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TOUS GEOGRAPHES ?
Quel enseignement de la géographie dans un
monde tout-numérique.
Mémoire de master 2 MEEF – 2016-2017 – Sophie TAN
Soutenu le 3 mai 2017
Mémoire de Master 2
Métiers de l’Education, de l’Enseignement et de la Formation
Réalisé sous la direction d’Henri Desbois
Université Paris-Nanterre
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 1
REMERCIEMENTS
Pour commencer, je tiens à remercier chaleureusement M. Henri Desbois, professeur
à l’Université Paris-Nanterre et directeur du présent mémoire, pour ses conseils et ses
visites bienveillantes. Son expérience et ses suggestions ont nourri ma (toute jeune !)
pratique enseignante.
Je voudrais également remercier Mme Sonia Lehman-Frisch, co-responsable du
Master MEEF 2nd degré à Paris-Nanterre pour sa présence et son soutien au cours de
ces trois dernières années, de la préparation du concours du CAPES, jusqu’à la fin de
ces années de stage, en passant par les péripéties liées à mon congé de maternité !
Mme Lehman-Frisch et M. Desbois ont été parmi les enseignants à l’origine de ma
découverte de la géographie. Si aujourd’hui je me suis prise d’affection pour cette
matière, c’est grâce à eux et je les en remercie aussi pour cela.
Il ne saurait être question d’oublier ici nos formateurs académiques, Yoram Azerad et
Jean-François Asselin. Toujours de bons conseils et à l’écoute des jeunes
professeurs stressés que nous étions (et sommes toujours ?), je suis heureuse d’avoir
eu l’occasion d’apprendre mon métier avec eux.
Une pensée amicale accompagne également mon tuteur académique Philippe
Schiesser, professeur d’histoire-géographie au collège Emile Zola de Suresnes et
éminent spécialiste de numismatique médiévale. Ses conseils avisés et son approche
pleine d’humour m’aident chaque jour à devenir une meilleure enseignante. Merci à
lui !
Je voudrais aussi remercier spécifiquement mon collègue d’histoire-géographie,
Frank Fonsa avec qui j’ai le plaisir de co-enseigner au collège Emile Zola plusieurs
heures par semaine lors de l’accompagnement personnalisé. J’ai beaucoup appris à
son contact !
Un très grand merci également à toute l’équipe pédagogique du collège Emile Zola
de Suresnes où j’ai eu la chance d’enseigner cette année, sous la direction
bienveillante et chaleureuse de Mmes Francine Garnier et Hayette Ounadjela.
Alexandre, Vincent, Evelyne, Julie, Jordan, Fanny, Marielle, Mickaël, Clément, Lionel,
Aurélie ... Ils sont trop nombreux pour être tous cités mais ils se reconnaitront ! Vos
conseils et vos remarques ont aussi permis l’existence de ce mémoire et mes progrès
comme enseignante. (Ainsi que le chocolat et les chouquettes bien évidemment...)
Enfin, mes derniers remerciements vont à mon cher mari Young Sun Tan, ingénieur
en informatique. Il est la première de mes personnes-ressources et outre ses conseils
avisés, il est toujours disponible pour s’occuper de notre fils Maxime afin que je puisse
travailler ! Merci aussi à mes parents, Elisabeth et Dominique, pour tout.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 3
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS .............................................................................................. 1
SOMMAIRE .......................................................................................................... 3
AVANT-PROPOS ................................................................................................. 5
INTRODUCTION .................................................................................................. 7
I. LES MUTATIONS DE LA GEOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DANS LE
MONDE NUMERIQUE........................................................................................ 11
1) Un renouvellement des pratiques scientifiques... ..................................... 12
2) Qui entraine l’apparition de nouveaux champs de recherche disciplinaire14
a) La géomatique et les SIG ..................................................................... 14
b) Le géoweb............................................................................................ 17
3) Et transforme des amateurs en géographes. ........................................... 19
II. ENSEIGNER LA GEOGRAPHIE AU XXIEME SIECLE................................ 23
1) La géographie scolaire : en crise perpétuelle ?........................................ 23
a) Bref panorama historique ..................................................................... 23
b) Tout est toujours une question d’image................................................ 26
2) Les enjeux de l’enseignement de la géographie ...................................... 28
a) Affirmer la dimension militante de la géographie .................................. 28
b) (In)former les professeurs..................................................................... 29
c) Communiquer différemment autour de la géographie .......................... 30
3) Enseigner une géographie numérique ? .................................................. 31
a) Les TIC, nouvelle boite à outils du professeur de géographie ?........... 31
b) Une solution pour sortir définitivement de(s) crise(s) ?......................... 34
III. DES ELEVES EN CLASSE DE GEOGRAPHIE NUMERIQUE ................. 37
1) Jouer en géographie ................................................................................ 37
2) Manipuler un SIG en salle de classe........................................................ 44
3) Faire le tour du monde ............................................................................. 47
CONCLUSION.................................................................................................... 51
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 53
TABLE DES ILLUSTRATIONS ........................................................................... 57
ANNEXES........................................................................................................... 59
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 5
La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c'est ce que
le fils enseigne à son papa.
Michel Serres (Philosophe)
AVANT-PROPOS
Il m’a semblé important en terminant d’écrire ce mémoire, d’y adjoindre un
rapide avant-propos. En effet, ce travail est l’aboutissement des trois années de
formation que j’ai entreprises pour devenir professeur d’histoire-géographie.
Il est vrai que c’est la préparation du CAPES en 2014-2015 qui m’a amenée
à la géographie. Enseigner n’était pas la voie que j’avais initialement choisie. Ayant
fait mes études à l’Ecole du Louvre en histoire de l’Art et médiation culturelle, puis à
l’ISCOM en communication, j’ai tout d’abord travaillé plusieurs années dans le secteur
privé, comme chargée de communication culturelle, notamment sur des projets
européens. C’est ma volonté de changer d’orientation professionnelle qui m’a
conduite sur les bancs de l’Université Paris-Nanterre, où j’ai assisté pour la
première fois à un véritable cours de géographie. Ce fut une découverte !
Le choix d’un mémoire de master 2 en géographie m’a donc paru évident,
à la condition de pouvoir y mêler mon expérience professionnelle passée et mon
intérêt de longue date pour les technologies numériques. J’avais, en effet, déjà
écrit deux précédents mémoires sur l’importance des technologies et des réseaux
sociaux dans le secteur culturel (voir bibliographie) et longuement travaillé avec
ces outils au quotidien.
Il m’a, de plus, semblé logique de placer ce travail à la suite d’une citation
de Michel Serres dont les écrits ont profondément contribué à former ma pensée
sur l’intérêt pédagogique des technologies numériques. J’ai évidemment ici abordé
les choses avec mon parcours et ma formation dans la communication. Je ne suis
ni géographe, ni véritablement historienne, mais j’espère avoir pu apporter un point
de vue intéressant sur les questionnements didactiques et épistémologiques que
posent l’utilisation des technologies numériques dans l’enseignement de la
géographie.
Enfin, il faut dire qu’à l’heure où j’écris ces quelques lignes, nous venons de
passer le premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Je ne vais pas revenir
sur la campagne électorale qui vient d’avoir lieu, ni commenter les résultats qui
sont advenus. Mais il est évident que ce contexte a joué dans la rédaction de ce
travail. Mon positionnement sur l’importance du rôle civique de la géographie, et
en particulier de la géographie numérique, et mes choix d’insister sur cette
question ne sont donc pas anodins dans ce contexte.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 7
INTRODUCTION
L’inscription, en août 2016, dans le Code du Travail français d’un « droit à
la déconnexion »1 met en lumière une habitude prise par les salariés français et
leurs employeurs : celle d’être constamment relié à leur travail par le biais des
technologies numériques et notamment d’Internet. Les historiens du futur
retiendront peut-être cette date comme celle à partir de laquelle Internet a fini par
faire tellement partie de la vie des gens que le législateur a rendu la question
obligatoire lors des négociations salariales. Quoi qu’il en soit, en 2017, plus
personne ne contestera l’importance prise par Internet et plus généralement par
les technologies de l’information et la communication (TIC) dans la vie quotidienne
des citoyens des pays développés et mondialisés.
En effet, chaque jour, en France, 74% de nos concitoyens accèdent à
Internet. Le chiffre monte à 95% si l’on prend la tranche d’âge des 18-24 ans. 100%
des 12-39 ans sont internautes, soit donc la quasi-totalité des collégiens et des
lycéens français. On passe en moyenne 18 heures par semaine sur Internet dont
58 min par jour, rien que sur l’Internet mobile2.
Il est également intéressant de noter que la même enquête mentionne 42%
de Français utilisant leur téléphone pour rechercher un commerce local via la
géolocalisation. Ainsi une part importante de la population emploie régulièrement
une application cartographique pour s’orienter dans l’espace. Que ce soit avec un
GPS (intégré ou non dans un véhicule), en utilisant les fonctionnalités d’un
smartphone ou grâce à un service de géolocalisation, les Français sont donc
amenés à faire régulièrement de la « géographie numérique ».
A tel point que l’on peut dire aujourd’hui sans exagérer que la carte
numérique fait partie du quotidien des Français. Pour citer Henry Bakis et Jérémie
Valentin (BAKIS & VALENTIN, 2010) : « A l’heure de la généralisation des
Technologies d’Information et de Communication, tout le monde fait de la
géographie comme M. Jourdain faisait de la prose. » Ainsi, concevant des cartes
1 La loi du 8 août 2016 a modifié le Code du Travail pour introduire notamment le point n°7 dans
l’article L2242-8 concernant les sujets pouvant faire l’objet de négociation annuelle entre salariés
et employeurs : « Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la
mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en
vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et
familiale. » Voir Legifrance.gouv.fr : https://goo.gl/nHkr2V (07/04/2017)
2 Chiffres du CREDOC « Baromètre du numérique » 2016, consultables sur
http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-internet/ et sur http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R333.pdf
(07/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 8
avec MyMaps3 et circulant avec Waze4, nous serions tous des géographes,
non pas en puissance, mais à part entière, quelle que soit notre formation, notre
lieu de vie ou encore notre conception de l’espace.
Partant de ces constats, le présent travail a pour objet de réfléchir à la place
et à la forme de l’enseignement de la géographie dans un contexte où les outils
numériques, et surtout les outils numériques géographiques, sont omniprésents,
utilisés et utilisables par tous.
Matière souvent mal aimée des élèves et de leurs enseignants, qui sont à
90% des historiens (LE ROUX, 2001), la géographie n’occupe, d’après les rapports
d’inspection, qu’un tiers du volume horaire enseigné, au lieu des 50%
théoriquement attendus (SIERRA, GRATALOUP, & GARCIA, Les relations entre
géographes et historiens : enseignement, didactique, épistémologie, recherche,
2012). Quoi de plus étonnant quand on entend parfois de la bouche de professeurs
expérimentés le conseil suivant : « oh bah si tu n’arrives pas à boucler le
programme, tu fais comme nous, tu zappes le dernier chapitre de géo... » La
question a donc un mérite légitime à être posée, cet enseignement présente-t-il
toujours un intérêt au XXIème siècle ? Sa suppression a été envisagée en Italie en
1998 (PUMAIN, 1998) et le débat existe aussi en France depuis de nombreuses
années (LE ROUX, 1999). La matière a même été supprimée (avec l’histoire) des
programmes de Terminale Scientifique entre 2010 et 2014.
Aujourd’hui, les TIC, et en particulier celles dont la dimension participative
est forte, montrent que les échanges entre utilisateurs favorisent un apprentissage
par les pairs au sein de communautés importantes. Quelle est, alors, la place du
professeur de géographie devant ce « triomphe évident de l’informatique et des
méthodes numériques, non seulement comme outils mais aussi comme modèles
dominants de l’organisation sociale et l’activité intellectuelle » (DESBOIS, 2008) ?
Est-il encore utile de savoir placer un fleuve sur une carte du monde lorsque
cette information est disponible en deux clics sur mon smartphone ? Mon
professeur est-il forcément plus légitime qu’un internaute lambda pour
m’apprendre à concevoir une carte ? La géographie que nous, professeurs,
enseignons, est-elle (doit-elle être ?) la même qu’il y a un siècle ?
A l’heure où chaque individu peut littéralement tenir le monde dans sa
poche, nous verrons pourtant que l’enseignement de la géographie a plus que
jamais un intérêt majeur dans la formation des citoyens de demain.
3 MyMaps est le service de création de cartes personnalisées de Google.
Voir : https://www.google.com/maps/about/mymaps/ (07/04/2017)
4 « Waze est l'application de trafic et de navigation communautaire ayant la plus grande
communauté dans le monde. » Voir : https://www.waze.com/fr/ (07/04/2017). Elle a été rachetée
par Google en 2014.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 9
Nous analyserons tout d’abord les bouleversements apportés par les TIC aux
géographes professionnels. Nous verrons qu’au-delà des facilités proposées par
les outils numériques à toutes les sciences, et du développement de nouveaux
champs de recherche, c’est bien la question de l’irruption des amateurs qui est
aujourd’hui au cœur des questionnements scientifiques et épistémologiques de la
discipline.
Puis nous verrons plus précisément comment enseigner la géographie dans
ce monde tout-numérique. La géographie scolaire semble en effet en crise
perpétuelle depuis son introduction dans les programme du secondaire. Est-ce
réellement une matière en danger de disparition ? Contrairement à ce qui est
souvent cru, la géographie a un véritable rôle social, au même titre que l’histoire.
Nous verrons quelle place lui (re)donner dans l’enseignement contemporain.
Enfin, la dernière partie de ce mémoire sera consacrée à l’apport du
numérique du point de vue des élèves. Nous présenterons plusieurs expériences
d’utilisations d’outils géographiques numériques, menées en classe avec des
élèves de collège. Les outils numériques, réputés faciles à prendre en main pour
les élèves, le sont-ils vraiment ? Permettent-ils une meilleure compréhension de
phénomènes géographiques complexes ? Génèrent-ils plus d’attractivité pour la
géographie ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser ici.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 11
I. LES MUTATIONS DE LA GEOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DANS
LE MONDE NUMERIQUE
S’il n’est évidemment pas question de réécrire ici l’histoire des technologies
numériques et d’Internet, on peut cependant donner quelques éléments de
chronologie pour resituer un peu le propos.
Comme souvent avec les avancées technologiques, c’est l’armée qui est à
l’origine du développement d’outils servant avant tout ses propres intérêts. Ainsi la
Guerre Froide a vu l’apparition des satellites de détection utilisés pour
cartographier le territoire ennemi et obtenir du renseignement. Ce n’est cependant
qu’à partir des années 1970 que les premiers satellites civils d’observation de la
Terre ont été mis en service (ERTS - Landsat 1 en 1972) (DESBOIS, 2015),
permettant ainsi d’avoir les premières images satellite utilisables par des
chercheurs universitaires. Quelques années plus tard, en 1977, les premiers
micro-ordinateurs « grand public » firent leur apparition5. Bien que l’on puisse
concrètement faire remonter aux années 1960 l’apparition des premiers
ordinateurs à usage professionnel ou scientifique, c’est véritablement à partir de la
fin des années 1970 et surtout durant les deux décennies 1980-2000 que
l’informatique s’est véritablement démocratisée et diffusée dans le monde. Ces
nouveaux outils ont alors permis aux scientifiques de traiter plus massivement les
données issues de leurs travaux.
Internet, quant à lui, prend sa source dans la création du réseau Arpanet aux
Etats-Unis. Présenté pour la première fois publiquement lors de la première
conférence internationale sur les communications informatiques (ICCC) en 19726,
le réseau ne s’est véritablement popularisé qu’à partir des années 1990, avec
l’invention par Tim Berners-Lee de son service le plus connu : le World Wide Web7,
avec lequel Internet est souvent confondu. Tim Berners-Lee est chercheur au
CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) à Genève, lorsqu'il
invente, en 1989, le système hypertexte organisé en toile. Il propose en effet
d'utiliser Internet pour organiser les informations du réseau interne du CERN sous
forme de toile d'araignée. Chaque information constituerait un nœud et chaque fil
constituerait un hyperlien permettant de relier ces informations entre-elles, de
manière extrêmement rapide et efficace. Le but était alors « que des scientifiques
travaillant dans les universités et les instituts du monde entier puissent s'échanger
5 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordinateur_personnel (10/04/2017)
6 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/ARPANET (10/04/2017)
7 « Le World Wide Web [...] est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet. Le Web
permet de consulter, avec un navigateur, des pages accessibles sur des sites. L’image de la toile
d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles. »
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/World_Wide_Web (10/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 12
des informations instantanément »8 Le tout premier site web de l'histoire proposait
des informations techniques sur ce projet. (TAN-EHRHARDT, 2010)
Ainsi, il est intéressant de remarquer que c’est pour faciliter le travail des
chercheurs du monde entier que ce service a été créé initialement. Il avait comme
but premier de permettre la diffusion de la connaissance et du travail scientifique
le plus rapidement possible.
1) Un renouvellement des pratiques scientifiques...
Aujourd’hui, presque 30 ans plus tard, on peut considérer que le web a
atteint et même dépassé les espérances de son créateur. Fortement démocratisé
à partir des années 1995-2000, le web a permis un profond renouvellement des
pratiques scientifiques. En effet, on ne compte plus aujourd’hui, les plateformes de
diffusion d’articles scientifiques (on peut citer par exemple : CAIRN, OpenEdition,
ou l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL9), ni même les blogs et autres sites
personnels de chercheurs. Ils sont la réponse à l’une des critiques très rapidement
émise à l’encontre du web et formalisé pour le compte des historiens par Philippe
Rygiel : « L’un des commentaires les plus fréquents faits par les étudiants, ou les
historiens, utilisant Internet est en effet que le réseau regorge sans doute
d’informations mais qu’elles sont fort difficiles à trouver et que leur fiabilité est
sujette à caution. La structure du réseau l’explique en partie : aucune autorité
centrale ne contrôlant ni ne classant les documents accessibles depuis celui-ci, le
réseau ressemble de ce fait physiquement à une gigantesque collection de
greniers, parfois rarement nettoyés, en lesquels de multiples individus déposent
des documents de toute nature » (RYGIEL, 2004). Le développement des moteurs
de recherche comme celui de Google ont permis de remédier au problème de
l’indexation et les plateformes d’édition en ligne permettent aujourd’hui, dans une
certaine mesure, de fiabiliser les articles en leur apportant une caution scientifique.
Les écrits de Philippe Rygiel au sujet du web comme ressource pour les
historiens permettent d’illustrer des problématiques communes à l’ensemble de la
recherche scientifique, en Europe et dans le monde. D’un côté, le web est
unanimement salué comme ayant permis de diffuser rapidement une masse
d’information inégalée à ce jour, évitant à de nombreux chercheurs d’avoir à se
déplacer pour consulter des archives par exemple ; mais d’un autre côté,
8 Voir l’histoire du web sur le site du CERN : https://home.cern/fr/topics/birth-web (10/04/2017)
9 Voir : https://www.cairn.info/ // http://www.openedition.org/ // https://hal.archives-ouvertes.fr/
(10/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 13
l’abondance de ces informations et leur diffusion sans tri, ni restriction, effraient
encore bon nombre de scientifiques.
En France, la démocratisation des outils numériques et l’accès à Internet
généralisé de la majorité de nos concitoyens, a inspiré à Boris Mericskay et
Stéphane Roche une réflexion sur le développement possible d’une « science
citoyenne ». « Ce concept désigne des programmes de recherche associant des
scientifiques à une participation citoyenne d’amateurs volontaires » (MERICSKAY
& ROCHE, 2011). Il s’agit initialement de faire appel à des citoyens volontaires
pour aider les chercheurs à collecter des informations sur un vaste terrain. Cette
méthode permet aux scientifiques de récupérer un grand nombre de données
rapidement et à peu de frais.
Avec le développement de l’informatique personnelle et de l’accès au web,
des projets que l’on peut qualifier de « science citoyenne 2.0 » ont vu le jour,
mettant à profit la puissance de calculs des machines domestiques. C’est le cas
par exemple du projet de l’université californienne de Berkeley, Seti@home10 dont
l’objectif est d’utiliser les ordinateurs connectés à Internet pour analyser des
données provenant de radiotélescopes, scannant l’espace à la recherche
d’intelligence extraterrestre. Lancé en 1999, ce projet utilise la technologie du
grid-computing (grille informatique11) qui consiste à emprunter la puissance de
calcul inutilisée des ordinateurs de bureau pour la mettre au service des
scientifiques. Les ordinateurs individuels en réseau se comportent alors comme
un supercalculateur au service du projet. Beaucoup d’autres programmes de
recherches de ce genre existent actuellement sur des thèmes aussi variés que la
biologie moléculaire, l’étude du climat ou la factorisation de grands nombres
entiers. Une liste non exhaustive peut être consultée sur le site de l’Université de
Berkeley12.
Ainsi, ces projets vont dans le sens de la proposition de « citoyens
capteurs » (citizen as sensors) faite par Michael F. Goodchild (GOODCHILD,
2007). Selon lui, chaque être humain est capable d’agir comme un capteur
intelligent, pourvu qu’il soit muni des bons outils de mesure. Il milite pour que les
géographes encouragent les citoyens à collecter davantage de données
géographiques pour alimenter et tenir la recherche à jour, notamment sur des
terrains difficiles d’accès. Le principal écueil présenté est celui de la validité des
informations collectées par des non-spécialistes et comportant peut-être parfois
des biais ou des erreurs. A cette interrogation légitime, Mericskay et Roche
apportent une réponse en citant plusieurs études qui montrent « les retombées
10 Voir : http://setiathome.berkeley.edu/ (12/04/2017)
11 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Grille_informatique (12/04/2017)
12 Voir : http://boinc.berkeley.edu/projects.php (12/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 14
positives et la grande qualité des données issues de la méthode de suivi
environnemental par contribution volontaire, pour autant que le processus soit à la
fois bien normalisé et bien encadré » (MERICSKAY & ROCHE, 2011). Goodchild
rappelle également que les scientifiques qu’étaient Humboldt ou Darwin, seraient
certainement considérés, selon les standards actuels, comme des amateurs, vu
leur manque de formation aux techniques de mesure et leurs diplômes peu
avancés.
