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UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
U.F.R Lettres et Sciences Humaines
Master « Sociétés, Espaces, Temps »
Mention « Histoire de l’art »
Spécialité « Histoire de l’art et de la culture »
Année universitaire 2009-2010




                                MEMOIRE DE MASTER II

                                               présenté par

                                      Romain JEANGIRARD

                                             le 23 juin 2010




   NICOLAS-VICTOR DUQUENELLE
      OU L’ANTIQUAIRE ACCOMPLI
                                       (1842-1883)




                               Sous la direction de :
              Madame Marie-Claude Genet-Delacroix (Université de Reims)
                Madame Frédérique Desbuissons (Université de Reims)
DES METHODES HISTORIQUES ET
ARCHEOLOGIQUES DE L’ANTIQUAIRE AU XIXe
                               SIECLE




               17
III. METHODES ET DEMARCHE DE DUQUENELLE


                 Les circonstances de fouilles et l’acquisition des objets

                 L’espace urbain, au XIXe siècle, est en mouvement et en extension, repensé et
remodelé. Il abrite en son sein les objets archéologiques qui sont les traces et témoignages des
temps anciens de la ville.
Les recueillir et les étudier constitue à la fois une reconnaissance ; établit une filiation citadine,
multiséculaire, entre l’ancien et le présent ; enfin, vivifie l’archéologie locale et le partage du passé,
dans le cadre d’une communauté urbaine de destin. Témoins de l’histoire de la culture matérielle et
de l’histoire de l’art 203, les objets sont partie intégrante de l’historiographie locale, culturelle et
artistique. L’archéologie, dès la seconde moitié du XIXe siècle, exalte les communautarismes : le
nationalisme, le régionalisme, mais aussi ce que l’on pourrait appeler le municipalisme. Les objets
et les traces du passé sont perçus comme participant à une plus-value des territoires, à tous les
échelons. Ces objets, surtout, sont les vecteurs d’une identité urbaine dans la glorification de
l’ancienneté et la célébration de sa survie, qui établit un dialogue entre le passé et le présent ; et leur
intégration dans la mémoire collective urbaine constitue aussi un comportement d’anti-
parisianisme, qui est prétexte à instaurer une égalité réelle, voire une supériorité, entre Paris et les
provinces, et à défaire la primauté parisienne à l’appui de faits et de preuves. Ce comportement
n’échappe pas à l’antiquaire Duquénelle, qui dans l’une de ses publications, énonce le passage
suivant : « Eloigné du centre des études et des richesses archéologiques, l’antiquaire de province
éprouve de vraies jouissances quand il recueille des objets que lui envie la capitale, et dont
l’authenticité ne peut être mise en doute 204 ». Il semble, contextuellement, que l’antiquaire dénote la
capitalisation de Paris dans le commerce d’art au XIXe siècle, en alternance avec Londres 205.
Ce culte des souvenirs historiques appuie l’attrait local, et particulièrement l’échelon communal,
interlocuteur privilégié par le centralisme jacobin sous la monarchie de Juillet et le second



203
    AGULHON, Maurice, « L’historien et la rencontre de l’objet : l’exemple de la République en sculpture ». In :
NORA, Pierre (dir.), Science et conscience du patrimoine. Actes des 7e Entretiens du patrimoine, Théâtre national de
Chaillot, Paris, 28, 29 et 30 novembre 1994. Paris : Fayard/éditions du patrimoine, 1997, p. 31.
204
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Travaux de l’Académie
Impériale de Reims, 4e trimestre 1852 – 1er trimestre 1853, vol. 17, n°1, p. 210.
205
    BERTRAND-DORLEAC (dir.), Le commerce de l’art : de la Renaissance à nos jours. Besançon : éd. La
Manufacture, 1992, p. 14.



                                                        55
Empire 206. Il est sociologiquement au XIXe siècle une revanche du régionalisme, l’archéologie
étant jusqu’au moment Guizot un fait parisien 207.
La ville de Reims, particulièrement, connaît au XIXe siècle une série de découvertes, qui
enrichissent la connaissance de son passé. L’histoire locale, vivifiée dans un premier temps, se
confond dans un second temps dans une histoire vibrante et nationale qui s’inscrit dans la
reconnaissance gauloise, sujet à polémiques au XVIe siècle sur « une nation éternellement civilisée
et toujours indépendante culturellement et politiquement 208. L’archéologie, ainsi, inscrit Reims dans
une double tradition, la fierté locale du fait gaulois et la contribution nationale au débat sur les
origines. Elle est, qualifie l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle, « inépuisable en découvertes
archéologiques » 209. Il évoque même des fouilles quotidiennes et un sol riche 210, plébiscités par le
dynamisme séculaire. Nombre de fouilles, en effet, ont lieu sur le territoire urbain et son aire
d’influence.
Les circonstances de fouilles sont le ressort d’initiatives diverses. Elles sont toutes le fruit de
l’exécution de terrassements qui constituent l’ensemble des travaux de préparation d’un sol en vue
de la construction d’un ouvrage ; par décaissement, creusement, comblement, nivellement,
remblaiement et régalage. Ces initiatives sont donc émises par les pouvoirs publics ou les
                211
particuliers.         L’intérêt des travaux publics réside au XIXe dans l’embellie d’une ville, et
notamment sous le second Empire. En effet, de nombreux travaux de modernisation interviennent
dans les deux premières décennies du second Empire, dans une volonté de remodelage et de
rationalisation des centres villes. Par la loi de 1852 sur les expropriations, les routes sont
prolongées, sous le régime de la concession.
L’antiquaire rémois évoque la découverte d’antiquités trouvées à Reims, et particulièrement un vase
trouvé sur les terrains de l’usine des Trois-Piliers 212. Le XIXe siècle étant industriel, il est à
supposer que les travaux ont lieu dans le cadre d’un plan d’extension, commandité par
l’entrepreneur, afin de renforcer la compétitivité industrielle de l’entreprise. Concernant ce zonage
particulièrement, une intervention de Nicolas-Victor Duquénelle devant le congrès archéologique

206
     GERSON, Stéphane, « L’Etat français et le culte malaisé des souvenirs locaux, 1830-1870 ». Revue d’histoire du
XIXe siècle, 2004, n° 29, p. 20.
207
    SCHNAPP, Alain, « Le patrimoine archéologique et la singularité française ». In : NORA, Pierre (dir.), Science et
conscience du patrimoine. Actes des 7e Entretiens du patrimoine, Théâtre national de Chaillot, Paris, 28, 29 et 30
novembre 1994. Paris : Fayard/éditions du patrimoine, 1997, p. 157.
208
    SCHNAPP, Alain, La conquête du passé : aux origines de l'archéologie. Paris : Carré, 1993, 511 p.
209
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un cachet d’un oculiste de l’époque romaine ». Revue mensuelle de la
littérature, des sciences et des arts, 1853, p. 403-405.
210
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims ». Séances et
travaux de l’Académie de Reims, 23 mai 1845 – 16 janvier 1846, vol. 3, n°1, p. 110-113.
211
    YON, Jean-Claude, Le Second Empire : politique, société, culture, coll. U. Paris : Armand Colin, 2004, p. 130-132.
212
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Travaux de l’Académie
Impériale de Reims, 4e trimestre 1852 – 1er trimestre 1853, vol. 17, n°1, p. 200-210.


                                                         56
réuni à Châlons-sur-Marne en 1855 laisse à penser qu’il existe une définition pluriannuelle des
zones de fouilles par un découpage. En effet, l’antiquaire aborde « des fouilles que l’on exécute
depuis quelques années, près de l’usine des Trois-Piliers 213 ». La fouille serait ainsi un geste dûment
réfléchi et préalablement médité, dans un cadre dépassant les individus.
Publiant dans les Travaux de l’Académie de Reims un Catalogue des monnaies romaines
découvertes à Signy-l’Abbaye 214, l’antiquaire rapporte dans sa présentation qu’il a été prévenu par
un habitant du pays, qui lui a apporté des échantillons de ces pièces. La surface intéressant
l’antiquaire rémois est large puisque cette commune, chef-lieu de canton ardennais, est à une
soixante de kilomètres de Reims. Cette version est confirmée par Charles Loriquet qui rapporte la
rencontre entre l’antiquaire et l’habitant, qui a trouvé par hasard un vase renfermant neuf
kilogrammes cinq cent grammes de monnaies romaines en argent 215. Cette attention particulière
apportée à l’antiquaire rémois appuie aussi sa notabilité régionale, sur des assises urbaines et
rurales, construites par les visites de terrain. Surtout, on peut supposer que l’intérêt de l’antiquaire
pour cette ville est porté par l’existence d’une abbaye cistercienne du XIIe siècle devenue bien
national en 1793 puis détruite.
L’archéologie rurale recouvre une réalité au XIXe siècle. Outre Signy-l’Abbaye, l’antiquaire rémois
et ses confrères académiciens, dont Joseph-Louis Lucas, portent un intérêt à Beine-Nauroy, à dix-
huit kilomètres de Reims 216, à Boult-sur-Suippe, à dix-sept kilomètres de la ville, ou à Damery,
centre gallo-romain important, à une trentaine de kilomètres de Reims. Ce dernier site,
particulièrement, abrite un atelier monétaire, découvert en 1830.
Evoquant les médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en 1843 217, Nicolas-Victor
Duquénelle restitue les circonstances de leurs découvertes. Les fouilles ont lieu en novembre 1843,
dans un champ, et la pioche du terrassier révèle un vase à un mètre de profondeur, que ce dernier
brise involontairement. De même, dans une de ses communications à l’Académie, Joseph-Louis
Lucas fait état de la découverte d’un vase d’une bonne conservation, en plein champ 218.


213
    TOURNEUR, Victor (abbé), « Deuxième séance du 24 mai ». Congrès archéologique, séances générales tenues, en
1855, à Châlons sur Marne, à Aix et à Avignon, par la société savante pour la conservation des monuments historiques,
1856, p. 98.
214
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Catalogue des monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye (Ardennes).
Reims : Dubois, 1865, 35 p.
215
    LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1865-66 ». Travaux de l’Académie impériale de
Reims, 1865-1866, vol. 43, n° 1-2, p.9-33
216
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et
travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n° 2, p. 394-402.
217
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Catalogue de médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre
1843. Reims : Regnier, 1844, 15 p.
218
    LUCAS, Louis-Joseph, « Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquité et de médailles romaines, faites à
Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 ». Annales de l’Académie de Reims, 1842 – 1843, vol. 1, n°1, p. 339-348.


                                                         57
Ces évocations prouvent la réappropriation de l’espace urbain, par le terrassement de constructions
sur des friches ou au sein de zones non urbanisées et périphériques. Elles prouvent aussi la
réappropriation d’un passé par l’archéologie et la stratigraphie. Pour l’espace urbain en effet,
l’antiquaire fait essentiellement état de découvertes aux entrées de la ville ou dans les faubourgs, en
tout cas peu en centre-ville. Il évoque ainsi pour les antiquités trouvées à Reims le faubourg Saint-
Thomas, pour les médailles romaines, argent et billon, trouvées en 1843, le faubourg Cérès ou
encore la rue Lesage, aboutissement de l’avenue de Laon, route reliant le quartier de la gare à la
périphérie urbaine, en 1880 219.
Concernant le faubourg Cérès particulièrement, l’antiquaire évoque les découvertes importantes.
Cette zone, au nord-est de Reims, est un vivier d’opportunités et de potentialités pour l’archéologie.
Charles Loriquet, en 1879, fait état de la découverte en ce lieu d’un buste gris veiné de brun, acquis
par l’antiquaire Duquénelle 220. Ces découvertes en ces lieux montrent l’étalement de l’espace
urbain et son extension autour des faubourgs, et donc sa restructuration. Le doublement
démographique justifie dès la décennie 1840 une expansion de la ville, et on assiste de 1846 à 1853,
à un « étalement urbain » 221. La démolition des remparts et des portes d’entrée urbaine de Mars et
de Cérès 222 explique le vivier archéologique de ces quartiers dans les années suivantes.
Dans une lettre à Adrien de Longpérier 223, l’antiquaire Nicolas-Victor évoque la découverte, en
novembre 1854, d’un bagage d’oculiste dans ce que Narcisse Brunette appelle la maison du
médecin, « au milieu d’un débris de constructions ». L’initiative de destruction ou de construction,
et donc de la fouille, qu’elle soit privée ou publique, est légale et est conduite par des entrepreneurs
et des ouvriers.
La requalification urbaine et les progrès de l’industrie permettent en tout cas une nouvelle approche
du sol et du sous-sol. Le sol, en fait, est un livre d’histoire, et les objets sont un texte. L’observation,
le relèvement et l’explication des objets archéologiques se concrétisent par les fouilles
systématiques. Cette nouvelle approche du sol conduit, selon Alain Schnapp, « à une curiosité
stratigraphique » qui « amène à la découverte d’un temps long 224 ».
Les fouilles, outre l’extension urbaine, sont commandées dans les zones présentant un intérêt
historique. Il est à supposer que c’est dans cette exigence qu’il a été découvert un cercueil en plomb
dans l’ancien cimetière de Saint-Nicaise, dont la découverte est rapportée par le Bulletin sur la

219
    M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue).
220
    LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1878-1879 ». Travaux de l’Académie nationale de
Reims, 1878-1879, vol. 65, n° 1-2, p. 23-53.
221
    PELLUS, Daniel, Reims : un siècle d’événements, 1800-1900. Reims : D. Fradet, 2003, p. 50-52.
222
    Ibid., p. 50-52.
223
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
224
    SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 345.


