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Protection de l’enfance
Actes
de la formation-action
sur la reproduction
transgénérationnelle
(2010-2012)
Maison départementale des solidarités
de Coulommiers
www.seine-et-marne.fr
ARTEFA - directrice Maria Maïlat
artefa17@yahoo.fr
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 3
PRÉAMBULE
Le Schéma départemental de l’enfance, de l’adolescence et de la famille énonce dans ses
principes d’action que :
« protéger un enfant, c’est accompagner le parent dans son rôle éducatif, en prenant
appui sur ses compétences parentales et en valorisant ses savoir-faire », confirmant
ainsi la priorité donnée au lien enfant-parents ;
« chaque accompagnement proposé aux familles cherche systématiquement à répondre
à l’intérêt de l’enfant, dans le respect de ses droits », mettant l’accent sur la nécessité
de co-construire avec l’enfant et sa famille le projet le plus approprié au moment
considéré, en cohérence avec l’histoire de l’enfant, son vécu et les interventions déjà
existantes et en prenant en compte l’histoire des parents ;
« assurer la cohérence du parcours de l’enfant et de l’adolescent » et donc lui « garantir
une prise en charge éducative adaptée » impose aux différentes institutions et à leurs
intervenants de mieux partager pour mieux comprendre les éléments des parcours de
l’enfant et de sa famille et de se coordonner.
Ce sont ces principes qui ont guidé la démarche initiée depuis 2007 par la Maison
départementale des solidarités (MDS) de Coulommiers, confrontée à des chiffres en constante
évolution dans le champ de la Protection de l’Enfance (informations préoccupantes, mesures
d’action en milieu ouvert et mesures de placement).
Enrichie de deux diagnostics mettant en relief les spécificités des parcours des familles
concernées par le dispositif de protection de l’enfance, les réflexions locale et départementale
ont permis l’inscription de ce territoire dans des actions successives :
le plan expérimental de prévention (PEP) entre 2008 et 2010, toujours poursuivi, qui
offre une intervention médico-sociale individualisée et un accompagnement préventif de
proximité à des familles fragilisées, avec de très jeunes enfants et désireuses d’être
soutenues ;
une formation-action animée par ARTEFA, dans le cadre d’un projet de service, pour
l’ensemble des professionnels de la MDS, portant sur le processus de reproduction
transgénérationnelle de dysfonctionnements intrafamiliaux voire de conduites et de faits
de maltraitance.
Nous vous proposons de prendre connaissance du contenu de cette formation qui répond à la
nécessité, pour les professionnels, de mieux repérer et appréhender l’expression de la
reproduction transgénérationnelle et intergénérationnelle dans le champ de la protection de
l’enfance. Il s’agit de faciliter et enrichir l’accompagnement des familles au moyen de pratiques
professionnelles différentes et innovantes et à partir de repères théoriques d’action
complémentaires.
« Accompagner autrement, c’est penser et agir ensemble autrement » résume l’investissement
et la mobilisation des professionnels de la Maison départementale des solidarités de
Coulommiers.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle4
SOMMAIRE
I. Axes et méthodes de la formation ..........................................................................5
I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance .........................5
I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant..................................................................8
I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de l’enfant ........10
I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition ...................................................14
I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la sérénité..........17
I/6. La force instituante et la méthode du décentrage...........................................................19
I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant ..................21
II. Le Département à travers la Maison départementale des solidarités : garant de
l’inscription de l’enfant dans la société civile.........................................................25
III. La filiation et la généalogie de l’enfant...............................................................26
IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la répétition .....................28
V. Faire la différence entre répétition et transmission ...........................................31
VI. Donner-recevoir-rendre et la reconnaissance ...................................................35
VII. Apports sur l’autorité : les autorités et l’autorité parentale ............................35
VIII. Les métamorphoses du modèle «famille» .......................................................39
VIII/1. Les politiques familiales de l’Etat-nation entre welfare et workfare............................39
VIII/2. Plusieurs modèles de familles cohabitent dans l’histoire de la France ......................40
VIII/3. La filiation est une institution. Lire les liens de parenté autrement.............................42
IX. La parentalité : sens et paradoxes d’un mot promu par les experts ...............44
IX/1. La tentative de donner à ce mot un contenu politique..................................................44
IX/2. La responsabilité en chantier .......................................................................................46
X. Le «pas de côté» anthropologique : l’écriture de l’histoire de vie....................47
XI. Fiche transversale ARTEFA pour les situations complexes ...........................50
XII. Conclusion...........................................................................................................52
Annexes :
1 - Réflexions comparatives entre la méthode ARTEFA et le référentiel d'évaluation CREAI
2 - Bibliographie des auteurs cités par ordre alphabétique
3 - Fiche transversale ARTEFA pour l’analyse d’une situation familiale complexe
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 5
I. Axes et méthodes de la formation
I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance
La formation-action contribue à appréhender et compléter les références et techniques
professionnelles d’intervention dans la famille de l’enfant et auprès de l’enfant. Il s’agit du
corpus de concepts et de leur « mode d’emploi », utilisés sur le terrain à la suite d’une
« information préoccupante », d’un « signalement » ou à la « demande des parents ».
Aujourd’hui, la prévention fait partie de ce processus.
L’évaluation est une méthode censée introduire dans la vie ordinaire et singulière d’une
famille, l’intérêt supérieur de l’enfant et orienter la décision suivant le principe ouvert de son
devenir. Ce devenir est mis à mal par les théories qui accordent un pouvoir dominant au passé
au détriment de l’avenir. Le passé n’existe que dans un processus d’évocation, en fonction des
repères et omissions utilisés par ceux qui mettent en mots ce « passé » de l’enfant. Les
concepts utilisés ont donc un poids déterminant dans la construction du passé. Le devenir de
l’enfant est explicité dans l’article L112-4 de la Loi 2007-293 du 5 mars 2007 - art. 1 JORF 6
mars 2007 consolidé en 2012 : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins
fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits
doivent guider toutes décisions le concernant ».
Au fil des années, depuis la loi de 1989 relative à la prévention des mauvais traitements
à l’égard des mineurs, le placement peut parfois faire écran à la finalité de la protection qui vise
à modifier les conditions de vie afin de satisfaire les besoins de l’enfant et d’assurer son
développement. Cette finalité devrait guider les méthodes d’évaluation et d’intervention à
moyen et long terme. La question centrale est la suivante : quels sont les effets produits par
les interventions et les écrits professionnels pour le bien-être et le développement de
l’enfant ? L’impact réel, concret des pratiques professionnelles sur l’enfant est, pour l’instant,
peu analysé et on constate un manque de repères permettant cette prise de recul. ARTEFA
constate que, sur le terrain, les services produisent des écrits qui contiennent des
« photographies » qui sont souvent réduites à un argumentaire motivant sa prise en charge
et/ou son placement. L’observation est davantage guidée par l’intention de vérifier l’hypothèse
du danger et de proposer une mesure (ou une répétition de mesures). Cette logique qui
cherche à identifier et à extraire du contexte un certain nombre de détails que les
professionnels recomposent, dans un rapport écrit, bloque l’analyse des effets provoqués dans
la vie de l’enfant par les questions qu’on lui pose et par les échanges que l’on a devant lui avec
ses parents. Quels sont les effets des entretiens que certains professionnels ont avec l’enfant
dans le cadre d’une procédure d’information préoccupante, par exemple ? On ne peut guère
imaginer que les questions qu’on lui pose ne génèrent pas des effets sur sa manière de
comprendre le monde dans lequel il vit. Mais est-ce la logique du soupçon, la peur et le
sentiment de danger promus dans les référentiels d'évaluation qui ouvrent l’horizon du devenir
à l’enfant, apportent des stimulants propices à son développement, à ses besoins de liberté, de
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle6
protection et d’appartenance ? Comment dépasser cette logique conflictuelle installée par
l’évaluation pour cheminer vers l’innovation de nouvelles formes de solidarité et d’alliance
éducative proposées aux parents ? Ainsi, il serait temps de revoir la théorie qui bâtit un mur
infranchissable entre le placement familial et l’environnement ordinaire et singulier de la famille
de l’enfant. Cette théorie installe deux familles en conflit que l’enfant est le seul à devoir
« habiter » ou traverser. Sans l’innovation des formes d’alliance éducative autour de l’enfant,
entre adultes qui entament un débat guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant, l’évaluation risque
d’alimenter davantage ce climat de conflit stérile qui oppose - dans un cercle vicieux - les
parents aux professionnels et vice-versa. L’enfant se trouve devant l’injonction implicite de faire
cesser ce vécu de déchirement entre les deux familles en faisant un choix qui le met davantage
en danger. Car s’il choisit sa famille, il est dit qu’il met en échec son placement. Et s’il choisit la
famille d’accueil, il vit un processus d’adoption silencieuse qui lui fait espérer que son
adaptation à la famille de l’assistant familial va lui donner un jour un statut d’enfant réel de ce
salarié. Pas étonnant que dans ces conditions, les logiques institutionnelles prennent plus de
place que la réflexion sur le devenir de l’enfant et les méthodes éducatives qui enrichissent son
développement.
Un premier aspect concret réside dans le domicile de l’enfant. Quel accompagnement pour le
logement des parents, pour que l’enfant se sente chez lui dans sa famille ? Les apports
philosophiques mettent l’accent sur le besoin d’appartenance concrétisé par le fait d’habiter un
chez soi : ce besoin est fondateur du sujet.
Mais l’évaluation des besoins de l’enfant glisse parfois vers une justification du
prolongement des mesures administratives ou judiciaires qui finissent par institutionnaliser
l’enfant dans un espace dit « neutre » qui ne lui accorde aucun accès à un chez soi. Nul ne
peut se développer dans une institution sans acquérir l’expérience et l’ancrage dans sa maison
avec les siens. De plus, l’écart creusé entre l’enfant et ses parents est dédoublé par la rupture
de la vie partagée avec ses frères et ses sœurs. ARTEFA attire l’attention sur le processus
d’institutionnalisation de l’enfant qui grandit entouré de « liens sociaux » professionnels :
l’enfant constate que la vraie vie des professionnels se situe ailleurs, dans un monde qui lui est
interdit. Parfois, l’enfant fait des fugues pour vivre dans le vrai monde, à la recherche d’un
« chez soi » : il rentre chez lui, près de ses parents. Mais ces derniers n’ont pas « évolué », car
les mesures ne sont guère pensées en termes d’accompagnement des parents. Il est
surprenant pour un anthropologue de voir que l’aporie de la séparation ne questionne pas les
experts par le fait qu’une telle mesure génère des mécanismes de destruction des liens sociaux
et affectifs entre les parents et les enfants, sans parler de la négation des contacts avec les
autres membres de la famille. L’enfant est en exil. A quel moment est-il chez lui ? A quel
moment dissipe-t-on le malentendu entre une mesure institutionnelle et le fait d’habiter une
vraie maison avec les siens ?
Dans plusieurs Départements, on constate une augmentation des placements sans pour
autant explorer et soutenir la création des nouvelles rencontres et expériences avec les autres
membres de la « famille élargie » de l’enfant (frères, sœurs, tantes, oncles, grands-parents,
cousins, etc.). Parfois, les a priori négatifs servent de « barrières » pour ne pas aller vers les
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 7
autres membres de la famille élargie. Or, il s’agirait de favoriser la transmission de l’histoire
familiale sans la réduire aux motifs du signalement ou du placement.
Dans la famille élargie de l’enfant, les expériences nouvelles peuvent émerger avec le
soutien et la créativité des professionnels. Les parents ont parfois besoin de ces tiers éclairés
pour refaire connaissance avec leur enfant, le découvrir et lui accorder un autre regard. De
même, la symbolique des grands-parents dans la vie de l’enfant pourrait être portée par le
professionnel. Ce dernier dispose des outils qui rendent possible l’inscription de l’enfant dans
l’arbre généalogique qui est le sien. Le passage d’une génération à l’autre est à intégrer dans le
référentiel des professionnels.
La méthode ARTEFA approfondit la compréhension du besoin d’appartenance de
l’enfant : ce besoin se concrétise par le domicile. Le « chez soi » de l’enfant ne devrait pas être
« absorbé » par une institution, même dans le cadre du placement familial. La demeure,
l’habitation constituent le vecteur de la prise de conscience de notre être au monde (Heidegger,
2011). Nous habitons un monde dans lequel chacun établit son identité en fonction d’un chez
soi, d’un village, d’un quartier, d’une maison ou d’un appartement. Or, depuis peu, on constate
que l’institution envahit le domicile et génère un paradoxe de taille : on parle du « placement au
domicile des parents ». Hormis le paradoxe philosophique, cette « extension » pose d’autres
problèmes, tel que le déni du principe républicain du respect de l’espace privé de la famille. On
retourne le dedans comme un gant et on l’expose au regard des étrangers-professionnels
comme s’il s’agissait d’une « nature morte ». Cette destruction de l’espace privé par l’ingérence
intempestive des professionnels au domicile est questionnée : quels sont les effets générés
dans la personnalité de l’enfant ? Rien d’étonnant qu’un enfant qui grandit sans la notion
d’espace privé, arrivé à l’âge adulte, dévoile sa vie devant les professionnels jusqu’aux détails
les plus intimes. Parfois, c’est le contraire qui se produit : il rejette les professionnels et devient
même violent lorsqu’il est contacté en tant que parent.
Lorsqu’on écoute les parents dans le cadre d’ATD Quart-Monde ou du Secours
Catholique, ils parlent du placement comme d’une « Epée de Damoclès » qui peut à tout
moment trancher dans le vif de leur vie en famille.
La loi du 5 mars 2007 tente de repositionner l’enfant en tant que finalité de sa
protection : le projet pour l’enfant est une innovation majeure inscrite dans la loi qui exige de
repenser les références et modes d’intervention.
En Seine-et-Marne, la question de la démarche évaluative a constitué une priorité et a
été traitée avec le concours d’intervenants extérieurs, ayant répondu à un appel d’offre de
l’Observatoire National de l’Enfance en Danger. Il s’agit de construire un référentiel d’évaluation
des situations familiales dans le cadre de la Protection de l’Enfance, puis de le porter à la
connaissance de l’ensemble des travailleurs sociaux et médico-sociaux du Département dans
le cadre de sessions de formation. Un travail d’approfondissement a été conduit avec les
cadres et les chefs de service sur les « écrits ». Une comparaison entre ce référentiel et les
repères ARTEFA se trouve en annexe de ce document.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle8
Les repères ARTEFA ont été traduits dans des fiches construites avec les équipes de la
Maison départementale des solidarités de Coulommiers et expérimentées à partir des situations
familiales complexes.
I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant
Cette formation-action a favorisé le prolongement et l’approfondissement des
questionnements et des méthodes. En terme de protection-projet pour l’enfant, on a développé
davantage les questions suivantes :
• quelle lisibilité concernant les effets générés dans le développement de l’enfant par les
théories et pratiques des professionnels ? Cette question devient un « impératif » lorsqu’on
intervient à partir des inquiétudes, appréhensions et problèmes envisagés par les services.
Depuis la naissance de la pensée occidentale, le problème exige une approche dialectique : il
s’agit de formuler à la fois l’existence et l’inexistence du problème ou du danger en question.
Les professionnels devraient évaluer autant les « signes » qui alimentent leur inquiétude et
appréhension que les aspects qui contredisent ces mêmes inquiétudes. Sans l’approche
dialectique, le système de protection de l’enfance se referme sur une pensée unique, linéaire
qui conduit de l’information préoccupante à l’injonction d’une mesure d’intervention. Cette
linéarité est inflationniste. Or, la culture d’une famille ne se réduit jamais aux problèmes et/ou
aux dangers. Bien au contraire, ce qui peut paraître une carence éducative est intégré dans un
sens caché que l’enfant expérimente sans qu’il soit lisible pour les professionnels. Les
professionnels nomment ce qu’ils s’attendent à trouver dans la famille, mais l’inconnu, le caché,
l’inattendu demeurent souvent invisibles à leurs outils d’évaluation.
• quels changements peut-on envisager pour assurer la circulation intelligible des enfants entre
la société civile, son réseau de parenté et les structures de prise en charge ? Dans cette
perspective : quels changements favoriseraient la création des réseaux solidaires réunissant les
parents et les assistants familiaux, de sorte que les adultes puissent s’informer et se « former »
mutuellement ? Comment travailler sur l’inclusion des parents dans une élaboration du projet
pour leur enfant ?
quelle évaluation de l’utilisation de l’argent dans la protection de l’enfance (le prix de journée)
et les effets réels produits par cet investissement sur l’avenir de l’enfant ? Pour l’instant, la
théorie qui situe le « mal absolu » dans le lien parent-enfant et l’érige en cause de son échec ou
de son retard a le vent en poupe. A quel moment posera-t-on la question de l’accompagnement
visant la résilience et surtout le développement des potentialités propres à tout enfant ?
Pourquoi des enfants qui ont traversé des années de guerre parviennent à faire des études, à
apprendre des langues, à trouver leur équilibre et à s’intégrer dans la société et pourquoi
l’accès à la normalité et à l'équilibre, à l’insertion et à l’épanouissement seraient inaccessibles
aux enfants pris en charge pour « carences éducatives » ou un « risque de danger » ou « climat
incestueux » ou des problèmes d’hygiène ?
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 9
quelles innovations lors des visites médiatisées ? Pourquoi sommes-nous de nouveaux pris
dans une logique linéaire d’observation des défaillances, carences, manques ? Comment met-
on en pratique le processus de médiatisation, en quoi consiste-t-il ? Là encore, quelle
mobilisation pour proposer de nouvelles expériences de vie entre l’enfant, ses parents, sa
fratrie et sa famille élargie ? Quelles sont les méthodes visant à réussir la visite médiatisée ?
Comment fait-on pour ne pas transformer ces moments en un « bureau d'enregistrement » des
choses que l’on a déjà formulées dans les rapports ? Comment et qui associe et accompagne
les parents en amont des visites médiatisées, de telle sorte que l’enfant puisse découvrir un
autre visage de ses parents, une autre facette de leur présence ? La visite médiatisée devrait
repenser ces deux termes associés dans l'intérêt supérieur de l’enfant : l’enfant a besoin de ses
parents et surtout, il a besoin de constater qu’accompagnés, soutenus, ils sont en mesure de lui
proposer d’autres expériences de vie qui composeront plus tard ses souvenirs d’enfance. Une
mère interviewée pendant cette formation-action qui a été placée pendant une quinzaine
d’années nous a dit qu’elle avait échangé avec la famille d’accueil et avait consulté son dossier
ASE : « J’ai une mémoire, mais je n’ai pas de souvenirs. Aucun souvenir, non, rien. Quels
souvenirs ? Je ne sais pas... Des souvenirs comme tout le monde... des choses simples... Je
n’ai pas eu d’enfance. J’ai été bien traitée par les éducateurs et la famille d’accueil, mais je n’ai
pas connu l’enfance. J’en veux à ma mère. Elle me dit que les éducateurs lui ont dit que je
serais mieux dans une famille d’accueil. Ma mère travaillait, son mari la battait, elle buvait, elle
était paumée... D’accord, mais ce n’est pas un motif pour me séparer d’elle ! Je vois mon frère.
Il a vécu avec ma mère. Ils ont des trucs à se dire, ils rigolent. Moi, je n’ai rien à partager avec
eux... Avec la famille d’accueil, ce n’est pas pareil. Si je pouvais choisir ? J’aurais aimé rester
avec ma mère et mes frères. Jamais je ne voudrais être séparée comme ça de ma fille... J’ai
peur pour ma fille. Je suis dans le collimateur. Bientôt, ma fille aura le même âge que moi au
moment de mon placement... J’ai peur qu’ils me la placent. Comme je n’ai pas de logement,
pas de travail, c’est facile... Non, non, je n’invente pas, ils me l’ont déjà dit. Que faire ? Je fais
tout ce que je peux, mais ce n’est jamais assez. Je l’amène à l’école, vais la chercher, je
m’occupe de ma fille... La nuit, je pleure et prie, pourvu qu’elle ne soit pas placée comme moi. »
quelles méthodes pour que ces moments de retrouvailles en famille deviennent une source
de bien-être de l’enfant et de ses parents, frères, sœurs, grands-parents ? Comment organise-t-
on les fêtes dans la famille, avec ses parents ? Combien d’enfants écrivent-ils une carte postale
à l’anniversaire de leur parent ?
ARTEFA complète ces questionnements par d’autres pistes/questions :
• quels sont les leviers des professionnels pour construire la reconnaissance de l’identité de
l’enfant ? On pense à l’extrait de l’acte de naissance qui permet d’instituer le père et la mère et
de ne pas se laisser prendre dans l’opinion publique qui véhicule le fantasme du « parent
biologique » ? La question se pose lorsqu’il faut faire le passeport de l’enfant : comment a-t-on
accompagné les parents pour qu’ils puissent comprendre que le domicile de leur enfant est
chez eux ? Combien de services vérifient-ils que les bulletins scolaires de l’enfant sont envoyés
aux deux parents lorsqu’ils sont séparés ou divorcés ?
• comment accompagne-t-on l’exercice de l’autorité parentale ?
