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ACCES A LA CULTURE ET FINANCEMENT DE LA
CREATION A L’ERE DU NUMERIQUE
La disposition des consommateurs à payer pour une offre
légale de qualité comme garantie d’un
financement sain et vertueux de la culture
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Résumé
Lors des débats du milieu des années 2000 liés à la transposition de la directive
européenne de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, une idée
fausse avait conduit à l’élaboration de mauvaises mesures. Cette idée fausse, véhiculée
par les industries culturelles, était que dans un environnement où se développait la
disponibilité des œuvres culturelles numériques sur internet, les consommateurs,
« pirates » par nature, se détournaient de l’offre légale pour adopter des pratiques illicites.
Dès lors, et au lieu de mettre en place des mécanismes visant à améliorer une offre
légale particulièrement pauvre, différentes mesures répressives ont successivement été
mises en place, aboutissant en bout de chaine à la création de la HADOPI. Par ailleurs, au-
delà de ces mesures, des réflexions sur le financement de la culture et de la création se
sont développées, visant à développer des mécanismes, ou dévoyer des mécanismes déjà
existants, afin de fournir de nouveaux revenus au milieu culturel.
L’UFC-Que Choisir a constamment souligné le manque de pertinence de cette logique
d’ensemble en mettant en avant que la décroissance des revenus du secteur culturel
tenait non pas à l’absence de disposition des consommateurs à payer pour les œuvres
culturelles, mais à l’incapacité des industries culturelles à adapter leurs offres dans un
environnement bouleversé par le développement du numérique.
Dix ans après le vote en France de la loi DADVSI et alors qu’une réforme fondamentale du
cadre législatif européen se profile, l’UFC-Que Choisir a décidé de porter un regard
approfondi sur l’évolution des comportements consuméristes en termes d’achats culturels
dans l’univers numérique et de les mettre en perspective avec l’évolution de l’offre légale.
Il ressort de cette analyse que l’offre légale, portée par des services innovants promouvant
un nouveau mode d’accès à la culture, le streaming, s’est globalement améliorée. Cette
amélioration a eu deux conséquences majeures.
Tout d’abord les consommateurs ont très largement adopté ces nouveaux services : la
croissance soutenue des revenus du streaming audio (+ 350 % entre 2010 et 2015)
souligne l’appétence des consommateurs pour ce mode de consommation et offre à
l’industrie musicale un relais de croissance alors que les supports physiques poursuivent
leur déclin. Cette appétence se traduit également sur les œuvres cinématographiques et
audiovisuelles puisqu’aujourd’hui on peut estimer le nombre de foyers disposant d’un
service de vidéo à la demande avec abonnement à 1,5 million. Ainsi, l’existence d’un
consentement à payer pour une offre légale de qualité à un tarif abordable est plus que
jamais démontrée.
Ensuite, et corolairement à la première conséquence, on peut noter une décroissance des
pratiques illicites qui prouve que les consommateurs – contrairement à l’image qu’on
voudrait en donner – ne sont pas substantiellement attirés par l’illicéité gratuite en
matière de culture.
Ces éléments permettent de souligner l’existence d’un fort potentiel de croissance des
industries culturelles – pour peu que les freins persistants au développement plus poussé
de l’offre légale soient levés – et qu’à ce titre la rémunération de la culture et son
financement sont tout à fait aptes à être assurés par les revenus tirés de la
consommation directe des œuvres culturelles par les consommateurs. Dès lors, la
recherche de revenus complémentaires par la taxation des consommateurs perd de sa
légitimité.
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C’est ainsi que partant de la proposition d’instaurer une taxe sur les objets connectés du
rapport Lescure (2013), nous démontrons son manque de pertinence, qui plus est dans un
environnement marqué par une inefficience du considérable financement public de la
culture en France (20 milliards d’euros par an).
De plus, le dévoiement de la redevance pour copie privée en France, considérée à tort
comme une rémunération, du législateur aux ayants droit, est plus que jamais injustifié.
Alors qu’une juste refonte du mécanisme de la redevance pour copie privée semble
exclue en France, il serait inacceptable que la Commission européenne, qui doit présenter
à l’automne 2016 un projet de révision de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans
la société de l’information, privilégie le statu quo sur l’exception pour copie privée, au
détriment de son indispensable harmonisation, que ce soit sur la définition du préjudice
économique ou encore une méthodologie commune pour le calculer.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’UFC-Que Choisir, partisane d’un financement sain
et vertueux de la culture, et soucieuse de la préservation des droits des consommateurs
dans l’univers numérique demande :
- Au gouvernement de lancer un audit sur le financement public de la culture en
mettant l’accent sur son efficacité par rapport aux besoins réels des industries
culturelles et à la demande des consommateurs ;
- A la Commission européenne de profiter de la révision à venir de la directive
2001/29 pour harmoniser l’exception pour copie, notamment en définissant une
méthodologie objective de détermination du préjudice subi par les ayants droits
en raison de la pratique de copie privées ;
- L’extension du principe de l’épuisement du droit de distribution (c’est-à-dire la
capacité pour l’acheteur d’un bien culturel de le donner, le prêter ou encore le
vendre) à toute œuvre culturelle numérique acquise dont la copie est rendue
impossible par la présence de mesures techniques de protection.
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Table des matières
RESUME.................................................................................................................................3
TABLE DES MATIERES.........................................................................................................5
I. CONSOMMATION D’ŒUVRES CULTURELLES SUR INTERNET : UNE FORTE
CROISSANCE DE LA CONSOMMATION LICITE ET UNE BAISSE DES PRATIQUES NON
AUTORISEES .........................................................................................................................6
1. LA CONSOMMATION DES ŒUVRES CULTURELLES POUSSEE PAR LE NUMERIQUE ...................6
2. COMPORTEMENTS ILLICITES : QUAND L’EXPLOSION ANNONCEE FAIT « PSCHITT » ...............15
II. TAXE SUR LES OBJETS CONNECTES : UNE JUSTIFICATION PLUS QU’INCERTAINE
POUR UN IMPACT SUR LE POUVOIR D’ACHAT DES CONSOMMATEURS PLUS QUE
CERTAIN ..............................................................................................................................21
1. UN « TRANSFERT DE VALEUR » BASE SUR UNE FAUSSE LOGIQUE .......................................21
2. LES CONSOMMATEURS, VERITABLES PAYEURS… CONTRE L’ESPRIT MEME DE CETTE TAXE ..28
3. AVANT TOUTE AUTRE TAXE, UN INDISPENSABLE AUDIT SUR L’ADEQUATION ENTRE LES
BESOINS DU MONDE DE LA CULTURE ET SON FINANCEMENT PUBLIC ..........................................30
III. REDEVANCE POUR COPIE PRIVEE : UNE NECESSAIRE CLARIFICATION DE LA
NOTION DE PREJUDICE DOIT ETRE FAITE AU NIVEAU EUROPEEN .............................34
1. MALGRE L’ETUDE DE L’UFC-QUE CHOISIR DE 2014, LES LIGNES N’ONT PAS BOUGE AU
NIVEAU FRANÇAIS ................................................................................................................34
2. UNE INDISPENSABLE HARMONISATION EUROPEENNE ......................................................36
CONCLUSION ET DEMANDES DE L’UFC-QUE CHOISIR..................................................44
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I. Consommation d’œuvres culturelles sur internet : une
forte croissance de la consommation licite et une baisse des
pratiques non autorisées
Si le déclin des supports culturels physiques entamé dans les années 2000 se poursuit et
se traduit au global par une chute de la valeur du marché de la culture (en le réduisant ici
à la musique, à la vidéo et au livre1), une vision optimiste de l’avenir du secteur culturel
peut être adoptée. En effet, si on fixe l’attention sur les dépenses des consommateurs
pour les œuvres dématérialisées, leur dynamisme actuel peut légitimement être
considéré comme susceptible de faire croître les revenus globaux du secteur culturel dans
un avenir proche.
L’objectif de cette partie est double. Il s’agit tout d’abord de mettre en lumière à la fois ce
dynamisme et les obstacles qui se dressent pour qu’il se prolonge durablement. Il s’agit
ensuite de s’intéresser aux comportements illicites des internautes, exercice qui permet
de battre en brèches les idées reçues faisant systématiquement de l’internaute un pirate
en puissance.
