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a/quelques raisonnements amovibles
La vie est comblée de contradictions.
Toutes nos expressions ont leurs
contreparties, la parole engendre
son démenti, les convictions perdent
de leur validité dès qu’elles
commencent à glisser hors du
contexte dans lequel elles avaient vu
le jour. C’est à contre-cœur que
nous prenons conscience, et
admettons, que notre vérité n’est
pas Totale.
Elle ressemble plutôt à un véhicule –
une bonne tentation de fondement –
mais elle manque de subtilité, si on
prend le temps de la regarder et de
l’examiner.
Soyons prudents, quand nous avons
envie de juger, et encore bien plus
quand on veut prononcer une
sentence (ce qui se fait souvent entre
les dents, sans que la partie adverse
ne le sache).
C’est comme si la finalité de nos
actions flotte arbitrairement sur une
mer remplie de significations
mobiles, qui semblent vouloir garder
leurs secrets. On n’arrive pas à
mouiller l’ancre.
On finit même à croire qu’on ne croit
plus en La Vérité. Livres et voix
contemporains proclament que le
déficit des Vérités est propre à notre
époque postmoderne.
Cela est un signe de bonne santé,
signe qu’on se libère de convictions
trop étroites.
Sauf quand on relativise tout, ce qui
est moins bien.
POURQUOI
HORTA A-T-IL
DEMENAGE ?
Mais voyons, qui peut dire
finalement jusqu’où on est capable
de voir ?
Possiblement ‘le dernier mot’ est
juste refoulé, constamment enfoui,
par un folâtre, il faut croire, de dieu
d’Uilenspieghel.
Ce serait quelqu’un qui a une vision-
avion, qui voit l’unité qui domine les
contradictions apparentes de nos
actions.
Et alors, à ce moment, le mot ‘vérité’
se force de nouveau une entrée.
Venons au sujet concret de ce texte :
la maison de Victor Horta. C’est là
que le regard, un jour en 2008, a
croisé celui d’il y a à peu près cent
ans, celui de l’époque où l’Art
Nouveau faisait art en ville, quand il
creusait un chemin qui menait à des
coins reculés, hors du chemin battu.
Ce chemin, par endroits, aboutit à
une beauté qui a vraiment l’air d’être
complète…
Dire ‘beauté’, c’ est donc dire ‘vérité’.
Est-ce que j’oserais le dire…
b/quelques faits solides ?
Il y a une histoire à propos de
l’habitation de Horta et de sa famille,
leur maison, Rue Américaine 23/25
à Saint-Gilles. En 1919 Horta avait
vendu sa propriété, en déménageant
à L’Avenue Louise, près de La Place
Stéphanie.
Pourquoi aurait-il fait cela, l’ayant
construite pour lui-même, et vu
qu’elle témoignait d’un luxe raffiné,
et qu’elle était assez commode, car
doublement fonctionnelle, avec la
partie atelier pour l’architecte et ses
collaborateurs, et d’autre part, la
maison d’habitation ?
Après la fin de la première guerre
mondiale, il aurait pu retourner vers
l’endroit dont il avait cru qu’il
représentait une culmination de ses
pouvoirs.
Il note dans ses ‘Mémoires’ :
«Pourquoi,encoursd’achèvement,avais-je
eul’impressionquej’atteignaisau
sommetdemonbonheuretquelapente
descendantes’ouvraitdevantmoi?Sombre
vision…combiendefoisplustardj’eus
l’occasiond’ypenser…»{1}
Un sentiment sombre, couplé de
l’impression de vivre son apogée.
Il était à ce moment en train de
réaliser sa propre maison, un auto-
portrait, dans lequel toute son
expérience, ses recherches, tous les
matériaux se réunissaient pour
aboutir à une architecture vraiment
personelle, qui de plus était neuve,
couplant ce qui avait été fait de
mieux dans le ‘passé’ (l’artisanat) à
une vision des possibilités qu’ allait
offrir ‘le futur’.
Un portrait, comme il disait lui-
même :
“C’étaitletempsoùsynthétisantma
pensée,jeproclamaisquelamaisonétait
nonseulementàl’imagedelaviede
l’occupant,maisqu’elledevaitêtrele
portrait.» {2}
Deux exemples illustrent cette
vision :
Hôtel Winssinger (1894-
1897) : « Winssinger ayant bâti pour
le bonheur d’une épouse malade
dont les besoins de tranquillité et de
repos avaient été comme le
« leitmotiv » autour duquel la
composition du plan avait tourné et
dont il était résulté un hôtel
disproportionné en importance avec
la nature, disons le caractère un peu
populaire du quartier. » {3}
Hôtel Max Hallet (1903-
1905) : « A la « crémaillère », la
satisfaction était complète et ce fut
même ceci qui, les conditions de vie
changeant, devint la cause de
l’abandon de la maison. Après la
guerre, Madame construisit à
l’avenue des Nations sur ses propres
plans » {4}
Horta se rendait bien compte que
ses maisons faites sur mesure
étaient vulnérables :
«…monarchitectonique(…)àlasimple
expressiondemesgoûtsetdemes
capacités(…)loindes‘inscriredansl’œuvre
permanente,tendversl’œuvrepassagère.»