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle10
I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de
l’enfant
Les principes de droit commun qui fondent la protection de l’enfance devraient devenir
lisibles dans toute intervention professionnelle auprès de l’enfant :
• le principe de subsidiarité :
Comment agir pour réduire le nombre d’interventions et le nombre de professionnels présents
auprès du même enfant ? Les services composent une « permanence » de plus en plus
massive autour de l’enfant, chose qui limite l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la vie
sociale. Un des repères d’ARTEFA : au lieu de se focaliser sur l’enfant, nous axons l’analyse
des situations sur l’unité «famille». On met en connexion les frères et les sœurs et on identifie
l’ensemble des intervenants dans la même famille. Dans une famille de trois enfants, par
exemple, lorsqu’on compte les intervenants, on constate un phénomène de masse du côté des
professionnels et un ou deux parents qui doivent faire face aux exigences de cette « masse ».
Parfois, on constate qu’une mère désignée dans les rapports comme «isolée» est sollicitée par
cinq, six, voire dix ou douze professionnels. Cette situation alourdit la compréhension et
l’autonomie du parent. Il est aussi « institutionnalisé » à son insu. Cette situation peut provoquer
de la dépendance et de la saturation chez le parent. Au cours d’une recherche-action récente,
l’équipe d’ARTEFA a constaté qu’une mère ayant trois enfants pris en charge a dû s’acheter un
calepin pour «gérer» les rendez-vous fixés par les professionnels.
De plus, ces professionnels ne s’ajustent pas entre eux, chacun suivant un enfant, sans tenir
compte de la famille dans sa globalité.
• le principe de proportionnalité implique plusieurs aspects :
1. lorsque les interventions des professionnels ne produisent pas une amélioration ou un
mieux-être dans la famille, il est inutile de démultiplier les mesures. Suivant ce principe, il s’agit
de mieux connaître les besoins humains des parents, tel que le besoin de dignité et de soutien.
En analysant plusieurs situations, nous avons constaté que les parents exprimaient des besoins
(en termes d’accès à un logement, par exemple), mais leurs besoins n’étaient pas repérés. De
plus, les intervenants communiquaient peu entre eux et lorsqu’ils n’étaient pas d’accord, le
débat contradictoire était difficilement mis en place. Il apparaît qu’un écart se creuse entre les
repères d’observation des professionnels et les demandes des familles formulées sur la base
de leur vécu.
2. le principe de proportionnalité pose la question suivante : comment innove-t-on dans
la vie de l’enfant, l’équilibre entre les liens qu’il tisse avec des professionnels salariés et avec sa
famille ? Les liens tissés dans le monde des salariés du Conseil général et des autres services
sont-ils transférables dans la vie sociale, hors institution ? Une étude de l’INED indique qu’une
proportion importante de SDF
1
ont un passé de placement : cette étude semble mettre en
1
« Parmi les événements survenus durant l’enfance et l’adolescence, le placement mérite une attention particulière. Les personnes
ayant été « placées » sont largement sur-représentées parmi les populations sans domicile (estimées à 23 % sur cette enquête de
l’Insee, à comparer à 2 % en population générale logée), en particulier parmi les plus jeunes (35 % parmi les 18-24 ans), et ce
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 11
question la « transférabilité » de l’expérience dans le placement vers un savoir vivre en société
à l’âge adulte.
3. la proportionnalité devrait être pensée également lorsqu’on utilise la prédiction
négative dans la prise en charge. Comment rendre visibles les mécanismes de culpabilisation
et de rejet des parents qui sont à l’œuvre dans le système actuel de protection de l’enfance ?
Comment passer d’une culture de culpabilité et d’aveu vers une prise en charge pragmatique
cherchant à améliorer d’une manière claire et lisible la vie des familles dans leur environnement
et avec leurs enfants ?
L’anthropologie affirme que les réseaux de parenté sont structurés sur d’autres normes
que celles de la théorie de l’attachement, par exemple. Il s’agit notamment du langage du
don qui devrait être pris en compte d’une manière complémentaire avec la théorie de
l’attachement. Le langage du don est celui du réseau de parenté qui introduit d’autres règles :
l’enfant né en « obligé » du monde, comme disait H. Arendt. Il reçoit un don de vie doublé de
son inscription dans le monde par la filiation. Avec le don de vie, il reçoit aussi la mort : tout
enfant naît mortel. Le don de vie (symbolique) ne cesse d’être interrogé par l’enfant qui suivra la
ligne de partage entre la vie et la mort. Cette ligne bouge au moment de l’adolescence quand la
crise le pousse à creuser en profondeur l’être et le non-être (cf. Hamlet).
Ainsi, on y trouve la réciprocité différée : on donne à l’enfant pour qu’il puisse donner
aux autres à son tour et que le parent puisse être fier quand il rencontre un instituteur de son
fils ou de sa fille ou tout autre éducateur qui s’occupe de son enfant. On donne à l’enfant pour
que plus tard, il puisse être différent de ses parents, mais sans oublier son appartenance. La
famille demeure un « port d’attache » pour tout être humain. La réversibilité se décline dans les
processus de pardon et dans l’appartenance, ainsi que dans l’honneur. Tous ces aspects sont
lisibles dans le film « La Merditude des choses », réalisé par Félix Van Groeningen, qu’ARTEFA
a utilisé comme support dans cette formation.
• le principe de liberté rattachée à la séparation :
Dans la société civile, la séparation est un « au revoir », « à ce soir », etc. Il s’agit d’un rapport
au temps, rythmé par les retrouvailles. On se sépare pour mieux se retrouver et se redécouvrir
autrement. Dans la société civile, la séparation s’exerce en relation avec les besoins de liberté
et du choix et surtout avec le fait de se retrouver (les retrouvailles conditionnent la qualité de la
séparation). La rupture est imposée, notamment par des institutions qui surplombent la vie
ordinaire des personnes. Toute institution a une force produisant la rupture des relations
humaines, familiales, même lorsqu’elle affiche le mot « séparation ». La séparation est
génératrice d’expérience dans le lien, par le renforcement d’un lien qui s’enrichit lors de la
séparation parce que chaque partie envisage le récit des expériences vécues lors de la
séparation. Le récit s’élabore lors des retrouvailles, après la séparation. Ce moment d’après la
séparation quand les parties se retrouvent est le principal vecteur de toute expérience de
phénomène s’observe aussi dans d’autres pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.» (Firdion,
2004; http:// www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/cs123m.pdf)
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle12
séparation. Autrement, la séparation aléatoire, prolongée, sans promesse des retrouvailles, se
réduit à une expérience de perte et même d’échec, de désillusion aussi.
• le principe du respect du Code civil par les services du Département, car le Président étant
chef de file, il est garant du cadre posé par le droit positif et de ses applications concrètes.
Lorsqu’une ordonnance du juge des enfants est prononcée, celle-ci n’abroge pas le Code civil
et encore moins la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention internationale
des droits de l’enfant. Comment applique-t-on le Code civil en prolongement et en
complémentarité avec l’ordonnance du juge des enfants ? L’ordonnance du juge des enfants ne
suffit pas. Par exemple, lorsque le père n’est pas cité dans l’ordonnance du juge des enfants,
comment l’introduire dans l’histoire de l’enfant puisqu’il est inscrit dans la société par cette
filiation ? Comment identifier la réalité anthropologique et juridique de la fonction PERE, sans la
réduire aux dires de la mère ou à un fantasme biologique ? Comment accompagner la mère
pour qu’elle puisse autoriser l’enfant à acquérir une forme de connaissance de son père.
Comment l’apaiser au lieu d’alimenter ses ressentiments dans le cas où celui-ci est peu présent
ou ne se « manifeste » pas ? Comment ne pas réduire à une vision comportementaliste cette
fonction sociale, symbolique indispensable pour ceux qui ont été reconnus et inscrits dans une
filiation patrilinéaire ?
A l’inverse, quand un compagnon de la mère est désigné par celle-ci sous l’appellation
de «père» ou « père biologique » comment tient-on compte de la nécessité de respecter le
Code civil et de vérifier que ce Monsieur a reconnu l’enfant, qu’il l’a inscrit dans sa filiation ?
Autrement, il peut certes s’agir d’un compagnon attentif à l’enfant de sa compagne, mais la
relation amoureuse ne se substitue en aucun cas à la filiation, et donc à la fonction du père. Il
convient de bien distinguer la conjugalité de la fonction parentale : la première est horizontale
entre deux adultes qui passent une partie de leur vie ensemble et qui ont le droit, à tout
moment, de se séparer, gardant chacun son autonomie, son identité et son état civil sans
modification. Mais la filiation est une inscription verticale de l’enfant dans la lignée généalogique
d’un homme qui, par cet acte volontaire de reconnaissance, entre dans la fonction de père. La
filiation est une reconnaissance validée, légitimée par la République et elle ne peut être défaite
par une simple séparation. Elle peut faire l’objet d’un désaveu, d’un refus, mais ce sont des cas
exceptionnels. Tandis que la vie en couple suivie de séparation représente plus de la moitié de
la vie ordinaire des Français adultes.
Un autre exemple : lorsque le juge des enfants ne dit rien sur le réseau de parenté élargi
de l’enfant, le Code civil doit être respecté. Les professionnels accompagnent les parents pour
que l’enfant puisse dessiner son arbre généalogique pour situer ses grands-parents, ses
oncles, tantes, cousins, cousines.
L’application de ces principes alimente le chantier du projet pour l’enfant contenu dans
la loi du 5 mars 2007. A ce jour, quelle collectivité territoriale a envisagé de fonder un
« observateur du projet pour l’enfant » ? Où en sommes-nous dans la construction effective
de la protection-projet pour l’enfant ?
Certains Départements ont marqué leur volonté de prendre en considération l’enfant,
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 13
ses parents voire ses frères et sœurs en dénommant le processus de construction du projet :
« projet pour l’enfant et sa famille ». Cela exige que l’on pense le parent dans un processus de
devenir : on ne naît pas parent, on le devient et chaque enfant stimule ce devenir parent.
ARTEFA développe des méthodes pour mieux appréhender ce devenir parent dans les
Maisons départementales des solidarités. Les apports d’ARTEFA sont issus de l’anthropologie,
de la philosophie et du droit. Certains de ces apports viennent conforter et consolider une série
de pratiques déjà existantes comme, par exemple, les pratiques de la PMI, du Programme
Enfance Prévention (PEP), l’accompagnement des parents vers l’insertion. D’autres références
nécessitent des étapes d’appropriation et de créativité en groupe afin de pérenniser les apports
dans les pratiques des professionnels. ARTEFA utilise une méthodologie générative qui
accompagne et incite les professionnels à identifier leur propre processus de penser
l’intervention, c’est-à-dire leur manière de produire des observations, de les analyser et de les
utiliser dans leurs rapports.
Les journées de formation invitent à effectuer en groupe des exercices pour passer de la
théorie à l’application des apports et aussi faire un pas de côté pour porter un regard critique et
créatif, pour prendre conscience que tout processus de mise en mots (oral et écrit) confère non
seulement un sens aux réalités, mais cristallise le pouvoir exercé par les institutions dans la vie
des enfants et de leurs parents, ou même leur présence dans l’histoire. Ce pouvoir, on le
nomme « force instituante ». Cette force instituante modèle l’histoire des familles (cf. Les
rapports écrits). L’enfant pris en charge « baigne » dans la culture composée de savoirs
propres aux professionnels. Ce sont les professionnels qui détiennent cette « force instituante »
de transformer leurs observations en analyse qui provoque des mesures, etc. L’acte de penser
s’apprend. Son acte de penser sa famille, sa propre identité, son existence avec les autres sera
modelé par les institutions.
Si les institutions génèrent davantage de connaissances d’ordre négatif, en terme de
défaillances, carences, troubles, hontes, sanctions, ruptures, etc., l’enfant assimilera ces
« repères » qui constitueront ses « modes opératoires » d’inscription dans le monde. Quelle
culture du vivre-ensemble expérimente l’enfant grâce à sa protection ?
La formation insiste sur le besoin de cultiver une multiplicité des regards et des
références dans l’accompagnement des familles.
La communication entre les professionnels et les parents dépend de la manière dont les
professionnels développent une compréhension ordinaire de la vie des gens. La logique
centrée sur l’observation des manques et défaillances introduit un rapport de pouvoir et de
conflit entre les familles et les services de la protection de l’enfance. Passer d’un tel rapport de
forces à la confiance et au contrat demeure un discours théorique sans réalité. Si ce passage
n’est pas accompagné par le développement d’un paradigme complémentaire, dans le débat
contradictoire, la mise en place des demandes formulées par les parents, etc., un tel passage
n’a pas lieu : on peut attendre longtemps que les « parents se manifestent ».
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle14
I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition
Dans cette formation, les apports ouvraient sur des hypothèses alternatives pour
repenser les situations où les interventions se répètent sur plusieurs générations et où les
professionnels parlent de « reproduction transgénérationnelle ».
Les objectifs et le déroulement ont été fixés avant le début de la formation- action dans la
proposition validée par le Département dans le cadre du marché public. La protection de
l’enfance est aujourd’hui en mesure d’analyser ses interventions sur plusieurs générations dans
la même famille (ou réseau de parenté).
Nous partons de l’hypothèse que tout champ d'interprétation et de pratiques professionnelles
peut être déconstruit et complété, à condition de garder à l’horizon de notre travail, une
exigence éthique : nos interventions se font « à cœur ouvert » à même la vie des gens. Nos
décisions résonnent en tant que « langage du destin ou de la fatalité », car elles changent
l’histoire d’une famille.
Ainsi, lorsqu’on pose le postulat que « les anciens enfants placés, placent à leur tour
leurs propres enfants », on est d’emblée dans le champ philosophique du destin, de la fatalité.
Rappelons le fait épistémologique suivant : un postulat n’a pas besoin d’être vérifié. Il
sert de fondation. C’est à partir du postulat que l’on échafaude une théorie et on déploie les
actions, les pratiques, les modus vivendi.
Cependant, le postulat ne doit pas être pris pour une vérité (même si la tendance de
l’homme est de confondre postulat-croyance-vérité). Le postulat débouche sur l’expérimentation
d’une théorie qui devrait aider les professionnels dans la compréhension d’une situation
complexe. Mais tout postulat doit être assorti d’une critique rigoureuse, surtout lorsqu’il est
utilisé comme instrument d'intervention dans la vie des autres.
Le postulat de la répétition touche plusieurs générations d’enfants. Sont-ils porteurs d’un
« virus de la répétition » ? La logique médicale de la contagion remplace celle de la fatalité
portée par les religions. Mais notre société a fondé l’enfance dans un devenir créateur, ouvert
vers une nouvelle vie. Les enfants frappés par le discours de la répétition du placement
viennent au monde entourés d’institutions qui, avant même qu’ils soient nés, les observent, les
évaluent, les « entourent » de mesures de protection. Avant même d’acquérir la conscience
qu’ils sont des sujets, ces enfants sont soumis aux regards des experts et des professionnels.
Ce sont eux qui maîtrisent les critères d’observation, le diagnostic, l’intervention, etc. Ce sont
eux qui formulent le postulat : « l’enfant qui a été placé, placera à son tour ses propres
enfants ». Ou encore « enfant maltraité, maltraitera à son tour quand il sera parent. » On
retrouve ici une très ancienne expression de la fatalité/culpabilité, formulée dans l’Ancien
testament : « Les parents mangent du verjus et les dents des enfants sont agacées. » (Jérémie,
31; 29).
Aucune étude approfondie ne confirme ce postulat, bien au contraire : les parents se
sentent acculés au placement, ils culpabilisent et improvisent des formes d’auto-défense,
parlent d’un sentiment d’injustice, d'incompréhension, de colère et de dévalorisation. La plupart
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 15
quitte la scène mise en place par les institutions, scène sur laquelle ils doivent se rendre
transparents, chose insoutenable pour quiconque. Leurs réactions sont interprétées en termes
de soupçon, déviance, déni. Peu de méthodes innovent l’exercice de l’autorité parentale dans
un réseau d’autorités composé par les professionnels dont l’autorité est plus importante que
celle des parents (un seul exemple : l’achat des fournitures scolaires suivant la liste donnée par
l’enseignant : combien de parents ont été dévalorisés parce qu’ils ont acheté un objet différent
de celui qui figurait sur la liste ! ?)
Du côté des parents, une seule phrase résume leur impuissance : « je n’ai pas été
capable ». Les outils ciblent l’incapacité des parents, c’est l’incapacité qui devient le fil
conducteur des observations. Mais la question qui se pose aujourd’hui ouvre sur la capacitation
qui est un processus créatif porté par les tiers qui viendront soutenir le parent et lui ouvrir des
nouvelles expériences de vie avec ses enfants. Comment accompagner l’expérience innovante
de capacitation des parents ? Paul Ricœur a analysé la crise de l’accompagnement qui était
censée conduire notre expérience partagée vers la condition de l’homme à devenir capable. Le
processus de capacitation est séparé de l’auto-institution, je ne peux pas m’instituer toute seule
comme étant capable, sans la reconnaissance des autres. Instituer l’homme capable, cela
dépend de ceux qui exercent la « force instituante » : le juge, l’expert et les professionnels.
Dans certaines familles, la fonction du parent est rabaissée, associée aux dispositifs qui ciblent
l’homme en tant « qu’inadapté à la réussite» ou en tant qu’échec : à l’école, dans la rue, dans la
conjugalité, dans le travail, dans la parentalité. Les dispositifs cristallisent davantage le parcours
de l’homme incapable et en échec que les conditions pour devenir capable.
Concernant le postulat de la répétition, cela pourrait se fonder sur la culture de
la transmission. Vivre dans un lieu, faire un métier, construire une maison, et ensuite,
choisir la transmission de ces choses en direction de ses propres enfants, cela fait partie de
la culture : transmission du nom, du métier, du patrimoine, etc. Mais dans le cas du
placement :
• l’enfant a-t-il choisi d’être placé, afin d’appliquer ensuite la culture de la transmission à ses
propres enfants ? Le placement est-il l’équivalent d’un patrimoine qui enrichit la personne, au
point que le parent souhaite en faire bénéficier son enfant ?
• le placement est-il assimilé à une maladie génétiquement transmissible ou à un « virus »,
« dupliqué de père en fils » ou de « mère en fille » ?
• existe-t-il une étude qui permettrait de dire que le placement fait partie de l’identité
culturelle des Français et, pour cette raison, dans certaines régions, il est une « tradition » ?
• ou alors : est-ce que le placement devient un traumatisme si important que finalement,
l’enfant ne peut que le répéter d’une manière « compulsive » ?
Si on se place du côté de l’organisation, il est possible de constater que le recours au
placement est une mesure répétitive appliquée à plusieurs centaines de milliers d’enfants.
L’analyse des pratiques fait apparaître que l’on envisage la protection de l’enfance ayant
comme « ligne d’horizon » le placement, ce qui peut produire une saturation massive des
circuits et des lieux de placement.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle16
Par ailleurs, quand un enfant est passé par les dispositifs de placement, la mémoire de
l’institution (et des professionnels) a tendance à l’inclure dans la catégorie « connu par les
services. » Lorsqu’une personne est «connue par les services», cela allume les « clignotants »
des professionnels davantage que lorsqu’il s’agit d’une personne qui ne figure pas dans la
mémoire des services. « Etre connu par les services » n’est-il pas un critère qui accélère le
processus de signalement ? Du point de vue anthropologique, on pourrait faire état de notre
étonnement : car si quelques-uns ont grandi dans une grande école, entouré de professionnels
compétents, le fait d’être connu est un atout, un plus. Bénéficier d’une prise en charge et d’une
éducation dans la protection de l‘enfance qui n’a cessé de développer ses moyens en terme de
finances et de compétences devraient produire à la sortie de ce système des individus plus
compétents pour s’occuper de leurs enfants que la moyenne nationale. Mais là encore, le fait
d’avoir été éduqué, protégé, pris en charge, soigné, d’avoir été entouré de spécialistes fait
basculer l’ancien enfant en « adulte suspect » et incapable. Ce paradoxe ne se rencontre dans
aucun autre système de protection.
Même dans le monde des plantes et des animaux, la protection sauve et ne vous accule
pas à l’exclusion ou à la stigmatisation.
Ce postulat est renforcé par un modèle explicatif qui fait fusionner le passé et le présent
avec la logique cause-effet. Cette fusion est un illogisme bien connu par les philosophes : la
théorie qui stipule que les difficultés d’aujourd’hui remonteraient nécessairement à des vécus
infantiles refoulés tire de toute évidence une bonne partie de sa force argumentative de la
croyance selon laquelle si des souffrances actuelles se produisent sans raison apparente, elles
ne peuvent s’expliquer que par des causes profondément cachées.
Un tel paradigme met à mal l’étude des potentialités, l’imaginaire, la créativité, le devenir
indispensables à la vie humaine. « Celui dont la vie a été vécue et consommée dans le passé,
et qui n’est présent ici et maintenant que pour attester et répéter son passé, celui-ci est déjà
mort », disait Borges, un grand écrivain du 20
e
siècle.
Le passé utilisé comme une cause fatale qui viendrait écraser le présent et l’avenir est
renforcé par le raisonnement médical : il situe les causes des symptômes actuels dans un
temps antérieur à la contamination ou à la maladie. Cependant, tout diagnostic est prolongé par
la recherche des traitements et la recherche de la guérison. Ce raisonnement appliqué à la vie
humaine dans sa globalité (dans la famille) fait que l’on ne voit plus dans la vie courante qu’un
tableau de symptômes. Mais où se trouve le traitement ? Les parents attendent les
prescriptions qui soulagent leur souffrance et celle de leurs enfants du côté des mesures et des
interventions des professionnels. Et les professionnels attendent le traitement dans le
changement des comportements des parents, dans le fait qu’ils adhèrent à une « mesure de
placement » ou qu’ils signent un contrat. Ce double malentendu aboutit à des conflits aigus et à
des solutions qui, selon l’Ecole de Palo Alto, « aggravent les problèmes ».