                                                    58
société de l’histoire de France 225. Il est ajouté, par ailleurs, que les ouvriers chargés de la démolition
du tombeau de Saint Rémi ont volé des médailles et des objets précieux. Cette allusion laisse à
penser qu’un marché de l’art et des objets archéologiques clandestin, illégal et illicite, se constitue ;
contrastant avec la légalité de leur activité et de leurs missions.
Ces fouilles sont également conduites dans les zones d’activités. Nicolas-Victor Duquénelle, en
1846, fait état de la découverte d’une sépulture gallo-romaine autour de la Vesle, dans les lieux
insalubres 226.
Les fouilles trouvent aussi leur émergence dans la construction de grandes infrastructures, de nature
publique. Le percement du canal de l’Aisne à la Marne est réalisé entre 1842 et 1855. Dans les
Annales de l’Académie de Reims de 1843 et 1844 227, l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle
évoque la découverte d’ossements animaux par les ouvriers employés au creusement du canal, au
cœur du lit de l’ancienne rivière, entre les portes de Vesle et de Fléchambault, face à la rue des
Moulins.
Revenant sur les vols par les ouvriers, l’antiquaire dit que les terrassiers se cachent des
propriétaires 228. Ainsi, l’initiative de terrassement est aussi de nature privée. On peut se demander si
l’antiquaire n’a pas eu recours à ce commerce illégal puisqu’il évoque le fait que ces ouvriers
n’accordent aucune indemnité. L’antiquaire plaide auprès de l’Académie pour un suivi et une
information continuels sur les travaux afin de recueillir les objets curieux, parfois perdus ou
détruits, qui pourraient fournir des renseignements sur les structures. Evoquant l’initiative privée du
terrassement, Nicolas-Victor Duquénelle se réfère aux fouilles conduites chez Monsieur Contet-
Muiron.
        Les procédures d’acquisition des objets sont intéressantes, car elles témoignent de la
transition entre la découverte de l’objet à son entrée dans la collection privée. Elles sont entendues
dans deux sens : d’une part la nature et le contact entre les contractants ; et d’autre part la répartition
des objets entre les antiquaires.
Les profils sont variés. Il s’agit d’ouvriers qui, lors de l’exécution de travaux, ont découvert des
objets d’art et d’archéologie. Il s’agit encore d’habitants, dans les zones rurales particulièrement,
qui entretiennent les antiquaires de leurs découvertes, sans doute après avoir labouré un terrain,
l’activité agricole étant très prospère.


225
    Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1843-44, p. 134.
226
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur une des sépultures de l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en
1846 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 6 février - 7 mai 1846, vol. 4, n°11, p. 109-114.
227
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1843-1844, p. 35-40.
228
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et
travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n° 2, p. 394-402.


                                                     59
Concernant ces deux types, l’antiquaire et ses pairs, dans leurs publications, usent du terme de
l’acquisition pour qualifier le transfert du bien d’une personne physique à leur collection. Ce terme,
pourtant, est explicite. S’il définit bien l’entrée en possession d’un bien par un tiers, il n’en précise
cependant pas le mode. Celui-ci est pourtant multiple : il se caractérise par le travail, l’échange, le
contrat, la donation ou l’achat. La valeur marchande de l’objet archéologique n’est pourtant plus au
XIXe siècle à démontrer. Nicolas-Victor Duquénelle, évoquant l’acquisition des monnaies romaines
découvertes à Signy-l’Abbaye, explique qu’il a acquis la totalité « moins 30 pièces qui ont été
données 229 ». Si cet exemple n’exclut pas la donation, il tend cependant à démontrer que,
concernant le contrat entre l’habitant et l’antiquaire, l’acquisition a eu lieu moyennant paiement.
Dans ce registre, Joseph-Louis Lucas, dans sa Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités
et de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 230, présente la
collection constituée par son père, Lucas-Dessain, qu’il a complétée. Particulièrement, il évoque des
fouilles dans le pays rémois de 1822 à 1829, dont les découvertes de « trésors viennent consoler
l’ouvrier de l’âpreté de ses travaux ». Le contemporain de l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle
peut bien sûr décrire la jouissance esthétique que procure la vue de tels objets par l’ouvrier. Il peut
cependant tout aussi bien évoquer l’apport matériel que constitue pour la classe ouvrière la
découverte de tels objets et le profit qu’ils peuvent en dégager. L’intéressement d’ouvriers pour les
objets archéologiques est d’ailleurs reconnu par différentes sources, aux auteurs différents : une
contribution du Bulletin de la société de l’histoire de France 231 éditée en 1844 et une publication de
Nicolas-Victor Duquénelle en 1847 convergent sur ce point.
La législation énonce « la libre et pleine disposition » du propriétaire « de tout ce qui est enfoui
dans son terrain, sauf le droit de partage attribué à l’inventeur 232 ». De fait, la cession d’un objet par
un propriétaire n’est pas interdite. Elle est en revanche illégale pour un ouvrier, qui ne jouit d’aucun
droit de possession et de propriété.
Si le mode opératoire pour l’acquisition des objets archéologiques est incertain ou hypothétique
entre le terrassier ou l’habitant et l’antiquaire, il ne l’est en revanche pas pour le contact entre
l’antiquaire et le marchand. Dans le compte-rendu des travaux de l’Académie de Reims pour les
années 1882 et 1883 233, le secrétaire général Henri Jadart évoque la rencontre de Nicolas-Victor
Duquénelle avec des « chercheurs d’objets antiques » qui lui présent des objets mérovingiens
229
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 4.
230
    LUCAS, Louis-Joseph, « Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités et de médailles romaines, faites à
Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 ». Annales de l’Académie de Reims, 1842 – 1843, vol. 1, n°1, p. 339-348.
231
    Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1843-44, p. 134.
232
    LUCAS, Louis-Joseph, « Communication », Séances et travaux de l'Académie de Reims, 5 juillet 1844-7 mars 1845,
vol. 1, p. 165-166.
233
    JADART, Henri, « Compte-rendu des travaux de l’année 1882-1883 ». Travaux de l’Académie nationale de Reims,
1882-1883, vol. 73, n° 1-2, p. 11-35.


                                                         60
trouvés à Luternay. L’antiquaire, lui-même, confirme cette version : « Il y a quelque temps, j'ai été
mis en relation avec des chercheurs d'objets antiques, et ces Messieurs sont venus à deux me
présenter une série d'objets mérovingiens; c'était une petite collection de bijoux en argent, dont
quelques-uns très rares et d'une bonne conservation ; après quelques pourparlers et discussion sur le
prix de vente de leur trouvaille, nous sommes tombés d'accord, et ce sont des objets que je vais vous
présenter et vous faire connaître » 234.
Il est entendu que l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle est un homme de terrain. Qualifié
d’ « attrape-tout » par l’abbé Valentin 235, Charles Loriquet ajoute que l’antiquaire rémois est « le
premier averti des découvertes qu’on fait à Reims, parce qu’il a le soin persévérant de parcourir la
ville dans tous les sens et d’interroger toutes les fouilles qui s’y pratiquent 236 ». Ainsi évoqué, on
peut penser que par cette posture d’homme de terrain, l’antiquaire optimise les chances
d’acquisition des objets présentant le plus grand intérêt ou une curiosité.
Toutefois, il semble qu’il existe un partage des objets archéologiques, relevés des fouilles, entre les
antiquaires. Evidemment, il est coutumier que plusieurs antiquaires suivent les fouilles urbaines au
même endroit. Nicolas-Victor Duquénelle qualifiant particulièrement le nord-est de la ville comme
« mine inépuisable de richesses archéologiques », il est à envisager une présence de plusieurs
antiquaires sur un même site en déblaiement. Cette approche permet d’esquisser un état des lieux
dans la nature des relations entre les antiquaires d’une même ville : la concurrence et la rivalité ou
au contraire la solidarité et la complémentarité.
Un certain nombre d’éléments tenterait à confirmer un statut concurrentiel. Joseph-Louis Lucas,
dans une de ses publications, fait une communication sur les objets archéologiques découverts dans
l’ancien cimetière Saint Nicaise. La description qu’il en fait, l’évocation des vols et sa nomination
dans une organisation dyarchique l’associant avec l’antiquaire Duquénelle à une commission
chargée de proposer à l’administration des résolutions en accord avec le droit pour la surveillance
des sites, laissent à penser qu’il a lui-même participé à l’avancement des travaux. Pourtant, la
médaille, « Sévère d’une admirable conservation » selon l’appréciation de Joseph-Louis Lucas, est
en possession de Duquénelle. Il évoque d’autres objets, vases, pièces de cuivre et statuette en
bronze 237, mais rien dans son propos ne permet de confirmer qu’il en est le détenteur. La présence

234
   DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Les objets mérovingiens trouvés à Luternay et offerts au Musée de Reims. Notice
lue par M. Duquénelle à la séance de l'Académie du 22 décembre 1882 ». In : JADART, Henri, Victor Duquénelle,
antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sue sa Vie, ses Travaux et ses Collections avec diverses œuvres posthumes
publiées par l'Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 32-41.
235
    VALENTIN, Nicolas (abbé), « Notice historique et descriptive des monuments historiques et religieux du canton de
Fismes ». Travaux de l’Académie impériale de Reims, 1863-1864, vol. 40, n° 3-4, p. 215-328.
236
    LORIQUET, Charles, La mosaïque des Promenades et autres trouvées à Reims, étude sur les mosaïques et sur les
jeux de l’amphithéâtre. Reims : Brissart-Binet, 1862, p. 101.
237
    LUCAS, Louis-Joseph, « Communication », Op.cit, 1844-1845, p. 165.


                                                        61
commune de ces spectateurs de l’archéologie suggère une chasse à l’objet. Les antiquaires
Duquénelle et Lucas, dans leur configuration, sont des collectionneurs. Leur intérêt réside dans le
recueil des objets. Si on ne peut évoquer de rivalité, la concurrence est en revanche plausible.
En effet, de même que le recueil d’objets archéologiques se définit comme la contribution à une
plus-value territoriale, il peut aussi être un dessein d’affirmation et d’ambition d’une primauté
individuelle. En 1845, Charles Dufour d’Amiens est mandaté par l’Académie de Reims pour
présenter un rapport 238 sur les richesses archéologiques et l’intérêt historico-local que renferme le
cabinet d’antiquités de Joseph-Louis Lucas. Il visite ensuite les cabinets de Nicolas-Victor
Duquénelle et de Monsieur Duchêne. Par ce rapport, sans doute fortuitement, Charles Dufour
installe un triumvirat de l’archéologie rémoise.
De plus, l’objet archéologique étant doté d’une valeur marchande, l’acquéreur peut aussi être un
acheteur. Le départage de l’appât se fait alors au profit de celui qui propose la somme la plus
intéressante et qui surenchérit. L’objet détient une valeur esthétique par le regard mais aussi une
valeur marchande par la transaction commerciale, selon les critères de nature et d’origine spatio-
temporelle 239. Il comporte originellement une dimension économique et matérielle, avec valeur
d’échange ou d’achat 240.
Cette valeur marchande de l’objet archéologique est d’ailleurs clairement énoncée dans le tableau
récapitulatif dressé après le décès de l’antiquaire par la régie municipale de Reims, annexé à son
catalogue. Les valeurs de 1860 et 1883 sont indiqués et montrent une plus-value 241. L’objet
marchand est en effet une valeur fluctuante, en fonction de l’offre et de la demande 242.
D’autres éléments au contraire laissent à penser à une solidarité entre antiquaires. Dans le cadre
d’une association commune aux fouilles, on peut penser à un entendement préalable sur la
répartition des objets trouvés. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier, Nicolas-Victor Duquénelle,
évoquant la découverte des cachets d’oculistes, signifie leur lieu de conservation : le premier
d’entre eux appartient à Joseph-Louis Lucas alors que les deux autres sont en sa possession 243. Dans
la présentation de sa Nomenclature d’objets d’antiquités récemment découverts à Reims 244, Nicolas-
Victor Duquénelle évoque une dissémination des poteries dans diverses collections privées, dont


238
    DUFOUR, Charles, Rapport sur les cabinets d’antiquités de MM. Louis-Lucas, Duquenelle et Duchène. Reims :
Jacquet, 1845, 19 p.
239
    BERTRAND-DORLEAC (dir.), Op.cit, 1992, p. 9-11.
240
    POMIAN, Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle, coll. Bibliothèque
des histoires. Paris : Gallimard, 1987, p. 12.
241
    M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue).
242
    BERTRAND-DORLEAC (dir.), Op.cit, 1992, p. 26.
243
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
244
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Nomenclature d’objets d’antiquités récemment découverts à Reims ». Annales de
l’Académie de Reims, 1843-1844, vol. 2, p. 39.


