SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  45
SFAX3
L’AGRICULTURE
ENTRE LES MURS
Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017
cultiver intégrer recycler
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 2
COORDINATEURS DE L’ATELIER
LerouxMarlène
RouxJeanMichael
VuaillatFanny
LES ETUDIANTS
BahinNoémie
BanulsCélia
BenbillilYasmine
BenhisSammy
BerthoBérénice
CosteAdèle
DaugreilhAgnès
DeJacquelotRodolphe
DeLaCasaClaire
DesayAnastasia
DujardinTommy
ElHossayniAmel
FontanelRomain
GicquelGaël
HervéMaria
JonssonÅsa
LeLamerMylène
Louya-KihidouAnnie
M’Boup	 Idrissa
MosielloAdriano
Mure-RavaudAmandine
OnienbaCarine
OzganSebnem
RodriguezMaite
SerolJustine
SerreJacyntha
TapissierSarah
ThualArzhela
VilleneuveNina
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
CRDA:Commissariatgénéralaudéveloppementagricole
GIL:Groupementinterprofessionneldelégumes
INS:Institutnationaldelastatistique
SAU:Surfaceagricoleutile
Synagri:SyndicatdesagriculteursdeTunisie
UTAP:Uniontunisiennedel’agricultureetdelapêche
	
Institut d’Urbanisme de Grenoble • Université Grenoble Alpes • Master 2 Urbanisme et Coopération Internationale
Rédaction
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 3
Sommaire
CONTEXTE DE L’ATELIER..............................................................................................................4
INTRODUCTION...........................................................................................................................14
A. CONTRAINTES PHYSIQUES : URBANISATION, CLIMAT ET POLLUTION...........................16
	 I. Recul et morcellement des parcelles agricoles.......................................................16
		 1. Morphologie du Grand Sfax.........................................................................................16
		 2. Aperçu sectorisé des pratiques agricoles.........................................................................17
	 II. Sfax, “ville sèche” aux sols pollués...........................................................................20
B. TYPOLOGIE AGRICOLE ET CIRCUITS DE PRODUCTION...................................................22
	 I. La diversité des pratiques agricoles.........................................................................22
		1.Arboriculture............................................................................................................22
		2.Elevage....................................................................................................................22
		3.Maraîchage...............................................................................................................23
	 II. Le manque de valorisation de la production locale...............................................27
		 1. La difficile traçabilité des produits agricoles...................................................................27
		 2. Initiatives locales et circuits de proximité.......................................................................32
C. INADAPTATIONS POLITIQUES ET INEGALITES SOCIALES...............................................35
	 I. Une politique publique déconnectée des réalités agricoles...................................35
		 1. La méconnaissance de la “petite” agriculture...................................................................35
		 2.Leslacunesdansl’accompagnementdel’agriculteur..........................................................36
	 II. “Agriculteur” : un statut unique pour des profils sociaux diversifiés...................37
		1. Entre tradition, bien-être et métier................................................................................37
		 2. Typologie des inégalités..............................................................................................38
CONCLUSION...........................................................................................................................41
BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................................43
ANNEXES.......................................................................................................................................44
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 4
Contexte de l’atelier
AVANT PROPOS
Paroles de Jean-Michel Roux
Les villes de Grenoble et Sfax sont jumelées depuis une
quarantaine d’année. Parmi la quinzaine de partenariats
internationaux, celui de Sfax est sans doute l’un des plus
dynamiques, notamment en raison des nombreuses co-
opérationsuniversitairesexistantes,souventpeuforma-
lisées mais très fécondes. Fort de ce constat, la COMUE
Université Grenoble Alpes a signé un accord-cadre [1]
avec l’Université de Sfax en 2016 afin de reconnaître
l’importance de ces échanges et d’encourager la co-
opération universitaire avec l’une des toutes meilleures
universitésfrancophonesd’Afrique[2].
L’UGA s’est donnée à travers son Projet stratégique de
l’Université Grenoble Alpes 2016-2020 cinq axes stra-
tégiquesdedéveloppement.L’und’euxviseà«construire
uneuniversitéattractiveàl’internationaletpoursonter-
ritoire»enmettantenœuvretroischantiersprioritaires:
•«développeruneculturedel’international,
• construire une stratégie d’interface avec le milieu so-
cio-économiqueetinstitutionnellocal,
• formaliser et mettre en œuvre une politique de dével-
oppementdepartenariatsàl’international[3]».
La coopération pérenne qui a été mise en place entre
l’Institut d’Urbanisme de Grenoble et le Département
de Géographie de l’Université de Sfax répond à tous ces
objectifs.Lepartenariatavecnoscollèguessfaxienspasse
par:
• des ateliers de coopération internationale en urbani-
sme avec des commandes réelles, multiples et sou- vent
croiséesdelaVilledeGrenoble,del’U.deSfax,delaVille
de Sfax mais aussi plus généralement de la société civile
tunisienne,
•desmissionsdeprofesseursinvitésetdedocto-
rants,
•desaccueilsréciproquesdestagiairesdeMaster.
Cette coopération repose sur une philosophie partagée
de la coopération internationale : il n’y a pas de sachant
et d’apprenant, mais seulement des acteurs (enseignant,
étudiant,élu,technicien)dialoguantd’égalàégaletenga-
gésdansdesdémarchesd’«apprentissageparlespairs».
L’atelier international d’urbanisme est un exercice pé
dagogiqueparticulièrementadaptéàcetypedecoopérat-
ion. Il permet de mieux préparer nos étudiants aux em-
plois hors des frontières et de les ouvrir à des pratiques
culturelles différentes. La pédagogie de ce type d’atelier
innove par le travail en équipe avec des étudiants d’uni-
versités partenaires sur une commande réelle. L’IUG en
organise une demi-douzaine par an avec ses partenaires
européens (Grande Bretagne, Suisse, Espagne, Italie,
1.Accord-cadredecoopérationuniversitaireentrel’UniversitédeSfaxetlaCommunautéd’UniversitésetEtablissements«CommunautéUniversitéGrenobleAlpes»,2016.
2.L’UniversitédeSfaxaétéfondéeen1986.Elleestdevenueentrenteansladeuxièmeuniversitédupays-derrièreTunisElManar-etla18educontinentafricaind’aprèsleclassementUSNews«Best
GlobalUniversityRanking»d’octobre2016 (956euniversitémondiale).L’UniversitédeSfaxestorganiséeen20composantesdontuneFacultédeLettres-SciencesHumainesdanslaquellesetrouvele
Département de Géographie. L’ensemble de l’Université compte en 2014-2015 quelques 37 000 étudiants avec une double particularité : deux-tiers des étudiants sont des étudiantes et seulement 0,82
%desétudiantssontétrangers.
3.UniversitéGrenobleAlpes,Projetstratégiquedel’UniversitéGrenobleAlpes2016-2020,UGA:Saint-Martin-d’Hères,2016,65p.,ill.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 5
Allemagne et Pologne), africains (Maroc, Tunisie et Al-
gérie)ouasiatiques(Liban,SyrieetChine).
La réussite d’un tel exercice dépend d’abord de la qualité
du partenariat que nous avons avec nos commanditai-
res ainsi qu’avec la ville, l’université et la société civile
qui nous reçoivent. Nous ne pouvons que rejoindre les
étudiants dans les remerciements qu’ils adressent à tous
ceux qui, ici à Grenoble là-bas à Sfax, font de cette série
d’ateliersuneformidableaventurepédagogique,urbani-
stiqueethumaine.
La réussite d’un tel exercice dépend ensuite de la qualité
de l’équipe enseignante, surtout quand elle se fixe com-
meobjectifderendrel’étudiantacteurdesaformation.Il
faut savoir construire le cadre pédagogique qui permet-
tra aux étudiants de se lancer dans l’exercice avec la plus
grande autonomie. Il faut des qualités pédagogiques peu
communes, un véritable savoir-faire professionnel en
urbanisme, et beaucoup de bienveillance et de confiance
dans les étudiants. Ces qualités, Fanny Vuaillat et Mar-
lèneLerouxlesontenexcès.
La réussite d’un tel exercice dépend enfin et surtout de
laqualitéd’unepromotiond’étudiants.Cettepromotion
peut être fière du travail qu’elle a réalisé depuis l’an der-
nier. Elle a su construire dès le Master 1 une pré-conn-
aissance de Sfax par ses lectures, les débats d’idée qu’elle
aorganiséeetparletravaildesdeuxstagiaires«envoyées
en éclaireur » cet été. Elle a su accueillir en septembre les
étudiants rentrant directement en Master 2 et les incor-
porerintelligemmentdansladynamiquedeprojet.Cette
promotionaeuuneforcedetravailsurleterrainhorsdu
commun. Elle a su mobiliser la société civile tunisien-
ne avec intelligence, savoir-vivre et dans une démarche
d’apprentissagemutuel.
Chapeaubas!
Jean-Michel ROUX, Directeur de l’IUG
Remerciements
« Le développement local est l’expression d’une forme de mo-
bilisation des potentiels humains dans laquelle se mêlent le cul-
turel, le social et l’économique ».
B. Pecqueur
La vision qu’adopte Bernard Pecqueur, enseignant cher-
cheur au laboratoire Pacte [1], et qui mêle développem-
ent local et mobilisation des potentiels humains, a été la
nôtre tout au long de ces mois de travaux universitaires
sur le territoire sfaxien. En effet, nous n’aurions pu en-
treprendre aucune action sans l’implication et la mo-
bilisation de nombreux acteurs, à chaque étape de nos
ateliers thématiques. C’est pourquoi, nous tenions à re-
mercier toutes les organisations et les personnes de tout
bord qui ont rendu possible et ont pu participer de près
oudeloinàcetteaventure.
Nous souhaitons adresser nos remerciements à nos pro-
fesseurs et encadrants de l’Institut d’Urbanisme, par
1.LesthèmesderecherchedeB.Pecqueursont:
La géographie économique et analyse des processus de construction territoriale, Le développement territorial (et économie du développement en particulier dans les pays du Sud), La théorie de la res-
sourceterritoriale(géographieculturelleetanalysedupatrimoine),L’aménagementduterritoire.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 6
ordrealphabétique:MarlèneLeroux(Architecte,Profes-
seur associée), Jean-Michel Roux (Urbaniste & Directeur
de l’IUG) et Fanny Vuaillat (Géographe-urbaniste, Re-
sponsable du Master UCI) pour leur présence, leur sou-
tienetleursconseils.
Merci également à la Ville de Grenoble, commanditaire
de cet atelier, pour la confiance portée aux étudiants de
notreMasterdepuismaintenantcinqans.Nosremercie-
ments vont également aux agents délégués par la Ville et
la Métropole pendant plus d’une semaine à Sfax : Moni-
queMuth(responsabledelacoopérationavecleMaghreb
à la Direction des Relations Internationales), Hervé Bu-
issier (responsable du pôle accessibilité à la Ville de Gre-
noble-La Métro) et Vincent Poncet (chef de projet agri-
cultureetbiodiversité)etGérardMeyer(responsabledu
service propreté urbaine). Ces derniers ont apporté une
réelle plus-value à nos diverses missions par leur exper-
tiseetleurvision.
Nos remerciements vont également à l’ensemble des
acteurs des institutions suivantes : le Département de
Géographie de la Faculté des Lettres et Sciences Humai-
nes de l’Université de Sfax (en particulier le Pr. Ali Ben-
nasr et Wassim Madani), la Maison de France et l’Insti-
tut Français à Sfax (Mme Katia Boudoyan sa Directrice,
Marie Baba, chargée de mission), le Comité de Pilotage
du jumelage Grenoble-Sfax Capitale de la Culture Arabe
(Yosra Achich, Samir Selami , Addejalil Gdoura, Najoua
Kamoun), la Municipalité de Sfax, représentée par Mon-
sieurMabrouckKosseintinisonMaire,sonserviceInter-
national, Rafik Owalha (service Infrastructure), Saloua
Ellouze (service Technique), Sfax Capitale de la Culture
Arabe,laSociétéd’étudesetd’aménagementdescôtesde
lavilledeSfax(RamziHalouani),CTCSfaxMedCités(Fi-
rasKammoun),leProgrammed’AppuiàlaSociétéCivile
(Fathi Belhadj), l’Institut des Beaux-arts et de Design de
Sfax, l’Université de Médecine, les Rotaract Clubs, l’In-
stitut International de Technologie (IIT), les étudiants
de l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Sfax, l’Institut
SupérieurdesSciencesInfirmières(OlfaBali).
Un grand merci à la société civile sfaxienne, à travers ses
ssociations, ses collectifs citoyens et ses organismes pro-
fessionnels, son tissu économique pour son accueil et le
temps qu’elle nous a consacré. Ces rencontres nous ont
permis d’acquérir rapidement beaucoup de connaissan-
ces sur les usages et les dynamiques locales. Merci à tou-
teslespersonnesrencontréesparhasardlorsdesexpédit-
ionsdel’atelieragricultureurbainequinousontaccueilli
à bras ouverts et nous ont permis de rentrer dans leur
maison, leur champ, leur jardin et de partager des mo-
ments mémorables avec eux. Nous remercions tout à la
fois les membres de l’AJE Joussour Ettawasol - Forum
des associations (Zied Mallouli porteur du projet), l’As-
sociation Tunisienne d’Aide aux Sourds, l’Association
Tunisienne d’Education des Enfants Aveugles (Nabil
Triki Prési- dent), l’Union Tunisienne des Insuffisants
Mentaux (Sonia Derbel Jmal Directrice), Associa Med,
la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (Hacen Ka-
moun), l’Association Tunisienne de Lutte contre les
MST et le Sida, la Maison des Droits et des Migrations
de Sfax. Encore merci à tous les acteurs qui nous ont per-
mis d’appréhender le cycle des déchets à Sfax : le Réseau
des Ingénieurs Tunisiens, l’Association de Continuité
des Générations, l’Association Naçr et tant d’autres... et
également à Sabrine Ghribi et Massoud Hadj Mohamed
qui nous ont accompagné tout au long de notre séjour et
transmisleursconnaissancessurlaVilledeSfax.
Nous souhaitons remercier les personnes suivantes qui
ont participé à la première Semaine de l’Accessibilité or-
ganiséeenlienavecleMoisdel’AccessibilitédeGrenoble
: Josef Schovanec (conférencier sur l’autisme), Erik Ben-
levi et Ali Djilali (Théâtre des peupliers et AFTC Isère),
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 7
Xavier Gallin (Journaliste-Conférencier et Président
d’Accès pour tous), Camilia Elleuch (membre du Comité
de Jumelage Sfax-Grenoble ), Imal Elbardi (Malvoyant-
musicien) et Khalil Fourati (Association des Designers
d’intérieur).
Merci enfin et surtout à tous ceux qui nous ont permis
de financer ce projet : la Ville de Grenoble, FormaSup
Isère-Drôme-Ardèche,leCrousdeGrenoble,l’Université
Grenoble Alpes (UGA) et les étudiants et personnel de la
Cité des Territoires qui ont eu la bienveillance et parfois
lecouragedefinancernotreatelierparl’achatdenospla-
tsetpâtisserie.
Sans oublier, last but not least, les étudiants des promo-
tions précédentes dont les travaux ont constitué de soli-
desbases pournotrepré-connaissancedeSfax etpourles
projetssurlesquelsnousavonsconstruitslesnôtres.
Récits d’expériences
Afin de débuter l’analyse de nos diverses expériences,
nous avons souhaité laisser parler les personnes qui nous
ontaccompagné.
« Je crois avoir redécouvert, ce que signifie le sens de l’accueil,
en Tunisie, où l’accueil est un art de vivre ! (...) Une équipe
projet Grenoble/Sfax, avec un esprit ouvert et solidaire, s’est
soudée. Bravo! »
Hervé Buissier, Responsable du pôle accessibilité
à la Ville de Grenoble-La Métro
« J’ai connu Sfax et sa médina à travers des compétitions
sportives et de quelques excursions effectuées en 1972 avec
les étudiants de l’ENS de Tunis. J’ai eu un immense plaisir
à revisiter la ville (...) Ma mission, établie par le président G.
FAIELLA, consistait à renforcer les liens d’amitié dans le
domaine culturel entre nos 2 villes. Et j’ai pu établir de nom-
breux contacts avec des acteurs qui souhaitent développer les
échanges dans ce domaine. Au cours de mon séjour, j’ai pu
profiter pleinement des différents évènements organisés par
les étudiants de l’IUG, dans le cadre leurs 3 ateliers (accessi-
bilité, agriculture urbaine, et stockage et tri des déchets). Ils
ont mené quotidiennement (comme de vrais sfaxiens !),
des enquêtes approfondies, et ils ont multiplié les rencontres
avec la population et avec les acteurs institutionnels de la Ville
de Sfax. »
Youssef SELMI, vice-président du Comité de Ju-
melage Grenoble/Sfax
“La coopération internationale décentralisée entre Sfax et
Grenoble était une occasion pour renforcer et maintenir les
relations entre les deux villes. Ainsi, ma contribution aux ate-
liers avec les étudiants de Master dans le cadre du jumelage
entre les deux universités, était une source d’enrichissement et
de perfectionnement des potentiels en matière d’aménagement
urbain. Ainsi, le contact avec les Grenoblois nous a permis la
transmission de nos connaissances, l’échange d’expériences et
l’inspiration pour entamer de nouvelles réflexions.”
Wassim Madani, doctorant sfaxien
INTRODUCTION A L’ATELIER SFAX3
Qui sommes nous ?
FIG 01 • Origines et expériences
Source : Carte inspirée de la projection Peters
Remarques : Les origines et les expériences des étudiants M2
UCI 2017
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 8
Notre collectif de travail rassemble 28 étudiants en Ma-
ster 2 “Urbanisme et Coopération Internationale” de
l’Institutd’UrbanismedeGrenoble,encadréparnostrois
enseignants (Fanny Vuaillat et Jean-Michel Roux dès le
M1etenamontduvoyage,MarlèneLerouxetJ.-M.Roux
lorsduvoyageetpourlafindel’atelier),desresponsables
de la Ville de Grenoble et par Youssef Selma (Représen-
tant grenoblois du comité de pilotage du jumelage Gre-
no- ble-Sfax). Nous nous caractérisons par une variété de
profils et de parcours universitaires variés et riches dans
les domaines de la sociologie, de la géographie, du com-
merce, de la science politique de l’architecture ou encore
de la gestion urbaine. Riche, nous l’étions de plus par nos
provenances géographiques et nos diverses expériences
à l’étranger: en témoigne notamment la représentation
cartographique précédente. Conscients du potentiel de
ces échanges, et poussés par l’équipe encadrante, nous
nous sommes évertués à travailler dans une dynamique
de rencontre, d’autonomie, et d’intégration des dif-
férents acteurs lo- caux à Sfax dans la conception des
projetsurbains.
Nous avons pu être également soutenus par la Ville de
Grenoble qui pour la deuxième année consécutive a di-
rectement pris part à cet atelier en déléguant des agents
techniques. Ces experts des domaines de l’accessibilité,
l’agriculture urbaine et la gestion des déchets ont per-
mis de renforcer cet atelier. La transmission de leurs
connaissances et de leurs réflexions a été un réel support
pourchacundesgroupes.Cettecollaborationestuneplus
value pour les échanges et la coopération avec les acteurs
deprojetssfaxiens.
Sfax et Grenoble, 40 ans de coopération
Débuter l’histoire de la coopération entre la ville de Sfax
et celle de Grenoble, nous ferait replonger dans les an-
néespost-1976.C’estsouslenomdejumelagequecelle-ci
prend forme ; l’une des toutes premières pour la ville de
Grenoble.Dèslorsdenombreuxaccordsd’échangesvont
voir le jour sur les thèmes des études supérieurs,des arts
et métiers, ainsi que dans le domaine de l’aide aux per-
sonnes handicapées. De ces accords ont pu naître une
multitudedeprojetsliésàdesthèmesvariés:
• la culture, à l’image des échanges de jeunes dans les do-
maines culturels, sportifs et scolaires ou encore avec la
participationd’ungroupemusicalgrenobloisauFestival
delaMédinapendantleRamadan
•lesavoiruniversitaire;avecnotammentlacréationd’un
corpus numérique de formation pour les étudiants de
médecine.
•letourisme,avec lacréationd’uncircuitdetourismeso-
lidaireentreSfax,ElJemetlesIlesKerkennah.
• le social, avec un soutien aux associations d’’handicapés
par des dons de cars et des formations pour les person-
nelsdecesassociations.
Ainsi ce jumelage et les liens qui ont pu se créer se sont
renforcés dans le temps et à travers les changements
politiques. Depuis maintenant cinq ans, la coopération
entre les deux collectivités s’est approfondie autour des
thématiques de l’aménagement et du développement
urbain. Cette démarche a été permise par l’intégration
d’une grande diversité d’acteurs de part et d’autre. Ci-
tons notamment Grenoble-Alpes-Métropole, la Ville de
Grenoble, l’AURG (Agence d’Urbanisme de la Région
Grenobloise), la société civile sfaxienne, l’Université de
Grenoble Alpes (Master « Urbanisme et Coopération In-
ternationale » de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble et
Master CPDT de la faculté d’Economie) ainsi que l’Uni-
versitédeSfax(Dept.deGéographie,InstitutdeBiotech-
nologies), l’Institut International de Technologie (école
d’Architecture),etc.
Si ces formes de coopération sont possibles et peuvent
perdurer c’est que les deux villes possèdent des similitu-
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 9
des favorisant des projets communs, mais l’un des prin-
cipaux moteurs de cette coopération décentralisée est
également et paradoxalement, cette volonté de chacun
de s’enrichir des différences culturels et de territoire de
l’autre.
L’atelier d’urbanisme présenté ici est né de la volonté du
servicedecoopérationdécentraliséedelaVilledeGreno-
bledeconfieràl’IUGunemissiond’étudesurbainesdans
lecadredesacoopérationavecSfax.Lapremièremission
confiée en 2012-2013 fut d’étudier les conséquences po-
tentielles d’un grand projet urbain (Taparura) sur la ville
de Sfax et ses quartiers limitrophes. L’atelier fit ressor-
tir l’idée que Sfax devenait une métropole en puissance,
avec ou sans le projet en question. Le deuxième atelier
porta donc sur les enjeux d’urbanisme du « Grand Sfax
». La troisième promotion (2014-2015) s’est appliquée
à dégrossir certains thèmes métropolitains comme : la
relation ville-port, l’accessibilité et les transports, l’agri-
culture ur- baine, les espaces de sociabilité ou la gestion
des déchets. Ce sont deux de ces thématiques qui ont re-
tenu l’attention particulière de la Ville de Grenoble pour
le quatrième atelier : celui de la ville inclusive, et donc de
l’accessibilité et le thème de l’agriculture urbaine. Il s’est
alors agit pour le groupe lié à la thématique de l’accessi-
bilité, d’établir un diagnostic plus précis afin de permet-
tre la mise en place d’un projet opérationnel avec pour la
première fois un appui technique de la Ville de Grenoble
qui a délégué deux chargés de missions : Didier Bouloud
etVincentPoncet.
Dès lors, notre cinquième année a été celle de la mise en
place de projets réels comme la Semaine de l’Accessibili-
té, tout en étant également l’année de poursuite des tra-
vaux sur les thématiques de l’agriculture urbaine et sur
celle de la gestion des déchets. Ces trois problématiques
ont émergé en réponse aux intérêts croisés des parte-
naires de la coopération. En premier lieu, nos collègues
géographes de Sfax ont eu l’intuition de l’existence de
pratiques agricoles à Sfax, pour l’instant méconnues et
qu’il convenait de mettre à jour. De plus, le système de
gestion des déchets de Sfax est dysfonctionnel, tandis
que la ville de Grenoble est plutôt performante dans ce
domaine. Enfin l’accessibilité est un enjeu important
pour Grenoble, reconnue comme précurseur sur cette
thématique, alors que la question reste peu abordée dans
l’ensembledespaysduMaghreb.
La commande
Cet atelier international d’urbanisme de Master 2 s’in-
scrit dans le cadre du jumelage entre Sfax et Grenoble
et de projets de coopération décentralisée des deux col-
lectivités. La municipalité de Grenoble a confié pour la
5ème année consécutive une mission d’organisation de
workshop à l’institut d’Urbanisme de Grenoble. Celui-ci
répond à plusieurs enjeux et objectifs. Tout d’abord, ce
temps fort de rencontre entre acteurs institutionnels,
étudiantsetlasociétéciviledanssonensemblepermetde
renforcer les liens de coopération. Il permet un échange
de connaissances et de savoir-faire entre ces différents
acteurs ainsi que l’émergence de certains projets, selon
des thématiques définies par le comité de jumelage et re-
transmises aux étudiants par la municipalité grenobloi-
se, qui, cette année, a largement subventionnée l’atelier.
Pourl’IUG,ils’agitd’untempsfortdeformationpourles
étudiants, qui gagnent ainsi en autonomie, connaissan-
cesetcompétences.
Nous avons décidé de donner à notre rapport final d’ate-
lier le titre sfax3 car notre travail s’inscrit dans la conti-
nuitédesprécédentsateliersetqu’ilportesurtroisthém-
atiques abordées par nos prédécesseurs : Accessibilité et
Agriculture urbaine en 2015 et Gestion des déchets, ini-
tiéeen2014.
Ces trois thématiques n’ont pas le même niveau d’avan-
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 10
cement, c’est pourquoi chacune s’est vue attribuée une
méthodologiedeprojetdifférente.Lagrandeinnovation
decetteéditionétait,pourlapremièrefoisdepuislanais-
sance des ateliers internationaux à Sfax, la co-organisa-
tion entre les étudiants, la société civile sfaxienne et les
institutions, d’une semaine évènementielle sur le thème
de l’accessibilité. Cette première édition a été l’occasion
d’initier un travail de coordination et de tester l’outil
évènementiel dans un objectif de sensibilisation de la
société civile et des agents de la municipalité. Il a aussi
permis de rassembler différents acteurs autour d’une
thématiqueetd’initierunedynamiquecommune.
Les deux autres thématiques, portaient la commande de
réaliser un diagnostic précis des pratiques, projets ini-
tiés, acteurs et des enjeux liés à l’agriculture urbaine et
à la gestion des déchets. Pour le groupe Agriculture ur-
baine, il s’est agit de reprendre les travaux des étudiants
précédentsetd’ouvrirlafocaleafind’arriveràunedéfin-
ition de l’agriculture urbaine à Sfax. La commande ainsi
retranscritelesamenésàdocumenterdemanièreprécise
(sous forme de compte rendu d’entretiens, cartographie
et rapport) l’état des pratiques amenant à l’identité agri-
cole sfaxienne. Pour le groupe Gestion des déchets, le
travail consistait à réactualiser le diagnostic général ef-
fectué deux ans auparavant par les étudiants grenoblois
et d’orienter les recherches vers une thématique qui ser-
viraitdebasedetravail,etincluraitSabrineGhribi,tech-
nicienne supérieure en protection de l’environnement
et Service civique à la Ville de Grenoble. Celle-ci souhaite
monterunprojetdevalorisationdesdéchetsauseindela
ville sfaxienne. Suite aux premières analyses du territoi-
re et et aux pratiques aujourd’hui testées au sein de Gre-
noble,lesétudiantsontchoisid’aborderlathématiquede
lagestiondesdéchetssousleprismedespotentialitésdes
déchetsorganiques.
Méthodologie et phases de travail
Au vue de la grande disparité du niveau d’avancement
de ces trois thématiques, chaque groupe a choisi de dév-
elopper sa propre méthodologie de travail selon des
objectifs généraux et spécifiques distincts qui vous se-
rontprésentésdanslestroislivrets.Cependant,certaines
finalitésetcertainesétapesdeprojetconvergent.
Tout d’abord, concernant les objectifs, les trois ateliers
ont travaillé en vue de mettre en place un diagnostic
“co-construit”, qui inclut dès les premières étapes et
les premières analyses les acteurs locaux, qu’ils soient
associatifs, individuels ou institutionnels. Dans cette
optique, une grande partie de notre travail a reposé sur
les rencontres organisées (entretiens etc.) ou spontanées
(surtout s’agissant du groupe agriculture urbaine qui
s’est aventuré dans diverses explorations), sur la mise en
réseaudedifférentsacteursetsurlacréationd’espacesde
dialogue et de délibération, tout ceci afin de faire émerg-
erdesdynamiquescollectives.
Le second objectif commun a été de permettre l’appro-
priationdesprojets,tantpourlesacteurslocauxquepour
les acteurs de la municipalité de Grenoble et les futurs
étudiants UCI qui prendront le relai. Aussi, chacun des
groupe a pu mettre en place des temps de présentation
et d’échange autour des diagnostics effectués à l’instar
des réunions table-ronde pour les groupes Agriculture
urbai- ne et Gestion des déchets, de la mise en place d’u-
ne exposition pour le groupe Accessibilité, ainsi qu’une
présentation publique des projets servant notamment
à la passation des expériences et connaissance aux étud-
iants.
De plus, cet atelier a été organisé selon un calendrier
commun pour les trois thématiques, ponctué de trois
grandesphasesdetravail.
• Entre mi-septembre et mi-novembre - Le diagnostic
préalable:Nousavonsinitiélediagnosticetorganisénos
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 11
pistes de réflexion pour préparer le workshop à Sfax. La
créationd’unebibliographiethématique,laprisedecon-
naissance des rapports des années précédentes ainsi que
desétudesetrecherchesmenéessurlestroisthèmes(arti-
cles, ouvrages, vidéos) nous a permis de rédiger une note
d’intention contenant les objectifs, actions et planning
pour le montage du projet. Ce temps en amont du dia-
gnostic de ter- rain a été l’occasion d’une première prise
de contact avec les acteurs sfaxiens et de leur intégration
dèslaphased’analyse.
•SecondepartiedumoisdeNovembre-10joursconfron-
tationauterrainsfaxien:Cetteexpérienceaétéponctuée
derencontres,d’entretiens,devisites,deprésentationde
projets,etd’organisa-tiond’ateliers.Cetempsrépondait
à un double objectif : d’une part, il s’agissait pour chaque
groupe de compléter le diagnostic thématique initié,
grâce à la rencontre des acteurs locaux et la présentation
de leurs différents projets sur le territoire. D’autre part,
notre présence sur place nous a permis de jouer le rôle
de “catalyseur” afin de rassembler ces différents acteurs
et d’initier des projets en synergie. Aussi, les différentes
réunions, tables rondes, ateliers et présentations ont été
l’occasionpourlesacteurs-invitésdeserencontreretd’i-
nitiercertainsprojetscommuns.
•Ladernièrephaseduprojet-Prisededistanceetanalyse
: Cette prise de distance s’est effectué vis-à-vis de toutes
les informations récoltées sur place, afin d’en effectuer
l’analyse, la retranscription, d’imaginer les pistes de
projetfuturesetdefairelebilandesrecherchesetactions
menées. Ce temps de travail répond au double objectif
de finalisation du diagnostic thématique et de transmis-
sion des informations et des projets initiés, d’abord aux
étudiants qui vont prendre le relai, puis aux différents
acteurs qui ont participé au projet (municipalité, acteurs
sfaxiens, fi- nanceurs), puis au grand public. Dans cette
optique, nous avons imaginé différents supports de re-
transcription, qui touchent un public défini: rapport
d’atelier, exposition, soirées thématiques, blog etc. per-
mettront ainsi de communiquer et de transmettre les
informationsnécessairesàlacontinuitédesprojets.
DIAGNOSTIC GENERAL : QUELQUES ELE-
MENTS CONTEXTUELS
Carte, territoire et typographie
Sfax est une grande ville industrielle située à 275 km au
sud de Tunis. Connue comme étant “la ville du travail”,
elle constitue la deuxième ville de Tunisie par son poids
démographique de 600 000 habitants et la présence de
sonportdecommerce.
FIG 02 • Carte de la Tunisie
Remarques : Localisation de Sfax en Tunisie
SFAX
TUNIS
Méditerranée
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 12
Le Gouvernorat de Sfax est composé de 16 délégations,
16communes,et126secteurs.Lacomplexitédecetteor-
ganisationetladéfinitiondescompétencesn’estpassans
poser certains problèmes de gestion des différents flux
qui traversent le territoire, comme l’illustre la présent-
ation de la gestion des déchets. Sfax est caractérisée par
une urbanisation radioconcentrique, un développement
disperséetuneextensiondiffuseenpériphérie.L’ensem-
ble des activités économiques “historique” est concentré
sur la ville de Sfax : exportation du phosphate, port de
pêche, et notamment à l’intérieur de la Médina (ville hi-
storique), avec les industries de textile et fabrication de
chaussure. Les communes périphériques abritent, quant
à elles, une grande part des logements et l’activité agri-
cole qui se développe principalement à l’extérieur de la
ville, ainsi que quelques zones industrielles et espaces
d’expérimentation et de recherche qui émergent pon-
ctuellement.
Retoursurl’actualitépolitiquesfaxienne
La révolution de 2011 a produit d’importants boule-
versements dans la vie quotidienne des Tunisiens, mais
également dans les modes de gouvernance et de gestion
urbaine.Nousavonsainsipuobserver,danscettepériode
transitoire, se dégrader l’action publique. Nous avons pu
constater simultanément de l’incroyable essor de la vie
associative, et du fort dynamisme de la société civile et
toutplusparticulièrementdelajeunegénération.Depuis
2011,l’instabilitépolitiqueamenélaVilledeGrenoblea
développéleconceptdecoopérationdesociétécivileàso-
ciété civile. Mais ce concept va connaître des évolutions
notammentenvuedesprochainesélectionsmunicipales
qui auront un impact sur les projets de la ville, des asso-
ciations, entreprises, des citoyens, institutions et donc
directementsurl’implicationdesorganisationslocales.
L’URBANISTE DANS UN PROJET DE CO-
OPERATION INTERNATIONALE
L’apprenti-urbaniste et les projets de
développement local : des limites et
opportunités
NotreMasternousformeàlapratiquedel’urbanismeen
général et plus spécifiquement dans des contextes inter-
nationaux, notamment dans les pays dits du “Sud”. En
effet, face à l’explosion urbaine de ces dernières décenn-
ies dans les pays émergents et en développement et pour
répondre aux enjeux immenses qui en découlent, les
urbanistes ont un rôle croissant à jouer et ceci directe-
ment au niveau local, à travers les actions privées ou la
coopération décentralisée. Nous avons conscience des
opportunités de mettre en pratique nos compétences
pour un aménagement de l’espace répondant aux défis
du développement durable. L’atelier construit depuis
cinq années entre la Ville de Grenoble, l’Institut d’Urba-
nismeetlesacteurssfaxiensontpermisàchaquepromo-
tion étudiante d’appréhender un projet d’urbanisme sur
unterritoireetdefairevivrelacoopération.
FIG 03 • Carte du centre-est de la Tunisie
Remarques : Sfax et ses agglomérations
Méditerranée
Menzel Chaker
Agareb
El hencha
MAHDIAKAIROUAN
SIDI BOUZID
GABES
Jebeniana
El amra
Sakkiet
Eddaïer
Sfax ville
Sfax ouest
Sakkiet
Ezzit
Kerkennah
SFAX
Mahres
Ghraiba
Bir ali ben khelifa
Skhira
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 13
	