1. La consommation des œuvres culturelles poussée par le numérique
a) Musique : une croissance massive des revenus du numérique tirée par le
streaming
Au cours des années 2000, pendant ce qu’on a pu appeler la « crise du disque », la filière
musicale, et au premier chef les maisons de disques, ont expliqué cette chute du marché
physique par l’appétence des consommateurs pour les comportements illicites et la
gratuité. A l’opposé de cette vision erronée du comportement des consommateurs, l’UFC-
Que Choisir mettait en évidence l’incapacité de l’industrie du disque à tirer profit de
l’émergence du numérique pour développer des offres innovantes à des prix justes. Sans
juger obsolète le marché physique, l’association considérait que les freins à la mise en
place d’une offre légale numérique attractive ne permettraient aucunement un retour à la
croissance du marché physique. L’UFC-Que Choisir considérait au contraire indispensable
que les industries culturelles s’attachent à favoriser l’émergence de cette offre légale
numérique attractive, seule à même de leur offrir un relais de croissance durable compte
tenu de l’appétence des consommateurs pour la culture et ses nouveaux modes de
diffusion, ainsi que par le maintien d’une disposition à payer pour la culture dans le cadre
de la transition numérique.
Aujourd’hui, force est de constater que la croissance des ventes numériques valide cette
approche de l’UFC-Que Choisir. Cette croissance des ventes se traduit par une croissance
impressionnante du chiffre d’affaires du marché numérique de la musique enregistrée de
73 % de 2010 à 2015.
1 Nous ne traitons pas dans cette partie du jeu vidéo, qui constitue un bien culturel. Nous introduirons les
dépenses des consommateurs associées à ce secteur dans la deuxième partie du document.
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Téléchargement sur internet : un échec prévisible
De longue date, l’UFC-Que Choisir a mis en lumière trois freins à l’adoption par les
consommateurs de l’offre numérique en matière de musique : les prix élevés, la présence
de mesures techniques de protections (MTP), et la pauvreté du catalogue.
En termes de catalogue, le temps a permis de le rendre relativement attractif et
satisfaisant. Le catalogue d’iTunes, service d’Apple, peut servir de référence pour
l’attester. Le nombre de morceaux disponibles était de 10 millions début 20092, il est
aujourd’hui de 30 millions3 (même s’il ne s’agit pas que de références uniques).
Ce progrès ne suffit cependant pas à masquer la persistance des autres freins au
développement du téléchargement licite.
L’équivalence tarifaire globalement constatable entre les albums sous format physique et
sous format numérique ne pouvait et ne peut toujours en aucun cas trouver une
justification auprès des consommateurs. En effet, la valorisation des œuvres numériques
est moins importante pour les consommateurs que celle des œuvres sous format
physique.
Pendant une bonne partie des années 2000, la présence de MTP sur les œuvres
numériques empêchant d’en faire des copies ou encore de permettre leur interopérabilité
aboutissait à rendre leur valeur d’usage inférieure à celle des œuvres sous format
physique. Par la suite si l’abandon des MTP s’est généralisé, il a eu pour contrepartie une
2 http://www.nextinpact.com/news/77349-itunes-store-atteint-25-milliards-telechargements-musique.htm
3 https://support.apple.com/fr-fr/HT204951
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hausse des tarifs des œuvres numériques poussée par les maisons de disques4. Bien
évidemment, cette hausse des prix n’a pas participé à l’attractivité du numérique, qui plus
est alors que les consommateurs ne peuvent en aucun cas accepter une équivalence
tarifaire entre numérique et physique quand les frais associés au numérique paraissent
bien moindres que sur le physique (absence des coûts de production du CD, baisse des
coûts de distribution, etc.).
Un autre élément justifie que les consommateurs rejettent le bienfondé de cette
équivalence tarifaire : l’absence de valeur d’échange du bien numérique. Effectivement,
alors qu’un consommateur qui achète un CD conserve la possibilité de le vendre ou
encore de le troquer, il en est privé lorsqu’il s’agit d’une œuvre numérique. Cette
asymétrie légale due à l’existence de l’épuisement des droits de distribution du support
physique et son absence pour l’œuvre numérique pose un réel problème en termes de
droits des consommateurs qui se répercute sur le refus par ces derniers des prix de la
musique numérique en téléchargement5.
Dès lors, la présence des marqueurs de l’échec6 dans l’offre de musique numérique au
téléchargement ne pouvait qu’aboutir à son rejet par les consommateurs et explique ainsi
que les ventes d’œuvres musicales via les téléchargements ne se substituent pas aux
ventes de supports physiques.
Streaming : un mode de consommation payant qui répond à une demande
La croissance des revenus des ventes numériques est tirée par les revenus du streaming
dont la croissance de 350 % en 5 ans impressionne. Il est notable que la croissance de ce
chiffre d’affaires est principalement tirée par l’offre de streaming avec abonnements (il y
en aurait 3 millions en France7) quand les revenus du streaming tirés de la publicité sur
les offres gratuites diminuent. Aujourd’hui le streaming tire 79 % de ses revenus des
abonnements contre 60 % en 2010. Ce succès du streaming appelle plusieurs
commentaires.
Tout d’abord la croissance relative des revenus tirés par les abonnements par rapport à
ceux tirés des offres gratuites contre publicité permet de considérer que l’offre gratuite
peut être perçue comme étant une promotion de l’offre payante.
Ensuite, et surtout, ce succès permet de mettre en évidence l’existence indéniable d’un
consentement à payer des consommateurs pour la culture sous format numérique.
Autrement dit, l’image du consommateur « pirate » non désireux de payer les contenus
culturels, savamment entretenue par l’industrie culturelle, perd de sa substance pour se
heurter à la réalité.
4 http://www.zdnet.fr/actualites/apple-abandonne-le-tarif-unique-sur-itunes-39391379.htm
5 Au-delà de l’aspect monétaire, il conviendra d’indiquer également que cette asymétrie affecte la capacité
d’un consommateur à prêter l’œuvre numérique, ce qui retire à l’œuvre numérique le lien social qu’elle peut
être dans l’univers physique.
6 Pour ne pas charger davantage la barque, on fera ici l’impasse sur la qualité sonore au global inférieure de
la musique numérique à celle fournie par CD qui affecte à l’évidence son attractivité, à minima pour les
consommateurs les plus mélomanes. Si certaines plateformes proposent la vente d’œuvres musicales
numériques d’une qualité égale à celle du CD, leur monétisation les rendant excessivement chères ne peut
cependant emporter l’adhésion du public.
7 http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/12/21/32001-20151221ARTFIG00119-plus-de-trois-
millions-de-francais-abonnes-a-de-la-musique-en-streaming.php
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Les offres du marché (et non de marché) structurées autour du prix psychologique de
9,99 € par mois rencontrent ainsi un succès certain auprès des consommateurs qui au-
delà du constat que cette tarification correspond à la disposition des consommateurs à
payer pour cette offre, met en lumière que les consommateurs sont prêts, pour certains, à
adopter un mode de consommation de la musique qui les prive de la propriété de l’œuvre.
Une bonne dynamique à favoriser qui ne pourra pas reposer uniquement sur le streaming
La hausse importante du chiffre d’affaires de la musique enregistrée sous format
numérique ne parvient pas encore à compenser la baisse du chiffre d’affaires du marché
physique (- 52 millions d’euros entre 2014 et 2015). Elle souligne cependant qu’en
tendance les revenus du numérique supplanteront à brève échéance ceux du physique :
une dynamique de croissance des revenus globaux du secteur de la musique est en
marche.
Même si le modèle du streaming pourra tirer profit de la dynamique de croissance du taux
d’équipement en smartphone, passé de 17 à 58 % entre 2011 et 20158, conjuguée à
l’augmentation régulière des enveloppes de données utilisables dans les forfaits mobiles,
il ne pourra cependant constituer le seul vecteur de croissance durable du secteur. D’une
part il existe une limite naturelle au nombre de souscriptions à un service de streaming ;
d’autre part tous les consommateurs n’accepteront pas d’inscrire leur comportement de
consommation de musique digitale dans un modèle les empêchant de se constituer un
patrimoine musical dématérialisé.
Aussi, nécessairement, le secteur de l’industrie culturelle se doit de repenser les
modalités de commercialisation des musiques téléchargeables, qui à terme déterminera
la capacité du marché de la musique à retrouver ses sommets du début des années
2000.
b) Vidéo : en réalité, un marché numérique en forte hausse
Le lecteur cherchant à connaitre l’évolution des revenus de la vidéo à la demande aura
vraisemblablement l’idée de se référer aux données publiées par le CNC.
8 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE-
ARCEP_nov2015.pdf
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Ce lecteur serait pourtant dans l’erreur s’il comptait bâtir à l’aide de ces données une
réflexion pertinente sur les tenants des évolutions présentées : en effet, les informations
fournies par le CNC sur le chiffre d’affaires de la vidéo à la demande par abonnement
(SVOD) relèvent de la fiction. Ces statistiques n’embrassent que parcellement le marché
de la SVOD puisqu’elles n’intègrent pas les acteurs du marché les plus importants,
comme Netflix ou CanalPlay9. Dans ces conditions, il n’est évidemment pas aisé de jauger
avec pertinence les sommes réellement dégagées par les activités de SVOD et de juger
plus généralement l’évolution du budget dégagé par les consommateurs pour acheter ou
louer sur les plateformes l’accès à une œuvre audiovisuelle numérique.