Selon ces auteurs, le recours aux citoyens peut donc faire progresser la
géographie comme cela a déjà été le cas pour d’autres sciences ; et cela d’autant
plus qu’il existe une forte familiarité entre les objets géographiques et le grand
public, comme nous le verrons plus en détail par la suite.
2) ... Qui entraine l’apparition de nouveaux champs de recherche
disciplinaire...
Comme nous venons déjà de l’aborder partiellement, la géographie
bénéficie aussi de l’avancée des technologies pour le développement de la
recherche scientifique.
Sans entrer dans les détails, on peut dater l’apparition de l’informatique
dans la géographie de la « révolution quantitative » à la fin des années 1950, début
des années 1960, avec l’utilisation accrue de statistiques informatisées13.
Parallèlement à cela, on notera aussi le développement des méthodes de
télédétection par avion mais aussi par satellite. L’obtention d’un nombre de plus
en plus important de données, allié au développement de la technologie a ainsi,
entre autres, permis la création de modèles numériques de terrain14. Ces modèles
permettent d’obtenir une représentation en trois dimensions très précise d’un
terrain à partir des données d’altitude. Ce type de modèle ne prend pas en compte
les bâtiments ou les plantes présents sur le sol, mais il existe un autre modèle qui
le permet : le modèle numérique d’élévation.
a) La géomatique et les SIG
Si la révolution quantitative et le développement des modèles numériques
ont eu un impact indéniable sur la géographie, les technologies informatiques ont
surtout permis l’émergence d’une nouvelle branche de la science : la géomatique.
13 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Révolution_quantitative_en_géographie (12/04/2017)
14 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Modèle_numérique_de_terrain (12/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 15
C’est vraisemblablement le géomètre et photogrammètre français Bernard
Dubuisson qui a employé ce mot pour la première fois en France à la fin des
années 1960 pour décrire le renouvèlement de la pratique de sa profession par
l’informatique (JOLIVEAU, 2010). Au croisement de l’informatique et la
géographie, ce champ de recherche semble hésiter au départ entre s’affirmer
comme une science à part entière ou se positionner comme un outil au service des
géographes, voire des collectivités et autres gestionnaires de territoires.
Marcel Bergeron définissait dans les années 1970 la géomatique comme :
« une discipline ayant pour objet la gestion des données à référence spatiale par
l’intégration des sciences et des technologies reliées à leur acquisition, leur
stockage, leur traitement et leur diffusion ». Selon les auteurs du Petit guide
pratique de la géomatique à destination des employeurs, des candidats, des
formateurs : « La géomatique est donc une réponse à la prise de conscience que
la numérisation progressive des données géoréférencées, induite par le
développement de l’informatique, implique un dialogue et un rapprochement de
disciplines qui traitaient jusqu'alors séparément de ce type de données en fonction
de leurs objectifs spécifiques » (BALLEREAU, BAZILE, DEJOUR, & AUTRES,
2013).
Ainsi la géomatique, en se situant au croisement de plusieurs disciplines,
échappe quelque peu aux cadres dans lesquels nous avons l’habitude d’enfermer
les sciences. Ayant pour fondement l’utilisation de l’informatique dans le traitement
des données, c’est donc une véritable science contemporaine, qui n’a pas de
raison d’être sans l’informatique. Quoi de plus logique, alors, que la géomatique
soit à l’origine de l’invention des systèmes d’information géographie, les SIG.
« Un SIG est un logiciel permettant de manipuler des objets géoréférencés,
c’est-à-dire liés à un référentiel géographique [...] Les SIG peuvent servir à
produire des cartes à partir de données d’origines variées en les intégrant dans un
référentiel unique. » (DESBOIS, 2015)
C’est Roger Tomlinson qui a développé le premier SIG en 1960 pour le
Canada15. Le SIG canadien était une avancée réelle par rapport à la simple
cartographie par ordinateur proposée auparavant. En effet, la grande nouveauté
de ce type de logiciel était de permettre la superposition de différentes couches
d’informations sur un même terrain. On peut alors obtenir un croisement de
données intéressant et plus pertinent selon les besoins. Par exemple, on peut
croiser les données que l’on possède concernant les crues majeures passées d’un
lieu précis, avec la carte de l’évolution du bâti industriel sur ce même lieu et ainsi
observer quels bâtiments seraient touchés en cas de crues importantes. On peut
15 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Système_d’information_géographique (12/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 16
aussi croiser des données statistiques comme les régions françaises à solde
migratoire négatif avec le taux de chômage. Un SIG, comme QGIS par exemple,
permet alors d’obtenir la carte ci-après (fig. 1).
Il est intéressant d’observer qu’utiliser un SIG permet d’élaborer des
scénarios divers et de faire des constatations qui ne seraient pas forcément
venues à l’esprit au premier abord. Ainsi, sur la carte (fig. 1), les régions qui ont un
solde migratoire négatif ne sont pas forcément celles qui ont le plus fort taux de
chômage. L’Île-de-France, qui est la première région pourvoyeuse d’emplois en
France, apparait ici comme l’une de celles qui possèdent un solde migratoire
négatif, ce qui signifie qu’elle perd des habitants.
Très coûteux au départ, les SIG se banalisent à partir de la fin des années
1980, notamment du fait de la baisse importante des coûts des licences et du
matériel (DESBOIS, 2015). Ils restent néanmoins complexes d’utilisation et
représente toujours un véritable enjeu de formation pour les étudiants en
géographie. En effet, outre de bonnes connaissances en géographie, les SIG
nécessitent aussi une vraie maitrise technique de l’outil informatique et un
investissement considérable en temps de prise en main car ses outils sont souvent
assez puissants et possèdent donc de nombreuses fonctionnalités.
Fig. 1 – Les migrations et le taux de chômage en France.
Carte réalisée par mes soins, lors de la formation académique EduGéo/QGIS du 12 janvier 2017.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 17
D’autre part, de vraies questions épistémologiques se posent quant aux
biais de l’information contenue dans les SIG. En effet, ces logiciels nécessitent
l’import de jeux de données, généralement produits par un tiers (des collectivités
territoriales ou des entreprises privées, par exemple) et qui peuvent être
éventuellement obsolètes, incomplets ou comporter des erreurs. Il peut aussi
arriver qu’ils ne soient pas aussi neutres que l’on pourrait le penser au premier
abord, surtout si les données sont produites avec un objectif précis, qu’il soit
conscient ou non. De même les logiciels en eux-mêmes peuvent être limités dans
leurs fonctionnalités et peuvent refuser à l’utilisateur telle ou telle manipulation,
influençant son travail sans même qu’il ne s’en rende véritablement compte.
Les SIG ne sont donc pas la panacée, et même s’ils ont permis, et
permettent toujours, aux géographes de produire des cartes et des analyses
pertinentes, il faut garder un certain recul critique dans leur utilisation.
b) Le géoweb
Aujourd’hui, avec la démocratisation d’Internet, les SIG se sont
véritablement diffusés jusqu’au grand public. On peut en effet, considérer que
Google Earth est un SIG grand public. Pour citer Michael Goodchild, repris par
Henri Bakis et Jérémie Valentin : « Aujourd’hui un enfant de 10 ans peut accomplir,
grâce à une interface simplifiée et quelques minutes d’instruction, une tâche qui,
auparavant, aurait exigée une année de cours universitaire » (BAKIS &
VALENTIN, 2010). Avec le web, toute une série d’applications géographiques a vu
le jour. Les géographes ont logiquement nommé cet ensemble le géoweb.
Il existe plusieurs définitions du géoweb, et certaines sont complémentaires.
Thierry Joliveau (JOLIVEAU, 2010) le définit comme « une organisation par
l’espace de l’information sur Internet à travers un géoréférencement direct ou
indirect sur la surface terrestre ». Boris Mericskay (MERICSKAY, 2011), quant à
lui, définit le géoweb comme « la convergence des technologies de l’information
géographique et du Web (déclinaison géographique du Web) ».
La date retenue généralement pour l’émergence du géoweb est celle de
2005 avec l’apparition de Google Maps et de Google Earth (DESBOIS, 2015)
(JOLIVEAU, 2010). Ces produits du géant américain d’Internet font désormais
complètement partie de nos vies, mais leur apparition a constitué une véritable
révolution. En effet, parce qu’ils se positionnaient d’emblée au niveau mondial,
contrairement à leurs concurrents de l’époque (ViaMichelin, Mappy, ...), centrés
sur une zone géographique plus restreinte, les produits Google ont fait rapidement
de nombreux adeptes. Depuis, et cela malgré de nombreux concurrents proposant
des services comparables, ils restent largement les plus utilisés (voir fig. 2).
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 18
Ce qui a aussi contribué au succès immédiat de Google Maps est la
possibilité de l’intégrer sur d’autres sites web par le biais de son API (application
programming interface). Les API sont des interfaces de programmation qui
permettent aux développeurs d’inclure les données d’un service distant (ici par
exemple, la cartographie de Google) dans l’application qu’ils construisent. Ainsi
Google a largement contribué au développement du géoweb en permettant aux
créateurs d’applications et de sites internet d’inclure facilement de la cartographie
dans leurs services. (JOLIVEAU, 2011)
Thierry Joliveau met en avant deux usages possibles du géoweb
(JOLIVEAU, 2011). « On peut mobiliser une information à distance sur des lieux
précis par les services cartographiques : on explore alors le monde par le Web. On
peut aussi consulter et mobiliser cette information in situ grâce aux interfaces
mobiles comme le téléphone : on explore alors le Web par le monde. » Dans le
premier cas, l’utilisation d’un service de cartographie en ligne permet donc
d’obtenir à distance des informations sur un lieu donné. Ces outils peuvent être
utilisés pour repérer un chemin avant un déplacement ou se faire une idée plus
précise d’un endroit dans lequel on n’est jamais allé. Dans le second cas, en faisant
appel aux techniques de géolocalisation, l’internaute mobile peut obtenir des
informations sur ce qui se trouve directement autour de lui. Par exemple, l’auteur
et le sujet de l’œuvre d’art qu’il vient de croiser16, ou encore l’adresse et les
16 C’est ce que propose (entre autres) l’application CityMap La Défense en documentant les
quelques soixante-neuf œuvres d’art présentes dans le quartier d’affaires.
Voir : http://www.ladefense.fr/fr/tags/paris-la-defense-city-map-application-mobile-geolocalisation-
pietonne (12/04/2017)
Fig. 2 – Capture d'écran du site d'analyse de parts de marché Datanyse, classant les principaux
fournisseurs de cartographie en ligne en fonction du nombre de sites intégrant leur technologie.
Les produits Google sont représentés sur le graphique par les trois plus grandes zones en
orange, vert anis et bleu foncé.
Voir : https://www.datanyze.com/market-share/maps (13/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 19
horaires d’ouverture du magasin le plus proche possédant l’objet qu’il souhaite
acquérir.
Avec l’apparition en 2007 du web dit 2.0 ou participatif, les géographes et
les géomaticiens se sont intéressés plus particulièrement aux interactions avec le
grand public, premier utilisateur, devenu, du coup, premier producteur du géoweb.
Des amateurs devenaient alors producteur de contenus géographiques, donnant
naissance au courant de la néogéographie. (JOLIVEAU, 2010)
3) ... Et transforme des amateurs en géographes.
En effet, depuis 2007 et l’introduction d’une dimension participative dans le
web, les utilisateurs sont de plus en plus invités à produire eux-mêmes des
contenus. C’est la campagne de Ségolène Royal aux présidentielles de 2007 qui,
en appelant aux contributions sur Internet dans le cadre de la démocratie
participative, a véritablement popularisé cette dimension du web en France. A
l’heure actuelle, il est plus que commun pour les citoyens de contribuer au débat
public sur les réseaux sociaux.
Il en va de même pour le géoweb. Ainsi Flickr, un réseau social de partage
de photos, permet à ses membres de géoréférencer leurs photos afin qu’elles
apparaissent sur la carte mise à disposition des utilisateurs du site17. Aujourd’hui,
les internautes ont parfaitement intégré cette dimension de production de contenus
et on assiste à une véritable inflation des données géographiques sur le web.
« L’information géographique n’émane plus seulement de grands producteurs
d’information institutionnels et privés. Une partie est désormais produite, enrichie,
mise à jour et diffusée par le grand public selon une logique ascendante »
(MERICSKAY & ROCHE, 2011). C’est ce que Michael Goodchild a théorisé sous
le terme d’information géographique volontaire (volunteered geographic
information) ou VGI (BAKIS & VALENTIN, 2010). Les internautes participent
volontairement à la production et à la diffusion d’informations de nature
géographique sur le web.
Goodchild explore les motivations et les limites de ces contribution dans ses
écrits dont la plupart datent d’une dizaine d’années et des débuts du web
participatif. Aujourd’hui, il est certain que le web a profondément changé les
mentalités des gens. La dimension participative et contributive est parfaitement
ancrée dans les mœurs de la jeune génération et la logique horizontale de diffusion
des connaissances est en passe de devenir la norme. Ces bouleversements
17 Voir : https://www.flickr.com/map Flickr propose 1 730 596 éléments géotaggés à ce jour.
(12/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 20
irriguent toute la société et se propagent dans tous les domaines, pas uniquement
dans la géographie.
Lorsque l’on étudie l’histoire de la géographie, on se rend très vite compte
que cette science s’est d’abord développée au service du pouvoir. Il y a, en effet,
un véritable enjeu de gouvernance à connaître le territoire que l’on possède et ses
habitants. Yves Lacoste, en 1976, avait d’ailleurs créé la polémique en intitulant
son ouvrage : La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre. Il fustigeait une
« géographie des professeurs » apparue au XIXème siècle, inintéressante et
rébarbative, qu’il opposait à la « géographie des états-majors » constituant ce
savoir stratégique indispensable aux conflits armés (LACOSTE, 1976 [2012]).
A l’heure actuelle, avec les outils numériques et le web participatif, ce savoir
stratégique est à portée de tous. C’est notamment le cas des cartes. Aujourd’hui,
« produire et publier une carte est à la portée de quiconque dispose d’une culture
technique informatique un peu développée » (DESBOIS, 2015). D’objet de
prestige, réservé à une certaine élite et fortement protégé, la carte est devenue
une image commune et un objet du quotidien pour la plupart des internautes qui
les produisent souvent eux-mêmes.
La cartographie est sans doute l’une des branches de la géographie qui a le
plus évolué avec l’apparition des nouvelles technologies (fig. 3). De la simple carte
papier numérisée mais statique, elle est devenue interactive, dynamique,
multimédia, mobile, et surtout son édition est devenue accessible au grand public
(MERICSKAY, 2011).
A force de se diffuser et d’être maitrisée par le plus grand nombre, la carte
a fini par devenir un véritable instrument démocratique. En effet, elle constitue un
outil efficace pour mener à bien des projets d’aménagement du territoire en
favorisant l’information et la communication sur ces projets. Les citoyens sont
aujourd’hui plus familiers des cartes, et l’interactivité de ces dernières facilite aussi
la compréhension de projets complexes en permettant de voir sur le même plan,
« le présent, le prévisible et le souhaitable » (MERICSKAY, 2011). En ayant un
meilleur accès aux données qui sont à la fois plus attractives et plus interactives,
les citoyens comprennent mieux les projets d’aménagement qu’on leur propose et
peuvent ainsi mieux participer à la vie démocratique. La facilité de création de
cartes et l’accès aux données peut même permettre aux citoyens de faire
éventuellement des contre-propositions, le cas échéant.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 21
Cependant, s’il est vrai que le grand public est de plus en plus familier des
cartes, nous voyons ici un enjeu majeur concernant la formation des citoyens.
Internet est, il est vrai, un formidable outil de démocratisation. Mais encore faut-il
savoir effectivement s’en servir et il y a ici actuellement une forte inégalité de
compétences entre les citoyens. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la
maitrise des outils informatiques n’est pas innée, y compris chez les plus jeunes,
et que les interfaces les plus ergonomiques et les plus attrayantes du monde ne
compenseront pas une absence totale de compréhension basique du
fonctionnement de ces outils, ni même le manque de connaissances
géographiques.
Comme nous venons de le voir, les outils du géoweb ouvrent la voie à des
initiatives citoyennes fortes. Ils permettent de proposer un débat sur des questions
géographiques comme l’aménagement du territoire ou le développement durable,
qui concernent les citoyens au premier plan. Pour autant, participer pleinement à
Fig. 3 – Les différentes formes de cartographie sur Internet.
Boris MERICSKAY, Les SIG et la cartographie à l'ère du géoweb, L’Espace géographique 2011/2, 2011, p.146.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 22
cette vie démocratique nécessite « d’avoir une formation élémentaire à la réflexion
cartographique » (GUERMOND, 2011) et une certaine maitrise générale des outils
informatiques. Si ces conditions sont réunies alors « la voie est ouverte pour des
initiatives citoyennes ou participatives, qui visent à proposer un débat parmi les
habitants ou les usagers sur des problèmes régionaux, sociaux ou
environnementaux » (Ibid.).
La formation géographique et numérique des citoyens par l’école semble
donc être une condition sine qua non du développement de telles initiatives
démocratiques. L’école conditionne en effet un accès égal à la connaissance et au
développement des compétences. De même qu’il est indispensable de former les
citoyens à l’esprit critique, il faut leur donner des connaissances géographiques
correspondants aux usages actuels et les géographes ont tout intérêt à s’impliquer
dans cette question afin que l’on puisse un jour réellement affirmer que nous
sommes tous géographes.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 23
II. ENSEIGNER LA GEOGRAPHIE AU XXIEME
SIECLE
Un article paru en septembre 2016 sur le site de l’APHG18 et intitulé Un échange
au sujet du Capes d’Histoire-Géographie19, fait ressurgir au premier plan le débat
sur la bivalence histoire et géographie, de mise au concours depuis 2012
seulement. Un collectif de douze géographes s’inquiète que des pressions
exercées par des associations d’historiens pour revenir à quatre questions
d’histoire au concours (contre trois actuellement), pourraient éventuellement se
faire au détriment de la géographie. La lettre rappelle également que « près de
90% des candidats à ce concours sont issus de licences d’histoire et n’ont pour
certains jamais fait de géographie en licence ». Ce débat pose donc en creux la
question de la formation des professeurs d’histoire-géographie du second degré
et notamment de leurs qualifications en géographie.
Comme nous l’avons abordé précédemment, il semble indispensable, aux vues
des bouleversements actuels de la discipline géographique et de la société, que
les professeurs soient non seulement correctement formés à cette science mais
également conscients des enjeux et des objectifs de son enseignement. Ce sont
ces questions que nous allons explorer à présent.
1) La géographie scolaire : en crise perpétuelle ?
a) Bref panorama historique
La question de la formation des professeurs du secondaire et de leurs
faibles connaissances ou, au minimum, de leur manque d’intérêt pour la
géographie, n’est pas nouvelle. Il faut dire que, depuis les origines, la géographie
est rattachée à l’histoire. « Une circulaire de 1818 est l’acte fondateur de ce
couplage, assez peu fréquent ailleurs en Europe, et toujours en vigueur en
France » (GRANIER, 2013). C’est après la défaite de 1870 que le premier constat
est fait, lors d’une enquête confiée à Emile Levasseur et Louis Auguste Himley :
« la plupart des professeurs, trop occupés de leur cours d’histoire, négligent
complètement le cours de géographie. Ils ne font plus que de la géographie
historique, à mesure que les questions se présentent dans leurs cours ».
L’enseignement de la géographie est donc à l’origine une affaire d’historien !
Le « père » de la géographie française, Paul Vidal de la Blache, était d’ailleurs
lui-même, initialement, un historien. Quoi de plus étonnant quand on sait que la
discipline scolaire a précédé et même généré le savoir scientifique (Ibid.).
18 L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie : https://www.aphg.fr (15/04/2017)
19 Voir : https://www.aphg.fr/Un-echange-au-sujet-du-Capes-d-Histoire-Geographie (15/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 24
Il n’y avait donc pas vraiment encore à cette époque-là de géographes
universitaires pour soutenir scientifiquement la construction d’un savoir scolaire.
Ce sont des historiens qui se sont alors, les premiers, emparés des sujets
géographiques à l’université.
Après cette première « prise de conscience » de 1870, l’Etat attribue à la
géographie un programme et un horaire spécifique, avec un objectif politique
assumé : « mieux connaître sa patrie pour mieux l’aimer. » Ainsi, au moment de
sa création, la géographie scolaire se trouve complètement instrumentalisée par
le pouvoir politique. Isabelle Lefort20 parle d’une « fonction militante » de la
géographie.
Sans s’attarder plus en détails sur les multiples réformes qui parsèment le
XXème siècle, on peut cependant noter l’importance, pour la géographie scolaire,
de la « crise de la géographie » des années 1960-1970. Cette expression désigne,
en France, les interrogations qui ont secoué la géographie universitaire à cette
époque (CALBERAC, 2006). La géographie cherche alors à renouveler ses objets
et ses méthodes. Roger Brunet, dans son dictionnaire critique Les mots de la
géographie, décrit la crise de la géographie de la façon suivante : « état permanent
et sain, comme dans toute science qui a toujours à choisir des chemins, des
méthodes, voire des théories nouvelles ou retrouvées, et toujours tendue vers
l’innovation et le changement. » (BRUNET, FERRAS, & THERY, 1992)
Cette crise, mais aussi les mutations sociétales du pays, ont évidemment
eu un impact sur la géographie scolaire. Les années post-mai 68 sont l’occasion
en France de tester de multiples innovations pédagogiques avec plus ou moins de
succès. En témoigne, par exemple, l’introduction dans les manuels scolaires des
« coupes-synthèses » d’Yves Lacoste et Raymond Ghirardi, mais aussi des
chorèmes, chers à Roger Brunet (GRANIER, 2013). Pourtant la géographie est
toujours perçue comme « une discipline embêtante mais somme toute bonasse »
où il suffit d’avoir de la mémoire. (LACOSTE, 1976 [2012]). Ainsi, même si la crise
de la géographie a effectivement permis un certain renouvellement des objets et
méthodes de la géographie scolaire, le débat n’est pourtant pas clos.
