Lorsque l’on est confronté à une avarie sur un équipement, les réactions
et les méthodes de mise en oeuvre de plans d’action diffèrent
très sensiblement selon les entreprises et les secteurs industriels.
Les contraintes bien spécifiques et l’environnement souvent hostile
dans lequel évolue le navire en navigation(1), imposent un état d’esprit
bien particulier dans le traitement de la panne d’un équipement
embarqué.
Rôle de la société civil en termes de sécurité Maritime - Sid’Amed Abeid
Attitude face aux avaries en mer
1. Tribune libre
PRODUCTION MAINTENANCE ➤ JANVIER, FÉVRIER, MARS 2013 ➤ PAGE 58
Rien de telle qu’une avarie majeure
en plein milieu d’une mer démon-
tée pour faire monter l’adrénaline de
l’équipage et remettre en question ses
certitudes de terriens. Tout marin, qu’il
soit plaisancier sur son bateau « pêche
promenade » ou capitaine d’un super-
tanker type ULCC(2)
, a dû un jour subir(3)
une panne sur un équipement important(4)
pouvant, le cas échéant, obérer la sécu-
rité nautique et/ou celle des personnes
à bord.
Même si les fonctions les plus sensibles
à bord bénéficient toutefois de redon-
dances pour justement pallier une avarie
majeure et maintenir ainsi le bateau à flot
en toute sécurité, un équipage adopte très
rarement une attitude désinvolte lorsqu’il
est confronté à un dysfonctionnement ou
Lorsque l’on est confronté à une avarie sur un équipement, les réac-
tions et les méthodes de mise en œuvre de plans d’action diffèrent
très sensiblement selon les entreprises et les secteurs industriels.
Les contraintes bien spécifiques et l’environnement souvent hostile
dans lequel évolue le navire en navigation(1)
, imposent un état d’esprit
bien particulier dans le traitement de la panne d’un équipement
embarqué.
à la perte d’un équipement majeur ; de
surcroît si le bateau se promène au milieu
de nulle part. Dans une telle situation,
il est par ailleurs toujours plus prudent
de ne pas oublier que la loi de Murphy
(« Si une chose peut mal tourner, elle
va infailliblement mal tourner. ») n’est
pas nécessairement restée à quai et
qu’elle peut également s’appliquer en
pleine mer…
Une avarie ? :
une attitude, un objectif
En pleine mer, une panne doit toujours
être appréhendée avec sérieux et atten-
tion ; et ceci quelque soit la nature de
la panne, la fonction opérationnelle
assurée ou le type d’équipement en
cause. Une investigation minutieuse, une
analyse exhaustive des risques et un plan
d’action complet doivent être toujours
menés sans délai. L’équipage se doit
également d’être pleinement conscient
de la situation et des probables consé-
quences induites par une panne.
Dès lors qu’une avarie majeure survient
en pleine mer, il convient d’adopter une
attitude telle que l’on sera sûr de pouvoir
la traiter correctement, rapidement et de
manière fiable, quelles que soient les
conditions dans lesquelles cette avarie
apparaît. Tout en affichant une certaine
sérénité, il est primordial qu’à tout instant,
et en particulier en gestion de crise(5)
,
l’équipage fasse montre de sang-froid,
d’enthousiasme et de détermination tout
en sachant prendre suffisamment de
hauteur et de recul sur l’évènement. Si ce
type d’attitude dépend sensiblement de la
personnalité de chacun, une réflexion
approfondie préalable par « temps calme »
est fortement recommandée. C’est ce qui
est d’ailleurs pratiqué par les soldats
prévus d’être déployés en zones de conflits
dans lesquelles la gestion de crise en
milieu hostile est une tâche quasi quoti-
dienne. Il s’agit, entre autres, de visuali-
ser les différentes conditions critiques dans
lesquelles ils risquent d’être confrontés et
de pousser une réflexion personnelle sur
soi-même quant aux réactions à avoir et
la posture à adopter.
Une avarie doit également être traitée dans
le cadre d’une analyse des risques tech-
niques intégrant impérativement :
- le respect de la SST ;
Retour d'expérience
L'attitude à adopter
face à une avarie
DR
(1) Isolement, exigüité, mauvaise météo,
mouvements de plateforme, restrictions
logistiques, communication aléatoire, etc.