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 17
I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la
sérénité
ARTEFA propose de faire « un pas de côté » en s’appuyant sur le principe de Taubes :
« nous nous mettons d’accord que nous ne sommes pas d’accord. » Construire un « divergent
accord » qui ouvre sur des alternatives mettant en œuvre les principes de subsidiarité, de
proportionnalité et de réversibilité. Ces principes appliqués lors des prises en charge devraient
permettre qu’à tout moment, on envisage la vie de l’enfant dans son réseau de parenté et dans
la société civile : la réversibilité exige de créer des réseaux d’alliance et de complémentarité
pour que l‘enfant puisse circuler entre les siens et les dispositifs (tels que la famille d’accueil).
L’absence d’une circulation intelligible déclenche chez l’enfant des conduites de « fugues » qui
sont des actes de normalité, de santé dans un univers trop fermé, plein de règles et d’interdits,
l’enfant a besoin de circuler entre les siens et les institutions. Plus sa prise en charge est
fermée, obsédée par des mesures de sécurité, plus l’enfant cherche à s’évader. Le besoin
d’évasion est une des caractéristiques des enfants placés ou trop surveillés.
ARTEFA utilise dans la formation la méthode du débat contradictoire volontaire qui
permet de revisiter l’historique de la protection de l’enfance dans une famille. A cela s’ajoute la
recherche du sens lorsque plusieurs professionnels ou plusieurs services interviennent dans la
même famille. L’urgence, la peur, la superposition des mesures et une répartition des places,
qui demeurent opaques au regard des parents, nécessitent de nouveaux concepts favorisant la
vie ordinaire et singulière de l’enfant et pour l’enfant. Les repères éthiques ouvrent, pour
chaque enfant, une porte réelle vers la société civile et vers le récit de vie de sa famille qui n’est
jamais réductible aux rapports adressés aux magistrats. ARTEFA interroge les écrits
professionnels qui sont trop souvent des exercices de copier-coller, adaptés à un jargon
administratif ou psycho-pathologique comme si la vie n’était approchée que sous l’angle d’une
pathologie.
Les professionnels utilisent des normes et des jugements moraux sans les nommer et
sans les analyser comme tels. L’exploration sereine de ces normes s’articule avec la question
d’Aristote : où situer le juste milieu dans la protection de l’enfance ? L’excès de l’intervention
dans la même logique conflictuelle de suspicion porte atteinte à la sérénité des intervenants et
à leur capacité de penser la complexité des histoires familiales autrement que sous l’angle du
« danger » et du soupçon, imaginés et codifiés dans un langage professionnel.
Toute formation se doit d’apporter un corpus de questions qui dénouent des lignes de
tension et de crispation. Un des nœuds se trouve dans le rapport entre parents et
professionnels. La formation assure un entre-deux entre le faire et le comment-faire-
autrement. Aider le groupe à distinguer les repères et méthodes de travail du sujet-
professionnel est une des méthodes utilisées dans la formation d’ARTEFA.
La déconstruction est nécessairement reliée à l’ébauche de nouvelles hypothèses et à
la consolidation des hypothèses déjà travaillées en équipe :
« Cette déconstruction est une tâche normale. Découvrir les exclusions implicites
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle18
dans une analyse, les silences dans un raisonnement, les oublis dans une
observation, constitue autant de moments nécessaires et essentiels du
développement de toute activité de connaissance. » (M. Godelier, 1997)
La formation appliquée aux pratiques permet de « se décentrer méthodologiquement »
(Godelier) par rapport aux catégories de pensée mises en mouvement actuellement dans la
prise en charge proposée aux familles.
La critique de la logique qui cible le dépistage et le diagnostic des risques et dangers,
voire des carences et défaillances chez les parents, fait la place à une théorie repensée,
ajustée, de telle sorte qu’elle soit vivable et soutenable pour le réseau de parenté de l’enfant et
génératrice d’apaisement et de sens du côté de l’avenir pour l’enfant.
Les hypothèses avancées visent à aboutir à un effet en termes de mieux-être chez
l’enfant, ainsi qu’à des nouvelles expériences partagées entre parents, professionnels dans
l’intérêt de l’enfant. De ce point de vue, la théorie est juste un élément que l’on peut bouger en
fonction d’une finalité claire qui est le bien-être d’un enfant ordinaire pour qui la protection doit
ouvrir des nouvelles expériences de socialisation, de vie dans/avec sa famille, et des nouvelles
acquisitions dans son développement : « La théorie, qui dialogue avec une réalité complexe, ne
pense pas en soi-même, mais elle ne gagne de vie que dans les processus actifs de
construction du sujet. » (E. Morin)
L’anthropologie cherche à fonder l’accès de l’enfant à une subjectivité où la filiation est
une institution en soi, nécessaire pour se tenir debout et pour apprendre le respect et la
transmission entre les générations. Nulle filiation ne se réduit aux comportements des parents,
soient-ils « défaillants ». Toute filiation porte en elle l’institution de l’autorité et de l’estime de soi.
Par ses apports, ARTEFA vise à accroitre la capacité et l’autonomie de la personne à
travers l’accompagnement des professionnels.
Lorsque la pensée collective d’une équipe est assujettie à une grille contenant des
critères d’observation du négatif, obnubilés par la peur, cela remplace la figure humaine du
parent par une créature dangereuse (« mère toxique », « père violent », etc.). Une telle logique
ne prive-t-elle pas les professionnels de repères culturels du vivre-ensemble et de l’éthique du
sujet ?
Dans le devenir parent, le sujet devient réalité au fur et à mesure que le parent
expérimente un rôle d’autorité et de « sachant », soutenu par les professionnels. Cette
expérience de vie est « suspendue » quand le parent est convoqué au même titre que ses
enfants dans le bureau du juge des enfants. La verticalité de la filiation devrait constituer une
zone « sacrée » et indépendante des comportements observés ou supposés. La verticalité de
la filiation est la « colonne vertébrale » de l’enfant ou son «socle» identitaire exprimée par son
acte de naissance. Cet acte de naissance est en soi suffisant pour instituer la filiation et le
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 19
respect des parents en tant qu’auteurs de l’enfant. Un accouchement sous X, acte biologique,
ne suffit pas pour inscrire l’enfant dans le monde des humains. Si la personne qui accouche ne
manifeste pas sa volonté pour reconnaître l’enfant en tant que sa fille ou son fils, l’enfant
n’existe pas. La filiation ne peut être établie que par cet acte. Et ce n’est pas l’accouchement,
mais l’acte de reconnaissance fondé sur la volonté qui opère le passage de la condition de
femme ou parturiente à celle de mère. Le biologique ne suffit pas, même quand une femme
accouche. Ce repère anthropologique est inscrit dans le Code civil. Il est donc impropre de
parler de mère biologique quand une femme a accouché sous X.
Un acte volontaire de reconnaissance traduit dans l’état civil de l’enfant ne peut être ni
annulé ni stigmatisé plus tard. Sauf si une procédure judiciaire est déclenchée pour détruire
cette reconnaissance et, en même temps, le « socle symbolique » de l’identité de l’enfant. Mais
même l’acte judiciaire qui relègue l’enfant dans un processus institué d’abandon et ensuite dans
la catégorie de pupilles de l’Etat ne touche pas à sa filiation. La filiation est une institution à part,
générée par un acte volontaire de reconnaissance l’enfant qui est reconnu soit par l’inscription
dans une parenté de type « biologique », soit par adoption. L’adoption simple permet de
comprendre qu’il s’agit de continuité dans la filiation. Nul enfant ne peut rester sans filiation. La
formation vise à générer des repères dans la construction de la filiation nécessaire à la
verticalité d’un enfant-sujet digne et d’un parent fier d’être associé à la responsabilité éducative
partagée avec les professionnels.
La posture éthique questionne les méthodes de construction d’une « vérité » sur la vie
des autres, « vérité » adossée aux discours sur les dangers, risques, carences. Ces apports ont
été utilisés par les professionnels pour limiter les glissements produits par une surabondance
d’adjectifs et de « ouï-dire » rattachés aux fonctions symboliques et réelles de père et mère.
I/6. La force instituante et la méthode du décentrage
Les apports anthropologiques visent à renforcer les actions sur le versant des projets et
du bien-être ou mieux-être chez l’enfant. Le regard anthropologique porté sur les parents, en
tant que semblables des professionnels, l’effort de les accueillir, mieux les écouter, mieux les
intégrer dans les espaces qui favorisent l’exercice de leur autorité en lien avec la force
instituante des professionnels qui ne sont pas là dans un but d’observation mais d’action.
L’autorité parentale se décline au pluriel avec les autorités (du politique, des experts, des
professionnels, du juge).
Les professionnels sont accompagnés dans un travail de prise de conscience concernant le fait
que leurs interventions orientent et changent l’histoire des enfants. Ce changement d’histoire
produit par les dispositifs de protection aura des effets à long terme, chose qui engendre du
côté des services, une obligation positive : comment assumer l’obligation positive de
contribuer à son éducation et de le faire « grandir » ? Le changement provoqué par
l’intervention rend-il réel l’intérêt supérieur de l’enfant ? Et les parents ? Qu’observent-ils dans
les actions des professionnels ? Quelles conséquences positives tirent-ils des conseils,
questionnements, actions portées par les intervenants ?
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle20
Restituer les observations aux parents est une des méthodes qui facilitent le
décentrage : le professionnel, pas plus que son service, n’est le propriétaire des observations
concernant la vie des autres. L’observation est déjà un espace de construction du sujet, de
questionnement, d’ajustement dans une culture partagée entre les parents et les
professionnels. Une fois que les parties ont élaboré un projet éducatif et qu’elles se sont mis
d’accord pour savoir comment le restituer à l’enfant, elles accomplissent cette restitution en
étant attentives à ce que l’enfant leur dit. A quoi bon répéter devant l’enfant la liste des
manques, défaillances, problèmes observés chez leurs parents ? La vérité peut être
destructrice dans la protection de l’enfant. La restitution auprès de l’enfant se fait suivant le
principe de l’apaisement de celui-ci. Les apports d’ARTEFA cherchent à libérer l’enfant du
fardeau rempli de honte et de menace d’abandon généré par les dispositifs.
Une critique du mot abandon fait partie de cette formation.
Le don d’enfant existe dans toute société du côté de la vie. Les mères que nous avons
interrogées et celles qui ont été écoutées au cours des « accouchements sous X » parlent
toutes d’un don d’enfant. La notion d’abandon bascule du côté de la mort, de la mis à-bandon
(proche de la mise à mort). Ce mot a été utilisé pour parler de filles célibataires, stigmatisées
parce qu’enceintes et non-mariées. L’abandon se définit comme le résultant de l’organisation
politique et culturelle d’une société surplombée par l’Eglise et l’Etat qui contrôlent les mœurs
sexuelles et matrimoniales des gens avec un enjeu majeur posé sur les filles (Lévi-Strauss).
Pendant des siècles, l’Assistance Publique explique l’abandon des enfants par « la
manifestation pathologique d’un manque de contrôle de la fécondité. » (Bardet) Ce mécanisme
de contrôle et de stigmatisation a subi un glissement : de la femme abandonnée et enceinte, il a
« aspiré » l’enfant et de là, il a fait sa place dans les dispositifs administratifs qui, naguère,
plaçaient les enfants abandonnés dans les hospices avec les fous.
D’où la nécessité de modifier les pratiques afin de générer réellement des nouveaux
modes d’exercice de l’autorité parentale et de mieux cerner les problèmes de parents. Dans
une des histoires d’enfant déclaré abandonné à la demande du Département, on a pu mettre en
évidence que pendant l’année de cette procédure judiciaire, le couple se débattaient dans une
situation de sans-domicile, sans emploi, que la mère était rejetée par sa propre famille et
enceinte du deuxième enfant avec le père de son premier enfant. On a également constaté qu’il
est peu probable que les personnes mesurent avec précision ce qu’une telle procédure
provoque comme coupure dans leur histoire et celle de leur enfant. La formation a apporté une
autre vision de la filiation sans la réduire au lien affectif. Un des changements envisagés dans
les pratiques serait une nouvelle proximité à instituer entre les parents et les professionnels.
Cela suppose une souplesse et un outil expérimenté en ce moment dans la Maison
départementale des solidarités : limiter la logique de la prédiction négative qui induit l’« auto-
réalisation » (Albert Jacquard).
De même, si un objectif n’apporte pas un processus d’appropriation et de capacitation
des parents dans leur relation avec l’enfant, alors on modifie l’objectif en fonction de ce qui est
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 21
possible pour que les parents participent à la vie et au développement de leur enfant.
Les objectifs que l’on se fixe « pour une famille » doivent être envisagés en tant que
facteurs de devenir, d’accomplissement et non pas comme des épreuves provoquant l’échec
des parents devant leurs enfants.
Le devenir est posé en relation avec les besoins humains : besoin de
reconnaissance, d’appartenance, d’estime et de dignité.
L’appartenance est un des besoins de l’humain, mais elle est aussi une des
dimensions de la protection de l’enfance, notamment dans le placement. Le placement
produit ses propres catégories d’inclusion qui marquent l’identité de l’enfant : enfant victime,
enfant en danger, enfant en risque de danger, enfant-troubles de comportements, etc.
Parfois, les catégories d’inclusion produites par la protection de l’enfance et celles du
handicap visent les mêmes enfants. Cette double inclusion dans des catégories a-typiques,
a-normales a été questionnée au cours de la formation. L’identité anormale instituée pour
l’enfant produit des souffrances et des colères chez les parents. Comment les
accompagner ?
Par ailleurs, toujours dans cet esprit d’ouverture, l’orientation d’un parent ou d’un
enfant vers une catégorie de handicap doit ouvrir sur la question suivante : comment
favoriser l’inscription de l’enfant dans la normalité, dans la vie ordinaire ? Un enfant de onze
ans, placé depuis des années, a posé la question suivante : « moi, avec mes troubles de
comportement, est-ce que je pourrai un jour aller dans une vraie école ? »
I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant
La référence au cadre donné par le droit et, en particulier, la référence à l’ordonnance
du juge des enfants, est un axe de la formation. Cet axe permet de nuancer le processus de
judiciarisation là où le cadre administratif mériterait que l’on innove un autre rapport avec
l’environnement de l’enfant (en y explorant son réseau de parenté) afin de développer les
expériences nouvelles avec l’autorité parentale des parents. Trop souvent, le processus fait de
la « mesure administrative » un cadre que l’on ne bouge guère, alors qu’il favorise
l’élargissement du réseau de socialisation de l’enfant et une médiation active pour que le parent
change de place, appuyé, légitimé par la force instituante des professionnels. Dans ce cadre, il
existe des processus qui favorisent l’apaisement de l’enfant et la découverte de l’estime dans
ses rapports aux parents.
Rappelons que l’article 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant stipule
que tout enfant a droit à une famille (et non pas à une « mesure »).
La « mesure » ne peut être qu’un moyen évaluable dans ce qu’elle induit pour
l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la société civile.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle22
La judiciarisation des « mesures » n’est pas nouvelle, parfois confondue avec une
formule de type « faire agir la loi », mais cette confusion diminue lorsque l’intervention du juge
des enfants est mieux comprise.
Le juge des enfants met en œuvre des procédures judiciaires qui appliquent et
interprètent des lois. Cette interprétation est toujours partielle, située dans le temps, réversible
et elle peut être contestée par ceux qui sont visés dans leurs droits fondamentaux comme ceux
des parents.
Parmi les droits des parents, l’autorité parentale n’est pas touchée, même quand il s’agit
d’une tutelle ou d’un handicap mental. La capacitation que la culture peut apporter à chaque
individu, afin qu’il puisse accéder au devenir parent, ne dépend pas des normes appliquées à
l’école ou au travail, ni même dans les autres actes de la vie sociale. La capacitation du devenir
parent est modelée aussi par le jugement porté dans l’ordonnance du juge des enfants, mais
surtout, ce qui compte, c’est la manière dont l’ordonnance est utilisée et appliquée par les
professionnels du terrain.
La première question de la formation : comment communique-t-on l’ordonnance du juge
des enfants aux parents ? Quels sont les circuits de la communication de cet acte ? Comment
s’assurer que les parents l’ont compris ? Qui accompagne les parents pour qu’ils puissent
s’approprier leurs droits qui constituent la source d’énergie pour exercer leurs devoirs.
La formation rappelle aussi que, dans un système démocratique, les individus doivent
accéder à l’expérience de leurs droits qui les situent dans la dignité, dans la prise de
conscience de leur valeur en tant qu’être humain, participant à la vie d’une société. L’exercice
de leurs droits rend dynamique l’accomplissement de leurs devoirs. Mais l’accomplissement
des devoirs n’est pas un préalable du respect que les institutions doivent mettre en mouvement
pour rendre vivables les droits des uns et des autres. D’autres systèmes, totalitaires,
autocratiques ou les méritocraties renversent le rapport entre devoirs et droits. Mais dans un
système humaniste, éclairé, les devoirs sont constitutifs de la dignité et de l’estime des
personnes qui leur permettent de se mettre debout et d’agir de concert avec les autres. Ce lien
intrinsèque entre droits positifs et devoirs est inscrit dans le Code civil : d’abord on expérimente
l’espace civil des droits et ensuite, éventuellement, on fait basculer une « situation » dans le
pénal. Le fait que, de nos jours, le pénal devient une logique dominante dans les rapports des
institutions aux mineurs pose problème car elle porte atteinte au socle de notre culture
humaniste. On ne peut badiner avec le rapport droits/devoirs sans déclencher un effondrement
de l’intérieur de nos valeurs et forces instituant le vivre-ensemble, la paix sociale. Plus on
accentue le volet pénal dans la prise en charge des jeunes, plus on alimente la stasis, la
violence interne à la société. Plus on produit des « études scientifiques » qui alimentent
l’idéologie pénale dans notre approche des jeunes, plus on fabrique des individus relégués à la
marge des valeurs et institutions humanistes.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 23
En ce qui concerne le juge des enfants, souvent, ce poste est occupé par des
professionnels qui changent d’une année à l’autre ou tous les deux, trois ans. En général, le
juge des enfants ne connait ni l’enfant, ni ses parents. Il a rarement à faire à un avocat de
l’enfant et encore moins à l’avocat des parents.
La principale matière qu’il utilise en vue d’une décision, ce sont les écrits des
professionnels du Conseil général et de leurs partenaires.
Mais le juge des enfants ne suspend pas la vie ordinaire, ni le Code civil. Tout ce qui est
à faire pour l’enfant de la part des services ne se réduit pas à l’ordonnance du juge.
Le juge des enfants restreint et organise certains droits des parents, mais il ne cherche
pas à pénaliser l’enfant, ni à l’isoler de la société civile.
S’il ne parle pas de tel ou tel droit, alors les services sont tenus d’inscrire l’enfant dans le
respect du Code civil, au même titre que tous les enfants de cette société.
Un exemple : si le juge des enfants ne dit rien sur le père, s’il n’interdit ni ne limite ses
droits, alors, les professionnels du Conseil général se doivent de faire vivre, de rendre concret
l’exercice de son autorité et de créer les conditions afin que l’enfant puisse accéder à cette
première institution de reconnaissance qui s’appelle filiation.
Le Code civil est valable pour tout enfant pris en charge par le Conseil général et ses
textes doivent être rendus effectifs dans la vie d’un enfant.
La formation cherche à produire un dépassement de l’opposition constante entre les droits des
enfants et ceux des parents.
Un autre exemple : lorsque le juge des enfants restreint et régule les droits de visite d’un
parent sans parler du parent absent, cela ne veut pas dire que les travailleurs sociaux
« oublient » l’absent, bien au contraire. Le service développe une nouvelle approche en
direction du parent absent tout en rassurant le parent présent, sans opposer l’un à l’autre ou en
cherchant la médiation si l’un manifeste une appréhension de «voir revenir» l’autre parent.
Dans les situations dites de « délaissement », il faudrait envisager en amont, de
nouvelles pratiques pour sortir de l’attentisme actuel : mieux évaluer la place de chaque parent
et le type d’accompagnement qu’il faudrait initier afin que le parent avance dans son devenir,
dans sa capacitation. Celle-ci est construite parce que de nouvelles conditions et de nouvelles
expériences ont été favorisées, accompagnées par les intervenants.
Lorsque la force instituante du juge des enfants se fait la caisse de résonance d’un
discours sur les incapacités du parent, il est pratiquement impossible pour celui-ci de porter
cette charge négative, d’autant plus insoutenable qu’elle est formulée par les autorités (le juge
représente l’autorité de l’Etat-nation). Nombreux parents ne peuvent trouver seuls d’autres
solutions que de s’enfoncer dans l’alcool le jour des visites médiatisées ou de disparaître (la
culture rend compte de cet état de honte qui fait que l’individu « veut disparaître sous terre »).
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle24
Quelles sont les pratiques qui modifient les conditions de l’exercice de l’autorité
parentale pour sortir le parent d’un statut d’incapable que l’on trouve dans les écrits des
professionnels adressés au juge des enfants ?