{5}
- qu’allaient faire de cet héritage
particulier les futures générations
urbaines ?
Cependant, le ‘credo’ se voit aussitôt
annihilé par l‘auteur même :
“Ainsilesidéesvieillescommelemonde
(carlesmaisonsontdetouttempsétédes
portraits…),parl’emploid’uneexpression,
d’unefigureunpeuosée,prenaient
caractèredehautenouveautéetservaientà
contenter…les«clients».»{6}
Le démenti sert bien à donner au
sujet plus de profondeur et de
mystère.
La maison/portrait fait penser à une
histoire de Borgès, dans laquelle un
homme veut créer un monde.
« Alors il crée des maisons, des
provinces, des instruments, des
poissons, des amoureux, et à la fin
de sa vie il s’aperçoit que « ce patient
labyrinthe de formes n’est rien
d’autre que son portrait ». » {7}
Que pourrait-il survenir après
l’accession au sommet ? Horta, qui y
était arrivé par le labeur, (‘par le
labeur vers les sommets’, comme dit
la devise notée dans le Livre d’Or
lors de son anoblissement) avait
choisi comme symbole de lui-même
la tortue, et il devait continuer son
chemin, car “unefoislaguerregagnée,la
viecontinue”. {8}
Le pic ne peut pas garantir une vue
éternelle sur les champs de Mars.
Il reconstruisit sa maison déjà en
1906, lors de son remarriage avec
Julia Carlsson. Le portrait ayant
besoin d’être ajusté, repeint.
_____________
Par son déménagement, en 1919, il
fait signe qu’il ne souhaite pas être
le témoin de dégradation (de sa
carrière, de sa vie, du monde…) à
fortiori dans sa demeure.
Car il y avait également les
‘circonstances’, qui étaient graves: la
guerre éclata, avec sa force
destructrice, et elle allait durer
beaucoup plus longtemps que les
quelques semaines que l’on ne s’
accordait pour le dire.
Malgré les destructions terribles, les
bâtiments de Horta avaient été en
grande partie épargnés, sur ordre
des Allemands, y compris les
éléments de bronze, les ornements,
qui auraient pu être confisqués et
fondus. Sa propre maison avait été
habitée et soignée par André
Dautzenberg, confident et
collaborateur régulier de Horta,
et sa femme.
Dans le livre ‘Horta en Amérique’, la
raison du pourquoi de la vente
est notée en une seule phrase :
“besoinsansdoutederompreaveclepasséet
deprendreunnouveaudépart.” {9}
Horta et sa femme retournèrent au
Vieux Continent cher et familier, en
quittant un autre, le Nouveau monde :
L’Amérique. Là ils avaient vu des
‘skyscrapers’, ils avaient été
impressionnés par les immenses
espaces et par la sublimité de la
nature, et ils avaient laissé gicler une
nouvelle modernité qui y régnait déjà
et qui remplacerait ‘pour de bon’ la
Belle Epoque.
Cette modernité comprenait la
‘standardisation’ : des maisons
offertes dans des catalogues, comme
des boites de mecano ou des jeux
d’enfants.
Des plans de rues droits, anti-
pittoresques.
Une répartition du travail de
l’architecte, qui était devenu plus
complexe : on n’avait non seulement
besoin d’un architecte, mais aussi
d’un businessman, d’un maître de
chantier, d’un contrôleur du budget
(les bureaux d’architectes)…
Le confort et le bonheur pour tout le
monde, pas seulement pour les
riches, habitants priviligiés
d’oeuvres uniques.
La prise de conscience d’une forte
croissance démographique et de ses
implications.
Et puis n’était-il pas temps de faire
place à un certain calme, de se
débarasser du matériel superflu, qui
avait servi à rendre aux illusions le
goût de la probabilité, ou à les
renforcer (la signature suggestive de
L’Art Nouveau) ?
Chaque époque se doit de se
distancier de la précédente, de
retrouver la vérité. Après la guerre,
une tabula rasa semblait asssez
logique et nécessaire. Horta nota la
différence :
“Combienilétaitjusteautrefoisde
comparerlamaisonartistiqueetson
mobilierauportraitdesonoccupant(…),
combiencelapeutparaîtreéloignédenos
mœursd’aujourd’huioùtouta forme
standardiséeetinterchangeable.» {10}
Ou, avec des mots encore plus clairs:
“…nous amènerontparlaforcedeschoses
àunearchitecturecalmeetreposantedans
laquelletoutle«fatrasdel’imitation»aura
cesséd’exister».{11}
Ceci dit, il semblerait que lui-même
éprouvait de grandes difficultés à
s’adapter à ces nouveaux temps,
perfectioniste qu’il était et désireux
de tout suivre de près.