La réalité est que les chiffres publiés par le CNC ne rendent pas grâce au dynamisme de
l’adoption par les consommateurs des services de SVOD.
Ce marché est dominé par deux acteurs : CanalPlay et Netflix. Le premier revendiquait en
septembre 2015 plus de 700.000 abonnés payants, chiffre ayant doublé par rapport à
celui évoqué 18 mois auparavant10. A peu près à la même période, des analystes
avançaient que Netflix, après moins d’un an de présence en France, compterait 750.000
abonnés11 !
Compte tenu du nombre important de services de SVOD12, on peut donc estimer à au
moins 1,5 million le nombre de consommateurs abonnés à l’un de ces services. Dès lors,
compte tenu des prix du marché oscillant autour de 10 euros par mois, on peut estimer
qu’à nombre d’abonnés mensuels constant, les consommateurs dépensent aujourd’hui
9 http://www.zdnet.fr/actualites/quelle-est-la-taille-reelle-du-marche-francais-de-la-svod-39822986.htm
10 http://www.zdnet.fr/actualites/canalplay-a-plus-de-700000-abonnes-payants-39824396.htm
11 http://www.lesechos.fr/17/08/2015/lesechos.fr/021266524036_netflix-compterait-750-000-abonnes-en-
france.htm On notera l’arrivée sur le marché à la fin de l’année 2015 du service de SVOD ZIVE, proposé par
SFR/Numericable. Bien que l’opérateur prétende être le numéro 1 de la SVOD en France, le véhicule de
commercialisation du service permet de douter que cela traduise en appétence du public pour ce service
particulier (cf. http://www.clubic.com/pro/entreprises/sfr/actualite-794018-sfr-zive-revendique-numero-un-
svod-sans-preuve.html)
12 Cf. http://www.offrelegale.fr/sites-et-services/categorie/vod-svod/mode_acces/abonnement. On notera
une actualisation incertaine de cette liste dans le sens où Pass M6, qui y est référencé, est un service
aujourd’hui fermé.
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11
180 millions d’euros par an pour ce type d’offre. A nouveau, l’image du consommateur
non disposé à payer son accès aux œuvres culturelles se trouble.
Une bonne dynamique de l’offre cinématographique et audiovisuelle dématérialisée à
entretenir
Ce succès de la SVOD, bien que récent et prometteur, ne saurait en lui-même assurer une
croissance soutenue des revenus de l’industrie cinématographique et audiovisuelle
engendrés par le numérique. D’une part il n’est pas acquis que la croissance du nombre
d’abonnements à la SVOD se poursuive au rythme actuel. Qui plus est, elle trouvera
nécessairement un plafond. Ce relais de croissance des revenus numériques que
constitue la SVOD devra ainsi, du point de vue de l’industrie culturelle, nécessairement
être amplifié et de plus trouver un complément. Or de nombreux freins brident aujourd’hui
le développement de l’offre légale.
 Des freins en termes de catalogue pour la SVOD
Le succès des offres de SVOD pourrait ne pas se prolonger en raison de l’attrait limité de
ces offres pour les consommateurs en termes de catalogues disponibles sur les
plateformes, que cela concerne aussi bien les films que les séries.
La chronologie des médias constitue un premier frein pour la construction d’un catalogue
frais d’œuvres cinématographiques pour les services de SVOD.
En effet, cette chronologie des médias impose qu’un film ne puisse être proposé à la
diffusion sur une plateforme de SVOD qu’à partir du 36ème mois après sa sortie en salle.
Le consommateur soucieux de pouvoir consulter des œuvres cinématographiques
récentes ne pourra ainsi qu’être déçu en consultant les catalogues desdites plateformes.
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Le rapport de la mission Lescure13 préconisait ainsi en 2013 d’avancer la fenêtre
d’exploitation des films sur la SVOD à 18 mois, sans d’ailleurs que ni les discussions entre
les professionnels ni la loi ne viennent acter ce qui constituerait incontestablement un
progrès. Cela étant, la chronologie des médias ne constitue qu’un frein qui une fois levé
ne garantit pas pour autant la disponibilité des œuvres sur les catalogues des plateformes
de SVOD. A titre d’exemple, on aura bien de la peine à trouver un succès en salle de
201214 au catalogue de CanalPlay15.
Le cœur du problème concernant l’attractivité des œuvres cinématographiques se trouve
donc dans la contractualisation de l’exploitation des droits entre producteurs et diffuseurs.
Si on peut admettre que les diffuseurs de SVOD puissent ne pas voir l’intérêt économique
d’acquérir les droits d’œuvres peu attractives pour une majorité de consommateurs
(même s’il existe un intérêt pour accroître le nombre d’œuvres au catalogue, qui constitue
un outil de marketing), on comprend bien entendu qu’il existe un attrait par ces diffuseurs
pour les œuvres récentes et ayant connu un succès au cinéma.
Les blocages sont à trouver dans les comportements des détenteurs de droits en amont
de la chaine, qu’il s’agisse des diffuseurs ou des producteurs dont on comprend qu’ils
privilégient les fenêtres d’exploitation potentiellement les plus rémunératrices.
 … et en termes de prix pour le paiement à l’acte
On peut voir dans cette réticence des acteurs du cinéma et de l’audiovisuel à rendre
disponible les œuvres sur la SVOD un désir de ne pas phagocyter le marché de la VOD à
l’acte. Or cette volonté ne correspond visiblement pas aux attentes des consommateurs
qui d’après les chiffres du CNC, en faisant l’hypothèse qu’ils reflètent l’état du marché de
la VOD à l’acte, dépensent de moins en moins pour ces services. Une des raisons que l’on
peut apporter concerne le prix prohibitif de ces œuvres, tout du moins en ce qui concerne
le téléchargement où les prix sont généralement plus élevés que ceux du marché
physique16. On retrouve ainsi un problème déjà identifié pour la musique. Compte tenu de
ce prix, on comprend ainsi que les consommateurs préfèrent se tourner vers la
consommation à la location qui d’après les chiffres du CNC augmente assez fortement.
On notera enfin qu’au-delà du prix, il existe de réels problèmes de discontinuité de l’offre
en VOD17, sur la location particulièrement, qui s’expliquent par les gels de droits
généralement imposés par les diffuseurs de la télévision payante ou gratuite sans
justification économique avérée18.
 Pour les séries, les progrès de l’offre légale
Les séries télévisées créent une demande forte du public. Cette demande s’explique bien
évidemment par des moyens toujours plus importants mis par les producteurs de
contenus pour faire des séries de véritables œuvres de grand spectacle qui suscitent
13 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000278.pdf
14 https://fr.wikipedia.org/wiki/Box-office_France_2012
15 http://www.canalplay.com/recherche/
16 Une référence aux offres de la Fnac est à cet égard particulièrement parlante. A titre d’exemple, alors que le
DVD du film Avengers (2012) est vendu par la Fnac à 9,99 euros, sa plateforme de vidéos à la demande
propose le film entre 13,99 euros et 16,99 euros, selon la qualité de la définition de l’image (prix relevés le 10
mai 2016). On précisera que la différence de prix pour des œuvres plus ancienne est généralement moindre.
17 Cf. https://www.fnacplay.com/aide#chronologie
18 Cf. rapport Lescure.
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13
souvent une addiction auprès des téléspectateurs. Cette addiction, recherchée par les
producteurs, entraine logiquement un désir d’immédiateté quant à l’accès à ces œuvres.
A l’ère du digital, ce désir est encore accru par la connaissance des dates de diffusion des
nouveaux épisodes à l’étranger, aux Etats-Unis particulièrement où sont produits les plus
grands succès mondiaux. Les consommateurs ne peuvent plus considérer acceptable la
diffusion d’une série en France 1 an après sa diffusion aux Etats-Unis.
A cet égard il doit être souligné que les diffuseurs tendent à intégrer l’attente des
consommateurs. A titre d’illustration, la disponibilité des épisodes de Game of Thrones,
série la plus populaire du moment, sur la chaine OCS en version originale sous-titrée en
français 24 heures seulement après leur diffusion aux Etats-Unis constitue un progrès de
l’offre légale. Encore, la diffusion récente en français de la saison 10 de X-Files sur M6
seulement un mois après sa diffusion originelle aux Etats-Unis mérite d’être soulignée19.
