1. Le slogan fait long feu : concevoir un “développement durable” pour les générations
futures, certes, mais encore ? Penser global, agir local, facile à dire, mais comment faire ?
Entreprendre un agenda 21, une charte de développement durable, ou plus pragmatiquement
s’engager dans la réalisation d’éco-quartiers,favoriser les transports collectifs et la participation
des habitants,est-ce efficace ? Certains s’irritent de ce concept vide,de cette fausse/bonne idée,
à la mode et commode. De fait, le droit comme la politique ont intégré le terme dans leur voca-
bulaire,le militant et l’ingénieur y ont aussi recours,l’entreprise l’a vendu au marché...De quelles
ambiguïtés relève cette expression ? Analyse critique de Françoise Rouxel, urbaniste.
Le développement durable pour
renouveler l’action publique
La multiplicité des initiatives qu’inspire le développe-
ment durable n’a assurément pas dissipé l’ambiguïté de
sesorigines.Sonlieuet sadatedenaissance,d’abord,res-
tent imprécis,même si l’on cite volontiers le rapport du
Club de Rome, le rapport Brundtland et le Sommet de
Rio.Il n’y a pas de référentiel du développement durable
pouvant faireofficede tabledelaLoi.Safiliation,ensuite,
relève plutôt du cousinage,que ce soit du côté du déve-
loppement local, de l’éco-développement, de l’écologie
urbaine ou de la démocratie participative...
Il est cependant possible de lever quelques doutes : le
développement durable,c’est d’abordledéveloppement,
soit une dynamique,un processus conscient de change-
ment ; il bouscule la permanence des traditions en vue
d’améliorer les conditions de vie antérieures.Le dévelop-
pement durable, par sa critique de l’idéologie actuelle
d’un progrès utilitaire et tourné vers le profit, et insou-
tenable dans la longue durée,propose une évolution de
la société fondée sur l’être plutôt que sur l’avoir et le
paraître. Comme la démocratie ou la paix, cet idéal est
vulnérable et toujours à reconquérir.
Puisque l’objectif est de refonder le développement sur
un paradigme nouveau,il est évident que le développe-
ment durable ne peut ni ne doit se laisser enfermer dans
des déclinaisons qui seraient l’apanage d’un groupe ou
d’une école de pensée,d’un champ d’intervention ou de
compétence.
L’action environnementale n’est pas le développement
durable, pas plus que ne le sont l’économie solidaire ou
bien la prise en compte du long terme. Ces préoccupa-
tions sont logiquement liées au développement durable,
mais elles ne sauraient prétendre en être les moteurs,ni
même garantir qu’elles abondent dans son sens. Le
recours à la transversalité des approches sectorielles,
si macro soient-elles, provient de l’obsolescence de la
penséemécanisteenmatièrededéveloppement durable.
Maisrienn’est dit,oupresque,desanatureet desesfina-
lités. Sur le terrain, réduire la consommation d’eau
potable,favoriser la création d’entreprises dans les quar-
tiers marginalisés ou économiser le foncier peuvent rele-
ver d’objectifs de rentabilité comme de solidarité. Pré-
server des espaces naturels, favoriser les transports
collectifs,mobiliser les habitants peuvent s’inscrire dans
deux directions,l’une privilégiant des valeurs d’échange,
l’autre des valeurs d’usage.Ces orientations stratégiques
n’expriment pas en elles-mêmes des choix de société et
d’existence collective et individuelle. Mais elles ne sau-
raient non plus s’en affranchir,au risque de tomber dans
l’action pour l’action.
Ilmanquedoncunniveauessentielconstituédesenjeux,
des valeurs, du “pour quoi faire ?” qui lui serait intrin-
sèque. L’expression de ce référentiel ouvert ne saurait
advenir dans le carcan d’un modèle,ni s’accommoder du
plus petit dénominateur commun à des pratiques mul-
tiples.
Orienter l’action publique ?
En1997,leministèredel’Environnement et,indépendam-
ment, les services décentralisés du ministère de
l’Équipement se sont informés auprès de la Fédération
nationale des agences d’urbanisme,d’une part des avan-
cées en France du développement durable dans le cadre
de la production des documents d’urbanisme, d’autre
part de la prise en compte du développement durable
dans les diagnostics territoriaux.L’équipe que j’animais
a cherché en vain un référentiel de développement
durablestructurépouvant servirdefiltreàl’analyse.Cette
volonté d’établir unréférentielterritoriald’objectifs et de
moyens de développement durable nous a incités,dans
un deuxième temps, à inventer une méthodologie de
dossier
mai-juin 2006- N°348 / URBANISME / 39
2. Ledéveloppementdurablepourrenouvelerl’actionpublique
40 / URBANISME / mai-juin 2006-N°348
projet pouvant accueillircenouveauréférentielenamont
de toutedémarchedediagnostic territorial,puisde toute
politique publique,de sa conception à la réalisation et à
l’évaluation de ses effets.