En effet, en 1989, le tome 18, n°2, de la revue « l’Espace géographique »
est consacré à la géographie et ses enseignements21. Plusieurs auteurs appellent
à un renouveau de la géographie scolaire afin de lui donner sa « juste place »,
compte tenu de son importance pour comprendre le monde : « L’enseignement de
la géographie permet de familiariser les enfants avec la Terre sur laquelle ils vivent,
de leur en donner une représentation scientifique et de leur fournir l’outillage
20 Lefort Isabelle, La lettre et l’esprit. Géographie scolaire et géographie savante en France (1870-
1979), Editions du CNRS, 1992. Citée par (GRANIER, 2013).
21 Voir : http://www.persee.fr/issue/spgeo_0046-2497_1989_num_18_2
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 25
conceptuel indispensable à qui veut comprendre milieux et sociétés. » (Paul
Claval, La place de la géographie dans l’enseignement, op.cit. p.123)
Ils mettent également en garde contre le risque de mauvaise image de la
géographie scolaire : « Disons-le sans détour : si une menace pèse sur la
géographie, elle provient de ceux qui essaient de la tirer en arrière, qui s’arc-
boutent aux structures les plus lourdes pour retarder les adaptations nécessaires.
Si la géographie court un risque, c’est que soit perpétuée dans le public l’image
désormais vieilli d’une géographie empiriste, encyclopédique et isolée. » (Bidaud,
Elissalde, Grataloup, Lévy, et al., Vive la géographie vivante ! op. cit. p.181)
Et Paul Pélissier rappelle même la fonction militante, déjà évoquée, de la
matière : « Bref, il faut enseigner la géographie parce qu’elle restitue à chaque
société (et à chaque citoyen), à partir d’un diagnostic de situation, sa mémoire et
ses racines. » (Paul Pélissier, Pourquoi enseigner la géographie ? op. cit. p. 185)
En 1999, Anne Le Roux s’interroge à nouveau : Faut-il supprimer la
géographie au collège et au lycée ? (LE ROUX, 1999) Elle affirme que « Oui, tant
que les géographes [...] continueront à se désintéresser de la formation initiale [...]
et continue des professeurs de géographie, qui sont historiens à presque 90% du
total des "professeurs d’histoire-géographie" du second degré. » Un géographe
(Armand Frémont) est pourtant nommé, pour la première fois, à la présidence du
« groupe d’experts » chargé d’élaborer de nouveaux programmes pour le lycée
(GRANIER, 2013).
La question se pose toujours dans les années 2000, qui sont aussi celles
de l’explosion de la bulle Internet, du passage à l’euro, de la mondialisation
galopante, du terrorisme avec les attentats du 11 septembre 2001... Les années
d’un monde qui change extrêmement vite et dans lequel on peut comprendre que
la géographie ait du mal à trouver sa juste place à l’école, compte tenue de l’inertie
des réformes scolaires.
La sortie en 2006 du livre de Georges Roques, Décrypter le monde
aujourd’hui. La crise de la géographie, trouve sa place dans ce contexte. L’auteur
y décrit notamment une crise actuelle de la géographie qui ne touche plus
l’université mais l’école. Selon lui, « alors que la géographie est présente à
l’université et qu’elle s’enrichit d’approches originales, la géographie enseignée à
l’école (dans le primaire comme dans le secondaire) semble d’un autre âge, datée,
et sans aucun lien avec le monde et ses évolutions actuelles : à l’école, la
géographie perd saveur et pertinence » (CALBERAC, 2006).
Ces constats sont plus ou moins les mêmes que ceux déjà énoncés par
Anne Le Roux en 2001, qui cite également des sources antérieures : « Comment
faire pour que l’enseignement de la géographie change, qu’il prenne un sens autre
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 26
que celui d’un inventaire plus ou moins organisé et répétitif, d’un puzzle du monde
(Clerc, 1996 ; Grataloup, 1987 ; Retaillé, 1996, 1998), qu’il soit au service d’une
éducation géographique, socialement, civiquement utile ? »
Aujourd’hui encore, comme en témoigne la lettre des géographes évoquée
en ouverture, la matière semble « en danger » puisqu’il faut constamment la
défendre contre ceux qui essayeraient de la minimiser au détriment de l’histoire
notamment.
b) Tout est toujours une question d’image...
En réalité, c’est surtout l’image de la géographie auprès du grand public (et
peut-être de certains enseignants ?) qui pose véritablement problème. Comme
nous venons de le voir, cette question s’est posée quasiment dès les débuts de la
géographie scolaire. Les mêmes accusations (matière ennuyeuse, inutile, mal
enseignée...) semblent revenir au fil du temps, puisqu’elles sont dénoncées, et cela
donne l’impression que rien n’a changé dans l’enseignement de cette discipline
depuis un siècle.
Pourtant, sans entrer dans le détail de l’analyse des programmes scolaires,
ce qui n’est pas notre objet ici, il est clair que l’enseignement de la géographie a
beaucoup évolué au cours du XXème siècle, tant dans ses objets que dans ses
méthodes. Les programmes scolaires sont aujourd’hui « le produit des adaptations
à la recherche scientifique, des préoccupations politiques et sociales, des
évolutions institutionnelles et pédagogiques » (SIERRA, 2010).
Il ne s’agit donc pas tant ici des programmes et de la réalité de
l’enseignement de la géographie, que de son image perçue par les élèves, leurs
parents et même les professeurs. Il nous a d’ailleurs suffi d’interroger quelques
personnes de notre entourage (amis, parents, professeurs et même élèves...) pour
s’entendre dire que la géographie est une « matière ennuyeuse », dans laquelle il
faut juste « apprendre des définitions » et savoir « placer des endroits sur une
carte ». « Ça ne fait pas rêver... ». Pourtant, les mêmes personnes peuvent passer
des heures « à rêver » sur Google Earth en se promenant sur la surface de la Terre
pour « visiter » des endroits inconnus.
Cette problématique est intéressante à aborder avec une grille de lecture
issues des sciences de la communication et de l’information. On constate alors
une vraie différence entre l’image de la géographie qui est perçue par le grand
public et par certains enseignants ; l’image voulue, que rêvent de transmettre
certains géographes ; et l’image vraie de la géographie scolaire, c’est-à-dire ce
qu’est véritablement cette matière scientifique. Les déceptions ressenties de part
et d’autre proviennent essentiellement de ces différences d’images.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 27
En effet, l’image vraie de la géographie scolaire est qu’il s’agit avant tout
d’une matière utile et importante. Elle contribue au développement de l’esprit
critique des élèves et à leur formation en tant que citoyens. Connaitre le monde
est une condition indispensable à l’émancipation et la géographie scolaire a un vrai
rôle à jouer dans cet objectif, tout le monde en conviendra. Partant de là, c’est une
matière qui peut être intéressante et qui peut répondre à la demande sociale de
compréhension du monde et de ses enjeux, notamment à l’ère de la
mondialisation.
Pourtant, l’image perçue de la discipline n’est pas celle-là. Au contraire, le
grand public perçoit la géographie scolaire comme une matière peu intéressante
et peu utile, comme nous l’avons déjà évoqué. Nous avons pourtant également
identifié une vraie demande sociale concernant la géographie, notamment sur
Internet, ce qui montre que le potentiel d’intérêt est bien là.
Il est plus difficile de cerner l’image voulue, car les écrits des géographes
ne sont pas forcément clairs sur la question. Les différents géographes dont nous
venons d’analyser les propos rappellent régulièrement la fonction sociale et
politique de la géographie dans la formation à la citoyenneté, mais sans jamais
vraiment aborder la question de manière frontale. On semble toujours hésiter
entre, d’un côté, la volonté de présenter la géographie comme une science
« dure », à ranger du côté des sciences naturelles et physiques ; et, de l’autre, une
géographie plus « sociétale » qui, s’alliant avec l’histoire, la sociologie et
l’économie, concourt à la formation des jeunes citoyens. On constate aussi une
volonté manifeste de toujours « défendre » la matière, notamment vis-à-vis du
risque de ne pas être traité « d’égal à égal » avec l’histoire.
Ainsi, pour que la géographie soit réellement enseignée à sa juste place au
XXIème siècle il conviendrait, semble-t-il, de changer son image perçue. Pour cela,
trois points nous paraissent essentiels. Il s’agit tout d’abord de comprendre l’intérêt
de l’enseignement de cette matière à notre époque, notamment des enjeux
apparus avec la démocratisation d’Internet et la mondialisation. Ensuite, se pose
la question de former les professeurs à ces enjeux afin qu’ils prennent tous
conscience de l’importance d’enseigner cette matière. Et enfin, communiquer
différemment auprès de toutes les parties concernées permettrait sans doute
d’améliorer l’image de cette matière.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 28
2) Les enjeux de l’enseignement de la géographie
a) Affirmer la dimension militante de la géographie
Nous l’avons évoqué précédemment, l’enseignement de la géographie a
une place certaine dans la formation du citoyen. L’article L121-4-1 du code de
l’Education, créé par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour
la refondation de l’école de la République précise : « Au titre de sa mission
d'éducation à la citoyenneté, le service public de l'éducation prépare les élèves à
vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des
principes et des règles qui fondent la démocratie. »22
Ainsi, comprendre l’économie globale, la mondialisation, la mécanique des
échanges (tant commerciaux que touristiques), les enjeux du changement
climatique et des migrations, la géopolitique, le rôle mondial des Etats-Unis ou
encore la limitation des ressources naturelles sont autant de sujets indispensables
à la formation des citoyens de demain et qui relèvent de la géographie. Et nous
n’avons cité ici que des éléments figurant déjà dans les programmes scolaires !
Rappelons ici encore une fois que cette matière avait à l’origine une fonction
politique et même « militante ». Elle devait donner aux élèves l’amour de leur patrie
qui viendrait « naturellement » de sa connaissance précise. Mais force est de
constater que ce caractère politique s’est fortement émoussé avec le temps, sans
doute au profit de l’histoire, si l’on en juge par les débats houleux que provoque
l’enseignement d’un hypothétique « roman national » ... Pourtant, il est clair que la
géographie a une fonction éminemment politique. Et que, sans vouloir ressusciter
une « bonne vieille géographie » d’un imaginaire « bon vieux temps », on peut très
bien lui formuler des ambitions plus militantes.
En effet, si la société change, la géographie scolaire change aussi.
« L'objectif de l'enseignement de la géographie devrait donc être de produire une
intelligence responsabilisante sur le monde contemporain. Montrer et faire réaliser
l'apprentissage d'un raisonnement géographique devrait aider les élèves à le
comprendre plutôt qu'à simplement le connaître. » (LEFORT, 2002).
Il s’agit donc aujourd’hui d’assumer la dimension civique de la géographie
afin de lui donner toute sa place dans la formation du citoyen, au même titre que
l’histoire. En effet, faire connaitre le monde aux futurs citoyens de notre pays nous
semble être un bon moyen de leur permettre de s’intégrer pleinement dans la
société une fois devenus adultes.
22 Voir Legifrance.gouv.fr : https://goo.gl/Eub7Et (17/04/2016)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 29
b) (In)former les professeurs
Un autre enjeu important pour l’enseignement de la géographie est celui de
la formation des professeurs. Il ne s’agit pourtant pas tant de modifier ou
éventuellement d’améliorer la formation scientifique qui est déjà conséquente,
mais plutôt d’y inclure un message concernant l’importance de la matière pour la
formation des générations futures.
En effet, les enjeux sociaux et politiques de l’histoire sont bien abordés lors
des formations. On nous explique longuement combien certaines questions
peuvent être « sensibles » (esclavage, Shoah, colonialisme...), pourtant aucun
travail n’est effectué sur la sensibilité des questions telles que les migrations dans
le monde ou encore le capitalisme et la mondialisation. Ces sujets sont pourtant
abordés dans les programmes et peuvent d’autant plus faire débat qu’ils amènent
les élèves à poser des questions très concrètes sur des sujets d’actualités brûlants,
surtout en période électorale.
On induit ainsi, pendant la formation initiale des enseignants, l’idée que
l’histoire peut être une matière sensible et qu’il convient de la traiter avec
précaution et respect. Pour enseigner l’histoire il faut beaucoup se documenter sur
le sujet en amont. Ne pas être incollable sur la question vous expose aux risques
de négationnisme, de remise en cause et donc in fine à la perte de contrôle de
votre classe, ce qui est hautement angoissant pour un jeune professeur. Ces
éléments ont été d’autant plus abordés durant notre formation qu’elle avait eu lieu
pendant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en 2015. Suite à ces
attentats et à ceux qui ont suivi, une véritable prise de conscience s’est emparée
des enseignants qui ont cherché des solutions. Pourtant cette prise de conscience
semble s’être limitée à la question de l’histoire et un peu, il est vrai, à celle des
technologies numériques et de l’esprit critique que l’on doit notamment développer
vis-à-vis des contenus complotistes en ligne.
A contrario la géographie n’est pas aussi « sérieuse ». Personne ne
questionnera votre inexactitude ou votre manque de connaissances sur les
ouragans du Pacifique et échouer à faire comprendre l’étalement urbain aux élèves
ne vous exposera pas à la perte de contrôle de votre classe. Aucun parent ne vous
écrira jamais pour se plaindre de votre façon d’enseigner la géographie (sauf peut-
être si vous confondez l’Afrique avec l’Amérique, et encore !). Cette matière en fait,
n’intéresse pas tellement les élèves et nous n’aurons pas à faire face à une levée
de boucliers, voilà le message plus ou moins induit lors de la formation.
Pourtant, la question de l’intégration du pays dans la mondialisation et des
populations mal ou peu intégrées et laissées en marge de la société sont
probablement aussi une réponse aux attentats de 2015. Ces questions-là relèvent
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 30
de la géographie. Les étudier permettrait peut-être tout autant aux élèves de se
prémunir contre les idées complotistes ou extrémistes qui circulent.
Il serait donc sans doute intéressant de mettre l’enseignement de la
géographie sur un véritable pied d’égalité avec celui de l’histoire sur ce plan-là.
Expliquer aux jeunes professeurs, (pourquoi pas dès l’année de préparation du
concours ?) qu’ils ne sont plus à présent des historiens ou des géographes mais
bien des historiens-géographes, permettrait peut-être d’empêcher que la
géographie ne persiste à être la variable d’ajustement des progressions
annuelles ? De même, expliquer que l’une et l’autre des matières concourent à la
formation des citoyens et peuvent être aussi sensibles l’une que l’autre permettrait
peut-être également d’améliorer l’image de cette matière auprès des professeurs ?
« Un nouveau contrat devrait ainsi unir l'histoire et la géographie en faisant de la
discipline histoire-géographie celle qui transmet les mémoires vives et apprend les
outils permettant de comprendre toutes les sociétés. L'enjeu est de former des
citoyens libres, voire impertinents, capables de faire face aux problèmes de la
société contemporaine. » (GRATALOUP, 2002).
Ainsi, nos concitoyens, mieux formés à la géographie par des professeurs
conscients et concernés, seraient peut-être plus à même de comprendre le monde
qui les entoure.
c) Communiquer différemment autour de la géographie
Enfin, le troisième enjeu concerne l’amélioration de l’image perçue de la
géographie auprès du grand public et la question de la vulgarisation scientifique
des savoirs géographiques.
Il faut tout d’abord mentionner le succès des émissions telles que
CulturesMondes (sur France Culture) ou le Dessous des Cartes (sur Arte).
« L’audience de ces émissions et la multiplication des "livres-atlas" sont la
matérialisation des passages et des transferts à l’œuvre entre une géographie de
scientifiques et des lecteurs-auditeurs de plus en plus intéressés par les apports
d’une réflexion fondée sur l’étude de l’espace et de ses représentations. »
(BRESC-LITZLER, 2016)
On constate donc qu’il existe déjà une forme de vulgarisation du savoir
scientifique qui s’opère directement entre des universitaires et le grand public, le
plus souvent grâce aux médias. Cette vulgarisation rencontre ici un succès certain
et concoure à améliorer l’image de la géographie auprès du grand public. Il serait
intéressant d’analyser ce qui serait possible de faire pour la développer, car elle
aussi risque de disparaître si rien n’est fait. Le décès de Jean-Christophe Victor en
décembre 2016 remet en cause l’existence même de l’émission d’Arte puisque la
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 31
chaine n’a pas pour l’instant confirmé qu’elle souhaite continuer sa production.
D’autre part, une autre fameuse émission de France Culture, Planète Terre, s’est
également arrêtée en septembre 2016.
Pourtant, cette « posture de défense », adoptée par les géographes
lorsqu’ils sentent leur matière « en danger », et que nous avons déjà évoquée, ne
nous semble pas la manière la plus appropriée de réagir. Si elle est logique et
parfaitement compréhensible, elle nuit malheureusement beaucoup à l’image
perçue de la géographie. En effet, une posture de défense implique, en effet,
souvent d’employer un vocabulaire négatif. On parle ainsi de « menaces », de
« pressions constantes », « d’inquiétudes », et d’appel à « rester vigilants »23 . Ce
discours, s’il n’est pas contrebalancé par un autre plus positif peut s’avérer contre-
productif et il serait peut-être intéressant de lancer une grande initiative de
promotion de la géographie auprès du grand public. Bien que persuadée qu’il
existe déjà ce genre d’initiatives au niveau local, rien de tel n’existe au niveau
national. A contrario, l’histoire est une matière éminemment populaire auprès du
grand public et des émissions comme Secrets d’Histoire ou encore celles
d’historiens comme Fabrice d’Almeida rencontrent un immense succès. Si ces
émissions peuvent parfois être critiquées, il n’empêche qu’elles jouent un rôle non
négligeable dans l’image perçue de la science historique auprès du grand public.
Il y a donc ici un véritable enjeu pour la géographie scolaire qui gagnerait
sans doute à s’inscrire dans ce processus et à participer de cette vulgarisation, en
donnant aux citoyens les armes pour réfléchir en géographes. L’utilisation des
technologies numériques, familières du grand public, mais aussi de la plupart des
professeurs, peut constituer un moyen pour cela, comme nous allons maintenant
le voir plus en détail.
3) Enseigner une géographie numérique ?
a) Les TIC, nouvelle boite à outils du professeur de
géographie ?
Il faut le dire, les TIC sont un excellent moyen pour les professeurs de
préparer rapidement leurs cours. Ceux-ci ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque la
DEPP (Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance, Education
Nationale) fait état de 95% des enseignants utilisant très régulièrement les outils
numériques à des fins professionnelles depuis leur domicile24.
23 Tous les termes sont issus de la lettre ouverte signée en septembre 2016 par douze géographes
au sujet du CAPES-CAFEP externe d’Histoire-Géographie. Voir : https://www.aphg.fr/Un-echange-
au-sujet-du-Capes-d-Histoire-Geographie (20/04/2017)
24 Chiffres cités par le rapport de la Mission parlementaire Fourgous pour les TICE 2010-2011
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 32
En effet, il existe de nombreuses ressources sur Internet, qu’il serait
fastidieux de citer de manière exhaustive. On peut néanmoins mentionner au
moins quatre grandes catégories de sites-ressources.
La première catégorie concerne les sites officiels de l’Education Nationale.
Le premier d’entre eux, auquel on pense spontanément, est éduscol25. Ce site
permet de trouver des ressources variées (notamment les programmes scolaires)
ainsi que des suggestions et des aides à la mise en œuvre. Chaque académie
propose également plusieurs sites ressources, de qualité parfois inégale, mais
toujours appréciables. Citons celui de l’Académie de Versailles pour l’histoire-
géographie : Strabon26. On peut également placer dans cette catégorie le site du
réseau Canopé27, réseau qui édite et publie des ressources pour les professeurs.
La deuxième catégorie est celle des sites d’associations ou d’organisations
tierces comme l’APHG28, VousNousIls29, le e-mag de l’éducation ou encore Thot
Cursus30, association québécoise « dédiée à la promotion de la formation et de
l’utilisation des outils numériques et de la culture ». Ces deux derniers proposent
beaucoup de ressources et de conseils pour mettre en œuvre des pédagogies
innovantes et utiliser les TIC en classe ; mais également des articles relayant des
études scientifiques sur les mécanismes d’apprentissage du cerveau
(neurosciences) ou encore sur l’efficacité de certains outils ou de certaines
pratiques pédagogiques. On peut également mentionner le travail des
Clionautes31, association regroupant des professeurs d’histoire-géographie depuis
1998.
La troisième catégorie concerne les sites scientifiques en eux-mêmes.