S’imprégner du territoire et de ses ha-
bitants ...
L’atelier 2016 a été le fruit de nombreux travaux préal-
ables afin de comprendre le contexte du territoire sfa-
xien, de cerner certaines spécificités et potentialités
du territoire et de connaître les acteurs en présence qui
agissent directement sur ces dernières. Tout ceci est
nécessaire pour donner une finalité d’utilité sociale et
de développement territorial à nos différents ateliers.
La pratique du terrain et sa réalité a été, par la suite, un
exercice fondamental pour valider/confirmer/démentir
nos hypothèses mais également les ouvrir vers d’autres
horizons.
Agir sur le territoire : diagnostiquer,
tâtonner, bricoler...
Il existe une sociologie propre à la pratique de l’urbani-
smesurunterritoire,d’autantpluss’ilnousestétranger.
Ilaéténécessairedeprendredureculsurnospositionset
notre ressenti en tant qu’étudiants en urbanisme venus
deFrance.Quelpositionnementdoit-onadopter?Quelle
légitimité, expertise, avons-nous à travers les représent-
ations des acteurs locaux ? Quelles sont les limites de no-
trestatut?
Ainsi, nous avons été poussé par la dichotomie, l’op-
position ou la recherche d’équilibre entre connaisseur
ou expert de l’urbanisme et néophyte de sa pratique à
l’étranger, en l’occurrence ici en Tunisie. Ce statut a eu
des conséquences certaines sur nos actions et nos analy-
ses. Mais cela s’est révélé également être un élément ali-
mentant notre dynamisme et notre capacité d’adapta-
tion. En outre nous avons pu jouer plusieurs rôles dans
laconduitedenosprojets:telsqueceluid’animateur,d’i-
nitiateur, de prescripteur de diagnostic, de coordinateur
d’échanges.
L’atelier connaît également d’autres limites telles que la
temporalitédel’implication.Eneffet,laco-construction
desconnaissancesetdesprojetsaveclesinstitutionsloca-
lesetlasociétécivileestconditionnéeparunerelationde
confiance favorable à l’échange, l’engagement, l’impli-
cation des organisations et des personnes. Cela nécessite
plus de temps que ce que l’on peut construire en quatre
mois de travail dont dix jours sur le terrain. Du temps il
a pu aussi nous en manquer pour : cerner tous les jeux de
position et de force, mais aussi les parti pris et intérêts
que peuvent entraîner le politique au sens large et fina-
lement pouvoir trouver réellement sa place dans le pro-
cessusdeprojet.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 14
AGRICULTURE URBAINE A SFAX
Nousavonsretenu,danslecadredenotretravail,uneap-
proche en terme de pratiques agricoles en milieu urbain
dense, qu’il s’agisse de production végétale ou d’élevage,
àvocationalimentaire.
Historiquement
La ville de Sfax est marquée par une agriculture nour-
ricière de maraîchage et de vergers, particulièrement
visible dans ses “jnens” - jardins traditionnels citadins.
L’espace agricole est néanmoins réduit dans le centre et
lapériphériedelavilledufaitdelapressionfoncièreetde
l’étalement urbain. L’objectif de notre venue à Sfax a été
laréalisationd’undiagnosticnonexhaustifdespratiques
agricolesetdestypologiesdeproduitsjusqu’aukilomètre
11 à partir de la médina, ceci dans un but de valorisation
d’un certain nombre de produits et de pratiques locales.
Pour ce faire, nous avons travaillé avec des étudiants et
des acteurs du milieu universitaire, des institutions, des
agriculteurs, mais aussi directement auprès de la société
civile.
Récolte de données
Notre méthodologie de récolte de données s’est faite en
deuxtemps.Dansunpremiertemps,nousavonsfixépar
avance des rendez-vous avec des agriculteurs, des insti-
tutions du milieu agricole, ou encore que auprès des as-
sociations. Pour interroger les agriculteurs, nous avions,
Notre groupe de travail s’est penché sur la question de l’agriculture urbaine à
Sfax en repartant des bases du rapport de la promotion 2014. Ces étudiants se
sont heurtés à des difficultés de définition du terme « agriculture urbaine » au-
près des institutions et de la société civile, les contraignant dans l’élaboration
d’un diagnostic. Nous avons alors commencé par redéfinir ce que signifie ce
terme aux sens variés. Le terme d’agriculture urbaine est régulièrement utilisé
pour désigner des réalités différentes, selon les types et l’échelle de production
et selon qu’elle réponde à une finalité d’agrément ou alimentaire.
Introduction
avant de nous rendreà Sfax, élaboré un guide d’entretien
(jointenannexe)avecl’aided’unprofessionneldumilieu
agricole. Nous nous sommes ainsi rendus, par groupe de
3 ou 4 personnes, à ces entretiens qui nous ont permis
d’avoir un aperçu des grandes exploitations de plusieurs
hectares, de la manière dont travaille un agriculteur, de
sa méthode de production, des difficultés qu’il peut ren-
contrer, etc. Nous avons également été en contact avec
des syndicats d’agriculteurs et des groupements d’acteu-
rs du milieu agricole. Nous avons tenté de comprendre,
par le biais de ces rencontres, comment s’organisent les
circuitsdeproduction:quelestletrajetdelasemence,du
légume,del’animal,dulait,etc.
Dans un deuxième temps, nous nous sommes répartis en
groupede3personnespourréaliserdes«explorationsur-
baines ». Par ce terme, nous entendons des explorations
de secteurs définis à l’avance que nous avons parcourus
à pied ou en taxi. Afin d’être le plus précis possible, nous
avonsessayéderecouvrirlesdifférenteszonesduterrain
observé. Nous avons tenté, par exemple, d’avoir sur cha-
que secteur une observation au nord, au sud, à l’ouest,
à l’est et au cœur de notre zone d’étude. Les secteurs
d’explorationontétédiviséaunombrede10,allantde0à
9,surleterritoireduGrandSfax.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 15
Lors de ces balades urbaines nous pointions sur l’appli-
cation maps.me nos points intéressants, ce qui nous a
permis de reproduire nos parcours sur carte. De la même
manière, nous interrogions des particuliers qui sembla-
ient pratiquer une forme d’agriculture urbaine. Nous
nous basions sur le même questionnaire que celui celui
pour les agriculteurs exploitants, mais nous avons égal-
ement eu recours à l’entretien non directif, sous forme
dequestionsouvertes.
	