L’attentisme par rapport à l’autorité parentale pourrait être remplacé par une pratique
active de reconnaissance des parents, par le self-control dans l'utilisation des adjectifs
négatifs dont la violence stigmatisante est connue. Les retrouvailles, les rencontres ordonnées
par le juge des enfants sont le lieu propice aux changements ou au « retour » aux valeurs
humanistes du travail avec les familles. Ce lieu actuellement utilisé pour « observer » encore et
encore les parents avec leurs enfants est tout à fait adapté pour :
1. aider les parents à préparer les rencontres en amont et donc, s’investir en tant que
professionnels dans une démarche créative ;
2. associer les parents pour rédiger ensemble la restitution au juge des enfants de ces
moments de visite médiatisée. Cette étape passe par celle évoquée ci-dessus. Ce changement
se déroule lors du cadre de l’alliance éducative parents-professionnels dans les visites
médiatisées, par exemple.
La formation favorise la créativité des professionnels pour développer des techniques
d’alliance entre les parents et les professionnels, fondées sur le Code civil.
Une telle démarche peut être mise en avant, car elle est inscrite dans le fonctionnement de la
PMI, dans l’intervention à domicile des parents, mais comment se traduit-elle dans le placement
familial et les foyers ? Quel espace de communication et de médiatisation directe entre les
parents et la famille d’accueil (en absence des enfants mineurs qui sont ainsi respectés,
protégés) ? Comment les deux parties se mettent-elles d’accord pour assurer une cohérence
dans la transmission et le développement de l’enfant ?
La notion de médiatisation est comprise dans l’anthropologie et la philosophie comme
un lieu de coopération entre adultes qui ont un statut d’égalité sur la base du Code civil. Ils
élaborent de concert chaque expérience proposée à l’enfant dans une démarche de
transmission : on prépare avec la mère le goûter avant l’arrivée des enfants ; on fait attention
pour que les parents n’oublient pas l’anniversaire de leurs enfants, etc.
La question formulée dans la
formation : comment limiter la marginalisation et l’éloignement symbolique et physique des
parents quand l’enfant commence à être pris en charge par les institutions ? La PMI, le service
social de la Maison départementale des solidarités développent des méthodes pour faire avec
les parents, mais dans la plus grande majorité des situations, ils touchent davantage les mères.
Le cadre juridique repose également la responsabilité éthique et le secret professionnel.
La formation vise à faire un pas de côté devant le stress induit par une logique de dépistage
des risques et des dangers qui obnubile la vigilance et la réactivité des professionnels. Car « à
trop vouloir connaître et maîtriser la réalité, on rate le réel, toujours plus proche du sur-réel (de
l’imprévu, de la surprise, de l’étranger). » (Enriquez, 2007).
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 25
II. Le Département à travers la Maison départementale
des solidarités : garant de l’inscription de l’enfant dans
la société civile
Mary Douglas met en évidence le processus par lequel se construisent les identités :
« C’est l’institution qui décrète l’identité. (...) Même les simples activités de
classement et de mémorisation sont institutionnalisées. »
(M. Douglas, 1999).
En complément, la psychanalyse ajoute une indication très précieuse:
« Il n’y a de sujet que là où il est institué. » (P. Legendre, 1985).
La formation vise à augmenter la souplesse et la diversité des pistes par lesquelles une
Maison départementale des solidarités institue l’enfant et l’accompagne dans son
développement. Chaque enfant pourrait développer une identité multiple à condition que le
Département soit en mesure de s’assurer que les parents et les professionnels établissent pour
l’enfant des espaces et modes de communication qui posent une limite aux méthodes
d’inclusion des parents dans des catégories marquées par des adjectifs stigmatisants.
La formation apporte des éléments pour repenser les rapports parents-professionnels et
pour cela il est nécessaire d’amorcer un changement de posture chez les professionnels :
« Le cadre théorique qui permet d’aborder la solidarité et la coopération entre
les professionnels et les familles. » (Balandier, 1999)
Dans une Maison départementale des solidarités, les règles de coopération et de
solidarité avec les familles se trouvent en tension avec les normes négatives utilisées pour
observer et diagnostiquer les comportements des parents :
« Parfois, la défiance est si grande qu’elle rend impossible toute
coopération. » (M. Douglas, 1999).
Une des questions formatives : comment rechercher, voire exiger l’adhésion, la
confiance d’une famille par rapport à une institution qui met l’accent sur leur inclusion dans des
catégories négatives et qui, de surcroît, pose le paradigme du placement comme une solution
sans alternative que les parents pourraient faire valoir au même moment (si ce n’est le
placement « à domicile » !) ? Aujourd’hui, ce système de protection par le placement génère
son propre « épuisement » qui se solde par des placements dits « non-exécutés ». Comment
peut-on imaginer qu’un parent ciblé en tant qu’ennemi ou adversaire des professionnels,
soupçonné ou « ciblé » comme « mauvais » (dans son comportement avec l’enfant) puisse
passer comme si de rien n’était dans un rôle d’allié et « adhérer » au placement ? Ou alors,
cette adhésion est-elle un signe d’impuissance, d’autodestruction en tant que parent, de
disparition ?
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle26
Il serait important de comprendre comment changer de rôle en passant d’une identité négative
d’ennemi à une fonction de parent porteur de projet pour son enfant.
ARTEFA accorde beaucoup d’importance aux mots utilisés et à leur définition,
étymologie, sens, car les mots sont nos premiers outils de travail, « c’est par les mots que l’on
habite et on construit le monde, le rapport aux familles, mais aussi entre nous, dans une
institution ». (Judith Butler, 2005). La parole institue les rapports entre les humains qui se
parlent et qui parlent de l’autre en son absence (parler d’une famille en réunion de synthèse).
Cette attention accordée aux mots fonde la recherche du sens et les limites du pouvoir des
institutions et des personnes, car « nous sommes des êtres de langage et néanmoins la parole
ne peut pas tout dire » (Legendre, 1985). La langue est la première institution de notre vivre-
ensemble (H. Arendt), mais aussi une arme qui peut porter atteinte à l’existence même de
certaines personnes ou catégories de personnes.
III. La filiation et la généalogie de l’enfant
Les professionnels ne sont pas toujours au clair avec leur pouvoir d’instituer et pensent
que ce sont les parents qui construisent leur identité indépendamment des institutions.
Exemple : une mère déclare auprès d’un professionnel que sa propre mère n’a pas été
« suffisamment bonne » pour elle et qu’elle refuse de la laisser rencontrer son nouveau-né. Le
service social se trouve devant la position de quelqu’un qui agit sur la base de ses
ressentiments. Cette position subjective est certes recevable quand la personne parle de son
enfance. Mais notre point de départ, c’est le nouveau-né. Comment instituer la continuité
généalogique pour lui ?
Une piste : valider, renforcer les dires de la mère ce qui installera une barrière ou une coupure
dans la généalogie de ce nouveau-né.
Une alternative : se démarquer de la position maternelle en introduisant des références
juridiques, anthropologiques et psychanalytiques et les travailler avec la mère. Elle sera
accompagnée pour passer de sa condition d’enfant au statut de parent responsable du devenir
de son enfant. De même, sa mère n’est plus que sa mère, mais la nouvelle grand-mère.
L’institution a une responsabilité dans la manière de formuler la place de l’enfant dans
une généalogie qui inclut la filiation et les deux sont institués par nos pratiques professionnelles
« l’homme ne naît pas seulement biologiquement ; il doit naître aussi en vertu de l’institution
sociale de la naissance. » (P. Legendre, 1985)
L’impact à long terme d’une coupure opérée dans la continuité généalogique entre
l’enfant et ses grands-parents a été abordé à plusieurs reprises dans cette formation.
L’institution a la possibilité (et même le devoir) d’élargir le réseau de parenté de l’enfant et de
contribuer - par l'accompagnement des parents - à une pensée créative concernant l’intérêt
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 27
supérieur de l’enfant. Cette tendance à produire un « vide généalogique » dans l’existence des
enfants placés a été mise en évidence dans les situations évoquées par les stagiaires.
Tout enfant doit être inscrit dans un espace vertical, généalogique.
Un exemple : ARTEFA a accompagné une équipe qui a mis en place des rencontres
entre une adolescente en grande difficulté et sa grand-mère. Dès les premières rencontres,
l’équipe a constaté une amélioration de l’état psychique et même physique de l’adolescente (S).
Le projet précédant misait sur l’éloignement de S par un « séjour de rupture ». Les apports
anthropologiques ont favorisé la mise en place du rapprochement entre S et sa grand-mère. Le
professionnel échangeait régulièrement avec la grand-mère pour préparer les rencontres entre
elle et sa petite-fille. Au début de ce projet, les professionnels pensaient que le conflit qui
opposait la mère et la fille était un obstacle dans le rapprochement entre S et sa grand-mère.
Un travail rythmé sur trois semaines (en raison d’une rencontre par semaine) avec la mère, puis
avec la fille, a été mis en place, afin que chacune puisse dessiner son arbre généalogique. Ce
travail eut un effet immédiat sur la mère, car l’arbre généalogique de S ne contenait qu’une
seule petite branche : celle de sa mère. Tandis que la mère a pu dessiner ses frères et sœurs,
ses grands-parents maternels et paternels, un « vrai arbre ». A partir de là, elle a donné son
accord pour que l’éducatrice contacte la grand-mère de S. Ce « pas de côté » a changé
l’inscription de S dans la vie et a mis fin à ses actes d’autodestruction (alcoolisation et tentative
de suicide). La mère a recherché ses beaux-parents en les situant sur l’arbre généalogique de
sa fille en tant que grands-parents paternels. Elle a pu parler pour la première fois de la mort du
père de S, décédé dans un accident dont elle ne lui a jamais parlée. De plus, elle a contacté les
grands-parents paternels qui avaient rompu tout lien avec elle après la mort de leur fils. S a pu
aller sur la tombe de son père accompagnée par sa grand-mère maternelle et l’éducatrice. La
mère refusait d’y aller, mais cela n’a pas été analysé dans un paradigme négatif. Son refus était
un fait anthropologique digne de respect et sans commentaires. Les professionnels se sont
aperçus que S n’avait jamais eu une expérience dans la vie réelle, hors des circuits et des lieux
de l’ASE. Sa seule expérience était en lien avec son corps qu’elle traitait comme un « objet ».
Et l’autre expérience se résumait au conflit avec sa mère. Le jour où sa mère lui a dit qu’elle
était contente de lui avoir donné la vie, même si elle n’avait pas trouvé la force de l’élever, S a
changé radicalement : elle marchait différemment, elle s’est mise à grandir d’un coup. Les
propos de la mère ont été accompagnés et élaborés dans un accompagnement avec
l’éducatrice de S. Elle a manifesté régulièrement son intérêt pour que la mère puisse élaborer
ses propres souvenirs en lien avec sa grossesse (c’est-à-dire lui raconter une histoire banale
propre à toute femme enceinte qui a des envies, etc.) et l’accouchement.
Au moment où les services de l’ASE ont été confrontés à la crise de l’adolescente, aux fugues,
à des comportements violents, les apports d’ARTEFA ont été mis en pratique comme une
« dernière chance ». Un autre volet a consisté à faire en sorte que la médiation entre la mère et
la grand-mère aboutisse à des moments d’accalmie, de vie ordinaire : un café pris ensemble,
un dialogue sur le temps, les fleurs du jardin, le chien du voisin. Cette vie ordinaire devenait le
« trésor » de S. Car elle était restituée, valorisée par l’éducatrice.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle28
Les conditions créées par les professionnels ont rendu possible cette orientation vers la
vraie vie de l’adolescente.
Cette expérience n’est pas isolée. L’analyse des situations faite par ARTEFA oriente les
professionnels vers une question alternative : « comment protéger tout en autorisant
l’enfant à revenir dans son réseau de parenté, à voir ses grands-parents ou tout autre
membre de sa famille, comment l’aider à élaborer des souvenirs qui ne sont pas inscrits
dans le risque ou le traumatisme ? »
Là encore, S était autorisée à bouger. L’équipe a cessé de comptabiliser ses « fugues » et a
utilisé la méthodologie de la circulation intelligible de l’enfant entre le foyer, l’école, le village
de sa mère et la maison de retraite où vivait sa grand-mère maternelle.
Ces apports anthropologiques permettent d’affirmer devant les parents que le motif d’un
signalement ou d’un placement n’arrête pas la vie avec leurs enfants et qu’ils continuent d’être
les sources de sa vraie vie.
ARTEFA complète le référentiel psychanalytique : la transmission et l’autonomie du
sujet sont enrichies lorsque l’enfant est inscrit dans une généalogie sur trois générations : la
filiation verticale est renforcée par le rapport généalogique enfant-grand-parents. L’expérience
de la généalogie se traduit dans les pratiques et les écrits. La méthode consiste à répondre aux
questions suivantes :
- quels documents pour inscrire et transmettre à l’enfant son arbre généalogique avec les
noms, prénoms, dates de naissance, domicile de ses grands-parents, oncles, tantes... ?
- quelles méthodes et quel « pas de côté » pour inventer une médiatisation réelle lorsqu’il y a
des conflits entre les enfants (frères-sœurs) sans installer le postulat de la séparation et de
l’individualisme ?
- quelles méthodes et quel pas de côté pour la médiatisation dans les conflits parents-enfant ?
- a-t-on été des « facilitateurs » pour que deux générations se parlent en oubliant leurs conflits
et en se mobilisant avec les professionnels pour l’avenir de l’enfant ?
IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la
répétition
Pour aborder le devenir, il faut prendre du recul par rapport à la théorie déterministe qui
établit un rapport de cause à effet entre passé et avenir.
Peut-on construire de nouvelles pratiques sur la base de l’hypothèse fertile que le passé ne
détermine pas l’avenir ? Il existe un à-venir pour chaque enfant, à condition que chaque
institution mette en mouvement un imaginaire collectif, un projet pour chaque enfant.
La notion de projet se vide de sens si une équipe croit que le passé détermine l’avenir.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 29
Or, le « retour sur le passé » est un des axes de travail dans les services de protection de
l’enfance, visible dans les écrits : la plupart du temps, on commence les rapports par refaire
d’une manière répétitive le « passé » tel qu’il a été formulé par les services.
Quand nous analysons la construction du passé dans les écrits professionnels
(notamment ce que l’on appelle « rapport d’évolution ») on constate, suivant Mary Douglas
(1999) « que ce qui est en jeu, c’est le présent » de la décision. Le passé est examiné à la
lumière de la décision à prendre dont le ‘point culminant’ est le placement de l’enfant. »
L’anthropologie permet d’examiner comment s’établit la mise en lumière de certains
aspects observés et comment on obscurcit (on laisse entre parenthèses) d’autres événements
qui ont eu lieu dans le passé des gens. Dans ce sens, Mary Douglas parle d’une mémoire
sélective produite par les institutions.
Les grilles d’observation et de recueil de données dans une famille renforcent le principe
de la répétition. Ce processus analysé par Yan Hacking (2008) est très courant dans le
domaine de la protection de l’enfance. La maltraitance participe à la construction des catégories
entourées d’adjectifs négatifs (toxique, incapable, dangereux, etc.).
Une analyse de l’histoire de la protection de l’enfance permet de comprendre que le
devenir des enfants a été peu exploré.
En revanche, la répétition a été un postulat de départ que l’on a scellé dans les
fondements même de la prise en charge : cette croyance forte est passée dans le langage et
les outils des discours scientifiques, notamment portés par le corps médical et par les
psychologues. Le crédo de la répétition a circulé dans la littérature américaine avant d’être
repris par les Français. Très rapidement, une formule allant de soi s’est installée dans
l’imaginaire collectif : « victime de mauvais traitement comme enfant, parent coupable de
mauvais traitement sur leurs enfants. » (Y. Hacking, 2008). Un tel crédo permettait de trouver
une explication simple, « héréditaire » qui était dans l’air du temps « bio ». Mais aussi, elle
permettait de produire (ou de fabriquer) des circuits de sélection au sein des populations
pauvres et considérés comme un fardeau pour la société (illettrés, pauvres économiquement,
sans patrimoine, sans ressources, peu aptes à prendre une place sur le marché du travail,
alcooliques, etc.) Dans ces populations, on puise les catégories de « parents carencés ou
maltraitants ». Mais certains bénéficient de circonstances atténuantes puisqu’ils ne font que
reproduire ce qu’ils ont connu dans leur enfance. Dans aucun autre domaine, le crédo de la
répétition n’a été investi par les professionnels et les scientifiques d’une manière aussi
passionnelle. Alors que les études accumulées ne permettent pas d’énoncer autre chose
qu’une croyance ou un crédo.
Le principe de la répétition a été aussitôt relié à « l’injonction de séparer les bébés de
leurs parents. » (Y. Hacking, 2008) Ce qui étonne, c’est de constater que ces enfants élevés
depuis la naissance dans d’autres familles et institutions sont inscrits dans la catégorie des
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle30
futurs parents incapables de prendre en charge leurs enfants « puisqu’ils n’ont pas vécu avec
leurs parents ». Ce fonctionnement en boucle aboutit donc, à la même conclusion : qu’ils soient
laissés avec leurs parents ou qu’ils soient séparés et élevés dans d’autres familles, une
catégorie d’enfants alimente sans cesse le domaine de la lutte contre la maltraitance d’enfants.
ARTEFA pose un raisonnement alternatif :
A. soit la capacité d’être mère et père est d’ordre héréditaire et même génétique ou tient
à l’instinct, dans ce cas, la fatalité annule le bien fondé de toute séparation, mais aussi du
devenir.
B. soit on est dans le champ du devenir parent où les comportements de ses propres
parents et ses propres souvenirs d’enfance ne sont qu’une partie de la matière que chaque
personne utilisera pour commencer un nouveau cycle à partir de sa fonction parentale.
Le devenir est inconcevable sans l’exercice de la liberté :
« Cette liberté consiste en ce que nous appelons la spontanéité, voire, d’après
Kant, le fait que chaque homme est capable de débuter de lui-même une
série. La liberté signifie la même chose que poser-un-commencement-et-
débuter-quelque-chose dans la continuité des anciens, des générations qui
nous ont précédés. » (H. Arendt, 1995).
Il s’agit donc d’accompagner les possibilités de choix pour que chaque parent marque
son originalité dans l’éducation de son enfant, tout en gardant le cadre des valeurs et des lois.
Le devenir parent est une forme de recherche qui a besoin d’appui, d’accompagnement, de
validation des institutions fréquentées par les enfants. Chacun cherche à réinventer la
transmission d’une histoire vivante dans une société à tendance amnésique où les passages
entre les générations ne sont plus assurés par les grandes structures socio-économiques qui
sont nécessaires pour que le père soit inscrit dans le processus de transmission en direction de
son fils :
« Transmettre un métier repose sur un ensemble de prescriptions sociales,
et tout d'abord sur les modalités d'appropriation sociale des savoirs entre le
père et le fils. » (Denis Chevallier, coord.)
Le devenir du parent se concrétise dans l’expérience du don : je donne à mon enfant
pour qu’il puisse donner à son tour, d’une manière personnelle, créative, aux autres. Ce ne sont
pas des objets, mais la continuité généalogique, des ressources symboliques que l’on transmet
dans le renouvellement du don. Chaque naissance réenclenche la dette du devenir humain
dont les parents sont les « passeurs privilégiés » à condition qu’ils ne soient pas isolés, sans
réseau social. (M. Maïlat). Le devenir provoque de l’incertitude chez le parent : « qui je suis ?,
suis-je sur la ‘bonne voie’, ai-je bien agi ? Est-ce que mon enfant se débrouillera, survivra sans
moi ? » Ces questions, le parent ne peut les porter seul. Il doit être accompagné, confirmé,
critiqué par les autres qui assurent leurs contributions auprès des enfants.
Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 31
Le devenir du parent soulève l’idée implicite de sa mort : l’horizon du devenir est celui
de la vieillesse et de la fin. L’être humain ne va pas de soi. Il est pris dans l’éternelle question
sans réponse du non-être : « en tant qu’être-dans-le-monde, l’homme ne s’est pas fait lui-
même, mais a été jeté dans cet être qui est le sien. » (H. Arendt, 2002).
Par leur qualité de citoyens, les parents font partie de la société. La reconnaissance des
autres qui confère un statut à la personne est le pilier auquel s’adosse le parent dans
l’éducation de ses enfants ou quand il rencontre des difficultés avec eux (à l’adolescence, par
exemple).
Les enfants intègrent le respect et la dignité lorsque leurs parents sont reconnus par
leurs pairs (les bénévoles d’une association, les professionnels, le juge des enfants, les voisins,
etc.).
La vie sociale des parents ouvre aux enfants une porte vers la société.
V. Faire la différence entre répétition et transmission
Suivant l’anthropologue Godbout (1992), la répétition caractérise les organisations
rationnelles de type industriel et/ou bureaucratique. La répétition repose sur la standardisation
des actes, des outils, des écrits et sur l'interchangeabilité. Par exemple, dans un service, un
poste d'assistante sociale peut être occupé par plusieurs personnes qui se succèdent sans que
cela produise un dérèglement majeur dans l’organisation et son management. Mais même dans
un système qui repose sur la répétition, le vécu subjectif, affectif apparaît : les collègues
peuvent regretter le départ d’un collègue :
«Toute l'organisation rationnelle industrielle et bureaucratique est fondée sur un principe
niant l'unique, celui de la répétition et de la reproduction du même à l'infini, celui où rien
ne doit apparaître d'imprévu, car l'imprévu est considéré comme imperfection, anomalie,
dans la chaîne de la reproduction parfaite du même. Le principe du don est au contraire
l'imprévu, « something extra » (Cheal, 1988), ce qui échappe, ce qui apparaît venant
d'on ne sait où, ce qui naît, ce qui brise la chaîne reproductrice du même au profit de la
fécondation, de la naissance.» (Godbout, Caillé, 1992)
Mais la naissance d’un enfant introduit d’emblée l’imprévu, la surprise, l’étranger, la
nouveauté. Chaque enfant est une altérité qui échappe à la répétition. Cependant, par
l’éducation, il intégrera des normes, des comportements propres à la société dans laquelle il vit.