Parmi eux, GéoConfluences32 édité par l’ENS de Lyon, qui regroupe des dossiers
scientifiques sur des questions géographiques précises ; ou encore Cybergeo33, la
revue européenne de géographie dont les articles sont souvent très utiles une mise
à niveau rapide sur un sujet. On peut également mentionner dans cette catégorie
le Géoportail de l’IGN34 qui permet d’obtenir facilement des cartes et des
photographies aériennes de France et contient son propre SIG. De même que
l’atelier de cartographie de SciencesPo Paris35, qui permet l’accès à plus de 1500
Voir : http://www.missionfourgous-tice.fr/ p.153
25 Voir : http://eduscol.education.fr/histoire-geographie/ (16/04/2017)
26 Voir : http://www.histoire.ac-versailles.fr/ (16/04/2017)
27 Voir : https://www.reseau-canope.fr/ (16/04/2017)
28 Voir : https://www.aphg.fr/ (16/04/2017)
29 Voir : http://www.vousnousils.fr/ (16/04/2017)
30 Voir : http://cursus.edu/ (16/04/2017)
31 Voir : https://www.clionautes.org/index.php (16/04/2017)
32 Voir : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/ (16/04/2017)
33 Voir : http://cybergeo.revues.org/ (16/04/2017)
34 Voir : https://www.geoportail.gouv.fr/ (16/04/2017)
35 Voir : http://www.sciencespo.fr/cartographie/ (16/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 33
cartes et possède également, depuis peu, son propre SIG, Khartis. Citons enfin, le
site de l’INED36 (Institut National d’Etudes Démographiques) pour ses jeux sérieux,
ses cartes, graphiques et vidéos très pédagogiques.
La quatrième catégorie est celle des blogs et sites personnels de
professeurs comme celui de Jacques Muniga37, exclusivement consacré à la
géographie, mais aussi les sites de M. Joly38, M. Orain39, Cédric Ridel40 ou Marie
Desmares41. Avec des approches variées et plus ou moins régulièrement, ces
professeurs mettent en ligne des contenus pédagogiques, sous forme écrite ou
vidéo, souvent à destination de leurs élèves en premier lieu, mais qui peuvent
s’avérer inspirant pour leurs collègues.
Nous mentionnerons enfin, à part, les sites des grands médias français ou
étrangers qui, selon l’actualité, peuvent ponctuellement fournir des informations et
des ressources comme les cartes interactives que nous avons déjà mentionnées
par exemple.
Tous ces sites peuvent constituer une véritable banque de ressources
numériques qu’il est important de se construire lorsque l’on exerce ce métier. C’est
d’ailleurs l’un des conseils donnés par Sophie Bresc-Litzler aux aspirants
professeurs préparant le CAPES : « Le candidat doit être capables de se
constituer, à l’aide d’une banque de données facilement réalisable, une culture
générale qui lui permette de comprendre pourquoi tel élément d’actualité est et
peut devenir un objet d’enseignement. » (BRESC-LITZLER, 2016)
Les ressources en ligne facilitent donc aujourd’hui énormément la vie des
professeurs en permettant une préparation de cours plus efficace et
plus rapide. Qu’on y recherche des informations scientifiques pour parfaire sa
culture, des idées de mises en œuvre pédagogiques ou des informations sur les
diverses pratiques pédagogiques, Internet est devenu un outil incontournable de
l’enseignant. C’est une véritable mine de contenus que le professeur peut
sélectionner et adapter ou retravailler à sa guise.
Ainsi, sans aller jusqu’à mettre en œuvre de véritables dispositifs
pédagogiques exigeants comme la classe inversée ou le travail des élèves sur
supports numériques (tablettes ou ordinateurs), projeter une carte interactive ou
une modélisation en trois dimensions c’est déjà faire de la géographie numérique
et familiariser les élèves à ces nouvelles représentations.
36 Voir : https://www.ined.fr/fr/ (16/04/2017)
37 Voir : http://geographie-muniga.fr/ (16/04/2017)
38 Voir : http://jolyhistoiregeographie.e-monsite.com/ (16/04/2017)
39 Voir : http://beaugency.over-blog.com/ (16/04/2017)
40 Voir : http://kanaga.ridel.org/ (16/04/2017)
41 Voir : http://lewebpedagogique.com/mariedesmares/ (16/04/2017)
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 34
b) Une solution pour sortir définitivement de(s) crise(s) ?
Il est effectivement plus que probable qu’une intégration forte des outils
numériques dans l’enseignement de la géographie puisse permettre un regain
d’intérêt et l’amélioration de l’image de marque de cette matière. En effet, comme
nous l’avons déjà signalé, la géographie numérique est au cœur des pratiques
sociales de la plupart des Français (GENEVOIS, 2008, p. 65). L’intérêt pour
comprendre le monde existe donc.
En témoigne le succès des cartes interactives après des médias (comme
Le Monde par exemple), qui les utilisent de plus en plus souvent pour présenter
certaines problématiques. En vertu du principe « qu’un bon croquis vaut mieux
qu'un long discours » (attribué à Napoléon Bonaparte), ces cartes sont très
facilement partagées sur les réseaux sociaux et souvent préférées aux articles
textuels. Il est donc important que les élèves soient familiers de la lecture et de la
compréhension de ce type de cartes auquel ils vont être confrontés durant toute
leur vie.
En effet, si les attentes liées aux informations géographiques ne sont pas
comblées par l’enseignement, il y a un risque de voir les élèves chercher ces
informations ailleurs et notamment sur Internet. L’apprentissage par les pairs est
effectivement une réalité sur le web. Il est donc d’autant plus important d’apprendre
aux élèves à faire le tri dans les informations disponibles et à repérer un contenu
de qualité.
D’autre part, avec la généralisation de l’utilisation des outils de
géolocalisation, se pose le problème de la confidentialité et de la gestion des
données personnelles. Un lieu commun concernant Internet est que « si c’est
gratuit c’est que vous êtes le produit ». En réalité, si l’on analyse les choses en
détail, si vous êtes le produit, ce n’est pas gratuit. Car vous payez avec vos
données personnelles en acceptant leur marchandisation par le site auquel vous
adhérez, sans contrepartie autre que celle d’utiliser le service proposé. Si
beaucoup de gens connaissent le lieu commun que je viens de citer, peu ont
pleinement conscience de l’explication que je viens d’en faire. Et c’est d’autant plus
le cas chez nos jeunes élèves qui débutent à peine leur navigation sur le web et
n’ont pas encore les filtres de comportement et la maturité des adultes.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il est essentiel de former les élèves
à la géographie numérique, afin qu’ils aient conscience que leur navigation laisse
des traces et que la géolocalisation n’est pas anodine dans certains cas. Comme
nous l’avons déjà vu, le géoweb peut être un outil de démocratisation et de mise
en œuvre d’initiatives citoyennes. Mais il faut pour cela que les élèves soient
formés aux usages et à la pratique de ces outils.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 35
Il y a alors fort à parier que les élèves verraient la géographie d’une autre
manière s’ils prenaient conscience de son utilité dans leur vie quotidienne.
Assurément, l’invention, puis la démocratisation profonde des technologies
de l’information et de la communication sont irrémédiablement en train de changer
notre société occidentale. De la même manière, le rôle du professeur est
logiquement en train de muter. Non pas que ce métier soit amené à disparaître
comme certains alarmistes tentent de le faire croire ; mais, au contraire, il se
transforme pour s’adapter à cette nouvelle société émergeante. « Les technologies
peuvent contribuer à des modifications des pratiques et des démarches
pédagogiques et donc participer à une évolution du rôle de l’enseignant dans de
nouveaux environnement » (AMADIEU & TRICOT, 2014).
Le numérique doit donc ici être envisagé comme un facilitateur pour la mise
en œuvre des contenus. Il n’est en aucun cas un but en soi, car il est évident que
certains contenus peuvent très facilement être enseignés plus simplement sans
recourir au numérique. Néanmoins, sa prise en compte, de même que la
conscience de l’importance de la science géographique dans nos sociétés du
XXIème siècle peuvent permettre de faire évoluer l’enseignement de cette discipline
de façon considérable.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 37
III. DES ELEVES EN CLASSE DE GEOGRAPHIE NUMERIQUE
Après avoir vu les bouleversements induits par les technologies numériques
dans la géographie en tant que science et dans son enseignement, nous allons à
présent nous intéresser à trois expériences menées avec des classes d’élèves du
secondaire. Chacun de ses expériences a été menées avec des classes de niveau
différents et dans des établissements différents où j’ai eu l’occasion d’enseigner.
Nous verrons comment le numérique a permis un travail différent sur les
compétences et quel intérêt il a suscité chez les élèves.
1) Jouer en géographie
La première expérience que nous analyserons ici est une expérience de jeu
sérieux (serious game). Elle a été menée avec des élèves de classe de 5ème en
2015-2016 lors de ma première année de stage en responsabilité au collège Louis
Pasteur de Neuilly-sur-Seine.
La cité scolaire Louis Pasteur comprend un collège (700 élèves), un lycée
(750 élèves) et plusieurs classes préparatoires (400 élèves) pour un total d’environ
1800 élèves et 75 professeurs. C’est donc un établissement important par sa taille.
De par sa situation géographique, à Neuilly-sur-Seine, c’est aussi établissement
sociologiquement favorisé. Les élèves sont majoritairement issus de familles
aisées et présentent généralement un bon, voir un très bon niveau scolaire. La
plupart d’entre eux ont déjà beaucoup voyagé et ont une connaissance du monde
plutôt bonne pour des collégiens.
La classe de 5ème 1 était d’un niveau plutôt homogène, bon à très bon, avec
des élèves possédant une culture générale plutôt honnête. Néanmoins, deux à
trois élèves présentaient des difficultés, surtout d’ordre méthodologique. Un élève
sur les vingt-neuf que comptaient la classe, posait un problème du fait de son
comportement mais cela n’empêchait pas le groupe de fonctionner correctement.
Cette expérience, menée en 2015-2016 prend donc appui sur les anciens
programmes scolaires de géographie, dans le cadre de la question III – Des
hommes et des ressources, thème 1- La question des ressources alimentaires. Il
s’agissait de faire « une étude comparée de la situation alimentaire dans deux
sociétés différentes » afin de montrer aux élèves les différents niveaux de sécurité
alimentaire qui peuvent exister selon les pays.
Mon cours a été conçu en trois parties prévues pour durer une heure
chacune. La première séance était consacrée à la comparaison de la situation
alimentaire entre la France et le Mali et prenait appui sur l’étude de cas du manuel
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 38
scolaire Belin édition 2010, p.256-257 (fig. 4). Elle avait pour objectif d’introduire le
sujet et de mettre les élèves en activité autour d’un questionnement sur les
pratiques alimentaires des deux pays. La deuxième séance était celle consacrée
au jeu sérieux et prenait place en salle informatique où les élèves étaient répartis
à deux par ordinateur. La troisième séance était une séance de conclusion
permettant de récapituler le jeu en classe entière, et de finir le chapitre.
C’est donc de la deuxième séance de ce chapitre dont nous allons plus
précisément parler à présent. Les élèves ont été invités à jouer au jeu sérieux Third
World Farmer42. Il s’agit d’un jeu vidéo disponible uniquement en ligne (c’est-à-dire
sans téléchargement) utilisant la technologie « Flash » disponible sur la plupart
des navigateurs. Ce jeu a été développé initialement dans le cadre d’un projet-
étudiant en informatique, à l’Université de Copenhague. Il a été mis en ligne en
2006 et s’est enrichi au fur et à mesure de versions multilingues, dont le français.
La version actuelle date de 2012.
C’est en cherchant sur Internet une manière originale et différente d’aborder
ce chapitre, qui me paraissait un peu aride, que je suis tombée sur ce jeu. Le
42 Voir : http://3rdworldfarmer.com/About.html (22/04/2017)
Fig. 4 – Se nourrir en France et au Mali
Double page du manuel scolaire Belin 5ème
, édition 2010, sous la direction de Stéphan Arias et Eric Chaudron.
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 39
principe est de simuler la gestion d’une ferme en Afrique. En ce sens, il est assez
similaire aux jeux de gestion grand public du type Caesar III, Age of Empires, Zeus
le maitre de l’Olympe, ou encore la série des Tycoon (Roller Coaster, Zoo, etc.) ou
celle des SimCity. Pour ceux qui ne seraient pas familier du genre, il s’agit de
prendre en main la simulation d’un environnement (une ville, un parc d’attraction,
un zoo, ...) avec pour objectif est de l’amener à son meilleur niveau. Chaque
décision (construction, guerre, plantations, ...) influe sur le « niveau de vie » de
l’environnement et des évènements inattendus (incendies, catastrophes
climatiques ou naturelles, survenue d’envahisseurs, grève, ...) peuvent se produire
et obligent le joueur à modifier sa stratégie pour s’adapter.
Third World Farmer est donc la simulation d’une ferme africaine. Lorsque le
jeu commence, le joueur possède 50 dollars et doit faire vivre une famille de quatre
personnes (deux adultes et deux enfants) (fig. 5).
Il a, à sa disposition, un certain nombre d’objets qu’il peut acheter. Il s’agit
ici donc surtout au départ d’acheter des graines, des animaux et du matériel
agricole. Le joueur pourra aussi acquérir des services tels que l’accès aux
télécommunications, à l’école, la construction de routes, des services médicaux ou
encore une assurance. Comme on peut le voir sur la figure 5, ces services coûtent
chers, compte tenu de notre budget de départ. Les joueurs commencent donc
Fig. 5 – Capture d'écran du tour 1 de Third World Farmer.
Position de départ du jeu avec onglets d’achats ouverts en haut à gauche. Voir http://3rdworldfarmer.com/index.html
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 40
généralement le jeu en dépensant la quasi-totalité de leurs ressources pour planter
des graines (au choix et à des prix différents : du maïs, du blé, du coton ou des
arachides). Ils peuvent planter uniquement dans la partie verte au premier plan.
Les autres zones sont réservées à l’implantation des animaux ou du matériel par
exemple.
J’ai trouvé intéressant de voir que le prix de ces semences se modifiaient
aléatoirement à chaque tour comme le font les véritables prix des semences,
soumis aux fluctuations des marchés financiers. De même, il n’était pas possible
d’acquérir une poule sans avoir l’abri adéquat ce qui coûte un certain prix. Les
élèves devaient donc tenter d’économiser leur argent avant d’acheter des animaux
ou du matériel. Ceci rend la simulation très réaliste et permet aux élèves de
véritablement prendre conscience des enjeux et des choix auxquels peuvent être
confrontés les fermiers des pays peu développés.
Une fois les premières plantes semées, il faut passer au tour suivant. Une
animation déroule le calendrier des mois de l’année pour bien faire comprendre au
joueur qu’une année entière s’est écoulée. Un tableau affiche alors le résultat de
l’année passée (fig. 6).
Fig. 6 – Capture d'écran du rapport annuel (ici, résultat du tour 1) du jeu en ligne Third World Farmer.
Voir : http://3rdworldfarmer.com/index.html
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 41
Comme on peut ici le voir, le joueur a planté quatre plants de maïs. On
affiche le rendement obtenu ainsi qu’éventuellement celui des animaux. La
colonne « gains et dépenses » explique en détail le calcul du revenu compte tenu
des coûts de la vie, de la capacité de travail de la famille (plus importante lorsqu’il
y a plus de membre, moins importante lorsque des membres sont malades). Un
modificateur peut aussi intervenir selon les évènements survenus pendant l’année.
Ici, on remarque qu’un « crash de la Banque Nationale » a fait perdre de la valeur
aux plantations et aux animaux tandis que le coût de la vie a augmenté. Le joueur
passe donc au tour 2 avec 28 dollars en poche.
Le jeu recommence donc comme au tour 1, sauf qu’ici le joueur a moins
d’argent. La mécanique est la même : planter/acquérir des biens ou des animaux,
passer au tour suivant, lire le rapport annuel, recommencer en fonction des
nouvelles circonstances. En effet, les évènements annuels peuvent aussi être
positifs. Une montée des cours du blé peut ainsi permettre d’augmenter les
revenus du joueur qui en aurait planté, de même qu’une bonne saison.
Les joueurs sont donc soit confrontés à une augmentation des revenus de
leur ferme, et peuvent alors l’amener vers plus de développement en achetant un
puit, du matériel agricole, des semences en plus grand nombre, des animaux, des
assurances, etc... Ou bien, ils sont confrontés à une baisse de revenus et doivent
s’adapter. Il est intéressant de remarquer que si les revenus atteignent un seuil
vraiment critique, le jeu propose au joueur des solutions pour gagner
« facilement » de l’argent. Ces solutions posent souvent des choix moraux mais
reflètent une réalité qu’il est intéressant de connaître. Ainsi, on peut se voir
proposer de faire un « spectacle de danses traditionnelles pour les touristes »,
accepter l’installation d’un camp paramilitaire ou de déchets toxiques sur ses terres
ou bien encore de planter du pavot à opium, ce qui est bien-sûr illégal.
La réaction des élèves face à ces situations a été très intéressante à
observer. En effet, beaucoup n’avaient aucun scrupule à accepter de planter du
pavot ou à danser pour les touristes, d’une part car leur souhait de continuer le jeu
avec plus d’argent était fort, d’autre part car beaucoup n’avaient pas réellement
conscience des implications morales, notamment concernant la plantation de
drogue. Dans ce dernier cas de figure il a été amusant de voir la déception des
élèves lorsqu’après deux ou trois tours bien lucratifs à planter du pavot, le jeu a fini
par envoyer l’armée détruire les champs des joueurs et saisir leurs biens. Ces
élèves ont alors vite conseillé à leurs camarades de ne pas planter que du pavot à
chaque tour, voire de refuser la proposition qui s’avère donc une mauvaise idée
en fin de compte.
Le jeu offre aussi la possibilité de changer les noms des personnages, de
les envoyer individuellement étudier (ce qui diminue la force de travail et coûte de
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 42
l’argent), de leur donner des médicaments pour améliorer la jauge de santé, de
leur faire avoir un enfant si c’est une femme adulte ou encore de leur faire quitter
la ferme (ce qui diminue également la force de travail mais permet à ce membre
de la famille d’accepter un travail en ville et d’envoyer de l’argent).
Le jeu s’arrête dans deux cas de figure, soit la famille est « sauvée », dans
le sens qu’elle est à présent suffisamment développée (matériel, animaux, mais
aussi assurances et services) pour être sortie de l’insécurité alimentaire ; soit la
famille est « décimée », tous les personnages étant morts de faim ou de maladie.
Si le deuxième cas de figure peut arriver très rapidement, le premier est
évidemment beaucoup plus lent à obtenir.
J’avais donc décidé au préalable du nombre de tour que je voulais permettre
aux élèves de faire et leur avait demandé de remplir un tableau descriptif [voir
annexe 1] qui reprennait les éléments du rapport annuel. J’avais aussi distibué aux
élèves une fiche de consigne qui reprennait les règles du jeu et quelques éléments
de prise en main [voir annexe 2].
Je me suis cependant assez vite rendue compte que ce n’était pas la bonne
manière de procéder. En effet, les élèves maitrisent très vite les codes de ce type
de jeu et sont extrêmement rapides ! Ils ne prennent donc pas la peine de bien lire
les rapports annuels et préfèrent maitriser le jeu par essais et erreurs. Ainsi au
moins la moitié de la classe a perdu la totalité des membres de sa ferme moins de
dix minutes après le début du jeu en autonomie. Autorisé à recommencer une
partie depuis le début, ils ont été alors beaucoup plus lents et mesurés dans leur
approche, réfléchissant et débattant par binôme de la stratégie à employer et des
éventuelles conséquences de tel ou tel choix.
J’ai donc décidé sur place de recentrer mon approche sur les difficultés
auxquelles les fermiers des élèves ont été confrontés. Je les ai laissé jouer en
totale autonomie, le nombre de tour qu’ils voulaient, sans plus insister sur mon
tableau descriptif que je pensais leur faire remplir. Je suis simplement passé de
groupe en groupe pour répondre aux questions des élèves.
A la fin de la séance en salle informatique, les élèves ont eu pour consigne
de rejouer chez eux (s’ils le souhaitaient et pouvaient) mais surtout de noter sur la
fiche de consigne les difficultés auxquelles leur agriculteur a été confronté dans le
jeu. C’est de ce travail que nous sommes partis pour conclure le chapitre sur la
sécurité alimentaire lors de la troisième séance du cours.
Il a été très intéressant de constater que la plupart des élèves avaient rejoué
chez eux et que pour la plupart ils avaient réussi à sortir leur famille de l’insécurité
alimentaire, ce qui les rendaient très fiers. J’ai été très étonnée de l’implication
émotionnelle des élèves dans le jeu, beaucoup ont passé du temps à renommer
MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 43
leurs personnages et investissaient de l’argent pour envoyer les enfants à l’école.
Ils étaient également assez affectés lorsque l’un des personnages étaient en
mauvaise santé et qu’il finissait parfois par mourir. Mais loin de se laisser abattres,
ils ont alors redoublé d’effort pour sortir la famille de l’insécurité en réfléchissant
aux choix les plus judicieux.
Ce jeu est véritablement une franche réussite. Non seulement les élèves y
ont totalement adhéré, mais en plus tous avaient parfaitement compris, (puisque
vécu !) les difficultés auxquelles les agriculteurs de pays peu développés sont
confrontés quotidiennement. Faire produire aux élèves une conclusion du chapitre
n’a posé aucun difficulté, même pour les élèves les plus faibles du groupe. J’ai eu,
d’autre part, la forte sensation d’avoir contribué à éveiller une conscience
citoyenne chez certains. En effet, des élèves ont relevé les conditions de vie
injustes de ces fermiers, soumis notamment aux caprices des marchés financiers
qui spéculent sur les matières premières. De même, s’ils comprennaient
parfaitement pourquoi les fermiers étaient parfois obligé d’accepter les spectacles
pour touristes, l’accueil des groupes paramilitaires ou le stockage des déchets
toxiques dans leurs champs, ils trouvaient ça parfaitement injuste que certains
profitent de la faiblesse économique de ces fermiers pour les exploiter ou poluer
la planète.