(2) ULCC : ultra large crude carrier
(déplacement pouvant dépasser 600 000 tonnes)
(3) Tant soit qu’il navigue régulièrement
(4) Exemple : moteur propulsion, appareil à
gouverner, groupe de réfrigération, groupe
électrogène,…
(5) Du type de la gestion d’une avarie grave
2. Tribune libre
- la sécurité nautique ;
- et, autant que possible, la continuité de la mission du navire
(transit, pêche, opérations scientifiques, ravitaillement à la
mer, etc.).
Par ailleurs, la volonté de réparer pour tendre vers un état
de disponibilité opérationnelle nominale, doit, autant que faire
se peut, demeurer l’unique cible à atteindre. On ne peut en
effet se satisfaire d’une situation dégradée sans avoir le senti-
ment d’avoir tenté tout ce que l’on peut. Pour autant, il n’est
bien entendu pas question d’obtenir au final un équipement
quasi-neuf. Une réparation de fortune provisoire peut être
entièrement satisfaisante dès lors que la fonction demandée
par l’équipement est, au final, assurée.
Un état d’esprit conquérant
Pour entamer les opérations de maintenance corrective consé-
cutives à une avarie (i.e. stabilisation de la situation, investi-
gation, réfection et surveillance), l’équipe en charge des
réparations doit impérativement adopter un état d’esprit
conquérant pour tendre vers son objectif dans les meilleurs
délais et pour une durée suffisante(6)
. La réflexion et le plan
d’action sont à mener de telle manière à ne pas faire incons-
ciemment abstraction de certains facteurs(7)
ainsi qu’à ne pas
passer à côté de solutions qui pourraient être évidentes et
rapides à mettre en œuvre. Dans ce sens, on ne se privera
pas d’utiliser de manière judicieuse des outils d’aide à l’in-
vestigation et à la résolution de problèmes (ex. : MAXER,
AMDEC, 5W+2H, Ishikawa, etc.). Par ailleurs, tout au long
du traitement de la panne, il convient de faire preuve de pugna-
cité, de ténacité et de persévérance. On s’interdira cepen-
dant tout entêtement pouvant parfois conduire à adopter des
solutions erronées ; une capacité de remise en cause savam-
ment dosée est très souvent payante.
Une ressource humaine nominale
Il n’échappe à personne que, sur un navire en pleine mer,
les ressources humaines sont très limitées, restreignant en
particulier les compétences et la main d’œuvre. C’est pour-
quoi, face à une avarie majeure, il est important que tout le
monde disponible à bord(8)
puisse, le cas échéant, être solli-
cité. Tout l’équipage doit en effet se sentir concerné par une
panne et, dans la mesure du possible, être impliqué dans la
résolution du problème. L’esprit d’équipage, dans lequel l’ex-
pression « tous dans le même bateau » doit alors prendre
tout son sens et devenir un atout. Si la panne dépasse les
compétences de l’équipe de réparation, le capitaine d’un navire
s’assure alors que l’ensemble de son équipage puisse avoir
l’opportunité de donner son avis(9)
. Et ce quelque soit le grade,
l’ancienneté ou les fonctions à bord. La synergie et l’empa-
thie doivent ainsi être favorisées.
PRODUCTION MAINTENANCE ➤ JANVIER, FÉVRIER, MARS 2013 ➤ PAGE 59
(6) C’est-à-dire, au mieux jusqu’au retour au port ou, au moins, jusqu’à ce
que le navire trouve un mouillage sûr
(7) Humains, environnementaux, financiers, opérationnels,…
(8) C’est dire la totalité de l’équipage et, le cas échéant, les passagers
(9) Pertinent ou non
3. Tribune libre
L’aspect formation et entraînement du
personnel doit demeurer une des priori-
tés du capitaine du navire en s’assurant que
son équipage soit correctement préparé
et puisse être capable de faire face à une
avarie en pleine mer quel que soit le
contexte. Cette préparation, bien avant l’ap-
pareillage, passe par plusieurs étapes :
- acquisition et révision des connaissan-
ces théoriques relatives aux équipe-
ments embarqués
- entraînement à la conduite en condi-
tions normales puis dégradées
- acquisition des connaissances relative
à la maintenance des équipements
(niveaux 1 à 3) et pratique régulière des
opérations de maintenances préventive,
corrective et prédictive
- réflexion sur les méthodes et les tech-
niques de réparation des équipements
en fonction du type d’avarie ; un maxi-
mum de cas, notamment non confor-
mes, doit être étudié.