	
Lors de ces dix jours d’atelier, nous avons récolté une
masse importante de matière, à la fois par nos entretiens
maisaussiparnosexplorations.Decettematière,richeen
informations, nous avons dressé un diagnostic de l’état
actueldesdiversespratiquesagricolesàSfax.Nousavons
découpé notre analyse en trois grandes parties. Dans une
première partie, nous traiterons des freins influençant
le recul de l’agriculture en périphérie et le morcellement
des parcelles, à savoir le phénomène d’étalement urbain
etlesconditionsnaturellesdéfavorablesdumilieu.
Pratiques agricoles à Sfax
Dans une deuxième partie, nous proposerons d’établir
un panel des différentes pratiques agricoles rencontrées
àSfax.Pourcela,nousmontreronsquelssontlestypesde
production, les méthodes employées, la forme des par-
cellescultivées,lamaind’œuvreutiliséeetc.Nousdresse-
rons également une typologie des produits rencontrés à
Sfax, à la fois chez les agriculteurs, mais aussi sur le mar-
chécentral,lemarchédegros,lesproduitsexportésetles
produits locaux. Nous montrerons les acteurs mobilisés
dans la chaîne du produit qu’il s’agisse d’un produit issu
dumaraîchage,del’arboricultureoudel’élevage.
Politique agricole
En troisième partie, nous étudierons la politique agri-
cole tunisienne et plus précisément sfaxienne qui existe
et qui, par certains aspects, favorise le développement
agricolemaisn’estpassuffisammentdéfinieconcernant
les plus petites exploitations, notamment au travers des
plans d’aménagement locaux. La question de la pression
foncière est centrale dans le recul et le morcellement des
parcellesagricoles.Demême,nousreviendronssurlesta-
tut d’agriculteur qui soulève des réalités très différentes,
mais nous parlerons aussi des inégalités sociales au sein
decettegrandecatégoriequ’estle«statutd’agriculteur».
Pistes de réflexion
Pour finir, nous proposerons, au vu de ce diagnostic,
quelquespistesderéflexionpourlesacteursduterritoire
mais aussi pour la prochaine promotion, afin qu’ils puis-
sentcontinuerletravailamorcésurdesolidesbases.
FIG 04 • Carte des explorations urbaines et des
visites de fermes
Source : Google My Maps
Remarques : Points d’intérêt et visites de ferme par secteur
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 16
A. Contraintes physiques : urbanisation, climat et pollution
I. RECUL ET MORCELLEMENT DES PARCEL-
LES AGRICOLES
1. Morphologie du Grand Sfax
La ville de Sfax s’est développée de manière radio-cen-
trique et est organisée autour de 13 grands axes radiaux
reliant le centre-ville à la périphérie. Progressivement,
l’urbanisation s’est étendue vers cette périphérie, les
constructions se concentrant autour des grands axes
routiers. A ces axes principaux s’ajoute un réseau de vo-
iessecondaires,autourdesquelsontémergédesquartiers
périphériques. La localisation de lieux à Sfax s’effectue
surlabasedeladistanceaucentre-villeenkilomètre:lor-
sque nous prenions le taxi, nous demandions par exem-
pledenousdéposer“routededelaSoukra,kilomètre5”.
Périmètre d’étude
Notrepérimètred’étudefinalcorrespondàlazoneurbai-
ne comprise dans un rayon de 11 kilomètres à partir du
centre-ville.Enpremierlieu,surleconseild’AliBennasr,
universitaire sfaxien, nous pensions nous restreindre à
un périmètre compris entre 4 et 11 kilomètres. C’est le
périmètredanslequelnousavonsmenénosexplorations
urbaines, s’appuyant sur son hypothèse qu’il n’y avait
pas de pratiques agricoles à l’intérieur des 4 premiers
kilomètres. Nous avons néanmoins pu observer des ar-
bres fruitiers, des poules et un élevage de lapins dans ce
périmètre central. Ayant pour commande d’identifier
et de localiser les pratiques agricoles urbaines à Sfax, il
devenait pertinent d’élargir notre périmètre d’étude ju-
squ’au kilomètre 0. Quant au kilomètre 11, limite exter-
ne de notre périmètre, il correspond à ce qu’Ali Bennasr
nousaindiquécommemarquantlafindumilieuurbain,
au sein duquel tout terrain est considéré comme con-
structible.
Notre périmètre déborde ainsi de la commune de Sfax
ville et se rapproche plutôt de ce que l’on appelle le
“Grand Sfax”. Selon les acceptations, le Grand Sfax
comprend 7 communes : Sfax ville, Sakiet Ezzit, Sakiet
Eddair, Chihia, Gremda, El Ain et Thyna (délimitation
par des urbanistes en 1972) ; ou 6 délégations : Sfax El
Médina, Sakiet Ezzit, Sakiet Eddaïr, Sfax Ouest, Sfax
Sud et Thyna (délimitation par des géographes en 1998)
(Hagui, A. et Tlili, A., 2004, p. 21). Il faut savoir que les
communes sont des collectivités territoriales issues de
la décentralisation tunisienne et n’existent qu’en zone
urbaine, tandis que les délégations sont des subdivisions
des gouvernorats, organismes déconcentrés de l’Etat, et
couvrent tout le territoire (Turki et Verdeil, 2013, p. 4).
Alafindesannées1990,legéographeDlalaHabib(1996,
pp. 369-394, 372, 375, 376 et 380) distingue au sein du
GrandSfaxtroiszonesdistinctes:
• La “zone centrale” correspondant à la medina - cen-
tre-villehistoriquetrèsdenseceintdehautsremparts,au
portetaunouveaucentre“Sfax2000”
• Les “zones péri-centrales” ou la “petite couronne” ju-
squ’aukilomètre4
• Les “zones péri-urbaines”, ou la “grande couronne”
(qu’ilappelleégalement“couronnedes“J’nen””)FIG 05 • Périmètre d’étude entre km 4 et 11
Source : Google My Maps. Remarques : Secteurs d’études 0 à 9
Km 11
Km 4
0
1
23
4
5
6
7
8
9
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 17
Urbanisation à Sfax
L’urbanisationàSfaxestcaractériséeparunphénomène
d’étalement urbain vers d’anciennes zones à caractère
rural,cequeDlalaHabib(1996,p.380)appelle“couronne
des“J’nen””,contribuantàdensifiercesespacesetàmor-
celer les parcelles. Sa description de ces zones péri-urb-
aines, bien que datée, nous semble encore aujourd’hui
pertinente : il explique que la grande couronne est
composée de “petits centres communaux périphériqu-
es d’activités élémentaires et d’habitat pavillonnaire en
cours de densification, ainsi que d’aires inter-radiales
occupées de “J’nen” en cours de morcellement et d’urba-
nisation” (Habib, 1996, p. 380). En effet, l’urbanisation
a provoqué une diminution de la surface des résidences
d’été traditionnelles, qui comprenaient de vastes jardins
ceints de hauts murs, les “jnens”. Aujourd’hui, les ter-
rainsdesanciensgrandsjnenssontdivisésenlotsafinde
pouvoiryconstruireplusieursvillasindividuelles.
2. Aperçu sectorisé des pratiques agricoles
Nous avons souhaité avoir une vision globale, bien que
non exhaustive, de la diversité des pratiques agricoles
selon les quartiers de la ville. Pour cela, nous avons di-
visé le périmètre d’étude en 10 secteurs d’exploration
urbaine, chacun constituant un secteur circulaire entre
deuxgrandsaxesdeskilomètres4à11.Nosexplorations
nous ont permis d’identifier des contrastes dans l’urba-
nisation selon les secteurs et la distance au centre-ville,
lesquels influent beaucoup sur la possibilité et la nature
despratiquesagricolesobservées.
Quartiers résidentiels denses au nord
Lors de nos explorations, nous avons pu observer que
la partie nord de la ville (secteurs 0 à 4) était principale-
ment composée de quartiers résidentiels. Dans le secteur
0, à proximité du littoral, l’habitat est populaire, le bâti
est plutôt dispersé du fait de nombreuses friches indu-
strielles et terrains vagues, mais nous n’avons pu voir
que très peu d’espaces verts. Dans le secteur 2, à partir
du kilomètre 7, on trouve un autre quartier plutôt po-
pulaire, où nous apercevons un berger et son troupeau
demoutons.L’explorationdusecteur4débuteàlafinde
la petite couronne, derrière Sfax 2000, avec un quartier
trèspopulairedetype“Rbat”.Alafindesannées1990,le
géographe Dlala Habib (1996, pp. 369-394 et 378) décrit
ainsi ce type de quartiers: “[...] les “R’bat” ont acquis des
densités pouvant aller à 320 hab. / ha. Ils abritent un
sous-prolétariat dans des maisonnettes à patio exigües
construites sur des terrains acquis pour l’essentiel en
propriété”. Très dense, ceint de murs, la nature y est peu
présente,hormisquelquesarbresfruitiersplantésdansla
rue. En avançant vers la périphérie, au-delà du kilomètre
5etjusqu’aukilomètre11,lesmaisonsindividuellespuis
les villas de plus en plus luxueuses se succèdent. Ces der-
nières comportent des jardins fleuris où l’on peut trou-
ver des arbres fruitiers. Dans les secteurs 1 et 3, on peut
dresserunconstatsimilairedelaprédominancedequar-
tiers résidentiels de classe moyenne et supérieure, où
l’agriculture est essentiellementla culture de vergers par
desparticuliersetquelquestroupeauxnomades.
	 Ce constat est cependant à nuancer : à partir du
kilomètre 8, l’urbanisation est moins intense, bien qu’il
y ait de nombreux chantiers, et l’on aperçoit souvent des
champs. Beaucoup d’espaces cultivables, comme des fri-
chesetjardinsnesonttoutefoispascultivés.Onvoitaus-
si des troupeaux de chèvres et de moutons, ainsi que des
poules. On note également le début de grandes exploita-
tionsarboricoles,principalementd’oliviers.
Surfacesexploitéesàl’ouestetausuddelavile
Dans les secteurs 5 et 6, on trouve des quartiers résid-
entiels jusqu’au kilomètre 5, où les pratiques agricoles
se limitent à des jardins privés, souvent dissimulés der-
rière de hauts murs. A partir du kilomètre 6, les con-
structions sont plus espacéeset nous commençons à voir
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 18
Km 8
Km 11
Km 4
0
1
23
4
5
6
7
8
9
Principalement des champs
Principalement de l’urbanisation
FIG 06 • Imbrication de l’agriculture et de l’urbain
Source : Google My Maps. Remarques : Schématisation de l’étalement urbain
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 19
des champs d’amandiers. A partir du kilomètre 9, la ten-
dance s’accentue avec de plus en plus de champs d’aman-
diers, ainsi que des champs d’oliviers. Les secteurs 7 et 8
sont marqués par un étalement urbain plus réduit qu’au
nord et une plus forte dispersion du bâti. Déjà au niveau
du kilomètre 5, dans un quartier d’habitation populaire,
nousrencontronsdeschèvres,desmoutons,despouleset
desdindonssurunterrainvague,ainsiquedes“senyaas”,
formes de jardins partagés. Autour de l’aéroport de Sfax,
au kilomètre 7, on trouve aussi de vastes champs exploi-
tés, ainsi que des troupeaux nomades de moutons et
chèvres. L’oued, ancienne rivière asséchée de Sfax, mar-
queunerupturespatialedansladensitédel’urbanisation
et est utilisée pour des pratiques agricoles de pâturage.
C’est dans la partie sud de la ville, à partir du kilomètre
7, que nous avons observé les exploitations agricoles les
plusétendues,deplusde4hectares.
Contraste nord-sud
De manière générale, la partie nord (secteurs 0 à 4) de
la ville nous a semblé beaucoup plus dense que la partie
ouestetsud(secteurs6à9).Onobserveainsiuncontraste
entrelenorddelaville,plutôtrésidentieletdense,lesud,
où l’on trouve des espaces plus vastes, notamment déd-
iés à l’activité agricole, l’ouest apparaissant comme une
zone de transition. Une étudiante interrogée lors de nos
explorations nous affirme ainsi : “L’agriculture, il n’y
en a pas au nord de Sfax”. Si la densité du bâti semble in-
compatible avec l’agriculture, nous avons tout de même
pu observer quelques pratiques agricoles, nichées dans
des interstices urbains ou sur les trottoirs et les bords de
route. Ce constat est à nuancer par une seconde logique
spatiale selon laquelle, même au nord, plus l’on s’éloigne
du centre-ville (notamment à partir de la ceinture Bour-
guiba au kilomètre 7) plus la densité du bâti tend à dimi-
nuer et plus l’on peut trouver des surfaces d’exploitation
agricole.
Etalement urbain
Plusieurs agriculteurs nous ont parlé de l’étalement ur-
bain, comme Mnif, éleveur de vaches laitières, répond-
ant à une question sur l’effet de l’urbanisation d’un
“C’est mon drame!”. Plusieurs habitations se sont con-
struites tout autour de son terrain, dont une à quelques
mètres. Il précise que c’est une urbanisation non réglem-
entée, sans permis de construire, car les parcelles acqui-
ses ont une surface inférieure à la surface réglementaire
minimale pour construire une habitation. Du fait de ces
constructions grignotant les parcelles agricoles, plusieu-
rs agriculteurs nous ont confié réfléchir à déplacer leur
exploitation au-delà de l’agglomération de Sfax. Il faut
noter que beaucoup ont hérité du terrain de leur père et
qu’il y a une dimension affective à continuer à travailler
surl’exploitationfamiliale.
Espace public et privé
On observe également un contraste concernant la fron-
tière entre espace public et espace privé selon les lieux de
la ville. Très marquée par les murs délimitant beaucoup
d’habitations privés, voire des quartiers entiers comme
lamédinaoulequartierpopulairedetyper’batsituéder-
rièreSfax2000,elletendàs’effacerdansleszonesmoins
denses. En terme d’usage, la frontière est également dif-
fuse, puisque nous avons pu observer des pratiques d’él-
evage sur l’espace public et dans des espaces privés non
délimités,commedeschamps,desjardinsoudesfriches.
Conclusion
Notre analyse porte essentiellement sur la couron-
ne péri-urbaine du Grand Sfax telle que nous l’avons
précédemment qualifiée. L’urbanisation, à l’origine de
l’éloignementetdumorcellementdesparcellesagricoles
dans cettezone,est unefortecontraintepour la pratique
de l’agriculture urbaine. Les explorations urbaines ont
permis de repérer des contrastes spatiaux dans la répart-
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 20
ition des parcelles agricoles, conséquences de l’évolution
de l’urbain et du bâti. Un premier contraste s’opère en-
trelenord,marquéparladensificationurbaine,etlesud
de la ville, moins urbanisé, qui donne à voir des espaces
agricoles préservés. La seconde fracture spatiale inter-
vient entre le centre et la périphérie, vers lesquelles sont
repoussées les parcelles agricoles sous l’effet de l’étalem-
enturbain.
II. SFAX, “VILLE SÈCHE” AUX SOLS POLLUÉS
1. Le manque d’eau chronique
La question de l’eau est au coeur des problématiques
agricoles et représente un réel défi pour les agriculteurs
sfaxiens. Du fait d’un climat semi-aride, la ville de Sfax
est soumise à un manque d’eau chronique. Nous avons
été marqués lors de nos déplacements à Sfax par l’om-
niprésence de la poussière, due à la sécheresse, qui vient
se déposer sur les trottoirs, les voitures, les toits... Depuis
trois ans, la ville connaît une période de sécheresse, qui
lui vaut son surnom de “ville sèche”. Mounir, maraîcher,
nousexpliqueainsi:“Ilyavingtans,onpouvaitcreuserà
8mètrespourtrouverdel’eau.Aujourd’hui,lepérimètre
irrigué de Sfax se trouve à 25 kilomètres, on a vu un glis-
sement.”
Pluviométrie
Plusieurs degrés d’aridité peuvent être différenciés, se-
lon la quantité de précipitations par an : 10 à 50 mm/
an dans les régions hyper-arides, 50-150 mm/an dans
les régions arides, et entre 200 et 400 mm/an dans les
régions semi-arides (CNFSH, 1995). Selon cette défin-
ition, Sfax jouit donc d’un climat semi-aride. En effet,
en 2016, les taux pluviométriques à Sfax oscillent entre
0 et 15 millimètres d’eau par mois entre janvier et août
et entre 15 et 30 millimètres entre septembre et octobre
(Michamps 4B, 2016). La comparaison avec Grenoble
permet de rendre compte de l’aridité relative à Sfax : à
Grenoble, les précipitations mensuelles oscillent entre
25 millimètres au mois d’août et 127 millimètres en mai
(Météo France). Si les produits historiquement cultivés
à Sfax sont adaptés au climat semi-aride, la diminution
pluviométrique récente atteint un niveau critique pour
l’irrigationdesexploitations.
2. Salinisation et pollution des sols
Sfax subit un phénomène de salinisation des sols et des
nappes phréatiques. Anis Elaoud, ingénieur agronome à
Tunis, nous explique ainsi que, du fait de son haut degré
de salinité : “la qualité de l’eau est médiocre”. Selon lui,
l’indice de salinité à Sfax est généralement supérieur à 2
grammes par litre et peut s’élever jusqu’à 7 grammes par
litre. Cela empêche la culture de certains produits, com-
me la fraise, pour laquelle l’indice doit être inférieur à 1
gramme par litre. La salinité nuit aussi au rendement de
la production, comme c’est le cas des piments cultivés à
Sfaxavecunindicedesalinitéde3à4grammesparlitre,
alorsqu’ildevraitêtreinférieurà2,5grammesparlitre.
Détérioration de la qualité des sols
La salinisation contribue également à une détérioration
de la qualité des sols. En effet, l’eau s’évaporant, une im-
portantequantitédeselrestestockéedanslessolsets’ac-
cumuleautourdesracinesdesplantations,bloquantain-
si leur irrigation. Cette situation empêche la production
de certains produits, comme le fait remarquer Hedi, ma-
raîcher:“Latomaten’estpasrentableàcausedelaqualité
de la terre.” La mauvaise qualité des sols contribue au re-
culdesparcellesagricolesenpériphérie,oùlesterressont
plus fertiles, renforçant ainsi les conséquences de l’étal-
ement urbain. A cela s’ajoute une pollution des sols d’o-
rigine anthropique. Elle résulte de l’utilisation en gran-
de quantité de produits et d’engrais chimiques, à visées
préventiveetcurative,parlesagriculteurssfaxiens.Nous
avons toutefois pu observer des alternatives naturelles
aux engrais chimiques, la plus courante étant l’épandage
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 21
de fumier. Sur l’exploitation du GIL, ils utilisent un en-
graisdit“vert”–l’orge-lorsdelamiseenjachèredessols.
Techniques adaptatives
Pour répondre à ces problématiques, les sfaxiens ont
développéplusieurstechniquesadaptatives,notamment
dans la gestion de l’eau. L’utilisation d’un puits, parfois
doubléd’uneciternederéservecommesurl’exploitation
d’Adelaziz, éleveur de vaches, est très fréquente pour
pallier au déficit chronique de précipitations. Comme le
remarque Anis Elaoud, ingénieur agronome, cela con-
stitue une installation traditionnelle à Sfax, même dans
les habitations, qui traduit une adaptation aux périodes
de sécheresse chroniques. Le souci d’économie d’eau est
également perceptible à travers le système de micro-ir-
rigation utilisé dans le maraîchage. Le “goutte-à-goutte”
permet en effet, grâce à l’installation de tuyaux au sol,
d’irriguer la plante à un faible débit, directement à la ra-
cine, et de limiter la consommation d’eau. En réponse à
la forte salinité de l’eau s’est également développée une
technique de magnétisation. Le traitement magnétiq-
ue de l’eau modifie ses propriétés chimiques et permet
d’améliorer sa qualité. Néanmoins, cette technologie est
trèscoûteuse,cequilimitesonutilisationparlesagricul-
teurssfaxiens.
Conclusion
Nous pouvons dresser le constat d’une dégradation des
conditions physiques d’exploitation agricole à Sfax,
principalement due à une quantité d’eau réduite et à
une mauvaise qualité des sols. A l’origine de ce phén-
omène, on peut identifier des causes naturelles, comme
la sécheresse, mais aussi des facteurs anthropiques. L’u-
tilisation de produits phytosanitaires renforce en effet
la détérioration des sols agricoles. En conséquence, les
agriculteurs tendent à rechercher des conditions plus
favorables hors de Sfax, intensifiant ainsi l’éloignement
desparcellesagricoles.
FIG 07 • Pollution des sols
Remarques : L’oued, rivière asséchée de Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 22
B. Typologie agricole et circuits de production
I. LA DIVERSITÉ DES PRATIQUES AGRICOLES
1. Arboriculture
L’arboriculture représente une grande partie de la pro-
duction agricole à Sfax. La ville est connue pour la cultu-
re d’oliviers, qui s’étend sur 95 % des parcelles agricoles
à Sfax selon le CDRA - échelon régional du ministère de
l’Agriculture. Nous avons pu apercevoir des exploita-
tions arboricoles à grande échelle à partir du kilomètre
8, mais aussi fréquemment des vergers dans les jardins
privés. Concernant les méthodes de production, les pra-
tiquessontdiverses:utilisationdemachinespourlabou-
rer et diffuser les produits de traitement ; d’animaux ; et
pratique manuelle. Pour la récolte d’olive de novembre à
décembre, les propriétaires de grandes parcelles embau-
chent ponctuellement une main d’oeuvre importante.
Lorsqu’il s’agit de plus petites exploitations familiales,
ce sont les membres de la famille qui s’occupent du ra-
massage des fruits. Dans les villas des classes aisées, un
jardinierestsouventenchargedel’entretienduverger.
Agriculture biologique
La culture d’olivier dans les grandes parcelles périp-
hériques est souvent qualifiée de biologique, car aucun
produit de traitement chimique ni engrais n’est utili-
sé. En revanche, l’utilisation de produits chimiques est
fréquente dans les jardins privés. Nous avons systémat-
iquement abordé la question de l’agriculture biologique
lors de nos rencontres avec des agriculteurs. La plupart
nous ont répondu connaître ce type d’agriculture, sans
pouvoir la décrire précisément. Souvent, ils ajoutaient
qu’ils utilisaient le moins de produits chimiques possi-
ble. Cela peut s’expliquer par un manque de réglement-
ation et de valorisation de ces pratiques par les pouvoirs
publics, malgré la récente création d’un arrondissement
consacréàl’agriculturebiologiqueauCRDAdeSfax.
2. Elevage
Nous avons observé la pratique de l’élevage dans tous les
secteurs de la ville. Une première forme consiste en des
troupeaux nomades de chèvres et de moutons menés
paître par un berger. Cette pratique, que nous supposons
non réglementée, relève de l’utilisation à des fins privées
del’espacepublic,commelesbordsderoute;oud’espaces
privésnondélimités,commeleschamps,terrainsvagues
ou grands jardins non emmurés. Elle illustre la dilution
desfrontièresvisiblesetd’usagesentreespacespublicset
espacesprivésdanscertainssecteursdeSfax.Nousavons
pu parler avec quelques-uns de ces bergers, qui nous ont
expliquéqu’ilsramenaientleurtroupeaulesoiràleurdo-
micile. Le long des grands axes routiers, on peut effecti-
vementrepérerdesenclosàmoutonfabriquésàpartirde
matériauxderécupération.
FIG 08 • Arboriculture
Remarques : Oranger
FIG 09 • Elevage
Remarques : Groupement de moutons à côté d’un poulailler
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 23
A toutes les échelles
Il existe également des exploitations statiques, souvent
à plus grande échelle, quoique nous ayons pu observer
un troupeau itinérant d’une centaine de moutons dans
le secteur 0 au kilomètre 11. Parmi les éleveurs plus clas-
siques, nous avons rencontré des éleveurs de vaches, de
moutons,delapinsetdepoules.Nousavonsaussipucon-
stater la présence de poulaillers dans plusieurs jardins
privés. Les élevages de vaches laitières visités produisent
quotidiennemententre300et500litresdelaits;avecses
60vaches,Mnifproduitainsienviron500litresparjour.
Les veaux sont souvent revendus pour la viande. Concer-
nantlesméthodesdeproduction,ilsdisposentd’installa-
tionscommedestanksàlaitetdestrayeuses.Onnoteque
plusieurs sites visités relèvent d’une agriculture intensi-
ve, où les animaux sont entassés dans des enclos étroits,
parfois exclusivement en intérieur. Cependant, Mnif,
éleveur de vaches laitières, nous rapporte être très atten-
tif au bien-être des vaches, limitant les antibiotiques et
fabriquant lui-même leurs aliments. Leur alimentation
est composée de son propre blé, de complément minéral
vitaminé, de luzerne déshydratée, ainsi que de granulés
desojaetdemaïs(transgéniquesetimportés,commeille
précise,ajoutantqu’iln’apaslechoix).
Début de valorisation des déchets
L’utilisation du fumier des animaux comme engrais na-
turel est répandue, les éleveurs revendant leur fumier
aux maraîchers. On peut considérer cette pratique com-
me un début de valorisation des déchets agricoles. Dans
la même perspective,la construction d’enclos à moutons
à partir de matériaux de récupérations illustre le lien
étroit entre les formes de valorisation et de réutilisation
desdéchetsexistantsetunelogiqued’économiedecoûts.
3. Maraîchage
Nous avons identifié trois types de pratique maraîchère
dans la ville de Sfax : les grandes exploitations à vocation
marchande - sur une surface de plusieurs hectares ; les
potagers des jardins privés ; et les “senyaa”, qui s’appa-
rententàdesjardinspartagés.Laproductionmaraîchère
à Sfax est particulièrement diversifiée : on y cultive du
fenouil, des piments, des tomates, des concombres, des
navets, des radis, des courgettes, des blettes etc. A par-
tir de plusieurs hectares de surface, l’exploitation fon-
ctionne avec des employés agricoles. Dans les “senyaa”,
ce sont les habitants qui viennent cultiver les légumes.
Le plus souvent, le travail agricole se fait manuellement,
éventuellement grâce à la traction animale. Plusieurs
maraîchers nous expliquent que l’agriculture biologique
n’est pas rentable pour le maraîchage, car il n’y a pas de
demande pour des produits biologiques qui seraient plus
chers à la revente. Cette affirmation indique qu’ils sont
convaincus que produire de manière biologique engen-
dre nécessairement une baisse du rendement qu’il faut
pouvoircompenserparunehausseduprixdevente.
Autres types d’agriculture
Au-delà de l’arboriculture, l’élevage et le maraîchage,
nous avons rencontré des acteurs de la transformation
de céréales, ainsi qu’un producteur de miel. Nous avons
ainsirenduvisiteàunpépiniéristequiproduisaitdumiel
grâce à ses deux ruches. Nous nous sommes également
FIG 10 • Maraîchage
Remarques : Senyaa de quartier. Femme ramassant des radis
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 24
Pomme
Amande
Poire
Prune
Figue de
BarbarieFigue
Nèfle
Olive
Citron
Pistache
Grenade
Pample-
mousse
Mandarine Abricot
Raisin
Orange
Pêche
Lieu de production
Consommateur
Consommateur
Restaurateur
Consommateur
Restaurateur
Restaurateur
Consommateur
Consommateur
Consommateur
Transformateur
DétaillantGrossiste
Détaillant
Détaillant
Consommateur
Semence / plant
Consommateur
Restaurateur Consommateur
DétaillantGrossiste
Consommateur
FIG 11 • Arboriculture
Remarques : Typologie des produits et des acteurs du circuit de l’arboriculture à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 25
Vache
Poule
Pigeon
Mouton
Chèvre Lapin
Coq
Dinde
Lieu d’élevage
Consommateur
Consommateur
Restaurateur
Consommateur
Restaurateur
Consommateur
Restaurateur
Consommateur
Consommateur
Consommateur
Transformateur
DétaillantGrossiste
Détaillant
Détaillant
Consommateur
Fourrage
Consommateur
Restaurateur Consommateur
DétaillantGrossiste
FIG 12 • Elevage
Remarques : Typologie des animaux et des acteurs du circuit de l’élevage à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 26
Blette
Citrouille
Radis
Navet
Pois
Fenouil
Concombre
Aubergine
Persil
Potiron
Tomate
Courgette
Sauge
Romarin
Carotte
Melon
Pomme
de terre
Basilic
Poivron
Fraise
Menthe
Coriandre
Anis
Oignon
blanc/rouge
Épinard
FèveChou-fleur
Piment
Ail
Chou-rave
Salade
Lieu de production
Consommateur
Consommateur
Restaurateur
Consommateur
Restaurateur
Restaurateur
Consommateur
Consommateur
Consommateur
Consommateur
Restaurateur Consommateur
DétaillantGrossiste
Consommateur
Transformateur
DétaillantGrossiste
Détaillant
Détaillant
Consommateur
Semence
FIG 13 • Maraîchage
Remarques : Typologie des produits et des acteurs du circuit du maraîchage à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 27
rendus dans une boulangerie qui produisait 3000 pains
par jour, à partir de la farine de céréales produite par “Le
Grand Moulin” à Sfax (que nous avons également visité).
Cependant, nous ne développerons pas ces activités par
manquededonnées.
Conclusion
Nous avons tenté de dresser un panorama des différent-
es pratiques agricoles dont nous avons été témoins, sans
être toutefois en mesure de quantifier statistiquement
chacuned’entreelles.Delagrandeexploitationmécanis-
ée et marchande au petit potager privé ou collectif, nous
constatonsquel’agricultureurbaineàSfaxestdiversifiée
quantàlanaturedesproduitscultivésainsiqu’àl’échelle
etlaméthodedeproductionmisesenoeuvre.Ladivision
àlaquellenousprocédonsicientrearboriculture,élevage
etmaraîchages’inspiredelaclassificationtraditionnelle
des produits, mais elle ne rend pas compte de l’extrême
diversitédespratiquesauseindechaquecatégorie.
II. LE MANQUE DE VALORISATION DE LA
PRODUCTION LOCALE
1.Ladifficiletraçabilitédesproduitsagricoles
Aperçu des importations dans la ville de Sfax
Pouridentifierlaprovenancedesproduitsagricolesven-
dus à Sfax, nous avons interrogé les vendeurs que nous
rencontrions sur les marchés et dans la rue. Cela nous a
permis d’avoir un aperçu, bien que partiel, des impor-
tations agricoles à Sfax. Il faut noter que la provenance
des produits n’est jamais directement affichée, et que
parfois, les vendeurs ne voulaient ou ne savaient pas dire
d’où provenaient les produits qu’ils vendaient. Nous re-
marquons que les produits importés sont diversifiés :
fruits,céréales,viandeetc.Ilsproviennentgénéralement
des alentours de Sfax ou d’autres villes en Tunisie. Il est
intéressant de remarquer que plusieurs des produits im-
portés, notamment les fruits, sont également produits à
Sfax.Cependant,sinousavonspuobserverdenombreux
orangers, citronniers et grenadiers, ils se trouvaient le
plus souvent dans des jardins privés et étaient dédiés à
uneconsommationpersonnelle.
Aperçu des exportations dans la ville de Sfax
En ce qui concerne les exportations de produits agri-
coles en provenance de la ville de Sfax, nous avons pu
identifier quelques produits spécifiques. Sans surprise,
on trouve en premier lieu l’exportation à l’international
de produits issus de la culture d’oliviers. Au niveau na-
tional, Sfax produit également une part importante des
oeufsconsommésdanslepays:55%delaproductionna-
tionale selon Faouzi Zayani, président du bureau région-
alsfaxienduSynagri.
FIG 14 • Tableau de produits agricoles importés et
exportés dans la ville de Sfax
Remarques : Ces produits peuvent en parallèle être produits et/
ou vendus à Sfax
Exemples de produits agricoles importés et exportés dans la ville de Sfax
Produit agricole Importé Exporté
Arboriculture
Huile d'olive En Tunisie,
Italie, Canada,
Japon, États-
Unis, Espagne
Orange De Nabeul et Korba (Tunisie)
Citron De Nabeul (Tunisie)
Pomme De Sbiba et de Sousse (Tunisie)
Grenade De Gabes (Tunisie)
Datte De Tozeur (Tunisie)
Banane De Libye
Kiwi ?
Maraîchage
Sucre Du Brésil
Ananas ?
Élevage
Œuf De la région de Sfax En Tunisie
Viande d'agneau De Sidi Bouzid (Tunisie)
Production de céréales
Blé De la région de Sfax
Farine Du nord de la Tunisie
Production de plants et de semences
Semences (pois, fèves, épinards,
persil, radis, courgettes, navettes,
blettes etc.)
De France, Italie, Belgique,
Allemagne
Semence (piments, pommes de
terre)
En Tunisie
Semences d'olivier De Turquie, Hollande, Maroc
Plants d'olivier De Grèce, Espagne
N.B. : Ces produits peuvent en parallèle être produits et/ou vendus à Sfax.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 28
Les enjeux économiques de l’importation
Un facteur explicatif des importations agricoles, alors
mêmequelesproduitssontcultivésàSfax,résidedansles
coûts de production élevés à l’intérieur de la ville. Deux
éléments majeurs ressortent de nos rencontres avec les
producteurs. Tout d’abord, l’étalement urbain entraîne
unespéculationfoncièresurlesparcellescomprisesdans
le périmètre de l’agglomération de Sfax. Il en résulte que
de nombreux agriculteurs envisagent de vendre leur ter-
rain et de déplacer leur exploitation plus en périphérie.
Par ailleurs, plusieurs agriculteurs déplorent une aug-
mentation des salaires des ouvriers agricoles à Sfax, qui
entraîne également une hausse des coûts de production.
Certains privilégient alors des travailleurs immigrés ori-
ginaires de régions plus pauvres : Gafsa, Sidi Bouzid, voi-
remêmedeCôted’Ivoire.
Circuits des produits alimentaires
Nous avons tenté de suivre les produits agricoles du
champ à l’assiette, ce qui nous a permis d’identifier des
circuits de production variés, avec souvent devent de
nombreuses étapes. Beaucoup d’agriculteurs nous ont
dit ne pas revendre eux-même leurs produits, même lor-
squ’ils sont vendus non transformés. Dans la majorité
descas,lesmaraîchersetarboriculteursvendentleurfru-
itsetlégumesàdesgrossistes,quilesrevendentgénérale-
mentàdesdétaillantssurunmarchédegroscommecelui
de la route de Gabès. En dehors des magasins et marchés
institués, nous avons pu observer des points de vente de
fruitsetlégumesquenoussupposonsinformels–ausens
de non réglementés : une table posée sur le trottoir, une
benne de camion le long de la route etc. Quant aux élev-
eurs de vaches laitières, ils vendent principalement leur
laitàlaCoopérativedulait,organismemutualistechargé
delareventeàlagrandedistribution.
Spéculation
L’allongementducircuitduproduitparlebiaisdesnom-
breux intermédiaires induit de la spéculation dans le
milieu agricole à Sfax. Elle contribue à une pression à la
baisse du prix d’achat aux agriculteurs, à l’inflation des
prix de vente aux consommateurs, et entraîne des diffi-
cultés à remonter la chaîne de production pour déterm-
iner la provenance des produits. A plusieurs reprises, les
intermédiaires chargés de la reventedes produits agrico-
les, notamment les grossistes, ont été présentés par les
agriculteurs comme des spéculateurs, dégageant d’im-
portants bénéfices par rapport au prix d’achat à l’agri-
culteur. Quand aux revendeurs industriels, ils disposent
d’une marge de pression importante pour la fixation du
prixd’achatàl’agriculteur,notammentencequiconcer-
ne le prix du lait. Un phénomène spéculatif similaire est
rapporté concernant les fournisseurs: Mnif, éleveur de
vaches,nousexpliquequelaventedebottesdepailleetde
foinaétérepriseparuneentreprise,cequiafaitaugmen-
ter le prix de la botte par rapport à l’époque où il pouvait
l’acheterdirectementauxagriculteurs.
L’exemple de la production de semences
La production de semences nous paraît être un exemple
particulièrement intéressant des rapports de force liés
aux importations et aux exportations. Ce secteur est en
effet dépendant des importations de semences étrang-
ères pour couvrir les besoins des agriculteurs tunisiens.
D’après Faouzi Zayani, du Synagri, il semble que tous les
types de semences ne soient pas produits en Tunisie et
que les semences produites le soient en quantité limitée.
Il note une exception, précisant que la Tunisie serait au-
tosuffisanteensemencesdeblé.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 29
Autres villes tunisiennes
Km 11
Km 4
2 km0 1
Lieu de production des produits arboricoles
Lieu de production pour l’autoconsommation
Lieu de production des semences / plants
Grossiste
Lieu de transformation et de vente
Lieu de production et de vente
Détaillant
Transformateur
FIG 15 • Arboriculture
Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits arboricoles à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 30
Autres villes tunisiennesCentrales laitières de
Mahdia & Cap Bon
Km 11
Km 4
2 km0 1
Lieu d’élevage
Lieu d’élevage pour l’autoconsommation
Lieu de production de fourrage
Grossiste
Lieu de transformation et de vente
Lieu d’élevage et de vente
Détaillant
Transformateur
FIG 16 • Elevage
Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits animaliers à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 31
Tunis Autres villes tunisiennes
Km 11
Km 4
2 km0 1
Lieu de production des produits maraîchers
Lieu de production pour l’autoconsommation
Lieu de production des semences
Grossiste
Lieu de transformation et de vente
Lieu de production et de vente
Détaillant
Transformateur
FIG 17 • Maraîchage
Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits maraîchers à Sfax
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 32
Absence de valorisation des semences locales
Au-delà de la quantité et la diversité des semences tuni-
siennesproduites,ilsemblequeleproblèmedefonddela
dépendanceàl’importationsoitl’absencedevalorisation
des semences locales. Nous avons visité le GIL, qui est un
organismesemi-étatiquedédiéàlaproductiondesemen-
ces de piments d’une variété locale et de pommes de ter-
re. Bien que produites à Sfax, les semences sont ensuite
expédiées à un laboratoire gouvernemental à Tunis pour
être traitées puis commercialisées par un grossiste sur le
territoire national. Pour retrouver les semences sfaxien-
nes commercialisées, nous avons été orientés avenue de
l’Algérie, où l’on trouve de nombreux magasins de pro-
duits agricoles. En interrogeant les vendeurs, nous nous
sommes aperçus du manque de visibilité des semences
tunisiennes pour les agriculteurs. Un magasin nous a
informé qu’il ne vendait pas de semences tunisiennes,
tandis que dans un autre, l’employée ne savait même pas
qu’ils en vendaient et a dû fouiller dans les étagères pour
nous en trouver un exemple. Selon elle, les agriculteurs
sfaxiensachètentpresquetousdessemenceseuropéenn-
es, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. Plusieurs
hypothèses ont été émises dans la discussion comme l’i-
mage de marque, une éventuelle meilleure germination,
ou plus simplement la méconnaissance de la production
desemencestunisiennes.
2. Initiatives locales et circuits de proximité
Enjeu de qualité et de traçabilité des produits
Les circuits de proximité permettent au consommateur
d’identifier la provenance des produits qu’il consomme.
La traçabilité des produits est une demande exprimée
par plusieurs consommateurs rencontrés, qui déplorent
nepassavoird’oùproviennentlesfruitsetlégumesqu’ils
achètent sur le marché. Lorsque la provenance est con-
nue, plusieurs personnes listant leurs achats alimentai-
resinsistentlorsqu’ilssontd’originesfaxienne.Celalais-
se entrevoir une forme de valorisation de la production
locale par le consommateur, notamment dans les classes
socialesaisées.
L’exigencedetraçabilitéestassociéeàunepréoccupation
concernantlaqualitédesproduits.Bienquelaproduction
locale ne soit pas le gage d’un produit de meilleure quali-
té, elle offre l’opportunité d’une meilleure traçabilité,
et donc d’une meilleure connaissance des conditions de
productionduproduit.SelonMnif,éleveurdevacheslai-
tières,ilyaunevraiedemandedeproduitsdebonnequa-
lité à Sfax, même s’ils sont plus chers. Lui produit un lait
dont le prix est supérieur à la moyenne du marché, mais
qui trouve des débouchés, notamment chez les transfor-
FIG 18 • En amont du maraîchage : la production de semences
Producteurs de
semences (ex. GIL)
Laboratoire
d’analyse et
de traitement
(ministère de
l’Agriculture)
Pépiniéristes
Marques de semences
tunisiennes (ex. CCSPS)
Marques de semences
européennes
Magasins de
produits
agricoles
(ex. avenue
de l’Algérie)
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 33
mateurs en yaourts artisanaux. Les problèmes de santé
liés à l’alimentation issue de l’agriculture intensive ont
été critiqués à de nombreuses reprises, notamment par
des familles qui ont choisi de produire eux-mêmes leurs
oeufs,leursfruitsetleurslégumes.
Circuits courts et ventes directes
A travers nos explorations de la ville et les visites
d’exploitations, nous avons pu identifier plusieurs cir-
cuits de proximité existant à Sfax. Nous qualifierons ici
de circuit court un échange direct entre le producteur et
le consommateur; ou un circuit entre un producteur, un
transformateur et un consommateur (sans grossiste ni
détaillant). Que ce soit dans des fermes, usines ou pota-
gersenventedirecte,leconsommateuraainsiaccèsàdes
produits frais et locaux près de chez lui. Il faut noter que
certainsagriculteursoutransformateurscitésicicomme
faisant de la vente directe peuvent aussi en parallèle ven-
dreleursproduitsàdesgrossistes.
Nos rencontres avec des acteurs de circuits courts nous
ont permis d’identifier les opportunités en terme de
rentabilité économique d’une démarche de proximité
dans le contexte de Sfax. Un premier avantage consiste
en la réduction des intermédiaires et de la spéculation
en amont et en aval de la production. L’existence d’une
demande de produits frais et de qualité peut également
permettre une montée de gamme des produits avec une
valorisation financière, comme le montre l’exemple de
Yahya, qui a une petite usine de transformation de lait
produisant du fromage et des yaourts pour une clientèle
locale. Comme le remarque Mnif, un éleveur de vaches
qui livre son lait lui-même tous les matins, le recul des
parcelles agricoles sous la pression de l’étalement urbain
menace cependant ces circuits de proximité. Sa tournée
danslavilledureaujourd’huientre1et2heures,maiss’il
est contraint de s’éloigner de la ville, il ne pourra plus as-
surerladistributiondelaitfraisquotidiennement.
Conclusion
En nous intéressant aux circuits de production à Sfax,
nousavonsremarquéqu’ilestdifficiled’identifierlapro-
venance d’un produit et de remonter sa chaîne de distri-
bution. Cette difficile traçabilité complique la valorisa-
tiondelaproductionlocalequipourraitsesubstitueraux
importations. Dans l’opacité du circuit de production et
de distribution interviennent, de plus, des opérations
spéculatives intermédiaires, qui ne semblent profiter ni
à l’agriculteur ni au consommateur. Le développement
de circuits courts, dont nous en avons présenté quelques
exemples, apparaît ainsi comme un enjeu de développ-
ement local et une réelle opportunité économique pour
lesagriculteurs.
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 34
M
arché de gros
7.5 km
Route Manzel Chaker km 7,
production maraîchère
Route de l’aéroport km 5,
production maraîchère
Route de Gabes km 10, pro-
duction maraîchère et arbo-
ricole
2 km0 1
Route Lafrane km 9, produc-
tion maraîchère, arboricole
et animalière
Route Teniour km 9, trans-
formateur et vendeur d’huile
d’olive
Lieudeproduction
14km
Lieudeproduction
40km
Route Saltnia km 4, transfor-
mateur et vendeur des pro-
duits laitiers
Lieu de production / élevage Lieu de production / élevage pour l’autoconsommation
Lieu de transformation et de venteLieu de production / élevage et de vente
FIG 19 • Circuits courts des produits alimentaires à Sfax
Source : Google My Maps
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 35
C. Inadaptations politiques et inégalités sociales
I. UNE POLITIQUE PUBLIQUE DÉCONECTÉE
DES RÉALITÉS AGRICOLES
1.Laméconnaissancedela“petite”agriculture
La production agricole représente 8,5 % du PIB tunisien
(11,5 % avec l’agroalimentaire) et génère 15 % des em-
plois (Observatoire National de l’Agriculture, 2016). Le
secteur agricole est néanmoins en déclin : selon l’INS, la
valeur ajoutée du secteur a diminué de 3,6 % au second
trimestre de 2016, tandis que les exportations chutaient
de 35,1 % en valeur et en volume (avec l’agroalimentai-
re) (Huffington Post Tunisie, 2016). Selon Faouzi Zaya-
ni, du Synagri, le nombre d’agriculteurs - qu’il estime
aujourd’hui à quelques 500 000 personnes, serait en
diminution en Tunisie. Il souligne l’inadaptation de la
réglementation agricole et le manque de soutien et d’ac-
compagnement des agriculteurs, alors que seule une po-
litique agricole adaptée pourrait aujourd’hui corriger les
nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les
agriculteurssfaxiens.
Absence de protection foncière
On remarque que les surfaces agricoles urbaines ne sont
pas prises en compte dans les documents d’urbanisme à
Sfax : on note donc une absence de protection foncière
de ces espaces. Lors de notre séjour, nous avons pu con-
sulter le plan d’aménagement urbain de Sfax, datant
de 2002. On y remarque l’absence d’identification et
de localisation des surfaces agricoles exploitées dans le
périmètre du Grand Sfax. Si l’on se réfère à la fracture
spatiale précédemment identifiée entre des zones urbai-
nes denses - où l’on trouve peu de pratiques agricoles, et
des zones moins denses - où l’on trouve de plus grandes
productionsàvocationmarchande,onpeutcomprendre
cette omission comme une non-reconnaissance des pra-
tiques non marchandes en milieu dense comme de l’”a-
griculture”. Au fil des conversations, nous nous sommes
rendus compte que l’agriculture est souvent considérée
exclusivement comme une activité à grande échelle et
à vocation marchande, conception qui explique le par-
ti-pris des documents d’urbanisme. Faouzi Zayani, du
Synagri,nousademandéplusieursfoiscequel’onenten-
dait par le terme d’”agriculture urbaine”, expliquant que
cetermenefaitpassenspourluietplusgénéralementen
Tunisie. Il a ajouté qu’avant que l’on ne vienne, il ne con-
sidérait pas les pratiques agricoles dans les jardins com-
meuneformed’agriculture.
Néanmoins, les documents d’urbanisme omettent ég-
alement de prendre en compte les exploitations de plu-
sieurs hectares situées dans la grande couronne de Sfax,
comprises dans un rayon de 11 kilomètres. On peut
supposer que malgré leur vocation essentiellement
marchande, elles relèvent elles-aussi d’une “petite” agri-
culture méconnue de la politique agricole, au contraire
des vastes exploitations possiblement plus productives
en milieu rural. Ainsi, l’agriculture dans le Grand Sfax
est souvent pratiquée sur des terres considérées comme
“non agricoles”, par exemple des réserves foncières de-
stinéesaubâti.
“Zones vertes”
Le plan d’aménagement urbain définit néanmoins des
“zones vertes”, entendues comme des “espaces libres ur-
bains aménagés en verdure”. Ce statut énonce le cadre
réglementaired’utilisationdecesespaces,définissantles
usages et interdictions de manière minimale. Y sont au-
torisés:“lespistesd’accès”,“lemobilierurbain”ainsique
“les clôtures en dur à une hauteur de 0,6 mètre, le reste
sera en fer forgé à une hauteur maximale de 2 mètres”,
tandissontinterdites“touteslesformesd’occupationdu
solsansrelationdirecteavecl’aménagementdeceszones
en espaces pu espaces publics” (section 1, article 1 et 2).
On remarque ici que ces “zones vertes”, cultivables, sont
envisagées exclusivement comme des espaces publics et
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 36
non des espaces pouvant être consacrés à une exploita-
tionagricoleprivée.
2. Les lacunes dans l’accompagnement de
l’agriculteur
“Parent pauvre de cette révolution, le secteur agricole n’a pas
été la priorité des différents gouvernements qui se sont succéd-
és.”(Bellamine,2014)
Selon Faouzi Zayani, du Synagri, la déconnexion des
pouvoirs publics avec les réalités agricoles s’exprime
aussi par un manque d’accompagnement des agriculteu-
rs par les organismes étatiques. En matière de politique
agricole,l’Etatestleprincipalacteurdedécision.Au-delà
de son pouvoir réglementaire, il maintient un fort con-
trôle sur les circuits de production et de distribution via
des organismes stratégiques, comme le CRDA ou l’Offi-
ce national des huiles, tous deux présents à Sfax, et qui
dépendent du ministère de l’Agriculture, des ressources
hydrauliquesetdelapêche.FaouziZayaniexpliquequ’u-
nedecausesmajeuresdeladéconnexiondespouvoirspu-
blics est la diminution du personnel consacré au soutien
et au conseil des agriculteurs, notamment au CRDA de
Sfax. Cela entraîne une situation de rupture avec le ter-
rain,lesemployésrestantsétantensous-effectif.
Problèmes de financement
FaouziZayani,duSynagri,noteparailleursdesproblèm-
es de financement de l’activité professionnelle des agri-
culteurs. Il explique qu’il existe une Banque nationale
agricole, chargée de financer l’activité agricole tunisien-
neàhauteurde12ou13%duchiffred’affaires,maisque
celle-ci dysfonctionne en pratique. Les banques deman-
dent des garanties en fonds propres que peu de petits
agriculteurs peuvent fournir. Par exemple, s’il voulait
obtenir un crédit de 6000 ou 7000 dinars pour le ramas-
sage des olives, soit environ 2500 euros, il devrait selon
son estimation hypothéquer sa maison personnelle, d’u-
ne valeur bien supérieure, comme garantie de finance-
ment. Plus encore, il critique le statut d’agriculteur, sta-
tut officiel unique permettant de bénéficier d’avantages
fiscaux, qui masque des profils sociaux très différents et
contribue à accroître les inégalités sociales et la précarité
des plus fragilisés, comme nous le détaillerons dans la
prochainepartie.
Structures alternatives
Pour pallier les difficultés du secteur agricole et l’iso-
lement des agriculteurs que les politiques publiques
peinent à infléchir, des structures alternatives de co-
opération et de soutien aux agriculteurs se sont mises
en place à Sfax. A défaut de pouvoir présenter un panel
exhaustif des associations et regroupements d’agricul-
teurs sfaxiens, nous présenterons ici les deux structures
coopérativesquenousavonsrencontrées:lebureaulocal
duSyndicatdesagriculteursdeTunisie(Synagri)etlaCo-
opérativedulait.
Créé après la révolution de 2010-2011, le Synagri est
une structure syndicale dédiée à la défense de l’agricul-
teur, autour du slogan “L’agriculteur d’abord”. Il y a un
bureau national à Tunis et plusieurs bureaux régionaux,
comme celui de Sfax, qui est le plus grand bureau rég-
FIG 20 • Marché de gros
Remarques : Négociation entre des agriculteurs
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 37
ional. Le syndicat compte 5000 adhérents, dont 1000 à
Sfax. Nous avons rencontré deux membres du syndicat:
Faouzi Zayani, membre du bureau exécutif national et
président du bureau régional de Sfax, et Amine, agri-
culteur. Un de leurs objectifs est d’initier des regroupe-
ments coopératifs entre les agriculteurs. Il y a quelques
mois ils ont par exemple créé une chambre des agricul-
teurs exportateurs au sein du syndicat, pour développer
la filière agricole exportatrice tunisienne. Comparant
la Tunisie à la France, Faouzi Zayani remarque que les
influents groupements et fédérations d’agriculteurs en
France parviennent à peser sur les rapports de force avec
lagrandeindustrieetlespouvoirspublicsetaimeraitini-
tierunmouvementsimilaireenTunisie.
Nous avons également visité une coopérative du lait,
qui centralise une importante partie de la production
sfaxienne, avant de la revendre à la grande distribu-
tion. Elle fonctionne sur un système mutualiste de co-
tisation préalable et de redistribution de parts sur les
bénéfices de la vente, qui permet d’assurer un revenu
régulier aux éleveurs. Mnif, éleveur de vaches laitières,
a néanmoins quitté cette coopérative, car le prix de
vente du lait était selon lui trop bas pour être rentable.
Conclusion
Ainsi, la politique agricole actuelle, notamment au nive-
au local sfaxien, traduit une méconnaissance des prati-
quesagricolesurbainesquel’onpeutqualifierde“petite”
agriculture, par opposition aux plus vastes exploitations
en milieu rural. Les documents d’urbanisme rendent
compte de cette omission, puisqu’ils ne représentent pas
etdoncneréglemententpaslesespacesagricolesurbains.
Plus généralement, il semble que les moyens étatiques
dédiés à la filière agricole, notamment en terme de per-
sonnel, soient insuffisants pour enrayer la précarisation
des agriculteurs. Malgré leur potentiel, les structures
syndicales et coopératives ne paraissent pour l’instant
pas en mesure de compenser pleinement ces lacunes.
II. “AGRICULTEUR” : UN STATUT UNIQUE
POUR DES PROFILS SOCIAUX DIVERSIFIÉS
1. Entre tradition, bien-être et métier
Les pratiques agricoles répondent à des fonctions mul-
tiples, qui souvent se superposent. La plus courante est
la finalité économique, marchande - soit le gain tiré de
la revente de la production ou le salaire issu de l’acti-
vité, avec une attention prégnante au rendement de la
production. Cette finalité est parfois associée à l’auto-
consommation ou à une consommation dans les cer-
cles privés, notamment familiaux, pour une partie de la
production. La production à des fins personnelles peut
répondre à une finalité de substitution à la consom-
mation sur les marchés et /ou permettre de disposer de
produits dont on peut contrôler la qualité et le degré de
traitement chimique. Cependant, nous avons rencontré
une seule exploitation grâce à laquelle la famille était en
autosuffisance totale. Le troc entre agriculteurs, au con-
traire de ce que nous avions supposé, ne semble pas être
unepratiquerépandue.Dansuneperspectived’entraide,
un maraîcher rencontré, Saber, nous dit néanmoins ac-
cepter que les animaux des éleveurs se nourrissent de sa
productiondefenouil.
L’héritage des jnens
La culture de la terre est ancrée dans la tradition et le
paysage urbain à Sfax. L’héritage des jnens, associé à la
culture du jardin, participe de l’imaginaire sfaxien selon
une tonalité nostalgique dans les discours de plusieurs
personnes rencontrées. C’est notamment le cas des pro-
priétaires de villas, de classe aisée, qui veulent continuer
à faire vivre cette tradition à travers leurs jardins fleuris
et leurs vergers. Plusieurs nous rappellent que la migra-
tion saisonnière de la medina en hiver aux jnens périp-
AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 38
hériques en été est constitutive de l’histoire et de l’iden-
titésfaxiennes.
“Passion”
Ici, la culture du jardin est souvent associée à un enjeu
de bien-être. Le rapport à la nature, le plaisir d’être en
extérieur, sont des éléments du cadre de vie valorisés par
les personnes aisées rencontrées. Les pratiques agricoles
de ce type revêtent plutôt une fonction récréative - le
terme de “passion” revenant à plusieurs reprises dans les
discours, et les produits cultivés sont plutôt dédiés à une
consommation personnelle. On note ici des similarités
avec la fonction ludique que revêt le jardinage urbain à
Grenoble.
Fonction sociale
Danslesclassesaisées,lejardinaégalementunefonction
sociale et confère un certain prestige à son propriétaire
parsafonctionornementale,voireparlebiaisdudon.Le
don des produits du jardin est courant, même s’il inter-
vient plutôt au sein des cercles privés. Ben, qui possède
des arbres fruitiers dans son jardin, nous parle à ce pro-
pos des enfants qui passaient avant devant chez lui pour
luidemanderdesorangesetdesfleurs.Ladimensiontra-
ditionnelle ressort également à travers la transmission
familiale de la pratique et du terrain. La plupart des agri-
culteursrencontréssontissusd’unefamilled’agriculteu-
rsetontreprisl’exploitationdupèreoudesparents.
Ressource économique peu valorisée
Au contraire, l’activité agricole comme métier, comme
ressourceéconomique,estpeuvaloriséesocialement.On
observeainsiunmanqued’engouementdesjeunesTuni-
sienspourlesprofessionsagricoles.FaouziZayani,duSy-
nagri, nous explique par exemple que le Centre sectoriel
de formation professionnel agricole de l’agriculture en
zones aride de Boughrara, à 35 kilomètres de Sfax, peine
àrecruterdanssesformationsàl’élevageetàlatailled’o-
liviers. Saber, par exemple, est le seul des 8 frères et soe-
urs,àavoirvoulureprendrel’exploitationmaraîchèrede
son père, bien qu’il ait suivi une formation d’ingénieur
en électronique. La précarité économique de la situation
d’agriculteuretlesconditionsdetravaildifficilescontri-
buentàdécouragerlesrecruespotentielles.Suiteàlarév-
olutionde2010-2011, unclimat d’insécuritéetdevolde
bétailaégalementprovoquél’abandondelapratiquepar
plusieursagriculteurs,notammentdeséleveurs.
2. Typologie des inégalités
Selon Faouzi Zayani, du Synagri, il y a un vide juridique
autour du statut officiel d’agriculteur, à la source d’inju-
stices qui renforcent les inégalités sociales entre les dif-
férents profils d’agriculteurs. Pour être déclaré agricul-
teur,ilnousexpliquequ’ilfautdemanderuneattestation
àunsyndicatagricole,parexempleleSynagrioul’UTAP,
laquelle est souvent accordée à des personnes qui selon
luinesontpas“agriculteurs”.FaouziZayanidistingueles
“vrais agriculteurs”, pour qui l’agriculture constitue la
principale activité, et ceux qu’il qualifie de “promoteurs
agricoles”. Ils nous explique que de nombreux médecins
ou avocats, qui ont un jardin ou des terrains, demandent
le statut d’agriculteur pour être exempté d’une partie de
leursimpôts,avantagefiscalmisenplaceparlespouvoirs
publicspoursoutenirl’activitéagricoleetquiseraitainsi
FIG 21 • Profession d’agriculteur
Remarques : L’agriculture comme seule activité engendre une
différence de revenu et de statut
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"
Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"