Ces progrès ne sauraient néanmoins masquer des limites plus générales à l’expansion de
la VOD des séries en France qui peine à convaincre aussi bien en termes de prix de vente
que de fraicheur des catalogues (que cela soit dû au prix d’accès des ayants droits à leur
catalogue, ou des pratiques d’exclusivités qui assèchent le marché de la VOD20).
c) Livre numérique : le dynamisme du livre numérique freiné par des prix prohibitifs
Alors que la demande des consommateurs pour la musique ou la vidéo dématérialisée ne
peut se démentir, elle reste assez faible concernant le livre numérique, la lecture étant
intimement liée à la relation physique entre le lecteur et l’ouvrage. Ainsi, en 2015
seulement 8 % des français déclaraient lire des livres numériques (contre 4 % en 2011) et
20 % ne le faisant pas, envisageaient de le faire à l’avenir (contre 16 % en 2011)21. Cette
faiblesse est d’autant plus remarquable que contrairement à la musique et au film, les
contraintes techniques à la lecture de livres numériques sont plutôt faibles22.
La croissance du nombre de lecteurs de livres numériques se traduit bien entendu par une
croissance logique du marché aussi bien en valeur (+ 18 % entre 2013 et 2014) qu’en
volume (+ 13 % entre 2013 et 2014)23, mais l’attrait au global faible du livre numérique
ne laisse pas présager une hausse durable.
Au-delà du caractère relationnel entre l’œuvre et le lecteur, les tarifs des livres
électroniques pourraient expliquer ce désamour pour le livre numérique. Si les tarifs des
livres numériques sont généralement entre 20 et 30 % en-deçà des livres papier, ils
19 Notamment au regard des courts délais pour effectuer le doublage si on considère la limite à la célérité que
posait le rapport Lescure en indiquant que « en cas de doublage, le délai de trois mois entre la diffusion en
version originale (VO) sur une chaîne étrangère et la diffusion en version française (VF) paraît à première vue
difficilement compressible ».
20 Cf. http://www.nextinpact.com/news/97557-pourquoi-vod-series-en-france-a-tant-mal-a-convaincre.htm
pour une explication claire de ces phénomènes.
21 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE-
ARCEP_nov2015.pdf
22 Par exemple car on peut noter une indépendance entre la qualité du réseau internet et le téléchargement
des livres numériques, quand par exemple l’utilisation d’un service de streaming nécessite un accès constant
à internet avec une bonne qualité de service.
23 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/livres-l-envolee-du-numerique-ne-compense-pas-la-baisse-du-
papier-896579.html#
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restent cependant à des niveaux élevés24, d’autant plus si on considère qu’en l’état des
règles du droit d’auteurs, le consommateur ne peut pas tirer un revenu de la vente d’un
livre numérique quand il le peut avec un livre. Qui plus est, les prix des livres numériques
restent plus élevés que les livres de poche, ce qui reste un frein encore plus important à
l’adoption.
De plus, il est notable que non seulement les prix des livres numériques sont élevés, mais
qu’ils le sont généralement davantage qu’à l’étranger comme cela a pu être illustré par
des prix relevés sur Amazon dans différents pays25.
Comment expliquer ces tarifs prohibitifs, d’autant plus au regard de l’absence de frais liés
à l’impression de l’ouvrage ? L’explication tient en l’existence d’un régime dérogatoire au
principe de libre fixation des prix, le prix unique du livre26. Ce régime permet aux éditeurs
d’imposer aux revendeurs le prix de vente des livres, aussi bien physiques que
numériques.
Cette cherté du livre numérique est d’autant plus dommageable que l’élasticité-prix de la
demande semble particulièrement élevée27.
24 Les tarifs constatables oscillent autour de 15 euros pour un livre numérique dont la version papier n’est pas
disponible en livre de poche. On est ainsi loin du tarif acceptable par les lecteurs tournant autour de 7 €,
comme le signalait un éditeur : http://alliance-lab.org/archives/1072?lang=fr#.VthU0PnhAkU
25 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/pourquoi-les-livres-numeriques-sont-ils-si-chers-869411.html
26 Cf. http://www.sne.fr/enjeux/prix-unique-du-livre/ pour une compréhension des fondements originels de ce
régime.
27 Telle qu’elle est avancée par Amazon tout du moins :
http://www.amazon.com/forum/kindle/ref=cm_cd_tfp_ef_tft_tp?_encoding=UTF8&cdForum=Fx1D7SY3BVS
ESG&cdThread=Tx3J0JKSSUIRCMT.
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S’il n’est pas question ici de remettre en cause le principe du prix unique, du point de vue
consumériste, une question doit se poser sur son adaptabilité au numérique, à fortiori s’il
a pour objectif d’accroitre la marge opérationnelle des éditeurs28.
On notera également que l’attrait pour le livre numérique est d’autant moins important
qu’il existe une certaine captivité des consommateurs liée à la présence fréquente, et non
justifiée techniquement, de mesures techniques de protections empêchant les
consommateurs de consulter sur des supports de lecture différents les œuvres acquises29.
Dès lors, on comprendra que les consommateurs soient peu enclins à consommer en
masse des livres numériques sur un écosystème numérique fermé30.
Ainsi, cette section a montré que malgré la persévérance de freins structurels au
développement d’une offre légale de qualité (prix élevés, catalogues manquant de
fraîcheur, etc…), les consommateurs ont sensiblement augmenté leurs dépenses en
œuvres culturelles dématérialisées, notamment grâce à l’innovation permettant la mise
en place de nouveaux modes de consommations.
2. Comportements illicites : quand l’explosion annoncée fait « pschitt »
Le « piratage » comme arme de justification des mesures répressives
L’UFC-Que Choisir a toujours défendu le développement d’une offre légale attractive, aussi
bien en termes de coûts, de qualité des catalogues proposés aux consommateurs, que de
modalités d’accès – modalités devant nécessairement tirer profit de l’innovation permise
par le numérique – et expliqué qu’une partie importante des comportements illicites
provenait de la faiblesse de cette offre légale.
Cela étant, la position majoritaire au sein de l’industrie culturelle a été de prendre appui
sur l’existence des comportements illicites pour plaider pour des mesures répressives,
savamment portées dans différents projets de loi présentés à la représentation nationale.
Cet appel à la répression fait toujours partie de la stratégie de cette industrie.
A titre d’exemple, la Fédération nationale des distributeurs de films indiquait en 2014 que
« les données statistiques sur la pratique du piratage en France […] attestent du caractère
particulièrement alarmant du phénomène dans notre pays » et demandait au
gouvernement de « prendre toute la mesure des dégâts causés par le piratage massif des
œuvres sur internet et à […] endiguer enfin son développement31 ».
Il est notable que ces demandes prennent appui sur la lecture de données élaborées à
l’initiative de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ci-après réduit au
moins anxiogène ALPA) et du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ces
données actualisées ayant encore récemment été reprises par différents articles de
28 http://www.slate.fr/story/61805/livre-numerique-15-euros
29 Une étude menée pour le compte de l’European and International Booksellers Federation conclut qu’il
« n’existe aucune raison technique ou fonctionnelle de ne pas utiliser et établir [une] norme unique de format
interopérable (ouvert) du livre numérique » : http://www.syndicat-
librairie.fr/images/documents/interoperabilite_formats_livre_numerique_pdf_16641.pdf
30 Un consommateur achetant un livre électronique sur le site de la Fnac ne pourra ainsi que le lire sur la
liseuse vendue par l’enseigne.
31 http://www.fndf.org/filemanager/Actualites/Communiqu%C3%A9%20FNDF%2004.07.2014.pdf
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presse32 pour évoquer l’augmentation de la consultation des sites « hors la loi » par les
internautes.
Sans aller jusqu’à considérer que les données élaborées par les tenants de l’alarmisme
permanent sont partialement lues par ces derniers, on peut admettre qu’elles méritent
une lecture dépassionnée.
Or cette lecture des données à laquelle nous avons procédé permet d’identifier – sans
même qu’il soit nécessaire en amont de porter un regard critique sur la méthodologie
utilisée pour les élaborer –que la prétendue explosion du piratage ne correspond pas à la
réalité.
Une diminution relative de la consultation des sites liés à la contrefaçon
La récente étude effectuée par Médiamétrie pour le compte de l’Association de lutte
contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) en coopération avec le CNC et TMG regorge de
données qui, nous allons le démontrer, ne traduisent pas les maux qu’ils prétendent
identifier.