« Enfin, ce besoin de calme, parce
que les nouveaux temps s’ouvraient
sur le vide que le monde civilisé
avait laissé derrière, avec son
cortège d’horreurs. Il s’en suivit une
désillusion, un déficit des rêves,
alors même que les artistes avaient
exprimé leur foi en la civilisation,
d’une manière très élégante et
détaillée, unifiant les valeurs
éthiques de la bourgeoisie avec
celles du socialisme, et même
assimilant les idées psychologiques
de leur temps dans leurs
réalisations, comme Horta dans son
architecture. »
Comment aurait-il pu réintégrer sa
maison, qui entretemps était
devenue symbole du luxe, d’une
façon démodée de travailler, et d’une
utopie souillée ?
deux parenthèses
premièrement
Comment s’est-il fait que Horta et sa
femme Julia arrivèrent pendant les
années de guerre en cette Amérique
révolutionnaire, allant de l’est à
l’ouest ‘on the road’?
Au commencement de la guerre
Horta ne désirait pas fuir La
Belgique. Il se rendait même sur les
différents sites sinistrés.
Il avait quitté le continent ‘par
accident’, en février ’15, lors d’une
conférence clandestine à Londres
sur la reconstruction des villes
Belges. Ses paroles indignées étant
été rendues visibles à l’occupant
dans une publication, le retour
aurait probablement signifié
l’enfermement !
Dans de telles circonstances il
tourna son nez curieux vers
l’Amérique, répondant à l’ invitation
d’un ami (Louis Lazard ou F.
Hazard, selon la source…). Il allait y
vivre de lectures et d’enseignement,
tandis que sa femme s’évertua
inlassablement à collectionner des
fonds pour venir en aide aux enfants
Belges sinistrés.
deuxièmement
La vague de l’américanisation allait
chez nous se loger dans les rues
dans les années ’50 et ’60, quand
l’Art Nouveau fût effectivement
perçu avec dédain : la
désapprobation latente qu’avait subi
depuis toujours le style capricieux,
fût scandée ouvertement, en
s’immisant de façon naturelle à la
nouvelle tendance – ce qui permit
aux promoteurs de démolir. Ce qui
ne se produisit pas lors des années
brutes de guerre, devait alors
survenir en temps de paix, et même
au nom de la paix – Victor Horta lui-
même ayant été assez prompt (’19) à
se débarasser de sa maison, même
s’il n’aura sans doute jamais songé à
la détruire.
Contre cette tendance se leva un
disciple de Horta, l’architecte Jean
Delhaye, resté fidèle à son maître.
Un fou, fallait-il croire, aux yeux du
personnel de la mairie de Saint-
Gilles, qui le voyait arriver à pas
stridents à la place Van Meenen, se
coiffant pour une tirade. Relique
vivante d’une chimère-Art Nouveau.
Mais toujours bien debout,
contrairement déjà à certains
bâtiments, et finalement, il allait
réussir à convaincre la communauté
de la valeur du patrimoine (il y eut
aussi quelques artistes qui
exprimèrent leur admiration pour
l’architecte).
De nos jours la maison est un
musée, que nos Princes montrent
avec fierté à des invités étrangers, et
que des touristes de tous les pays
trouvent très bon os à ronger,
pendant que d’autres bâtiments Art
Nouveau sont restaurés avec
beaucoup de soin et avec les
techniques les plus récentes: « le
Temps » s’est converti.
le dernier mot/finir en beauté
Aujourd’hui donc la maison est
pénétrée par les regards de maints
visiteurs. Ces regards demeurent
souvent courts, sautant d’une chose
à une autre, traînés d’être avide,
affamés de consommer rapidement
et d’accéder facilement au savoir.
Mais il y a trop d’un coup à voir et à
digérer. C’est une mer qui héberge
ses secrets en de profondes couches.
Il faut une absorption plus profonde,
une identification plus intense.
Comme de l’eau de source qui coule
dans la bouche, et qui disparaît peu
à peu dans le corps obscur, pour y
être incorporée, la maison délivre sa
richesse plutôt goutte par goutte.
Elle est comme une sculpture,
coupée en un seul long trait
miraculeux, de haut en bas, faite en
un moment d’inspiration
particulièrement souple, comme une
figure élégante qui naît de papier
plié et entrecoupé. Mais cela est un
effet trompeur, car il a fallu monter
longuement, et lentement la pente,
pour arriver à cette impression.
Des coins et des courbes, des
escaliers ascendants et descendants,
des couleurs et des formes qui se
combinent et se relatent de façon
différente à chaque reprise, des
dessins dans les marbres, de la
luminosité variable dans le verre
(poli), des motifs dédoublés, la
sensualité des lignes, tombantes ou
montantes, des proportions comme
naturelles, qui montrent le chemin.