Une intervention technique
audacieuse
Dans la recherche de solutions de répa-
rations pour rendre l’équipement en
panne de nouveau disponible opération-
nellement, il est indispensable de faire
preuve d’audace, d’innovation, d’imagi-
nation et d’ingéniosité. Si l’on doit, dans
un premier temps, envisager des solu-
tions de réparations classiques et maîtri-
sées, il ne faut néanmoins, par la suite,
écarter aucune piste. Une solution qui,
à première vue, semble farfelue, peut
constituer, au final, une base de répara-
tion fiable, pertinente et durable.
Par ailleurs, comme beaucoup de systè-
mes isolés, un navire en pleine mer
souffre d’un évident déficit logistique,
en particulier en termes de pièces de
rechange et d’outillage. L’exigüité à bord
ainsi que de coût d’acquisition et de stoc-
kage limitent le volume d’embarquement
de matériel relatif à la maintenance. Une
étude sur une logistique stratégique
opérationnelle embarquée est néanmoins
menée avant chaque appareillage. Pour
autant, certaines avaries non conformes
ou inopinément récurrentes(10)
devien-
nent difficiles à gérer en cours de navi-
gation. C’est alors qu’adopter un état
d’esprit « Géotrouvetout » constitue un
réel atout. Dans le compartiment machi-
nes des navires, il est fréquent de parler
du kit de réparation « TSB » (pour
« trombone, Schotch™ et croûte de
Babibel™ ») du fait qu’il illustre parfai-
tement l’utilisation des moyens du bord
qui paraissent à première vue pour le
moins dérisoires compte tenu de l’am-
pleur de certaines avaries, mais qui, dans
bien des cas, « sauve » une mission.
À titre d’exemples nous pouvons citer
plusieurs cas de réparations de fortune
« réussies » grâce aux moyens du bord
et au « système D ».
Photo n°1. Seule source de production
d’eau douce à bord d’une frégate de
surveillance, la fuite permanente d’un
raccord du bloc filtre, survenue en pleine
mer en cours de mission, n’a pu être
résolue que par l’utilisation de morceaux
de tiges filetées, de petites barres profi-
lées et de colliers de serrage en plastique.
Cette réparation a permis de terminer le
dernier mois de mission.
Photo n°2. La perforation d’un collec-
teur d’eau de réfrigération d’un moteur
de propulsion a été colmatée grâce à une
bande caoutchouc, une tige métallique et
deux colliers de serrage métalliques. La
disponibilité du moteur a été retrouvée
en moins d’une heure.
Photo n°3. Le tube percé d’un réfrigé-
rant d’huile moteur a durablement été
tamponné à l’aide d’une vis et de la pâte
à joint.
Ajoutons par ailleurs que des cartes de
navigation périmées sont régulièrement
utilisées pour palier un déficit ponctuel
de joints plats.
Par la suite, il est important que, une fois
la solution de réparation adoptée et mise
en œuvre, un système de surveillance
renforcé et adapté soit mis en place.
Certaines réparations de fortune innovan-
tes et réalisées avec des pièces de rechange
ou des matériaux non conventionnels
nécessitent d’être tout particulièrement
vigilant. De la même manière, leur fiabi-
lité dans le temps ainsi que les paramètres
de fonctionnement doivent être minutieu-
sement suivis.
L’ingéniosité, l’audace et la pugnacité
alliées à une ferme volonté de reconquête
de la part de l’ensemble des ressources
humaines utilisant la totalité des moyens
disponibles à bord, sont les ingrédients
indispensables pour faire face à des
avaries majeures ■
Lionnel Parant
Officier mécanicien – Ingénieur
maintenance
MIMarEST-MRINA-MNI- MSNAME
marine.maintenance.management@gmail.com
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DRDRDR
Photo 1
Photo 2
Photo 3
(10) À la suite par exemple d’un
dysfonctionnement dû à une mauvaise opération
de maintenance réalisée préalablement à terre.