Ainsi je pense que ce jeu entre parfaitement dans l’enseignement
numérique de la géographie. En utilisant un jeu sérieux disponible en ligne, les
élèves ont compris un chapitre important du programme et ont aiguisé leur
conscience citoyenne. L’utilisation du jeu a levé bon nombre de freins
psychologiques chez les élèves, et, quel que soit leur niveau initial, tous ont
compris les enjeux du chapitre, y compris les élèves les plus en difficultés.
En guise de piste d’amélioration, je pense que cet exercice peut également
permettre de faire travailler la maitrise de différents langages aux élèves. En effet,
en partant d’un jeu, ils notent quelques éléments sur les difficultés rencontrés sous
forme de mots-clés, de courtes phrases ou de schéma. Ils pourraient ensuite, à
l’aide de leur expérience du jeu et de leurs notes, rédiger un court texte pour
présenter les difficultés des agriculteurs et les conséquences de l’insécurité
alimentaire dans les pays peu développés. Un tel travail sur ce jeu sérieux pourrait
tout à fait se retrouver dans le cadre du nouveau programme 2016 dans le chapitre
2 – L’alimentation : comment nourrir une humanité en croissance démographique
et aux besoins alimentaires accrus ? du thème 2 – Des ressources limitées, à gérer
et à renouveler.
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  • 1. TOUS GEOGRAPHES ? Quel enseignement de la géographie dans un monde tout-numérique. Mémoire de master 2 MEEF – 2016-2017 – Sophie TAN Soutenu le 3 mai 2017 Mémoire de Master 2 Métiers de l’Education, de l’Enseignement et de la Formation Réalisé sous la direction d’Henri Desbois Université Paris-Nanterre
  • 2. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 1 REMERCIEMENTS Pour commencer, je tiens à remercier chaleureusement M. Henri Desbois, professeur à l’Université Paris-Nanterre et directeur du présent mémoire, pour ses conseils et ses visites bienveillantes. Son expérience et ses suggestions ont nourri ma (toute jeune !) pratique enseignante. Je voudrais également remercier Mme Sonia Lehman-Frisch, co-responsable du Master MEEF 2nd degré à Paris-Nanterre pour sa présence et son soutien au cours de ces trois dernières années, de la préparation du concours du CAPES, jusqu’à la fin de ces années de stage, en passant par les péripéties liées à mon congé de maternité ! Mme Lehman-Frisch et M. Desbois ont été parmi les enseignants à l’origine de ma découverte de la géographie. Si aujourd’hui je me suis prise d’affection pour cette matière, c’est grâce à eux et je les en remercie aussi pour cela. Il ne saurait être question d’oublier ici nos formateurs académiques, Yoram Azerad et Jean-François Asselin. Toujours de bons conseils et à l’écoute des jeunes professeurs stressés que nous étions (et sommes toujours ?), je suis heureuse d’avoir eu l’occasion d’apprendre mon métier avec eux. Une pensée amicale accompagne également mon tuteur académique Philippe Schiesser, professeur d’histoire-géographie au collège Emile Zola de Suresnes et éminent spécialiste de numismatique médiévale. Ses conseils avisés et son approche pleine d’humour m’aident chaque jour à devenir une meilleure enseignante. Merci à lui ! Je voudrais aussi remercier spécifiquement mon collègue d’histoire-géographie, Frank Fonsa avec qui j’ai le plaisir de co-enseigner au collège Emile Zola plusieurs heures par semaine lors de l’accompagnement personnalisé. J’ai beaucoup appris à son contact ! Un très grand merci également à toute l’équipe pédagogique du collège Emile Zola de Suresnes où j’ai eu la chance d’enseigner cette année, sous la direction bienveillante et chaleureuse de Mmes Francine Garnier et Hayette Ounadjela. Alexandre, Vincent, Evelyne, Julie, Jordan, Fanny, Marielle, Mickaël, Clément, Lionel, Aurélie ... Ils sont trop nombreux pour être tous cités mais ils se reconnaitront ! Vos conseils et vos remarques ont aussi permis l’existence de ce mémoire et mes progrès comme enseignante. (Ainsi que le chocolat et les chouquettes bien évidemment...) Enfin, mes derniers remerciements vont à mon cher mari Young Sun Tan, ingénieur en informatique. Il est la première de mes personnes-ressources et outre ses conseils avisés, il est toujours disponible pour s’occuper de notre fils Maxime afin que je puisse travailler ! Merci aussi à mes parents, Elisabeth et Dominique, pour tout.
  • 3. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 3 SOMMAIRE REMERCIEMENTS .............................................................................................. 1 SOMMAIRE .......................................................................................................... 3 AVANT-PROPOS ................................................................................................. 5 INTRODUCTION .................................................................................................. 7 I. LES MUTATIONS DE LA GEOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DANS LE MONDE NUMERIQUE........................................................................................ 11 1) Un renouvellement des pratiques scientifiques... ..................................... 12 2) Qui entraine l’apparition de nouveaux champs de recherche disciplinaire14 a) La géomatique et les SIG ..................................................................... 14 b) Le géoweb............................................................................................ 17 3) Et transforme des amateurs en géographes. ........................................... 19 II. ENSEIGNER LA GEOGRAPHIE AU XXIEME SIECLE................................ 23 1) La géographie scolaire : en crise perpétuelle ?........................................ 23 a) Bref panorama historique ..................................................................... 23 b) Tout est toujours une question d’image................................................ 26 2) Les enjeux de l’enseignement de la géographie ...................................... 28 a) Affirmer la dimension militante de la géographie .................................. 28 b) (In)former les professeurs..................................................................... 29 c) Communiquer différemment autour de la géographie .......................... 30 3) Enseigner une géographie numérique ? .................................................. 31 a) Les TIC, nouvelle boite à outils du professeur de géographie ?........... 31 b) Une solution pour sortir définitivement de(s) crise(s) ?......................... 34 III. DES ELEVES EN CLASSE DE GEOGRAPHIE NUMERIQUE ................. 37 1) Jouer en géographie ................................................................................ 37 2) Manipuler un SIG en salle de classe........................................................ 44 3) Faire le tour du monde ............................................................................. 47 CONCLUSION.................................................................................................... 51 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 53 TABLE DES ILLUSTRATIONS ........................................................................... 57 ANNEXES........................................................................................................... 59
  • 4. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 5 La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c'est ce que le fils enseigne à son papa. Michel Serres (Philosophe) AVANT-PROPOS Il m’a semblé important en terminant d’écrire ce mémoire, d’y adjoindre un rapide avant-propos. En effet, ce travail est l’aboutissement des trois années de formation que j’ai entreprises pour devenir professeur d’histoire-géographie. Il est vrai que c’est la préparation du CAPES en 2014-2015 qui m’a amenée à la géographie. Enseigner n’était pas la voie que j’avais initialement choisie. Ayant fait mes études à l’Ecole du Louvre en histoire de l’Art et médiation culturelle, puis à l’ISCOM en communication, j’ai tout d’abord travaillé plusieurs années dans le secteur privé, comme chargée de communication culturelle, notamment sur des projets européens. C’est ma volonté de changer d’orientation professionnelle qui m’a conduite sur les bancs de l’Université Paris-Nanterre, où j’ai assisté pour la première fois à un véritable cours de géographie. Ce fut une découverte ! Le choix d’un mémoire de master 2 en géographie m’a donc paru évident, à la condition de pouvoir y mêler mon expérience professionnelle passée et mon intérêt de longue date pour les technologies numériques. J’avais, en effet, déjà écrit deux précédents mémoires sur l’importance des technologies et des réseaux sociaux dans le secteur culturel (voir bibliographie) et longuement travaillé avec ces outils au quotidien. Il m’a, de plus, semblé logique de placer ce travail à la suite d’une citation de Michel Serres dont les écrits ont profondément contribué à former ma pensée sur l’intérêt pédagogique des technologies numériques. J’ai évidemment ici abordé les choses avec mon parcours et ma formation dans la communication. Je ne suis ni géographe, ni véritablement historienne, mais j’espère avoir pu apporter un point de vue intéressant sur les questionnements didactiques et épistémologiques que posent l’utilisation des technologies numériques dans l’enseignement de la géographie. Enfin, il faut dire qu’à l’heure où j’écris ces quelques lignes, nous venons de passer le premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Je ne vais pas revenir sur la campagne électorale qui vient d’avoir lieu, ni commenter les résultats qui sont advenus. Mais il est évident que ce contexte a joué dans la rédaction de ce travail. Mon positionnement sur l’importance du rôle civique de la géographie, et en particulier de la géographie numérique, et mes choix d’insister sur cette question ne sont donc pas anodins dans ce contexte.
  • 5. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 7 INTRODUCTION L’inscription, en août 2016, dans le Code du Travail français d’un « droit à la déconnexion »1 met en lumière une habitude prise par les salariés français et leurs employeurs : celle d’être constamment relié à leur travail par le biais des technologies numériques et notamment d’Internet. Les historiens du futur retiendront peut-être cette date comme celle à partir de laquelle Internet a fini par faire tellement partie de la vie des gens que le législateur a rendu la question obligatoire lors des négociations salariales. Quoi qu’il en soit, en 2017, plus personne ne contestera l’importance prise par Internet et plus généralement par les technologies de l’information et la communication (TIC) dans la vie quotidienne des citoyens des pays développés et mondialisés. En effet, chaque jour, en France, 74% de nos concitoyens accèdent à Internet. Le chiffre monte à 95% si l’on prend la tranche d’âge des 18-24 ans. 100% des 12-39 ans sont internautes, soit donc la quasi-totalité des collégiens et des lycéens français. On passe en moyenne 18 heures par semaine sur Internet dont 58 min par jour, rien que sur l’Internet mobile2. Il est également intéressant de noter que la même enquête mentionne 42% de Français utilisant leur téléphone pour rechercher un commerce local via la géolocalisation. Ainsi une part importante de la population emploie régulièrement une application cartographique pour s’orienter dans l’espace. Que ce soit avec un GPS (intégré ou non dans un véhicule), en utilisant les fonctionnalités d’un smartphone ou grâce à un service de géolocalisation, les Français sont donc amenés à faire régulièrement de la « géographie numérique ». A tel point que l’on peut dire aujourd’hui sans exagérer que la carte numérique fait partie du quotidien des Français. Pour citer Henry Bakis et Jérémie Valentin (BAKIS & VALENTIN, 2010) : « A l’heure de la généralisation des Technologies d’Information et de Communication, tout le monde fait de la géographie comme M. Jourdain faisait de la prose. » Ainsi, concevant des cartes 1 La loi du 8 août 2016 a modifié le Code du Travail pour introduire notamment le point n°7 dans l’article L2242-8 concernant les sujets pouvant faire l’objet de négociation annuelle entre salariés et employeurs : « Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. » Voir Legifrance.gouv.fr : https://goo.gl/nHkr2V (07/04/2017) 2 Chiffres du CREDOC « Baromètre du numérique » 2016, consultables sur http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-internet/ et sur http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R333.pdf (07/04/2017)
  • 6. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 8 avec MyMaps3 et circulant avec Waze4, nous serions tous des géographes, non pas en puissance, mais à part entière, quelle que soit notre formation, notre lieu de vie ou encore notre conception de l’espace. Partant de ces constats, le présent travail a pour objet de réfléchir à la place et à la forme de l’enseignement de la géographie dans un contexte où les outils numériques, et surtout les outils numériques géographiques, sont omniprésents, utilisés et utilisables par tous. Matière souvent mal aimée des élèves et de leurs enseignants, qui sont à 90% des historiens (LE ROUX, 2001), la géographie n’occupe, d’après les rapports d’inspection, qu’un tiers du volume horaire enseigné, au lieu des 50% théoriquement attendus (SIERRA, GRATALOUP, & GARCIA, Les relations entre géographes et historiens : enseignement, didactique, épistémologie, recherche, 2012). Quoi de plus étonnant quand on entend parfois de la bouche de professeurs expérimentés le conseil suivant : « oh bah si tu n’arrives pas à boucler le programme, tu fais comme nous, tu zappes le dernier chapitre de géo... » La question a donc un mérite légitime à être posée, cet enseignement présente-t-il toujours un intérêt au XXIème siècle ? Sa suppression a été envisagée en Italie en 1998 (PUMAIN, 1998) et le débat existe aussi en France depuis de nombreuses années (LE ROUX, 1999). La matière a même été supprimée (avec l’histoire) des programmes de Terminale Scientifique entre 2010 et 2014. Aujourd’hui, les TIC, et en particulier celles dont la dimension participative est forte, montrent que les échanges entre utilisateurs favorisent un apprentissage par les pairs au sein de communautés importantes. Quelle est, alors, la place du professeur de géographie devant ce « triomphe évident de l’informatique et des méthodes numériques, non seulement comme outils mais aussi comme modèles dominants de l’organisation sociale et l’activité intellectuelle » (DESBOIS, 2008) ? Est-il encore utile de savoir placer un fleuve sur une carte du monde lorsque cette information est disponible en deux clics sur mon smartphone ? Mon professeur est-il forcément plus légitime qu’un internaute lambda pour m’apprendre à concevoir une carte ? La géographie que nous, professeurs, enseignons, est-elle (doit-elle être ?) la même qu’il y a un siècle ? A l’heure où chaque individu peut littéralement tenir le monde dans sa poche, nous verrons pourtant que l’enseignement de la géographie a plus que jamais un intérêt majeur dans la formation des citoyens de demain. 3 MyMaps est le service de création de cartes personnalisées de Google. Voir : https://www.google.com/maps/about/mymaps/ (07/04/2017) 4 « Waze est l'application de trafic et de navigation communautaire ayant la plus grande communauté dans le monde. » Voir : https://www.waze.com/fr/ (07/04/2017). Elle a été rachetée par Google en 2014.
  • 7. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 9 Nous analyserons tout d’abord les bouleversements apportés par les TIC aux géographes professionnels. Nous verrons qu’au-delà des facilités proposées par les outils numériques à toutes les sciences, et du développement de nouveaux champs de recherche, c’est bien la question de l’irruption des amateurs qui est aujourd’hui au cœur des questionnements scientifiques et épistémologiques de la discipline. Puis nous verrons plus précisément comment enseigner la géographie dans ce monde tout-numérique. La géographie scolaire semble en effet en crise perpétuelle depuis son introduction dans les programme du secondaire. Est-ce réellement une matière en danger de disparition ? Contrairement à ce qui est souvent cru, la géographie a un véritable rôle social, au même titre que l’histoire. Nous verrons quelle place lui (re)donner dans l’enseignement contemporain. Enfin, la dernière partie de ce mémoire sera consacrée à l’apport du numérique du point de vue des élèves. Nous présenterons plusieurs expériences d’utilisations d’outils géographiques numériques, menées en classe avec des élèves de collège. Les outils numériques, réputés faciles à prendre en main pour les élèves, le sont-ils vraiment ? Permettent-ils une meilleure compréhension de phénomènes géographiques complexes ? Génèrent-ils plus d’attractivité pour la géographie ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser ici.
  • 8. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 11 I. LES MUTATIONS DE LA GEOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DANS LE MONDE NUMERIQUE S’il n’est évidemment pas question de réécrire ici l’histoire des technologies numériques et d’Internet, on peut cependant donner quelques éléments de chronologie pour resituer un peu le propos. Comme souvent avec les avancées technologiques, c’est l’armée qui est à l’origine du développement d’outils servant avant tout ses propres intérêts. Ainsi la Guerre Froide a vu l’apparition des satellites de détection utilisés pour cartographier le territoire ennemi et obtenir du renseignement. Ce n’est cependant qu’à partir des années 1970 que les premiers satellites civils d’observation de la Terre ont été mis en service (ERTS - Landsat 1 en 1972) (DESBOIS, 2015), permettant ainsi d’avoir les premières images satellite utilisables par des chercheurs universitaires. Quelques années plus tard, en 1977, les premiers micro-ordinateurs « grand public » firent leur apparition5. Bien que l’on puisse concrètement faire remonter aux années 1960 l’apparition des premiers ordinateurs à usage professionnel ou scientifique, c’est véritablement à partir de la fin des années 1970 et surtout durant les deux décennies 1980-2000 que l’informatique s’est véritablement démocratisée et diffusée dans le monde. Ces nouveaux outils ont alors permis aux scientifiques de traiter plus massivement les données issues de leurs travaux. Internet, quant à lui, prend sa source dans la création du réseau Arpanet aux Etats-Unis. Présenté pour la première fois publiquement lors de la première conférence internationale sur les communications informatiques (ICCC) en 19726, le réseau ne s’est véritablement popularisé qu’à partir des années 1990, avec l’invention par Tim Berners-Lee de son service le plus connu : le World Wide Web7, avec lequel Internet est souvent confondu. Tim Berners-Lee est chercheur au CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) à Genève, lorsqu'il invente, en 1989, le système hypertexte organisé en toile. Il propose en effet d'utiliser Internet pour organiser les informations du réseau interne du CERN sous forme de toile d'araignée. Chaque information constituerait un nœud et chaque fil constituerait un hyperlien permettant de relier ces informations entre-elles, de manière extrêmement rapide et efficace. Le but était alors « que des scientifiques travaillant dans les universités et les instituts du monde entier puissent s'échanger 5 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordinateur_personnel (10/04/2017) 6 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/ARPANET (10/04/2017) 7 « Le World Wide Web [...] est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet. Le Web permet de consulter, avec un navigateur, des pages accessibles sur des sites. L’image de la toile d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles. » Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/World_Wide_Web (10/04/2017)
  • 9. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 12 des informations instantanément »8 Le tout premier site web de l'histoire proposait des informations techniques sur ce projet. (TAN-EHRHARDT, 2010) Ainsi, il est intéressant de remarquer que c’est pour faciliter le travail des chercheurs du monde entier que ce service a été créé initialement. Il avait comme but premier de permettre la diffusion de la connaissance et du travail scientifique le plus rapidement possible. 1) Un renouvellement des pratiques scientifiques... Aujourd’hui, presque 30 ans plus tard, on peut considérer que le web a atteint et même dépassé les espérances de son créateur. Fortement démocratisé à partir des années 1995-2000, le web a permis un profond renouvellement des pratiques scientifiques. En effet, on ne compte plus aujourd’hui, les plateformes de diffusion d’articles scientifiques (on peut citer par exemple : CAIRN, OpenEdition, ou l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL9), ni même les blogs et autres sites personnels de chercheurs. Ils sont la réponse à l’une des critiques très rapidement émise à l’encontre du web et formalisé pour le compte des historiens par Philippe Rygiel : « L’un des commentaires les plus fréquents faits par les étudiants, ou les historiens, utilisant Internet est en effet que le réseau regorge sans doute d’informations mais qu’elles sont fort difficiles à trouver et que leur fiabilité est sujette à caution. La structure du réseau l’explique en partie : aucune autorité centrale ne contrôlant ni ne classant les documents accessibles depuis celui-ci, le réseau ressemble de ce fait physiquement à une gigantesque collection de greniers, parfois rarement nettoyés, en lesquels de multiples individus déposent des documents de toute nature » (RYGIEL, 2004). Le développement des moteurs de recherche comme celui de Google ont permis de remédier au problème de l’indexation et les plateformes d’édition en ligne permettent aujourd’hui, dans une certaine mesure, de fiabiliser les articles en leur apportant une caution scientifique. Les écrits de Philippe Rygiel au sujet du web comme ressource pour les historiens permettent d’illustrer des problématiques communes à l’ensemble de la recherche scientifique, en Europe et dans le monde. D’un côté, le web est unanimement salué comme ayant permis de diffuser rapidement une masse d’information inégalée à ce jour, évitant à de nombreux chercheurs d’avoir à se déplacer pour consulter des archives par exemple ; mais d’un autre côté, 8 Voir l’histoire du web sur le site du CERN : https://home.cern/fr/topics/birth-web (10/04/2017) 9 Voir : https://www.cairn.info/ // http://www.openedition.org/ // https://hal.archives-ouvertes.fr/ (10/04/2017)