                                                        62
celle de Monsieur Duchêne. Dans une autre publication, l’antiquaire plaide pour un suivi et une
information continuels des fouilles, afin d’éviter les vols et comprendre les structures d’accueil des
objets, parfois détruites ou perdues 245. Cette idée de Nicolas-Victor Duquénelle suggère
l’opportunité d’une mise en place postérieure, dans un cadre officieux et collectif reposant sur
l’Académie, de visites de terrain tournantes par les antiquaires, permettant ainsi l’équité
individuelle dans la répartition collective des objets trouvés. Nicolas-Victor Duquénelle, en
prolongeant la réflexion, érige l’antiquaire en gardien et en protecteur du passé contre la maladresse
et la négligence des ouvriers, évoquées dans sa lettre à Adrien de Longpérier 246.
Il existe une autre forme de solidarité entre antiquaires. Dans sa Note sur une des sépultures de
l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en 1846 247, l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle
annonce avoir cédé un vase à Joseph-Louis Lucas. La pratique précédente énonce l’antériorité de
l’accord sur la répartition des objets à la fouille ; et, celle de la cession, en revanche, illustre sa
postériorité à la fouille, et exclut tout accord.
Parfois déboutés dans leur tentative d’acquisition d’objets antiques, les antiquaires ont la possibilité
de demander des empreintes ou des moulages, dont la technique pour ce dernier procédé a été
définie au XVIe siècle et répandue sous le règne français louis-quatorzien 248. Cette pratique est
relatée par l’antiquaire Duquénelle lorsqu’il évoque, dans son catalogue, un cachet d’oculiste trouvé
rue Lesage à Reims qu’il n’a pu acquérir, mais dont il a pu avoir les empreintes 249. Elle est
particulièrement propice à l’étude des noms et à l’énonciation d’une démonstration sérielle ;
l’antiquaire rémois, souhaitant ajouter à l’étude des dix cachets d’oculistes rémois publiés pour une
contribution à la sigillographie médicale et possédant cinq d’entre eux, dont l’un donné au musée
des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye 250.
Dans tous les cas, l’antiquaire fait état dans certaines publications des découvertes annuelles
d’antiques. Il évoque les trouvailles faites dans les environs de Boult-sur-Suippes, faisant partie des
cabinets de Monsieur Bourgeois et de Monsieur Mennesson 251. Cela signifie, dans la pratique, soit
le report quotidien dans un répertoire des acquisitions faites par les antiquaires, soit une
collaboration dans l’étude entre ces derniers, particulière ou collective, régie par la base locale

245
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et
travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n°2, p. 398.
246
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
247
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur une des sépultures de l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en
1846 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 6 février - 7 mai 1846, vol. 4, n°11, p. 109-114.
248
    HASKELL, Francis, PENNY, Nicholas, Pour l'amour de l'antique : la statuaire gréco-romaine et le goût européen,
1500-1900. Paris : Hachette Littératures, 1988, rééd. 1999, p. 109-119.
249
    M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue).
250
    M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue).
251
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Op.cit, 1852-1853, p.
209.


                                                       63
qu’est l’Académie de Reims. Cette pratique suggère une complémentarité, forcée ou voulue, du
moins dans la mise en commun d’études archéologiques locales par la soumission à la publication
dans les travaux de l’Académie de Reims.
          Le spectacle des fouilles et l’acquisition des objets par les antiquaires, enfin, sont les
témoins de leurs motivations et définissent leur rapport à la collection, dans sa conception et sa
nature.
Dans une lettre au directeur du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, Nicolas-
Victor Duquénelle écrit au « cher maître », marquant un souci de modestie mais aussi d’affiliation
archéologie et, évoquant une des stèles qu’il détient, livre à son interlocuteur qu’elle provient de
l’ancien cabinet de Joseph-Louis Lucas, « ancien notaire de Reims qui avait hérité de son père une
très intéressante collection d’antiquités qu’il a vendue en 1868 » 252. Cette vente provoque ainsi la
dispersion de la collection.
La motivation d’un antiquaire, hormis la vente, est la création par la collection d’un monde parallèle
au commerce de l’art. La collection est ainsi définie, partiellement, par Krzysztof Pomian : il s’agit
de « tout ensemble d’objets naturels ou artificiels, maintenus temporairement ou définitivement
hors du circuit d’activités économique, soumis à une protection spéciale dans un lieu clos aménagé
à cet effet, et exposés au regard 253 ».
Une autre de ses motivations est l’étude archéologique, définie par une méthode historique.




                 La démarche historique

                 La pièce archéologique, entrée dans la collection de Nicolas-Victor Duquénelle, est
étudiée puis reçoit un classement dans le catalogue de l’antiquaire. Ainsi, l’objet dans son
originalité intègre un corpus collectif.
          Par l’édition, l’antiquaire entend expliquer l’objet. Il se place en contributeur de la science
archéologique au niveau local puis au niveau national. En rendant compte de ses travaux, Nicolas-
Victor Duquénelle se perçoit comme un citoyen de l’archéologie, faisant son devoir. Dans le
catalogue de monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye 254, l’antiquaire évoque l’appel de
Cohen et estime que si tous les antiquaires étaient dans son état d’esprit, il existerait un catalogue
général et complet de la numismatique romaine. L’antiquaire-écrivain est en représentation et


252
    M.A.N, Correspondance : Lettre de Duquénelle du 4 juillet 1880.
253
    POMIAN, Krzysztof, Op.cit, 1987, p. 18.
254
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 33.


                                                         64
réalise ainsi une auto-promotion, se plaçant finalement dans une posture de constructeur de
l’archéologie. Il inscrit l’histoire locale dans une histoire universelle, relevant l’intérêt
archéologique du sol rémois, voire son unicité. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier en 1855 255,
l’antiquaire ose une comparaison entre la richesse du sol rémois et les fouilles d’Herculanum et de
Pompéi au siècle antérieur. A cet effet, les publications de Nicolas-Victor Duquénelle répondent à
l’actualité de la recherche archéologique rémoise et locale et permettent de comprendre la méthode
et le raisonnement de l’antiquaire.
Ce raisonnement discursif se ventile en plusieurs phases : l’objet est décrit et contextualisé, puis
défini dans son usage et dans son intérêt, interprété par la justification avant de finalement recevoir
un classement.
         Dans un premier temps, Nicolas-Victor Duquénelle entreprend une description de l’objet. Il
évoque la nature du matériau et ses mesures, son lieu de découverte et sa situation stratigraphique,
ainsi que la narration épigraphique et iconographique de l’objet, son état de conservation et
éventuellement sa fracture artistique.
L’antiquaire n’est pas un critique d’art. Néanmoins, certains de ses discours laissent apparaître une
appréciation. Décrivant la fibule en bronze trouvée dans la sépulture antique de la place de la
Couture, l’antiquaire évoque un « beau travail » 256. Ce jugement qualitatif reste cependant
descriptif, et Nicolas-Victor Duquénelle n’évoque nullement le style et le traitement donné par
l’artiste à l’objet. Cette attention portée à la fracture artistique de l’objet est par ailleurs commune
chez les antiquaires. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier, l’antiquaire rémois évoque les
incrustations d’argent de deux spatules « d’un travail délicat et vraiment artistique » 257 ; et Charles
Dufour, analysant des médailles gauloises, souligne « la finesse de la pâte et la régularité des
bourrelets » 258. Cette démarche particulière vise surtout à montrer la qualité d’exécution des objets,
leur curiosité et leur rareté, mais aussi d’attribuer une époque à une trace matérielle du passé selon
sa fracture artistique.
Lorsqu’il s’agit de présenter l’objet dans un collectif, l’antiquaire entreprend une description par
genre.
Cette démarche descriptive permet à l’antiquaire de définir la typologie de l’objet, et d’orienter
ainsi son étude. Ainsi, il attribue à l’objet une carte d’identité, qui certifie son originalité et l’inscrit
dans un corpus collectif par genre. Le discours de la description permet d’esquisser l’analyse
historique. Les matériaux sont les marqueurs de l’appartenance de l’objet à un cycle économique

255
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
256
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852-1853, p. 201.
257
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims
258
    DUFOUR, Charles, Op.cit, 1845, p. 14.


                                                         65
conjoncturel ou à un peuple particulier. Ses dimensions, son lieu de découverte, son iconographie
ainsi que ses inscriptions peuvent laisser présager de son usage. Sa situation dans le sol fournit un
premier indice de datation et de contextualisation. Quant à son état de conservation, il permet
d’apprécier les pressions qu’il a subies comme l’humidité.
La description de l’objet effectuée, Nicolas-Victor Duquénelle peut s’adonner à la contextualisation
et à l’interprétation de l’objet.
        Puis, l’antiquaire adopte un discours de contextualisation et de datation de l’objet.
Il a, pour cela, recours à la philologie. Apportant une justification sur le nombre d’oculistes à
l’époque romaine et leurs pratiques, l’antiquaire se réfère au témoigne des auteurs anciens 259. Dans
une lettre à Adrien de Longpérier en 1855 260, Nicolas-Victor Duquénelle évoque trois objets trouvés
et justifie leur contextualisation et leur usage par la philologie et l’apport des textes anciens. Il
rapporte la description de l’hypospathistère à double tranchant en forme de spatule fournie par Paul
d’Egyne pour critiquer et justifier sa forte similitude avec l’objet en présence. Puis, l’antiquaire
rapporte la description par le même auteur du                                et de son usage, pour finalement
certifier « sans aucun doute » le rapport avec une pince trouvée. L’antiquaire évoque enfin les
maladies, la composition et l’action des médicaments à l’époque romaine et se reporte aux auteurs
anciens et notamment à Pline, auteur de référence ; qui, sur ces problématiques, apportent « une
infinité de recettes » malgré « les erreurs et la naïve crédulité de son siècle ».
Il s’agit pour l’antiquaire de légitimer son discours et apporter un démenti aux accusations de
dilettantisme et d’amateurisme. Mieux encore, dans le cas de la correspondance avec Adrien de
Longpérier, l’écrit doit faire la preuve de l’érudition de Nicolas-Victor Duquénelle, de son sens
historique par la justification et la critique systématique de son raisonnement, et de l’intérêt qui
porte à la méthode archéologique. Outre la légitimation de son discours, et au-delà de sa personne,
l’antiquaire s’appuie sur l’incontestabilité des sources écrites et la transversalité disciplinaire pour
apporter à l’objet une contextualisation irréfutable.
La philologie est inscrite dans la tradition antiquaire. Elle reste au XIXe siècle un recours pour
justifier le discours des antiquaires. Dans sa notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités et
de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 261, Joseph-Louis
Lucas évoque la collection de son père et précise que ce dernier fut un lecteur de la Vie des grands
Hommes de Plutarque dans son édition de 1820. L’intérêt de cette édition réside dans son
annotation qui fournit des notices explicatives à l’antiquaire sur les moeurs et la vie des anciens.


259
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1853, p. 404.
260
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
261
    LUCAS, Louis-Joseph, Art.cit., 1842-1843, p. 340-341.