L’identité de l’enfant se forme au cours d’un processus de reconnaissance :
reconnaissance des parents (« tu es mon fils/ma fille »), mais aussi reconnaissance des autres
institutions (« bon élève », « handicapé », « incasable », etc.).
Reproduction transgenerationnelle referentiel artefa 2013
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  • 1. Protection de l’enfance Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle (2010-2012) Maison départementale des solidarités de Coulommiers www.seine-et-marne.fr ARTEFA - directrice Maria Maïlat artefa17@yahoo.fr
  • 2. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 3 PRÉAMBULE Le Schéma départemental de l’enfance, de l’adolescence et de la famille énonce dans ses principes d’action que : « protéger un enfant, c’est accompagner le parent dans son rôle éducatif, en prenant appui sur ses compétences parentales et en valorisant ses savoir-faire », confirmant ainsi la priorité donnée au lien enfant-parents ; « chaque accompagnement proposé aux familles cherche systématiquement à répondre à l’intérêt de l’enfant, dans le respect de ses droits », mettant l’accent sur la nécessité de co-construire avec l’enfant et sa famille le projet le plus approprié au moment considéré, en cohérence avec l’histoire de l’enfant, son vécu et les interventions déjà existantes et en prenant en compte l’histoire des parents ; « assurer la cohérence du parcours de l’enfant et de l’adolescent » et donc lui « garantir une prise en charge éducative adaptée » impose aux différentes institutions et à leurs intervenants de mieux partager pour mieux comprendre les éléments des parcours de l’enfant et de sa famille et de se coordonner. Ce sont ces principes qui ont guidé la démarche initiée depuis 2007 par la Maison départementale des solidarités (MDS) de Coulommiers, confrontée à des chiffres en constante évolution dans le champ de la Protection de l’Enfance (informations préoccupantes, mesures d’action en milieu ouvert et mesures de placement). Enrichie de deux diagnostics mettant en relief les spécificités des parcours des familles concernées par le dispositif de protection de l’enfance, les réflexions locale et départementale ont permis l’inscription de ce territoire dans des actions successives : le plan expérimental de prévention (PEP) entre 2008 et 2010, toujours poursuivi, qui offre une intervention médico-sociale individualisée et un accompagnement préventif de proximité à des familles fragilisées, avec de très jeunes enfants et désireuses d’être soutenues ; une formation-action animée par ARTEFA, dans le cadre d’un projet de service, pour l’ensemble des professionnels de la MDS, portant sur le processus de reproduction transgénérationnelle de dysfonctionnements intrafamiliaux voire de conduites et de faits de maltraitance. Nous vous proposons de prendre connaissance du contenu de cette formation qui répond à la nécessité, pour les professionnels, de mieux repérer et appréhender l’expression de la reproduction transgénérationnelle et intergénérationnelle dans le champ de la protection de l’enfance. Il s’agit de faciliter et enrichir l’accompagnement des familles au moyen de pratiques professionnelles différentes et innovantes et à partir de repères théoriques d’action complémentaires. « Accompagner autrement, c’est penser et agir ensemble autrement » résume l’investissement et la mobilisation des professionnels de la Maison départementale des solidarités de Coulommiers.
  • 3. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle4 SOMMAIRE I. Axes et méthodes de la formation ..........................................................................5 I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance .........................5 I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant..................................................................8 I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de l’enfant ........10 I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition ...................................................14 I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la sérénité..........17 I/6. La force instituante et la méthode du décentrage...........................................................19 I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant ..................21 II. Le Département à travers la Maison départementale des solidarités : garant de l’inscription de l’enfant dans la société civile.........................................................25 III. La filiation et la généalogie de l’enfant...............................................................26 IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la répétition .....................28 V. Faire la différence entre répétition et transmission ...........................................31 VI. Donner-recevoir-rendre et la reconnaissance ...................................................35 VII. Apports sur l’autorité : les autorités et l’autorité parentale ............................35 VIII. Les métamorphoses du modèle «famille» .......................................................39 VIII/1. Les politiques familiales de l’Etat-nation entre welfare et workfare............................39 VIII/2. Plusieurs modèles de familles cohabitent dans l’histoire de la France ......................40 VIII/3. La filiation est une institution. Lire les liens de parenté autrement.............................42 IX. La parentalité : sens et paradoxes d’un mot promu par les experts ...............44 IX/1. La tentative de donner à ce mot un contenu politique..................................................44 IX/2. La responsabilité en chantier .......................................................................................46 X. Le «pas de côté» anthropologique : l’écriture de l’histoire de vie....................47 XI. Fiche transversale ARTEFA pour les situations complexes ...........................50 XII. Conclusion...........................................................................................................52 Annexes : 1 - Réflexions comparatives entre la méthode ARTEFA et le référentiel d'évaluation CREAI 2 - Bibliographie des auteurs cités par ordre alphabétique 3 - Fiche transversale ARTEFA pour l’analyse d’une situation familiale complexe
  • 4. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 5 I. Axes et méthodes de la formation I/1. Approfondir et compléter les repères utilisés en protection de l’enfance La formation-action contribue à appréhender et compléter les références et techniques professionnelles d’intervention dans la famille de l’enfant et auprès de l’enfant. Il s’agit du corpus de concepts et de leur « mode d’emploi », utilisés sur le terrain à la suite d’une « information préoccupante », d’un « signalement » ou à la « demande des parents ». Aujourd’hui, la prévention fait partie de ce processus. L’évaluation est une méthode censée introduire dans la vie ordinaire et singulière d’une famille, l’intérêt supérieur de l’enfant et orienter la décision suivant le principe ouvert de son devenir. Ce devenir est mis à mal par les théories qui accordent un pouvoir dominant au passé au détriment de l’avenir. Le passé n’existe que dans un processus d’évocation, en fonction des repères et omissions utilisés par ceux qui mettent en mots ce « passé » de l’enfant. Les concepts utilisés ont donc un poids déterminant dans la construction du passé. Le devenir de l’enfant est explicité dans l’article L112-4 de la Loi 2007-293 du 5 mars 2007 - art. 1 JORF 6 mars 2007 consolidé en 2012 : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ». Au fil des années, depuis la loi de 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs, le placement peut parfois faire écran à la finalité de la protection qui vise à modifier les conditions de vie afin de satisfaire les besoins de l’enfant et d’assurer son développement. Cette finalité devrait guider les méthodes d’évaluation et d’intervention à moyen et long terme. La question centrale est la suivante : quels sont les effets produits par les interventions et les écrits professionnels pour le bien-être et le développement de l’enfant ? L’impact réel, concret des pratiques professionnelles sur l’enfant est, pour l’instant, peu analysé et on constate un manque de repères permettant cette prise de recul. ARTEFA constate que, sur le terrain, les services produisent des écrits qui contiennent des « photographies » qui sont souvent réduites à un argumentaire motivant sa prise en charge et/ou son placement. L’observation est davantage guidée par l’intention de vérifier l’hypothèse du danger et de proposer une mesure (ou une répétition de mesures). Cette logique qui cherche à identifier et à extraire du contexte un certain nombre de détails que les professionnels recomposent, dans un rapport écrit, bloque l’analyse des effets provoqués dans la vie de l’enfant par les questions qu’on lui pose et par les échanges que l’on a devant lui avec ses parents. Quels sont les effets des entretiens que certains professionnels ont avec l’enfant dans le cadre d’une procédure d’information préoccupante, par exemple ? On ne peut guère imaginer que les questions qu’on lui pose ne génèrent pas des effets sur sa manière de comprendre le monde dans lequel il vit. Mais est-ce la logique du soupçon, la peur et le sentiment de danger promus dans les référentiels d'évaluation qui ouvrent l’horizon du devenir à l’enfant, apportent des stimulants propices à son développement, à ses besoins de liberté, de
  • 5. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle6 protection et d’appartenance ? Comment dépasser cette logique conflictuelle installée par l’évaluation pour cheminer vers l’innovation de nouvelles formes de solidarité et d’alliance éducative proposées aux parents ? Ainsi, il serait temps de revoir la théorie qui bâtit un mur infranchissable entre le placement familial et l’environnement ordinaire et singulier de la famille de l’enfant. Cette théorie installe deux familles en conflit que l’enfant est le seul à devoir « habiter » ou traverser. Sans l’innovation des formes d’alliance éducative autour de l’enfant, entre adultes qui entament un débat guidé par l’intérêt supérieur de l’enfant, l’évaluation risque d’alimenter davantage ce climat de conflit stérile qui oppose - dans un cercle vicieux - les parents aux professionnels et vice-versa. L’enfant se trouve devant l’injonction implicite de faire cesser ce vécu de déchirement entre les deux familles en faisant un choix qui le met davantage en danger. Car s’il choisit sa famille, il est dit qu’il met en échec son placement. Et s’il choisit la famille d’accueil, il vit un processus d’adoption silencieuse qui lui fait espérer que son adaptation à la famille de l’assistant familial va lui donner un jour un statut d’enfant réel de ce salarié. Pas étonnant que dans ces conditions, les logiques institutionnelles prennent plus de place que la réflexion sur le devenir de l’enfant et les méthodes éducatives qui enrichissent son développement. Un premier aspect concret réside dans le domicile de l’enfant. Quel accompagnement pour le logement des parents, pour que l’enfant se sente chez lui dans sa famille ? Les apports philosophiques mettent l’accent sur le besoin d’appartenance concrétisé par le fait d’habiter un chez soi : ce besoin est fondateur du sujet. Mais l’évaluation des besoins de l’enfant glisse parfois vers une justification du prolongement des mesures administratives ou judiciaires qui finissent par institutionnaliser l’enfant dans un espace dit « neutre » qui ne lui accorde aucun accès à un chez soi. Nul ne peut se développer dans une institution sans acquérir l’expérience et l’ancrage dans sa maison avec les siens. De plus, l’écart creusé entre l’enfant et ses parents est dédoublé par la rupture de la vie partagée avec ses frères et ses sœurs. ARTEFA attire l’attention sur le processus d’institutionnalisation de l’enfant qui grandit entouré de « liens sociaux » professionnels : l’enfant constate que la vraie vie des professionnels se situe ailleurs, dans un monde qui lui est interdit. Parfois, l’enfant fait des fugues pour vivre dans le vrai monde, à la recherche d’un « chez soi » : il rentre chez lui, près de ses parents. Mais ces derniers n’ont pas « évolué », car les mesures ne sont guère pensées en termes d’accompagnement des parents. Il est surprenant pour un anthropologue de voir que l’aporie de la séparation ne questionne pas les experts par le fait qu’une telle mesure génère des mécanismes de destruction des liens sociaux et affectifs entre les parents et les enfants, sans parler de la négation des contacts avec les autres membres de la famille. L’enfant est en exil. A quel moment est-il chez lui ? A quel moment dissipe-t-on le malentendu entre une mesure institutionnelle et le fait d’habiter une vraie maison avec les siens ? Dans plusieurs Départements, on constate une augmentation des placements sans pour autant explorer et soutenir la création des nouvelles rencontres et expériences avec les autres membres de la « famille élargie » de l’enfant (frères, sœurs, tantes, oncles, grands-parents, cousins, etc.). Parfois, les a priori négatifs servent de « barrières » pour ne pas aller vers les
  • 6. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 7 autres membres de la famille élargie. Or, il s’agirait de favoriser la transmission de l’histoire familiale sans la réduire aux motifs du signalement ou du placement. Dans la famille élargie de l’enfant, les expériences nouvelles peuvent émerger avec le soutien et la créativité des professionnels. Les parents ont parfois besoin de ces tiers éclairés pour refaire connaissance avec leur enfant, le découvrir et lui accorder un autre regard. De même, la symbolique des grands-parents dans la vie de l’enfant pourrait être portée par le professionnel. Ce dernier dispose des outils qui rendent possible l’inscription de l’enfant dans l’arbre généalogique qui est le sien. Le passage d’une génération à l’autre est à intégrer dans le référentiel des professionnels. La méthode ARTEFA approfondit la compréhension du besoin d’appartenance de l’enfant : ce besoin se concrétise par le domicile. Le « chez soi » de l’enfant ne devrait pas être « absorbé » par une institution, même dans le cadre du placement familial. La demeure, l’habitation constituent le vecteur de la prise de conscience de notre être au monde (Heidegger, 2011). Nous habitons un monde dans lequel chacun établit son identité en fonction d’un chez soi, d’un village, d’un quartier, d’une maison ou d’un appartement. Or, depuis peu, on constate que l’institution envahit le domicile et génère un paradoxe de taille : on parle du « placement au domicile des parents ». Hormis le paradoxe philosophique, cette « extension » pose d’autres problèmes, tel que le déni du principe républicain du respect de l’espace privé de la famille. On retourne le dedans comme un gant et on l’expose au regard des étrangers-professionnels comme s’il s’agissait d’une « nature morte ». Cette destruction de l’espace privé par l’ingérence intempestive des professionnels au domicile est questionnée : quels sont les effets générés dans la personnalité de l’enfant ? Rien d’étonnant qu’un enfant qui grandit sans la notion d’espace privé, arrivé à l’âge adulte, dévoile sa vie devant les professionnels jusqu’aux détails les plus intimes. Parfois, c’est le contraire qui se produit : il rejette les professionnels et devient même violent lorsqu’il est contacté en tant que parent. Lorsqu’on écoute les parents dans le cadre d’ATD Quart-Monde ou du Secours Catholique, ils parlent du placement comme d’une « Epée de Damoclès » qui peut à tout moment trancher dans le vif de leur vie en famille. La loi du 5 mars 2007 tente de repositionner l’enfant en tant que finalité de sa protection : le projet pour l’enfant est une innovation majeure inscrite dans la loi qui exige de repenser les références et modes d’intervention. En Seine-et-Marne, la question de la démarche évaluative a constitué une priorité et a été traitée avec le concours d’intervenants extérieurs, ayant répondu à un appel d’offre de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger. Il s’agit de construire un référentiel d’évaluation des situations familiales dans le cadre de la Protection de l’Enfance, puis de le porter à la connaissance de l’ensemble des travailleurs sociaux et médico-sociaux du Département dans le cadre de sessions de formation. Un travail d’approfondissement a été conduit avec les cadres et les chefs de service sur les « écrits ». Une comparaison entre ce référentiel et les repères ARTEFA se trouve en annexe de ce document.
  • 7. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle8 Les repères ARTEFA ont été traduits dans des fiches construites avec les équipes de la Maison départementale des solidarités de Coulommiers et expérimentées à partir des situations familiales complexes. I/2. Rattacher la protection au projet pour l’enfant Cette formation-action a favorisé le prolongement et l’approfondissement des questionnements et des méthodes. En terme de protection-projet pour l’enfant, on a développé davantage les questions suivantes : • quelle lisibilité concernant les effets générés dans le développement de l’enfant par les théories et pratiques des professionnels ? Cette question devient un « impératif » lorsqu’on intervient à partir des inquiétudes, appréhensions et problèmes envisagés par les services. Depuis la naissance de la pensée occidentale, le problème exige une approche dialectique : il s’agit de formuler à la fois l’existence et l’inexistence du problème ou du danger en question. Les professionnels devraient évaluer autant les « signes » qui alimentent leur inquiétude et appréhension que les aspects qui contredisent ces mêmes inquiétudes. Sans l’approche dialectique, le système de protection de l’enfance se referme sur une pensée unique, linéaire qui conduit de l’information préoccupante à l’injonction d’une mesure d’intervention. Cette linéarité est inflationniste. Or, la culture d’une famille ne se réduit jamais aux problèmes et/ou aux dangers. Bien au contraire, ce qui peut paraître une carence éducative est intégré dans un sens caché que l’enfant expérimente sans qu’il soit lisible pour les professionnels. Les professionnels nomment ce qu’ils s’attendent à trouver dans la famille, mais l’inconnu, le caché, l’inattendu demeurent souvent invisibles à leurs outils d’évaluation. • quels changements peut-on envisager pour assurer la circulation intelligible des enfants entre la société civile, son réseau de parenté et les structures de prise en charge ? Dans cette perspective : quels changements favoriseraient la création des réseaux solidaires réunissant les parents et les assistants familiaux, de sorte que les adultes puissent s’informer et se « former » mutuellement ? Comment travailler sur l’inclusion des parents dans une élaboration du projet pour leur enfant ? quelle évaluation de l’utilisation de l’argent dans la protection de l’enfance (le prix de journée) et les effets réels produits par cet investissement sur l’avenir de l’enfant ? Pour l’instant, la théorie qui situe le « mal absolu » dans le lien parent-enfant et l’érige en cause de son échec ou de son retard a le vent en poupe. A quel moment posera-t-on la question de l’accompagnement visant la résilience et surtout le développement des potentialités propres à tout enfant ? Pourquoi des enfants qui ont traversé des années de guerre parviennent à faire des études, à apprendre des langues, à trouver leur équilibre et à s’intégrer dans la société et pourquoi l’accès à la normalité et à l'équilibre, à l’insertion et à l’épanouissement seraient inaccessibles aux enfants pris en charge pour « carences éducatives » ou un « risque de danger » ou « climat incestueux » ou des problèmes d’hygiène ?
  • 8. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 9 quelles innovations lors des visites médiatisées ? Pourquoi sommes-nous de nouveaux pris dans une logique linéaire d’observation des défaillances, carences, manques ? Comment met- on en pratique le processus de médiatisation, en quoi consiste-t-il ? Là encore, quelle mobilisation pour proposer de nouvelles expériences de vie entre l’enfant, ses parents, sa fratrie et sa famille élargie ? Quelles sont les méthodes visant à réussir la visite médiatisée ? Comment fait-on pour ne pas transformer ces moments en un « bureau d'enregistrement » des choses que l’on a déjà formulées dans les rapports ? Comment et qui associe et accompagne les parents en amont des visites médiatisées, de telle sorte que l’enfant puisse découvrir un autre visage de ses parents, une autre facette de leur présence ? La visite médiatisée devrait repenser ces deux termes associés dans l'intérêt supérieur de l’enfant : l’enfant a besoin de ses parents et surtout, il a besoin de constater qu’accompagnés, soutenus, ils sont en mesure de lui proposer d’autres expériences de vie qui composeront plus tard ses souvenirs d’enfance. Une mère interviewée pendant cette formation-action qui a été placée pendant une quinzaine d’années nous a dit qu’elle avait échangé avec la famille d’accueil et avait consulté son dossier ASE : « J’ai une mémoire, mais je n’ai pas de souvenirs. Aucun souvenir, non, rien. Quels souvenirs ? Je ne sais pas... Des souvenirs comme tout le monde... des choses simples... Je n’ai pas eu d’enfance. J’ai été bien traitée par les éducateurs et la famille d’accueil, mais je n’ai pas connu l’enfance. J’en veux à ma mère. Elle me dit que les éducateurs lui ont dit que je serais mieux dans une famille d’accueil. Ma mère travaillait, son mari la battait, elle buvait, elle était paumée... D’accord, mais ce n’est pas un motif pour me séparer d’elle ! Je vois mon frère. Il a vécu avec ma mère. Ils ont des trucs à se dire, ils rigolent. Moi, je n’ai rien à partager avec eux... Avec la famille d’accueil, ce n’est pas pareil. Si je pouvais choisir ? J’aurais aimé rester avec ma mère et mes frères. Jamais je ne voudrais être séparée comme ça de ma fille... J’ai peur pour ma fille. Je suis dans le collimateur. Bientôt, ma fille aura le même âge que moi au moment de mon placement... J’ai peur qu’ils me la placent. Comme je n’ai pas de logement, pas de travail, c’est facile... Non, non, je n’invente pas, ils me l’ont déjà dit. Que faire ? Je fais tout ce que je peux, mais ce n’est jamais assez. Je l’amène à l’école, vais la chercher, je m’occupe de ma fille... La nuit, je pleure et prie, pourvu qu’elle ne soit pas placée comme moi. » quelles méthodes pour que ces moments de retrouvailles en famille deviennent une source de bien-être de l’enfant et de ses parents, frères, sœurs, grands-parents ? Comment organise-t- on les fêtes dans la famille, avec ses parents ? Combien d’enfants écrivent-ils une carte postale à l’anniversaire de leur parent ? ARTEFA complète ces questionnements par d’autres pistes/questions : • quels sont les leviers des professionnels pour construire la reconnaissance de l’identité de l’enfant ? On pense à l’extrait de l’acte de naissance qui permet d’instituer le père et la mère et de ne pas se laisser prendre dans l’opinion publique qui véhicule le fantasme du « parent biologique » ? La question se pose lorsqu’il faut faire le passeport de l’enfant : comment a-t-on accompagné les parents pour qu’ils puissent comprendre que le domicile de leur enfant est chez eux ? Combien de services vérifient-ils que les bulletins scolaires de l’enfant sont envoyés aux deux parents lorsqu’ils sont séparés ou divorcés ? • comment accompagne-t-on l’exercice de l’autorité parentale ?
