11 10 2011 avis obfg prop loi interpré du 2 mai 2001
1. ORDRE DES BARREAUX FRANCOPHONES ET GERMANOPHONE DE BELGIQUE
L’avocat conseille. L’avocat concilie. L’avocat défend.
Avis de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone
concernant la proposition de loi interprétative
de l’article 304 du code judicaire et des amendements ultérieurs
Suite à un incident survenu devant le tribunal de première instance de Bruxelles,
plusieurs parlementaires ont déposé une proposition de loi interprétative de l’article 304
du code judiciaire ayant pour objet de supprimer, dans certaines circonstances,
l’obligation faite aux juges et aux autres membres d’une juridiction de traiter un dossier
en cas de parenté avec l’avocat d’une des parties.
Alors que la proposition originaire concernait une loi interprétative du contenu de l’article
304 du code judiciaire, et instaurait une obligation d’abstention à charge de l’avocat ou
du mandataire d’une partie, les amendements introduits proposent aujourd’hui une
proposition de loi modificative de l’article 304 du code judiciaire et qui modalise
l’obligation d’abstention mise à charge des juges et des autres membres des juridictions
mais sans plus comminer d’obligations à charge de l’avocat ou du mandataire d’une
partie.
L’Ordre des barreaux francophones et germanophone synthétise ci-dessous ses
observations :
1. La modification du contenu de l’article 304 du code judiciaire n’est pas
justifiée
a. La modification du contenu de l’article 304 du code judiciaire n’est pas
opportune
La disposition de l’article 304 du code judiciaire consacre une règle d’incompatibilité
adressée aux membres d’une juridiction.
Les règles d’incompatibilité sont fondées sur les règles et exigences objectives
d’organisation judiciaire et sont essentielles à la bonne administration de la justice1 ;
elles participent de la sorte à l’ordre public2.
Les règles d’incompatibilité ont pour objet de garantir l’impartialité objective des
juridictions, c’est-à-dire l’impression d’impartialité, que doit présenter le juge (entendu
1
(Cass., 10 mars 1997, Pas.1997, I, p.339; Cass., 19 décembre 2002, Pas., 2002, p.2540 et Cass., 12
février 2009, Pas., 2009, p.436).
2
La violation de ces règles peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de Cassation.
1
Proposition de loi interprétative de l’article 304 du code judiciaire – 295
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interprétative du 2 mai 2011 concernant l’article 304 du Code judicaire et des amendements ultérieurs
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2. au sens large) aux yeux du justiciable3. L’apparence d’impartialité garantie par les
incompatibilités doit permettre que le justiciable n’entretienne aucun doute sur
l’impartialité de la juridiction.
La modification proposée, qui créée une brèche dans le régime des incompatibilités en ce
qu’il permet (ou contraint) un membre d’une juridiction de ne plus présenter cette
apparence d’impartialité, en participant au traitement d’un litige alors qu’il entretient un
lien de parenté avec l’avocat de l’une des parties, met à mal le principe même, d’ordre
public, de l’impartialité objective des juridictions.
On peut d’ailleurs se demander si l’adoption d’une telle règle, en droit interne, n’aurait
pas pour conséquence de violer le droit à l’accès à un tribunal indépendant et impartial
consacré par l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
b. La modification du contenu de l’article 304 n’est pas nécessaire
Quoique les incidents comparables à celui qui a suscité le dépôt de la présente
proposition sont particulièrement rares, il est bien entendu nécessaire de pouvoir y
apporter des solutions.
L’Ordre des barreaux francophones et germanophone souligne à cet égard que les règles
déontologiques professionnelles et, le cas échéant, les règles disciplinaires du barreau,
permettent, dans l’état existant du texte de l’article 304 du code judiciaire, de proposer
les outils d’examen et de résolution de ce type d’incident.
L’article 444 du code judiciaire impose aux avocats un devoir de délicatesse que le
conseil de l’Ordre a pour mission de maintenir et de faire respecter en application de
l’article 455 du code judiciaire. En outre, le bâtonnier de l’Ordre dispose d’un pouvoir
d’enjoindre à un avocat de s’abstenir d’intervenir dans un dossier lorsque cette
intervention peut être de nature à causer préjudice à des tiers ou à l’honneur de l’Ordre
et ce en application de l’article 473 du code judiciaire.