                                                         66
Cette édition semble rendre compte de l’actualité de la recherche archéologique, puisque Lucas père
y apprend qu’on a découvert à Lappion des monnaies romaines.
L’antiquaire, pour contextualiser l’objet, a également recours à la numismatique. Primée dans la
plupart de ses publications, la méthode numismatique doit lui permettre d’affirmer sa personnalité
et « l’historien véridique » qu’il prétend être dans sa Physiologie de l’antiquaire.
Pour dater une sépulture trouvée à l’emplacement de la place de la Couture, à un mètre et cinquante
centimètres du sol, Nicolas-Victor Duquénelle fait état de la découverte dans ce monument de deux
médailles de Vespasien et de Titus 262.
Dans son catalogue de médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre 1843 263,
l’antiquaire avance une datation de l’enfouissement monétaire en 226, qu’il justifie. L’antiquaire
s’appuie sur l’iconographie du revers qui présente la tête princière de Sévère Alexandre jeune et
imberbe, puis sur la légende M. ALEXANDER CAESAR qui confirme que ces pièces ont été
frappées avant l’an 222, enfin sur une pièce à l’effigie de sa troisième épouse ORBIANA et dont le
mariage est antérieur à 226. Par un croisement des données, Nicolas-Victor Duquénelle adoube la
numismatique en outil de lecture et de confirmation historique.
Dans le cas de la notice sur une médaille gauloise inédite de type romain 264, Nicolas-Victor
Duquénelle propose une datation par défaut, par un recours à la méthode analogique. Il propose de
ce fait pour datation la troisième période, lorsque les gaulois abandonnèrent le type grec pour le
type romain tout en conservant leurs attributs particuliers – ici, le lion et la tête casquée –. Puis, par
extension dans son raisonnement, l’antiquaire propose pour localité la ville de Reims, par analogie
avec la médaille REMOS ATISIOS qui présente le lion. Dans ce cas, il a recours à la méthode
comparative pour déterminer par analogie l’origine de l’objet ou sa datation. Il se réfère également
aux ouvrages contemporains de référence et spécialisés pour construire son discours et le légitimer.
Pour la médaille gauloise inédite, l’antiquaire s’appuie sur la méthode d’Edouard Lambert, énoncée
dans son ouvrage intitulé Essai sur la numismatique gauloise du nord-ouest de la France, publié en
1844.
La numismatique est également un recours pour l’antiquaire par l’analyse quantitative. En 1851,
Nicolas-Victor Duquénelle commande à Edme-Jules Maumène l’analyse de pièces gauloises pour




262
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852-1853, p. 201.
263
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1844, p. 13-14.
264
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Notice sur une médaille gauloise inédite ». Séances et travaux de l’Académie de
Reims, 27 octobre 1848 – 7 mars 1849, vol. 9, n°1, p. 224-226.


                                                       67
en déterminer un alliage d’or, d’argent et de cuivre 265. L’étude des matériaux permet à l’antiquaire
d’en préciser la datation.
Dissertant sur les monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye 266, Nicolas-Victor Duquénelle
critique puis justifie, à partir des éléments en sa possession, leur date d’enfouissement. A partir de
l’attribution de la puissance césarienne à Salonin entre 253 et 259 et l’utilisation du billon dans une
conjoncture économique, l’antiquaire en déduit que la datation de l’enfouissement serait 256.
Enfin, dans la note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims 267, Nicolas-Victor
Duquénelle réfute la chronologie admise des évêques rémois. Il propose par l’analyse des revers
une nouvelle classification et adopte le titre d’ARCHIPRESVL pour l’évêque Massanès Ier et le
titre d’ARCHIEPISCOPVS pour l’évêque Massanès II. Il contredit ainsi par l’étude numismatique
la théorie de Suippes.
L’intention de l’antiquaire par le recours à la numismatique est d’étoffer son profil de spécialisation
et de promouvoir par la méthode son action dans le champ archéologique, et ainsi d’exclure tout
amateurisme dans la perception de son discours. L’antiquaire dans la justification est en
représentation. Nicolas-Victor Duquénelle veut également promouvoir l’apport de la discipline dans
le champ archéologique par la preuve.
L’antiquaire énonce enfin la description stratigraphique pour démontrer que l’histoire des objets
prend place dans les ères du sol. Il évoque en effet dans chacune de ses publications la place des
objets dans le sol. Dans cette même perspective spatiale, Nicolas-Victor Duquénelle replace l’objet
dans sa configuration géographique. L’objet permet une réécriture historique de la géographie
urbaine locale aux ères antérieures. Apportant une nomenclature aux ossements découverts entre les
portes de Vesle et de Fléchambault sur une ancienne voirie, l’antiquaire souligne que ce dépôt était
hors des limites de l’ancienne ville 268, tout comme les cimetières. Evoquant les importantes
découvertes d’objets d’antiquités au faubourg Cérès, Nicolas-Victor Duquénelle en déduit que
l’emplacement contemporain de la ville de Reims n’est pas dans la même configuration qu’à
l’époque de la domination romaine 269. L’antiquaire émet la possibilité du déplacement des habitants
de l’enceinte primitive vers la rivière, justifiant cette hypothèse par la présence de voies romaines à
un mètre du sol.



265
    MAUMENE, Edme-Jules, « Analyses de pièces gauloises en plomb et en or ». Séances et travaux de l’Académie de
Reims, 1er trimestre 1851, vol. 13, n° 1-2, p. 288-290.
266
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 33-35.
267
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims ». Séances et
travaux de l’Académie de Reims, 23 mai 1845 – 16 janvier 1846, vol. 3, n°1, p. 110-113.
268
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1843-1844, p. 39.
269
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1844, p. 14.


                                                      68
Par un croisement des données, de nature philologique, numismatique ou stratigraphique, Nicolas-
Victor Duquénelle veut démontrer les ressources et les opportunités qui s’offrent à l’antiquaire pour
établir un raisonnement complet et justifié, descriptif et interprétatif. Au-delà, il souhaite
transformer la pluridisciplinarité en une interdisciplinarité : c'est-à-dire le recours à diverses
disciplines et méthodes pour construire une archéologie autonomisée de l’histoire. Cependant,
critiquant puis justifiant son raisonnement pour apporter à l’objet une datation, Nicolas-Victor
Duquénelle adopte une méthode historique corrélée au genre archéologique.
           Après quoi, l’antiquaire apporte à l’objet une interprétation sur son usage. L’archéologie
consiste en effet en l’étude des objets, mais aussi de leur intégration dans les us, mœurs et coutumes
des peuples. L’antiquaire répond ainsi à ce souci.
La plupart des objets est vouée à un usage cultuel. Dans le cas d’une pierre, Nicolas-Victor
Duquénelle y voit un autel votif répondant au type gallo-romain car figuré. Selon l’antiquaire, les
autels primitifs et gaulois, ne donnaient lieu à une figuration du fait des druides qui voyaient en la
représentation des divinités un affaiblissement de leur pouvoir. Par la méthode comparative et
l’association à d’autres objets similaires, l’antiquaire voit en cet autel votif tricéphale un culte aux
dieux Lares qui étaient particuliers à une localité ou à une habitation et qui protégaient les champs
délimités par des bornes 270. L’antiquaire évoque également un couteau primitif à sacrifice et à usage
domestique, une patère en cuivre et deux petites cuillers qui servaient respectivement à recueillir le
sang des sacrifiés et à répandre les parfums lors du sacrifice. Ainsi, Nicolas-Victor Duquénelle
inscrit ces objets dans un cérémonial.
Dans sa nomenclature d’objets d’antiquités 271, l’antiquaire fait état d’ossements d’animaux et
d’objets. Il évoque une hache, appelé dans le discours historique un merlin, qui servait à tuer les
animaux. L’antiquaire confirme cette interprétation par les fractures sur les os du col. Il s’agit pour
l’antiquaire d’un objet d’usage, se différenciant de la hache de sacrifice appelée malleus. Pour
argumenter son propos, l’antiquaire, comme il l’énonce, a recours à des manuels et ouvrages
contemporains sur l’Antiquité. Il poursuit ainsi sa nomenclature : les secespila qu’il a découverts
servaient à égorger les victimes et les cultelli à les démembrer. Concernant le couteau suivant,
l’antiquaire recourt très directement à la méthode comparative, avec une urne en terre acquise,
contenant des médailles gauloises et un couteau ressemblant à l’objet étudié. Il inscrit ainsi l’objet
dans le collectif des découvertes pour interpréter la vie des anciens. L’antiquaire, surtout, entend
démontrer la multiplicité de la démarche archéologique, son aspect théorique avec le recours aux



270
      DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852, p. 202-203.
271
      DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1843-1844, p. 37-40.


                                                         69
auteurs anciens et aux ouvrages contemporains, et son aspect pratique avec les méthodes de terrain ;
et qu’il répond à ce profil sérieux.
Les études sur l’atelier monétaire de Damery ont donné lieu à une divergence d’avis entre Joseph-
Louis Lucas et Nicolas-Victor Duquénelle, qui se répondent par la publication. Le premier, dans
son discours de réception à l’Académie du 3 février 1843 272, attribue à cet atelier la pratique du
faux-monnayage. Le second en combat l’idée et livre ses analyses 273. Le faux monnayage, dans la
définition fournie par l’antiquaire Duquénelle, consiste en « l’altération du métal et l’abaissement
du titre légal des monnaies, tout en leur conservant leur forme et aspect ». Joseph-Louis Lucas, se
justifiant, considère que l’analyse comparative apporte la preuve que le faux-monnayage se baserait
sur les différences dans la composition métallique entre Posthume et Septime Sévère. Nicolas-
Victor Duquénelle réplique que l’altération du titre des monnaies s’effectuait au gré des empereurs
et fixe la fondation de l’atelier monétaire après le règne de Posthume, à l’époque des trente tyrans.
Pour le cas très particulier des cachets d’oculistes 274, l’antiquaire se réfère aux textes anciens et à
l’iconographie pour déterminer l’usage des objets. Il rapporte que le scalpel évoqué par Paul
d’Egyne servait au traitement des maladies de la paupière. Il émet cependant la critique suivante : le
matériau, le bronze, provoque des inflammations. Cette critique est pratique puisque l’antiquaire est
pharmacien de formation. Il explique toutefois la réalité de cet usage par la méconnaissance de ce
problème par les anciens. Cette justification, même si elle s’avère exacte, peut paraître fantasque.
La légende, quant à elle, lui permet de définir les propriétés des collyres.
        Puis, l’objet est classé. L’antiquaire s’appuie pour cela sur les manuels spécialisés.
Concernant le classement des monnaies romaines trouvées à Signy-L’abbaye 275, l’antiquaire suit
l’ordre invoqué par Cohen qu’il qualifie de « meilleur guide pour une classification ». Ainsi,
Nicolas-Victor Duquénelle use des ouvrages de référence pour organiser et ordonner sa collection,
mais aussi pour construire et légitimer son discours. L’antiquaire, à tout moment de son discours,
illustre ses propos de références reconnues pour se justifier. Le classement de l’objet signifiant son
existence réelle au sein de la collection, cette étape est très importante. En cela, le catalogue
témoigne de l’existence d’un effort de classification. Le classement fournit à la collection une
cohérence. Dans le cadre du classement numismatique, l’antiquaire dit y trouver des indices
historiques et géographiques. Ainsi, la collection, organisée par le classement, construit le discours,
sa vérité et son authenticité.

272
    LUCAS, Louis-Joseph, Art.cit., 1842-1843, p. 347-348.
273
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Quelques réflexions sur l’atelier monétaire de Damery ». Annales de l’Académie
de Reims, 1842-1843, vol. 1, n°1, p. 349-354.
274
    A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims.
275
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 4.


                                                      70
Ayant défini la typologie et le genre de l’objet, l’ayant contextualisé et daté ou encore interprété
dans son usage, l’antiquaire peut le classer. La démarche énoncée ci-dessus témoigne donc de
l’adoption d’une méthode, mais aussi d’un travail préalable constitué des critères de définition de
l’objet. Le catalogue de Nicolas-Victor Duquénelle est construit sur un raisonnement et une
description organisés des objets, classés typologiquement et chronologiquement 276. Présenté en
quatre cent soixante quatre pages manuscrites, il débute par la présentation des monnaies
consulaires et s’achève par les noms de potiers. L’iconographie y est présente : l’antiquaire
accompagne certaines de ses notices descriptives d’un dessin ou d’une photographie.
        La démarche de l’antiquaire, pour autant, n’est pas originale. Charles Robert use de cette
même méthode. Analysant les médaillons de terre du cabinet Duquénelle, il adopte le même
discours formel de description, de fracture historique et artistique, d’interprétation et de justification
des objets 277. Cette procédure dans le discours poursuit un but d’optimisation de l’analyse
historique et archéologique de l’objet. Elle permet surtout de fournir, par les étapes de description,
de contextualisation et d’interprétation, et de certifier, par la justification l’irréfutable authenticité
de l’objet archéologique. Ces similitudes discursives observées laissent à penser qu’il existe une
méthode normative et un langage savant, qui permettent à Nicolas-Victor Duquénelle de faire valoir
son érudition et d’affirmer son respect de la règle. Cette démarche et cette méthode permettent à
l’antiquaire d’affirmer son identité de citoyen du XIXe siècle et parallèlement de s’appuyer sur
l’héritage antiquaire, aux traditions multiples. La méthode antiquaire est renouvelée au XIXe siècle
par l’unité et la complémentarité de ces traditions qui autrefois s’affrontaient, constituées du modèle
philologique et de la tradition textuelle remodelée par Bernard de Montfaucon 278, de la méthode
numismatique imposée par Jacob Spon et Ezéchiel Spanheim 279, de la méthode typologique et
comparative instaurée par le comte de Caylus 280 et de la méthode stratigraphique inventée en
Scandinavie, entendue du fait que le sol est considéré comme un livre d’histoire 281. L’antiquaire
entend ainsi prendre sa place dans la généalogie multiséculaire des antiquaires.
        Aussi, le rémois Nicolas-Victor Duquénelle s’immisce par la méthode et le discours au sein
de cercles savants, institutionnels et humains.