  • 9. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle10 I/3. Les principes d’une protection ouverte vers le récit de vie et à l’avenir de l’enfant Les principes de droit commun qui fondent la protection de l’enfance devraient devenir lisibles dans toute intervention professionnelle auprès de l’enfant : • le principe de subsidiarité : Comment agir pour réduire le nombre d’interventions et le nombre de professionnels présents auprès du même enfant ? Les services composent une « permanence » de plus en plus massive autour de l’enfant, chose qui limite l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la vie sociale. Un des repères d’ARTEFA : au lieu de se focaliser sur l’enfant, nous axons l’analyse des situations sur l’unité «famille». On met en connexion les frères et les sœurs et on identifie l’ensemble des intervenants dans la même famille. Dans une famille de trois enfants, par exemple, lorsqu’on compte les intervenants, on constate un phénomène de masse du côté des professionnels et un ou deux parents qui doivent faire face aux exigences de cette « masse ». Parfois, on constate qu’une mère désignée dans les rapports comme «isolée» est sollicitée par cinq, six, voire dix ou douze professionnels. Cette situation alourdit la compréhension et l’autonomie du parent. Il est aussi « institutionnalisé » à son insu. Cette situation peut provoquer de la dépendance et de la saturation chez le parent. Au cours d’une recherche-action récente, l’équipe d’ARTEFA a constaté qu’une mère ayant trois enfants pris en charge a dû s’acheter un calepin pour «gérer» les rendez-vous fixés par les professionnels. De plus, ces professionnels ne s’ajustent pas entre eux, chacun suivant un enfant, sans tenir compte de la famille dans sa globalité. • le principe de proportionnalité implique plusieurs aspects : 1. lorsque les interventions des professionnels ne produisent pas une amélioration ou un mieux-être dans la famille, il est inutile de démultiplier les mesures. Suivant ce principe, il s’agit de mieux connaître les besoins humains des parents, tel que le besoin de dignité et de soutien. En analysant plusieurs situations, nous avons constaté que les parents exprimaient des besoins (en termes d’accès à un logement, par exemple), mais leurs besoins n’étaient pas repérés. De plus, les intervenants communiquaient peu entre eux et lorsqu’ils n’étaient pas d’accord, le débat contradictoire était difficilement mis en place. Il apparaît qu’un écart se creuse entre les repères d’observation des professionnels et les demandes des familles formulées sur la base de leur vécu. 2. le principe de proportionnalité pose la question suivante : comment innove-t-on dans la vie de l’enfant, l’équilibre entre les liens qu’il tisse avec des professionnels salariés et avec sa famille ? Les liens tissés dans le monde des salariés du Conseil général et des autres services sont-ils transférables dans la vie sociale, hors institution ? Une étude de l’INED indique qu’une proportion importante de SDF 1 ont un passé de placement : cette étude semble mettre en 1 « Parmi les événements survenus durant l’enfance et l’adolescence, le placement mérite une attention particulière. Les personnes ayant été « placées » sont largement sur-représentées parmi les populations sans domicile (estimées à 23 % sur cette enquête de l’Insee, à comparer à 2 % en population générale logée), en particulier parmi les plus jeunes (35 % parmi les 18-24 ans), et ce
  • 10. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 11 question la « transférabilité » de l’expérience dans le placement vers un savoir vivre en société à l’âge adulte. 3. la proportionnalité devrait être pensée également lorsqu’on utilise la prédiction négative dans la prise en charge. Comment rendre visibles les mécanismes de culpabilisation et de rejet des parents qui sont à l’œuvre dans le système actuel de protection de l’enfance ? Comment passer d’une culture de culpabilité et d’aveu vers une prise en charge pragmatique cherchant à améliorer d’une manière claire et lisible la vie des familles dans leur environnement et avec leurs enfants ? L’anthropologie affirme que les réseaux de parenté sont structurés sur d’autres normes que celles de la théorie de l’attachement, par exemple. Il s’agit notamment du langage du don qui devrait être pris en compte d’une manière complémentaire avec la théorie de l’attachement. Le langage du don est celui du réseau de parenté qui introduit d’autres règles : l’enfant né en « obligé » du monde, comme disait H. Arendt. Il reçoit un don de vie doublé de son inscription dans le monde par la filiation. Avec le don de vie, il reçoit aussi la mort : tout enfant naît mortel. Le don de vie (symbolique) ne cesse d’être interrogé par l’enfant qui suivra la ligne de partage entre la vie et la mort. Cette ligne bouge au moment de l’adolescence quand la crise le pousse à creuser en profondeur l’être et le non-être (cf. Hamlet). Ainsi, on y trouve la réciprocité différée : on donne à l’enfant pour qu’il puisse donner aux autres à son tour et que le parent puisse être fier quand il rencontre un instituteur de son fils ou de sa fille ou tout autre éducateur qui s’occupe de son enfant. On donne à l’enfant pour que plus tard, il puisse être différent de ses parents, mais sans oublier son appartenance. La famille demeure un « port d’attache » pour tout être humain. La réversibilité se décline dans les processus de pardon et dans l’appartenance, ainsi que dans l’honneur. Tous ces aspects sont lisibles dans le film « La Merditude des choses », réalisé par Félix Van Groeningen, qu’ARTEFA a utilisé comme support dans cette formation. • le principe de liberté rattachée à la séparation : Dans la société civile, la séparation est un « au revoir », « à ce soir », etc. Il s’agit d’un rapport au temps, rythmé par les retrouvailles. On se sépare pour mieux se retrouver et se redécouvrir autrement. Dans la société civile, la séparation s’exerce en relation avec les besoins de liberté et du choix et surtout avec le fait de se retrouver (les retrouvailles conditionnent la qualité de la séparation). La rupture est imposée, notamment par des institutions qui surplombent la vie ordinaire des personnes. Toute institution a une force produisant la rupture des relations humaines, familiales, même lorsqu’elle affiche le mot « séparation ». La séparation est génératrice d’expérience dans le lien, par le renforcement d’un lien qui s’enrichit lors de la séparation parce que chaque partie envisage le récit des expériences vécues lors de la séparation. Le récit s’élabore lors des retrouvailles, après la séparation. Ce moment d’après la séparation quand les parties se retrouvent est le principal vecteur de toute expérience de phénomène s’observe aussi dans d’autres pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.» (Firdion, 2004; http:// www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/cs123m.pdf)
  • 11. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle12 séparation. Autrement, la séparation aléatoire, prolongée, sans promesse des retrouvailles, se réduit à une expérience de perte et même d’échec, de désillusion aussi. • le principe du respect du Code civil par les services du Département, car le Président étant chef de file, il est garant du cadre posé par le droit positif et de ses applications concrètes. Lorsqu’une ordonnance du juge des enfants est prononcée, celle-ci n’abroge pas le Code civil et encore moins la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention internationale des droits de l’enfant. Comment applique-t-on le Code civil en prolongement et en complémentarité avec l’ordonnance du juge des enfants ? L’ordonnance du juge des enfants ne suffit pas. Par exemple, lorsque le père n’est pas cité dans l’ordonnance du juge des enfants, comment l’introduire dans l’histoire de l’enfant puisqu’il est inscrit dans la société par cette filiation ? Comment identifier la réalité anthropologique et juridique de la fonction PERE, sans la réduire aux dires de la mère ou à un fantasme biologique ? Comment accompagner la mère pour qu’elle puisse autoriser l’enfant à acquérir une forme de connaissance de son père. Comment l’apaiser au lieu d’alimenter ses ressentiments dans le cas où celui-ci est peu présent ou ne se « manifeste » pas ? Comment ne pas réduire à une vision comportementaliste cette fonction sociale, symbolique indispensable pour ceux qui ont été reconnus et inscrits dans une filiation patrilinéaire ? A l’inverse, quand un compagnon de la mère est désigné par celle-ci sous l’appellation de «père» ou « père biologique » comment tient-on compte de la nécessité de respecter le Code civil et de vérifier que ce Monsieur a reconnu l’enfant, qu’il l’a inscrit dans sa filiation ? Autrement, il peut certes s’agir d’un compagnon attentif à l’enfant de sa compagne, mais la relation amoureuse ne se substitue en aucun cas à la filiation, et donc à la fonction du père. Il convient de bien distinguer la conjugalité de la fonction parentale : la première est horizontale entre deux adultes qui passent une partie de leur vie ensemble et qui ont le droit, à tout moment, de se séparer, gardant chacun son autonomie, son identité et son état civil sans modification. Mais la filiation est une inscription verticale de l’enfant dans la lignée généalogique d’un homme qui, par cet acte volontaire de reconnaissance, entre dans la fonction de père. La filiation est une reconnaissance validée, légitimée par la République et elle ne peut être défaite par une simple séparation. Elle peut faire l’objet d’un désaveu, d’un refus, mais ce sont des cas exceptionnels. Tandis que la vie en couple suivie de séparation représente plus de la moitié de la vie ordinaire des Français adultes. Un autre exemple : lorsque le juge des enfants ne dit rien sur le réseau de parenté élargi de l’enfant, le Code civil doit être respecté. Les professionnels accompagnent les parents pour que l’enfant puisse dessiner son arbre généalogique pour situer ses grands-parents, ses oncles, tantes, cousins, cousines. L’application de ces principes alimente le chantier du projet pour l’enfant contenu dans la loi du 5 mars 2007. A ce jour, quelle collectivité territoriale a envisagé de fonder un « observateur du projet pour l’enfant » ? Où en sommes-nous dans la construction effective de la protection-projet pour l’enfant ? Certains Départements ont marqué leur volonté de prendre en considération l’enfant,
  • 12. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 13 ses parents voire ses frères et sœurs en dénommant le processus de construction du projet : « projet pour l’enfant et sa famille ». Cela exige que l’on pense le parent dans un processus de devenir : on ne naît pas parent, on le devient et chaque enfant stimule ce devenir parent. ARTEFA développe des méthodes pour mieux appréhender ce devenir parent dans les Maisons départementales des solidarités. Les apports d’ARTEFA sont issus de l’anthropologie, de la philosophie et du droit. Certains de ces apports viennent conforter et consolider une série de pratiques déjà existantes comme, par exemple, les pratiques de la PMI, du Programme Enfance Prévention (PEP), l’accompagnement des parents vers l’insertion. D’autres références nécessitent des étapes d’appropriation et de créativité en groupe afin de pérenniser les apports dans les pratiques des professionnels. ARTEFA utilise une méthodologie générative qui accompagne et incite les professionnels à identifier leur propre processus de penser l’intervention, c’est-à-dire leur manière de produire des observations, de les analyser et de les utiliser dans leurs rapports. Les journées de formation invitent à effectuer en groupe des exercices pour passer de la théorie à l’application des apports et aussi faire un pas de côté pour porter un regard critique et créatif, pour prendre conscience que tout processus de mise en mots (oral et écrit) confère non seulement un sens aux réalités, mais cristallise le pouvoir exercé par les institutions dans la vie des enfants et de leurs parents, ou même leur présence dans l’histoire. Ce pouvoir, on le nomme « force instituante ». Cette force instituante modèle l’histoire des familles (cf. Les rapports écrits). L’enfant pris en charge « baigne » dans la culture composée de savoirs propres aux professionnels. Ce sont les professionnels qui détiennent cette « force instituante » de transformer leurs observations en analyse qui provoque des mesures, etc. L’acte de penser s’apprend. Son acte de penser sa famille, sa propre identité, son existence avec les autres sera modelé par les institutions. Si les institutions génèrent davantage de connaissances d’ordre négatif, en terme de défaillances, carences, troubles, hontes, sanctions, ruptures, etc., l’enfant assimilera ces « repères » qui constitueront ses « modes opératoires » d’inscription dans le monde. Quelle culture du vivre-ensemble expérimente l’enfant grâce à sa protection ? La formation insiste sur le besoin de cultiver une multiplicité des regards et des références dans l’accompagnement des familles. La communication entre les professionnels et les parents dépend de la manière dont les professionnels développent une compréhension ordinaire de la vie des gens. La logique centrée sur l’observation des manques et défaillances introduit un rapport de pouvoir et de conflit entre les familles et les services de la protection de l’enfance. Passer d’un tel rapport de forces à la confiance et au contrat demeure un discours théorique sans réalité. Si ce passage n’est pas accompagné par le développement d’un paradigme complémentaire, dans le débat contradictoire, la mise en place des demandes formulées par les parents, etc., un tel passage n’a pas lieu : on peut attendre longtemps que les « parents se manifestent ».
  • 13. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle14 I/4. Un pas de côté : interroger le postulat de la répétition Dans cette formation, les apports ouvraient sur des hypothèses alternatives pour repenser les situations où les interventions se répètent sur plusieurs générations et où les professionnels parlent de « reproduction transgénérationnelle ». Les objectifs et le déroulement ont été fixés avant le début de la formation- action dans la proposition validée par le Département dans le cadre du marché public. La protection de l’enfance est aujourd’hui en mesure d’analyser ses interventions sur plusieurs générations dans la même famille (ou réseau de parenté). Nous partons de l’hypothèse que tout champ d'interprétation et de pratiques professionnelles peut être déconstruit et complété, à condition de garder à l’horizon de notre travail, une exigence éthique : nos interventions se font « à cœur ouvert » à même la vie des gens. Nos décisions résonnent en tant que « langage du destin ou de la fatalité », car elles changent l’histoire d’une famille. Ainsi, lorsqu’on pose le postulat que « les anciens enfants placés, placent à leur tour leurs propres enfants », on est d’emblée dans le champ philosophique du destin, de la fatalité. Rappelons le fait épistémologique suivant : un postulat n’a pas besoin d’être vérifié. Il sert de fondation. C’est à partir du postulat que l’on échafaude une théorie et on déploie les actions, les pratiques, les modus vivendi. Cependant, le postulat ne doit pas être pris pour une vérité (même si la tendance de l’homme est de confondre postulat-croyance-vérité). Le postulat débouche sur l’expérimentation d’une théorie qui devrait aider les professionnels dans la compréhension d’une situation complexe. Mais tout postulat doit être assorti d’une critique rigoureuse, surtout lorsqu’il est utilisé comme instrument d'intervention dans la vie des autres. Le postulat de la répétition touche plusieurs générations d’enfants. Sont-ils porteurs d’un « virus de la répétition » ? La logique médicale de la contagion remplace celle de la fatalité portée par les religions. Mais notre société a fondé l’enfance dans un devenir créateur, ouvert vers une nouvelle vie. Les enfants frappés par le discours de la répétition du placement viennent au monde entourés d’institutions qui, avant même qu’ils soient nés, les observent, les évaluent, les « entourent » de mesures de protection. Avant même d’acquérir la conscience qu’ils sont des sujets, ces enfants sont soumis aux regards des experts et des professionnels. Ce sont eux qui maîtrisent les critères d’observation, le diagnostic, l’intervention, etc. Ce sont eux qui formulent le postulat : « l’enfant qui a été placé, placera à son tour ses propres enfants ». Ou encore « enfant maltraité, maltraitera à son tour quand il sera parent. » On retrouve ici une très ancienne expression de la fatalité/culpabilité, formulée dans l’Ancien testament : « Les parents mangent du verjus et les dents des enfants sont agacées. » (Jérémie, 31; 29). Aucune étude approfondie ne confirme ce postulat, bien au contraire : les parents se sentent acculés au placement, ils culpabilisent et improvisent des formes d’auto-défense, parlent d’un sentiment d’injustice, d'incompréhension, de colère et de dévalorisation. La plupart
  • 14. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 15 quitte la scène mise en place par les institutions, scène sur laquelle ils doivent se rendre transparents, chose insoutenable pour quiconque. Leurs réactions sont interprétées en termes de soupçon, déviance, déni. Peu de méthodes innovent l’exercice de l’autorité parentale dans un réseau d’autorités composé par les professionnels dont l’autorité est plus importante que celle des parents (un seul exemple : l’achat des fournitures scolaires suivant la liste donnée par l’enseignant : combien de parents ont été dévalorisés parce qu’ils ont acheté un objet différent de celui qui figurait sur la liste ! ?) Du côté des parents, une seule phrase résume leur impuissance : « je n’ai pas été capable ». Les outils ciblent l’incapacité des parents, c’est l’incapacité qui devient le fil conducteur des observations. Mais la question qui se pose aujourd’hui ouvre sur la capacitation qui est un processus créatif porté par les tiers qui viendront soutenir le parent et lui ouvrir des nouvelles expériences de vie avec ses enfants. Comment accompagner l’expérience innovante de capacitation des parents ? Paul Ricœur a analysé la crise de l’accompagnement qui était censée conduire notre expérience partagée vers la condition de l’homme à devenir capable. Le processus de capacitation est séparé de l’auto-institution, je ne peux pas m’instituer toute seule comme étant capable, sans la reconnaissance des autres. Instituer l’homme capable, cela dépend de ceux qui exercent la « force instituante » : le juge, l’expert et les professionnels. Dans certaines familles, la fonction du parent est rabaissée, associée aux dispositifs qui ciblent l’homme en tant « qu’inadapté à la réussite» ou en tant qu’échec : à l’école, dans la rue, dans la conjugalité, dans le travail, dans la parentalité. Les dispositifs cristallisent davantage le parcours de l’homme incapable et en échec que les conditions pour devenir capable. Concernant le postulat de la répétition, cela pourrait se fonder sur la culture de la transmission. Vivre dans un lieu, faire un métier, construire une maison, et ensuite, choisir la transmission de ces choses en direction de ses propres enfants, cela fait partie de la culture : transmission du nom, du métier, du patrimoine, etc. Mais dans le cas du placement : • l’enfant a-t-il choisi d’être placé, afin d’appliquer ensuite la culture de la transmission à ses propres enfants ? Le placement est-il l’équivalent d’un patrimoine qui enrichit la personne, au point que le parent souhaite en faire bénéficier son enfant ? • le placement est-il assimilé à une maladie génétiquement transmissible ou à un « virus », « dupliqué de père en fils » ou de « mère en fille » ? • existe-t-il une étude qui permettrait de dire que le placement fait partie de l’identité culturelle des Français et, pour cette raison, dans certaines régions, il est une « tradition » ? • ou alors : est-ce que le placement devient un traumatisme si important que finalement, l’enfant ne peut que le répéter d’une manière « compulsive » ? Si on se place du côté de l’organisation, il est possible de constater que le recours au placement est une mesure répétitive appliquée à plusieurs centaines de milliers d’enfants. L’analyse des pratiques fait apparaître que l’on envisage la protection de l’enfance ayant comme « ligne d’horizon » le placement, ce qui peut produire une saturation massive des circuits et des lieux de placement.
  • 15. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle16 Par ailleurs, quand un enfant est passé par les dispositifs de placement, la mémoire de l’institution (et des professionnels) a tendance à l’inclure dans la catégorie « connu par les services. » Lorsqu’une personne est «connue par les services», cela allume les « clignotants » des professionnels davantage que lorsqu’il s’agit d’une personne qui ne figure pas dans la mémoire des services. « Etre connu par les services » n’est-il pas un critère qui accélère le processus de signalement ? Du point de vue anthropologique, on pourrait faire état de notre étonnement : car si quelques-uns ont grandi dans une grande école, entouré de professionnels compétents, le fait d’être connu est un atout, un plus. Bénéficier d’une prise en charge et d’une éducation dans la protection de l‘enfance qui n’a cessé de développer ses moyens en terme de finances et de compétences devraient produire à la sortie de ce système des individus plus compétents pour s’occuper de leurs enfants que la moyenne nationale. Mais là encore, le fait d’avoir été éduqué, protégé, pris en charge, soigné, d’avoir été entouré de spécialistes fait basculer l’ancien enfant en « adulte suspect » et incapable. Ce paradoxe ne se rencontre dans aucun autre système de protection. Même dans le monde des plantes et des animaux, la protection sauve et ne vous accule pas à l’exclusion ou à la stigmatisation. Ce postulat est renforcé par un modèle explicatif qui fait fusionner le passé et le présent avec la logique cause-effet. Cette fusion est un illogisme bien connu par les philosophes : la théorie qui stipule que les difficultés d’aujourd’hui remonteraient nécessairement à des vécus infantiles refoulés tire de toute évidence une bonne partie de sa force argumentative de la croyance selon laquelle si des souffrances actuelles se produisent sans raison apparente, elles ne peuvent s’expliquer que par des causes profondément cachées. Un tel paradigme met à mal l’étude des potentialités, l’imaginaire, la créativité, le devenir indispensables à la vie humaine. « Celui dont la vie a été vécue et consommée dans le passé, et qui n’est présent ici et maintenant que pour attester et répéter son passé, celui-ci est déjà mort », disait Borges, un grand écrivain du 20 e siècle. Le passé utilisé comme une cause fatale qui viendrait écraser le présent et l’avenir est renforcé par le raisonnement médical : il situe les causes des symptômes actuels dans un temps antérieur à la contamination ou à la maladie. Cependant, tout diagnostic est prolongé par la recherche des traitements et la recherche de la guérison. Ce raisonnement appliqué à la vie humaine dans sa globalité (dans la famille) fait que l’on ne voit plus dans la vie courante qu’un tableau de symptômes. Mais où se trouve le traitement ? Les parents attendent les prescriptions qui soulagent leur souffrance et celle de leurs enfants du côté des mesures et des interventions des professionnels. Et les professionnels attendent le traitement dans le changement des comportements des parents, dans le fait qu’ils adhèrent à une « mesure de placement » ou qu’ils signent un contrat. Ce double malentendu aboutit à des conflits aigus et à des solutions qui, selon l’Ecole de Palo Alto, « aggravent les problèmes ».