L’évolution du nombre d’internautes ayant consulté au moins une fois par mois un site
dédié à la contrefaçon audiovisuelle est tendanciellement en hausse sur la période
32 http://www.lesechos.fr/16/09/2015/lesechos.fr/021332829152_piratage---14-millions-d-internautes-
vont-sur-des-sites---hors-la-loi--.htm ou encore http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/07/07/32001-
20150707ARTFIG00170-10-millions-de-francais-frequentent-les-sites-de-streaming-et-de-telechargement-
illegal.php
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considérée dans l’étude de l’ALPA. Au global, de 2009 à 2014 le nombre de ce type de
consultations a crû de 18,5 %, soit une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 3,4 %. Si
elle n’est pas négligeable, cette hausse reste cependant à un niveau modéré, qui reste
quoi qu’il en soit loin de caractériser une explosion du nombre de consultations de site
dédiés à la contrefaçon.
De plus, cette hausse, pour qu’elle puisse correctement caractériser le comportement des
consommateurs, doit nécessairement prendre en considération la hausse du nombre
d’internautes.
Ce graphique permet d’identifier la continuité de l’augmentation du nombre d’internautes
au cours des dernières années. Suivant, logiquement, la hausse du nombre
d’abonnements à internet33, le nombre d’internautes a ainsi augmenté de 27,8 % en 5
ans.
Cette hausse importante du nombre d’internautes comparée à celle du nombre
d’internautes accédant à des sites aboutit à rejeter l’idée selon laquelle les internautes
ont de plus en plus recours à la consultation de sites dédiés au téléchargement ou au
visionnage non-licite d’œuvres culturelles. En effet, la part des internautes qui en France
consultent au moins une fois par mois des sites liés à la contrefaçon audiovisuelle
décroît : en 2009, cette part était de 31,1 % ; elle était en 2014 de
28,8 %.
33 Référence ARCEP nombre d’abonnements de 2009 à 2014
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Qui plus est, il est remarquable que cette diminution relative se déroule alors que la
notoriété des sites permettant, à titre principal ou non, le téléchargement illicite d’œuvres
ne semble pas décroître, d’autant plus que les articles de presse faisant référence au
téléchargement illicite ne se privent pas d’indiquer aux consommateurs le nom de ces
sites.
Consulter n’est pas fauter : l’exemple du peer to peer…
En plus de constater que les actes de consultation des sites qualifiés de liés à la
contrefaçon télévisuelle sont en baisse relative, il faut signaler que la consultation de ces
sites ne constitue pas un acte illicite – et c’est une bonne chose – et qu’elle n’aboutit pas
nécessairement une consommation effective illicite d’œuvres culturelles.
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L’objectif premier de ce graphique que nous livre l’ALPA est très probablement de mettre
en exergue les résultats positifs liés à la mise en place et à la pratique de la Hadopi. De
manière factuelle – en prenant l’hypothèse d’une constance de la part du nombre de
téléchargements mensuels du top 10 des films par rapport au nombre total de
téléchargements mensuels couplée à l’hypothèse de moyens constants dédiés à
l’observation des flux – il est constatable que la baisse des téléchargements non licites en
P2P entre janvier 2011 et décembre 2014 est de 83,2 %. Cette diminution du nombre de
téléchargements est donc majeure, sans d’ailleurs que puisse être définitivement tranché
l’effet direct de la réponse graduée sur cette diminution, qui ne doit cependant pas être
marginal.
Le graphique ci-dessus repris offre au lecteur une seconde information d’ampleur, fruit de
l’analyse comparée des deux courbes qui le composent. En effet, cette chute massive du
nombre de téléchargements en P2P prend place dans un environnement où le nombre de
visiteurs uniques mensuels sur ce type de sites est relativement constant sur la période,
de l’ordre de 6,5 millions par mois. L’information à tirer de ce fait est qu’il n’existe pas sur
la période considérée de corrélation entre le nombre de visiteurs sur les « sites liés à la
contrefaçon audiovisuelle » et le nombre d’actes de téléchargement. A fortiori, aucune
relation de causalité ne peut être établie entre la consultation d’un site et le
téléchargement d’une œuvre s’y trouvant.
D’après les ayants droits, cette baisse du nombre de téléchargements sur les réseaux
P2P, seuls surveillés dans le cadre de la réponse graduée, serait surcompensée par la
hausse du téléchargement direct (DDL) et par celle du visionnage en streaming. Or cette
assertion doit être considérée avec prudence.
…invite à lire avec prudence les données sur le téléchargement direct et le streaming
illégaux
Concernant le téléchargement direct (DDL) des œuvres illicites (œuvre uploadée sur un
cyberlocker), les données de l’ALPA34 font apparaitre une baisse tendancielle du nombre
de visiteurs uniques mensuels de 2011 à 2014 des sites qui les proposent (-10,3 % sur la
période). Sur cette période, le nombre de visiteurs uniques qui s’adonnent au
téléchargement35 est quasi systématiquement inférieur à 50 % ; il est de 46,3 % à la fin
de l’année 2014. Le nombre de visiteurs uniques procédant à au moins un
téléchargement baisse encore plus que le nombre de visiteurs uniques accédant aux sites
de DDL puisqu’entre janvier 2011 et décembre 2014 il diminue de 12,4 %.
En prenant en compte l’accroissement du nombre d’internautes, cette baisse est encore
davantage caractéristique d’une contraction des comportements non licites des
consommateurs concernant le DDL qui ont baissé de 21,2 % entre 2011 et 2014 !
Le streaming constitue un troisième mode de consommation non licite d’œuvres
culturelles et de divertissement. Contrairement à ce qui a été observé concernant le P2P
et le DDL, la récente étude de Médiamétrie financée par l’ALPA souligne que le recours à
34 Cf. https://cdn.nextinpact.com/medias/etude-alpa-2014.pdf
35 Téléchargements effectués sur les sites dédiés à la contrefaçon, sans qu’avec certitude puisse être établie
l’illicéité de l’ensemble des actes de téléchargement.
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la consultation de ce type de sites n’est pas en décroissance. De juillet 2011 (référence la
plus lointaine pour laquelle nous disposons de données) à fin 2014, et compte tenu de la
hausse du nombre d’internautes, en moyenne les consultations par visiteur unique se sont
accrues de 14,9 % : fin 2014, 13,1 % des internautes consultaient des sites de streaming
dédiés à la contrefaçon.
Là également, consultation d’un site dédié au streaming non autorisé n’équivaut
cependant pas à consultation d’une œuvre qui y est proposée. En effet, 63,1 % des
personnes qui consultent ce genre de sites ne consomment pas de vidéos. En
conséquence, la part des internautes qui consomment des vidéos en streaming est de
4,8 %. Il ressort de cette donnée que si la pratique du streaming non licite ne peut pas
être qualifiée d’epsilonesque, elle n’en demeure pas moins relativement marginale.
Nous avons vu qu’entre 2009 et 2014 les internautes ont réduit leur consultation des
sites liés à la contrefaçon (audiovisuelle) de 7,4 %, traduction d’une appétence globale en
décroissance pour ces sites, tous modes de consommation confondus (P2P, DDL,
streaming).
Mais plus important encore, l’analyse des données disponibles permet de mettre en
évidence que le niveau de consultation des sites liés à la contrefaçon ne correspond en
rien à la pratique d’actes illicites, et doit alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de
prendre en considération avec précautions les arguments employés par l’industrie de la
culture.
Au global, cette partie a permis d’identifier l’existence d’une disposition forte des
consommateurs à accéder légalement aux œuvres culturelles sur internet qui prend appui
sur un développement de l’offre légale. Cependant, de nombreux freins à une croissance
encore plus soutenue doivent être levés : indispensable modération tarifaire pour les
œuvres disponibles au téléchargement, chronologie des médias à réellement ancrer dans
l’univers numérique ou encore gestion saine et cohérente des exclusivités pour les séries
télévisées.
Cette augmentation des dépenses culturelles numériques des consommateurs, si elle ne
compense pas encore les pertes constatées sur les ventes physiques, permet d’envisager
sereinement l’avenir des auteurs, artistes, mais également producteurs de contenus.
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II. Taxe sur les objets connectés : une justification plus
qu’incertaine pour un impact sur le pouvoir d’achat des
consommateurs plus que certain
L’un des éléments marquants du rapport de la mission Lescure36 publié au printemps
2013 était la proposition visant à instaurer une taxe sur les appareils connectés
(smartphones, téléviseurs, ordinateurs…). Si après avoir animé un temps le débat public
l’hypothèse de mettre en place cette taxe n’est plus affirmée aujourd’hui par l’exécutif, il
reste tout à fait envisageable qu’elle puisse se manifester à nouveau dans l’avenir. Il
apparaît en conséquence indispensable à l’UFC-Que Choisir d’interroger dans le cadre de
sa présente étude la pertinence d’une telle taxe en sondant ses fondements, tels qu’ils
sont présentés par la mission Lescure, d’identifier les impacts que la mise en place d’une
telle taxe aurait sur le pouvoir d’achat des consommateurs, mais au-delà, d’une manière
plus générale, de préciser les conditions qui devraient être remplies pour qu’une nouvelle
taxe destinée au monde de la culture et pesant sur le pouvoir d’achat des consommateurs
puisse obtenir leur assentiment.