276
    M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue).
277
    ROBERT, Charles, Médaillons de terre du cabinet Duquénelle. Nogent-le-Rotrou : impr. Daupeley-Gouverneur,
1882, 7 p.
278
    SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 287-292.
279
    Ibid., p. 221-226.
280
    GRAN-AYMERICH, Eve, Op.cit, 2007, p. 30-32.
281
    SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 77-78.


                                                     71

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  • 1. UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE U.F.R Lettres et Sciences Humaines Master « Sociétés, Espaces, Temps » Mention « Histoire de l’art » Spécialité « Histoire de l’art et de la culture » Année universitaire 2009-2010 MEMOIRE DE MASTER II présenté par Romain JEANGIRARD le 23 juin 2010 NICOLAS-VICTOR DUQUENELLE OU L’ANTIQUAIRE ACCOMPLI (1842-1883) Sous la direction de : Madame Marie-Claude Genet-Delacroix (Université de Reims) Madame Frédérique Desbuissons (Université de Reims)
  • 2. DES METHODES HISTORIQUES ET ARCHEOLOGIQUES DE L’ANTIQUAIRE AU XIXe SIECLE 17
  • 3. III. METHODES ET DEMARCHE DE DUQUENELLE Les circonstances de fouilles et l’acquisition des objets L’espace urbain, au XIXe siècle, est en mouvement et en extension, repensé et remodelé. Il abrite en son sein les objets archéologiques qui sont les traces et témoignages des temps anciens de la ville. Les recueillir et les étudier constitue à la fois une reconnaissance ; établit une filiation citadine, multiséculaire, entre l’ancien et le présent ; enfin, vivifie l’archéologie locale et le partage du passé, dans le cadre d’une communauté urbaine de destin. Témoins de l’histoire de la culture matérielle et de l’histoire de l’art 203, les objets sont partie intégrante de l’historiographie locale, culturelle et artistique. L’archéologie, dès la seconde moitié du XIXe siècle, exalte les communautarismes : le nationalisme, le régionalisme, mais aussi ce que l’on pourrait appeler le municipalisme. Les objets et les traces du passé sont perçus comme participant à une plus-value des territoires, à tous les échelons. Ces objets, surtout, sont les vecteurs d’une identité urbaine dans la glorification de l’ancienneté et la célébration de sa survie, qui établit un dialogue entre le passé et le présent ; et leur intégration dans la mémoire collective urbaine constitue aussi un comportement d’anti- parisianisme, qui est prétexte à instaurer une égalité réelle, voire une supériorité, entre Paris et les provinces, et à défaire la primauté parisienne à l’appui de faits et de preuves. Ce comportement n’échappe pas à l’antiquaire Duquénelle, qui dans l’une de ses publications, énonce le passage suivant : « Eloigné du centre des études et des richesses archéologiques, l’antiquaire de province éprouve de vraies jouissances quand il recueille des objets que lui envie la capitale, et dont l’authenticité ne peut être mise en doute 204 ». Il semble, contextuellement, que l’antiquaire dénote la capitalisation de Paris dans le commerce d’art au XIXe siècle, en alternance avec Londres 205. Ce culte des souvenirs historiques appuie l’attrait local, et particulièrement l’échelon communal, interlocuteur privilégié par le centralisme jacobin sous la monarchie de Juillet et le second 203 AGULHON, Maurice, « L’historien et la rencontre de l’objet : l’exemple de la République en sculpture ». In : NORA, Pierre (dir.), Science et conscience du patrimoine. Actes des 7e Entretiens du patrimoine, Théâtre national de Chaillot, Paris, 28, 29 et 30 novembre 1994. Paris : Fayard/éditions du patrimoine, 1997, p. 31. 204 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Travaux de l’Académie Impériale de Reims, 4e trimestre 1852 – 1er trimestre 1853, vol. 17, n°1, p. 210. 205 BERTRAND-DORLEAC (dir.), Le commerce de l’art : de la Renaissance à nos jours. Besançon : éd. La Manufacture, 1992, p. 14. 55
  • 4. Empire 206. Il est sociologiquement au XIXe siècle une revanche du régionalisme, l’archéologie étant jusqu’au moment Guizot un fait parisien 207. La ville de Reims, particulièrement, connaît au XIXe siècle une série de découvertes, qui enrichissent la connaissance de son passé. L’histoire locale, vivifiée dans un premier temps, se confond dans un second temps dans une histoire vibrante et nationale qui s’inscrit dans la reconnaissance gauloise, sujet à polémiques au XVIe siècle sur « une nation éternellement civilisée et toujours indépendante culturellement et politiquement 208. L’archéologie, ainsi, inscrit Reims dans une double tradition, la fierté locale du fait gaulois et la contribution nationale au débat sur les origines. Elle est, qualifie l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle, « inépuisable en découvertes archéologiques » 209. Il évoque même des fouilles quotidiennes et un sol riche 210, plébiscités par le dynamisme séculaire. Nombre de fouilles, en effet, ont lieu sur le territoire urbain et son aire d’influence. Les circonstances de fouilles sont le ressort d’initiatives diverses. Elles sont toutes le fruit de l’exécution de terrassements qui constituent l’ensemble des travaux de préparation d’un sol en vue de la construction d’un ouvrage ; par décaissement, creusement, comblement, nivellement, remblaiement et régalage. Ces initiatives sont donc émises par les pouvoirs publics ou les 211 particuliers. L’intérêt des travaux publics réside au XIXe dans l’embellie d’une ville, et notamment sous le second Empire. En effet, de nombreux travaux de modernisation interviennent dans les deux premières décennies du second Empire, dans une volonté de remodelage et de rationalisation des centres villes. Par la loi de 1852 sur les expropriations, les routes sont prolongées, sous le régime de la concession. L’antiquaire rémois évoque la découverte d’antiquités trouvées à Reims, et particulièrement un vase trouvé sur les terrains de l’usine des Trois-Piliers 212. Le XIXe siècle étant industriel, il est à supposer que les travaux ont lieu dans le cadre d’un plan d’extension, commandité par l’entrepreneur, afin de renforcer la compétitivité industrielle de l’entreprise. Concernant ce zonage particulièrement, une intervention de Nicolas-Victor Duquénelle devant le congrès archéologique 206 GERSON, Stéphane, « L’Etat français et le culte malaisé des souvenirs locaux, 1830-1870 ». Revue d’histoire du XIXe siècle, 2004, n° 29, p. 20. 207 SCHNAPP, Alain, « Le patrimoine archéologique et la singularité française ». In : NORA, Pierre (dir.), Science et conscience du patrimoine. Actes des 7e Entretiens du patrimoine, Théâtre national de Chaillot, Paris, 28, 29 et 30 novembre 1994. Paris : Fayard/éditions du patrimoine, 1997, p. 157. 208 SCHNAPP, Alain, La conquête du passé : aux origines de l'archéologie. Paris : Carré, 1993, 511 p. 209 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un cachet d’un oculiste de l’époque romaine ». Revue mensuelle de la littérature, des sciences et des arts, 1853, p. 403-405. 210 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 23 mai 1845 – 16 janvier 1846, vol. 3, n°1, p. 110-113. 211 YON, Jean-Claude, Le Second Empire : politique, société, culture, coll. U. Paris : Armand Colin, 2004, p. 130-132. 212 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Travaux de l’Académie Impériale de Reims, 4e trimestre 1852 – 1er trimestre 1853, vol. 17, n°1, p. 200-210. 56
  • 5. réuni à Châlons-sur-Marne en 1855 laisse à penser qu’il existe une définition pluriannuelle des zones de fouilles par un découpage. En effet, l’antiquaire aborde « des fouilles que l’on exécute depuis quelques années, près de l’usine des Trois-Piliers 213 ». La fouille serait ainsi un geste dûment réfléchi et préalablement médité, dans un cadre dépassant les individus. Publiant dans les Travaux de l’Académie de Reims un Catalogue des monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye 214, l’antiquaire rapporte dans sa présentation qu’il a été prévenu par un habitant du pays, qui lui a apporté des échantillons de ces pièces. La surface intéressant l’antiquaire rémois est large puisque cette commune, chef-lieu de canton ardennais, est à une soixante de kilomètres de Reims. Cette version est confirmée par Charles Loriquet qui rapporte la rencontre entre l’antiquaire et l’habitant, qui a trouvé par hasard un vase renfermant neuf kilogrammes cinq cent grammes de monnaies romaines en argent 215. Cette attention particulière apportée à l’antiquaire rémois appuie aussi sa notabilité régionale, sur des assises urbaines et rurales, construites par les visites de terrain. Surtout, on peut supposer que l’intérêt de l’antiquaire pour cette ville est porté par l’existence d’une abbaye cistercienne du XIIe siècle devenue bien national en 1793 puis détruite. L’archéologie rurale recouvre une réalité au XIXe siècle. Outre Signy-l’Abbaye, l’antiquaire rémois et ses confrères académiciens, dont Joseph-Louis Lucas, portent un intérêt à Beine-Nauroy, à dix- huit kilomètres de Reims 216, à Boult-sur-Suippe, à dix-sept kilomètres de la ville, ou à Damery, centre gallo-romain important, à une trentaine de kilomètres de Reims. Ce dernier site, particulièrement, abrite un atelier monétaire, découvert en 1830. Evoquant les médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en 1843 217, Nicolas-Victor Duquénelle restitue les circonstances de leurs découvertes. Les fouilles ont lieu en novembre 1843, dans un champ, et la pioche du terrassier révèle un vase à un mètre de profondeur, que ce dernier brise involontairement. De même, dans une de ses communications à l’Académie, Joseph-Louis Lucas fait état de la découverte d’un vase d’une bonne conservation, en plein champ 218. 213 TOURNEUR, Victor (abbé), « Deuxième séance du 24 mai ». Congrès archéologique, séances générales tenues, en 1855, à Châlons sur Marne, à Aix et à Avignon, par la société savante pour la conservation des monuments historiques, 1856, p. 98. 214 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Catalogue des monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye (Ardennes). Reims : Dubois, 1865, 35 p. 215 LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1865-66 ». Travaux de l’Académie impériale de Reims, 1865-1866, vol. 43, n° 1-2, p.9-33 216 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n° 2, p. 394-402. 217 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Catalogue de médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre 1843. Reims : Regnier, 1844, 15 p. 218 LUCAS, Louis-Joseph, « Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquité et de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 ». Annales de l’Académie de Reims, 1842 – 1843, vol. 1, n°1, p. 339-348. 57
  • 6. Ces évocations prouvent la réappropriation de l’espace urbain, par le terrassement de constructions sur des friches ou au sein de zones non urbanisées et périphériques. Elles prouvent aussi la réappropriation d’un passé par l’archéologie et la stratigraphie. Pour l’espace urbain en effet, l’antiquaire fait essentiellement état de découvertes aux entrées de la ville ou dans les faubourgs, en tout cas peu en centre-ville. Il évoque ainsi pour les antiquités trouvées à Reims le faubourg Saint- Thomas, pour les médailles romaines, argent et billon, trouvées en 1843, le faubourg Cérès ou encore la rue Lesage, aboutissement de l’avenue de Laon, route reliant le quartier de la gare à la périphérie urbaine, en 1880 219. Concernant le faubourg Cérès particulièrement, l’antiquaire évoque les découvertes importantes. Cette zone, au nord-est de Reims, est un vivier d’opportunités et de potentialités pour l’archéologie. Charles Loriquet, en 1879, fait état de la découverte en ce lieu d’un buste gris veiné de brun, acquis par l’antiquaire Duquénelle 220. Ces découvertes en ces lieux montrent l’étalement de l’espace urbain et son extension autour des faubourgs, et donc sa restructuration. Le doublement démographique justifie dès la décennie 1840 une expansion de la ville, et on assiste de 1846 à 1853, à un « étalement urbain » 221. La démolition des remparts et des portes d’entrée urbaine de Mars et de Cérès 222 explique le vivier archéologique de ces quartiers dans les années suivantes. Dans une lettre à Adrien de Longpérier 223, l’antiquaire Nicolas-Victor évoque la découverte, en novembre 1854, d’un bagage d’oculiste dans ce que Narcisse Brunette appelle la maison du médecin, « au milieu d’un débris de constructions ». L’initiative de destruction ou de construction, et donc de la fouille, qu’elle soit privée ou publique, est légale et est conduite par des entrepreneurs et des ouvriers. La requalification urbaine et les progrès de l’industrie permettent en tout cas une nouvelle approche du sol et du sous-sol. Le sol, en fait, est un livre d’histoire, et les objets sont un texte. L’observation, le relèvement et l’explication des objets archéologiques se concrétisent par les fouilles systématiques. Cette nouvelle approche du sol conduit, selon Alain Schnapp, « à une curiosité stratigraphique » qui « amène à la découverte d’un temps long 224 ». Les fouilles, outre l’extension urbaine, sont commandées dans les zones présentant un intérêt historique. Il est à supposer que c’est dans cette exigence qu’il a été découvert un cercueil en plomb dans l’ancien cimetière de Saint-Nicaise, dont la découverte est rapportée par le Bulletin sur la 219 M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue). 220 LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1878-1879 ». Travaux de l’Académie nationale de Reims, 1878-1879, vol. 65, n° 1-2, p. 23-53. 221 PELLUS, Daniel, Reims : un siècle d’événements, 1800-1900. Reims : D. Fradet, 2003, p. 50-52. 222 Ibid., p. 50-52. 223 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 224 SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 345. 58