Contenu connexe

Similaire à Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"

Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelle
Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelleOnisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelle
Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelleCheops Paca
 
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-Seine
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-SeineEtudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-Seine
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-SeineAntoine961810
 
Bilan de FuturEduc
Bilan de FuturEducBilan de FuturEduc
Bilan de FuturEducFing
 
2010-03 Livret de résidence Tinqueux
2010-03 Livret de résidence Tinqueux2010-03 Livret de résidence Tinqueux
2010-03 Livret de résidence TinqueuxStéphane VINCENT
 
If programmeaif2017 en ligne
If programmeaif2017 en ligneIf programmeaif2017 en ligne
If programmeaif2017 en ligneNomieDidier
 
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013Jean-François Fiorina
 
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demain
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demainContexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demain
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demainKevin Lognoné
 
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétence
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétenceApec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétence
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétenceApec
 
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...Mission laïque française
 
Appel à projets cardie paris
 Appel à projets  cardie paris Appel à projets  cardie paris
Appel à projets cardie parisVSchwob
 
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publics
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publicsL’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publics
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publicsLa French Team
 

Similaire à Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs" (20)

Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelle
Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelleOnisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelle
Onisep : Handi paca,des études supérieures à l'insertion professionnelle
 
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-Seine
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-SeineEtudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-Seine
Etudes Normandes - Quel futur pour les petites villes normandes ? Rives-en-Seine
 
Bilan de FuturEduc
Bilan de FuturEducBilan de FuturEduc
Bilan de FuturEduc
 
2018 11 les echos de la pedagogie novembre 2018
2018 11 les echos de la pedagogie novembre 20182018 11 les echos de la pedagogie novembre 2018
2018 11 les echos de la pedagogie novembre 2018
 
2010-03 Livret de résidence Tinqueux
2010-03 Livret de résidence Tinqueux2010-03 Livret de résidence Tinqueux
2010-03 Livret de résidence Tinqueux
 
If programmeaif2017 en ligne
If programmeaif2017 en ligneIf programmeaif2017 en ligne
If programmeaif2017 en ligne
 
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013
La géopolitique à l'ESC Grenoble, novembre 2013
 
La géopolitique à l'esc grenoble
La géopolitique à l'esc grenobleLa géopolitique à l'esc grenoble
La géopolitique à l'esc grenoble
 
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demain
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demainContexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demain
Contexte 2024 : l'âge des incertitudes pour demain
 
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétence
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétenceApec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétence
Apec / Université de Grenoble Alpes - Guide pratique d'une démarche compétence
 
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...
Actes numériques du colloque international e-éducation "Place des apprenants ...
 