  • 10. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 13 l’abondance de ces informations et leur diffusion sans tri, ni restriction, effraient encore bon nombre de scientifiques. En France, la démocratisation des outils numériques et l’accès à Internet généralisé de la majorité de nos concitoyens, a inspiré à Boris Mericskay et Stéphane Roche une réflexion sur le développement possible d’une « science citoyenne ». « Ce concept désigne des programmes de recherche associant des scientifiques à une participation citoyenne d’amateurs volontaires » (MERICSKAY & ROCHE, 2011). Il s’agit initialement de faire appel à des citoyens volontaires pour aider les chercheurs à collecter des informations sur un vaste terrain. Cette méthode permet aux scientifiques de récupérer un grand nombre de données rapidement et à peu de frais. Avec le développement de l’informatique personnelle et de l’accès au web, des projets que l’on peut qualifier de « science citoyenne 2.0 » ont vu le jour, mettant à profit la puissance de calculs des machines domestiques. C’est le cas par exemple du projet de l’université californienne de Berkeley, Seti@home10 dont l’objectif est d’utiliser les ordinateurs connectés à Internet pour analyser des données provenant de radiotélescopes, scannant l’espace à la recherche d’intelligence extraterrestre. Lancé en 1999, ce projet utilise la technologie du grid-computing (grille informatique11) qui consiste à emprunter la puissance de calcul inutilisée des ordinateurs de bureau pour la mettre au service des scientifiques. Les ordinateurs individuels en réseau se comportent alors comme un supercalculateur au service du projet. Beaucoup d’autres programmes de recherches de ce genre existent actuellement sur des thèmes aussi variés que la biologie moléculaire, l’étude du climat ou la factorisation de grands nombres entiers. Une liste non exhaustive peut être consultée sur le site de l’Université de Berkeley12. Ainsi, ces projets vont dans le sens de la proposition de « citoyens capteurs » (citizen as sensors) faite par Michael F. Goodchild (GOODCHILD, 2007). Selon lui, chaque être humain est capable d’agir comme un capteur intelligent, pourvu qu’il soit muni des bons outils de mesure. Il milite pour que les géographes encouragent les citoyens à collecter davantage de données géographiques pour alimenter et tenir la recherche à jour, notamment sur des terrains difficiles d’accès. Le principal écueil présenté est celui de la validité des informations collectées par des non-spécialistes et comportant peut-être parfois des biais ou des erreurs. A cette interrogation légitime, Mericskay et Roche apportent une réponse en citant plusieurs études qui montrent « les retombées 10 Voir : http://setiathome.berkeley.edu/ (12/04/2017) 11 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Grille_informatique (12/04/2017) 12 Voir : http://boinc.berkeley.edu/projects.php (12/04/2017)
  • 11. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 14 positives et la grande qualité des données issues de la méthode de suivi environnemental par contribution volontaire, pour autant que le processus soit à la fois bien normalisé et bien encadré » (MERICSKAY & ROCHE, 2011). Goodchild rappelle également que les scientifiques qu’étaient Humboldt ou Darwin, seraient certainement considérés, selon les standards actuels, comme des amateurs, vu leur manque de formation aux techniques de mesure et leurs diplômes peu avancés. Selon ces auteurs, le recours aux citoyens peut donc faire progresser la géographie comme cela a déjà été le cas pour d’autres sciences ; et cela d’autant plus qu’il existe une forte familiarité entre les objets géographiques et le grand public, comme nous le verrons plus en détail par la suite. 2) ... Qui entraine l’apparition de nouveaux champs de recherche disciplinaire... Comme nous venons déjà de l’aborder partiellement, la géographie bénéficie aussi de l’avancée des technologies pour le développement de la recherche scientifique. Sans entrer dans les détails, on peut dater l’apparition de l’informatique dans la géographie de la « révolution quantitative » à la fin des années 1950, début des années 1960, avec l’utilisation accrue de statistiques informatisées13. Parallèlement à cela, on notera aussi le développement des méthodes de télédétection par avion mais aussi par satellite. L’obtention d’un nombre de plus en plus important de données, allié au développement de la technologie a ainsi, entre autres, permis la création de modèles numériques de terrain14. Ces modèles permettent d’obtenir une représentation en trois dimensions très précise d’un terrain à partir des données d’altitude. Ce type de modèle ne prend pas en compte les bâtiments ou les plantes présents sur le sol, mais il existe un autre modèle qui le permet : le modèle numérique d’élévation. a) La géomatique et les SIG Si la révolution quantitative et le développement des modèles numériques ont eu un impact indéniable sur la géographie, les technologies informatiques ont surtout permis l’émergence d’une nouvelle branche de la science : la géomatique. 13 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Révolution_quantitative_en_géographie (12/04/2017) 14 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Modèle_numérique_de_terrain (12/04/2017)
  • 12. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 15 C’est vraisemblablement le géomètre et photogrammètre français Bernard Dubuisson qui a employé ce mot pour la première fois en France à la fin des années 1960 pour décrire le renouvèlement de la pratique de sa profession par l’informatique (JOLIVEAU, 2010). Au croisement de l’informatique et la géographie, ce champ de recherche semble hésiter au départ entre s’affirmer comme une science à part entière ou se positionner comme un outil au service des géographes, voire des collectivités et autres gestionnaires de territoires. Marcel Bergeron définissait dans les années 1970 la géomatique comme : « une discipline ayant pour objet la gestion des données à référence spatiale par l’intégration des sciences et des technologies reliées à leur acquisition, leur stockage, leur traitement et leur diffusion ». Selon les auteurs du Petit guide pratique de la géomatique à destination des employeurs, des candidats, des formateurs : « La géomatique est donc une réponse à la prise de conscience que la numérisation progressive des données géoréférencées, induite par le développement de l’informatique, implique un dialogue et un rapprochement de disciplines qui traitaient jusqu'alors séparément de ce type de données en fonction de leurs objectifs spécifiques » (BALLEREAU, BAZILE, DEJOUR, & AUTRES, 2013). Ainsi la géomatique, en se situant au croisement de plusieurs disciplines, échappe quelque peu aux cadres dans lesquels nous avons l’habitude d’enfermer les sciences. Ayant pour fondement l’utilisation de l’informatique dans le traitement des données, c’est donc une véritable science contemporaine, qui n’a pas de raison d’être sans l’informatique. Quoi de plus logique, alors, que la géomatique soit à l’origine de l’invention des systèmes d’information géographie, les SIG. « Un SIG est un logiciel permettant de manipuler des objets géoréférencés, c’est-à-dire liés à un référentiel géographique [...] Les SIG peuvent servir à produire des cartes à partir de données d’origines variées en les intégrant dans un référentiel unique. » (DESBOIS, 2015) C’est Roger Tomlinson qui a développé le premier SIG en 1960 pour le Canada15. Le SIG canadien était une avancée réelle par rapport à la simple cartographie par ordinateur proposée auparavant. En effet, la grande nouveauté de ce type de logiciel était de permettre la superposition de différentes couches d’informations sur un même terrain. On peut alors obtenir un croisement de données intéressant et plus pertinent selon les besoins. Par exemple, on peut croiser les données que l’on possède concernant les crues majeures passées d’un lieu précis, avec la carte de l’évolution du bâti industriel sur ce même lieu et ainsi observer quels bâtiments seraient touchés en cas de crues importantes. On peut 15 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Système_d’information_géographique (12/04/2017)
  • 13. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 16 aussi croiser des données statistiques comme les régions françaises à solde migratoire négatif avec le taux de chômage. Un SIG, comme QGIS par exemple, permet alors d’obtenir la carte ci-après (fig. 1). Il est intéressant d’observer qu’utiliser un SIG permet d’élaborer des scénarios divers et de faire des constatations qui ne seraient pas forcément venues à l’esprit au premier abord. Ainsi, sur la carte (fig. 1), les régions qui ont un solde migratoire négatif ne sont pas forcément celles qui ont le plus fort taux de chômage. L’Île-de-France, qui est la première région pourvoyeuse d’emplois en France, apparait ici comme l’une de celles qui possèdent un solde migratoire négatif, ce qui signifie qu’elle perd des habitants. Très coûteux au départ, les SIG se banalisent à partir de la fin des années 1980, notamment du fait de la baisse importante des coûts des licences et du matériel (DESBOIS, 2015). Ils restent néanmoins complexes d’utilisation et représente toujours un véritable enjeu de formation pour les étudiants en géographie. En effet, outre de bonnes connaissances en géographie, les SIG nécessitent aussi une vraie maitrise technique de l’outil informatique et un investissement considérable en temps de prise en main car ses outils sont souvent assez puissants et possèdent donc de nombreuses fonctionnalités. Fig. 1 – Les migrations et le taux de chômage en France. Carte réalisée par mes soins, lors de la formation académique EduGéo/QGIS du 12 janvier 2017.
  • 14. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 17 D’autre part, de vraies questions épistémologiques se posent quant aux biais de l’information contenue dans les SIG. En effet, ces logiciels nécessitent l’import de jeux de données, généralement produits par un tiers (des collectivités territoriales ou des entreprises privées, par exemple) et qui peuvent être éventuellement obsolètes, incomplets ou comporter des erreurs. Il peut aussi arriver qu’ils ne soient pas aussi neutres que l’on pourrait le penser au premier abord, surtout si les données sont produites avec un objectif précis, qu’il soit conscient ou non. De même les logiciels en eux-mêmes peuvent être limités dans leurs fonctionnalités et peuvent refuser à l’utilisateur telle ou telle manipulation, influençant son travail sans même qu’il ne s’en rende véritablement compte. Les SIG ne sont donc pas la panacée, et même s’ils ont permis, et permettent toujours, aux géographes de produire des cartes et des analyses pertinentes, il faut garder un certain recul critique dans leur utilisation. b) Le géoweb Aujourd’hui, avec la démocratisation d’Internet, les SIG se sont véritablement diffusés jusqu’au grand public. On peut en effet, considérer que Google Earth est un SIG grand public. Pour citer Michael Goodchild, repris par Henri Bakis et Jérémie Valentin : « Aujourd’hui un enfant de 10 ans peut accomplir, grâce à une interface simplifiée et quelques minutes d’instruction, une tâche qui, auparavant, aurait exigée une année de cours universitaire » (BAKIS & VALENTIN, 2010). Avec le web, toute une série d’applications géographiques a vu le jour. Les géographes ont logiquement nommé cet ensemble le géoweb. Il existe plusieurs définitions du géoweb, et certaines sont complémentaires. Thierry Joliveau (JOLIVEAU, 2010) le définit comme « une organisation par l’espace de l’information sur Internet à travers un géoréférencement direct ou indirect sur la surface terrestre ». Boris Mericskay (MERICSKAY, 2011), quant à lui, définit le géoweb comme « la convergence des technologies de l’information géographique et du Web (déclinaison géographique du Web) ». La date retenue généralement pour l’émergence du géoweb est celle de 2005 avec l’apparition de Google Maps et de Google Earth (DESBOIS, 2015) (JOLIVEAU, 2010). Ces produits du géant américain d’Internet font désormais complètement partie de nos vies, mais leur apparition a constitué une véritable révolution. En effet, parce qu’ils se positionnaient d’emblée au niveau mondial, contrairement à leurs concurrents de l’époque (ViaMichelin, Mappy, ...), centrés sur une zone géographique plus restreinte, les produits Google ont fait rapidement de nombreux adeptes. Depuis, et cela malgré de nombreux concurrents proposant des services comparables, ils restent largement les plus utilisés (voir fig. 2).
  • 15. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 18 Ce qui a aussi contribué au succès immédiat de Google Maps est la possibilité de l’intégrer sur d’autres sites web par le biais de son API (application programming interface). Les API sont des interfaces de programmation qui permettent aux développeurs d’inclure les données d’un service distant (ici par exemple, la cartographie de Google) dans l’application qu’ils construisent. Ainsi Google a largement contribué au développement du géoweb en permettant aux créateurs d’applications et de sites internet d’inclure facilement de la cartographie dans leurs services. (JOLIVEAU, 2011) Thierry Joliveau met en avant deux usages possibles du géoweb (JOLIVEAU, 2011). « On peut mobiliser une information à distance sur des lieux précis par les services cartographiques : on explore alors le monde par le Web. On peut aussi consulter et mobiliser cette information in situ grâce aux interfaces mobiles comme le téléphone : on explore alors le Web par le monde. » Dans le premier cas, l’utilisation d’un service de cartographie en ligne permet donc d’obtenir à distance des informations sur un lieu donné. Ces outils peuvent être utilisés pour repérer un chemin avant un déplacement ou se faire une idée plus précise d’un endroit dans lequel on n’est jamais allé. Dans le second cas, en faisant appel aux techniques de géolocalisation, l’internaute mobile peut obtenir des informations sur ce qui se trouve directement autour de lui. Par exemple, l’auteur et le sujet de l’œuvre d’art qu’il vient de croiser16, ou encore l’adresse et les 16 C’est ce que propose (entre autres) l’application CityMap La Défense en documentant les quelques soixante-neuf œuvres d’art présentes dans le quartier d’affaires. Voir : http://www.ladefense.fr/fr/tags/paris-la-defense-city-map-application-mobile-geolocalisation- pietonne (12/04/2017) Fig. 2 – Capture d'écran du site d'analyse de parts de marché Datanyse, classant les principaux fournisseurs de cartographie en ligne en fonction du nombre de sites intégrant leur technologie. Les produits Google sont représentés sur le graphique par les trois plus grandes zones en orange, vert anis et bleu foncé. Voir : https://www.datanyze.com/market-share/maps (13/04/2017)
  • 16. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 19 horaires d’ouverture du magasin le plus proche possédant l’objet qu’il souhaite acquérir. Avec l’apparition en 2007 du web dit 2.0 ou participatif, les géographes et les géomaticiens se sont intéressés plus particulièrement aux interactions avec le grand public, premier utilisateur, devenu, du coup, premier producteur du géoweb. Des amateurs devenaient alors producteur de contenus géographiques, donnant naissance au courant de la néogéographie. (JOLIVEAU, 2010) 3) ... Et transforme des amateurs en géographes. En effet, depuis 2007 et l’introduction d’une dimension participative dans le web, les utilisateurs sont de plus en plus invités à produire eux-mêmes des contenus. C’est la campagne de Ségolène Royal aux présidentielles de 2007 qui, en appelant aux contributions sur Internet dans le cadre de la démocratie participative, a véritablement popularisé cette dimension du web en France. A l’heure actuelle, il est plus que commun pour les citoyens de contribuer au débat public sur les réseaux sociaux. Il en va de même pour le géoweb. Ainsi Flickr, un réseau social de partage de photos, permet à ses membres de géoréférencer leurs photos afin qu’elles apparaissent sur la carte mise à disposition des utilisateurs du site17. Aujourd’hui, les internautes ont parfaitement intégré cette dimension de production de contenus et on assiste à une véritable inflation des données géographiques sur le web. « L’information géographique n’émane plus seulement de grands producteurs d’information institutionnels et privés. Une partie est désormais produite, enrichie, mise à jour et diffusée par le grand public selon une logique ascendante » (MERICSKAY & ROCHE, 2011). C’est ce que Michael Goodchild a théorisé sous le terme d’information géographique volontaire (volunteered geographic information) ou VGI (BAKIS & VALENTIN, 2010). Les internautes participent volontairement à la production et à la diffusion d’informations de nature géographique sur le web. Goodchild explore les motivations et les limites de ces contribution dans ses écrits dont la plupart datent d’une dizaine d’années et des débuts du web participatif. Aujourd’hui, il est certain que le web a profondément changé les mentalités des gens. La dimension participative et contributive est parfaitement ancrée dans les mœurs de la jeune génération et la logique horizontale de diffusion des connaissances est en passe de devenir la norme. Ces bouleversements 17 Voir : https://www.flickr.com/map Flickr propose 1 730 596 éléments géotaggés à ce jour. (12/04/2017)
  • 17. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 20 irriguent toute la société et se propagent dans tous les domaines, pas uniquement dans la géographie. Lorsque l’on étudie l’histoire de la géographie, on se rend très vite compte que cette science s’est d’abord développée au service du pouvoir. Il y a, en effet, un véritable enjeu de gouvernance à connaître le territoire que l’on possède et ses habitants. Yves Lacoste, en 1976, avait d’ailleurs créé la polémique en intitulant son ouvrage : La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre. Il fustigeait une « géographie des professeurs » apparue au XIXème siècle, inintéressante et rébarbative, qu’il opposait à la « géographie des états-majors » constituant ce savoir stratégique indispensable aux conflits armés (LACOSTE, 1976 [2012]). A l’heure actuelle, avec les outils numériques et le web participatif, ce savoir stratégique est à portée de tous. C’est notamment le cas des cartes. Aujourd’hui, « produire et publier une carte est à la portée de quiconque dispose d’une culture technique informatique un peu développée » (DESBOIS, 2015). D’objet de prestige, réservé à une certaine élite et fortement protégé, la carte est devenue une image commune et un objet du quotidien pour la plupart des internautes qui les produisent souvent eux-mêmes. La cartographie est sans doute l’une des branches de la géographie qui a le plus évolué avec l’apparition des nouvelles technologies (fig. 3). De la simple carte papier numérisée mais statique, elle est devenue interactive, dynamique, multimédia, mobile, et surtout son édition est devenue accessible au grand public (MERICSKAY, 2011). A force de se diffuser et d’être maitrisée par le plus grand nombre, la carte a fini par devenir un véritable instrument démocratique. En effet, elle constitue un outil efficace pour mener à bien des projets d’aménagement du territoire en favorisant l’information et la communication sur ces projets. Les citoyens sont aujourd’hui plus familiers des cartes, et l’interactivité de ces dernières facilite aussi la compréhension de projets complexes en permettant de voir sur le même plan, « le présent, le prévisible et le souhaitable » (MERICSKAY, 2011). En ayant un meilleur accès aux données qui sont à la fois plus attractives et plus interactives, les citoyens comprennent mieux les projets d’aménagement qu’on leur propose et peuvent ainsi mieux participer à la vie démocratique. La facilité de création de cartes et l’accès aux données peut même permettre aux citoyens de faire éventuellement des contre-propositions, le cas échéant.
  • 18. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 21 Cependant, s’il est vrai que le grand public est de plus en plus familier des cartes, nous voyons ici un enjeu majeur concernant la formation des citoyens. Internet est, il est vrai, un formidable outil de démocratisation. Mais encore faut-il savoir effectivement s’en servir et il y a ici actuellement une forte inégalité de compétences entre les citoyens. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la maitrise des outils informatiques n’est pas innée, y compris chez les plus jeunes, et que les interfaces les plus ergonomiques et les plus attrayantes du monde ne compenseront pas une absence totale de compréhension basique du fonctionnement de ces outils, ni même le manque de connaissances géographiques. Comme nous venons de le voir, les outils du géoweb ouvrent la voie à des initiatives citoyennes fortes. Ils permettent de proposer un débat sur des questions géographiques comme l’aménagement du territoire ou le développement durable, qui concernent les citoyens au premier plan. Pour autant, participer pleinement à Fig. 3 – Les différentes formes de cartographie sur Internet. Boris MERICSKAY, Les SIG et la cartographie à l'ère du géoweb, L’Espace géographique 2011/2, 2011, p.146.
  • 19. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 22 cette vie démocratique nécessite « d’avoir une formation élémentaire à la réflexion cartographique » (GUERMOND, 2011) et une certaine maitrise générale des outils informatiques. Si ces conditions sont réunies alors « la voie est ouverte pour des initiatives citoyennes ou participatives, qui visent à proposer un débat parmi les habitants ou les usagers sur des problèmes régionaux, sociaux ou environnementaux » (Ibid.). La formation géographique et numérique des citoyens par l’école semble donc être une condition sine qua non du développement de telles initiatives démocratiques. L’école conditionne en effet un accès égal à la connaissance et au développement des compétences. De même qu’il est indispensable de former les citoyens à l’esprit critique, il faut leur donner des connaissances géographiques correspondants aux usages actuels et les géographes ont tout intérêt à s’impliquer dans cette question afin que l’on puisse un jour réellement affirmer que nous sommes tous géographes.