Non pas la valeur mondaine des
matériaux mais leur riche aura, et
leur effet sur une âme ouverte et
tendre, qui peuvent provoquer une
expérience.
L’expérience est un vif appel de ‘la
beauté’, éveillée par l’inventivité et la
perfection du style, à rejoindre
l’infini et l’unité. L’ appel est
effrayant, parce que l’unité semble
être vraiment accessible, la
disparition vers l’infini palpable !
Peut-être que l’on aimerait, tant
comme Horta, se distancier d’une
maison qui évoque de telles
sensations intenses, et qui rappelle
coup après coup cette expérience
par son emballement volontairement
luxueux. Aspirons-nous peut-être à
calmer nos nerfs.
A man may want to kill the thing
that haunts him. Ou: ‘Trop de
sentiments, tue les sentiments’.
Horta peint un portrait qui fait
penser au portrait oval d’E.A. Poe.
Dans l’histoire de Poe le peintre
réussit, avec beaucoup de patience,
à peindre sa très belle amoureuse
avec une telle vivacité que la vie
coule dans le portrait, tout en
quittant la femme, qui meurt.
Mais Horta peint, logiquement, son
propre portrait, car il s’agit de sa
propre maison, de son propre
labyrinthe.
En s’appuyant sur sa remarque qu’il
avait eu, ici, la sensation d’arriver à
un point culminant, on pense encore
à Narcisse qui oubliait de vivre en
voyant son propre reflet dans l’eau.
Le peintre qui ‘mourrait’ lui-même
une fois le portrait achevé.
L’architecte qui pouvait lâcher son
invention perfectionnée, qui pouvait
lui accorder une vie indépendante de
la sienne, rendant celle-ci quasiment
inutile.
Trop dérangeant d’y revenir et de
continuer à contempler le propre
reflet fantomal – comme dans les
reflets verts-eau des miroirs des
portes de la salle de bain où
s’effectue une multiplication des
reflets, ou dans les miroirs en forme
d’ailes, pendant face à face sous la
verrière plafonnante, où le reflet
essaie de se répandre jusqu’à l’infini
– tandis que les temps avaient
changé ?
Peut-être qu’il y a aussi de la
nostalgie caché dans ce soupir
«Combiendefoisplustardj’eusl’occasion
d’ypenser…»
pour l’endroit qui touchait de peu à
la vérité de son facteur.
Temps court que ce temps de l’Art
Nouveau, propice aux
expérimentations, à la liberté
‘retrouvée’, que je compare à ce
moment fructueux de fin des années
soixante du vingtième siècle.
C’est, d’ailleurs, de l’esprit de cette
épisode-là que sort la formulation
suivante de ‘la beauté’ :
“Nulle part…
Eloignement dans la proximité
Eloignement suprême dans l’éloignement
Limite la plus extrême et la plus centrale de
tous les deux
Irrealité, contenu dans leur double réalité
Evocation magique
dans l’un et l’autre
d’un monde lointain et reculé
La beauté
Car
à la frontière suprêmement reculée
la beauté rayonne
Des lointains suprêmement reculés
elle rayonne dans l’homme
transcendant la connaissance
transcendant la question
sans effort
appréhensible seulement au regard
Unité du monde
fondé par la beauté
établi sur le bel équilibre de l’ultra-lointain
qui pénètre tous les points de l’espace
diffusant sans effort le regard rayonnant qui
les embrasse
C’est donc bien comme un sortilège
et la beauté est une ensorceleuse ensorcelée
Tout est d’un pouvoir démoniaque
d’universelle absorption
incluant toute chose
dans son équilibre saturnien
Telle est la beauté! {12}
Il y a parfois un instant, lors d’un soir
passé entre gens, entre le bavardage et
les regards, un seul regard, que l’on
reçoit et que l’on émet, sans mots,
avec un inconnu, un regard qui puise
plus loin que les lieus que l’on visite
avec les partenaires de conversation et
que l’on retrouve dans ce qui nous
entoure.
La maison est un tel inconnu, et ça
dépend de la profondeur de la
submersion contemplative qui précède
l’ instant ou l’ expérience, si l’instant
va être plus ou moins intense.
Cette maison, qui sert comme une
porte vers l’expérience, sauvé des feux
que font les temps qui se succèdent,
tel un inconnu extravagant, témoigne
de la recherche obstinée d’un homme
qui a utilisé des matériaux palpables
pour rendre concret le presqu’
introuvable.
Notes:
{1} Victor Horta, Mémoires, Edités par Cécile
Dulière, p.73.
{2} Mémoires p.47.
{3} Mémoires p.44.
{4} Mémoires p.87.
{5} Mémoires p.60.
{6} Mémoires p.47.
