Présentation de Bernard Delavois. Chef de service en médecine palliative. Hôpital de Pontoise (Val d'Oise).
Plan de la présentation :
1. Le débat en France
2. Les alternatives
3. Légalisation
4. Travail de recherche avec collègues belges
5. Méthodologie
(Questions éthiques et documentation)
CRISE - INSTITUT ÉTÉ 2013 - Bernard Delavois - Euthanasie : le modèle belge vu de France. Un exemple à suivre ou à éviter ?
1. Euthanasie : le modèle belge vu de France.
Un exemple à suivre ou à éviter ?
Dr B Devalois
Service Médecine Palliative. CHRD Pontoise. France
2. Débat en France
Proposition 21 du candidat F Hollande : Je proposerai que toute
personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie
incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique
insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des
conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance
médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité »
3. Les alternatives
• Renforcement dispositif Loi 2005 (respect des
volontés des patients)
• Recours à la sédation (devoir pour les
médecins ou droit opposable pour les
patients)
• Création d’un droit à l’assistance
pharmacologique au suicide
• Légalisation des injections létales à la
demande du patient
4. Légalisation des injections létales
• Modèle Benelux(notammentmodèle belge
présentécomme répondantà la volontédu
patientsans aucune dérive).
• Nombreusespropositions de loi déposées au
Parlement « copier/coller» de la loi belge
5. Travail de recherche auprès de
collègues belges
• Questionnement sur l’impact pour des
professionnels de santé impliqués dans des
structures spécialisées en soins palliatifs
• Questionnement sur l’adéquation entre
principes fondateurs du dispositif et
application réelle.
• Quid de la « pente glissante » ? (slippery
slope)
6. Eléments de méthodologie
• Questionnaireenvoyé à des professionnelsde
santé francophones,impliquésdans le domaine
de l’accompagnementde fin de vie, via les
plateformes de soins palliatifsfrancophones.
• Vingt mails envoyés,19 réponses.
• Quinze réponses exploitables7 médecins,8
d’infirmièresdont 13 avec expérience
personnellede pratique d’injections létales.
• Quatre inexploitables(dont 2 plaidoyers PRO, 1
plaidoyer ANTI).
ETUDE QUALITATIVEvs datas publiées …
7. La volonté du législateur belge
Loi du 28 mai 2002 adoptée avec un triple
objectif :
• Supprimer les euthanasies clandestines;
• Réserver aux seuls médecins la pratique des
euthanasies ;
• Garantir la mise en œuvre de la volonté du
patient.
8. 1/ La loi a-t-elle supprimé les
euthanasies clandestines ?
« La question des euthanasies clandestines est
secondaire. Il en existe toujours
probablement mais si la légalisation a permis
que certaines se fassent dans la légalité, et pas
en cachette comme avant. C’est déjà très
important. Ca prouve que ça peut se faire de
façon correcte. Mais ça n’a pas changé le
monde. Des euthanasies clandestines ça se
fait encore bien sûr, pour éviter des papiers
notamment. »
9. La loi a-t-elle supprimé les
euthanasies clandestines ?
• « Je ne pourrais pas les chiffrer, je ne sais pas s'il y en a moins
mais je me demande si elles ne sont pas devenues
"normales" vu la désinformation médiatique qui parle d'un
"droit" à l'euthanasie, en banalisant la chose, en éludant la
réflexion autour de cette question éthique. »
• « Les infirmières du domicile rapportent des pratiques qui les
choquent comme l’augmentation des doses de morphiniques
non justifiée par l’état du patient. Ces pratiques existent, sont
difficiles à chiffrer. »
• « La législation ne semble pas avoir réellement mis fin aux
euthanasies clandestines. »
10. En Belgique toutes les euthanasies
sont légales …
• « Bien sûr qu'il existe toujours des "morts données" hors la loi
et celles là, le plus souvent sans réelle demande du patient
(on ne peut dès lors parler d'euthanasie selon les Arrêtés
Royaux belges : euthanasie : "acte, pratiqué par un tiers, qui
met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la
demande de celle –ci »). Je n'ai pas de chiffre à donner mais
ces pratiques sont régulières.»