1. Un « transfert de valeur » basé sur une fausse logique
Le rapport Lescure, ambitionnant d’être correcteur de déséquilibres, propose aux pouvoirs
publics l’instauration d’une taxe appliquée aux appareils connectés visant à corriger un
transfert de valeur des contenus culturels vers les industries numériques. Or cette
prétendue légitimation découle d’une lecture biaisée des dépenses des ménages qui
méritent d’être correctement exposées.
a) Dépenses en biens et services culturels vs dépenses d’accès aux contenus et
dépenses en équipements technologiques : des ordres de grandeur à préciser
Pour défendre l’idée selon laquelle il existe un transfert de valeur allant des contenus
culturels vers les produits permettant de les consulter, le rapport s’appuie en premier lieu
sur une étude réalisée par Ernst & Young pour le compte de la Hadopi sur l’évolution des
pratiques de partage et le panier moyen de consommation de biens culturels de l’ère pré-
numérique à nos jours (1980-2011)37, et en particulier sur le graphique reproduit ci-
dessous.
36 http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_lescure/index.htm
37 http://hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/HADOPI-Rapport-08-mars-2013.pdf
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L’étude Ernst & Young / Hadopi constate que sur la période considérée (1980-2001), « les
dépenses directes en biens culturels connaissent une croissance faible qui se traduit par
une baisse relative de leur part dans le panier des ménages. On observe parallèlement
une augmentation exponentielle des dépenses en équipement technologiques et une très
forte croissance des dépenses d’accès ».
La mission Lescure, relayant une idée véhiculée dans ladite étude, en tire la conclusion
que les tendances constatées illustrent un « transfert de valeur [qui] s’opère entre les
biens culturels […] et les dépenses en équipements technologiques et accès aux biens
culturels ».
A première vue, les courbes du graphique présenté supra laissent entendre l’existence de
deux principales tendances. D’un côté, une croissance particulièrement marquée des
dépenses des ménages pour tout ce qui permet l’accès aux contenus culturels
(abonnements pour l’accès à Internet notamment), mais également une croissance
exponentielle, depuis le début des années 2000, des dépenses pour les équipements
technologiques permettant de les « lire » (ordinateurs, smartphones…). D’un autre côté, le
graphique laisse apparaître une tendance moins flatteuse pour les dépenses en biens et
services culturels, caractérisées par une croissance molle de 1980 à 2006, puis, par la
suite, par une légère décroissance.
L’impression ainsi donnée est que les biens et services culturels sont les parents pauvres
du secteur culturel, vu comme étant la somme des trois postes considérés ici. Ceci est-il le
reflet fidèle de la réalité ? Le choix opéré par Ernst & Young / Hadopi de prendre en
compte les données « volumes aux prix chaînés de l’année précédente » en base 2005
doit être interrogé car cela ne permet pas de comparer la « ventilation » fidèle des
dépenses faites par les ménages pour une année donnée. En ayant cet objectif, la prise
en compte des dépenses courantes est préférable.
L’UFC-Que Choisir s’est donc intéressée à l’évolution des dépenses courantes des
ménages pour la culture, de 1980 à 2014 – puisque des données sont désormais
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disponibles pour 2012, 2013 et 2014, en faisant appel aux informations de l’INSEE
relatives à l’évolution de la consommation des biens culturels, à celle des équipements
technologiques et à celle pour l’accès aux contenus culturels. Ces catégories n’étant pas
normalisées dans la nomenclature de l’INSEE, les items retenus par Ernst & Young /
Hadopi ont été ici conservés à une exception près.
L’étude Ernst & Young / Hadopi se refuse d’inclure dans les dépenses pour les biens (et
services) culturels, les dépenses de consommation pour diverses activités créatives
(théâtre, musées…), alors qu’il est bien entendu nécessaire d’intégrer cette variable dans
le champ d’analyse38. Or il ne s’agit pas d’un petit poste de dépenses culturelles pour les
ménages. En effet, en 2014 il a représenté plus de 4,5 milliards d’euros.
38 On notera ainsi que fort logiquement, dans les statistiques sur la culture que publie le Ministère de la
Culture et de la Communication, ce dernier prend en compte ces dépenses dans la catégorie « dépenses en
biens et services culturels ».
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Ce graphique illustre les évolutions, sur longue période, des sommes réellement engagées
par les ménages et offre des informations fiables sur les dépenses culturelles qu’ils
effectuent.
Plusieurs faits saillants méritent d’être évoqués :
i. Les dépenses des ménages pour les biens et services culturels sont
systématiquement, année après année, supérieures à celles engagées pour
les équipements technologiques ;
ii. Les dépenses pour l’accès aux contenus culturels ont dépassé celles pour les
biens et services culturels en 2003, mais depuis 2010 l’écart entre ces deux
postes diminue ;
iii. Loin d’être caractérisées par une croissance exponentielle depuis le début des
années 2000, les dépenses des ménages en équipements technologiques
présentent deux tendances bien distinctes : une hausse régulière jusqu’en
2007 puis une diminution depuis lors ;
iv. Depuis 2007, la baisse des dépenses des ménages en équipements
technologiques est plus importante que celle des dépenses en biens et
services culturels : entre 2007 et 2014, la baisse annuelle moyenne des
premières est de 2,31 % contre 1,41 % pour les secondes.
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Ces éléments permettent donc de relativiser l’existence d’une ruée continue des ménages
vers les dépenses qui permettent l’accès aux biens culturels et, cela est encore plus vrai,
pour les équipements technologiques.
On précisera également que la mission Lescure fait référence à deux autres études pour
appuyer son idée de transfert de valeur. La première des deux est une étude de Coe-
Rexecode datée de février 2008 qui souligne qu’à l’échelle mondiale le chiffre d’affaires
des producteurs de contenus a crû moins rapidement entre 2003 et 2008 que celui des
équipementiers, des opérateurs télécoms, et des plateformes de services et autres
intermédiaires (Amazon, Google…) : la mission Lescure précise ainsi que « le chiffre
d’affaires des producteurs de contenus était, en 2003, plus de 12 fois supérieur à celui
des intermédiaires, en 2008, le rapport n’est plus que de 1 à 4 ». La seconde est une
étude d’Arthur D. Little, réalisée pour le compte de la Fédération Française des
Télécommunications publiée en octobre 2012, qui indique que les revenus du top 30
mondial des fournisseurs de contenus ont augmenté de 10 % entre 2006 et 2011 quand
celui du top 30 mondial de l’ensemble des catégories considérées39 a augmenté de 49 %.
La mobilisation et les résultats de ces études appellent deux commentaires.
Tout d’abord, si l’analyse de données mondiales n’est pas à priori d’un intérêt nul, elle
reste cependant d’un intérêt limité puisqu’une référence à des indicateurs de
consommation en France reste bien plus pertinente pour justifier l’application d’une taxe
donnée en France.
Ensuite, et c’est là le cœur du sujet, il réside un problème méthodologique fondamental
dans la façon dont la mission Lescure interprète les données à sa disposition. Le point
commun des trois études que ladite mission prend en considération est de véhiculer l’idée
selon laquelle la révolution numérique est moins profitable aux contenus culturels qu’aux
autres acteurs du numérique. Le problème méthodologique que nous évoquons réside
dans la conclusion que tire la mission Lescure de ces tendances : elles dessineraient un
paysage caractérisant un transfert de valeur au détriment de l’industrie culturelle. Ce
transfert de valeur n’est cependant en rien démontré.
b) De l’art de vouloir corriger un non-transfert de valeur
Parler de transfert de valeur c’est considérer que, tel le principe des vases communicants,
ce qui est dépensé par les ménages pour les équipements technologiques et pour l’accès
aux biens culturels ne l’est pas pour les biens culturels eux-mêmes. La validité de cette
relation causale ne va pas de soi et, de plus, ne résiste pas à l’analyse des
comportements de consommation des ménages.
Des concordances riches d’enseignements
Pour que l’idée même d’existence d’un transfert de valeur au sein des trois grands postes
des dépenses culturelles ou connexes – tels qu’ils ont été considérés ici – soit admissible,
il est nécessaire au préalable de montrer qu’il existe au sein de ces dépenses des
variations dans leur ventilation. Un regard sur l’évolution de cette ventilation depuis 2000,
39 Plateformes de services, fournisseurs de contenus, équipementiers grand public, équipementiers réseaux et
opérateurs réseaux.
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qui précise ce que laisse entendre le graphique proposé à la page précédente, permet de
tirer plusieurs leçons intéressantes.