{7} Godard par Godard, Les années Karina,
Editions de l’Etoile-Cahiers du Cinéma, p.117.
{8} Godard par Godard p.117.
{9} Horta en Amérique, Yolande Oostens –
Wittamer, p.144.
{10} Mémoires p.139.
{11} Horta en Amérique p.85.
{12} Histoire(s) du Cinéma, Jean-Luc Godard,
(2) ‘FATALE BEAUTE’.
Thomas Sennesael
Digitally signed by Thomas Sennesael
DN: CN = Thomas Sennesael, C = BE
Date: 2010.06.21 15:07:33 +02'00'
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Pourquoi Horta a t il déménagé. signed copy

  • 1. a/quelques raisonnements amovibles La vie est comblée de contradictions. Toutes nos expressions ont leurs contreparties, la parole engendre son démenti, les convictions perdent de leur validité dès qu’elles commencent à glisser hors du contexte dans lequel elles avaient vu le jour. C’est à contre-cœur que nous prenons conscience, et admettons, que notre vérité n’est pas Totale. Elle ressemble plutôt à un véhicule – une bonne tentation de fondement – mais elle manque de subtilité, si on prend le temps de la regarder et de l’examiner. Soyons prudents, quand nous avons envie de juger, et encore bien plus quand on veut prononcer une sentence (ce qui se fait souvent entre les dents, sans que la partie adverse ne le sache). C’est comme si la finalité de nos actions flotte arbitrairement sur une mer remplie de significations mobiles, qui semblent vouloir garder leurs secrets. On n’arrive pas à mouiller l’ancre. On finit même à croire qu’on ne croit plus en La Vérité. Livres et voix contemporains proclament que le déficit des Vérités est propre à notre époque postmoderne. Cela est un signe de bonne santé, signe qu’on se libère de convictions trop étroites. Sauf quand on relativise tout, ce qui est moins bien. POURQUOI HORTA A-T-IL DEMENAGE ? Mais voyons, qui peut dire finalement jusqu’où on est capable de voir ? Possiblement ‘le dernier mot’ est juste refoulé, constamment enfoui, par un folâtre, il faut croire, de dieu d’Uilenspieghel. Ce serait quelqu’un qui a une vision- avion, qui voit l’unité qui domine les contradictions apparentes de nos actions. Et alors, à ce moment, le mot ‘vérité’ se force de nouveau une entrée. Venons au sujet concret de ce texte : la maison de Victor Horta. C’est là que le regard, un jour en 2008, a croisé celui d’il y a à peu près cent ans, celui de l’époque où l’Art Nouveau faisait art en ville, quand il creusait un chemin qui menait à des coins reculés, hors du chemin battu. Ce chemin, par endroits, aboutit à une beauté qui a vraiment l’air d’être complète… Dire ‘beauté’, c’ est donc dire ‘vérité’. Est-ce que j’oserais le dire…
  • 2. b/quelques faits solides ? Il y a une histoire à propos de l’habitation de Horta et de sa famille, leur maison, Rue Américaine 23/25 à Saint-Gilles. En 1919 Horta avait vendu sa propriété, en déménageant à L’Avenue Louise, près de La Place Stéphanie. Pourquoi aurait-il fait cela, l’ayant construite pour lui-même, et vu qu’elle témoignait d’un luxe raffiné, et qu’elle était assez commode, car doublement fonctionnelle, avec la partie atelier pour l’architecte et ses collaborateurs, et d’autre part, la maison d’habitation ? Après la fin de la première guerre mondiale, il aurait pu retourner vers l’endroit dont il avait cru qu’il représentait une culmination de ses pouvoirs. Il note dans ses ‘Mémoires’ : «Pourquoi,encoursd’achèvement,avais-je eul’impressionquej’atteignaisau sommetdemonbonheuretquelapente descendantes’ouvraitdevantmoi?Sombre vision…combiendefoisplustardj’eus l’occasiond’ypenser…»{1} Un sentiment sombre, couplé de l’impression de vivre son apogée. Il était à ce moment en train de réaliser sa propre maison, un auto- portrait, dans lequel toute son expérience, ses recherches, tous les matériaux se réunissaient pour aboutir à une architecture vraiment personelle, qui de plus était neuve, couplant ce qui avait été fait de mieux dans le ‘passé’ (l’artisanat) à une vision des possibilités qu’ allait offrir ‘le futur’. Un portrait, comme il disait lui- même : “C’étaitletempsoùsynthétisantma pensée,jeproclamaisquelamaisonétait nonseulementàl’imagedelaviede l’occupant,maisqu’elledevaitêtrele portrait.» {2} Deux exemples illustrent cette vision : Hôtel Winssinger (1894- 1897) : « Winssinger ayant bâti pour le bonheur d’une épouse malade dont les besoins de tranquillité et de repos avaient été comme le « leitmotiv » autour duquel la composition du plan avait tourné et dont il était résulté un hôtel disproportionné en importance avec la nature, disons le caractère un peu populaire du quartier. » {3} Hôtel Max Hallet (1903- 1905) : « A la « crémaillère », la satisfaction était complète et ce fut même ceci qui, les conditions de vie changeant, devint la cause de l’abandon de la maison. Après la guerre, Madame construisit à l’avenue des Nations sur ses propres plans » {4} Horta se rendait bien compte que ses maisons faites sur mesure étaient vulnérables : «…monarchitectonique(…)àlasimple expressiondemesgoûtsetdemes capacités(…)loindes‘inscriredansl’œuvre permanente,tendversl’œuvrepassagère.» {5} - qu’allaient faire de cet héritage particulier les futures générations urbaines ? Cependant, le ‘credo’ se voit aussitôt annihilé par l‘auteur même : “Ainsilesidéesvieillescommelemonde (carlesmaisonsontdetouttempsétédes portraits…),parl’emploid’uneexpression, d’unefigureunpeuosée,prenaient caractèredehautenouveautéetservaientà contenter…les«clients».»{6} Le démenti sert bien à donner au sujet plus de profondeur et de mystère.