Les expérimentations menées avec des collectivités
locales,desservicesdel’État et desétablissementspublics
ont révélélacapacitédeladémarcheàintroduirelechan-
gement, ainsi que le niveau d’exigence qu’elle requiert
pour s’affranchir du formatage culturel dans lequel s’ins-
crit d’ordinaire l’action publique.
En effet, l’apposition d’une nouvelle approche concep-
tuelle et méthodologique sur des logiques de penser et
de faire si familières qu’elles n’étaient plus à valider pro-
voqueleurré-explicitationet lareprisedeconsciencedes
fondements qui structurent la compréhension des phé-
nomènes, la conduite des politiques publiques, la ges-
tion des territoires.Elle démontre que la fragmentation
de la connaissance en champs thématiques,le totalita-
risme de l’argumentaire réduit à la statistique, la pré-
gnance de l’action négligeant l’expression des problé-
matiques, s’inscrivent dans un paradigme qui n’est ni
universel ni intemporel,donc relatif.
Mais le fonctionnalisme associé au rationalisme qui
imprègne la société française depuis un demi-siècle de
modernisation n’est pas désarmé.On le constate dans le
simple resserrement des services de l’État dans le cadre
de la décentralisation ou dans la répartition sectorielle
des délégations d’élus au sein des collectivités locales.
Paressence,unsystèmecomplexeévolueenpermanence,
et,s’il n’a plus de finalité,il se décompose jusqu’à dispa-
raître.Les témoignages des responsables territoriaux sur
les dysfonctionnements croissants de l’action publique,
les tentatives de régulation par le management territo-
rial, les difficultés à projeter un devenir pour les terri-
toires, les embarras de la démocratie locale traduisent
souvent un profond désarroi face au délitement de l’ac-
tion publique locale.Ils laissent pressentir que le renou-
vellement desoutilsnepermettrait aumieuxquedepro-
longer artificiellement l’existence du système, et les
attentes sont immenses – même réfrénées et ambiva-
lentes – en matière de reconquête du sens.
Redécouvrir le territoire
Le regard n’est jamais neutre. Il est empreint pour cha-
cun d’un référentiel propre,forgé à partir d’une histoire
spécifique, d’une culture, d’intentions à l’égard de l’ob-
jet ou du sujet observé et avec lequel s’établit une rela-
tion.La compréhension du territoire et de son évolution
dépend du prisme à travers lequel s’effectuent l’état des
lieux,la clarification des enjeux,le choix des orientations
et desactions,l’évaluationdespolitiquesmisesenœuvre.
Introduire le développement durable dans l’action
publique suppose la mobilisation d’un référentiel d’ob-
jectifs et de moyens auquel il devrait être associé tout
au long du processus,notamment lors du diagnostic de
territoire.
Ce diagnostic n’est pas la simple description d’une situa-
tion circonscrite à un périmètre donné. Il est la projec-
tion d’une grille de lecture, en l’occurrence thématique
(habitat, transport, environnement, économie...), sur le
territoire,lui-même divisé en zones,de l’analyse duquel
ne ressort qu’une image propre à reproduire les logiques
précédentes.
Reconnaître la subjectivité du diagnostic de territoire
– qu’il serait plus adéquat de qualifier d’évaluation ter-
ritoriale – n’est pas une faiblesse mais une force,à condi-
tionquesonélaborationpuissesereporterexplicitement
aux visées qui la structurent.Introduire ici le référentiel
dedéveloppement durablepourévaluerlasituationd’un
territoire met en évidence la marge de progression de
l’actionpubliqueencesens.Lerapprochement entrel’éva-
luation territorialeet l’évaluationdespolitiquespubliques
à travers le référentiel de développement durable est la
clé de voûte de la démarche.Et il rappelle utilement que
l’action publique ne vaut que par ses effets concrets sur
le terrain.
lFrançoise Rouxel
DIAGNOSTIC
Descriptif
TERRITORIAL
DÉBAT
Diagnostic partagé
Débat sur
LES ENJEUX
Urgences
Opportunités
ÉVALUATION
faible voire inexistante
pas de cahier des charges
COMMANDE POLITIQUE
F
RÉFÉRENTIEL
IMPLICITE
PAR APPROCHE
FONCTIONNELLE
ET THÉMATIQUE
ORIENTATIONS
ACTIONS
Liste
Urgences
Opportunités
Débat
Débat
Hiérarchisation
des priorités
ACTIONS
Estimation
financière
ORIENTATIONS en
Fonction des moyens
Enjeux issus du
Débat politique
ENJEUX
issus
du territoire
Stratégique
DIAGNOSTIC
TERRITORIAL
Cahier des charges
Commande
Politique
F
RÉFÉRENTIEL
TRANSVERSAL
DÉVELOPPEMENT
DURABLE
CONCEPTION de
L’ÉVALUATION
SUIVI et ÉVALUATION
1 Tableau de bord
2 Cohérence actions/stratégie
3 Impacts sur le territoire
D
Source : Françoise Rouxel, Traversières, 2002
www.rouxel.traversieres.fr
Démarche classique de projet
Démarche de projet renouvelée