Rret de grande chambre vinter et autres c. royaume uni les peines de perpetuite reelle doivent prevo
1. du Greffier de la Cour
CEDH 208 (2013)
09.07.2013
Les peines de perpétuité réelle doivent prévoir une possibilité
de réexamen mais il ne faut pas y voir une perspective
d'élargissement imminent
Dans son arrêt de Grande Chambre, définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Vinter et
autres c. Royaume-Uni (requêtes nos 66069/09, 130/10 et 3896/10), la Cour
européenne des droits de l’homme dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu :
Violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants)
de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans cette affaire, les trois requérants voyaient dans leurs peines d'emprisonnement à
perpétuité un traitement inhumain et dégradant car, selon eux, ils n'avaient aucun
espoir d'élargissement.
La Cour a conclu en particulier que, pour qu'une peine perpétuelle demeure compatible
avec l'article 3, il doit exister aussi bien une possibilité d'élargissement qu'une possibilité
de réexamen. Elle a relevé une nette tendance dans le droit et la pratique européens et
internationaux en faveur de ces principes, une large majorité des Parties contractantes à
la Convention ne prononçant en fait jamais la réclusion à perpétuité ou, si elles le font,
prévoyant un réexamen de ce type de peine une fois passé un délai fixe (en général 25
années d'emprisonnement).
L'état du droit national régissant le pouvoir habilitant le ministre de la Justice à mettre
en liberté un condamné à la perpétuité réelle n'était pas clair. En outre, avant 2003, le
ministre réexaminait automatiquement la nécessité des peines de perpétuité réelle au
bout de 25 ans. Ce système avait été supprimé en 2003 et aucun autre mécanisme de
réexamen n'avait été mis en place. Dans ces conditions, la Cour n’a pas été convaincue
que les peines de perpétuité réelle infligées aux requérants étaient compatibles avec la
Convention européenne.
En constatant une violation dans cette affaire, cependant, la Cour n'entend pas offrir aux
requérants la moindre perspective d'élargissement imminent. L'opportunité de leur mise
en liberté dépendrait par exemple du point de savoir si leur maintien en détention se
justifie toujours par des motifs légitimes d'ordre pénologique ou pour des raisons de
dangerosité. Ces questions ne se posaient pas en l'espèce et n’ont pas donné matière à
débat devant la Cour.
La seule demande au titre de la satisfaction équitable avait été formée par M. Vinter et la
Cour ne lui a accordé aucune somme pour dommage.
Principaux faits
Les requérants, Douglas Gary Vinter, Jeremy Neville Bamber et Peter Howard Moore,
sont des ressortissants britanniques nés respectivement en 1969, 1961 et 1946. Tous les
trois purgent actuellement des peines d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre.
1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention).
Tous les arrêts définitifs sont transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille
l’exécution. Pour plus d’informations sur la procédure d’exécution, consulter le site internet :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution
2. 2
M. Vinter fut reconnu coupable du meurtre de son épouse en février 2008, ayant déjà
été condamné pour le meurtre d'un collègue en 1996. M. Bamber fut convaincu des
meurtres de ses parents adoptifs, de sa sœur et des deux enfants en bas âge de celle-ci
en août 1995. M. Moore fut reconnu coupable de quatre meurtres commis entre
septembre et décembre 1995.
Les requérants se sont vu infliger la perpétuité réelle, ce qui veut dire qu'ils ne peuvent
être élargis qu'en vertu du pouvoir discrétionnaire du ministre de la Justice, lequel ne
l'exercera que pour des motifs humanitaires (par exemple en cas de maladie mortelle en
phase terminale ou de grave invalidité).
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de 2003 sur la justice pénale, lorsque la perpétuité
était imposée par un tribunal, le ministre (à l'époque celui de l'Intérieur) statuait sur la
durée d'emprisonnement minimale du condamné (« période punitive »), à qui la
perpétuité réelle pouvait être infligée. Si une période punitive à perpétuité était
prononcée, le ministre de l'Intérieur réexaminait la peine au bout de 25 ans. La loi de
2003 dispose que c'est le juge déterminant la peine qui fixe la période punitive ou
ordonne la perpétuité réelle mais elle ne prévoit plus la possibilité d'un réexamen de la
perpétuité réelle au bout de 25 ans.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant en particulier l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou
dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme, tous les trois
requérants voient dans leur incarcération, selon eux sans espoir de libération, un
traitement inhumain et dégradant.
Les requêtes ont été respectivement introduites devant la Cour européenne des droits de
l’homme le 11 décembre 2009, le 17 décembre 2009 et le 6 janvier 2010. Dans son
arrêt de chambre du 17 janvier 2012, une chambre de la Cour a conclu, par quatre voix
contre trois, à l’absence de violation de l'article 3 de la Convention au motif que les
peines infligées aux requérants ne s'analysaient pas en un traitement inhumain ou
dégradant. La majorité de la chambre a notamment considéré que les requérants
n'avaient pas démontré que leur maintien en détention ne poursuivait plus aucun but
légitime d'ordre pénologique. Elle a également souligné que les peines de perpétuité
réelle infligées aux requérants avaient été soit récemment imposées par une juridiction
de jugement (dans le cas de M. Vinter), soit récemment réexaminées par la High Court
(dans le cas de MM. Bamber et Moore).