Les autorités ordinales disposent donc des moyens leur permettant d’examiner la
situation, selon tous ses tenants et aboutissants et de prendre, le cas échéant, la
décision qui s’impose pour éviter que se présente une situation d’incompatibilité telle que
régie par l’article 304 du code judiciaire lorsque ceci s’avère nécessaire.
Le Conseil Consultatif de la Magistrature a rappelé à cet égard, de manière pertinente,
dans son avis, une décision du conseil de l’Ordre français du barreau de Bruxelles :
« Si Me X a pu, en conscience, accepter de se charger de la défense de
Monsieur Y, son devoir de délicatesse lui impose d’avoir égard à
l’ensemble des conséquences de son intervention tant pour la
magistrature que pour ses confrères et les clients de ceux-ci. Le Conseil
de l’Ordre considère que Me X manquerai au devoir de délicatesse si, dans
les circonstances de l’espèce, il maintenait son intervention en tant que le
conseil de Monsieur Y. »
L’incident concerné peut donc être rencontré par l’application des règles existantes.
3
(Cass., 9 janvier 2002, Pas. 2002, p.43).
2
Proposition de loi interprétative de l’article 304 du code judiciaire – 295
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3. 2. La modification proposée ne permet pas nécessairement d’atteindre le
résultat poursuivi et peut générer de nouvelles difficultés
a) L’objectif poursuivi n’est pas nécessairement atteint
Le dernier état de la proposition (amendement n°6) prévoit que le membre de la
juridiction ne doit toutefois pas s’abstenir lorsque se présentent les circonstances
évoquées à l’alinéa 2 du nouvel article 304 du code judiciaire.
Cette formulation est ambiguë puisqu’elle peut signifier soit que le juge ou les autres
membres de la juridiction ont la faculté de choisir de s’abstenir ou non de poursuivre le
traitement du litige, soit que le juge ou les autres membres de la juridiction sont
contraints de poursuivre leur intervention malgré le lien de parenté avec l’avocat d’une
des parties.
La nuance entre ces deux alternatives est de taille et l’ambiguïté doit absolument être
levée.
Si l’on considère que le juge ou les autres membres de la juridiction disposent du choix
de s’abstenir ou non, on se trouve donc d’abord dans une situation d’incertitude totale
dont l’issue dépendra non plus de l’application du critère de l’apparence d’impartialité
objective mais bien de la décision personnelle du membre de la juridiction concernée qu’il
prendra vraisemblablement en raison de son sentiment d’impartialité subjective. Ceci
paraît peu souhaitable.
En tout état de cause, si le juge ou les autres membres de la juridiction s’abstiennent,
l’objectif poursuivi n’est pas atteint puisque le procès est interrompu.
Si le juge ou les autres membres de la juridiction ne s’abstiennent pas, ils imposent
alors aux autres parties au procès une situation de parenté avec l’avocat d’une des
parties au litige qui est susceptible d’inspirer à ces autres parties des doutes quant à
l’impartialité réelle de la juridiction (l’effet induit est alors parfaitement contraire au
fondement de l’article 304 du code judiciaire). Si le membre concerné de la juridiction
est un juge, les parties au procès, qui nourriront certains doutes quant à l’impartialité
réelle de la juridiction, pourront déposer une requête en récusation pour suspicion
légitime en application de l’article 828, 1° du code judiciaire; l’incident né de cette
demande devra être traité par une autre juridiction et si la suspicion légitime est retenue
(ce qui risque d’être souvent le cas), l’affaire devra être confiée à un autre juge :
l’objectif poursuivi ne sera pas atteint puisque le procès sera suspendu.
Si l’on considère, par contre, que le membre de la juridiction est dorénavant contraint de
poursuivre son intervention, on se retrouve alors dans la seconde branche de l’alternative
décrite ci-dessus. La règle risque ici également de ne pas atteindre l’objectif poursuivi. 4
La règle aurait pour effet d’imposer, sans recours possible (à l’exception du juge, cfr. ci-
dessus), l’intervention d’un membre du tribunal lié à l’avocat ou au mandataire d’une des
parties par un lien de parenté considéré suffisamment étroit pour justifier un doute à
l’égard de l’impartialité objective de la juridiction !