  • 16. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 17 I/5. Déconstruire et refondre les repères via le débat contradictoire dans la sérénité ARTEFA propose de faire « un pas de côté » en s’appuyant sur le principe de Taubes : « nous nous mettons d’accord que nous ne sommes pas d’accord. » Construire un « divergent accord » qui ouvre sur des alternatives mettant en œuvre les principes de subsidiarité, de proportionnalité et de réversibilité. Ces principes appliqués lors des prises en charge devraient permettre qu’à tout moment, on envisage la vie de l’enfant dans son réseau de parenté et dans la société civile : la réversibilité exige de créer des réseaux d’alliance et de complémentarité pour que l‘enfant puisse circuler entre les siens et les dispositifs (tels que la famille d’accueil). L’absence d’une circulation intelligible déclenche chez l’enfant des conduites de « fugues » qui sont des actes de normalité, de santé dans un univers trop fermé, plein de règles et d’interdits, l’enfant a besoin de circuler entre les siens et les institutions. Plus sa prise en charge est fermée, obsédée par des mesures de sécurité, plus l’enfant cherche à s’évader. Le besoin d’évasion est une des caractéristiques des enfants placés ou trop surveillés. ARTEFA utilise dans la formation la méthode du débat contradictoire volontaire qui permet de revisiter l’historique de la protection de l’enfance dans une famille. A cela s’ajoute la recherche du sens lorsque plusieurs professionnels ou plusieurs services interviennent dans la même famille. L’urgence, la peur, la superposition des mesures et une répartition des places, qui demeurent opaques au regard des parents, nécessitent de nouveaux concepts favorisant la vie ordinaire et singulière de l’enfant et pour l’enfant. Les repères éthiques ouvrent, pour chaque enfant, une porte réelle vers la société civile et vers le récit de vie de sa famille qui n’est jamais réductible aux rapports adressés aux magistrats. ARTEFA interroge les écrits professionnels qui sont trop souvent des exercices de copier-coller, adaptés à un jargon administratif ou psycho-pathologique comme si la vie n’était approchée que sous l’angle d’une pathologie. Les professionnels utilisent des normes et des jugements moraux sans les nommer et sans les analyser comme tels. L’exploration sereine de ces normes s’articule avec la question d’Aristote : où situer le juste milieu dans la protection de l’enfance ? L’excès de l’intervention dans la même logique conflictuelle de suspicion porte atteinte à la sérénité des intervenants et à leur capacité de penser la complexité des histoires familiales autrement que sous l’angle du « danger » et du soupçon, imaginés et codifiés dans un langage professionnel. Toute formation se doit d’apporter un corpus de questions qui dénouent des lignes de tension et de crispation. Un des nœuds se trouve dans le rapport entre parents et professionnels. La formation assure un entre-deux entre le faire et le comment-faire- autrement. Aider le groupe à distinguer les repères et méthodes de travail du sujet- professionnel est une des méthodes utilisées dans la formation d’ARTEFA. La déconstruction est nécessairement reliée à l’ébauche de nouvelles hypothèses et à la consolidation des hypothèses déjà travaillées en équipe : « Cette déconstruction est une tâche normale. Découvrir les exclusions implicites
  • 17. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle18 dans une analyse, les silences dans un raisonnement, les oublis dans une observation, constitue autant de moments nécessaires et essentiels du développement de toute activité de connaissance. » (M. Godelier, 1997) La formation appliquée aux pratiques permet de « se décentrer méthodologiquement » (Godelier) par rapport aux catégories de pensée mises en mouvement actuellement dans la prise en charge proposée aux familles. La critique de la logique qui cible le dépistage et le diagnostic des risques et dangers, voire des carences et défaillances chez les parents, fait la place à une théorie repensée, ajustée, de telle sorte qu’elle soit vivable et soutenable pour le réseau de parenté de l’enfant et génératrice d’apaisement et de sens du côté de l’avenir pour l’enfant. Les hypothèses avancées visent à aboutir à un effet en termes de mieux-être chez l’enfant, ainsi qu’à des nouvelles expériences partagées entre parents, professionnels dans l’intérêt de l’enfant. De ce point de vue, la théorie est juste un élément que l’on peut bouger en fonction d’une finalité claire qui est le bien-être d’un enfant ordinaire pour qui la protection doit ouvrir des nouvelles expériences de socialisation, de vie dans/avec sa famille, et des nouvelles acquisitions dans son développement : « La théorie, qui dialogue avec une réalité complexe, ne pense pas en soi-même, mais elle ne gagne de vie que dans les processus actifs de construction du sujet. » (E. Morin) L’anthropologie cherche à fonder l’accès de l’enfant à une subjectivité où la filiation est une institution en soi, nécessaire pour se tenir debout et pour apprendre le respect et la transmission entre les générations. Nulle filiation ne se réduit aux comportements des parents, soient-ils « défaillants ». Toute filiation porte en elle l’institution de l’autorité et de l’estime de soi. Par ses apports, ARTEFA vise à accroitre la capacité et l’autonomie de la personne à travers l’accompagnement des professionnels. Lorsque la pensée collective d’une équipe est assujettie à une grille contenant des critères d’observation du négatif, obnubilés par la peur, cela remplace la figure humaine du parent par une créature dangereuse (« mère toxique », « père violent », etc.). Une telle logique ne prive-t-elle pas les professionnels de repères culturels du vivre-ensemble et de l’éthique du sujet ? Dans le devenir parent, le sujet devient réalité au fur et à mesure que le parent expérimente un rôle d’autorité et de « sachant », soutenu par les professionnels. Cette expérience de vie est « suspendue » quand le parent est convoqué au même titre que ses enfants dans le bureau du juge des enfants. La verticalité de la filiation devrait constituer une zone « sacrée » et indépendante des comportements observés ou supposés. La verticalité de la filiation est la « colonne vertébrale » de l’enfant ou son «socle» identitaire exprimée par son acte de naissance. Cet acte de naissance est en soi suffisant pour instituer la filiation et le
  • 18. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 19 respect des parents en tant qu’auteurs de l’enfant. Un accouchement sous X, acte biologique, ne suffit pas pour inscrire l’enfant dans le monde des humains. Si la personne qui accouche ne manifeste pas sa volonté pour reconnaître l’enfant en tant que sa fille ou son fils, l’enfant n’existe pas. La filiation ne peut être établie que par cet acte. Et ce n’est pas l’accouchement, mais l’acte de reconnaissance fondé sur la volonté qui opère le passage de la condition de femme ou parturiente à celle de mère. Le biologique ne suffit pas, même quand une femme accouche. Ce repère anthropologique est inscrit dans le Code civil. Il est donc impropre de parler de mère biologique quand une femme a accouché sous X. Un acte volontaire de reconnaissance traduit dans l’état civil de l’enfant ne peut être ni annulé ni stigmatisé plus tard. Sauf si une procédure judiciaire est déclenchée pour détruire cette reconnaissance et, en même temps, le « socle symbolique » de l’identité de l’enfant. Mais même l’acte judiciaire qui relègue l’enfant dans un processus institué d’abandon et ensuite dans la catégorie de pupilles de l’Etat ne touche pas à sa filiation. La filiation est une institution à part, générée par un acte volontaire de reconnaissance l’enfant qui est reconnu soit par l’inscription dans une parenté de type « biologique », soit par adoption. L’adoption simple permet de comprendre qu’il s’agit de continuité dans la filiation. Nul enfant ne peut rester sans filiation. La formation vise à générer des repères dans la construction de la filiation nécessaire à la verticalité d’un enfant-sujet digne et d’un parent fier d’être associé à la responsabilité éducative partagée avec les professionnels. La posture éthique questionne les méthodes de construction d’une « vérité » sur la vie des autres, « vérité » adossée aux discours sur les dangers, risques, carences. Ces apports ont été utilisés par les professionnels pour limiter les glissements produits par une surabondance d’adjectifs et de « ouï-dire » rattachés aux fonctions symboliques et réelles de père et mère. I/6. La force instituante et la méthode du décentrage Les apports anthropologiques visent à renforcer les actions sur le versant des projets et du bien-être ou mieux-être chez l’enfant. Le regard anthropologique porté sur les parents, en tant que semblables des professionnels, l’effort de les accueillir, mieux les écouter, mieux les intégrer dans les espaces qui favorisent l’exercice de leur autorité en lien avec la force instituante des professionnels qui ne sont pas là dans un but d’observation mais d’action. L’autorité parentale se décline au pluriel avec les autorités (du politique, des experts, des professionnels, du juge). Les professionnels sont accompagnés dans un travail de prise de conscience concernant le fait que leurs interventions orientent et changent l’histoire des enfants. Ce changement d’histoire produit par les dispositifs de protection aura des effets à long terme, chose qui engendre du côté des services, une obligation positive : comment assumer l’obligation positive de contribuer à son éducation et de le faire « grandir » ? Le changement provoqué par l’intervention rend-il réel l’intérêt supérieur de l’enfant ? Et les parents ? Qu’observent-ils dans les actions des professionnels ? Quelles conséquences positives tirent-ils des conseils, questionnements, actions portées par les intervenants ?
  • 19. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle20 Restituer les observations aux parents est une des méthodes qui facilitent le décentrage : le professionnel, pas plus que son service, n’est le propriétaire des observations concernant la vie des autres. L’observation est déjà un espace de construction du sujet, de questionnement, d’ajustement dans une culture partagée entre les parents et les professionnels. Une fois que les parties ont élaboré un projet éducatif et qu’elles se sont mis d’accord pour savoir comment le restituer à l’enfant, elles accomplissent cette restitution en étant attentives à ce que l’enfant leur dit. A quoi bon répéter devant l’enfant la liste des manques, défaillances, problèmes observés chez leurs parents ? La vérité peut être destructrice dans la protection de l’enfant. La restitution auprès de l’enfant se fait suivant le principe de l’apaisement de celui-ci. Les apports d’ARTEFA cherchent à libérer l’enfant du fardeau rempli de honte et de menace d’abandon généré par les dispositifs. Une critique du mot abandon fait partie de cette formation. Le don d’enfant existe dans toute société du côté de la vie. Les mères que nous avons interrogées et celles qui ont été écoutées au cours des « accouchements sous X » parlent toutes d’un don d’enfant. La notion d’abandon bascule du côté de la mort, de la mis à-bandon (proche de la mise à mort). Ce mot a été utilisé pour parler de filles célibataires, stigmatisées parce qu’enceintes et non-mariées. L’abandon se définit comme le résultant de l’organisation politique et culturelle d’une société surplombée par l’Eglise et l’Etat qui contrôlent les mœurs sexuelles et matrimoniales des gens avec un enjeu majeur posé sur les filles (Lévi-Strauss). Pendant des siècles, l’Assistance Publique explique l’abandon des enfants par « la manifestation pathologique d’un manque de contrôle de la fécondité. » (Bardet) Ce mécanisme de contrôle et de stigmatisation a subi un glissement : de la femme abandonnée et enceinte, il a « aspiré » l’enfant et de là, il a fait sa place dans les dispositifs administratifs qui, naguère, plaçaient les enfants abandonnés dans les hospices avec les fous. D’où la nécessité de modifier les pratiques afin de générer réellement des nouveaux modes d’exercice de l’autorité parentale et de mieux cerner les problèmes de parents. Dans une des histoires d’enfant déclaré abandonné à la demande du Département, on a pu mettre en évidence que pendant l’année de cette procédure judiciaire, le couple se débattaient dans une situation de sans-domicile, sans emploi, que la mère était rejetée par sa propre famille et enceinte du deuxième enfant avec le père de son premier enfant. On a également constaté qu’il est peu probable que les personnes mesurent avec précision ce qu’une telle procédure provoque comme coupure dans leur histoire et celle de leur enfant. La formation a apporté une autre vision de la filiation sans la réduire au lien affectif. Un des changements envisagés dans les pratiques serait une nouvelle proximité à instituer entre les parents et les professionnels. Cela suppose une souplesse et un outil expérimenté en ce moment dans la Maison départementale des solidarités : limiter la logique de la prédiction négative qui induit l’« auto- réalisation » (Albert Jacquard). De même, si un objectif n’apporte pas un processus d’appropriation et de capacitation des parents dans leur relation avec l’enfant, alors on modifie l’objectif en fonction de ce qui est
  • 20. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 21 possible pour que les parents participent à la vie et au développement de leur enfant. Les objectifs que l’on se fixe « pour une famille » doivent être envisagés en tant que facteurs de devenir, d’accomplissement et non pas comme des épreuves provoquant l’échec des parents devant leurs enfants. Le devenir est posé en relation avec les besoins humains : besoin de reconnaissance, d’appartenance, d’estime et de dignité. L’appartenance est un des besoins de l’humain, mais elle est aussi une des dimensions de la protection de l’enfance, notamment dans le placement. Le placement produit ses propres catégories d’inclusion qui marquent l’identité de l’enfant : enfant victime, enfant en danger, enfant en risque de danger, enfant-troubles de comportements, etc. Parfois, les catégories d’inclusion produites par la protection de l’enfance et celles du handicap visent les mêmes enfants. Cette double inclusion dans des catégories a-typiques, a-normales a été questionnée au cours de la formation. L’identité anormale instituée pour l’enfant produit des souffrances et des colères chez les parents. Comment les accompagner ? Par ailleurs, toujours dans cet esprit d’ouverture, l’orientation d’un parent ou d’un enfant vers une catégorie de handicap doit ouvrir sur la question suivante : comment favoriser l’inscription de l’enfant dans la normalité, dans la vie ordinaire ? Un enfant de onze ans, placé depuis des années, a posé la question suivante : « moi, avec mes troubles de comportement, est-ce que je pourrai un jour aller dans une vraie école ? » I/7. La capacitation des parents, condition sine qua non du projet pour l’enfant La référence au cadre donné par le droit et, en particulier, la référence à l’ordonnance du juge des enfants, est un axe de la formation. Cet axe permet de nuancer le processus de judiciarisation là où le cadre administratif mériterait que l’on innove un autre rapport avec l’environnement de l’enfant (en y explorant son réseau de parenté) afin de développer les expériences nouvelles avec l’autorité parentale des parents. Trop souvent, le processus fait de la « mesure administrative » un cadre que l’on ne bouge guère, alors qu’il favorise l’élargissement du réseau de socialisation de l’enfant et une médiation active pour que le parent change de place, appuyé, légitimé par la force instituante des professionnels. Dans ce cadre, il existe des processus qui favorisent l’apaisement de l’enfant et la découverte de l’estime dans ses rapports aux parents. Rappelons que l’article 1 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant stipule que tout enfant a droit à une famille (et non pas à une « mesure »). La « mesure » ne peut être qu’un moyen évaluable dans ce qu’elle induit pour l’inscription de l’enfant dans sa famille et dans la société civile.
  • 21. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle22 La judiciarisation des « mesures » n’est pas nouvelle, parfois confondue avec une formule de type « faire agir la loi », mais cette confusion diminue lorsque l’intervention du juge des enfants est mieux comprise. Le juge des enfants met en œuvre des procédures judiciaires qui appliquent et interprètent des lois. Cette interprétation est toujours partielle, située dans le temps, réversible et elle peut être contestée par ceux qui sont visés dans leurs droits fondamentaux comme ceux des parents. Parmi les droits des parents, l’autorité parentale n’est pas touchée, même quand il s’agit d’une tutelle ou d’un handicap mental. La capacitation que la culture peut apporter à chaque individu, afin qu’il puisse accéder au devenir parent, ne dépend pas des normes appliquées à l’école ou au travail, ni même dans les autres actes de la vie sociale. La capacitation du devenir parent est modelée aussi par le jugement porté dans l’ordonnance du juge des enfants, mais surtout, ce qui compte, c’est la manière dont l’ordonnance est utilisée et appliquée par les professionnels du terrain. La première question de la formation : comment communique-t-on l’ordonnance du juge des enfants aux parents ? Quels sont les circuits de la communication de cet acte ? Comment s’assurer que les parents l’ont compris ? Qui accompagne les parents pour qu’ils puissent s’approprier leurs droits qui constituent la source d’énergie pour exercer leurs devoirs. La formation rappelle aussi que, dans un système démocratique, les individus doivent accéder à l’expérience de leurs droits qui les situent dans la dignité, dans la prise de conscience de leur valeur en tant qu’être humain, participant à la vie d’une société. L’exercice de leurs droits rend dynamique l’accomplissement de leurs devoirs. Mais l’accomplissement des devoirs n’est pas un préalable du respect que les institutions doivent mettre en mouvement pour rendre vivables les droits des uns et des autres. D’autres systèmes, totalitaires, autocratiques ou les méritocraties renversent le rapport entre devoirs et droits. Mais dans un système humaniste, éclairé, les devoirs sont constitutifs de la dignité et de l’estime des personnes qui leur permettent de se mettre debout et d’agir de concert avec les autres. Ce lien intrinsèque entre droits positifs et devoirs est inscrit dans le Code civil : d’abord on expérimente l’espace civil des droits et ensuite, éventuellement, on fait basculer une « situation » dans le pénal. Le fait que, de nos jours, le pénal devient une logique dominante dans les rapports des institutions aux mineurs pose problème car elle porte atteinte au socle de notre culture humaniste. On ne peut badiner avec le rapport droits/devoirs sans déclencher un effondrement de l’intérieur de nos valeurs et forces instituant le vivre-ensemble, la paix sociale. Plus on accentue le volet pénal dans la prise en charge des jeunes, plus on alimente la stasis, la violence interne à la société. Plus on produit des « études scientifiques » qui alimentent l’idéologie pénale dans notre approche des jeunes, plus on fabrique des individus relégués à la marge des valeurs et institutions humanistes.
  • 22. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 23 En ce qui concerne le juge des enfants, souvent, ce poste est occupé par des professionnels qui changent d’une année à l’autre ou tous les deux, trois ans. En général, le juge des enfants ne connait ni l’enfant, ni ses parents. Il a rarement à faire à un avocat de l’enfant et encore moins à l’avocat des parents. La principale matière qu’il utilise en vue d’une décision, ce sont les écrits des professionnels du Conseil général et de leurs partenaires. Mais le juge des enfants ne suspend pas la vie ordinaire, ni le Code civil. Tout ce qui est à faire pour l’enfant de la part des services ne se réduit pas à l’ordonnance du juge. Le juge des enfants restreint et organise certains droits des parents, mais il ne cherche pas à pénaliser l’enfant, ni à l’isoler de la société civile. S’il ne parle pas de tel ou tel droit, alors les services sont tenus d’inscrire l’enfant dans le respect du Code civil, au même titre que tous les enfants de cette société. Un exemple : si le juge des enfants ne dit rien sur le père, s’il n’interdit ni ne limite ses droits, alors, les professionnels du Conseil général se doivent de faire vivre, de rendre concret l’exercice de son autorité et de créer les conditions afin que l’enfant puisse accéder à cette première institution de reconnaissance qui s’appelle filiation. Le Code civil est valable pour tout enfant pris en charge par le Conseil général et ses textes doivent être rendus effectifs dans la vie d’un enfant. La formation cherche à produire un dépassement de l’opposition constante entre les droits des enfants et ceux des parents. Un autre exemple : lorsque le juge des enfants restreint et régule les droits de visite d’un parent sans parler du parent absent, cela ne veut pas dire que les travailleurs sociaux « oublient » l’absent, bien au contraire. Le service développe une nouvelle approche en direction du parent absent tout en rassurant le parent présent, sans opposer l’un à l’autre ou en cherchant la médiation si l’un manifeste une appréhension de «voir revenir» l’autre parent. Dans les situations dites de « délaissement », il faudrait envisager en amont, de nouvelles pratiques pour sortir de l’attentisme actuel : mieux évaluer la place de chaque parent et le type d’accompagnement qu’il faudrait initier afin que le parent avance dans son devenir, dans sa capacitation. Celle-ci est construite parce que de nouvelles conditions et de nouvelles expériences ont été favorisées, accompagnées par les intervenants. Lorsque la force instituante du juge des enfants se fait la caisse de résonance d’un discours sur les incapacités du parent, il est pratiquement impossible pour celui-ci de porter cette charge négative, d’autant plus insoutenable qu’elle est formulée par les autorités (le juge représente l’autorité de l’Etat-nation). Nombreux parents ne peuvent trouver seuls d’autres solutions que de s’enfoncer dans l’alcool le jour des visites médiatisées ou de disparaître (la culture rend compte de cet état de honte qui fait que l’individu « veut disparaître sous terre »).