  • 3. La maison/portrait fait penser à une histoire de Borgès, dans laquelle un homme veut créer un monde. « Alors il crée des maisons, des provinces, des instruments, des poissons, des amoureux, et à la fin de sa vie il s’aperçoit que « ce patient labyrinthe de formes n’est rien d’autre que son portrait ». » {7} Que pourrait-il survenir après l’accession au sommet ? Horta, qui y était arrivé par le labeur, (‘par le labeur vers les sommets’, comme dit la devise notée dans le Livre d’Or lors de son anoblissement) avait choisi comme symbole de lui-même la tortue, et il devait continuer son chemin, car “unefoislaguerregagnée,la viecontinue”. {8} Le pic ne peut pas garantir une vue éternelle sur les champs de Mars. Il reconstruisit sa maison déjà en 1906, lors de son remarriage avec Julia Carlsson. Le portrait ayant besoin d’être ajusté, repeint. _____________ Par son déménagement, en 1919, il fait signe qu’il ne souhaite pas être le témoin de dégradation (de sa carrière, de sa vie, du monde…) à fortiori dans sa demeure. Car il y avait également les ‘circonstances’, qui étaient graves: la guerre éclata, avec sa force destructrice, et elle allait durer beaucoup plus longtemps que les quelques semaines que l’on ne s’ accordait pour le dire. Malgré les destructions terribles, les bâtiments de Horta avaient été en grande partie épargnés, sur ordre des Allemands, y compris les éléments de bronze, les ornements, qui auraient pu être confisqués et fondus. Sa propre maison avait été habitée et soignée par André Dautzenberg, confident et collaborateur régulier de Horta, et sa femme. Dans le livre ‘Horta en Amérique’, la raison du pourquoi de la vente est notée en une seule phrase : “besoinsansdoutederompreaveclepasséet deprendreunnouveaudépart.” {9} Horta et sa femme retournèrent au Vieux Continent cher et familier, en quittant un autre, le Nouveau monde : L’Amérique. Là ils avaient vu des ‘skyscrapers’, ils avaient été impressionnés par les immenses espaces et par la sublimité de la nature, et ils avaient laissé gicler une nouvelle modernité qui y régnait déjà et qui remplacerait ‘pour de bon’ la Belle Epoque. Cette modernité comprenait la ‘standardisation’ : des maisons offertes dans des catalogues, comme des boites de mecano ou des jeux d’enfants. Des plans de rues droits, anti- pittoresques. Une répartition du travail de l’architecte, qui était devenu plus complexe : on n’avait non seulement besoin d’un architecte, mais aussi d’un businessman, d’un maître de chantier, d’un contrôleur du budget (les bureaux d’architectes)… Le confort et le bonheur pour tout le monde, pas seulement pour les riches, habitants priviligiés d’oeuvres uniques. La prise de conscience d’une forte croissance démographique et de ses implications.