4
L’Ordre des barreaux francophones et germanophone rappelle que la règle selon laquelle le membre de la
juridiction concerné par le lien de parenté serait contraint de poursuivre le traitement du litige malgré ce lien de
parenté est en opposition avec le principe d’impartialité objective qui sous-tend l’incompatibilité de l’article 304
du Code judiciaire et pourrait être jugé contraire au droit d’accès à un tribunal impartial et indépendant consacré
par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
3
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4. b) La modification proposée peut générer de nouvelles difficultés
Divers moments–charnières, permettant de départager les situations soumises au
principe général de l’incompatibilité et des situations soumises au régime dérogatoire,
objet de la proposition, ont été proposés.
Actuellement (amendements n°5 et n°6) il est proposé que le régime dérogatoire entre
en application lorsque l’incompatibilité résultant de la parenté se révèle en cours de
procédure à l’occasion de l’intervention de l’avocat ou du mandataire d’une partie et
après que cette partie a pris connaissance ou aurait pu raisonnablement prendre
connaissance de la composition de la juridiction qui examine l’affaire.
L’Ordre des barreaux francophones et germanophone précise tout d’abord qu’il se rallie
aux observations qui ont été formulées antérieurement, pour les autres suggestions de
moments–charnières, telles que formulées par le Conseil Consultatif de la Magistrature
et par l’Orde van de Vlaamse Balies.
Le dernier critère proposé, même s’il présente l’avantage de ne pas être figé, est
néanmoins source d’une réelle incertitude.
Il n’existe en effet pas de cadre légal ou réglementaire qui organise l’information des
parties relativement à l’identité des membres de la juridiction appelés à participer au
traitement d’un litige. Si certaines initiatives locales ont été prises soit par des
juridictions soit en concertation entre les juridictions et les barreaux, elles ne concernent
toutefois que la mise à disposition de ce type d’information à l’égard des avocats et non
pas à l’égard des parties. Il n’est, en conséquence, pas possible de disposer d’un critère
réellement objectif permettant d’identifier le moment où une partie à un litige a pris
connaissance ou aurait pu prendre connaissance de l’identité des membres la juridiction
appelés à participer au traitement de l’affaire.
Or, dans le système proposé, on doit supposer que c’est le juge chargé du traitement de
l’affaire qui, pour déterminer si c’est le régime général de l’incompatibilité ou le régime
dérogatoire qui s’applique, devra rechercher à quel moment la partie concernée a eu
connaissance ou aurait pu raisonnablement prendre connaissance de la composition de la
juridiction. Il sera donc de la sorte amené non seulement à apprécier quel régime doit
s’appliquer mais encore la consistance concrète du critère départageant l’application des
deux régimes5.
En outre, et ainsi que déjà développé par plusieurs avis communiqués à la Commission
de la Justice, la composition d’une juridiction appelée à trancher un litige est loin d’être
figée. Ainsi, si le règlement d’ordre intérieur d’une juridiction peut prévoir quels sont les
magistrats affectés au service d’une chambre particulière et quels sont les jours auxquels
ils siègent habituellement, des modifications peuvent intervenir entre le moment où
l’affaire est attribuée à cette chambre et le moment où elle est effectivement examinée
en raison par exemple d’une nouvelle affectation temporaire d’un membre du personnel à
une autre fonction (une autre chambre, un autre service, une fonction en dehors du
tribunal), d’une promotion, d’une absence pour cause de maladie ou encore d’un décès.
Il se peut donc parfaitement que les membres d’une juridiction qui assument le
5
Une conception saine du règlement de ce type de conflit nécessiterait que ce soit un autre juge que celui
concerné par le problème de l’incompatibilité qui apprécie quel est le moment à partir duquel une partie a pris
connaissance ou aurait dû raisonnablement prendre connaissance de la composition de la juridiction.
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5. traitement effectif d’un litige ne soient pas ceux dont l’intervention a été un moment ou à
un autre prévue selon l’organisation du tribunal.
Il paraît incontestable que la mise en œuvre du système, quel que soit le moment le
moment-charnière proposé soit la source de discussion et éventuellement de conflit
nouveau.
* * *
Pour les raisons évoquées ci-dessus, l’Ordre des barreaux francophones et
germanophone n’est pas favorable à l’adoption de la proposition de loi et des
amendements même si la dernière version de la proposition, telle qu’elle résulte des
amendements 5, 6 et 7, a déjà répondu à diverses observations formulées tant par
l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone que par l’Orde van de Vlaamse
Balies, le Conseil d’Etat et le Conseil Consultatif de la Magistrature.
Pour l’O.B.F.G.
Yves Kevers, avocat au barreau de Liège
11 octobre 2011
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Proposition de loi interprétative de l’article 304 du code judiciaire – 295
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