le monde syndical, ses acteurs, ses événements, ses prises de parole constituent une force
importante, une voix qui s’élève en contrepoids.
J’ai beaucoup apprécié d’assister à cet événement.
Et je me réjouisdufaitquemacontributionmonétaireausyndicat,alimenteladéfensedumodèle
de l’École Québécoise publique à laquelle, nous aurons, vous et moi, après tout, consacré notre
vie au travail.
Dominique Gagné, CO