  • 4. Et puis n’était-il pas temps de faire place à un certain calme, de se débarasser du matériel superflu, qui avait servi à rendre aux illusions le goût de la probabilité, ou à les renforcer (la signature suggestive de L’Art Nouveau) ? Chaque époque se doit de se distancier de la précédente, de retrouver la vérité. Après la guerre, une tabula rasa semblait asssez logique et nécessaire. Horta nota la différence : “Combienilétaitjusteautrefoisde comparerlamaisonartistiqueetson mobilierauportraitdesonoccupant(…), combiencelapeutparaîtreéloignédenos mœursd’aujourd’huioùtouta forme standardiséeetinterchangeable.» {10} Ou, avec des mots encore plus clairs: “…nous amènerontparlaforcedeschoses àunearchitecturecalmeetreposantedans laquelletoutle«fatrasdel’imitation»aura cesséd’exister».{11} Ceci dit, il semblerait que lui-même éprouvait de grandes difficultés à s’adapter à ces nouveaux temps, perfectioniste qu’il était et désireux de tout suivre de près. « Enfin, ce besoin de calme, parce que les nouveaux temps s’ouvraient sur le vide que le monde civilisé avait laissé derrière, avec son cortège d’horreurs. Il s’en suivit une désillusion, un déficit des rêves, alors même que les artistes avaient exprimé leur foi en la civilisation, d’une manière très élégante et détaillée, unifiant les valeurs éthiques de la bourgeoisie avec celles du socialisme, et même assimilant les idées psychologiques de leur temps dans leurs réalisations, comme Horta dans son architecture. » Comment aurait-il pu réintégrer sa maison, qui entretemps était devenue symbole du luxe, d’une façon démodée de travailler, et d’une utopie souillée ? deux parenthèses premièrement Comment s’est-il fait que Horta et sa femme Julia arrivèrent pendant les années de guerre en cette Amérique révolutionnaire, allant de l’est à l’ouest ‘on the road’? Au commencement de la guerre Horta ne désirait pas fuir La Belgique. Il se rendait même sur les différents sites sinistrés. Il avait quitté le continent ‘par accident’, en février ’15, lors d’une conférence clandestine à Londres sur la reconstruction des villes Belges. Ses paroles indignées étant été rendues visibles à l’occupant dans une publication, le retour aurait probablement signifié l’enfermement ! Dans de telles circonstances il tourna son nez curieux vers l’Amérique, répondant à l’ invitation d’un ami (Louis Lazard ou F. Hazard, selon la source…). Il allait y vivre de lectures et d’enseignement, tandis que sa femme s’évertua inlassablement à collectionner des fonds pour venir en aide aux enfants Belges sinistrés. deuxièmement La vague de l’américanisation allait chez nous se loger dans les rues dans les années ’50 et ’60, quand l’Art Nouveau fût effectivement perçu avec dédain : la désapprobation latente qu’avait subi depuis toujours le style capricieux, fût scandée ouvertement, en
  • 5. s’immisant de façon naturelle à la nouvelle tendance – ce qui permit aux promoteurs de démolir. Ce qui ne se produisit pas lors des années brutes de guerre, devait alors survenir en temps de paix, et même au nom de la paix – Victor Horta lui- même ayant été assez prompt (’19) à se débarasser de sa maison, même s’il n’aura sans doute jamais songé à la détruire. Contre cette tendance se leva un disciple de Horta, l’architecte Jean Delhaye, resté fidèle à son maître. Un fou, fallait-il croire, aux yeux du personnel de la mairie de Saint- Gilles, qui le voyait arriver à pas stridents à la place Van Meenen, se coiffant pour une tirade. Relique vivante d’une chimère-Art Nouveau. Mais toujours bien debout, contrairement déjà à certains bâtiments, et finalement, il allait réussir à convaincre la communauté de la valeur du patrimoine (il y eut aussi quelques artistes qui exprimèrent leur admiration pour l’architecte). De nos jours la maison est un musée, que nos Princes montrent avec fierté à des invités étrangers, et que des touristes de tous les pays trouvent très bon os à ronger, pendant que d’autres bâtiments Art Nouveau sont restaurés avec beaucoup de soin et avec les techniques les plus récentes: « le Temps » s’est converti. le dernier mot/finir en beauté Aujourd’hui donc la maison est pénétrée par les regards de maints visiteurs. Ces regards demeurent souvent courts, sautant d’une chose à une autre, traînés d’être avide, affamés de consommer rapidement et d’accéder facilement au savoir. Mais il y a trop d’un coup à voir et à digérer. C’est une mer qui héberge ses secrets en de profondes couches. Il faut une absorption plus profonde, une identification plus intense. Comme de l’eau de source qui coule dans la bouche, et qui disparaît peu à peu dans le corps obscur, pour y être incorporée, la maison délivre sa richesse plutôt goutte par goutte. Elle est comme une sculpture, coupée en un seul long trait miraculeux, de haut en bas, faite en un moment d’inspiration particulièrement souple, comme une figure élégante qui naît de papier plié et entrecoupé. Mais cela est un effet trompeur, car il a fallu monter longuement, et lentement la pente, pour arriver à cette impression. Des coins et des courbes, des escaliers ascendants et descendants, des couleurs et des formes qui se combinent et se relatent de façon différente à chaque reprise, des dessins dans les marbres, de la luminosité variable dans le verre (poli), des motifs dédoublés, la sensualité des lignes, tombantes ou montantes, des proportions comme naturelles, qui montrent le chemin. Non pas la valeur mondaine des matériaux mais leur riche aura, et leur effet sur une âme ouverte et tendre, qui peuvent provoquer une expérience. L’expérience est un vif appel de ‘la beauté’, éveillée par l’inventivité et la perfection du style, à rejoindre l’infini et l’unité. L’ appel est effrayant, parce que l’unité semble être vraiment accessible, la disparition vers l’infini palpable !