• « La Commission fédérale de contrôle n’étudie les dossiers de
demandes d’euthanasie qu’après la pratique de l’euthanasie.
Ainsi, on peut imaginer que seuls les médecins pratiquant des
euthanasies dans le cadre de la loi envoient leurs dossiers. »
11. KennethChambaere PhD,Johan BilsenRN PhD, JoachimCohen PhD,
BregjeD.Onwuteaka-PhilipsenPhD,FreddyMortierPhD, Luc DeliensPhD
CMAJ 2010.DOI:10.1503
Physician-assisted deaths under the euthanasia law in Belgium :
a population-based survey
12. Social Science & Medicine 75 (2012)845e853
Présentation à un panel de 5 vignettes détaillées :
Demande explicite sauf cas 2
Cas 1 sédation terminale.
Cas 2 injection létale sans demande du patient.
Cas 3 Euthanasie par injection d’un curare
Cas 4 Augmentation progressive morphiniques.
Cas 5 Surdosage létal en morphine.
13. Social Science & Medicine 75 (2012)845e853
Demande de classificationet d’évaluation des
différents cas par des médecins flamands (n=480)
ou wallons (n = 305) : avez vous déjà pratiqué ?
Pensez vous que le cas doit ete déclaré ? Est ce que
vous l’auriez déclaré ? Comment caractérisez vous
ce cas ? (sédation terminale/injectionlétale sans
demande explicite du patient/ Euthansie/
Soulagement de la douleur avec possible
raccourcissement de la vie/autre)
18. 2/ La loi a-t-elle supprimé la pratique
des euthanasies par non-médecins ?
• « L'injection létale ne devrait jamais être
pratiquée par du personnel infirmier mais il
est très possible que ce soit quand même le
cas. »
• « J’ai lu des choses dans la presse mais c’est
hors cadre légal. Il semble que dans certaines
maisons de retraite des infirmières aient
pratiqué des injections létales. Pour moi ce
n’est pas de l’euthanasie, c’est un crime. »
19. La loi a-t-elle supprimé la pratique des
euthanasies par des non-médecins ?
• « C'est au médecin de le faire, moi, en tant
qu’infirmière, je refuse de le faire. Mais cela a déjà
eu lieu bien sûr. »
• « C'est interdit et les confrères prennent, ici, leurs
responsabilités.Pour les "dons de mort" (accélération
de la survenue du décès par injection létale en
dehors d’une demande explicite du patient du fait
de son état), c'est souvent l'infirmière qui pose la
perfusion. »
20. The role of nurses in physician-assisted deaths in Belgium
Els Inghelbrecht MA, Johan Bilsen RN PhD, Freddy Mortier
PhD, Luc Deliens PhD
21. Conclusion : By administering life-ending
drugs at the physician’s request in some
cases of euthanasia, and even more so in
cases without an explicit request from the
patient, the nurses in our study operated
beyond the legal margins of their
profession.
The role of nurses in physician-assisted deaths in Belgium
Els Inghelbrecht MA, Johan Bilsen RN PhD, Freddy Mortier
PhD, Luc Deliens PhD
23. 3/ La volonté des patients est-elle
respectée ?
• « Disons que les euthanasies ne se font pas toujours dans le
cadre de la loi : dans certains cas : pas forcément d’accord
clair du patient, ex : proposition par le médecin traitant à un
patient âgé (non demandeur !!) de l’euthanasier, pas toujours
de réel 2ème avis médical, patients non en mesure de
s’exprimer avec demande de la famille et non de déclaration
anticipée/personne de confiance, ou exprimé une fois
seulement, décision rapide. »
• « Il s’agit parfois d’une demande de la famille quand la
personne n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, pas
forcément de la personne de confiance. »
24. Kenneth Chambaere PhD, JohanBilsen RN PhD, Joachim Cohen PhD,
Bregje D. Onwuteaka-Philipsen PhD,FreddyMortier PhD,LucDeliens PhDCMAJ 2010. DOI:10.1503
25. 4/ La loi a-t-elle modifié les pratiques
d’acharnement thérapeutique ?