Le 9 juillet 2012, l'affaire, qui regroupe les trois requêtes jointes, a été renvoyée2 devant
la Grande Chambre à la demande des requérants. Une audience de Grande Chambre a
été tenue à Strasbourg le 28 novembre 2012.
L’arrêt a été rendu par une Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de :
Dean Spielmann (Luxembourg), président,
Josep Casadevall (Andorre),
Guido Raimondi (Italie),
Ineta Ziemele (Lettonie),
Mark Villiger (Liechtenstein),
2 En vertu de l'article 43 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans un délai de trois mois à
compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels,
demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Un collège de cinq juges examine alors si l’affaire
soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles,
ou une question grave de caractère général. Si aucune question de cette nature n’est soulevée, il rejette la
demande, à la suite de quoi l'arrêt en question devient définitif.
3. 3
Isabelle Berro-Lefèvre (Monaco),
Dragoljub Popović (Serbie),
Luis López Guerra (Espagne),
Mirjana Lazarova Trajkovska (« L’Ex-République Yougoslave de Macédoine »),
Nona Tsotsoria (Géorgie),
Ann Power-Forde (Irlande),
Işıl Karakaş (Turquie),
Nebojša Vučinić (Monténégro),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Paul Lemmens (Belgique),
Paul Mahoney (Royaume-Uni),
Johannes Silvis (Pays-Bas),
ainsi que de Michael O’Boyle, greffier adjoint.
Décision de la Cour
Article 3 (traitement inhumain et dégradant)
La Cour estime que, pour qu'une peine de perpétuité demeure compatible avec
l'article 3, il doit exister tant une possibilité d'élargissement qu'une possibilité de
réexamen.
C'est aux autorités nationales de décider à quel moment ce réexamen doit avoir lieu.
Cela étant, il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits
devant la Cour une nette tendance en faveur d’un mécanisme garantissant un réexamen
vingt-cinq ans au plus tard après l’imposition de la peine perpétuelle.
Une large majorité d’Etats parties à la Convention soit ne prononcent jamais de
condamnation à perpétuité, soit, s’ils le font, prévoient un mécanisme qui garantit un
réexamen des peines perpétuelles après un délai fixe - en général au bout de vingt-cinq
années d’emprisonnement. Enfin, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
auquel sont parties 121 Etats, dont la grande majorité des Etats membres du Conseil de
l’Europe, prévoit le réexamen des peines perpétuelles après vingt-cinq ans
d’emprisonnement, puis périodiquement.
Le gouvernement du Royaume-Uni a plaidé devant la Cour que le but de la loi de 2003
était d’exclure l’exécutif du processus décisionnel en matière de peines perpétuelles et
que c'était la raison de l'abolition du réexamen au bout de 25 ans par le ministre de
l'Intérieur, mécanisme qui existait avant 2003. La Cour estime cependant qu’il eût été
plus conforme à l'intention du législateur de prévoir que ce réexamen serait désormais
conduit dans un cadre entièrement judiciaire, au lieu de le supprimer complètement.
La Cour constate par ailleurs que l'état du droit en vigueur en Angleterre et au pays de
Galles concernant les perspectives d'élargissement des détenus à perpétuité n'est pas
clair.
L'article 30 de la loi de 1997 donne au ministre de la Justice le pouvoir de libérer tout
détenu, y compris condamné à la perpétuité réelle. Pour la Cour, ce pouvoir peut être
exercé d'une manière compatible avec l'article 3 de la Convention. Cependant, il doit
être mis en contraste avec l'ordonnance des services pénitentiaires pertinente qui fixe
les conditions d'élargissement et prévoit que cette mesure ne peut être ordonnée que si
le détenu est atteint d'une maladie mortelle en phase terminale ou est invalide.
Compte tenu de ce manque de clarté et de cette absence de mécanisme de réexamen
spécial pour les peines de perpétuité réelle, la Cour n’est pas pas convaincue que, à
4. 4
l'heure actuelle, la perpétuité infligée aux requérants soit compatible avec l'article 3. Elle
en conclut à la violation de cette disposition à l'égard de chacun des requérants.
La Cour souligne toutefois que le constat de violation dans le cas des requérants ne
saurait être compris comme leur offrant une perspective d’élargissement imminent.
L'opportunité de leur mise en liberté dépendrait par exemple du point de savoir si leur
maintien en détention se justifie toujours par des motifs légitimes d'ordre pénologique
ou pour des raisons de dangerosité. Ces questions ne se posaient pas en l'espèce et
n’ont pas donné matière à débat devant la Cour.
Satisfaction équitable (Article 41)
Seul M. Vinter a formulé une demande au titre de la satisfaction équitable et la Cour dit
que le constat de violation vaut en lui-même satisfaction équitable pour tout dommage
moral qu'il aurait subi. Elle accorde néanmoins 40 000 euros au titre des frais et dépens
de ses avocats, y compris ceux se rapportant à l'audience devant la Grande Chambre.
Opinions séparées
Les juges Ziemele, Power-Forde et Mahoney ont exprimé des opinions concordantes et le
juge Villiger a exprimé une opinion partiellement dissidente, dont le texte se trouve joint
à l’arrêt.
L’arrêt existe en anglais et français.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts
rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci,
peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de presse
de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur
Twitter @ECHR_Press.
Contacts pour la presse
echrpress@echr.coe.int | tel: +33 3 90 21 42 08
Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30)
Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79)
Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09)
Jean Conte (tel: + 33 3 90 21 58 77)
La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats
membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de
la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.