Un premier constat à dresser est qu’il existe bel et bien une diminution de la part des
dépenses en biens et services culturels dans le total des dépenses culturelles et connexes
des ménages, puisqu’entre 2000 et 2014 cette part passe de 42,3 % à 37,8 %. Si
l’augmentation de 2,4 points de cette part entre 2009 et 2014 ne saurait masquer sa
baisse substantielle sur l’ensemble de la période considérée, elle traduit cependant une
inversion de tendance qui mérite d’être soulignée.
Un deuxième constat est celui de la hausse particulièrement marquée des dépenses
permettant l’accès aux contenus culturels qui, dans l’ensemble des dépenses culturelles
et connexes, passent de 33,8 % à 39,3 % entre 2000 et 2014. Contrairement à ce qui se
passe pour les dépenses en biens et services culturels, cette part tend cependant à
diminuer depuis 4 ans.
Enfin, un troisième constat est celui d’une baisse relative des dépenses en équipements
technologiques qui passent de 23,9 % à 22,9 % en 2014 avec, comme pour les dépenses
en biens et services culturels, une tendance haussière au cours des dernières années
(depuis 2011).
Ces trois constats permettent de souligner qu’il est difficile de justifier une taxe sur les
appareils connectés par l’existence d’un transfert de valeur des biens et services culturels
vers les équipements technologiques, étant entendu que la part de chacun de ces deux
postes dans l’ensemble des dépenses culturelles est en décroissance.
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Cela étant, l’idée pourrait être émise qu’il existe un transfert de valeur des biens et
services culturels (et dans une moindre mesure des équipements technologiques) aux
dépenses qui permettent l’accès aux contenus culturels ; or ce serait commettre une
erreur fondamentale : assimiler concordance et causalité.
Dépenses culturelles et connexes : de nombreuses dynamiques autonomes
L’une des idées que le terme « transfert de valeur » véhicule est qu’il existe chez les
consommateurs une propension à arbitrer entre les trois postes des dépenses culturelles
et connexes. Or rien ne permet d’affirmer l’existence de tels arbitrages.
En premier lieu, il est nuisible d’omettre la prise en compte des éléments conjoncturels
dans l’analyse de l’évolution des dépenses culturelles et connexes.
L’évolution de la part des dépenses culturelles et connexes des ménages dans leurs
dépenses totales depuis 2000 met en exergue plusieurs informations essentielles :
i. Une continue et légère baisse de la part des dépenses en biens et services
culturels ;
ii. Une tendance analogue en ce qui concerne les dépenses en équipements
technologiques ;
iii. Une chute très marquée depuis 2010 de la part des dépenses permettant
notamment l’accès aux contenus culturels qui succède à une période
haussière ;
iv. Plus largement, une forte baisse depuis le milieu des années 2000 de la part
de l’ensemble des dépenses culturelles et connexes.
Le lecteur notera la concordance entre cette forte baisse et le surgissement en 2008 de la
crise économique. Cette crise n’impacte évidemment pas de la même manière les trois
grands postes, différemment sensibles à la conjoncture et aux nécessités de la vie
quotidienne.
Par exemple, les dépenses permettant notamment l’accès aux contenus culturels sont
aujourd’hui majoritairement pré-engagées et indispensables à une majorité de
consommateurs (communications téléphoniques, relations sociales, échanges
d’informations dans le cadre du travail, etc.). L’environnement conjoncturel défavorable à
partir de 2008 n’a donc eu qu’un impact marginal sur « l’effet volume » de ce type de
dépenses pouvant être qualifiées de contraintes. En réalité, « l’effet prix » joue à plein pour
expliquer la baisse de la part de ces dépenses. Notamment, la baisse des prix des forfaits
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mobiles grâce à l’arrivée de la quatrième licence mobile est le facteur qui explique cette
baisse40.
A contrario, les dépenses en biens et services culturels tout comme les dépenses en
équipements technologiques sont à l’évidence plus sensibles à la conjoncture. Non pré-
engagées, elles dépendent de l’évolution du revenu disponible une fois les dépenses
contraintes déduites.
La part des dépenses pré-engagées dans les dépenses de consommation finale passe de
31,4 % à 34,2 % entre 2000 et 2014. Cette croissance soutenue de la part des dépenses
pré-engagées est principalement la conséquence de l’explosion des dépenses des
ménages pour le logement, l’eau le gaz et l’électricité qui ont crû 41,4 % plus vite que les
dépenses de consommation totales des ménages sur la période41.
Dans un environnement marqué par une baisse du pouvoir d’achat des ménages (- 2,2 %
entre 2007 et 2014 d’après l’INSEE), les dépenses non-contraintes sont celles qui sont le
plus rognées par les consommateurs. A ce titre, la baisse des dépenses en biens et
services culturels, mais également de loisirs, possède une explication conjoncturelle qui
doit modérer l’idée de l’instauration d’une taxe structurelle.
En plus de montrer que les données macroéconomiques ne valident pas l’idée d’un
transfert de valeur des biens et services culturels vers les équipements technologiques,
l’étude de l’UFC-Que Choisir met donc en évidence que les dynamiques propres des
différentes dépenses culturelles et connexes ne permettent pas de valider les hypothèses
qui font fi des divers facteurs exogènes au secteur culturel et connexe qui influencent
leurs évolutions.
2. Les consommateurs, véritables payeurs… contre l’esprit même de cette
taxe
a) Un impact direct sur le pouvoir d’achat des consommateurs : une illustration par la
redevance pour copie privée
Au-delà d’une interrogation sur la validé des postulats émis pour justifier l’application
d’une taxe sur les appareils connectés, il est nécessaire de se pencher sur les
conséquences concrètes qu’aurait son instauration. Cette taxe sur les appareils connectés
(sur les appareils étant directement connectés à Internet ou indirectement via un autre
appareil) toucherait un nombre relativement important de produits : téléviseurs,
smartphones, consoles de jeu, tablettes, liseuses, ordinateurs portables ou de bureau,
etc…
Une question mérite d’être tranchée : qui des équipementiers technologiques (Apple,
Samsung…), des distributeurs (Amazon, Fnac, Pixmania…) ou des consommateurs
paierait cette taxe ? Plusieurs scénarios sont à priori envisageables :
40 Voir l’étude de l’UFC-Que Choisir sur le secteur de la téléphonie mobile parue en avril 2014 :
http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1be23ef5fc1ca2542bbb96692d1
591ff.pdf
41 Nos calculs d’après les données de l’INSEE.
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i. Que les équipementiers abaissent le prix HT des biens qu’ils vendent aux
consommateurs directement ou via un distributeur pour que le prix TTC, une
fois appliquée la taxe sur les appareils connectés, ne soit pas modifié par
rapport à celui qui prévalait avant l’application de la taxe ;
ii. Que les équipementiers maintiennent le prix HT et que les distributeurs
prennent en charge le produit de cette taxe en abaissant leurs marges ;
iii. Que ni les équipementiers ni les distributeurs ne modifient leurs
comportements en matière d’élaboration des prix et qu’en conséquence, via
une hausse du prix des objets tombant dans le champ de la taxe sur les
appareils connectés, les consommateurs soient ceux qui s’acquittent
effectivement du produit de ladite taxe.
Le taux de 1 % envisagé pour cette taxe sur des produits dont les prix constatables sur le
marché peuvent osciller de près de 100 à plus de 1 000 euros aboutit à ce que cette taxe
représente, environ, de 1 à 10 euros par produit. Or, l’expérience de la redevance pour
copie privée permet de souligner la probabilité que ces montants soient intégralement
répercutés sur les prix et donc que cette taxe soit directement payée par les
consommateurs et non, indirectement, par les équipementiers et les distributeurs.
En effet, l’UFC-Que Choisir a mis en évidence dans une étude publiée en novembre 201442
que ce sont les consommateurs, et non les industriels ou les distributeurs, qui payent la
redevance pour copie privée. Il paraît à l’évidence inenvisageable qu’il en soit autrement
pour la taxe sur les appareils connectés (a fortiori car il s’agit d’une taxe et non d’une
redevance prélevée en premier lieu sur les industriels/importateurs comme c’est le cas
dans le cas de la copie privée).
En conséquence, l’application de cette taxe aboutirait à la situation paradoxale que son
fondement, « faire contribuer les fabricants et les distributeurs de matériels au
financement de la création », ne serait en aucun cas réalisé : les consommateurs seraient
les réels payeurs de cette taxe, ce qui est un nouvel élément venant la discréditer.
Un véhicule inadapté pour percevoir la rémunération pour copie privée
Une idée émise par le rapport Lescure est de faire de cette taxe le relais pour percevoir la
redevance pour copie privée, qui ne serait plus en conséquence en lien direct avec la
pratique de la copie privée propre à un produit donné à une capacité donnée, mais
proportionnée au prix de vente du matériel.