  • 7. société de l’histoire de France 225. Il est ajouté, par ailleurs, que les ouvriers chargés de la démolition du tombeau de Saint Rémi ont volé des médailles et des objets précieux. Cette allusion laisse à penser qu’un marché de l’art et des objets archéologiques clandestin, illégal et illicite, se constitue ; contrastant avec la légalité de leur activité et de leurs missions. Ces fouilles sont également conduites dans les zones d’activités. Nicolas-Victor Duquénelle, en 1846, fait état de la découverte d’une sépulture gallo-romaine autour de la Vesle, dans les lieux insalubres 226. Les fouilles trouvent aussi leur émergence dans la construction de grandes infrastructures, de nature publique. Le percement du canal de l’Aisne à la Marne est réalisé entre 1842 et 1855. Dans les Annales de l’Académie de Reims de 1843 et 1844 227, l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle évoque la découverte d’ossements animaux par les ouvriers employés au creusement du canal, au cœur du lit de l’ancienne rivière, entre les portes de Vesle et de Fléchambault, face à la rue des Moulins. Revenant sur les vols par les ouvriers, l’antiquaire dit que les terrassiers se cachent des propriétaires 228. Ainsi, l’initiative de terrassement est aussi de nature privée. On peut se demander si l’antiquaire n’a pas eu recours à ce commerce illégal puisqu’il évoque le fait que ces ouvriers n’accordent aucune indemnité. L’antiquaire plaide auprès de l’Académie pour un suivi et une information continuels sur les travaux afin de recueillir les objets curieux, parfois perdus ou détruits, qui pourraient fournir des renseignements sur les structures. Evoquant l’initiative privée du terrassement, Nicolas-Victor Duquénelle se réfère aux fouilles conduites chez Monsieur Contet- Muiron. Les procédures d’acquisition des objets sont intéressantes, car elles témoignent de la transition entre la découverte de l’objet à son entrée dans la collection privée. Elles sont entendues dans deux sens : d’une part la nature et le contact entre les contractants ; et d’autre part la répartition des objets entre les antiquaires. Les profils sont variés. Il s’agit d’ouvriers qui, lors de l’exécution de travaux, ont découvert des objets d’art et d’archéologie. Il s’agit encore d’habitants, dans les zones rurales particulièrement, qui entretiennent les antiquaires de leurs découvertes, sans doute après avoir labouré un terrain, l’activité agricole étant très prospère. 225 Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1843-44, p. 134. 226 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur une des sépultures de l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en 1846 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 6 février - 7 mai 1846, vol. 4, n°11, p. 109-114. 227 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1843-1844, p. 35-40. 228 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n° 2, p. 394-402. 59
  • 8. Concernant ces deux types, l’antiquaire et ses pairs, dans leurs publications, usent du terme de l’acquisition pour qualifier le transfert du bien d’une personne physique à leur collection. Ce terme, pourtant, est explicite. S’il définit bien l’entrée en possession d’un bien par un tiers, il n’en précise cependant pas le mode. Celui-ci est pourtant multiple : il se caractérise par le travail, l’échange, le contrat, la donation ou l’achat. La valeur marchande de l’objet archéologique n’est pourtant plus au XIXe siècle à démontrer. Nicolas-Victor Duquénelle, évoquant l’acquisition des monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye, explique qu’il a acquis la totalité « moins 30 pièces qui ont été données 229 ». Si cet exemple n’exclut pas la donation, il tend cependant à démontrer que, concernant le contrat entre l’habitant et l’antiquaire, l’acquisition a eu lieu moyennant paiement. Dans ce registre, Joseph-Louis Lucas, dans sa Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités et de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 230, présente la collection constituée par son père, Lucas-Dessain, qu’il a complétée. Particulièrement, il évoque des fouilles dans le pays rémois de 1822 à 1829, dont les découvertes de « trésors viennent consoler l’ouvrier de l’âpreté de ses travaux ». Le contemporain de l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle peut bien sûr décrire la jouissance esthétique que procure la vue de tels objets par l’ouvrier. Il peut cependant tout aussi bien évoquer l’apport matériel que constitue pour la classe ouvrière la découverte de tels objets et le profit qu’ils peuvent en dégager. L’intéressement d’ouvriers pour les objets archéologiques est d’ailleurs reconnu par différentes sources, aux auteurs différents : une contribution du Bulletin de la société de l’histoire de France 231 éditée en 1844 et une publication de Nicolas-Victor Duquénelle en 1847 convergent sur ce point. La législation énonce « la libre et pleine disposition » du propriétaire « de tout ce qui est enfoui dans son terrain, sauf le droit de partage attribué à l’inventeur 232 ». De fait, la cession d’un objet par un propriétaire n’est pas interdite. Elle est en revanche illégale pour un ouvrier, qui ne jouit d’aucun droit de possession et de propriété. Si le mode opératoire pour l’acquisition des objets archéologiques est incertain ou hypothétique entre le terrassier ou l’habitant et l’antiquaire, il ne l’est en revanche pas pour le contact entre l’antiquaire et le marchand. Dans le compte-rendu des travaux de l’Académie de Reims pour les années 1882 et 1883 233, le secrétaire général Henri Jadart évoque la rencontre de Nicolas-Victor Duquénelle avec des « chercheurs d’objets antiques » qui lui présent des objets mérovingiens 229 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 4. 230 LUCAS, Louis-Joseph, « Notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités et de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 ». Annales de l’Académie de Reims, 1842 – 1843, vol. 1, n°1, p. 339-348. 231 Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1843-44, p. 134. 232 LUCAS, Louis-Joseph, « Communication », Séances et travaux de l'Académie de Reims, 5 juillet 1844-7 mars 1845, vol. 1, p. 165-166. 233 JADART, Henri, « Compte-rendu des travaux de l’année 1882-1883 ». Travaux de l’Académie nationale de Reims, 1882-1883, vol. 73, n° 1-2, p. 11-35. 60
  • 9. trouvés à Luternay. L’antiquaire, lui-même, confirme cette version : « Il y a quelque temps, j'ai été mis en relation avec des chercheurs d'objets antiques, et ces Messieurs sont venus à deux me présenter une série d'objets mérovingiens; c'était une petite collection de bijoux en argent, dont quelques-uns très rares et d'une bonne conservation ; après quelques pourparlers et discussion sur le prix de vente de leur trouvaille, nous sommes tombés d'accord, et ce sont des objets que je vais vous présenter et vous faire connaître » 234. Il est entendu que l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle est un homme de terrain. Qualifié d’ « attrape-tout » par l’abbé Valentin 235, Charles Loriquet ajoute que l’antiquaire rémois est « le premier averti des découvertes qu’on fait à Reims, parce qu’il a le soin persévérant de parcourir la ville dans tous les sens et d’interroger toutes les fouilles qui s’y pratiquent 236 ». Ainsi évoqué, on peut penser que par cette posture d’homme de terrain, l’antiquaire optimise les chances d’acquisition des objets présentant le plus grand intérêt ou une curiosité. Toutefois, il semble qu’il existe un partage des objets archéologiques, relevés des fouilles, entre les antiquaires. Evidemment, il est coutumier que plusieurs antiquaires suivent les fouilles urbaines au même endroit. Nicolas-Victor Duquénelle qualifiant particulièrement le nord-est de la ville comme « mine inépuisable de richesses archéologiques », il est à envisager une présence de plusieurs antiquaires sur un même site en déblaiement. Cette approche permet d’esquisser un état des lieux dans la nature des relations entre les antiquaires d’une même ville : la concurrence et la rivalité ou au contraire la solidarité et la complémentarité. Un certain nombre d’éléments tenterait à confirmer un statut concurrentiel. Joseph-Louis Lucas, dans une de ses publications, fait une communication sur les objets archéologiques découverts dans l’ancien cimetière Saint Nicaise. La description qu’il en fait, l’évocation des vols et sa nomination dans une organisation dyarchique l’associant avec l’antiquaire Duquénelle à une commission chargée de proposer à l’administration des résolutions en accord avec le droit pour la surveillance des sites, laissent à penser qu’il a lui-même participé à l’avancement des travaux. Pourtant, la médaille, « Sévère d’une admirable conservation » selon l’appréciation de Joseph-Louis Lucas, est en possession de Duquénelle. Il évoque d’autres objets, vases, pièces de cuivre et statuette en bronze 237, mais rien dans son propos ne permet de confirmer qu’il en est le détenteur. La présence 234 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Les objets mérovingiens trouvés à Luternay et offerts au Musée de Reims. Notice lue par M. Duquénelle à la séance de l'Académie du 22 décembre 1882 ». In : JADART, Henri, Victor Duquénelle, antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sue sa Vie, ses Travaux et ses Collections avec diverses œuvres posthumes publiées par l'Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 32-41. 235 VALENTIN, Nicolas (abbé), « Notice historique et descriptive des monuments historiques et religieux du canton de Fismes ». Travaux de l’Académie impériale de Reims, 1863-1864, vol. 40, n° 3-4, p. 215-328. 236 LORIQUET, Charles, La mosaïque des Promenades et autres trouvées à Reims, étude sur les mosaïques et sur les jeux de l’amphithéâtre. Reims : Brissart-Binet, 1862, p. 101. 237 LUCAS, Louis-Joseph, « Communication », Op.cit, 1844-1845, p. 165. 61
  • 10. commune de ces spectateurs de l’archéologie suggère une chasse à l’objet. Les antiquaires Duquénelle et Lucas, dans leur configuration, sont des collectionneurs. Leur intérêt réside dans le recueil des objets. Si on ne peut évoquer de rivalité, la concurrence est en revanche plausible. En effet, de même que le recueil d’objets archéologiques se définit comme la contribution à une plus-value territoriale, il peut aussi être un dessein d’affirmation et d’ambition d’une primauté individuelle. En 1845, Charles Dufour d’Amiens est mandaté par l’Académie de Reims pour présenter un rapport 238 sur les richesses archéologiques et l’intérêt historico-local que renferme le cabinet d’antiquités de Joseph-Louis Lucas. Il visite ensuite les cabinets de Nicolas-Victor Duquénelle et de Monsieur Duchêne. Par ce rapport, sans doute fortuitement, Charles Dufour installe un triumvirat de l’archéologie rémoise. De plus, l’objet archéologique étant doté d’une valeur marchande, l’acquéreur peut aussi être un acheteur. Le départage de l’appât se fait alors au profit de celui qui propose la somme la plus intéressante et qui surenchérit. L’objet détient une valeur esthétique par le regard mais aussi une valeur marchande par la transaction commerciale, selon les critères de nature et d’origine spatio- temporelle 239. Il comporte originellement une dimension économique et matérielle, avec valeur d’échange ou d’achat 240. Cette valeur marchande de l’objet archéologique est d’ailleurs clairement énoncée dans le tableau récapitulatif dressé après le décès de l’antiquaire par la régie municipale de Reims, annexé à son catalogue. Les valeurs de 1860 et 1883 sont indiqués et montrent une plus-value 241. L’objet marchand est en effet une valeur fluctuante, en fonction de l’offre et de la demande 242. D’autres éléments au contraire laissent à penser à une solidarité entre antiquaires. Dans le cadre d’une association commune aux fouilles, on peut penser à un entendement préalable sur la répartition des objets trouvés. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier, Nicolas-Victor Duquénelle, évoquant la découverte des cachets d’oculistes, signifie leur lieu de conservation : le premier d’entre eux appartient à Joseph-Louis Lucas alors que les deux autres sont en sa possession 243. Dans la présentation de sa Nomenclature d’objets d’antiquités récemment découverts à Reims 244, Nicolas- Victor Duquénelle évoque une dissémination des poteries dans diverses collections privées, dont 238 DUFOUR, Charles, Rapport sur les cabinets d’antiquités de MM. Louis-Lucas, Duquenelle et Duchène. Reims : Jacquet, 1845, 19 p. 239 BERTRAND-DORLEAC (dir.), Op.cit, 1992, p. 9-11. 240 POMIAN, Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle, coll. Bibliothèque des histoires. Paris : Gallimard, 1987, p. 12. 241 M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue). 242 BERTRAND-DORLEAC (dir.), Op.cit, 1992, p. 26. 243 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 244 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Nomenclature d’objets d’antiquités récemment découverts à Reims ». Annales de l’Académie de Reims, 1843-1844, vol. 2, p. 39. 62