• « L’acharnement thérapeutique est toujours présent, car à
mon sens les médecins n’ont pas compris ce que c’était.
D’ailleurs c’est parfois difficile à définir clairement dans
certaines situations cliniques. Donc ils le pratiquent sans réelle
conscience d’en faire. Ils ne font pas le lien avec l’euthanasie,
ça n’a rien changé. »
• « L'obstination déraisonnable persiste à grande échelle;
ponctuellement, les équipes de soins palliatifs travaillent à la
limiter; ce sont elles les moteurs de la philosophie de
désescalade thérapeutique. C'est l'acharnement qui a
souvent pour corollaire une demande d'euthanasie. »
26. La loi a-t-elle modifié les pratiques
d’acharnement thérapeutique ?
• « Les acharnements se portent toujours aussi bien. J’entends
les commentaires des infirmières qui travaillent dans tous les
services possibles, et la litanie est toujours la même : les
médecins n’ont aucune formation, ne se forment pas, ne
donnent pas d’antalgiques ou pas les bons, s’acharnent,
n’écoutent ni les patients ni les soignants. Quand on met la
charrue avant les boeufs : quand on donne une solution
«facile» pour en finir avec une situation ingérable à des
médecins qui ne savent pas quoi faire d’autre, l’euthanasie est
une réponse évidente et elle devient une demande normale
des patients qui ne veulent plus finir à petits feux en
souffrant.»
27. 5/ Quels impacts psychologiques de la
pratique de l’euthanasie ?
• « Dans les médecins, il y en a pas mal pour lesquels cette
démarche est très difficile mais d'autres pour lesquels cela ne
pose aucun problème. »
• « C’est compliqué sur le plan émotionnel. Moi je le fais pas
souvent, mais quand je le fais, après, je ne suis pas bien. Je
suis dans un état particulier, paisible, planant. Ça dure 2 ou 3
jours. Je le vis assez difficilement. Ça a des répercussions sur
moi, il y a des implications personnelles. Si je ne me sens pas
bien, je ne le fais pas de toute façon. »
28. Quels impacts psychologiques de la
pratique de l’euthanasie ?
• « Il n’y a aucune étude faite sur le sujet. En revanche il est
évident qu’une euthanasie n’est pas une pratique anodine,
qu’elle implique des émotions violentes, plus ou moins fortes
selon l’attachement ou le lien crée avec la personne. »
• « J’ai une collègue qui était psychologiquement très mal et
incapable d’assumer mais qui se sentait obligée de dire oui
(pas d’objection de conscience mais fragilité émotionnelle
personnelle non respectée : haut risque de décompensation
psy). »
• « La conséquence de ce passage à l’acte euthanasique reste
pénible pour la majorité, malgré l’aide solidaire de confrères
choisis. »
29. 6/ Comment sont pratiquées
concrètement les euthanasies ?
• « Il existe des kit d’euthanasie enpharmacie pour la pratique des
euthanasies à domicile, ou en maison de retraite. »
• « Les euthanasies autorisées par la loi sont effectuéessoit à
domicile soit en milieu hospitalier. Il existe sur le net une "recette"
concernantcette euthanasie. Il faut savoir que les curarisantsqui
sont préconisés ne sont disponiblesqu'enmilieuhospitalier... »
• « La commission fédérale de contrôle de la loi et les instances
professionnelles médicales et pharmaceutiques se sont mises
d’accordsur une procédure : injection en IV, par le médecin, d’une
substance sédative, souvent d’abord le Midazolam puis du
Phénobarbital pour endormir profondément le patient ; puis
injection d’une substance curarisante,toujours par le médecin. »
33. 7/ Comment est apprécié le critère
légal de la souffrance psychique ?