  • 6. Peut-être que l’on aimerait, tant comme Horta, se distancier d’une maison qui évoque de telles sensations intenses, et qui rappelle coup après coup cette expérience par son emballement volontairement luxueux. Aspirons-nous peut-être à calmer nos nerfs. A man may want to kill the thing that haunts him. Ou: ‘Trop de sentiments, tue les sentiments’. Horta peint un portrait qui fait penser au portrait oval d’E.A. Poe. Dans l’histoire de Poe le peintre réussit, avec beaucoup de patience, à peindre sa très belle amoureuse avec une telle vivacité que la vie coule dans le portrait, tout en quittant la femme, qui meurt. Mais Horta peint, logiquement, son propre portrait, car il s’agit de sa propre maison, de son propre labyrinthe. En s’appuyant sur sa remarque qu’il avait eu, ici, la sensation d’arriver à un point culminant, on pense encore à Narcisse qui oubliait de vivre en voyant son propre reflet dans l’eau. Le peintre qui ‘mourrait’ lui-même une fois le portrait achevé. L’architecte qui pouvait lâcher son invention perfectionnée, qui pouvait lui accorder une vie indépendante de la sienne, rendant celle-ci quasiment inutile. Trop dérangeant d’y revenir et de continuer à contempler le propre reflet fantomal – comme dans les reflets verts-eau des miroirs des portes de la salle de bain où s’effectue une multiplication des reflets, ou dans les miroirs en forme d’ailes, pendant face à face sous la verrière plafonnante, où le reflet essaie de se répandre jusqu’à l’infini – tandis que les temps avaient changé ? Peut-être qu’il y a aussi de la nostalgie caché dans ce soupir «Combiendefoisplustardj’eusl’occasion d’ypenser…» pour l’endroit qui touchait de peu à la vérité de son facteur. Temps court que ce temps de l’Art Nouveau, propice aux expérimentations, à la liberté ‘retrouvée’, que je compare à ce moment fructueux de fin des années soixante du vingtième siècle. C’est, d’ailleurs, de l’esprit de cette épisode-là que sort la formulation suivante de ‘la beauté’ : “Nulle part… Eloignement dans la proximité Eloignement suprême dans l’éloignement Limite la plus extrême et la plus centrale de tous les deux Irrealité, contenu dans leur double réalité Evocation magique dans l’un et l’autre d’un monde lointain et reculé La beauté Car à la frontière suprêmement reculée la beauté rayonne Des lointains suprêmement reculés elle rayonne dans l’homme transcendant la connaissance transcendant la question sans effort appréhensible seulement au regard Unité du monde fondé par la beauté établi sur le bel équilibre de l’ultra-lointain qui pénètre tous les points de l’espace diffusant sans effort le regard rayonnant qui les embrasse
  • 7. C’est donc bien comme un sortilège et la beauté est une ensorceleuse ensorcelée Tout est d’un pouvoir démoniaque d’universelle absorption incluant toute chose dans son équilibre saturnien Telle est la beauté! {12} Il y a parfois un instant, lors d’un soir passé entre gens, entre le bavardage et les regards, un seul regard, que l’on reçoit et que l’on émet, sans mots, avec un inconnu, un regard qui puise plus loin que les lieus que l’on visite avec les partenaires de conversation et que l’on retrouve dans ce qui nous entoure. La maison est un tel inconnu, et ça dépend de la profondeur de la submersion contemplative qui précède l’ instant ou l’ expérience, si l’instant va être plus ou moins intense. Cette maison, qui sert comme une porte vers l’expérience, sauvé des feux que font les temps qui se succèdent, tel un inconnu extravagant, témoigne de la recherche obstinée d’un homme qui a utilisé des matériaux palpables pour rendre concret le presqu’ introuvable. Notes: {1} Victor Horta, Mémoires, Edités par Cécile Dulière, p.73. {2} Mémoires p.47. {3} Mémoires p.44. {4} Mémoires p.87. {5} Mémoires p.60. {6} Mémoires p.47. {7} Godard par Godard, Les années Karina, Editions de l’Etoile-Cahiers du Cinéma, p.117. {8} Godard par Godard p.117. {9} Horta en Amérique, Yolande Oostens – Wittamer, p.144. {10} Mémoires p.139. {11} Horta en Amérique p.85. {12} Histoire(s) du Cinéma, Jean-Luc Godard, (2) ‘FATALE BEAUTE’. Thomas Sennesael Digitally signed by Thomas Sennesael DN: CN = Thomas Sennesael, C = BE Date: 2010.06.21 15:07:33 +02'00'