  • 11. celle de Monsieur Duchêne. Dans une autre publication, l’antiquaire plaide pour un suivi et une information continuels des fouilles, afin d’éviter les vols et comprendre les structures d’accueil des objets, parfois détruites ou perdues 245. Cette idée de Nicolas-Victor Duquénelle suggère l’opportunité d’une mise en place postérieure, dans un cadre officieux et collectif reposant sur l’Académie, de visites de terrain tournantes par les antiquaires, permettant ainsi l’équité individuelle dans la répartition collective des objets trouvés. Nicolas-Victor Duquénelle, en prolongeant la réflexion, érige l’antiquaire en gardien et en protecteur du passé contre la maladresse et la négligence des ouvriers, évoquées dans sa lettre à Adrien de Longpérier 246. Il existe une autre forme de solidarité entre antiquaires. Dans sa Note sur une des sépultures de l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en 1846 247, l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle annonce avoir cédé un vase à Joseph-Louis Lucas. La pratique précédente énonce l’antériorité de l’accord sur la répartition des objets à la fouille ; et, celle de la cession, en revanche, illustre sa postériorité à la fouille, et exclut tout accord. Parfois déboutés dans leur tentative d’acquisition d’objets antiques, les antiquaires ont la possibilité de demander des empreintes ou des moulages, dont la technique pour ce dernier procédé a été définie au XVIe siècle et répandue sous le règne français louis-quatorzien 248. Cette pratique est relatée par l’antiquaire Duquénelle lorsqu’il évoque, dans son catalogue, un cachet d’oculiste trouvé rue Lesage à Reims qu’il n’a pu acquérir, mais dont il a pu avoir les empreintes 249. Elle est particulièrement propice à l’étude des noms et à l’énonciation d’une démonstration sérielle ; l’antiquaire rémois, souhaitant ajouter à l’étude des dix cachets d’oculistes rémois publiés pour une contribution à la sigillographie médicale et possédant cinq d’entre eux, dont l’un donné au musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye 250. Dans tous les cas, l’antiquaire fait état dans certaines publications des découvertes annuelles d’antiques. Il évoque les trouvailles faites dans les environs de Boult-sur-Suippes, faisant partie des cabinets de Monsieur Bourgeois et de Monsieur Mennesson 251. Cela signifie, dans la pratique, soit le report quotidien dans un répertoire des acquisitions faites par les antiquaires, soit une collaboration dans l’étude entre ces derniers, particulière ou collective, régie par la base locale 245 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Découvertes archéologiques, à Reims, pendant l’année 1847 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 13 juin 1847 – 7 janvier 1848, vol. 7, n°2, p. 398. 246 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 247 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur une des sépultures de l’époque gallo-romaine découvertes à Reims en 1846 ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 6 février - 7 mai 1846, vol. 4, n°11, p. 109-114. 248 HASKELL, Francis, PENNY, Nicholas, Pour l'amour de l'antique : la statuaire gréco-romaine et le goût européen, 1500-1900. Paris : Hachette Littératures, 1988, rééd. 1999, p. 109-119. 249 M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue). 250 M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue). 251 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur quelques antiquités trouvées à Reims en 1852 ». Op.cit, 1852-1853, p. 209. 63
  • 12. qu’est l’Académie de Reims. Cette pratique suggère une complémentarité, forcée ou voulue, du moins dans la mise en commun d’études archéologiques locales par la soumission à la publication dans les travaux de l’Académie de Reims. Le spectacle des fouilles et l’acquisition des objets par les antiquaires, enfin, sont les témoins de leurs motivations et définissent leur rapport à la collection, dans sa conception et sa nature. Dans une lettre au directeur du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, Nicolas- Victor Duquénelle écrit au « cher maître », marquant un souci de modestie mais aussi d’affiliation archéologie et, évoquant une des stèles qu’il détient, livre à son interlocuteur qu’elle provient de l’ancien cabinet de Joseph-Louis Lucas, « ancien notaire de Reims qui avait hérité de son père une très intéressante collection d’antiquités qu’il a vendue en 1868 » 252. Cette vente provoque ainsi la dispersion de la collection. La motivation d’un antiquaire, hormis la vente, est la création par la collection d’un monde parallèle au commerce de l’art. La collection est ainsi définie, partiellement, par Krzysztof Pomian : il s’agit de « tout ensemble d’objets naturels ou artificiels, maintenus temporairement ou définitivement hors du circuit d’activités économique, soumis à une protection spéciale dans un lieu clos aménagé à cet effet, et exposés au regard 253 ». Une autre de ses motivations est l’étude archéologique, définie par une méthode historique. La démarche historique La pièce archéologique, entrée dans la collection de Nicolas-Victor Duquénelle, est étudiée puis reçoit un classement dans le catalogue de l’antiquaire. Ainsi, l’objet dans son originalité intègre un corpus collectif. Par l’édition, l’antiquaire entend expliquer l’objet. Il se place en contributeur de la science archéologique au niveau local puis au niveau national. En rendant compte de ses travaux, Nicolas- Victor Duquénelle se perçoit comme un citoyen de l’archéologie, faisant son devoir. Dans le catalogue de monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye 254, l’antiquaire évoque l’appel de Cohen et estime que si tous les antiquaires étaient dans son état d’esprit, il existerait un catalogue général et complet de la numismatique romaine. L’antiquaire-écrivain est en représentation et 252 M.A.N, Correspondance : Lettre de Duquénelle du 4 juillet 1880. 253 POMIAN, Krzysztof, Op.cit, 1987, p. 18. 254 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 33. 64
  • 13. réalise ainsi une auto-promotion, se plaçant finalement dans une posture de constructeur de l’archéologie. Il inscrit l’histoire locale dans une histoire universelle, relevant l’intérêt archéologique du sol rémois, voire son unicité. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier en 1855 255, l’antiquaire ose une comparaison entre la richesse du sol rémois et les fouilles d’Herculanum et de Pompéi au siècle antérieur. A cet effet, les publications de Nicolas-Victor Duquénelle répondent à l’actualité de la recherche archéologique rémoise et locale et permettent de comprendre la méthode et le raisonnement de l’antiquaire. Ce raisonnement discursif se ventile en plusieurs phases : l’objet est décrit et contextualisé, puis défini dans son usage et dans son intérêt, interprété par la justification avant de finalement recevoir un classement. Dans un premier temps, Nicolas-Victor Duquénelle entreprend une description de l’objet. Il évoque la nature du matériau et ses mesures, son lieu de découverte et sa situation stratigraphique, ainsi que la narration épigraphique et iconographique de l’objet, son état de conservation et éventuellement sa fracture artistique. L’antiquaire n’est pas un critique d’art. Néanmoins, certains de ses discours laissent apparaître une appréciation. Décrivant la fibule en bronze trouvée dans la sépulture antique de la place de la Couture, l’antiquaire évoque un « beau travail » 256. Ce jugement qualitatif reste cependant descriptif, et Nicolas-Victor Duquénelle n’évoque nullement le style et le traitement donné par l’artiste à l’objet. Cette attention portée à la fracture artistique de l’objet est par ailleurs commune chez les antiquaires. Dans sa lettre à Adrien de Longpérier, l’antiquaire rémois évoque les incrustations d’argent de deux spatules « d’un travail délicat et vraiment artistique » 257 ; et Charles Dufour, analysant des médailles gauloises, souligne « la finesse de la pâte et la régularité des bourrelets » 258. Cette démarche particulière vise surtout à montrer la qualité d’exécution des objets, leur curiosité et leur rareté, mais aussi d’attribuer une époque à une trace matérielle du passé selon sa fracture artistique. Lorsqu’il s’agit de présenter l’objet dans un collectif, l’antiquaire entreprend une description par genre. Cette démarche descriptive permet à l’antiquaire de définir la typologie de l’objet, et d’orienter ainsi son étude. Ainsi, il attribue à l’objet une carte d’identité, qui certifie son originalité et l’inscrit dans un corpus collectif par genre. Le discours de la description permet d’esquisser l’analyse historique. Les matériaux sont les marqueurs de l’appartenance de l’objet à un cycle économique 255 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 256 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852-1853, p. 201. 257 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims 258 DUFOUR, Charles, Op.cit, 1845, p. 14. 65
  • 14. conjoncturel ou à un peuple particulier. Ses dimensions, son lieu de découverte, son iconographie ainsi que ses inscriptions peuvent laisser présager de son usage. Sa situation dans le sol fournit un premier indice de datation et de contextualisation. Quant à son état de conservation, il permet d’apprécier les pressions qu’il a subies comme l’humidité. La description de l’objet effectuée, Nicolas-Victor Duquénelle peut s’adonner à la contextualisation et à l’interprétation de l’objet. Puis, l’antiquaire adopte un discours de contextualisation et de datation de l’objet. Il a, pour cela, recours à la philologie. Apportant une justification sur le nombre d’oculistes à l’époque romaine et leurs pratiques, l’antiquaire se réfère au témoigne des auteurs anciens 259. Dans une lettre à Adrien de Longpérier en 1855 260, Nicolas-Victor Duquénelle évoque trois objets trouvés et justifie leur contextualisation et leur usage par la philologie et l’apport des textes anciens. Il rapporte la description de l’hypospathistère à double tranchant en forme de spatule fournie par Paul d’Egyne pour critiquer et justifier sa forte similitude avec l’objet en présence. Puis, l’antiquaire rapporte la description par le même auteur du et de son usage, pour finalement certifier « sans aucun doute » le rapport avec une pince trouvée. L’antiquaire évoque enfin les maladies, la composition et l’action des médicaments à l’époque romaine et se reporte aux auteurs anciens et notamment à Pline, auteur de référence ; qui, sur ces problématiques, apportent « une infinité de recettes » malgré « les erreurs et la naïve crédulité de son siècle ». Il s’agit pour l’antiquaire de légitimer son discours et apporter un démenti aux accusations de dilettantisme et d’amateurisme. Mieux encore, dans le cas de la correspondance avec Adrien de Longpérier, l’écrit doit faire la preuve de l’érudition de Nicolas-Victor Duquénelle, de son sens historique par la justification et la critique systématique de son raisonnement, et de l’intérêt qui porte à la méthode archéologique. Outre la légitimation de son discours, et au-delà de sa personne, l’antiquaire s’appuie sur l’incontestabilité des sources écrites et la transversalité disciplinaire pour apporter à l’objet une contextualisation irréfutable. La philologie est inscrite dans la tradition antiquaire. Elle reste au XIXe siècle un recours pour justifier le discours des antiquaires. Dans sa notice sur quelques découvertes d’objets d’antiquités et de médailles romaines, faites à Reims et dans le pays rémois, de 1820 à 1840 261, Joseph-Louis Lucas évoque la collection de son père et précise que ce dernier fut un lecteur de la Vie des grands Hommes de Plutarque dans son édition de 1820. L’intérêt de cette édition réside dans son annotation qui fournit des notices explicatives à l’antiquaire sur les moeurs et la vie des anciens. 259 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1853, p. 404. 260 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 261 LUCAS, Louis-Joseph, Art.cit., 1842-1843, p. 340-341. 66
  • 15. Cette édition semble rendre compte de l’actualité de la recherche archéologique, puisque Lucas père y apprend qu’on a découvert à Lappion des monnaies romaines. L’antiquaire, pour contextualiser l’objet, a également recours à la numismatique. Primée dans la plupart de ses publications, la méthode numismatique doit lui permettre d’affirmer sa personnalité et « l’historien véridique » qu’il prétend être dans sa Physiologie de l’antiquaire. Pour dater une sépulture trouvée à l’emplacement de la place de la Couture, à un mètre et cinquante centimètres du sol, Nicolas-Victor Duquénelle fait état de la découverte dans ce monument de deux médailles de Vespasien et de Titus 262. Dans son catalogue de médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre 1843 263, l’antiquaire avance une datation de l’enfouissement monétaire en 226, qu’il justifie. L’antiquaire s’appuie sur l’iconographie du revers qui présente la tête princière de Sévère Alexandre jeune et imberbe, puis sur la légende M. ALEXANDER CAESAR qui confirme que ces pièces ont été frappées avant l’an 222, enfin sur une pièce à l’effigie de sa troisième épouse ORBIANA et dont le mariage est antérieur à 226. Par un croisement des données, Nicolas-Victor Duquénelle adoube la numismatique en outil de lecture et de confirmation historique. Dans le cas de la notice sur une médaille gauloise inédite de type romain 264, Nicolas-Victor Duquénelle propose une datation par défaut, par un recours à la méthode analogique. Il propose de ce fait pour datation la troisième période, lorsque les gaulois abandonnèrent le type grec pour le type romain tout en conservant leurs attributs particuliers – ici, le lion et la tête casquée –. Puis, par extension dans son raisonnement, l’antiquaire propose pour localité la ville de Reims, par analogie avec la médaille REMOS ATISIOS qui présente le lion. Dans ce cas, il a recours à la méthode comparative pour déterminer par analogie l’origine de l’objet ou sa datation. Il se réfère également aux ouvrages contemporains de référence et spécialisés pour construire son discours et le légitimer. Pour la médaille gauloise inédite, l’antiquaire s’appuie sur la méthode d’Edouard Lambert, énoncée dans son ouvrage intitulé Essai sur la numismatique gauloise du nord-ouest de la France, publié en 1844. La numismatique est également un recours pour l’antiquaire par l’analyse quantitative. En 1851, Nicolas-Victor Duquénelle commande à Edme-Jules Maumène l’analyse de pièces gauloises pour 262 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852-1853, p. 201. 263 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1844, p. 13-14. 264 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Notice sur une médaille gauloise inédite ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 27 octobre 1848 – 7 mars 1849, vol. 9, n°1, p. 224-226. 67