Newsletter de Tertius 2020
Newsletter de Tertius 2020Newsletter de Tertius 2020
Newsletter de Tertius 2020
 
« Apprendre autrement » à l’ère numérique
« Apprendre autrement » à l’ère numérique« Apprendre autrement » à l’ère numérique
« Apprendre autrement » à l’ère numérique
 
Appel à projets cardie paris
 Appel à projets  cardie paris Appel à projets  cardie paris
Appel à projets cardie paris
 
C v beste16gris
C v beste16grisC v beste16gris
C v beste16gris
 
Mes projets
Mes projetsMes projets
Mes projets
 
Débats AFEV 2018
Débats AFEV 2018Débats AFEV 2018
Débats AFEV 2018
 
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publics
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publicsL’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publics
L’action des Centres Chorégraphiques Nationaux en direction des publics
 
Colloque Paris Profils Multiculturels pour diffusion
Colloque Paris Profils Multiculturels pour diffusionColloque Paris Profils Multiculturels pour diffusion
Colloque Paris Profils Multiculturels pour diffusion
 
2019 04 les echos de la pedagogie avril 2019
2019 04 les echos de la pedagogie avril 20192019 04 les echos de la pedagogie avril 2019
2019 04 les echos de la pedagogie avril 2019
 

Rapport sfax³ - "L'agriculture entre les murs"