  • 20. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 23 II. ENSEIGNER LA GEOGRAPHIE AU XXIEME SIECLE Un article paru en septembre 2016 sur le site de l’APHG18 et intitulé Un échange au sujet du Capes d’Histoire-Géographie19, fait ressurgir au premier plan le débat sur la bivalence histoire et géographie, de mise au concours depuis 2012 seulement. Un collectif de douze géographes s’inquiète que des pressions exercées par des associations d’historiens pour revenir à quatre questions d’histoire au concours (contre trois actuellement), pourraient éventuellement se faire au détriment de la géographie. La lettre rappelle également que « près de 90% des candidats à ce concours sont issus de licences d’histoire et n’ont pour certains jamais fait de géographie en licence ». Ce débat pose donc en creux la question de la formation des professeurs d’histoire-géographie du second degré et notamment de leurs qualifications en géographie. Comme nous l’avons abordé précédemment, il semble indispensable, aux vues des bouleversements actuels de la discipline géographique et de la société, que les professeurs soient non seulement correctement formés à cette science mais également conscients des enjeux et des objectifs de son enseignement. Ce sont ces questions que nous allons explorer à présent. 1) La géographie scolaire : en crise perpétuelle ? a) Bref panorama historique La question de la formation des professeurs du secondaire et de leurs faibles connaissances ou, au minimum, de leur manque d’intérêt pour la géographie, n’est pas nouvelle. Il faut dire que, depuis les origines, la géographie est rattachée à l’histoire. « Une circulaire de 1818 est l’acte fondateur de ce couplage, assez peu fréquent ailleurs en Europe, et toujours en vigueur en France » (GRANIER, 2013). C’est après la défaite de 1870 que le premier constat est fait, lors d’une enquête confiée à Emile Levasseur et Louis Auguste Himley : « la plupart des professeurs, trop occupés de leur cours d’histoire, négligent complètement le cours de géographie. Ils ne font plus que de la géographie historique, à mesure que les questions se présentent dans leurs cours ». L’enseignement de la géographie est donc à l’origine une affaire d’historien ! Le « père » de la géographie française, Paul Vidal de la Blache, était d’ailleurs lui-même, initialement, un historien. Quoi de plus étonnant quand on sait que la discipline scolaire a précédé et même généré le savoir scientifique (Ibid.). 18 L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie : https://www.aphg.fr (15/04/2017) 19 Voir : https://www.aphg.fr/Un-echange-au-sujet-du-Capes-d-Histoire-Geographie (15/04/2017)
  • 21. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 24 Il n’y avait donc pas vraiment encore à cette époque-là de géographes universitaires pour soutenir scientifiquement la construction d’un savoir scolaire. Ce sont des historiens qui se sont alors, les premiers, emparés des sujets géographiques à l’université. Après cette première « prise de conscience » de 1870, l’Etat attribue à la géographie un programme et un horaire spécifique, avec un objectif politique assumé : « mieux connaître sa patrie pour mieux l’aimer. » Ainsi, au moment de sa création, la géographie scolaire se trouve complètement instrumentalisée par le pouvoir politique. Isabelle Lefort20 parle d’une « fonction militante » de la géographie. Sans s’attarder plus en détails sur les multiples réformes qui parsèment le XXème siècle, on peut cependant noter l’importance, pour la géographie scolaire, de la « crise de la géographie » des années 1960-1970. Cette expression désigne, en France, les interrogations qui ont secoué la géographie universitaire à cette époque (CALBERAC, 2006). La géographie cherche alors à renouveler ses objets et ses méthodes. Roger Brunet, dans son dictionnaire critique Les mots de la géographie, décrit la crise de la géographie de la façon suivante : « état permanent et sain, comme dans toute science qui a toujours à choisir des chemins, des méthodes, voire des théories nouvelles ou retrouvées, et toujours tendue vers l’innovation et le changement. » (BRUNET, FERRAS, & THERY, 1992) Cette crise, mais aussi les mutations sociétales du pays, ont évidemment eu un impact sur la géographie scolaire. Les années post-mai 68 sont l’occasion en France de tester de multiples innovations pédagogiques avec plus ou moins de succès. En témoigne, par exemple, l’introduction dans les manuels scolaires des « coupes-synthèses » d’Yves Lacoste et Raymond Ghirardi, mais aussi des chorèmes, chers à Roger Brunet (GRANIER, 2013). Pourtant la géographie est toujours perçue comme « une discipline embêtante mais somme toute bonasse » où il suffit d’avoir de la mémoire. (LACOSTE, 1976 [2012]). Ainsi, même si la crise de la géographie a effectivement permis un certain renouvellement des objets et méthodes de la géographie scolaire, le débat n’est pourtant pas clos. En effet, en 1989, le tome 18, n°2, de la revue « l’Espace géographique » est consacré à la géographie et ses enseignements21. Plusieurs auteurs appellent à un renouveau de la géographie scolaire afin de lui donner sa « juste place », compte tenu de son importance pour comprendre le monde : « L’enseignement de la géographie permet de familiariser les enfants avec la Terre sur laquelle ils vivent, de leur en donner une représentation scientifique et de leur fournir l’outillage 20 Lefort Isabelle, La lettre et l’esprit. Géographie scolaire et géographie savante en France (1870- 1979), Editions du CNRS, 1992. Citée par (GRANIER, 2013). 21 Voir : http://www.persee.fr/issue/spgeo_0046-2497_1989_num_18_2
  • 22. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 25 conceptuel indispensable à qui veut comprendre milieux et sociétés. » (Paul Claval, La place de la géographie dans l’enseignement, op.cit. p.123) Ils mettent également en garde contre le risque de mauvaise image de la géographie scolaire : « Disons-le sans détour : si une menace pèse sur la géographie, elle provient de ceux qui essaient de la tirer en arrière, qui s’arc- boutent aux structures les plus lourdes pour retarder les adaptations nécessaires. Si la géographie court un risque, c’est que soit perpétuée dans le public l’image désormais vieilli d’une géographie empiriste, encyclopédique et isolée. » (Bidaud, Elissalde, Grataloup, Lévy, et al., Vive la géographie vivante ! op. cit. p.181) Et Paul Pélissier rappelle même la fonction militante, déjà évoquée, de la matière : « Bref, il faut enseigner la géographie parce qu’elle restitue à chaque société (et à chaque citoyen), à partir d’un diagnostic de situation, sa mémoire et ses racines. » (Paul Pélissier, Pourquoi enseigner la géographie ? op. cit. p. 185) En 1999, Anne Le Roux s’interroge à nouveau : Faut-il supprimer la géographie au collège et au lycée ? (LE ROUX, 1999) Elle affirme que « Oui, tant que les géographes [...] continueront à se désintéresser de la formation initiale [...] et continue des professeurs de géographie, qui sont historiens à presque 90% du total des "professeurs d’histoire-géographie" du second degré. » Un géographe (Armand Frémont) est pourtant nommé, pour la première fois, à la présidence du « groupe d’experts » chargé d’élaborer de nouveaux programmes pour le lycée (GRANIER, 2013). La question se pose toujours dans les années 2000, qui sont aussi celles de l’explosion de la bulle Internet, du passage à l’euro, de la mondialisation galopante, du terrorisme avec les attentats du 11 septembre 2001... Les années d’un monde qui change extrêmement vite et dans lequel on peut comprendre que la géographie ait du mal à trouver sa juste place à l’école, compte tenue de l’inertie des réformes scolaires. La sortie en 2006 du livre de Georges Roques, Décrypter le monde aujourd’hui. La crise de la géographie, trouve sa place dans ce contexte. L’auteur y décrit notamment une crise actuelle de la géographie qui ne touche plus l’université mais l’école. Selon lui, « alors que la géographie est présente à l’université et qu’elle s’enrichit d’approches originales, la géographie enseignée à l’école (dans le primaire comme dans le secondaire) semble d’un autre âge, datée, et sans aucun lien avec le monde et ses évolutions actuelles : à l’école, la géographie perd saveur et pertinence » (CALBERAC, 2006). Ces constats sont plus ou moins les mêmes que ceux déjà énoncés par Anne Le Roux en 2001, qui cite également des sources antérieures : « Comment faire pour que l’enseignement de la géographie change, qu’il prenne un sens autre
  • 23. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 26 que celui d’un inventaire plus ou moins organisé et répétitif, d’un puzzle du monde (Clerc, 1996 ; Grataloup, 1987 ; Retaillé, 1996, 1998), qu’il soit au service d’une éducation géographique, socialement, civiquement utile ? » Aujourd’hui encore, comme en témoigne la lettre des géographes évoquée en ouverture, la matière semble « en danger » puisqu’il faut constamment la défendre contre ceux qui essayeraient de la minimiser au détriment de l’histoire notamment. b) Tout est toujours une question d’image... En réalité, c’est surtout l’image de la géographie auprès du grand public (et peut-être de certains enseignants ?) qui pose véritablement problème. Comme nous venons de le voir, cette question s’est posée quasiment dès les débuts de la géographie scolaire. Les mêmes accusations (matière ennuyeuse, inutile, mal enseignée...) semblent revenir au fil du temps, puisqu’elles sont dénoncées, et cela donne l’impression que rien n’a changé dans l’enseignement de cette discipline depuis un siècle. Pourtant, sans entrer dans le détail de l’analyse des programmes scolaires, ce qui n’est pas notre objet ici, il est clair que l’enseignement de la géographie a beaucoup évolué au cours du XXème siècle, tant dans ses objets que dans ses méthodes. Les programmes scolaires sont aujourd’hui « le produit des adaptations à la recherche scientifique, des préoccupations politiques et sociales, des évolutions institutionnelles et pédagogiques » (SIERRA, 2010). Il ne s’agit donc pas tant ici des programmes et de la réalité de l’enseignement de la géographie, que de son image perçue par les élèves, leurs parents et même les professeurs. Il nous a d’ailleurs suffi d’interroger quelques personnes de notre entourage (amis, parents, professeurs et même élèves...) pour s’entendre dire que la géographie est une « matière ennuyeuse », dans laquelle il faut juste « apprendre des définitions » et savoir « placer des endroits sur une carte ». « Ça ne fait pas rêver... ». Pourtant, les mêmes personnes peuvent passer des heures « à rêver » sur Google Earth en se promenant sur la surface de la Terre pour « visiter » des endroits inconnus. Cette problématique est intéressante à aborder avec une grille de lecture issues des sciences de la communication et de l’information. On constate alors une vraie différence entre l’image de la géographie qui est perçue par le grand public et par certains enseignants ; l’image voulue, que rêvent de transmettre certains géographes ; et l’image vraie de la géographie scolaire, c’est-à-dire ce qu’est véritablement cette matière scientifique. Les déceptions ressenties de part et d’autre proviennent essentiellement de ces différences d’images.
  • 24. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 27 En effet, l’image vraie de la géographie scolaire est qu’il s’agit avant tout d’une matière utile et importante. Elle contribue au développement de l’esprit critique des élèves et à leur formation en tant que citoyens. Connaitre le monde est une condition indispensable à l’émancipation et la géographie scolaire a un vrai rôle à jouer dans cet objectif, tout le monde en conviendra. Partant de là, c’est une matière qui peut être intéressante et qui peut répondre à la demande sociale de compréhension du monde et de ses enjeux, notamment à l’ère de la mondialisation. Pourtant, l’image perçue de la discipline n’est pas celle-là. Au contraire, le grand public perçoit la géographie scolaire comme une matière peu intéressante et peu utile, comme nous l’avons déjà évoqué. Nous avons pourtant également identifié une vraie demande sociale concernant la géographie, notamment sur Internet, ce qui montre que le potentiel d’intérêt est bien là. Il est plus difficile de cerner l’image voulue, car les écrits des géographes ne sont pas forcément clairs sur la question. Les différents géographes dont nous venons d’analyser les propos rappellent régulièrement la fonction sociale et politique de la géographie dans la formation à la citoyenneté, mais sans jamais vraiment aborder la question de manière frontale. On semble toujours hésiter entre, d’un côté, la volonté de présenter la géographie comme une science « dure », à ranger du côté des sciences naturelles et physiques ; et, de l’autre, une géographie plus « sociétale » qui, s’alliant avec l’histoire, la sociologie et l’économie, concourt à la formation des jeunes citoyens. On constate aussi une volonté manifeste de toujours « défendre » la matière, notamment vis-à-vis du risque de ne pas être traité « d’égal à égal » avec l’histoire. Ainsi, pour que la géographie soit réellement enseignée à sa juste place au XXIème siècle il conviendrait, semble-t-il, de changer son image perçue. Pour cela, trois points nous paraissent essentiels. Il s’agit tout d’abord de comprendre l’intérêt de l’enseignement de cette matière à notre époque, notamment des enjeux apparus avec la démocratisation d’Internet et la mondialisation. Ensuite, se pose la question de former les professeurs à ces enjeux afin qu’ils prennent tous conscience de l’importance d’enseigner cette matière. Et enfin, communiquer différemment auprès de toutes les parties concernées permettrait sans doute d’améliorer l’image de cette matière.
  • 25. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 28 2) Les enjeux de l’enseignement de la géographie a) Affirmer la dimension militante de la géographie Nous l’avons évoqué précédemment, l’enseignement de la géographie a une place certaine dans la formation du citoyen. L’article L121-4-1 du code de l’Education, créé par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République précise : « Au titre de sa mission d'éducation à la citoyenneté, le service public de l'éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie. »22 Ainsi, comprendre l’économie globale, la mondialisation, la mécanique des échanges (tant commerciaux que touristiques), les enjeux du changement climatique et des migrations, la géopolitique, le rôle mondial des Etats-Unis ou encore la limitation des ressources naturelles sont autant de sujets indispensables à la formation des citoyens de demain et qui relèvent de la géographie. Et nous n’avons cité ici que des éléments figurant déjà dans les programmes scolaires ! Rappelons ici encore une fois que cette matière avait à l’origine une fonction politique et même « militante ». Elle devait donner aux élèves l’amour de leur patrie qui viendrait « naturellement » de sa connaissance précise. Mais force est de constater que ce caractère politique s’est fortement émoussé avec le temps, sans doute au profit de l’histoire, si l’on en juge par les débats houleux que provoque l’enseignement d’un hypothétique « roman national » ... Pourtant, il est clair que la géographie a une fonction éminemment politique. Et que, sans vouloir ressusciter une « bonne vieille géographie » d’un imaginaire « bon vieux temps », on peut très bien lui formuler des ambitions plus militantes. En effet, si la société change, la géographie scolaire change aussi. « L'objectif de l'enseignement de la géographie devrait donc être de produire une intelligence responsabilisante sur le monde contemporain. Montrer et faire réaliser l'apprentissage d'un raisonnement géographique devrait aider les élèves à le comprendre plutôt qu'à simplement le connaître. » (LEFORT, 2002). Il s’agit donc aujourd’hui d’assumer la dimension civique de la géographie afin de lui donner toute sa place dans la formation du citoyen, au même titre que l’histoire. En effet, faire connaitre le monde aux futurs citoyens de notre pays nous semble être un bon moyen de leur permettre de s’intégrer pleinement dans la société une fois devenus adultes. 22 Voir Legifrance.gouv.fr : https://goo.gl/Eub7Et (17/04/2016)
  • 26. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 29 b) (In)former les professeurs Un autre enjeu important pour l’enseignement de la géographie est celui de la formation des professeurs. Il ne s’agit pourtant pas tant de modifier ou éventuellement d’améliorer la formation scientifique qui est déjà conséquente, mais plutôt d’y inclure un message concernant l’importance de la matière pour la formation des générations futures. En effet, les enjeux sociaux et politiques de l’histoire sont bien abordés lors des formations. On nous explique longuement combien certaines questions peuvent être « sensibles » (esclavage, Shoah, colonialisme...), pourtant aucun travail n’est effectué sur la sensibilité des questions telles que les migrations dans le monde ou encore le capitalisme et la mondialisation. Ces sujets sont pourtant abordés dans les programmes et peuvent d’autant plus faire débat qu’ils amènent les élèves à poser des questions très concrètes sur des sujets d’actualités brûlants, surtout en période électorale. On induit ainsi, pendant la formation initiale des enseignants, l’idée que l’histoire peut être une matière sensible et qu’il convient de la traiter avec précaution et respect. Pour enseigner l’histoire il faut beaucoup se documenter sur le sujet en amont. Ne pas être incollable sur la question vous expose aux risques de négationnisme, de remise en cause et donc in fine à la perte de contrôle de votre classe, ce qui est hautement angoissant pour un jeune professeur. Ces éléments ont été d’autant plus abordés durant notre formation qu’elle avait eu lieu pendant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en 2015. Suite à ces attentats et à ceux qui ont suivi, une véritable prise de conscience s’est emparée des enseignants qui ont cherché des solutions. Pourtant cette prise de conscience semble s’être limitée à la question de l’histoire et un peu, il est vrai, à celle des technologies numériques et de l’esprit critique que l’on doit notamment développer vis-à-vis des contenus complotistes en ligne. A contrario la géographie n’est pas aussi « sérieuse ». Personne ne questionnera votre inexactitude ou votre manque de connaissances sur les ouragans du Pacifique et échouer à faire comprendre l’étalement urbain aux élèves ne vous exposera pas à la perte de contrôle de votre classe. Aucun parent ne vous écrira jamais pour se plaindre de votre façon d’enseigner la géographie (sauf peut- être si vous confondez l’Afrique avec l’Amérique, et encore !). Cette matière en fait, n’intéresse pas tellement les élèves et nous n’aurons pas à faire face à une levée de boucliers, voilà le message plus ou moins induit lors de la formation. Pourtant, la question de l’intégration du pays dans la mondialisation et des populations mal ou peu intégrées et laissées en marge de la société sont probablement aussi une réponse aux attentats de 2015. Ces questions-là relèvent
  • 27. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 30 de la géographie. Les étudier permettrait peut-être tout autant aux élèves de se prémunir contre les idées complotistes ou extrémistes qui circulent. Il serait donc sans doute intéressant de mettre l’enseignement de la géographie sur un véritable pied d’égalité avec celui de l’histoire sur ce plan-là. Expliquer aux jeunes professeurs, (pourquoi pas dès l’année de préparation du concours ?) qu’ils ne sont plus à présent des historiens ou des géographes mais bien des historiens-géographes, permettrait peut-être d’empêcher que la géographie ne persiste à être la variable d’ajustement des progressions annuelles ? De même, expliquer que l’une et l’autre des matières concourent à la formation des citoyens et peuvent être aussi sensibles l’une que l’autre permettrait peut-être également d’améliorer l’image de cette matière auprès des professeurs ? « Un nouveau contrat devrait ainsi unir l'histoire et la géographie en faisant de la discipline histoire-géographie celle qui transmet les mémoires vives et apprend les outils permettant de comprendre toutes les sociétés. L'enjeu est de former des citoyens libres, voire impertinents, capables de faire face aux problèmes de la société contemporaine. » (GRATALOUP, 2002). Ainsi, nos concitoyens, mieux formés à la géographie par des professeurs conscients et concernés, seraient peut-être plus à même de comprendre le monde qui les entoure. c) Communiquer différemment autour de la géographie Enfin, le troisième enjeu concerne l’amélioration de l’image perçue de la géographie auprès du grand public et la question de la vulgarisation scientifique des savoirs géographiques. Il faut tout d’abord mentionner le succès des émissions telles que CulturesMondes (sur France Culture) ou le Dessous des Cartes (sur Arte). « L’audience de ces émissions et la multiplication des "livres-atlas" sont la matérialisation des passages et des transferts à l’œuvre entre une géographie de scientifiques et des lecteurs-auditeurs de plus en plus intéressés par les apports d’une réflexion fondée sur l’étude de l’espace et de ses représentations. » (BRESC-LITZLER, 2016) On constate donc qu’il existe déjà une forme de vulgarisation du savoir scientifique qui s’opère directement entre des universitaires et le grand public, le plus souvent grâce aux médias. Cette vulgarisation rencontre ici un succès certain et concoure à améliorer l’image de la géographie auprès du grand public. Il serait intéressant d’analyser ce qui serait possible de faire pour la développer, car elle aussi risque de disparaître si rien n’est fait. Le décès de Jean-Christophe Victor en décembre 2016 remet en cause l’existence même de l’émission d’Arte puisque la
  • 28. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 31 chaine n’a pas pour l’instant confirmé qu’elle souhaite continuer sa production. D’autre part, une autre fameuse émission de France Culture, Planète Terre, s’est également arrêtée en septembre 2016. Pourtant, cette « posture de défense », adoptée par les géographes lorsqu’ils sentent leur matière « en danger », et que nous avons déjà évoquée, ne nous semble pas la manière la plus appropriée de réagir. Si elle est logique et parfaitement compréhensible, elle nuit malheureusement beaucoup à l’image perçue de la géographie. En effet, une posture de défense implique, en effet, souvent d’employer un vocabulaire négatif. On parle ainsi de « menaces », de « pressions constantes », « d’inquiétudes », et d’appel à « rester vigilants »23 . Ce discours, s’il n’est pas contrebalancé par un autre plus positif peut s’avérer contre- productif et il serait peut-être intéressant de lancer une grande initiative de promotion de la géographie auprès du grand public. Bien que persuadée qu’il existe déjà ce genre d’initiatives au niveau local, rien de tel n’existe au niveau national. A contrario, l’histoire est une matière éminemment populaire auprès du grand public et des émissions comme Secrets d’Histoire ou encore celles d’historiens comme Fabrice d’Almeida rencontrent un immense succès. Si ces émissions peuvent parfois être critiquées, il n’empêche qu’elles jouent un rôle non négligeable dans l’image perçue de la science historique auprès du grand public. Il y a donc ici un véritable enjeu pour la géographie scolaire qui gagnerait sans doute à s’inscrire dans ce processus et à participer de cette vulgarisation, en donnant aux citoyens les armes pour réfléchir en géographes. L’utilisation des technologies numériques, familières du grand public, mais aussi de la plupart des professeurs, peut constituer un moyen pour cela, comme nous allons maintenant le voir plus en détail. 3) Enseigner une géographie numérique ? a) Les TIC, nouvelle boite à outils du professeur de géographie ? Il faut le dire, les TIC sont un excellent moyen pour les professeurs de préparer rapidement leurs cours. Ceux-ci ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque la DEPP (Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance, Education Nationale) fait état de 95% des enseignants utilisant très régulièrement les outils numériques à des fins professionnelles depuis leur domicile24. 23 Tous les termes sont issus de la lettre ouverte signée en septembre 2016 par douze géographes au sujet du CAPES-CAFEP externe d’Histoire-Géographie. Voir : https://www.aphg.fr/Un-echange- au-sujet-du-Capes-d-Histoire-Geographie (20/04/2017) 24 Chiffres cités par le rapport de la Mission parlementaire Fourgous pour les TICE 2010-2011
  • 29. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 32 En effet, il existe de nombreuses ressources sur Internet, qu’il serait fastidieux de citer de manière exhaustive. On peut néanmoins mentionner au moins quatre grandes catégories de sites-ressources. La première catégorie concerne les sites officiels de l’Education Nationale. Le premier d’entre eux, auquel on pense spontanément, est éduscol25. Ce site permet de trouver des ressources variées (notamment les programmes scolaires) ainsi que des suggestions et des aides à la mise en œuvre. Chaque académie propose également plusieurs sites ressources, de qualité parfois inégale, mais toujours appréciables. Citons celui de l’Académie de Versailles pour l’histoire- géographie : Strabon26. On peut également placer dans cette catégorie le site du réseau Canopé27, réseau qui édite et publie des ressources pour les professeurs. La deuxième catégorie est celle des sites d’associations ou d’organisations tierces comme l’APHG28, VousNousIls29, le e-mag de l’éducation ou encore Thot Cursus30, association québécoise « dédiée à la promotion de la formation et de l’utilisation des outils numériques et de la culture ». Ces deux derniers proposent beaucoup de ressources et de conseils pour mettre en œuvre des pédagogies innovantes et utiliser les TIC en classe ; mais également des articles relayant des études scientifiques sur les mécanismes d’apprentissage du cerveau (neurosciences) ou encore sur l’efficacité de certains outils ou de certaines pratiques pédagogiques. On peut également mentionner le travail des Clionautes31, association regroupant des professeurs d’histoire-géographie depuis 1998. La troisième catégorie concerne les sites scientifiques en eux-mêmes. Parmi eux, GéoConfluences32 édité par l’ENS de Lyon, qui regroupe des dossiers scientifiques sur des questions géographiques précises ; ou encore Cybergeo33, la revue européenne de géographie dont les articles sont souvent très utiles une mise à niveau rapide sur un sujet. On peut également mentionner dans cette catégorie le Géoportail de l’IGN34 qui permet d’obtenir facilement des cartes et des photographies aériennes de France et contient son propre SIG. De même que l’atelier de cartographie de SciencesPo Paris35, qui permet l’accès à plus de 1500 Voir : http://www.missionfourgous-tice.fr/ p.153 25 Voir : http://eduscol.education.fr/histoire-geographie/ (16/04/2017) 26 Voir : http://www.histoire.ac-versailles.fr/ (16/04/2017) 27 Voir : https://www.reseau-canope.fr/ (16/04/2017) 28 Voir : https://www.aphg.fr/ (16/04/2017) 29 Voir : http://www.vousnousils.fr/ (16/04/2017) 30 Voir : http://cursus.edu/ (16/04/2017) 31 Voir : https://www.clionautes.org/index.php (16/04/2017) 32 Voir : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/ (16/04/2017) 33 Voir : http://cybergeo.revues.org/ (16/04/2017) 34 Voir : https://www.geoportail.gouv.fr/ (16/04/2017) 35 Voir : http://www.sciencespo.fr/cartographie/ (16/04/2017)
  • 30. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 33 cartes et possède également, depuis peu, son propre SIG, Khartis. Citons enfin, le site de l’INED36 (Institut National d’Etudes Démographiques) pour ses jeux sérieux, ses cartes, graphiques et vidéos très pédagogiques. La quatrième catégorie est celle des blogs et sites personnels de professeurs comme celui de Jacques Muniga37, exclusivement consacré à la géographie, mais aussi les sites de M. Joly38, M. Orain39, Cédric Ridel40 ou Marie Desmares41. Avec des approches variées et plus ou moins régulièrement, ces professeurs mettent en ligne des contenus pédagogiques, sous forme écrite ou vidéo, souvent à destination de leurs élèves en premier lieu, mais qui peuvent s’avérer inspirant pour leurs collègues. Nous mentionnerons enfin, à part, les sites des grands médias français ou étrangers qui, selon l’actualité, peuvent ponctuellement fournir des informations et des ressources comme les cartes interactives que nous avons déjà mentionnées par exemple. Tous ces sites peuvent constituer une véritable banque de ressources numériques qu’il est important de se construire lorsque l’on exerce ce métier. C’est d’ailleurs l’un des conseils donnés par Sophie Bresc-Litzler aux aspirants professeurs préparant le CAPES : « Le candidat doit être capables de se constituer, à l’aide d’une banque de données facilement réalisable, une culture générale qui lui permette de comprendre pourquoi tel élément d’actualité est et peut devenir un objet d’enseignement. » (BRESC-LITZLER, 2016) Les ressources en ligne facilitent donc aujourd’hui énormément la vie des professeurs en permettant une préparation de cours plus efficace et plus rapide. Qu’on y recherche des informations scientifiques pour parfaire sa culture, des idées de mises en œuvre pédagogiques ou des informations sur les diverses pratiques pédagogiques, Internet est devenu un outil incontournable de l’enseignant. C’est une véritable mine de contenus que le professeur peut sélectionner et adapter ou retravailler à sa guise. Ainsi, sans aller jusqu’à mettre en œuvre de véritables dispositifs pédagogiques exigeants comme la classe inversée ou le travail des élèves sur supports numériques (tablettes ou ordinateurs), projeter une carte interactive ou une modélisation en trois dimensions c’est déjà faire de la géographie numérique et familiariser les élèves à ces nouvelles représentations. 36 Voir : https://www.ined.fr/fr/ (16/04/2017) 37 Voir : http://geographie-muniga.fr/ (16/04/2017) 38 Voir : http://jolyhistoiregeographie.e-monsite.com/ (16/04/2017) 39 Voir : http://beaugency.over-blog.com/ (16/04/2017) 40 Voir : http://kanaga.ridel.org/ (16/04/2017) 41 Voir : http://lewebpedagogique.com/mariedesmares/ (16/04/2017)
  • 31. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 34 b) Une solution pour sortir définitivement de(s) crise(s) ? Il est effectivement plus que probable qu’une intégration forte des outils numériques dans l’enseignement de la géographie puisse permettre un regain d’intérêt et l’amélioration de l’image de marque de cette matière. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, la géographie numérique est au cœur des pratiques sociales de la plupart des Français (GENEVOIS, 2008, p. 65). L’intérêt pour comprendre le monde existe donc. En témoigne le succès des cartes interactives après des médias (comme Le Monde par exemple), qui les utilisent de plus en plus souvent pour présenter certaines problématiques. En vertu du principe « qu’un bon croquis vaut mieux qu'un long discours » (attribué à Napoléon Bonaparte), ces cartes sont très facilement partagées sur les réseaux sociaux et souvent préférées aux articles textuels. Il est donc important que les élèves soient familiers de la lecture et de la compréhension de ce type de cartes auquel ils vont être confrontés durant toute leur vie. En effet, si les attentes liées aux informations géographiques ne sont pas comblées par l’enseignement, il y a un risque de voir les élèves chercher ces informations ailleurs et notamment sur Internet. L’apprentissage par les pairs est effectivement une réalité sur le web. Il est donc d’autant plus important d’apprendre aux élèves à faire le tri dans les informations disponibles et à repérer un contenu de qualité. D’autre part, avec la généralisation de l’utilisation des outils de géolocalisation, se pose le problème de la confidentialité et de la gestion des données personnelles. Un lieu commun concernant Internet est que « si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit ». En réalité, si l’on analyse les choses en détail, si vous êtes le produit, ce n’est pas gratuit. Car vous payez avec vos données personnelles en acceptant leur marchandisation par le site auquel vous adhérez, sans contrepartie autre que celle d’utiliser le service proposé. Si beaucoup de gens connaissent le lieu commun que je viens de citer, peu ont pleinement conscience de l’explication que je viens d’en faire. Et c’est d’autant plus le cas chez nos jeunes élèves qui débutent à peine leur navigation sur le web et n’ont pas encore les filtres de comportement et la maturité des adultes. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est essentiel de former les élèves à la géographie numérique, afin qu’ils aient conscience que leur navigation laisse des traces et que la géolocalisation n’est pas anodine dans certains cas. Comme nous l’avons déjà vu, le géoweb peut être un outil de démocratisation et de mise en œuvre d’initiatives citoyennes. Mais il faut pour cela que les élèves soient formés aux usages et à la pratique de ces outils.