  • 16. en déterminer un alliage d’or, d’argent et de cuivre 265. L’étude des matériaux permet à l’antiquaire d’en préciser la datation. Dissertant sur les monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye 266, Nicolas-Victor Duquénelle critique puis justifie, à partir des éléments en sa possession, leur date d’enfouissement. A partir de l’attribution de la puissance césarienne à Salonin entre 253 et 259 et l’utilisation du billon dans une conjoncture économique, l’antiquaire en déduit que la datation de l’enfouissement serait 256. Enfin, dans la note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims 267, Nicolas-Victor Duquénelle réfute la chronologie admise des évêques rémois. Il propose par l’analyse des revers une nouvelle classification et adopte le titre d’ARCHIPRESVL pour l’évêque Massanès Ier et le titre d’ARCHIEPISCOPVS pour l’évêque Massanès II. Il contredit ainsi par l’étude numismatique la théorie de Suippes. L’intention de l’antiquaire par le recours à la numismatique est d’étoffer son profil de spécialisation et de promouvoir par la méthode son action dans le champ archéologique, et ainsi d’exclure tout amateurisme dans la perception de son discours. L’antiquaire dans la justification est en représentation. Nicolas-Victor Duquénelle veut également promouvoir l’apport de la discipline dans le champ archéologique par la preuve. L’antiquaire énonce enfin la description stratigraphique pour démontrer que l’histoire des objets prend place dans les ères du sol. Il évoque en effet dans chacune de ses publications la place des objets dans le sol. Dans cette même perspective spatiale, Nicolas-Victor Duquénelle replace l’objet dans sa configuration géographique. L’objet permet une réécriture historique de la géographie urbaine locale aux ères antérieures. Apportant une nomenclature aux ossements découverts entre les portes de Vesle et de Fléchambault sur une ancienne voirie, l’antiquaire souligne que ce dépôt était hors des limites de l’ancienne ville 268, tout comme les cimetières. Evoquant les importantes découvertes d’objets d’antiquités au faubourg Cérès, Nicolas-Victor Duquénelle en déduit que l’emplacement contemporain de la ville de Reims n’est pas dans la même configuration qu’à l’époque de la domination romaine 269. L’antiquaire émet la possibilité du déplacement des habitants de l’enceinte primitive vers la rivière, justifiant cette hypothèse par la présence de voies romaines à un mètre du sol. 265 MAUMENE, Edme-Jules, « Analyses de pièces gauloises en plomb et en or ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 1er trimestre 1851, vol. 13, n° 1-2, p. 288-290. 266 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 33-35. 267 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims ». Séances et travaux de l’Académie de Reims, 23 mai 1845 – 16 janvier 1846, vol. 3, n°1, p. 110-113. 268 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1843-1844, p. 39. 269 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1844, p. 14. 68
  • 17. Par un croisement des données, de nature philologique, numismatique ou stratigraphique, Nicolas- Victor Duquénelle veut démontrer les ressources et les opportunités qui s’offrent à l’antiquaire pour établir un raisonnement complet et justifié, descriptif et interprétatif. Au-delà, il souhaite transformer la pluridisciplinarité en une interdisciplinarité : c'est-à-dire le recours à diverses disciplines et méthodes pour construire une archéologie autonomisée de l’histoire. Cependant, critiquant puis justifiant son raisonnement pour apporter à l’objet une datation, Nicolas-Victor Duquénelle adopte une méthode historique corrélée au genre archéologique. Après quoi, l’antiquaire apporte à l’objet une interprétation sur son usage. L’archéologie consiste en effet en l’étude des objets, mais aussi de leur intégration dans les us, mœurs et coutumes des peuples. L’antiquaire répond ainsi à ce souci. La plupart des objets est vouée à un usage cultuel. Dans le cas d’une pierre, Nicolas-Victor Duquénelle y voit un autel votif répondant au type gallo-romain car figuré. Selon l’antiquaire, les autels primitifs et gaulois, ne donnaient lieu à une figuration du fait des druides qui voyaient en la représentation des divinités un affaiblissement de leur pouvoir. Par la méthode comparative et l’association à d’autres objets similaires, l’antiquaire voit en cet autel votif tricéphale un culte aux dieux Lares qui étaient particuliers à une localité ou à une habitation et qui protégaient les champs délimités par des bornes 270. L’antiquaire évoque également un couteau primitif à sacrifice et à usage domestique, une patère en cuivre et deux petites cuillers qui servaient respectivement à recueillir le sang des sacrifiés et à répandre les parfums lors du sacrifice. Ainsi, Nicolas-Victor Duquénelle inscrit ces objets dans un cérémonial. Dans sa nomenclature d’objets d’antiquités 271, l’antiquaire fait état d’ossements d’animaux et d’objets. Il évoque une hache, appelé dans le discours historique un merlin, qui servait à tuer les animaux. L’antiquaire confirme cette interprétation par les fractures sur les os du col. Il s’agit pour l’antiquaire d’un objet d’usage, se différenciant de la hache de sacrifice appelée malleus. Pour argumenter son propos, l’antiquaire, comme il l’énonce, a recours à des manuels et ouvrages contemporains sur l’Antiquité. Il poursuit ainsi sa nomenclature : les secespila qu’il a découverts servaient à égorger les victimes et les cultelli à les démembrer. Concernant le couteau suivant, l’antiquaire recourt très directement à la méthode comparative, avec une urne en terre acquise, contenant des médailles gauloises et un couteau ressemblant à l’objet étudié. Il inscrit ainsi l’objet dans le collectif des découvertes pour interpréter la vie des anciens. L’antiquaire, surtout, entend démontrer la multiplicité de la démarche archéologique, son aspect théorique avec le recours aux 270 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1852, p. 202-203. 271 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Art.cit., 1843-1844, p. 37-40. 69
  • 18. auteurs anciens et aux ouvrages contemporains, et son aspect pratique avec les méthodes de terrain ; et qu’il répond à ce profil sérieux. Les études sur l’atelier monétaire de Damery ont donné lieu à une divergence d’avis entre Joseph- Louis Lucas et Nicolas-Victor Duquénelle, qui se répondent par la publication. Le premier, dans son discours de réception à l’Académie du 3 février 1843 272, attribue à cet atelier la pratique du faux-monnayage. Le second en combat l’idée et livre ses analyses 273. Le faux monnayage, dans la définition fournie par l’antiquaire Duquénelle, consiste en « l’altération du métal et l’abaissement du titre légal des monnaies, tout en leur conservant leur forme et aspect ». Joseph-Louis Lucas, se justifiant, considère que l’analyse comparative apporte la preuve que le faux-monnayage se baserait sur les différences dans la composition métallique entre Posthume et Septime Sévère. Nicolas- Victor Duquénelle réplique que l’altération du titre des monnaies s’effectuait au gré des empereurs et fixe la fondation de l’atelier monétaire après le règne de Posthume, à l’époque des trente tyrans. Pour le cas très particulier des cachets d’oculistes 274, l’antiquaire se réfère aux textes anciens et à l’iconographie pour déterminer l’usage des objets. Il rapporte que le scalpel évoqué par Paul d’Egyne servait au traitement des maladies de la paupière. Il émet cependant la critique suivante : le matériau, le bronze, provoque des inflammations. Cette critique est pratique puisque l’antiquaire est pharmacien de formation. Il explique toutefois la réalité de cet usage par la méconnaissance de ce problème par les anciens. Cette justification, même si elle s’avère exacte, peut paraître fantasque. La légende, quant à elle, lui permet de définir les propriétés des collyres. Puis, l’objet est classé. L’antiquaire s’appuie pour cela sur les manuels spécialisés. Concernant le classement des monnaies romaines trouvées à Signy-L’abbaye 275, l’antiquaire suit l’ordre invoqué par Cohen qu’il qualifie de « meilleur guide pour une classification ». Ainsi, Nicolas-Victor Duquénelle use des ouvrages de référence pour organiser et ordonner sa collection, mais aussi pour construire et légitimer son discours. L’antiquaire, à tout moment de son discours, illustre ses propos de références reconnues pour se justifier. Le classement de l’objet signifiant son existence réelle au sein de la collection, cette étape est très importante. En cela, le catalogue témoigne de l’existence d’un effort de classification. Le classement fournit à la collection une cohérence. Dans le cadre du classement numismatique, l’antiquaire dit y trouver des indices historiques et géographiques. Ainsi, la collection, organisée par le classement, construit le discours, sa vérité et son authenticité. 272 LUCAS, Louis-Joseph, Art.cit., 1842-1843, p. 347-348. 273 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Quelques réflexions sur l’atelier monétaire de Damery ». Annales de l’Académie de Reims, 1842-1843, vol. 1, n°1, p. 349-354. 274 A.M.N, Série A : A21 1855, 25 août : Note par Duquenellet sur quelques objets antiques trouvés à Reims. 275 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1865, p. 4. 70
  • 19. Ayant défini la typologie et le genre de l’objet, l’ayant contextualisé et daté ou encore interprété dans son usage, l’antiquaire peut le classer. La démarche énoncée ci-dessus témoigne donc de l’adoption d’une méthode, mais aussi d’un travail préalable constitué des critères de définition de l’objet. Le catalogue de Nicolas-Victor Duquénelle est construit sur un raisonnement et une description organisés des objets, classés typologiquement et chronologiquement 276. Présenté en quatre cent soixante quatre pages manuscrites, il débute par la présentation des monnaies consulaires et s’achève par les noms de potiers. L’iconographie y est présente : l’antiquaire accompagne certaines de ses notices descriptives d’un dessin ou d’une photographie. La démarche de l’antiquaire, pour autant, n’est pas originale. Charles Robert use de cette même méthode. Analysant les médaillons de terre du cabinet Duquénelle, il adopte le même discours formel de description, de fracture historique et artistique, d’interprétation et de justification des objets 277. Cette procédure dans le discours poursuit un but d’optimisation de l’analyse historique et archéologique de l’objet. Elle permet surtout de fournir, par les étapes de description, de contextualisation et d’interprétation, et de certifier, par la justification l’irréfutable authenticité de l’objet archéologique. Ces similitudes discursives observées laissent à penser qu’il existe une méthode normative et un langage savant, qui permettent à Nicolas-Victor Duquénelle de faire valoir son érudition et d’affirmer son respect de la règle. Cette démarche et cette méthode permettent à l’antiquaire d’affirmer son identité de citoyen du XIXe siècle et parallèlement de s’appuyer sur l’héritage antiquaire, aux traditions multiples. La méthode antiquaire est renouvelée au XIXe siècle par l’unité et la complémentarité de ces traditions qui autrefois s’affrontaient, constituées du modèle philologique et de la tradition textuelle remodelée par Bernard de Montfaucon 278, de la méthode numismatique imposée par Jacob Spon et Ezéchiel Spanheim 279, de la méthode typologique et comparative instaurée par le comte de Caylus 280 et de la méthode stratigraphique inventée en Scandinavie, entendue du fait que le sol est considéré comme un livre d’histoire 281. L’antiquaire entend ainsi prendre sa place dans la généalogie multiséculaire des antiquaires. Aussi, le rémois Nicolas-Victor Duquénelle s’immisce par la méthode et le discours au sein de cercles savants, institutionnels et humains. 276 M.S.R., Fonds de documentation : Duquénelle (catalogue). 277 ROBERT, Charles, Médaillons de terre du cabinet Duquénelle. Nogent-le-Rotrou : impr. Daupeley-Gouverneur, 1882, 7 p. 278 SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 287-292. 279 Ibid., p. 221-226. 280 GRAN-AYMERICH, Eve, Op.cit, 2007, p. 30-32. 281 SCHNAPP, Alain, Op.cit, 1993, p. 77-78. 71