La représentativité des personnes en situation de pauvreté au sein des partis politiques et dans la vie politique : quel est le sens de la représentativité dans des sociétés inégales ? - L. Bonelli [extrait]
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La représentativité des personnes en situation de pauvreté au sein des partis politiques et dans la vie politique : quel est le sens de la représentativité dans des sociétés inégales ? - L. Bonelli [extrait]
1. La représentativité des personnes en situation de pauvreté
au sein des partis politiques et dans la vie politique :
quel est le sens de la représentativité dans des sociétés inégales ?
Laurent Bonelli
L’humoriste français Coluche (1944-1986) aimait à répéter dans ses spectacles : « Pour moi, un
chômeur qui vote c’est comme un crocodile en visite dans une maroquinerie ». Il reflétait, sur un
mode comique, une réalité contemporaine de la plupart des démocraties libérales
européennes : les personnes durablement exclues du marché de l’emploi, tout comme les
précaires ne votent guère.
Interroger le rapport des personnes en situation de pauvreté à la politique suppose de poser
deux séries de questions distinctes : celles du rapport au suffrage et celle des mobilisations
politiques à proprement parler, que ce soit par le militantisme dans des partis politiques, dans
des organisations spécifiques ou par l’action collective.
1. Les personnes en situation de pauvreté et le vote
Contrairement à la mythologie démocratique de « un homme, une voix », il existe de puissants
déterminants sociaux au vote. Les trois cycles d’enquêtes « participation électorale » de 1986-
1989, 1995-1998 et 2002, menés en France par l’INSEE font apparaître les facteurs structurels
de l’abstention : les probabilités maximales concernent des personnes sans ou à faible
diplômes, occupant des positions d’ouvriers ou d’employés, ayant des contrats temporaires ou
étant au chômage1. La part d’abstentionnistes « systématiques » est ainsi de 20% pour les
personnes sans aucun diplôme, contre 5% pour celles qui sont passées par un second ou
troisième cycle universitaire, ou une grande école.
Cette auto-exclusion du jeu électoral repose sur des mécanismes aujourd’hui mieux connus de
la sociologie politique. L’investissement dans ce qui touche à la politique dépend d’abord de
l’autorité que chacun se reconnaît pour agir dans ce domaine. Cette compétence politique
repose à la fois sur la capacité à comprendre et à reproduire le discours politique (garantie
notamment par le titre scolaire) et sur le sentiment (socialement autorisé et encouragé) d’être
1
A partir de la comparaison – autorisée par la CNIL – entre le fichier population et les fichiers électoraux (ou
les enquêteurs sont allés vérifier les listes d’émargement), ces enquêtes portent sur 38500 personnes
inscrites dans 2600 communes de métropole. Elles permettent de mesurer objectivement les relations entre
l’abstention, et les attributs sociodémographiques (âge, niveau d’instruction, PCS, statut d’activité, etc.), en
assurant un suivi dans le temps. Elles ont été partiellement exploitées dans Héran F., « Les intermittences du
vote. Un bilan de la participation de 1995 à 1997 », INSEE Première n°546, septembre 1997 ; Clanché F., « La
participation électorale au printemps 2002 », INSEE Première n°877, janvier 2003 et Héran F., « Voter
toujours, parfois… ou jamais », in Cautrès B. et Mayer N. (dir.) Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21
avril, Paris, Presses de Sciences-Po, 2004.
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2. fondé à s’occuper de politique, d’être autorisé à parler politique, d’avoir autorité pour parler
politiquement des choses politiques, en mettant en œuvre des principes de classement et
d’analyse explicitement politiques, au lieu de répondre au coup par coup, à partir de principes
éthiques2 . A l’inverse, le sentiment d’incompétence politique se traduit par le retrait, qui
s’enregistre via l’abstention, la non-inscription sur les listes électorales, et de manière plus
générale par le désintérêt pour le sujet.
[...]
2
Voir notamment Bourdieu P., La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, éditions de Minuit, 1979 et
Gaxie D., Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris Seuil, 1991 [1978].
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