  • 1. SFAX3 L’AGRICULTURE ENTRE LES MURS Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 cultiver intégrer recycler
  • 2. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 2 COORDINATEURS DE L’ATELIER LerouxMarlène RouxJeanMichael VuaillatFanny LES ETUDIANTS BahinNoémie BanulsCélia BenbillilYasmine BenhisSammy BerthoBérénice CosteAdèle DaugreilhAgnès DeJacquelotRodolphe DeLaCasaClaire DesayAnastasia DujardinTommy ElHossayniAmel FontanelRomain GicquelGaël HervéMaria JonssonÅsa LeLamerMylène Louya-KihidouAnnie M’Boup Idrissa MosielloAdriano Mure-RavaudAmandine OnienbaCarine OzganSebnem RodriguezMaite SerolJustine SerreJacyntha TapissierSarah ThualArzhela VilleneuveNina LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS CRDA:Commissariatgénéralaudéveloppementagricole GIL:Groupementinterprofessionneldelégumes INS:Institutnationaldelastatistique SAU:Surfaceagricoleutile Synagri:SyndicatdesagriculteursdeTunisie UTAP:Uniontunisiennedel’agricultureetdelapêche Institut d’Urbanisme de Grenoble • Université Grenoble Alpes • Master 2 Urbanisme et Coopération Internationale Rédaction
  • 3. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 3 Sommaire CONTEXTE DE L’ATELIER..............................................................................................................4 INTRODUCTION...........................................................................................................................14 A. CONTRAINTES PHYSIQUES : URBANISATION, CLIMAT ET POLLUTION...........................16 I. Recul et morcellement des parcelles agricoles.......................................................16 1. Morphologie du Grand Sfax.........................................................................................16 2. Aperçu sectorisé des pratiques agricoles.........................................................................17 II. Sfax, “ville sèche” aux sols pollués...........................................................................20 B. TYPOLOGIE AGRICOLE ET CIRCUITS DE PRODUCTION...................................................22 I. La diversité des pratiques agricoles.........................................................................22 1.Arboriculture............................................................................................................22 2.Elevage....................................................................................................................22 3.Maraîchage...............................................................................................................23 II. Le manque de valorisation de la production locale...............................................27 1. La difficile traçabilité des produits agricoles...................................................................27 2. Initiatives locales et circuits de proximité.......................................................................32 C. INADAPTATIONS POLITIQUES ET INEGALITES SOCIALES...............................................35 I. Une politique publique déconnectée des réalités agricoles...................................35 1. La méconnaissance de la “petite” agriculture...................................................................35 2.Leslacunesdansl’accompagnementdel’agriculteur..........................................................36 II. “Agriculteur” : un statut unique pour des profils sociaux diversifiés...................37 1. Entre tradition, bien-être et métier................................................................................37 2. Typologie des inégalités..............................................................................................38 CONCLUSION...........................................................................................................................41 BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................................43 ANNEXES.......................................................................................................................................44
  • 4. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 4 Contexte de l’atelier AVANT PROPOS Paroles de Jean-Michel Roux Les villes de Grenoble et Sfax sont jumelées depuis une quarantaine d’année. Parmi la quinzaine de partenariats internationaux, celui de Sfax est sans doute l’un des plus dynamiques, notamment en raison des nombreuses co- opérationsuniversitairesexistantes,souventpeuforma- lisées mais très fécondes. Fort de ce constat, la COMUE Université Grenoble Alpes a signé un accord-cadre [1] avec l’Université de Sfax en 2016 afin de reconnaître l’importance de ces échanges et d’encourager la co- opération universitaire avec l’une des toutes meilleures universitésfrancophonesd’Afrique[2]. L’UGA s’est donnée à travers son Projet stratégique de l’Université Grenoble Alpes 2016-2020 cinq axes stra- tégiquesdedéveloppement.L’und’euxviseà«construire uneuniversitéattractiveàl’internationaletpoursonter- ritoire»enmettantenœuvretroischantiersprioritaires: •«développeruneculturedel’international, • construire une stratégie d’interface avec le milieu so- cio-économiqueetinstitutionnellocal, • formaliser et mettre en œuvre une politique de dével- oppementdepartenariatsàl’international[3]». La coopération pérenne qui a été mise en place entre l’Institut d’Urbanisme de Grenoble et le Département de Géographie de l’Université de Sfax répond à tous ces objectifs.Lepartenariatavecnoscollèguessfaxienspasse par: • des ateliers de coopération internationale en urbani- sme avec des commandes réelles, multiples et sou- vent croiséesdelaVilledeGrenoble,del’U.deSfax,delaVille de Sfax mais aussi plus généralement de la société civile tunisienne, •desmissionsdeprofesseursinvitésetdedocto- rants, •desaccueilsréciproquesdestagiairesdeMaster. Cette coopération repose sur une philosophie partagée de la coopération internationale : il n’y a pas de sachant et d’apprenant, mais seulement des acteurs (enseignant, étudiant,élu,technicien)dialoguantd’égalàégaletenga- gésdansdesdémarchesd’«apprentissageparlespairs». L’atelier international d’urbanisme est un exercice pé dagogiqueparticulièrementadaptéàcetypedecoopérat- ion. Il permet de mieux préparer nos étudiants aux em- plois hors des frontières et de les ouvrir à des pratiques culturelles différentes. La pédagogie de ce type d’atelier innove par le travail en équipe avec des étudiants d’uni- versités partenaires sur une commande réelle. L’IUG en organise une demi-douzaine par an avec ses partenaires européens (Grande Bretagne, Suisse, Espagne, Italie, 1.Accord-cadredecoopérationuniversitaireentrel’UniversitédeSfaxetlaCommunautéd’UniversitésetEtablissements«CommunautéUniversitéGrenobleAlpes»,2016. 2.L’UniversitédeSfaxaétéfondéeen1986.Elleestdevenueentrenteansladeuxièmeuniversitédupays-derrièreTunisElManar-etla18educontinentafricaind’aprèsleclassementUSNews«Best GlobalUniversityRanking»d’octobre2016 (956euniversitémondiale).L’UniversitédeSfaxestorganiséeen20composantesdontuneFacultédeLettres-SciencesHumainesdanslaquellesetrouvele Département de Géographie. L’ensemble de l’Université compte en 2014-2015 quelques 37 000 étudiants avec une double particularité : deux-tiers des étudiants sont des étudiantes et seulement 0,82 %desétudiantssontétrangers. 3.UniversitéGrenobleAlpes,Projetstratégiquedel’UniversitéGrenobleAlpes2016-2020,UGA:Saint-Martin-d’Hères,2016,65p.,ill.
  • 5. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 5 Allemagne et Pologne), africains (Maroc, Tunisie et Al- gérie)ouasiatiques(Liban,SyrieetChine). La réussite d’un tel exercice dépend d’abord de la qualité du partenariat que nous avons avec nos commanditai- res ainsi qu’avec la ville, l’université et la société civile qui nous reçoivent. Nous ne pouvons que rejoindre les étudiants dans les remerciements qu’ils adressent à tous ceux qui, ici à Grenoble là-bas à Sfax, font de cette série d’ateliersuneformidableaventurepédagogique,urbani- stiqueethumaine. La réussite d’un tel exercice dépend ensuite de la qualité de l’équipe enseignante, surtout quand elle se fixe com- meobjectifderendrel’étudiantacteurdesaformation.Il faut savoir construire le cadre pédagogique qui permet- tra aux étudiants de se lancer dans l’exercice avec la plus grande autonomie. Il faut des qualités pédagogiques peu communes, un véritable savoir-faire professionnel en urbanisme, et beaucoup de bienveillance et de confiance dans les étudiants. Ces qualités, Fanny Vuaillat et Mar- lèneLerouxlesontenexcès. La réussite d’un tel exercice dépend enfin et surtout de laqualitéd’unepromotiond’étudiants.Cettepromotion peut être fière du travail qu’elle a réalisé depuis l’an der- nier. Elle a su construire dès le Master 1 une pré-conn- aissance de Sfax par ses lectures, les débats d’idée qu’elle aorganiséeetparletravaildesdeuxstagiaires«envoyées en éclaireur » cet été. Elle a su accueillir en septembre les étudiants rentrant directement en Master 2 et les incor- porerintelligemmentdansladynamiquedeprojet.Cette promotionaeuuneforcedetravailsurleterrainhorsdu commun. Elle a su mobiliser la société civile tunisien- ne avec intelligence, savoir-vivre et dans une démarche d’apprentissagemutuel. Chapeaubas! Jean-Michel ROUX, Directeur de l’IUG Remerciements « Le développement local est l’expression d’une forme de mo- bilisation des potentiels humains dans laquelle se mêlent le cul- turel, le social et l’économique ». B. Pecqueur La vision qu’adopte Bernard Pecqueur, enseignant cher- cheur au laboratoire Pacte [1], et qui mêle développem- ent local et mobilisation des potentiels humains, a été la nôtre tout au long de ces mois de travaux universitaires sur le territoire sfaxien. En effet, nous n’aurions pu en- treprendre aucune action sans l’implication et la mo- bilisation de nombreux acteurs, à chaque étape de nos ateliers thématiques. C’est pourquoi, nous tenions à re- mercier toutes les organisations et les personnes de tout bord qui ont rendu possible et ont pu participer de près oudeloinàcetteaventure. Nous souhaitons adresser nos remerciements à nos pro- fesseurs et encadrants de l’Institut d’Urbanisme, par 1.LesthèmesderecherchedeB.Pecqueursont: La géographie économique et analyse des processus de construction territoriale, Le développement territorial (et économie du développement en particulier dans les pays du Sud), La théorie de la res- sourceterritoriale(géographieculturelleetanalysedupatrimoine),L’aménagementduterritoire.
  • 6. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 6 ordrealphabétique:MarlèneLeroux(Architecte,Profes- seur associée), Jean-Michel Roux (Urbaniste & Directeur de l’IUG) et Fanny Vuaillat (Géographe-urbaniste, Re- sponsable du Master UCI) pour leur présence, leur sou- tienetleursconseils. Merci également à la Ville de Grenoble, commanditaire de cet atelier, pour la confiance portée aux étudiants de notreMasterdepuismaintenantcinqans.Nosremercie- ments vont également aux agents délégués par la Ville et la Métropole pendant plus d’une semaine à Sfax : Moni- queMuth(responsabledelacoopérationavecleMaghreb à la Direction des Relations Internationales), Hervé Bu- issier (responsable du pôle accessibilité à la Ville de Gre- noble-La Métro) et Vincent Poncet (chef de projet agri- cultureetbiodiversité)etGérardMeyer(responsabledu service propreté urbaine). Ces derniers ont apporté une réelle plus-value à nos diverses missions par leur exper- tiseetleurvision. Nos remerciements vont également à l’ensemble des acteurs des institutions suivantes : le Département de Géographie de la Faculté des Lettres et Sciences Humai- nes de l’Université de Sfax (en particulier le Pr. Ali Ben- nasr et Wassim Madani), la Maison de France et l’Insti- tut Français à Sfax (Mme Katia Boudoyan sa Directrice, Marie Baba, chargée de mission), le Comité de Pilotage du jumelage Grenoble-Sfax Capitale de la Culture Arabe (Yosra Achich, Samir Selami , Addejalil Gdoura, Najoua Kamoun), la Municipalité de Sfax, représentée par Mon- sieurMabrouckKosseintinisonMaire,sonserviceInter- national, Rafik Owalha (service Infrastructure), Saloua Ellouze (service Technique), Sfax Capitale de la Culture Arabe,laSociétéd’étudesetd’aménagementdescôtesde lavilledeSfax(RamziHalouani),CTCSfaxMedCités(Fi- rasKammoun),leProgrammed’AppuiàlaSociétéCivile (Fathi Belhadj), l’Institut des Beaux-arts et de Design de Sfax, l’Université de Médecine, les Rotaract Clubs, l’In- stitut International de Technologie (IIT), les étudiants de l’Ecole Nationale des Ingénieurs de Sfax, l’Institut SupérieurdesSciencesInfirmières(OlfaBali). Un grand merci à la société civile sfaxienne, à travers ses ssociations, ses collectifs citoyens et ses organismes pro- fessionnels, son tissu économique pour son accueil et le temps qu’elle nous a consacré. Ces rencontres nous ont permis d’acquérir rapidement beaucoup de connaissan- ces sur les usages et les dynamiques locales. Merci à tou- teslespersonnesrencontréesparhasardlorsdesexpédit- ionsdel’atelieragricultureurbainequinousontaccueilli à bras ouverts et nous ont permis de rentrer dans leur maison, leur champ, leur jardin et de partager des mo- ments mémorables avec eux. Nous remercions tout à la fois les membres de l’AJE Joussour Ettawasol - Forum des associations (Zied Mallouli porteur du projet), l’As- sociation Tunisienne d’Aide aux Sourds, l’Association Tunisienne d’Education des Enfants Aveugles (Nabil Triki Prési- dent), l’Union Tunisienne des Insuffisants Mentaux (Sonia Derbel Jmal Directrice), Associa Med, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (Hacen Ka- moun), l’Association Tunisienne de Lutte contre les MST et le Sida, la Maison des Droits et des Migrations de Sfax. Encore merci à tous les acteurs qui nous ont per- mis d’appréhender le cycle des déchets à Sfax : le Réseau des Ingénieurs Tunisiens, l’Association de Continuité des Générations, l’Association Naçr et tant d’autres... et également à Sabrine Ghribi et Massoud Hadj Mohamed qui nous ont accompagné tout au long de notre séjour et transmisleursconnaissancessurlaVilledeSfax. Nous souhaitons remercier les personnes suivantes qui ont participé à la première Semaine de l’Accessibilité or- ganiséeenlienavecleMoisdel’AccessibilitédeGrenoble : Josef Schovanec (conférencier sur l’autisme), Erik Ben- levi et Ali Djilali (Théâtre des peupliers et AFTC Isère),
  • 7. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 7 Xavier Gallin (Journaliste-Conférencier et Président d’Accès pour tous), Camilia Elleuch (membre du Comité de Jumelage Sfax-Grenoble ), Imal Elbardi (Malvoyant- musicien) et Khalil Fourati (Association des Designers d’intérieur). Merci enfin et surtout à tous ceux qui nous ont permis de financer ce projet : la Ville de Grenoble, FormaSup Isère-Drôme-Ardèche,leCrousdeGrenoble,l’Université Grenoble Alpes (UGA) et les étudiants et personnel de la Cité des Territoires qui ont eu la bienveillance et parfois lecouragedefinancernotreatelierparl’achatdenospla- tsetpâtisserie. Sans oublier, last but not least, les étudiants des promo- tions précédentes dont les travaux ont constitué de soli- desbases pournotrepré-connaissancedeSfax etpourles projetssurlesquelsnousavonsconstruitslesnôtres. Récits d’expériences Afin de débuter l’analyse de nos diverses expériences, nous avons souhaité laisser parler les personnes qui nous ontaccompagné. « Je crois avoir redécouvert, ce que signifie le sens de l’accueil, en Tunisie, où l’accueil est un art de vivre ! (...) Une équipe projet Grenoble/Sfax, avec un esprit ouvert et solidaire, s’est soudée. Bravo! » Hervé Buissier, Responsable du pôle accessibilité à la Ville de Grenoble-La Métro « J’ai connu Sfax et sa médina à travers des compétitions sportives et de quelques excursions effectuées en 1972 avec les étudiants de l’ENS de Tunis. J’ai eu un immense plaisir à revisiter la ville (...) Ma mission, établie par le président G. FAIELLA, consistait à renforcer les liens d’amitié dans le domaine culturel entre nos 2 villes. Et j’ai pu établir de nom- breux contacts avec des acteurs qui souhaitent développer les échanges dans ce domaine. Au cours de mon séjour, j’ai pu profiter pleinement des différents évènements organisés par les étudiants de l’IUG, dans le cadre leurs 3 ateliers (accessi- bilité, agriculture urbaine, et stockage et tri des déchets). Ils ont mené quotidiennement (comme de vrais sfaxiens !), des enquêtes approfondies, et ils ont multiplié les rencontres avec la population et avec les acteurs institutionnels de la Ville de Sfax. » Youssef SELMI, vice-président du Comité de Ju- melage Grenoble/Sfax “La coopération internationale décentralisée entre Sfax et Grenoble était une occasion pour renforcer et maintenir les relations entre les deux villes. Ainsi, ma contribution aux ate- liers avec les étudiants de Master dans le cadre du jumelage entre les deux universités, était une source d’enrichissement et de perfectionnement des potentiels en matière d’aménagement urbain. Ainsi, le contact avec les Grenoblois nous a permis la transmission de nos connaissances, l’échange d’expériences et l’inspiration pour entamer de nouvelles réflexions.” Wassim Madani, doctorant sfaxien INTRODUCTION A L’ATELIER SFAX3 Qui sommes nous ? FIG 01 • Origines et expériences Source : Carte inspirée de la projection Peters Remarques : Les origines et les expériences des étudiants M2 UCI 2017
  • 8. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 8 Notre collectif de travail rassemble 28 étudiants en Ma- ster 2 “Urbanisme et Coopération Internationale” de l’Institutd’UrbanismedeGrenoble,encadréparnostrois enseignants (Fanny Vuaillat et Jean-Michel Roux dès le M1etenamontduvoyage,MarlèneLerouxetJ.-M.Roux lorsduvoyageetpourlafindel’atelier),desresponsables de la Ville de Grenoble et par Youssef Selma (Représen- tant grenoblois du comité de pilotage du jumelage Gre- no- ble-Sfax). Nous nous caractérisons par une variété de profils et de parcours universitaires variés et riches dans les domaines de la sociologie, de la géographie, du com- merce, de la science politique de l’architecture ou encore de la gestion urbaine. Riche, nous l’étions de plus par nos provenances géographiques et nos diverses expériences à l’étranger: en témoigne notamment la représentation cartographique précédente. Conscients du potentiel de ces échanges, et poussés par l’équipe encadrante, nous nous sommes évertués à travailler dans une dynamique de rencontre, d’autonomie, et d’intégration des dif- férents acteurs lo- caux à Sfax dans la conception des projetsurbains. Nous avons pu être également soutenus par la Ville de Grenoble qui pour la deuxième année consécutive a di- rectement pris part à cet atelier en déléguant des agents techniques. Ces experts des domaines de l’accessibilité, l’agriculture urbaine et la gestion des déchets ont per- mis de renforcer cet atelier. La transmission de leurs connaissances et de leurs réflexions a été un réel support pourchacundesgroupes.Cettecollaborationestuneplus value pour les échanges et la coopération avec les acteurs deprojetssfaxiens. Sfax et Grenoble, 40 ans de coopération Débuter l’histoire de la coopération entre la ville de Sfax et celle de Grenoble, nous ferait replonger dans les an- néespost-1976.C’estsouslenomdejumelagequecelle-ci prend forme ; l’une des toutes premières pour la ville de Grenoble.Dèslorsdenombreuxaccordsd’échangesvont voir le jour sur les thèmes des études supérieurs,des arts et métiers, ainsi que dans le domaine de l’aide aux per- sonnes handicapées. De ces accords ont pu naître une multitudedeprojetsliésàdesthèmesvariés: • la culture, à l’image des échanges de jeunes dans les do- maines culturels, sportifs et scolaires ou encore avec la participationd’ungroupemusicalgrenobloisauFestival delaMédinapendantleRamadan •lesavoiruniversitaire;avecnotammentlacréationd’un corpus numérique de formation pour les étudiants de médecine. •letourisme,avec lacréationd’uncircuitdetourismeso- lidaireentreSfax,ElJemetlesIlesKerkennah. • le social, avec un soutien aux associations d’’handicapés par des dons de cars et des formations pour les person- nelsdecesassociations. Ainsi ce jumelage et les liens qui ont pu se créer se sont renforcés dans le temps et à travers les changements politiques. Depuis maintenant cinq ans, la coopération entre les deux collectivités s’est approfondie autour des thématiques de l’aménagement et du développement urbain. Cette démarche a été permise par l’intégration d’une grande diversité d’acteurs de part et d’autre. Ci- tons notamment Grenoble-Alpes-Métropole, la Ville de Grenoble, l’AURG (Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise), la société civile sfaxienne, l’Université de Grenoble Alpes (Master « Urbanisme et Coopération In- ternationale » de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble et Master CPDT de la faculté d’Economie) ainsi que l’Uni- versitédeSfax(Dept.deGéographie,InstitutdeBiotech- nologies), l’Institut International de Technologie (école d’Architecture),etc. Si ces formes de coopération sont possibles et peuvent perdurer c’est que les deux villes possèdent des similitu-
  • 9. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 9 des favorisant des projets communs, mais l’un des prin- cipaux moteurs de cette coopération décentralisée est également et paradoxalement, cette volonté de chacun de s’enrichir des différences culturels et de territoire de l’autre. L’atelier d’urbanisme présenté ici est né de la volonté du servicedecoopérationdécentraliséedelaVilledeGreno- bledeconfieràl’IUGunemissiond’étudesurbainesdans lecadredesacoopérationavecSfax.Lapremièremission confiée en 2012-2013 fut d’étudier les conséquences po- tentielles d’un grand projet urbain (Taparura) sur la ville de Sfax et ses quartiers limitrophes. L’atelier fit ressor- tir l’idée que Sfax devenait une métropole en puissance, avec ou sans le projet en question. Le deuxième atelier porta donc sur les enjeux d’urbanisme du « Grand Sfax ». La troisième promotion (2014-2015) s’est appliquée à dégrossir certains thèmes métropolitains comme : la relation ville-port, l’accessibilité et les transports, l’agri- culture ur- baine, les espaces de sociabilité ou la gestion des déchets. Ce sont deux de ces thématiques qui ont re- tenu l’attention particulière de la Ville de Grenoble pour le quatrième atelier : celui de la ville inclusive, et donc de l’accessibilité et le thème de l’agriculture urbaine. Il s’est alors agit pour le groupe lié à la thématique de l’accessi- bilité, d’établir un diagnostic plus précis afin de permet- tre la mise en place d’un projet opérationnel avec pour la première fois un appui technique de la Ville de Grenoble qui a délégué deux chargés de missions : Didier Bouloud etVincentPoncet. Dès lors, notre cinquième année a été celle de la mise en place de projets réels comme la Semaine de l’Accessibili- té, tout en étant également l’année de poursuite des tra- vaux sur les thématiques de l’agriculture urbaine et sur celle de la gestion des déchets. Ces trois problématiques ont émergé en réponse aux intérêts croisés des parte- naires de la coopération. En premier lieu, nos collègues géographes de Sfax ont eu l’intuition de l’existence de pratiques agricoles à Sfax, pour l’instant méconnues et qu’il convenait de mettre à jour. De plus, le système de gestion des déchets de Sfax est dysfonctionnel, tandis que la ville de Grenoble est plutôt performante dans ce domaine. Enfin l’accessibilité est un enjeu important pour Grenoble, reconnue comme précurseur sur cette thématique, alors que la question reste peu abordée dans l’ensembledespaysduMaghreb. La commande Cet atelier international d’urbanisme de Master 2 s’in- scrit dans le cadre du jumelage entre Sfax et Grenoble et de projets de coopération décentralisée des deux col- lectivités. La municipalité de Grenoble a confié pour la 5ème année consécutive une mission d’organisation de workshop à l’institut d’Urbanisme de Grenoble. Celui-ci répond à plusieurs enjeux et objectifs. Tout d’abord, ce temps fort de rencontre entre acteurs institutionnels, étudiantsetlasociétéciviledanssonensemblepermetde renforcer les liens de coopération. Il permet un échange de connaissances et de savoir-faire entre ces différents acteurs ainsi que l’émergence de certains projets, selon des thématiques définies par le comité de jumelage et re- transmises aux étudiants par la municipalité grenobloi- se, qui, cette année, a largement subventionnée l’atelier. Pourl’IUG,ils’agitd’untempsfortdeformationpourles étudiants, qui gagnent ainsi en autonomie, connaissan- cesetcompétences. Nous avons décidé de donner à notre rapport final d’ate- lier le titre sfax3 car notre travail s’inscrit dans la conti- nuitédesprécédentsateliersetqu’ilportesurtroisthém- atiques abordées par nos prédécesseurs : Accessibilité et Agriculture urbaine en 2015 et Gestion des déchets, ini- tiéeen2014. Ces trois thématiques n’ont pas le même niveau d’avan-
  • 10. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 10 cement, c’est pourquoi chacune s’est vue attribuée une méthodologiedeprojetdifférente.Lagrandeinnovation decetteéditionétait,pourlapremièrefoisdepuislanais- sance des ateliers internationaux à Sfax, la co-organisa- tion entre les étudiants, la société civile sfaxienne et les institutions, d’une semaine évènementielle sur le thème de l’accessibilité. Cette première édition a été l’occasion d’initier un travail de coordination et de tester l’outil évènementiel dans un objectif de sensibilisation de la société civile et des agents de la municipalité. Il a aussi permis de rassembler différents acteurs autour d’une thématiqueetd’initierunedynamiquecommune. Les deux autres thématiques, portaient la commande de réaliser un diagnostic précis des pratiques, projets ini- tiés, acteurs et des enjeux liés à l’agriculture urbaine et à la gestion des déchets. Pour le groupe Agriculture ur- baine, il s’est agit de reprendre les travaux des étudiants précédentsetd’ouvrirlafocaleafind’arriveràunedéfin- ition de l’agriculture urbaine à Sfax. La commande ainsi retranscritelesamenésàdocumenterdemanièreprécise (sous forme de compte rendu d’entretiens, cartographie et rapport) l’état des pratiques amenant à l’identité agri- cole sfaxienne. Pour le groupe Gestion des déchets, le travail consistait à réactualiser le diagnostic général ef- fectué deux ans auparavant par les étudiants grenoblois et d’orienter les recherches vers une thématique qui ser- viraitdebasedetravail,etincluraitSabrineGhribi,tech- nicienne supérieure en protection de l’environnement et Service civique à la Ville de Grenoble. Celle-ci souhaite monterunprojetdevalorisationdesdéchetsauseindela ville sfaxienne. Suite aux premières analyses du territoi- re et et aux pratiques aujourd’hui testées au sein de Gre- noble,lesétudiantsontchoisid’aborderlathématiquede lagestiondesdéchetssousleprismedespotentialitésdes déchetsorganiques. Méthodologie et phases de travail Au vue de la grande disparité du niveau d’avancement de ces trois thématiques, chaque groupe a choisi de dév- elopper sa propre méthodologie de travail selon des objectifs généraux et spécifiques distincts qui vous se- rontprésentésdanslestroislivrets.Cependant,certaines finalitésetcertainesétapesdeprojetconvergent. Tout d’abord, concernant les objectifs, les trois ateliers ont travaillé en vue de mettre en place un diagnostic “co-construit”, qui inclut dès les premières étapes et les premières analyses les acteurs locaux, qu’ils soient associatifs, individuels ou institutionnels. Dans cette optique, une grande partie de notre travail a reposé sur les rencontres organisées (entretiens etc.) ou spontanées (surtout s’agissant du groupe agriculture urbaine qui s’est aventuré dans diverses explorations), sur la mise en réseaudedifférentsacteursetsurlacréationd’espacesde dialogue et de délibération, tout ceci afin de faire émerg- erdesdynamiquescollectives. Le second objectif commun a été de permettre l’appro- priationdesprojets,tantpourlesacteurslocauxquepour les acteurs de la municipalité de Grenoble et les futurs étudiants UCI qui prendront le relai. Aussi, chacun des groupe a pu mettre en place des temps de présentation et d’échange autour des diagnostics effectués à l’instar des réunions table-ronde pour les groupes Agriculture urbai- ne et Gestion des déchets, de la mise en place d’u- ne exposition pour le groupe Accessibilité, ainsi qu’une présentation publique des projets servant notamment à la passation des expériences et connaissance aux étud- iants. De plus, cet atelier a été organisé selon un calendrier commun pour les trois thématiques, ponctué de trois grandesphasesdetravail. • Entre mi-septembre et mi-novembre - Le diagnostic préalable:Nousavonsinitiélediagnosticetorganisénos
  • 11. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 11 pistes de réflexion pour préparer le workshop à Sfax. La créationd’unebibliographiethématique,laprisedecon- naissance des rapports des années précédentes ainsi que desétudesetrecherchesmenéessurlestroisthèmes(arti- cles, ouvrages, vidéos) nous a permis de rédiger une note d’intention contenant les objectifs, actions et planning pour le montage du projet. Ce temps en amont du dia- gnostic de ter- rain a été l’occasion d’une première prise de contact avec les acteurs sfaxiens et de leur intégration dèslaphased’analyse. •SecondepartiedumoisdeNovembre-10joursconfron- tationauterrainsfaxien:Cetteexpérienceaétéponctuée derencontres,d’entretiens,devisites,deprésentationde projets,etd’organisa-tiond’ateliers.Cetempsrépondait à un double objectif : d’une part, il s’agissait pour chaque groupe de compléter le diagnostic thématique initié, grâce à la rencontre des acteurs locaux et la présentation de leurs différents projets sur le territoire. D’autre part, notre présence sur place nous a permis de jouer le rôle de “catalyseur” afin de rassembler ces différents acteurs et d’initier des projets en synergie. Aussi, les différentes réunions, tables rondes, ateliers et présentations ont été l’occasionpourlesacteurs-invitésdeserencontreretd’i- nitiercertainsprojetscommuns. •Ladernièrephaseduprojet-Prisededistanceetanalyse : Cette prise de distance s’est effectué vis-à-vis de toutes les informations récoltées sur place, afin d’en effectuer l’analyse, la retranscription, d’imaginer les pistes de projetfuturesetdefairelebilandesrecherchesetactions menées. Ce temps de travail répond au double objectif de finalisation du diagnostic thématique et de transmis- sion des informations et des projets initiés, d’abord aux étudiants qui vont prendre le relai, puis aux différents acteurs qui ont participé au projet (municipalité, acteurs sfaxiens, fi- nanceurs), puis au grand public. Dans cette optique, nous avons imaginé différents supports de re- transcription, qui touchent un public défini: rapport d’atelier, exposition, soirées thématiques, blog etc. per- mettront ainsi de communiquer et de transmettre les informationsnécessairesàlacontinuitédesprojets. DIAGNOSTIC GENERAL : QUELQUES ELE- MENTS CONTEXTUELS Carte, territoire et typographie Sfax est une grande ville industrielle située à 275 km au sud de Tunis. Connue comme étant “la ville du travail”, elle constitue la deuxième ville de Tunisie par son poids démographique de 600 000 habitants et la présence de sonportdecommerce. FIG 02 • Carte de la Tunisie Remarques : Localisation de Sfax en Tunisie SFAX TUNIS Méditerranée