  • 32. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 35 Il y a alors fort à parier que les élèves verraient la géographie d’une autre manière s’ils prenaient conscience de son utilité dans leur vie quotidienne. Assurément, l’invention, puis la démocratisation profonde des technologies de l’information et de la communication sont irrémédiablement en train de changer notre société occidentale. De la même manière, le rôle du professeur est logiquement en train de muter. Non pas que ce métier soit amené à disparaître comme certains alarmistes tentent de le faire croire ; mais, au contraire, il se transforme pour s’adapter à cette nouvelle société émergeante. « Les technologies peuvent contribuer à des modifications des pratiques et des démarches pédagogiques et donc participer à une évolution du rôle de l’enseignant dans de nouveaux environnement » (AMADIEU & TRICOT, 2014). Le numérique doit donc ici être envisagé comme un facilitateur pour la mise en œuvre des contenus. Il n’est en aucun cas un but en soi, car il est évident que certains contenus peuvent très facilement être enseignés plus simplement sans recourir au numérique. Néanmoins, sa prise en compte, de même que la conscience de l’importance de la science géographique dans nos sociétés du XXIème siècle peuvent permettre de faire évoluer l’enseignement de cette discipline de façon considérable.
  • 33. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 37 III. DES ELEVES EN CLASSE DE GEOGRAPHIE NUMERIQUE Après avoir vu les bouleversements induits par les technologies numériques dans la géographie en tant que science et dans son enseignement, nous allons à présent nous intéresser à trois expériences menées avec des classes d’élèves du secondaire. Chacun de ses expériences a été menées avec des classes de niveau différents et dans des établissements différents où j’ai eu l’occasion d’enseigner. Nous verrons comment le numérique a permis un travail différent sur les compétences et quel intérêt il a suscité chez les élèves. 1) Jouer en géographie La première expérience que nous analyserons ici est une expérience de jeu sérieux (serious game). Elle a été menée avec des élèves de classe de 5ème en 2015-2016 lors de ma première année de stage en responsabilité au collège Louis Pasteur de Neuilly-sur-Seine. La cité scolaire Louis Pasteur comprend un collège (700 élèves), un lycée (750 élèves) et plusieurs classes préparatoires (400 élèves) pour un total d’environ 1800 élèves et 75 professeurs. C’est donc un établissement important par sa taille. De par sa situation géographique, à Neuilly-sur-Seine, c’est aussi établissement sociologiquement favorisé. Les élèves sont majoritairement issus de familles aisées et présentent généralement un bon, voir un très bon niveau scolaire. La plupart d’entre eux ont déjà beaucoup voyagé et ont une connaissance du monde plutôt bonne pour des collégiens. La classe de 5ème 1 était d’un niveau plutôt homogène, bon à très bon, avec des élèves possédant une culture générale plutôt honnête. Néanmoins, deux à trois élèves présentaient des difficultés, surtout d’ordre méthodologique. Un élève sur les vingt-neuf que comptaient la classe, posait un problème du fait de son comportement mais cela n’empêchait pas le groupe de fonctionner correctement. Cette expérience, menée en 2015-2016 prend donc appui sur les anciens programmes scolaires de géographie, dans le cadre de la question III – Des hommes et des ressources, thème 1- La question des ressources alimentaires. Il s’agissait de faire « une étude comparée de la situation alimentaire dans deux sociétés différentes » afin de montrer aux élèves les différents niveaux de sécurité alimentaire qui peuvent exister selon les pays. Mon cours a été conçu en trois parties prévues pour durer une heure chacune. La première séance était consacrée à la comparaison de la situation alimentaire entre la France et le Mali et prenait appui sur l’étude de cas du manuel
  • 34. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 38 scolaire Belin édition 2010, p.256-257 (fig. 4). Elle avait pour objectif d’introduire le sujet et de mettre les élèves en activité autour d’un questionnement sur les pratiques alimentaires des deux pays. La deuxième séance était celle consacrée au jeu sérieux et prenait place en salle informatique où les élèves étaient répartis à deux par ordinateur. La troisième séance était une séance de conclusion permettant de récapituler le jeu en classe entière, et de finir le chapitre. C’est donc de la deuxième séance de ce chapitre dont nous allons plus précisément parler à présent. Les élèves ont été invités à jouer au jeu sérieux Third World Farmer42. Il s’agit d’un jeu vidéo disponible uniquement en ligne (c’est-à-dire sans téléchargement) utilisant la technologie « Flash » disponible sur la plupart des navigateurs. Ce jeu a été développé initialement dans le cadre d’un projet- étudiant en informatique, à l’Université de Copenhague. Il a été mis en ligne en 2006 et s’est enrichi au fur et à mesure de versions multilingues, dont le français. La version actuelle date de 2012. C’est en cherchant sur Internet une manière originale et différente d’aborder ce chapitre, qui me paraissait un peu aride, que je suis tombée sur ce jeu. Le 42 Voir : http://3rdworldfarmer.com/About.html (22/04/2017) Fig. 4 – Se nourrir en France et au Mali Double page du manuel scolaire Belin 5ème , édition 2010, sous la direction de Stéphan Arias et Eric Chaudron.
  • 35. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 39 principe est de simuler la gestion d’une ferme en Afrique. En ce sens, il est assez similaire aux jeux de gestion grand public du type Caesar III, Age of Empires, Zeus le maitre de l’Olympe, ou encore la série des Tycoon (Roller Coaster, Zoo, etc.) ou celle des SimCity. Pour ceux qui ne seraient pas familier du genre, il s’agit de prendre en main la simulation d’un environnement (une ville, un parc d’attraction, un zoo, ...) avec pour objectif est de l’amener à son meilleur niveau. Chaque décision (construction, guerre, plantations, ...) influe sur le « niveau de vie » de l’environnement et des évènements inattendus (incendies, catastrophes climatiques ou naturelles, survenue d’envahisseurs, grève, ...) peuvent se produire et obligent le joueur à modifier sa stratégie pour s’adapter. Third World Farmer est donc la simulation d’une ferme africaine. Lorsque le jeu commence, le joueur possède 50 dollars et doit faire vivre une famille de quatre personnes (deux adultes et deux enfants) (fig. 5). Il a, à sa disposition, un certain nombre d’objets qu’il peut acheter. Il s’agit ici donc surtout au départ d’acheter des graines, des animaux et du matériel agricole. Le joueur pourra aussi acquérir des services tels que l’accès aux télécommunications, à l’école, la construction de routes, des services médicaux ou encore une assurance. Comme on peut le voir sur la figure 5, ces services coûtent chers, compte tenu de notre budget de départ. Les joueurs commencent donc Fig. 5 – Capture d'écran du tour 1 de Third World Farmer. Position de départ du jeu avec onglets d’achats ouverts en haut à gauche. Voir http://3rdworldfarmer.com/index.html
  • 36. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 40 généralement le jeu en dépensant la quasi-totalité de leurs ressources pour planter des graines (au choix et à des prix différents : du maïs, du blé, du coton ou des arachides). Ils peuvent planter uniquement dans la partie verte au premier plan. Les autres zones sont réservées à l’implantation des animaux ou du matériel par exemple. J’ai trouvé intéressant de voir que le prix de ces semences se modifiaient aléatoirement à chaque tour comme le font les véritables prix des semences, soumis aux fluctuations des marchés financiers. De même, il n’était pas possible d’acquérir une poule sans avoir l’abri adéquat ce qui coûte un certain prix. Les élèves devaient donc tenter d’économiser leur argent avant d’acheter des animaux ou du matériel. Ceci rend la simulation très réaliste et permet aux élèves de véritablement prendre conscience des enjeux et des choix auxquels peuvent être confrontés les fermiers des pays peu développés. Une fois les premières plantes semées, il faut passer au tour suivant. Une animation déroule le calendrier des mois de l’année pour bien faire comprendre au joueur qu’une année entière s’est écoulée. Un tableau affiche alors le résultat de l’année passée (fig. 6). Fig. 6 – Capture d'écran du rapport annuel (ici, résultat du tour 1) du jeu en ligne Third World Farmer. Voir : http://3rdworldfarmer.com/index.html
  • 37. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 41 Comme on peut ici le voir, le joueur a planté quatre plants de maïs. On affiche le rendement obtenu ainsi qu’éventuellement celui des animaux. La colonne « gains et dépenses » explique en détail le calcul du revenu compte tenu des coûts de la vie, de la capacité de travail de la famille (plus importante lorsqu’il y a plus de membre, moins importante lorsque des membres sont malades). Un modificateur peut aussi intervenir selon les évènements survenus pendant l’année. Ici, on remarque qu’un « crash de la Banque Nationale » a fait perdre de la valeur aux plantations et aux animaux tandis que le coût de la vie a augmenté. Le joueur passe donc au tour 2 avec 28 dollars en poche. Le jeu recommence donc comme au tour 1, sauf qu’ici le joueur a moins d’argent. La mécanique est la même : planter/acquérir des biens ou des animaux, passer au tour suivant, lire le rapport annuel, recommencer en fonction des nouvelles circonstances. En effet, les évènements annuels peuvent aussi être positifs. Une montée des cours du blé peut ainsi permettre d’augmenter les revenus du joueur qui en aurait planté, de même qu’une bonne saison. Les joueurs sont donc soit confrontés à une augmentation des revenus de leur ferme, et peuvent alors l’amener vers plus de développement en achetant un puit, du matériel agricole, des semences en plus grand nombre, des animaux, des assurances, etc... Ou bien, ils sont confrontés à une baisse de revenus et doivent s’adapter. Il est intéressant de remarquer que si les revenus atteignent un seuil vraiment critique, le jeu propose au joueur des solutions pour gagner « facilement » de l’argent. Ces solutions posent souvent des choix moraux mais reflètent une réalité qu’il est intéressant de connaître. Ainsi, on peut se voir proposer de faire un « spectacle de danses traditionnelles pour les touristes », accepter l’installation d’un camp paramilitaire ou de déchets toxiques sur ses terres ou bien encore de planter du pavot à opium, ce qui est bien-sûr illégal. La réaction des élèves face à ces situations a été très intéressante à observer. En effet, beaucoup n’avaient aucun scrupule à accepter de planter du pavot ou à danser pour les touristes, d’une part car leur souhait de continuer le jeu avec plus d’argent était fort, d’autre part car beaucoup n’avaient pas réellement conscience des implications morales, notamment concernant la plantation de drogue. Dans ce dernier cas de figure il a été amusant de voir la déception des élèves lorsqu’après deux ou trois tours bien lucratifs à planter du pavot, le jeu a fini par envoyer l’armée détruire les champs des joueurs et saisir leurs biens. Ces élèves ont alors vite conseillé à leurs camarades de ne pas planter que du pavot à chaque tour, voire de refuser la proposition qui s’avère donc une mauvaise idée en fin de compte. Le jeu offre aussi la possibilité de changer les noms des personnages, de les envoyer individuellement étudier (ce qui diminue la force de travail et coûte de
  • 38. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 42 l’argent), de leur donner des médicaments pour améliorer la jauge de santé, de leur faire avoir un enfant si c’est une femme adulte ou encore de leur faire quitter la ferme (ce qui diminue également la force de travail mais permet à ce membre de la famille d’accepter un travail en ville et d’envoyer de l’argent). Le jeu s’arrête dans deux cas de figure, soit la famille est « sauvée », dans le sens qu’elle est à présent suffisamment développée (matériel, animaux, mais aussi assurances et services) pour être sortie de l’insécurité alimentaire ; soit la famille est « décimée », tous les personnages étant morts de faim ou de maladie. Si le deuxième cas de figure peut arriver très rapidement, le premier est évidemment beaucoup plus lent à obtenir. J’avais donc décidé au préalable du nombre de tour que je voulais permettre aux élèves de faire et leur avait demandé de remplir un tableau descriptif [voir annexe 1] qui reprennait les éléments du rapport annuel. J’avais aussi distibué aux élèves une fiche de consigne qui reprennait les règles du jeu et quelques éléments de prise en main [voir annexe 2]. Je me suis cependant assez vite rendue compte que ce n’était pas la bonne manière de procéder. En effet, les élèves maitrisent très vite les codes de ce type de jeu et sont extrêmement rapides ! Ils ne prennent donc pas la peine de bien lire les rapports annuels et préfèrent maitriser le jeu par essais et erreurs. Ainsi au moins la moitié de la classe a perdu la totalité des membres de sa ferme moins de dix minutes après le début du jeu en autonomie. Autorisé à recommencer une partie depuis le début, ils ont été alors beaucoup plus lents et mesurés dans leur approche, réfléchissant et débattant par binôme de la stratégie à employer et des éventuelles conséquences de tel ou tel choix. J’ai donc décidé sur place de recentrer mon approche sur les difficultés auxquelles les fermiers des élèves ont été confrontés. Je les ai laissé jouer en totale autonomie, le nombre de tour qu’ils voulaient, sans plus insister sur mon tableau descriptif que je pensais leur faire remplir. Je suis simplement passé de groupe en groupe pour répondre aux questions des élèves. A la fin de la séance en salle informatique, les élèves ont eu pour consigne de rejouer chez eux (s’ils le souhaitaient et pouvaient) mais surtout de noter sur la fiche de consigne les difficultés auxquelles leur agriculteur a été confronté dans le jeu. C’est de ce travail que nous sommes partis pour conclure le chapitre sur la sécurité alimentaire lors de la troisième séance du cours. Il a été très intéressant de constater que la plupart des élèves avaient rejoué chez eux et que pour la plupart ils avaient réussi à sortir leur famille de l’insécurité alimentaire, ce qui les rendaient très fiers. J’ai été très étonnée de l’implication émotionnelle des élèves dans le jeu, beaucoup ont passé du temps à renommer
  • 39. MEMOIRE DE MASTER 2 MEEF – 2016-2017 – SOPHIE TAN 43 leurs personnages et investissaient de l’argent pour envoyer les enfants à l’école. Ils étaient également assez affectés lorsque l’un des personnages étaient en mauvaise santé et qu’il finissait parfois par mourir. Mais loin de se laisser abattres, ils ont alors redoublé d’effort pour sortir la famille de l’insécurité en réfléchissant aux choix les plus judicieux. Ce jeu est véritablement une franche réussite. Non seulement les élèves y ont totalement adhéré, mais en plus tous avaient parfaitement compris, (puisque vécu !) les difficultés auxquelles les agriculteurs de pays peu développés sont confrontés quotidiennement. Faire produire aux élèves une conclusion du chapitre n’a posé aucun difficulté, même pour les élèves les plus faibles du groupe. J’ai eu, d’autre part, la forte sensation d’avoir contribué à éveiller une conscience citoyenne chez certains. En effet, des élèves ont relevé les conditions de vie injustes de ces fermiers, soumis notamment aux caprices des marchés financiers qui spéculent sur les matières premières. De même, s’ils comprennaient parfaitement pourquoi les fermiers étaient parfois obligé d’accepter les spectacles pour touristes, l’accueil des groupes paramilitaires ou le stockage des déchets toxiques dans leurs champs, ils trouvaient ça parfaitement injuste que certains profitent de la faiblesse économique de ces fermiers pour les exploiter ou poluer la planète. Ainsi je pense que ce jeu entre parfaitement dans l’enseignement numérique de la géographie. En utilisant un jeu sérieux disponible en ligne, les élèves ont compris un chapitre important du programme et ont aiguisé leur conscience citoyenne. L’utilisation du jeu a levé bon nombre de freins psychologiques chez les élèves, et, quel que soit leur niveau initial, tous ont compris les enjeux du chapitre, y compris les élèves les plus en difficultés. En guise de piste d’amélioration, je pense que cet exercice peut également permettre de faire travailler la maitrise de différents langages aux élèves. En effet, en partant d’un jeu, ils notent quelques éléments sur les difficultés rencontrés sous forme de mots-clés, de courtes phrases ou de schéma. Ils pourraient ensuite, à l’aide de leur expérience du jeu et de leurs notes, rédiger un court texte pour présenter les difficultés des agriculteurs et les conséquences de l’insécurité alimentaire dans les pays peu développés. Un tel travail sur ce jeu sérieux pourrait tout à fait se retrouver dans le cadre du nouveau programme 2016 dans le chapitre 2 – L’alimentation : comment nourrir une humanité en croissance démographique et aux besoins alimentaires accrus ? du thème 2 – Des ressources limitées, à gérer et à renouveler.