• « La souffrance psychique est évidemment un critère très
subjectif et il reste des médecins pour lesquels la souffrance
est une des conditions de la nature humaine avec tout ce que
cela peut comporter comme comportement et dérives. »
• « C’est très subjectif : avant, on aurait accompagné, mais
maintenant si le patient rejette tout y compris
l’accompagnement / dialogue, on ne peut rien faire. »
• « Subjectivement. De toute façon, le médecin n'est pas là pour
donner son avis (jugement) mais pour bien s'assurer qu'il n'y
a pas d'autre solution que celle demandée par le patient. »
34. 8/ Fonctionnement de la Commission
fédérale de contrôle
• « A ce jour, aucun dossier n’a fait l’objet de poursuite a
posteriori. Je pense que, seulement quelques dossiers ont fait
l’objet d’une demande de renseignements complémentaires.
Je n’ai pas d’avis formel sur le fonctionnement de cette
Commission, sauf, que chacun de ses membres me semble
favorable à l’euthanasie. »
• « Il y règne, clairement, une quasi unanimité qui pourrait être
suspecte. »
• « Vu la diversité des personnes présentes, j’ai tendance à leur
faire confiance, et cela fait assez peur aux médecins de
remplir le formulaire après, cela décourage certains qui
préfèrentencore les pratiques clandestines de sédation et
d’accélération ! »
35. 9/ Jugement global, remarques ?
• « Le plus gros problème pour moi c'est cette désinformation,
banalisation médiatique et autre... les "gens" pensent
vraiment qu'ils ont maintenant "droit" à l'euthanasie et les
familles pensent qu'elles peuvent l'exiger pour un de leur
proche....»
• « Je travaille depuis plusieurs années dans une unité qui
pratique les euthanasies ce qui me pousse dans mes
réflexions personnelles et me donne l’opportunité d’exercer
mon jugement. Il est souvent difficile pour moi de travailler
dans ce service, car je suis profondément convaincue au fil de
mon expérience de la non nécessité de légaliser l’euthanasie. »
• « Un seul conseil : résistez ! »
40. Elle rappelle au demeurant que
tout déplacement d’un interdit
crée d’autres situations limites,
toujours imprévues initialement et
susceptibles de demandes
réitérées de nouvelles lois. À titre
d’exemple, en Belgique, vingt-cinq
projets d’extension des cas de
figure prévus par la loi ont été
proposés depuis 2002.
41. Conclusion ?
• Dispositif belge souvent présentécomme un modèle à
suivre
• Bien différencier 2 aspects
– Le dispositif législatif
– Sa mise en œuvre
• Du suicide médicalement assisté à la pratique
d’injections létales hors du cadre
• D’un encadrement strict à un élargissement progressif
des indications
• La question du contrôle a posteriori …
• Un dispositif pas forcément transposable ailleurs.
42. La volonté du législateur belge
Loi du 28 mai 2002 adoptée avec un triple
objectif :
• Supprimer les euthanasies clandestines;
• Réserver aux seuls médecins la pratique des
euthanasies ;
• Garantir la mise en œuvre de la volonté du
patient.
43. La volonté du législateur belge
Loi du 28 mai 2002 adoptée avec un triple
objectif :
• Supprimer les euthanasies clandestines;
• Réserver aux seuls médecins la pratique des
euthanasies ;
• Garantir la mise en œuvre de la volonté du
patient.
44. Respecter la volonté du malade : quelle
place pour le tiers « médecin »…
HYLLOS.— Tu m’invites,ô mon père,à me faire ton
meurtrier,à teindremes mains de ton sang !
HÉRACLÈS.— Au contraire,j’attendsde toi l’apaisement
de mes souffrances: tu es mon seul médecin.
HYLLOS.— Et commentte guérirais-jeen te livrant aux
flammes ?
HÉRACLÈS.— Si cette idée te fait horreur,exécuteau
moins le reste.
HYLLOS.— Je ne me refuseraipas à te porter là-haut.
HÉRACLÈS.— Ni à dresser le bûcher, ainsiqu’il a été dit ?
HYLLOS.— Exceptéd’y mettrela main,je veilleraià
tout, et tu n’auras rien à me reprocher.
45. Merci de votre attention !
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