  • 23. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle24 Quelles sont les pratiques qui modifient les conditions de l’exercice de l’autorité parentale pour sortir le parent d’un statut d’incapable que l’on trouve dans les écrits des professionnels adressés au juge des enfants ? L’attentisme par rapport à l’autorité parentale pourrait être remplacé par une pratique active de reconnaissance des parents, par le self-control dans l'utilisation des adjectifs négatifs dont la violence stigmatisante est connue. Les retrouvailles, les rencontres ordonnées par le juge des enfants sont le lieu propice aux changements ou au « retour » aux valeurs humanistes du travail avec les familles. Ce lieu actuellement utilisé pour « observer » encore et encore les parents avec leurs enfants est tout à fait adapté pour : 1. aider les parents à préparer les rencontres en amont et donc, s’investir en tant que professionnels dans une démarche créative ; 2. associer les parents pour rédiger ensemble la restitution au juge des enfants de ces moments de visite médiatisée. Cette étape passe par celle évoquée ci-dessus. Ce changement se déroule lors du cadre de l’alliance éducative parents-professionnels dans les visites médiatisées, par exemple. La formation favorise la créativité des professionnels pour développer des techniques d’alliance entre les parents et les professionnels, fondées sur le Code civil. Une telle démarche peut être mise en avant, car elle est inscrite dans le fonctionnement de la PMI, dans l’intervention à domicile des parents, mais comment se traduit-elle dans le placement familial et les foyers ? Quel espace de communication et de médiatisation directe entre les parents et la famille d’accueil (en absence des enfants mineurs qui sont ainsi respectés, protégés) ? Comment les deux parties se mettent-elles d’accord pour assurer une cohérence dans la transmission et le développement de l’enfant ? La notion de médiatisation est comprise dans l’anthropologie et la philosophie comme un lieu de coopération entre adultes qui ont un statut d’égalité sur la base du Code civil. Ils élaborent de concert chaque expérience proposée à l’enfant dans une démarche de transmission : on prépare avec la mère le goûter avant l’arrivée des enfants ; on fait attention pour que les parents n’oublient pas l’anniversaire de leurs enfants, etc. La question formulée dans la formation : comment limiter la marginalisation et l’éloignement symbolique et physique des parents quand l’enfant commence à être pris en charge par les institutions ? La PMI, le service social de la Maison départementale des solidarités développent des méthodes pour faire avec les parents, mais dans la plus grande majorité des situations, ils touchent davantage les mères. Le cadre juridique repose également la responsabilité éthique et le secret professionnel. La formation vise à faire un pas de côté devant le stress induit par une logique de dépistage des risques et des dangers qui obnubile la vigilance et la réactivité des professionnels. Car « à trop vouloir connaître et maîtriser la réalité, on rate le réel, toujours plus proche du sur-réel (de l’imprévu, de la surprise, de l’étranger). » (Enriquez, 2007).
  • 24. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 25 II. Le Département à travers la Maison départementale des solidarités : garant de l’inscription de l’enfant dans la société civile Mary Douglas met en évidence le processus par lequel se construisent les identités : « C’est l’institution qui décrète l’identité. (...) Même les simples activités de classement et de mémorisation sont institutionnalisées. » (M. Douglas, 1999). En complément, la psychanalyse ajoute une indication très précieuse: « Il n’y a de sujet que là où il est institué. » (P. Legendre, 1985). La formation vise à augmenter la souplesse et la diversité des pistes par lesquelles une Maison départementale des solidarités institue l’enfant et l’accompagne dans son développement. Chaque enfant pourrait développer une identité multiple à condition que le Département soit en mesure de s’assurer que les parents et les professionnels établissent pour l’enfant des espaces et modes de communication qui posent une limite aux méthodes d’inclusion des parents dans des catégories marquées par des adjectifs stigmatisants. La formation apporte des éléments pour repenser les rapports parents-professionnels et pour cela il est nécessaire d’amorcer un changement de posture chez les professionnels : « Le cadre théorique qui permet d’aborder la solidarité et la coopération entre les professionnels et les familles. » (Balandier, 1999) Dans une Maison départementale des solidarités, les règles de coopération et de solidarité avec les familles se trouvent en tension avec les normes négatives utilisées pour observer et diagnostiquer les comportements des parents : « Parfois, la défiance est si grande qu’elle rend impossible toute coopération. » (M. Douglas, 1999). Une des questions formatives : comment rechercher, voire exiger l’adhésion, la confiance d’une famille par rapport à une institution qui met l’accent sur leur inclusion dans des catégories négatives et qui, de surcroît, pose le paradigme du placement comme une solution sans alternative que les parents pourraient faire valoir au même moment (si ce n’est le placement « à domicile » !) ? Aujourd’hui, ce système de protection par le placement génère son propre « épuisement » qui se solde par des placements dits « non-exécutés ». Comment peut-on imaginer qu’un parent ciblé en tant qu’ennemi ou adversaire des professionnels, soupçonné ou « ciblé » comme « mauvais » (dans son comportement avec l’enfant) puisse passer comme si de rien n’était dans un rôle d’allié et « adhérer » au placement ? Ou alors, cette adhésion est-elle un signe d’impuissance, d’autodestruction en tant que parent, de disparition ?
  • 25. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle26 Il serait important de comprendre comment changer de rôle en passant d’une identité négative d’ennemi à une fonction de parent porteur de projet pour son enfant. ARTEFA accorde beaucoup d’importance aux mots utilisés et à leur définition, étymologie, sens, car les mots sont nos premiers outils de travail, « c’est par les mots que l’on habite et on construit le monde, le rapport aux familles, mais aussi entre nous, dans une institution ». (Judith Butler, 2005). La parole institue les rapports entre les humains qui se parlent et qui parlent de l’autre en son absence (parler d’une famille en réunion de synthèse). Cette attention accordée aux mots fonde la recherche du sens et les limites du pouvoir des institutions et des personnes, car « nous sommes des êtres de langage et néanmoins la parole ne peut pas tout dire » (Legendre, 1985). La langue est la première institution de notre vivre- ensemble (H. Arendt), mais aussi une arme qui peut porter atteinte à l’existence même de certaines personnes ou catégories de personnes. III. La filiation et la généalogie de l’enfant Les professionnels ne sont pas toujours au clair avec leur pouvoir d’instituer et pensent que ce sont les parents qui construisent leur identité indépendamment des institutions. Exemple : une mère déclare auprès d’un professionnel que sa propre mère n’a pas été « suffisamment bonne » pour elle et qu’elle refuse de la laisser rencontrer son nouveau-né. Le service social se trouve devant la position de quelqu’un qui agit sur la base de ses ressentiments. Cette position subjective est certes recevable quand la personne parle de son enfance. Mais notre point de départ, c’est le nouveau-né. Comment instituer la continuité généalogique pour lui ? Une piste : valider, renforcer les dires de la mère ce qui installera une barrière ou une coupure dans la généalogie de ce nouveau-né. Une alternative : se démarquer de la position maternelle en introduisant des références juridiques, anthropologiques et psychanalytiques et les travailler avec la mère. Elle sera accompagnée pour passer de sa condition d’enfant au statut de parent responsable du devenir de son enfant. De même, sa mère n’est plus que sa mère, mais la nouvelle grand-mère. L’institution a une responsabilité dans la manière de formuler la place de l’enfant dans une généalogie qui inclut la filiation et les deux sont institués par nos pratiques professionnelles « l’homme ne naît pas seulement biologiquement ; il doit naître aussi en vertu de l’institution sociale de la naissance. » (P. Legendre, 1985) L’impact à long terme d’une coupure opérée dans la continuité généalogique entre l’enfant et ses grands-parents a été abordé à plusieurs reprises dans cette formation. L’institution a la possibilité (et même le devoir) d’élargir le réseau de parenté de l’enfant et de contribuer - par l'accompagnement des parents - à une pensée créative concernant l’intérêt
  • 26. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 27 supérieur de l’enfant. Cette tendance à produire un « vide généalogique » dans l’existence des enfants placés a été mise en évidence dans les situations évoquées par les stagiaires. Tout enfant doit être inscrit dans un espace vertical, généalogique. Un exemple : ARTEFA a accompagné une équipe qui a mis en place des rencontres entre une adolescente en grande difficulté et sa grand-mère. Dès les premières rencontres, l’équipe a constaté une amélioration de l’état psychique et même physique de l’adolescente (S). Le projet précédant misait sur l’éloignement de S par un « séjour de rupture ». Les apports anthropologiques ont favorisé la mise en place du rapprochement entre S et sa grand-mère. Le professionnel échangeait régulièrement avec la grand-mère pour préparer les rencontres entre elle et sa petite-fille. Au début de ce projet, les professionnels pensaient que le conflit qui opposait la mère et la fille était un obstacle dans le rapprochement entre S et sa grand-mère. Un travail rythmé sur trois semaines (en raison d’une rencontre par semaine) avec la mère, puis avec la fille, a été mis en place, afin que chacune puisse dessiner son arbre généalogique. Ce travail eut un effet immédiat sur la mère, car l’arbre généalogique de S ne contenait qu’une seule petite branche : celle de sa mère. Tandis que la mère a pu dessiner ses frères et sœurs, ses grands-parents maternels et paternels, un « vrai arbre ». A partir de là, elle a donné son accord pour que l’éducatrice contacte la grand-mère de S. Ce « pas de côté » a changé l’inscription de S dans la vie et a mis fin à ses actes d’autodestruction (alcoolisation et tentative de suicide). La mère a recherché ses beaux-parents en les situant sur l’arbre généalogique de sa fille en tant que grands-parents paternels. Elle a pu parler pour la première fois de la mort du père de S, décédé dans un accident dont elle ne lui a jamais parlée. De plus, elle a contacté les grands-parents paternels qui avaient rompu tout lien avec elle après la mort de leur fils. S a pu aller sur la tombe de son père accompagnée par sa grand-mère maternelle et l’éducatrice. La mère refusait d’y aller, mais cela n’a pas été analysé dans un paradigme négatif. Son refus était un fait anthropologique digne de respect et sans commentaires. Les professionnels se sont aperçus que S n’avait jamais eu une expérience dans la vie réelle, hors des circuits et des lieux de l’ASE. Sa seule expérience était en lien avec son corps qu’elle traitait comme un « objet ». Et l’autre expérience se résumait au conflit avec sa mère. Le jour où sa mère lui a dit qu’elle était contente de lui avoir donné la vie, même si elle n’avait pas trouvé la force de l’élever, S a changé radicalement : elle marchait différemment, elle s’est mise à grandir d’un coup. Les propos de la mère ont été accompagnés et élaborés dans un accompagnement avec l’éducatrice de S. Elle a manifesté régulièrement son intérêt pour que la mère puisse élaborer ses propres souvenirs en lien avec sa grossesse (c’est-à-dire lui raconter une histoire banale propre à toute femme enceinte qui a des envies, etc.) et l’accouchement. Au moment où les services de l’ASE ont été confrontés à la crise de l’adolescente, aux fugues, à des comportements violents, les apports d’ARTEFA ont été mis en pratique comme une « dernière chance ». Un autre volet a consisté à faire en sorte que la médiation entre la mère et la grand-mère aboutisse à des moments d’accalmie, de vie ordinaire : un café pris ensemble, un dialogue sur le temps, les fleurs du jardin, le chien du voisin. Cette vie ordinaire devenait le « trésor » de S. Car elle était restituée, valorisée par l’éducatrice.
  • 27. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle28 Les conditions créées par les professionnels ont rendu possible cette orientation vers la vraie vie de l’adolescente. Cette expérience n’est pas isolée. L’analyse des situations faite par ARTEFA oriente les professionnels vers une question alternative : « comment protéger tout en autorisant l’enfant à revenir dans son réseau de parenté, à voir ses grands-parents ou tout autre membre de sa famille, comment l’aider à élaborer des souvenirs qui ne sont pas inscrits dans le risque ou le traumatisme ? » Là encore, S était autorisée à bouger. L’équipe a cessé de comptabiliser ses « fugues » et a utilisé la méthodologie de la circulation intelligible de l’enfant entre le foyer, l’école, le village de sa mère et la maison de retraite où vivait sa grand-mère maternelle. Ces apports anthropologiques permettent d’affirmer devant les parents que le motif d’un signalement ou d’un placement n’arrête pas la vie avec leurs enfants et qu’ils continuent d’être les sources de sa vraie vie. ARTEFA complète le référentiel psychanalytique : la transmission et l’autonomie du sujet sont enrichies lorsque l’enfant est inscrit dans une généalogie sur trois générations : la filiation verticale est renforcée par le rapport généalogique enfant-grand-parents. L’expérience de la généalogie se traduit dans les pratiques et les écrits. La méthode consiste à répondre aux questions suivantes : - quels documents pour inscrire et transmettre à l’enfant son arbre généalogique avec les noms, prénoms, dates de naissance, domicile de ses grands-parents, oncles, tantes... ? - quelles méthodes et quel « pas de côté » pour inventer une médiatisation réelle lorsqu’il y a des conflits entre les enfants (frères-sœurs) sans installer le postulat de la séparation et de l’individualisme ? - quelles méthodes et quel pas de côté pour la médiatisation dans les conflits parents-enfant ? - a-t-on été des « facilitateurs » pour que deux générations se parlent en oubliant leurs conflits et en se mobilisant avec les professionnels pour l’avenir de l’enfant ? IV. L’enjeu du devenir, les souvenirs et le postulat de la répétition Pour aborder le devenir, il faut prendre du recul par rapport à la théorie déterministe qui établit un rapport de cause à effet entre passé et avenir. Peut-on construire de nouvelles pratiques sur la base de l’hypothèse fertile que le passé ne détermine pas l’avenir ? Il existe un à-venir pour chaque enfant, à condition que chaque institution mette en mouvement un imaginaire collectif, un projet pour chaque enfant. La notion de projet se vide de sens si une équipe croit que le passé détermine l’avenir.
  • 28. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 29 Or, le « retour sur le passé » est un des axes de travail dans les services de protection de l’enfance, visible dans les écrits : la plupart du temps, on commence les rapports par refaire d’une manière répétitive le « passé » tel qu’il a été formulé par les services. Quand nous analysons la construction du passé dans les écrits professionnels (notamment ce que l’on appelle « rapport d’évolution ») on constate, suivant Mary Douglas (1999) « que ce qui est en jeu, c’est le présent » de la décision. Le passé est examiné à la lumière de la décision à prendre dont le ‘point culminant’ est le placement de l’enfant. » L’anthropologie permet d’examiner comment s’établit la mise en lumière de certains aspects observés et comment on obscurcit (on laisse entre parenthèses) d’autres événements qui ont eu lieu dans le passé des gens. Dans ce sens, Mary Douglas parle d’une mémoire sélective produite par les institutions. Les grilles d’observation et de recueil de données dans une famille renforcent le principe de la répétition. Ce processus analysé par Yan Hacking (2008) est très courant dans le domaine de la protection de l’enfance. La maltraitance participe à la construction des catégories entourées d’adjectifs négatifs (toxique, incapable, dangereux, etc.). Une analyse de l’histoire de la protection de l’enfance permet de comprendre que le devenir des enfants a été peu exploré. En revanche, la répétition a été un postulat de départ que l’on a scellé dans les fondements même de la prise en charge : cette croyance forte est passée dans le langage et les outils des discours scientifiques, notamment portés par le corps médical et par les psychologues. Le crédo de la répétition a circulé dans la littérature américaine avant d’être repris par les Français. Très rapidement, une formule allant de soi s’est installée dans l’imaginaire collectif : « victime de mauvais traitement comme enfant, parent coupable de mauvais traitement sur leurs enfants. » (Y. Hacking, 2008). Un tel crédo permettait de trouver une explication simple, « héréditaire » qui était dans l’air du temps « bio ». Mais aussi, elle permettait de produire (ou de fabriquer) des circuits de sélection au sein des populations pauvres et considérés comme un fardeau pour la société (illettrés, pauvres économiquement, sans patrimoine, sans ressources, peu aptes à prendre une place sur le marché du travail, alcooliques, etc.) Dans ces populations, on puise les catégories de « parents carencés ou maltraitants ». Mais certains bénéficient de circonstances atténuantes puisqu’ils ne font que reproduire ce qu’ils ont connu dans leur enfance. Dans aucun autre domaine, le crédo de la répétition n’a été investi par les professionnels et les scientifiques d’une manière aussi passionnelle. Alors que les études accumulées ne permettent pas d’énoncer autre chose qu’une croyance ou un crédo. Le principe de la répétition a été aussitôt relié à « l’injonction de séparer les bébés de leurs parents. » (Y. Hacking, 2008) Ce qui étonne, c’est de constater que ces enfants élevés depuis la naissance dans d’autres familles et institutions sont inscrits dans la catégorie des
  • 29. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle30 futurs parents incapables de prendre en charge leurs enfants « puisqu’ils n’ont pas vécu avec leurs parents ». Ce fonctionnement en boucle aboutit donc, à la même conclusion : qu’ils soient laissés avec leurs parents ou qu’ils soient séparés et élevés dans d’autres familles, une catégorie d’enfants alimente sans cesse le domaine de la lutte contre la maltraitance d’enfants. ARTEFA pose un raisonnement alternatif : A. soit la capacité d’être mère et père est d’ordre héréditaire et même génétique ou tient à l’instinct, dans ce cas, la fatalité annule le bien fondé de toute séparation, mais aussi du devenir. B. soit on est dans le champ du devenir parent où les comportements de ses propres parents et ses propres souvenirs d’enfance ne sont qu’une partie de la matière que chaque personne utilisera pour commencer un nouveau cycle à partir de sa fonction parentale. Le devenir est inconcevable sans l’exercice de la liberté : « Cette liberté consiste en ce que nous appelons la spontanéité, voire, d’après Kant, le fait que chaque homme est capable de débuter de lui-même une série. La liberté signifie la même chose que poser-un-commencement-et- débuter-quelque-chose dans la continuité des anciens, des générations qui nous ont précédés. » (H. Arendt, 1995). Il s’agit donc d’accompagner les possibilités de choix pour que chaque parent marque son originalité dans l’éducation de son enfant, tout en gardant le cadre des valeurs et des lois. Le devenir parent est une forme de recherche qui a besoin d’appui, d’accompagnement, de validation des institutions fréquentées par les enfants. Chacun cherche à réinventer la transmission d’une histoire vivante dans une société à tendance amnésique où les passages entre les générations ne sont plus assurés par les grandes structures socio-économiques qui sont nécessaires pour que le père soit inscrit dans le processus de transmission en direction de son fils : « Transmettre un métier repose sur un ensemble de prescriptions sociales, et tout d'abord sur les modalités d'appropriation sociale des savoirs entre le père et le fils. » (Denis Chevallier, coord.) Le devenir du parent se concrétise dans l’expérience du don : je donne à mon enfant pour qu’il puisse donner à son tour, d’une manière personnelle, créative, aux autres. Ce ne sont pas des objets, mais la continuité généalogique, des ressources symboliques que l’on transmet dans le renouvellement du don. Chaque naissance réenclenche la dette du devenir humain dont les parents sont les « passeurs privilégiés » à condition qu’ils ne soient pas isolés, sans réseau social. (M. Maïlat). Le devenir provoque de l’incertitude chez le parent : « qui je suis ?, suis-je sur la ‘bonne voie’, ai-je bien agi ? Est-ce que mon enfant se débrouillera, survivra sans moi ? » Ces questions, le parent ne peut les porter seul. Il doit être accompagné, confirmé, critiqué par les autres qui assurent leurs contributions auprès des enfants.
  • 30. Actes de la formation-action sur la reproduction transgénérationnelle 31 Le devenir du parent soulève l’idée implicite de sa mort : l’horizon du devenir est celui de la vieillesse et de la fin. L’être humain ne va pas de soi. Il est pris dans l’éternelle question sans réponse du non-être : « en tant qu’être-dans-le-monde, l’homme ne s’est pas fait lui- même, mais a été jeté dans cet être qui est le sien. » (H. Arendt, 2002). Par leur qualité de citoyens, les parents font partie de la société. La reconnaissance des autres qui confère un statut à la personne est le pilier auquel s’adosse le parent dans l’éducation de ses enfants ou quand il rencontre des difficultés avec eux (à l’adolescence, par exemple). Les enfants intègrent le respect et la dignité lorsque leurs parents sont reconnus par leurs pairs (les bénévoles d’une association, les professionnels, le juge des enfants, les voisins, etc.). La vie sociale des parents ouvre aux enfants une porte vers la société. V. Faire la différence entre répétition et transmission Suivant l’anthropologue Godbout (1992), la répétition caractérise les organisations rationnelles de type industriel et/ou bureaucratique. La répétition repose sur la standardisation des actes, des outils, des écrits et sur l'interchangeabilité. Par exemple, dans un service, un poste d'assistante sociale peut être occupé par plusieurs personnes qui se succèdent sans que cela produise un dérèglement majeur dans l’organisation et son management. Mais même dans un système qui repose sur la répétition, le vécu subjectif, affectif apparaît : les collègues peuvent regretter le départ d’un collègue : «Toute l'organisation rationnelle industrielle et bureaucratique est fondée sur un principe niant l'unique, celui de la répétition et de la reproduction du même à l'infini, celui où rien ne doit apparaître d'imprévu, car l'imprévu est considéré comme imperfection, anomalie, dans la chaîne de la reproduction parfaite du même. Le principe du don est au contraire l'imprévu, « something extra » (Cheal, 1988), ce qui échappe, ce qui apparaît venant d'on ne sait où, ce qui naît, ce qui brise la chaîne reproductrice du même au profit de la fécondation, de la naissance.» (Godbout, Caillé, 1992) Mais la naissance d’un enfant introduit d’emblée l’imprévu, la surprise, l’étranger, la nouveauté. Chaque enfant est une altérité qui échappe à la répétition. Cependant, par l’éducation, il intégrera des normes, des comportements propres à la société dans laquelle il vit. L’identité de l’enfant se forme au cours d’un processus de reconnaissance : reconnaissance des parents (« tu es mon fils/ma fille »), mais aussi reconnaissance des autres institutions (« bon élève », « handicapé », « incasable », etc.).