  • 12. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 12 Le Gouvernorat de Sfax est composé de 16 délégations, 16communes,et126secteurs.Lacomplexitédecetteor- ganisationetladéfinitiondescompétencesn’estpassans poser certains problèmes de gestion des différents flux qui traversent le territoire, comme l’illustre la présent- ation de la gestion des déchets. Sfax est caractérisée par une urbanisation radioconcentrique, un développement disperséetuneextensiondiffuseenpériphérie.L’ensem- ble des activités économiques “historique” est concentré sur la ville de Sfax : exportation du phosphate, port de pêche, et notamment à l’intérieur de la Médina (ville hi- storique), avec les industries de textile et fabrication de chaussure. Les communes périphériques abritent, quant à elles, une grande part des logements et l’activité agri- cole qui se développe principalement à l’extérieur de la ville, ainsi que quelques zones industrielles et espaces d’expérimentation et de recherche qui émergent pon- ctuellement. Retoursurl’actualitépolitiquesfaxienne La révolution de 2011 a produit d’importants boule- versements dans la vie quotidienne des Tunisiens, mais également dans les modes de gouvernance et de gestion urbaine.Nousavonsainsipuobserver,danscettepériode transitoire, se dégrader l’action publique. Nous avons pu constater simultanément de l’incroyable essor de la vie associative, et du fort dynamisme de la société civile et toutplusparticulièrementdelajeunegénération.Depuis 2011,l’instabilitépolitiqueamenélaVilledeGrenoblea développéleconceptdecoopérationdesociétécivileàso- ciété civile. Mais ce concept va connaître des évolutions notammentenvuedesprochainesélectionsmunicipales qui auront un impact sur les projets de la ville, des asso- ciations, entreprises, des citoyens, institutions et donc directementsurl’implicationdesorganisationslocales. L’URBANISTE DANS UN PROJET DE CO- OPERATION INTERNATIONALE L’apprenti-urbaniste et les projets de développement local : des limites et opportunités NotreMasternousformeàlapratiquedel’urbanismeen général et plus spécifiquement dans des contextes inter- nationaux, notamment dans les pays dits du “Sud”. En effet, face à l’explosion urbaine de ces dernières décenn- ies dans les pays émergents et en développement et pour répondre aux enjeux immenses qui en découlent, les urbanistes ont un rôle croissant à jouer et ceci directe- ment au niveau local, à travers les actions privées ou la coopération décentralisée. Nous avons conscience des opportunités de mettre en pratique nos compétences pour un aménagement de l’espace répondant aux défis du développement durable. L’atelier construit depuis cinq années entre la Ville de Grenoble, l’Institut d’Urba- nismeetlesacteurssfaxiensontpermisàchaquepromo- tion étudiante d’appréhender un projet d’urbanisme sur unterritoireetdefairevivrelacoopération. FIG 03 • Carte du centre-est de la Tunisie Remarques : Sfax et ses agglomérations Méditerranée Menzel Chaker Agareb El hencha MAHDIAKAIROUAN SIDI BOUZID GABES Jebeniana El amra Sakkiet Eddaïer Sfax ville Sfax ouest Sakkiet Ezzit Kerkennah SFAX Mahres Ghraiba Bir ali ben khelifa Skhira
  • 13. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 13 S’imprégner du territoire et de ses ha- bitants ... L’atelier 2016 a été le fruit de nombreux travaux préal- ables afin de comprendre le contexte du territoire sfa- xien, de cerner certaines spécificités et potentialités du territoire et de connaître les acteurs en présence qui agissent directement sur ces dernières. Tout ceci est nécessaire pour donner une finalité d’utilité sociale et de développement territorial à nos différents ateliers. La pratique du terrain et sa réalité a été, par la suite, un exercice fondamental pour valider/confirmer/démentir nos hypothèses mais également les ouvrir vers d’autres horizons. Agir sur le territoire : diagnostiquer, tâtonner, bricoler... Il existe une sociologie propre à la pratique de l’urbani- smesurunterritoire,d’autantpluss’ilnousestétranger. Ilaéténécessairedeprendredureculsurnospositionset notre ressenti en tant qu’étudiants en urbanisme venus deFrance.Quelpositionnementdoit-onadopter?Quelle légitimité, expertise, avons-nous à travers les représent- ations des acteurs locaux ? Quelles sont les limites de no- trestatut? Ainsi, nous avons été poussé par la dichotomie, l’op- position ou la recherche d’équilibre entre connaisseur ou expert de l’urbanisme et néophyte de sa pratique à l’étranger, en l’occurrence ici en Tunisie. Ce statut a eu des conséquences certaines sur nos actions et nos analy- ses. Mais cela s’est révélé également être un élément ali- mentant notre dynamisme et notre capacité d’adapta- tion. En outre nous avons pu jouer plusieurs rôles dans laconduitedenosprojets:telsqueceluid’animateur,d’i- nitiateur, de prescripteur de diagnostic, de coordinateur d’échanges. L’atelier connaît également d’autres limites telles que la temporalitédel’implication.Eneffet,laco-construction desconnaissancesetdesprojetsaveclesinstitutionsloca- lesetlasociétécivileestconditionnéeparunerelationde confiance favorable à l’échange, l’engagement, l’impli- cation des organisations et des personnes. Cela nécessite plus de temps que ce que l’on peut construire en quatre mois de travail dont dix jours sur le terrain. Du temps il a pu aussi nous en manquer pour : cerner tous les jeux de position et de force, mais aussi les parti pris et intérêts que peuvent entraîner le politique au sens large et fina- lement pouvoir trouver réellement sa place dans le pro- cessusdeprojet.
  • 14. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 14 AGRICULTURE URBAINE A SFAX Nousavonsretenu,danslecadredenotretravail,uneap- proche en terme de pratiques agricoles en milieu urbain dense, qu’il s’agisse de production végétale ou d’élevage, àvocationalimentaire. Historiquement La ville de Sfax est marquée par une agriculture nour- ricière de maraîchage et de vergers, particulièrement visible dans ses “jnens” - jardins traditionnels citadins. L’espace agricole est néanmoins réduit dans le centre et lapériphériedelavilledufaitdelapressionfoncièreetde l’étalement urbain. L’objectif de notre venue à Sfax a été laréalisationd’undiagnosticnonexhaustifdespratiques agricolesetdestypologiesdeproduitsjusqu’aukilomètre 11 à partir de la médina, ceci dans un but de valorisation d’un certain nombre de produits et de pratiques locales. Pour ce faire, nous avons travaillé avec des étudiants et des acteurs du milieu universitaire, des institutions, des agriculteurs, mais aussi directement auprès de la société civile. Récolte de données Notre méthodologie de récolte de données s’est faite en deuxtemps.Dansunpremiertemps,nousavonsfixépar avance des rendez-vous avec des agriculteurs, des insti- tutions du milieu agricole, ou encore que auprès des as- sociations. Pour interroger les agriculteurs, nous avions, Notre groupe de travail s’est penché sur la question de l’agriculture urbaine à Sfax en repartant des bases du rapport de la promotion 2014. Ces étudiants se sont heurtés à des difficultés de définition du terme « agriculture urbaine » au- près des institutions et de la société civile, les contraignant dans l’élaboration d’un diagnostic. Nous avons alors commencé par redéfinir ce que signifie ce terme aux sens variés. Le terme d’agriculture urbaine est régulièrement utilisé pour désigner des réalités différentes, selon les types et l’échelle de production et selon qu’elle réponde à une finalité d’agrément ou alimentaire. Introduction avant de nous rendreà Sfax, élaboré un guide d’entretien (jointenannexe)avecl’aided’unprofessionneldumilieu agricole. Nous nous sommes ainsi rendus, par groupe de 3 ou 4 personnes, à ces entretiens qui nous ont permis d’avoir un aperçu des grandes exploitations de plusieurs hectares, de la manière dont travaille un agriculteur, de sa méthode de production, des difficultés qu’il peut ren- contrer, etc. Nous avons également été en contact avec des syndicats d’agriculteurs et des groupements d’acteu- rs du milieu agricole. Nous avons tenté de comprendre, par le biais de ces rencontres, comment s’organisent les circuitsdeproduction:quelestletrajetdelasemence,du légume,del’animal,dulait,etc. Dans un deuxième temps, nous nous sommes répartis en groupede3personnespourréaliserdes«explorationsur- baines ». Par ce terme, nous entendons des explorations de secteurs définis à l’avance que nous avons parcourus à pied ou en taxi. Afin d’être le plus précis possible, nous avonsessayéderecouvrirlesdifférenteszonesduterrain observé. Nous avons tenté, par exemple, d’avoir sur cha- que secteur une observation au nord, au sud, à l’ouest, à l’est et au cœur de notre zone d’étude. Les secteurs d’explorationontétédiviséaunombrede10,allantde0à 9,surleterritoireduGrandSfax.
  • 15. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 15 Lors de ces balades urbaines nous pointions sur l’appli- cation maps.me nos points intéressants, ce qui nous a permis de reproduire nos parcours sur carte. De la même manière, nous interrogions des particuliers qui sembla- ient pratiquer une forme d’agriculture urbaine. Nous nous basions sur le même questionnaire que celui celui pour les agriculteurs exploitants, mais nous avons égal- ement eu recours à l’entretien non directif, sous forme dequestionsouvertes. Lors de ces dix jours d’atelier, nous avons récolté une masse importante de matière, à la fois par nos entretiens maisaussiparnosexplorations.Decettematière,richeen informations, nous avons dressé un diagnostic de l’état actueldesdiversespratiquesagricolesàSfax.Nousavons découpé notre analyse en trois grandes parties. Dans une première partie, nous traiterons des freins influençant le recul de l’agriculture en périphérie et le morcellement des parcelles, à savoir le phénomène d’étalement urbain etlesconditionsnaturellesdéfavorablesdumilieu. Pratiques agricoles à Sfax Dans une deuxième partie, nous proposerons d’établir un panel des différentes pratiques agricoles rencontrées àSfax.Pourcela,nousmontreronsquelssontlestypesde production, les méthodes employées, la forme des par- cellescultivées,lamaind’œuvreutiliséeetc.Nousdresse- rons également une typologie des produits rencontrés à Sfax, à la fois chez les agriculteurs, mais aussi sur le mar- chécentral,lemarchédegros,lesproduitsexportésetles produits locaux. Nous montrerons les acteurs mobilisés dans la chaîne du produit qu’il s’agisse d’un produit issu dumaraîchage,del’arboricultureoudel’élevage. Politique agricole En troisième partie, nous étudierons la politique agri- cole tunisienne et plus précisément sfaxienne qui existe et qui, par certains aspects, favorise le développement agricolemaisn’estpassuffisammentdéfinieconcernant les plus petites exploitations, notamment au travers des plans d’aménagement locaux. La question de la pression foncière est centrale dans le recul et le morcellement des parcellesagricoles.Demême,nousreviendronssurlesta- tut d’agriculteur qui soulève des réalités très différentes, mais nous parlerons aussi des inégalités sociales au sein decettegrandecatégoriequ’estle«statutd’agriculteur». Pistes de réflexion Pour finir, nous proposerons, au vu de ce diagnostic, quelquespistesderéflexionpourlesacteursduterritoire mais aussi pour la prochaine promotion, afin qu’ils puis- sentcontinuerletravailamorcésurdesolidesbases. FIG 04 • Carte des explorations urbaines et des visites de fermes Source : Google My Maps Remarques : Points d’intérêt et visites de ferme par secteur
  • 16. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 16 A. Contraintes physiques : urbanisation, climat et pollution I. RECUL ET MORCELLEMENT DES PARCEL- LES AGRICOLES 1. Morphologie du Grand Sfax La ville de Sfax s’est développée de manière radio-cen- trique et est organisée autour de 13 grands axes radiaux reliant le centre-ville à la périphérie. Progressivement, l’urbanisation s’est étendue vers cette périphérie, les constructions se concentrant autour des grands axes routiers. A ces axes principaux s’ajoute un réseau de vo- iessecondaires,autourdesquelsontémergédesquartiers périphériques. La localisation de lieux à Sfax s’effectue surlabasedeladistanceaucentre-villeenkilomètre:lor- sque nous prenions le taxi, nous demandions par exem- pledenousdéposer“routededelaSoukra,kilomètre5”. Périmètre d’étude Notrepérimètred’étudefinalcorrespondàlazoneurbai- ne comprise dans un rayon de 11 kilomètres à partir du centre-ville.Enpremierlieu,surleconseild’AliBennasr, universitaire sfaxien, nous pensions nous restreindre à un périmètre compris entre 4 et 11 kilomètres. C’est le périmètredanslequelnousavonsmenénosexplorations urbaines, s’appuyant sur son hypothèse qu’il n’y avait pas de pratiques agricoles à l’intérieur des 4 premiers kilomètres. Nous avons néanmoins pu observer des ar- bres fruitiers, des poules et un élevage de lapins dans ce périmètre central. Ayant pour commande d’identifier et de localiser les pratiques agricoles urbaines à Sfax, il devenait pertinent d’élargir notre périmètre d’étude ju- squ’au kilomètre 0. Quant au kilomètre 11, limite exter- ne de notre périmètre, il correspond à ce qu’Ali Bennasr nousaindiquécommemarquantlafindumilieuurbain, au sein duquel tout terrain est considéré comme con- structible. Notre périmètre déborde ainsi de la commune de Sfax ville et se rapproche plutôt de ce que l’on appelle le “Grand Sfax”. Selon les acceptations, le Grand Sfax comprend 7 communes : Sfax ville, Sakiet Ezzit, Sakiet Eddair, Chihia, Gremda, El Ain et Thyna (délimitation par des urbanistes en 1972) ; ou 6 délégations : Sfax El Médina, Sakiet Ezzit, Sakiet Eddaïr, Sfax Ouest, Sfax Sud et Thyna (délimitation par des géographes en 1998) (Hagui, A. et Tlili, A., 2004, p. 21). Il faut savoir que les communes sont des collectivités territoriales issues de la décentralisation tunisienne et n’existent qu’en zone urbaine, tandis que les délégations sont des subdivisions des gouvernorats, organismes déconcentrés de l’Etat, et couvrent tout le territoire (Turki et Verdeil, 2013, p. 4). Alafindesannées1990,legéographeDlalaHabib(1996, pp. 369-394, 372, 375, 376 et 380) distingue au sein du GrandSfaxtroiszonesdistinctes: • La “zone centrale” correspondant à la medina - cen- tre-villehistoriquetrèsdenseceintdehautsremparts,au portetaunouveaucentre“Sfax2000” • Les “zones péri-centrales” ou la “petite couronne” ju- squ’aukilomètre4 • Les “zones péri-urbaines”, ou la “grande couronne” (qu’ilappelleégalement“couronnedes“J’nen””)FIG 05 • Périmètre d’étude entre km 4 et 11 Source : Google My Maps. Remarques : Secteurs d’études 0 à 9 Km 11 Km 4 0 1 23 4 5 6 7 8 9
  • 17. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 17 Urbanisation à Sfax L’urbanisationàSfaxestcaractériséeparunphénomène d’étalement urbain vers d’anciennes zones à caractère rural,cequeDlalaHabib(1996,p.380)appelle“couronne des“J’nen””,contribuantàdensifiercesespacesetàmor- celer les parcelles. Sa description de ces zones péri-urb- aines, bien que datée, nous semble encore aujourd’hui pertinente : il explique que la grande couronne est composée de “petits centres communaux périphériqu- es d’activités élémentaires et d’habitat pavillonnaire en cours de densification, ainsi que d’aires inter-radiales occupées de “J’nen” en cours de morcellement et d’urba- nisation” (Habib, 1996, p. 380). En effet, l’urbanisation a provoqué une diminution de la surface des résidences d’été traditionnelles, qui comprenaient de vastes jardins ceints de hauts murs, les “jnens”. Aujourd’hui, les ter- rainsdesanciensgrandsjnenssontdivisésenlotsafinde pouvoiryconstruireplusieursvillasindividuelles. 2. Aperçu sectorisé des pratiques agricoles Nous avons souhaité avoir une vision globale, bien que non exhaustive, de la diversité des pratiques agricoles selon les quartiers de la ville. Pour cela, nous avons di- visé le périmètre d’étude en 10 secteurs d’exploration urbaine, chacun constituant un secteur circulaire entre deuxgrandsaxesdeskilomètres4à11.Nosexplorations nous ont permis d’identifier des contrastes dans l’urba- nisation selon les secteurs et la distance au centre-ville, lesquels influent beaucoup sur la possibilité et la nature despratiquesagricolesobservées. Quartiers résidentiels denses au nord Lors de nos explorations, nous avons pu observer que la partie nord de la ville (secteurs 0 à 4) était principale- ment composée de quartiers résidentiels. Dans le secteur 0, à proximité du littoral, l’habitat est populaire, le bâti est plutôt dispersé du fait de nombreuses friches indu- strielles et terrains vagues, mais nous n’avons pu voir que très peu d’espaces verts. Dans le secteur 2, à partir du kilomètre 7, on trouve un autre quartier plutôt po- pulaire, où nous apercevons un berger et son troupeau demoutons.L’explorationdusecteur4débuteàlafinde la petite couronne, derrière Sfax 2000, avec un quartier trèspopulairedetype“Rbat”.Alafindesannées1990,le géographe Dlala Habib (1996, pp. 369-394 et 378) décrit ainsi ce type de quartiers: “[...] les “R’bat” ont acquis des densités pouvant aller à 320 hab. / ha. Ils abritent un sous-prolétariat dans des maisonnettes à patio exigües construites sur des terrains acquis pour l’essentiel en propriété”. Très dense, ceint de murs, la nature y est peu présente,hormisquelquesarbresfruitiersplantésdansla rue. En avançant vers la périphérie, au-delà du kilomètre 5etjusqu’aukilomètre11,lesmaisonsindividuellespuis les villas de plus en plus luxueuses se succèdent. Ces der- nières comportent des jardins fleuris où l’on peut trou- ver des arbres fruitiers. Dans les secteurs 1 et 3, on peut dresserunconstatsimilairedelaprédominancedequar- tiers résidentiels de classe moyenne et supérieure, où l’agriculture est essentiellementla culture de vergers par desparticuliersetquelquestroupeauxnomades. Ce constat est cependant à nuancer : à partir du kilomètre 8, l’urbanisation est moins intense, bien qu’il y ait de nombreux chantiers, et l’on aperçoit souvent des champs. Beaucoup d’espaces cultivables, comme des fri- chesetjardinsnesonttoutefoispascultivés.Onvoitaus- si des troupeaux de chèvres et de moutons, ainsi que des poules. On note également le début de grandes exploita- tionsarboricoles,principalementd’oliviers. Surfacesexploitéesàl’ouestetausuddelavile Dans les secteurs 5 et 6, on trouve des quartiers résid- entiels jusqu’au kilomètre 5, où les pratiques agricoles se limitent à des jardins privés, souvent dissimulés der- rière de hauts murs. A partir du kilomètre 6, les con- structions sont plus espacéeset nous commençons à voir
  • 18. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 18 Km 8 Km 11 Km 4 0 1 23 4 5 6 7 8 9 Principalement des champs Principalement de l’urbanisation FIG 06 • Imbrication de l’agriculture et de l’urbain Source : Google My Maps. Remarques : Schématisation de l’étalement urbain
  • 19. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 19 des champs d’amandiers. A partir du kilomètre 9, la ten- dance s’accentue avec de plus en plus de champs d’aman- diers, ainsi que des champs d’oliviers. Les secteurs 7 et 8 sont marqués par un étalement urbain plus réduit qu’au nord et une plus forte dispersion du bâti. Déjà au niveau du kilomètre 5, dans un quartier d’habitation populaire, nousrencontronsdeschèvres,desmoutons,despouleset desdindonssurunterrainvague,ainsiquedes“senyaas”, formes de jardins partagés. Autour de l’aéroport de Sfax, au kilomètre 7, on trouve aussi de vastes champs exploi- tés, ainsi que des troupeaux nomades de moutons et chèvres. L’oued, ancienne rivière asséchée de Sfax, mar- queunerupturespatialedansladensitédel’urbanisation et est utilisée pour des pratiques agricoles de pâturage. C’est dans la partie sud de la ville, à partir du kilomètre 7, que nous avons observé les exploitations agricoles les plusétendues,deplusde4hectares. Contraste nord-sud De manière générale, la partie nord (secteurs 0 à 4) de la ville nous a semblé beaucoup plus dense que la partie ouestetsud(secteurs6à9).Onobserveainsiuncontraste entrelenorddelaville,plutôtrésidentieletdense,lesud, où l’on trouve des espaces plus vastes, notamment déd- iés à l’activité agricole, l’ouest apparaissant comme une zone de transition. Une étudiante interrogée lors de nos explorations nous affirme ainsi : “L’agriculture, il n’y en a pas au nord de Sfax”. Si la densité du bâti semble in- compatible avec l’agriculture, nous avons tout de même pu observer quelques pratiques agricoles, nichées dans des interstices urbains ou sur les trottoirs et les bords de route. Ce constat est à nuancer par une seconde logique spatiale selon laquelle, même au nord, plus l’on s’éloigne du centre-ville (notamment à partir de la ceinture Bour- guiba au kilomètre 7) plus la densité du bâti tend à dimi- nuer et plus l’on peut trouver des surfaces d’exploitation agricole. Etalement urbain Plusieurs agriculteurs nous ont parlé de l’étalement ur- bain, comme Mnif, éleveur de vaches laitières, répond- ant à une question sur l’effet de l’urbanisation d’un “C’est mon drame!”. Plusieurs habitations se sont con- struites tout autour de son terrain, dont une à quelques mètres. Il précise que c’est une urbanisation non réglem- entée, sans permis de construire, car les parcelles acqui- ses ont une surface inférieure à la surface réglementaire minimale pour construire une habitation. Du fait de ces constructions grignotant les parcelles agricoles, plusieu- rs agriculteurs nous ont confié réfléchir à déplacer leur exploitation au-delà de l’agglomération de Sfax. Il faut noter que beaucoup ont hérité du terrain de leur père et qu’il y a une dimension affective à continuer à travailler surl’exploitationfamiliale. Espace public et privé On observe également un contraste concernant la fron- tière entre espace public et espace privé selon les lieux de la ville. Très marquée par les murs délimitant beaucoup d’habitations privés, voire des quartiers entiers comme lamédinaoulequartierpopulairedetyper’batsituéder- rièreSfax2000,elletendàs’effacerdansleszonesmoins denses. En terme d’usage, la frontière est également dif- fuse, puisque nous avons pu observer des pratiques d’él- evage sur l’espace public et dans des espaces privés non délimités,commedeschamps,desjardinsoudesfriches. Conclusion Notre analyse porte essentiellement sur la couron- ne péri-urbaine du Grand Sfax telle que nous l’avons précédemment qualifiée. L’urbanisation, à l’origine de l’éloignementetdumorcellementdesparcellesagricoles dans cettezone,est unefortecontraintepour la pratique de l’agriculture urbaine. Les explorations urbaines ont permis de repérer des contrastes spatiaux dans la répart-
  • 20. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 20 ition des parcelles agricoles, conséquences de l’évolution de l’urbain et du bâti. Un premier contraste s’opère en- trelenord,marquéparladensificationurbaine,etlesud de la ville, moins urbanisé, qui donne à voir des espaces agricoles préservés. La seconde fracture spatiale inter- vient entre le centre et la périphérie, vers lesquelles sont repoussées les parcelles agricoles sous l’effet de l’étalem- enturbain. II. SFAX, “VILLE SÈCHE” AUX SOLS POLLUÉS 1. Le manque d’eau chronique La question de l’eau est au coeur des problématiques agricoles et représente un réel défi pour les agriculteurs sfaxiens. Du fait d’un climat semi-aride, la ville de Sfax est soumise à un manque d’eau chronique. Nous avons été marqués lors de nos déplacements à Sfax par l’om- niprésence de la poussière, due à la sécheresse, qui vient se déposer sur les trottoirs, les voitures, les toits... Depuis trois ans, la ville connaît une période de sécheresse, qui lui vaut son surnom de “ville sèche”. Mounir, maraîcher, nousexpliqueainsi:“Ilyavingtans,onpouvaitcreuserà 8mètrespourtrouverdel’eau.Aujourd’hui,lepérimètre irrigué de Sfax se trouve à 25 kilomètres, on a vu un glis- sement.” Pluviométrie Plusieurs degrés d’aridité peuvent être différenciés, se- lon la quantité de précipitations par an : 10 à 50 mm/ an dans les régions hyper-arides, 50-150 mm/an dans les régions arides, et entre 200 et 400 mm/an dans les régions semi-arides (CNFSH, 1995). Selon cette défin- ition, Sfax jouit donc d’un climat semi-aride. En effet, en 2016, les taux pluviométriques à Sfax oscillent entre 0 et 15 millimètres d’eau par mois entre janvier et août et entre 15 et 30 millimètres entre septembre et octobre (Michamps 4B, 2016). La comparaison avec Grenoble permet de rendre compte de l’aridité relative à Sfax : à Grenoble, les précipitations mensuelles oscillent entre 25 millimètres au mois d’août et 127 millimètres en mai (Météo France). Si les produits historiquement cultivés à Sfax sont adaptés au climat semi-aride, la diminution pluviométrique récente atteint un niveau critique pour l’irrigationdesexploitations. 2. Salinisation et pollution des sols Sfax subit un phénomène de salinisation des sols et des nappes phréatiques. Anis Elaoud, ingénieur agronome à Tunis, nous explique ainsi que, du fait de son haut degré de salinité : “la qualité de l’eau est médiocre”. Selon lui, l’indice de salinité à Sfax est généralement supérieur à 2 grammes par litre et peut s’élever jusqu’à 7 grammes par litre. Cela empêche la culture de certains produits, com- me la fraise, pour laquelle l’indice doit être inférieur à 1 gramme par litre. La salinité nuit aussi au rendement de la production, comme c’est le cas des piments cultivés à Sfaxavecunindicedesalinitéde3à4grammesparlitre, alorsqu’ildevraitêtreinférieurà2,5grammesparlitre. Détérioration de la qualité des sols La salinisation contribue également à une détérioration de la qualité des sols. En effet, l’eau s’évaporant, une im- portantequantitédeselrestestockéedanslessolsets’ac- cumuleautourdesracinesdesplantations,bloquantain- si leur irrigation. Cette situation empêche la production de certains produits, comme le fait remarquer Hedi, ma- raîcher:“Latomaten’estpasrentableàcausedelaqualité de la terre.” La mauvaise qualité des sols contribue au re- culdesparcellesagricolesenpériphérie,oùlesterressont plus fertiles, renforçant ainsi les conséquences de l’étal- ement urbain. A cela s’ajoute une pollution des sols d’o- rigine anthropique. Elle résulte de l’utilisation en gran- de quantité de produits et d’engrais chimiques, à visées préventiveetcurative,parlesagriculteurssfaxiens.Nous avons toutefois pu observer des alternatives naturelles aux engrais chimiques, la plus courante étant l’épandage
  • 21. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 21 de fumier. Sur l’exploitation du GIL, ils utilisent un en- graisdit“vert”–l’orge-lorsdelamiseenjachèredessols. Techniques adaptatives Pour répondre à ces problématiques, les sfaxiens ont développéplusieurstechniquesadaptatives,notamment dans la gestion de l’eau. L’utilisation d’un puits, parfois doubléd’uneciternederéservecommesurl’exploitation d’Adelaziz, éleveur de vaches, est très fréquente pour pallier au déficit chronique de précipitations. Comme le remarque Anis Elaoud, ingénieur agronome, cela con- stitue une installation traditionnelle à Sfax, même dans les habitations, qui traduit une adaptation aux périodes de sécheresse chroniques. Le souci d’économie d’eau est également perceptible à travers le système de micro-ir- rigation utilisé dans le maraîchage. Le “goutte-à-goutte” permet en effet, grâce à l’installation de tuyaux au sol, d’irriguer la plante à un faible débit, directement à la ra- cine, et de limiter la consommation d’eau. En réponse à la forte salinité de l’eau s’est également développée une technique de magnétisation. Le traitement magnétiq- ue de l’eau modifie ses propriétés chimiques et permet d’améliorer sa qualité. Néanmoins, cette technologie est trèscoûteuse,cequilimitesonutilisationparlesagricul- teurssfaxiens. Conclusion Nous pouvons dresser le constat d’une dégradation des conditions physiques d’exploitation agricole à Sfax, principalement due à une quantité d’eau réduite et à une mauvaise qualité des sols. A l’origine de ce phén- omène, on peut identifier des causes naturelles, comme la sécheresse, mais aussi des facteurs anthropiques. L’u- tilisation de produits phytosanitaires renforce en effet la détérioration des sols agricoles. En conséquence, les agriculteurs tendent à rechercher des conditions plus favorables hors de Sfax, intensifiant ainsi l’éloignement desparcellesagricoles. FIG 07 • Pollution des sols Remarques : L’oued, rivière asséchée de Sfax
  • 22. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 22 B. Typologie agricole et circuits de production I. LA DIVERSITÉ DES PRATIQUES AGRICOLES 1. Arboriculture L’arboriculture représente une grande partie de la pro- duction agricole à Sfax. La ville est connue pour la cultu- re d’oliviers, qui s’étend sur 95 % des parcelles agricoles à Sfax selon le CDRA - échelon régional du ministère de l’Agriculture. Nous avons pu apercevoir des exploita- tions arboricoles à grande échelle à partir du kilomètre 8, mais aussi fréquemment des vergers dans les jardins privés. Concernant les méthodes de production, les pra- tiquessontdiverses:utilisationdemachinespourlabou- rer et diffuser les produits de traitement ; d’animaux ; et pratique manuelle. Pour la récolte d’olive de novembre à décembre, les propriétaires de grandes parcelles embau- chent ponctuellement une main d’oeuvre importante. Lorsqu’il s’agit de plus petites exploitations familiales, ce sont les membres de la famille qui s’occupent du ra- massage des fruits. Dans les villas des classes aisées, un jardinierestsouventenchargedel’entretienduverger. Agriculture biologique La culture d’olivier dans les grandes parcelles périp- hériques est souvent qualifiée de biologique, car aucun produit de traitement chimique ni engrais n’est utili- sé. En revanche, l’utilisation de produits chimiques est fréquente dans les jardins privés. Nous avons systémat- iquement abordé la question de l’agriculture biologique lors de nos rencontres avec des agriculteurs. La plupart nous ont répondu connaître ce type d’agriculture, sans pouvoir la décrire précisément. Souvent, ils ajoutaient qu’ils utilisaient le moins de produits chimiques possi- ble. Cela peut s’expliquer par un manque de réglement- ation et de valorisation de ces pratiques par les pouvoirs publics, malgré la récente création d’un arrondissement consacréàl’agriculturebiologiqueauCRDAdeSfax. 2. Elevage Nous avons observé la pratique de l’élevage dans tous les secteurs de la ville. Une première forme consiste en des troupeaux nomades de chèvres et de moutons menés paître par un berger. Cette pratique, que nous supposons non réglementée, relève de l’utilisation à des fins privées del’espacepublic,commelesbordsderoute;oud’espaces privésnondélimités,commeleschamps,terrainsvagues ou grands jardins non emmurés. Elle illustre la dilution desfrontièresvisiblesetd’usagesentreespacespublicset espacesprivésdanscertainssecteursdeSfax.Nousavons pu parler avec quelques-uns de ces bergers, qui nous ont expliquéqu’ilsramenaientleurtroupeaulesoiràleurdo- micile. Le long des grands axes routiers, on peut effecti- vementrepérerdesenclosàmoutonfabriquésàpartirde matériauxderécupération. FIG 08 • Arboriculture Remarques : Oranger FIG 09 • Elevage Remarques : Groupement de moutons à côté d’un poulailler
  • 23. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 23 A toutes les échelles Il existe également des exploitations statiques, souvent à plus grande échelle, quoique nous ayons pu observer un troupeau itinérant d’une centaine de moutons dans le secteur 0 au kilomètre 11. Parmi les éleveurs plus clas- siques, nous avons rencontré des éleveurs de vaches, de moutons,delapinsetdepoules.Nousavonsaussipucon- stater la présence de poulaillers dans plusieurs jardins privés. Les élevages de vaches laitières visités produisent quotidiennemententre300et500litresdelaits;avecses 60vaches,Mnifproduitainsienviron500litresparjour. Les veaux sont souvent revendus pour la viande. Concer- nantlesméthodesdeproduction,ilsdisposentd’installa- tionscommedestanksàlaitetdestrayeuses.Onnoteque plusieurs sites visités relèvent d’une agriculture intensi- ve, où les animaux sont entassés dans des enclos étroits, parfois exclusivement en intérieur. Cependant, Mnif, éleveur de vaches laitières, nous rapporte être très atten- tif au bien-être des vaches, limitant les antibiotiques et fabriquant lui-même leurs aliments. Leur alimentation est composée de son propre blé, de complément minéral vitaminé, de luzerne déshydratée, ainsi que de granulés desojaetdemaïs(transgéniquesetimportés,commeille précise,ajoutantqu’iln’apaslechoix). Début de valorisation des déchets L’utilisation du fumier des animaux comme engrais na- turel est répandue, les éleveurs revendant leur fumier aux maraîchers. On peut considérer cette pratique com- me un début de valorisation des déchets agricoles. Dans la même perspective,la construction d’enclos à moutons à partir de matériaux de récupérations illustre le lien étroit entre les formes de valorisation et de réutilisation desdéchetsexistantsetunelogiqued’économiedecoûts. 3. Maraîchage Nous avons identifié trois types de pratique maraîchère dans la ville de Sfax : les grandes exploitations à vocation marchande - sur une surface de plusieurs hectares ; les potagers des jardins privés ; et les “senyaa”, qui s’appa- rententàdesjardinspartagés.Laproductionmaraîchère à Sfax est particulièrement diversifiée : on y cultive du fenouil, des piments, des tomates, des concombres, des navets, des radis, des courgettes, des blettes etc. A par- tir de plusieurs hectares de surface, l’exploitation fon- ctionne avec des employés agricoles. Dans les “senyaa”, ce sont les habitants qui viennent cultiver les légumes. Le plus souvent, le travail agricole se fait manuellement, éventuellement grâce à la traction animale. Plusieurs maraîchers nous expliquent que l’agriculture biologique n’est pas rentable pour le maraîchage, car il n’y a pas de demande pour des produits biologiques qui seraient plus chers à la revente. Cette affirmation indique qu’ils sont convaincus que produire de manière biologique engen- dre nécessairement une baisse du rendement qu’il faut pouvoircompenserparunehausseduprixdevente. Autres types d’agriculture Au-delà de l’arboriculture, l’élevage et le maraîchage, nous avons rencontré des acteurs de la transformation de céréales, ainsi qu’un producteur de miel. Nous avons ainsirenduvisiteàunpépiniéristequiproduisaitdumiel grâce à ses deux ruches. Nous nous sommes également FIG 10 • Maraîchage Remarques : Senyaa de quartier. Femme ramassant des radis
  • 24. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 24 Pomme Amande Poire Prune Figue de BarbarieFigue Nèfle Olive Citron Pistache Grenade Pample- mousse Mandarine Abricot Raisin Orange Pêche Lieu de production Consommateur Consommateur Restaurateur Consommateur Restaurateur Restaurateur Consommateur Consommateur Consommateur Transformateur DétaillantGrossiste Détaillant Détaillant Consommateur Semence / plant Consommateur Restaurateur Consommateur DétaillantGrossiste Consommateur FIG 11 • Arboriculture Remarques : Typologie des produits et des acteurs du circuit de l’arboriculture à Sfax
  • 25. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 25 Vache Poule Pigeon Mouton Chèvre Lapin Coq Dinde Lieu d’élevage Consommateur Consommateur Restaurateur Consommateur Restaurateur Consommateur Restaurateur Consommateur Consommateur Consommateur Transformateur DétaillantGrossiste Détaillant Détaillant Consommateur Fourrage Consommateur Restaurateur Consommateur DétaillantGrossiste FIG 12 • Elevage Remarques : Typologie des animaux et des acteurs du circuit de l’élevage à Sfax
  • 26. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 26 Blette Citrouille Radis Navet Pois Fenouil Concombre Aubergine Persil Potiron Tomate Courgette Sauge Romarin Carotte Melon Pomme de terre Basilic Poivron Fraise Menthe Coriandre Anis Oignon blanc/rouge Épinard FèveChou-fleur Piment Ail Chou-rave Salade Lieu de production Consommateur Consommateur Restaurateur Consommateur Restaurateur Restaurateur Consommateur Consommateur Consommateur Consommateur Restaurateur Consommateur DétaillantGrossiste Consommateur Transformateur DétaillantGrossiste Détaillant Détaillant Consommateur Semence FIG 13 • Maraîchage Remarques : Typologie des produits et des acteurs du circuit du maraîchage à Sfax
  • 27. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 27 rendus dans une boulangerie qui produisait 3000 pains par jour, à partir de la farine de céréales produite par “Le Grand Moulin” à Sfax (que nous avons également visité). Cependant, nous ne développerons pas ces activités par manquededonnées. Conclusion Nous avons tenté de dresser un panorama des différent- es pratiques agricoles dont nous avons été témoins, sans être toutefois en mesure de quantifier statistiquement chacuned’entreelles.Delagrandeexploitationmécanis- ée et marchande au petit potager privé ou collectif, nous constatonsquel’agricultureurbaineàSfaxestdiversifiée quantàlanaturedesproduitscultivésainsiqu’àl’échelle etlaméthodedeproductionmisesenoeuvre.Ladivision àlaquellenousprocédonsicientrearboriculture,élevage etmaraîchages’inspiredelaclassificationtraditionnelle des produits, mais elle ne rend pas compte de l’extrême diversitédespratiquesauseindechaquecatégorie. II. LE MANQUE DE VALORISATION DE LA PRODUCTION LOCALE 1.Ladifficiletraçabilitédesproduitsagricoles Aperçu des importations dans la ville de Sfax Pouridentifierlaprovenancedesproduitsagricolesven- dus à Sfax, nous avons interrogé les vendeurs que nous rencontrions sur les marchés et dans la rue. Cela nous a permis d’avoir un aperçu, bien que partiel, des impor- tations agricoles à Sfax. Il faut noter que la provenance des produits n’est jamais directement affichée, et que parfois, les vendeurs ne voulaient ou ne savaient pas dire d’où provenaient les produits qu’ils vendaient. Nous re- marquons que les produits importés sont diversifiés : fruits,céréales,viandeetc.Ilsproviennentgénéralement des alentours de Sfax ou d’autres villes en Tunisie. Il est intéressant de remarquer que plusieurs des produits im- portés, notamment les fruits, sont également produits à Sfax.Cependant,sinousavonspuobserverdenombreux orangers, citronniers et grenadiers, ils se trouvaient le plus souvent dans des jardins privés et étaient dédiés à uneconsommationpersonnelle. Aperçu des exportations dans la ville de Sfax En ce qui concerne les exportations de produits agri- coles en provenance de la ville de Sfax, nous avons pu identifier quelques produits spécifiques. Sans surprise, on trouve en premier lieu l’exportation à l’international de produits issus de la culture d’oliviers. Au niveau na- tional, Sfax produit également une part importante des oeufsconsommésdanslepays:55%delaproductionna- tionale selon Faouzi Zayani, président du bureau région- alsfaxienduSynagri. FIG 14 • Tableau de produits agricoles importés et exportés dans la ville de Sfax Remarques : Ces produits peuvent en parallèle être produits et/ ou vendus à Sfax Exemples de produits agricoles importés et exportés dans la ville de Sfax Produit agricole Importé Exporté Arboriculture Huile d'olive En Tunisie, Italie, Canada, Japon, États- Unis, Espagne Orange De Nabeul et Korba (Tunisie) Citron De Nabeul (Tunisie) Pomme De Sbiba et de Sousse (Tunisie) Grenade De Gabes (Tunisie) Datte De Tozeur (Tunisie) Banane De Libye Kiwi ? Maraîchage Sucre Du Brésil Ananas ? Élevage Œuf De la région de Sfax En Tunisie Viande d'agneau De Sidi Bouzid (Tunisie) Production de céréales Blé De la région de Sfax Farine Du nord de la Tunisie Production de plants et de semences Semences (pois, fèves, épinards, persil, radis, courgettes, navettes, blettes etc.) De France, Italie, Belgique, Allemagne Semence (piments, pommes de terre) En Tunisie Semences d'olivier De Turquie, Hollande, Maroc Plants d'olivier De Grèce, Espagne N.B. : Ces produits peuvent en parallèle être produits et/ou vendus à Sfax.
  • 28. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 28 Les enjeux économiques de l’importation Un facteur explicatif des importations agricoles, alors mêmequelesproduitssontcultivésàSfax,résidedansles coûts de production élevés à l’intérieur de la ville. Deux éléments majeurs ressortent de nos rencontres avec les producteurs. Tout d’abord, l’étalement urbain entraîne unespéculationfoncièresurlesparcellescomprisesdans le périmètre de l’agglomération de Sfax. Il en résulte que de nombreux agriculteurs envisagent de vendre leur ter- rain et de déplacer leur exploitation plus en périphérie. Par ailleurs, plusieurs agriculteurs déplorent une aug- mentation des salaires des ouvriers agricoles à Sfax, qui entraîne également une hausse des coûts de production. Certains privilégient alors des travailleurs immigrés ori- ginaires de régions plus pauvres : Gafsa, Sidi Bouzid, voi- remêmedeCôted’Ivoire. Circuits des produits alimentaires Nous avons tenté de suivre les produits agricoles du champ à l’assiette, ce qui nous a permis d’identifier des circuits de production variés, avec souvent devent de nombreuses étapes. Beaucoup d’agriculteurs nous ont dit ne pas revendre eux-même leurs produits, même lor- squ’ils sont vendus non transformés. Dans la majorité descas,lesmaraîchersetarboriculteursvendentleurfru- itsetlégumesàdesgrossistes,quilesrevendentgénérale- mentàdesdétaillantssurunmarchédegroscommecelui de la route de Gabès. En dehors des magasins et marchés institués, nous avons pu observer des points de vente de fruitsetlégumesquenoussupposonsinformels–ausens de non réglementés : une table posée sur le trottoir, une benne de camion le long de la route etc. Quant aux élev- eurs de vaches laitières, ils vendent principalement leur laitàlaCoopérativedulait,organismemutualistechargé delareventeàlagrandedistribution. Spéculation L’allongementducircuitduproduitparlebiaisdesnom- breux intermédiaires induit de la spéculation dans le milieu agricole à Sfax. Elle contribue à une pression à la baisse du prix d’achat aux agriculteurs, à l’inflation des prix de vente aux consommateurs, et entraîne des diffi- cultés à remonter la chaîne de production pour déterm- iner la provenance des produits. A plusieurs reprises, les intermédiaires chargés de la reventedes produits agrico- les, notamment les grossistes, ont été présentés par les agriculteurs comme des spéculateurs, dégageant d’im- portants bénéfices par rapport au prix d’achat à l’agri- culteur. Quand aux revendeurs industriels, ils disposent d’une marge de pression importante pour la fixation du prixd’achatàl’agriculteur,notammentencequiconcer- ne le prix du lait. Un phénomène spéculatif similaire est rapporté concernant les fournisseurs: Mnif, éleveur de vaches,nousexpliquequelaventedebottesdepailleetde foinaétérepriseparuneentreprise,cequiafaitaugmen- ter le prix de la botte par rapport à l’époque où il pouvait l’acheterdirectementauxagriculteurs. L’exemple de la production de semences La production de semences nous paraît être un exemple particulièrement intéressant des rapports de force liés aux importations et aux exportations. Ce secteur est en effet dépendant des importations de semences étrang- ères pour couvrir les besoins des agriculteurs tunisiens. D’après Faouzi Zayani, du Synagri, il semble que tous les types de semences ne soient pas produits en Tunisie et que les semences produites le soient en quantité limitée. Il note une exception, précisant que la Tunisie serait au- tosuffisanteensemencesdeblé.
  • 29. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 29 Autres villes tunisiennes Km 11 Km 4 2 km0 1 Lieu de production des produits arboricoles Lieu de production pour l’autoconsommation Lieu de production des semences / plants Grossiste Lieu de transformation et de vente Lieu de production et de vente Détaillant Transformateur FIG 15 • Arboriculture Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits arboricoles à Sfax
  • 30. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 30 Autres villes tunisiennesCentrales laitières de Mahdia & Cap Bon Km 11 Km 4 2 km0 1 Lieu d’élevage Lieu d’élevage pour l’autoconsommation Lieu de production de fourrage Grossiste Lieu de transformation et de vente Lieu d’élevage et de vente Détaillant Transformateur FIG 16 • Elevage Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits animaliers à Sfax
  • 31. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 31 Tunis Autres villes tunisiennes Km 11 Km 4 2 km0 1 Lieu de production des produits maraîchers Lieu de production pour l’autoconsommation Lieu de production des semences Grossiste Lieu de transformation et de vente Lieu de production et de vente Détaillant Transformateur FIG 17 • Maraîchage Source : Google My Maps. Remarques : Flux des produits maraîchers à Sfax
  • 32. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 32 Absence de valorisation des semences locales Au-delà de la quantité et la diversité des semences tuni- siennesproduites,ilsemblequeleproblèmedefonddela dépendanceàl’importationsoitl’absencedevalorisation des semences locales. Nous avons visité le GIL, qui est un organismesemi-étatiquedédiéàlaproductiondesemen- ces de piments d’une variété locale et de pommes de ter- re. Bien que produites à Sfax, les semences sont ensuite expédiées à un laboratoire gouvernemental à Tunis pour être traitées puis commercialisées par un grossiste sur le territoire national. Pour retrouver les semences sfaxien- nes commercialisées, nous avons été orientés avenue de l’Algérie, où l’on trouve de nombreux magasins de pro- duits agricoles. En interrogeant les vendeurs, nous nous sommes aperçus du manque de visibilité des semences tunisiennes pour les agriculteurs. Un magasin nous a informé qu’il ne vendait pas de semences tunisiennes, tandis que dans un autre, l’employée ne savait même pas qu’ils en vendaient et a dû fouiller dans les étagères pour nous en trouver un exemple. Selon elle, les agriculteurs sfaxiensachètentpresquetousdessemenceseuropéenn- es, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. Plusieurs hypothèses ont été émises dans la discussion comme l’i- mage de marque, une éventuelle meilleure germination, ou plus simplement la méconnaissance de la production desemencestunisiennes. 2. Initiatives locales et circuits de proximité Enjeu de qualité et de traçabilité des produits Les circuits de proximité permettent au consommateur d’identifier la provenance des produits qu’il consomme. La traçabilité des produits est une demande exprimée par plusieurs consommateurs rencontrés, qui déplorent nepassavoird’oùproviennentlesfruitsetlégumesqu’ils achètent sur le marché. Lorsque la provenance est con- nue, plusieurs personnes listant leurs achats alimentai- resinsistentlorsqu’ilssontd’originesfaxienne.Celalais- se entrevoir une forme de valorisation de la production locale par le consommateur, notamment dans les classes socialesaisées. L’exigencedetraçabilitéestassociéeàunepréoccupation concernantlaqualitédesproduits.Bienquelaproduction locale ne soit pas le gage d’un produit de meilleure quali- té, elle offre l’opportunité d’une meilleure traçabilité, et donc d’une meilleure connaissance des conditions de productionduproduit.SelonMnif,éleveurdevacheslai- tières,ilyaunevraiedemandedeproduitsdebonnequa- lité à Sfax, même s’ils sont plus chers. Lui produit un lait dont le prix est supérieur à la moyenne du marché, mais qui trouve des débouchés, notamment chez les transfor- FIG 18 • En amont du maraîchage : la production de semences Producteurs de semences (ex. GIL) Laboratoire d’analyse et de traitement (ministère de l’Agriculture) Pépiniéristes Marques de semences tunisiennes (ex. CCSPS) Marques de semences européennes Magasins de produits agricoles (ex. avenue de l’Algérie)
  • 33. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 33 mateurs en yaourts artisanaux. Les problèmes de santé liés à l’alimentation issue de l’agriculture intensive ont été critiqués à de nombreuses reprises, notamment par des familles qui ont choisi de produire eux-mêmes leurs oeufs,leursfruitsetleurslégumes. Circuits courts et ventes directes A travers nos explorations de la ville et les visites d’exploitations, nous avons pu identifier plusieurs cir- cuits de proximité existant à Sfax. Nous qualifierons ici de circuit court un échange direct entre le producteur et le consommateur; ou un circuit entre un producteur, un transformateur et un consommateur (sans grossiste ni détaillant). Que ce soit dans des fermes, usines ou pota- gersenventedirecte,leconsommateuraainsiaccèsàdes produits frais et locaux près de chez lui. Il faut noter que certainsagriculteursoutransformateurscitésicicomme faisant de la vente directe peuvent aussi en parallèle ven- dreleursproduitsàdesgrossistes. Nos rencontres avec des acteurs de circuits courts nous ont permis d’identifier les opportunités en terme de rentabilité économique d’une démarche de proximité dans le contexte de Sfax. Un premier avantage consiste en la réduction des intermédiaires et de la spéculation en amont et en aval de la production. L’existence d’une demande de produits frais et de qualité peut également permettre une montée de gamme des produits avec une valorisation financière, comme le montre l’exemple de Yahya, qui a une petite usine de transformation de lait produisant du fromage et des yaourts pour une clientèle locale. Comme le remarque Mnif, un éleveur de vaches qui livre son lait lui-même tous les matins, le recul des parcelles agricoles sous la pression de l’étalement urbain menace cependant ces circuits de proximité. Sa tournée danslavilledureaujourd’huientre1et2heures,maiss’il est contraint de s’éloigner de la ville, il ne pourra plus as- surerladistributiondelaitfraisquotidiennement. Conclusion En nous intéressant aux circuits de production à Sfax, nousavonsremarquéqu’ilestdifficiled’identifierlapro- venance d’un produit et de remonter sa chaîne de distri- bution. Cette difficile traçabilité complique la valorisa- tiondelaproductionlocalequipourraitsesubstitueraux importations. Dans l’opacité du circuit de production et de distribution interviennent, de plus, des opérations spéculatives intermédiaires, qui ne semblent profiter ni à l’agriculteur ni au consommateur. Le développement de circuits courts, dont nous en avons présenté quelques exemples, apparaît ainsi comme un enjeu de développ- ement local et une réelle opportunité économique pour lesagriculteurs.
  • 34. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 34 M arché de gros 7.5 km Route Manzel Chaker km 7, production maraîchère Route de l’aéroport km 5, production maraîchère Route de Gabes km 10, pro- duction maraîchère et arbo- ricole 2 km0 1 Route Lafrane km 9, produc- tion maraîchère, arboricole et animalière Route Teniour km 9, trans- formateur et vendeur d’huile d’olive Lieudeproduction 14km Lieudeproduction 40km Route Saltnia km 4, transfor- mateur et vendeur des pro- duits laitiers Lieu de production / élevage Lieu de production / élevage pour l’autoconsommation Lieu de transformation et de venteLieu de production / élevage et de vente FIG 19 • Circuits courts des produits alimentaires à Sfax Source : Google My Maps
  • 35. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 35 C. Inadaptations politiques et inégalités sociales I. UNE POLITIQUE PUBLIQUE DÉCONECTÉE DES RÉALITÉS AGRICOLES 1.Laméconnaissancedela“petite”agriculture La production agricole représente 8,5 % du PIB tunisien (11,5 % avec l’agroalimentaire) et génère 15 % des em- plois (Observatoire National de l’Agriculture, 2016). Le secteur agricole est néanmoins en déclin : selon l’INS, la valeur ajoutée du secteur a diminué de 3,6 % au second trimestre de 2016, tandis que les exportations chutaient de 35,1 % en valeur et en volume (avec l’agroalimentai- re) (Huffington Post Tunisie, 2016). Selon Faouzi Zaya- ni, du Synagri, le nombre d’agriculteurs - qu’il estime aujourd’hui à quelques 500 000 personnes, serait en diminution en Tunisie. Il souligne l’inadaptation de la réglementation agricole et le manque de soutien et d’ac- compagnement des agriculteurs, alors que seule une po- litique agricole adaptée pourrait aujourd’hui corriger les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurssfaxiens. Absence de protection foncière On remarque que les surfaces agricoles urbaines ne sont pas prises en compte dans les documents d’urbanisme à Sfax : on note donc une absence de protection foncière de ces espaces. Lors de notre séjour, nous avons pu con- sulter le plan d’aménagement urbain de Sfax, datant de 2002. On y remarque l’absence d’identification et de localisation des surfaces agricoles exploitées dans le périmètre du Grand Sfax. Si l’on se réfère à la fracture spatiale précédemment identifiée entre des zones urbai- nes denses - où l’on trouve peu de pratiques agricoles, et des zones moins denses - où l’on trouve de plus grandes productionsàvocationmarchande,onpeutcomprendre cette omission comme une non-reconnaissance des pra- tiques non marchandes en milieu dense comme de l’”a- griculture”. Au fil des conversations, nous nous sommes rendus compte que l’agriculture est souvent considérée exclusivement comme une activité à grande échelle et à vocation marchande, conception qui explique le par- ti-pris des documents d’urbanisme. Faouzi Zayani, du Synagri,nousademandéplusieursfoiscequel’onenten- dait par le terme d’”agriculture urbaine”, expliquant que cetermenefaitpassenspourluietplusgénéralementen Tunisie. Il a ajouté qu’avant que l’on ne vienne, il ne con- sidérait pas les pratiques agricoles dans les jardins com- meuneformed’agriculture. Néanmoins, les documents d’urbanisme omettent ég- alement de prendre en compte les exploitations de plu- sieurs hectares situées dans la grande couronne de Sfax, comprises dans un rayon de 11 kilomètres. On peut supposer que malgré leur vocation essentiellement marchande, elles relèvent elles-aussi d’une “petite” agri- culture méconnue de la politique agricole, au contraire des vastes exploitations possiblement plus productives en milieu rural. Ainsi, l’agriculture dans le Grand Sfax est souvent pratiquée sur des terres considérées comme “non agricoles”, par exemple des réserves foncières de- stinéesaubâti. “Zones vertes” Le plan d’aménagement urbain définit néanmoins des “zones vertes”, entendues comme des “espaces libres ur- bains aménagés en verdure”. Ce statut énonce le cadre réglementaired’utilisationdecesespaces,définissantles usages et interdictions de manière minimale. Y sont au- torisés:“lespistesd’accès”,“lemobilierurbain”ainsique “les clôtures en dur à une hauteur de 0,6 mètre, le reste sera en fer forgé à une hauteur maximale de 2 mètres”, tandissontinterdites“touteslesformesd’occupationdu solsansrelationdirecteavecl’aménagementdeceszones en espaces pu espaces publics” (section 1, article 1 et 2). On remarque ici que ces “zones vertes”, cultivables, sont envisagées exclusivement comme des espaces publics et
  • 36. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 36 non des espaces pouvant être consacrés à une exploita- tionagricoleprivée. 2. Les lacunes dans l’accompagnement de l’agriculteur “Parent pauvre de cette révolution, le secteur agricole n’a pas été la priorité des différents gouvernements qui se sont succéd- és.”(Bellamine,2014) Selon Faouzi Zayani, du Synagri, la déconnexion des pouvoirs publics avec les réalités agricoles s’exprime aussi par un manque d’accompagnement des agriculteu- rs par les organismes étatiques. En matière de politique agricole,l’Etatestleprincipalacteurdedécision.Au-delà de son pouvoir réglementaire, il maintient un fort con- trôle sur les circuits de production et de distribution via des organismes stratégiques, comme le CRDA ou l’Offi- ce national des huiles, tous deux présents à Sfax, et qui dépendent du ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliquesetdelapêche.FaouziZayaniexpliquequ’u- nedecausesmajeuresdeladéconnexiondespouvoirspu- blics est la diminution du personnel consacré au soutien et au conseil des agriculteurs, notamment au CRDA de Sfax. Cela entraîne une situation de rupture avec le ter- rain,lesemployésrestantsétantensous-effectif. Problèmes de financement FaouziZayani,duSynagri,noteparailleursdesproblèm- es de financement de l’activité professionnelle des agri- culteurs. Il explique qu’il existe une Banque nationale agricole, chargée de financer l’activité agricole tunisien- neàhauteurde12ou13%duchiffred’affaires,maisque celle-ci dysfonctionne en pratique. Les banques deman- dent des garanties en fonds propres que peu de petits agriculteurs peuvent fournir. Par exemple, s’il voulait obtenir un crédit de 6000 ou 7000 dinars pour le ramas- sage des olives, soit environ 2500 euros, il devrait selon son estimation hypothéquer sa maison personnelle, d’u- ne valeur bien supérieure, comme garantie de finance- ment. Plus encore, il critique le statut d’agriculteur, sta- tut officiel unique permettant de bénéficier d’avantages fiscaux, qui masque des profils sociaux très différents et contribue à accroître les inégalités sociales et la précarité des plus fragilisés, comme nous le détaillerons dans la prochainepartie. Structures alternatives Pour pallier les difficultés du secteur agricole et l’iso- lement des agriculteurs que les politiques publiques peinent à infléchir, des structures alternatives de co- opération et de soutien aux agriculteurs se sont mises en place à Sfax. A défaut de pouvoir présenter un panel exhaustif des associations et regroupements d’agricul- teurs sfaxiens, nous présenterons ici les deux structures coopérativesquenousavonsrencontrées:lebureaulocal duSyndicatdesagriculteursdeTunisie(Synagri)etlaCo- opérativedulait. Créé après la révolution de 2010-2011, le Synagri est une structure syndicale dédiée à la défense de l’agricul- teur, autour du slogan “L’agriculteur d’abord”. Il y a un bureau national à Tunis et plusieurs bureaux régionaux, comme celui de Sfax, qui est le plus grand bureau rég- FIG 20 • Marché de gros Remarques : Négociation entre des agriculteurs
  • 37. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 37 ional. Le syndicat compte 5000 adhérents, dont 1000 à Sfax. Nous avons rencontré deux membres du syndicat: Faouzi Zayani, membre du bureau exécutif national et président du bureau régional de Sfax, et Amine, agri- culteur. Un de leurs objectifs est d’initier des regroupe- ments coopératifs entre les agriculteurs. Il y a quelques mois ils ont par exemple créé une chambre des agricul- teurs exportateurs au sein du syndicat, pour développer la filière agricole exportatrice tunisienne. Comparant la Tunisie à la France, Faouzi Zayani remarque que les influents groupements et fédérations d’agriculteurs en France parviennent à peser sur les rapports de force avec lagrandeindustrieetlespouvoirspublicsetaimeraitini- tierunmouvementsimilaireenTunisie. Nous avons également visité une coopérative du lait, qui centralise une importante partie de la production sfaxienne, avant de la revendre à la grande distribu- tion. Elle fonctionne sur un système mutualiste de co- tisation préalable et de redistribution de parts sur les bénéfices de la vente, qui permet d’assurer un revenu régulier aux éleveurs. Mnif, éleveur de vaches laitières, a néanmoins quitté cette coopérative, car le prix de vente du lait était selon lui trop bas pour être rentable. Conclusion Ainsi, la politique agricole actuelle, notamment au nive- au local sfaxien, traduit une méconnaissance des prati- quesagricolesurbainesquel’onpeutqualifierde“petite” agriculture, par opposition aux plus vastes exploitations en milieu rural. Les documents d’urbanisme rendent compte de cette omission, puisqu’ils ne représentent pas etdoncneréglemententpaslesespacesagricolesurbains. Plus généralement, il semble que les moyens étatiques dédiés à la filière agricole, notamment en terme de per- sonnel, soient insuffisants pour enrayer la précarisation des agriculteurs. Malgré leur potentiel, les structures syndicales et coopératives ne paraissent pour l’instant pas en mesure de compenser pleinement ces lacunes. II. “AGRICULTEUR” : UN STATUT UNIQUE POUR DES PROFILS SOCIAUX DIVERSIFIÉS 1. Entre tradition, bien-être et métier Les pratiques agricoles répondent à des fonctions mul- tiples, qui souvent se superposent. La plus courante est la finalité économique, marchande - soit le gain tiré de la revente de la production ou le salaire issu de l’acti- vité, avec une attention prégnante au rendement de la production. Cette finalité est parfois associée à l’auto- consommation ou à une consommation dans les cer- cles privés, notamment familiaux, pour une partie de la production. La production à des fins personnelles peut répondre à une finalité de substitution à la consom- mation sur les marchés et /ou permettre de disposer de produits dont on peut contrôler la qualité et le degré de traitement chimique. Cependant, nous avons rencontré une seule exploitation grâce à laquelle la famille était en autosuffisance totale. Le troc entre agriculteurs, au con- traire de ce que nous avions supposé, ne semble pas être unepratiquerépandue.Dansuneperspectived’entraide, un maraîcher rencontré, Saber, nous dit néanmoins ac- cepter que les animaux des éleveurs se nourrissent de sa productiondefenouil. L’héritage des jnens La culture de la terre est ancrée dans la tradition et le paysage urbain à Sfax. L’héritage des jnens, associé à la culture du jardin, participe de l’imaginaire sfaxien selon une tonalité nostalgique dans les discours de plusieurs personnes rencontrées. C’est notamment le cas des pro- priétaires de villas, de classe aisée, qui veulent continuer à faire vivre cette tradition à travers leurs jardins fleuris et leurs vergers. Plusieurs nous rappellent que la migra- tion saisonnière de la medina en hiver aux jnens périp-
  • 38. AGRICULTURE URBAINESFAX3Institut d’Urbanisme de Grenoble 2017 38 hériques en été est constitutive de l’histoire et de l’iden- titésfaxiennes. “Passion” Ici, la culture du jardin est souvent associée à un enjeu de bien-être. Le rapport à la nature, le plaisir d’être en extérieur, sont des éléments du cadre de vie valorisés par les personnes aisées rencontrées. Les pratiques agricoles de ce type revêtent plutôt une fonction récréative - le terme de “passion” revenant à plusieurs reprises dans les discours, et les produits cultivés sont plutôt dédiés à une consommation personnelle. On note ici des similarités avec la fonction ludique que revêt le jardinage urbain à Grenoble. Fonction sociale Danslesclassesaisées,lejardinaégalementunefonction sociale et confère un certain prestige à son propriétaire parsafonctionornementale,voireparlebiaisdudon.Le don des produits du jardin est courant, même s’il inter- vient plutôt au sein des cercles privés. Ben, qui possède des arbres fruitiers dans son jardin, nous parle à ce pro- pos des enfants qui passaient avant devant chez lui pour luidemanderdesorangesetdesfleurs.Ladimensiontra- ditionnelle ressort également à travers la transmission familiale de la pratique et du terrain. La plupart des agri- culteursrencontréssontissusd’unefamilled’agriculteu- rsetontreprisl’exploitationdupèreoudesparents. Ressource économique peu valorisée Au contraire, l’activité agricole comme métier, comme ressourceéconomique,estpeuvaloriséesocialement.On observeainsiunmanqued’engouementdesjeunesTuni- sienspourlesprofessionsagricoles.FaouziZayani,duSy- nagri, nous explique par exemple que le Centre sectoriel de formation professionnel agricole de l’agriculture en zones aride de Boughrara, à 35 kilomètres de Sfax, peine àrecruterdanssesformationsàl’élevageetàlatailled’o- liviers. Saber, par exemple, est le seul des 8 frères et soe- urs,àavoirvoulureprendrel’exploitationmaraîchèrede son père, bien qu’il ait suivi une formation d’ingénieur en électronique. La précarité économique de la situation d’agriculteuretlesconditionsdetravaildifficilescontri- buentàdécouragerlesrecruespotentielles.Suiteàlarév- olutionde2010-2011, unclimat d’insécuritéetdevolde bétailaégalementprovoquél’abandondelapratiquepar plusieursagriculteurs,notammentdeséleveurs. 2. Typologie des inégalités Selon Faouzi Zayani, du Synagri, il y a un vide juridique autour du statut officiel d’agriculteur, à la source d’inju- stices qui renforcent les inégalités sociales entre les dif- férents profils d’agriculteurs. Pour être déclaré agricul- teur,ilnousexpliquequ’ilfautdemanderuneattestation àunsyndicatagricole,parexempleleSynagrioul’UTAP, laquelle est souvent accordée à des personnes qui selon luinesontpas“agriculteurs”.FaouziZayanidistingueles “vrais agriculteurs”, pour qui l’agriculture constitue la principale activité, et ceux qu’il qualifie de “promoteurs agricoles”. Ils nous explique que de nombreux médecins ou avocats, qui ont un jardin ou des terrains, demandent le statut d’agriculteur pour être exempté d’une partie de leursimpôts,avantagefiscalmisenplaceparlespouvoirs publicspoursoutenirl’activitéagricoleetquiseraitainsi FIG 21 • Profession d’agriculteur Remarques : L’agriculture comme seule activité engendre une différence de revenu et de statut