Au regard de l’importance pour l’UFC-Que Choisir que les sommes perçues par les ayants
droit en raison de la pratique de la copie privée soient strictement corrélées au préjudice
réel qu’ils subissent, l’association juge qu’une taxe touchant indifféremment les produits
qui contiennent les copies privées est inadaptée.
42
http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe
e31f0.pdf
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La taxe sur les appareils connectés, qui pèserait fort probablement non pas sur les
équipementiers mais sur les consommateurs, ne peut par définition en aucun cas remplir
l’objectif de faire contribuer ces équipementiers au financement de la création. En
conséquence, l’UFC-Que Choisir, soucieuse de garantir aux consommateurs que leur
pouvoir d’achat ne soit pas injustement grevé, s’oppose à ce qu’une taxe sur les appareils
connectés, telle qu’elle est présentée dans rapport Lescure, soit mise en place.
Cela étant, le fait que les consommateurs soient les réels payeurs de cette taxe pourrait
ne pas arrêter ses promoteurs, enclins à apporter de nouvelles ressources au monde de la
culture, d’où qu’elles proviennent. Aussi, il n’est pas inutile de se pencher sur la finalité
même de cette taxe afin de déterminer si à cette aune elle peut cependant se targuer
d’une certaine justification.
b) Faut-il (ré)compenser l’absence d’adaptation de l’industrie de la musique au
numérique ?
Bien que les fondements évoqués dans le rapport Lescure pour justifier la taxe qui y est
proposée ne brillent pas par la robustesse qui leur est pourtant prêtée, il est convenable
de dépasser cette faille analytique pour s’interroger plus largement sur l’opportunité de
mettre en place une taxe sur les appareils connectés sous l’angle de sa finalité. Le produit
de cette taxe, qui abonderait un compte d’affectation spéciale, aurait vocation à soutenir
« la transition numérique des industries culturelles », et en particulier le secteur de la
musique. Il serait notamment question d’apporter des aides financières aux majors de la
musique (Universal, Sony et Warner) pour qu’ils numérisent les fonds de leurs catalogues
et élargissent ainsi l’éventail des œuvres légalement disponibles.
Si l’objectif d’une vaste numérisation des œuvres phoniques est en soi louable, le fait
qu’une taxe dédiée autorise sa réalisation la plus rapide possible ne manque pas
d’étonner. En effet, il est difficilement concevable que les consommateurs financent une
opération qu’une industrie de la musique qui n’aurait pas tardé à prendre le tournant du
numérique aurait de longue date dû prendre à sa charge, dans la perspective de pouvoir
monétiser dans l’univers numérique les nouvelles œuvres numérisées.
Si néanmoins cette finalité devait être partagée par le gouvernement, alors il serait
indispensable qu’une réflexion préalable sur l’opportunité de faire appel à une nouvelle
source de financement soit entreprise. En effet, il existe déjà un grand nombre d’outils qui
participent au financement de la création, ou au monde de la culture plus généralement,
et contraignent l’observateur à s’interroger sur la nécessité de solliciter un énième levier
de financement du monde de la culture.
3. Avant toute autre taxe, un indispensable audit sur l’adéquation entre les
besoins du monde de la culture et son financement public
En juillet 2012, juste avant le lancement des travaux de la mission Lescure – et anticipant
qu’un penchant pour la taxe ne manquerait pas de se manifester – l’UFC-Que Choisir
demandait la mise en place d’un « audit approfondi sur le financement de la culture. En
effet, il serait inacceptable de créer de nouvelles sources de financement sans connaître
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au préalable l’ensemble des revenus de la culture (leurs provenances et leurs
affectations), mais aussi les besoins réels du secteur »43.
Près de quatre ans après cette légitime demande, force est de constater qu’aucun audit
public sur l’efficacité du financement de la culture en France n’a été réalisé même s’il
convient d’indiquer que plusieurs publications sont depuis venues éclairer la situation –
sans toutefois atteindre la complétude attendue par l’UFC-Que Choisir. Notamment, la
Cour des comptes a publié en 2014 un rapport particulièrement intéressant – que nous
allons mobiliser par la suite – sur les soutiens à la production cinématographique et
audiovisuelle en soulignant leur «efficacité économique incertaine ». Si ce rapport
constitue une excellente base pour répondre à notre demande, il se limite à un secteur –
certes le plus gourmand en financements publics – sans mesurer ses besoins réels alors
que cela est indispensable. Aussi, si la participation de la puissance publique au
financement de la culture est désormais relativement bien établie44, il est toujours
malaisé de déterminer dans quelle mesure ces ressources correspondent à des besoins
clairement identifiés.
a) Un important financement public…
Le financement public de la culture est polymorphe. Il passe bien évidemment par les
crédits alloués à différents ministères, au premier chef desquels le ministère de la Culture
et de la Communication. Il passe aussi par différentes taxes affectées ou encore par les
dépenses fiscales. Il passe également par les différentes collectivités territoriales.
L’ensemble de ce financement pèse pour un peu plus de 20 milliards d’euros en 2014.
43 http://www.quechoisir.org/telecom-multimedia/communique-lancement-de-la-concertation-sur-l-acte-ii-de-
l-exception-culturelle-francaise-la-plateforme-chere-copie-privee-veillera-a-ce-que-pierre-lescure-fasse-plus-et-
tellement-plus-encore
44 Sans pour autant que le poids du secteur culturel dans l’économie française n’ait été clairement établi.
Même si de nombreux rapports se sont intéressés à la question, ils ne convergent pas vers une unique et
fiable estimation de ce poids. Les groupes d’intérêts se sont emparés des résultats les plus spectaculaires –
provenant de rapports commandés par leur soin pour plaider pour le maintien de « l’exception culturelle
française ». Pour une analyse critique de ces rapports, on consultera à profit l’excellent papier du Professeur
Patrick Messerlin :
http://gem.sciences-
po.fr/content/publications/pdf/audiovisual/Messerlin_FrenchAudiovisualPolicy092014_FR.pdf
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Bien évidemment, cette sommation45, si elle offre une vision relativement exhaustive du
financement public de la culture et de la communication, ne permet pas de cadrer
finement le financement de la culture en tant que tel. En fixant l’attention uniquement sur
les dépenses directes et indirectes de l’Etat pour la culture et la communication et
excluant dans ce cadre les dépenses de personnel, c’est la somme de 10 milliards qui est
consacrée en 2014. Divers programmes ventilent l’utilisation de ces sommes parmi
lesquels le patrimoine, ou encore l’aide à la création qui se monte, pour le seul ministère
de la culture et de la communication, à 747,2 millions d’euros.
A travers ce financement public de la culture, c’est en grande partie le contribuable qui
est sollicité (celui d’aujourd’hui et celui de demain en raison du déficit public qui nécessite
un recours à l’emprunt) via l’impôt. L’acte de consommation lui-même participe à ce
financement de la culture : il s’agit des revenus tirés des taxes fiscales affectées au
domaine de la culture.
Comme indiqué supra, elles représentent 848 millions d’euros en 2014 qui proviennent
de 10 taxes ou redevances, dont les principales sont la taxe sur les services de télévision
(498,5 millions d’euros) et la taxe sur les entrées en salles de cinéma (148 millions
d’euros) qui financent toutes deux le Centre national du cinéma et de l’image animée
(CNC). Si la première est majoritairement assise sur les recettes publicitaires des chaines
de télévision (et donc fait très minoritairement participer les consommateurs) la seconde
est directement liée à l’acte consumériste puisqu’elle est assise sur les revenus tirés de la
billetterie de cinéma (au taux de 10,72 % en métropole).
L’objet n’est pas ici d’interroger dans le détail la pertinence de l’ensemble des postes de
dépenses en matière culturelle, ni même de chiffrer la façon dont les différentes taxes
affectées touchent directement le pouvoir d’achat des consommateurs. Il est d’indiquer
45 On notera que cette sommation peut aboutir à un double comptage des ressources publiques consacrées à
la culture au regard de l’existence de subventions de l’Etat vers les collectivités territoriales (non estimées).
Cela étant, le chiffre total que nous évoquons constitue probablement une sous-estimation si on considère
qu’il ne tient pas compte du financement de la culture assuré dans les communes de moins de 10.000
habitants et qu’il laisse de côté la problématique du régime d’assurance chômage spécifique aux
intermittents du spectacle.
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que les ressources financières de la culture sont larges et d’en tirer la conséquence qu’il
convient avant de mettre en place de nouveaux dispositifs fiscaux de se demander si ceux
déjà existants sont nécessaires et efficaces.
b) … pour une efficacité contestable
Si cette interrogation sur la nécessité et l’efficacité de certains financements publics de la
culture se justifie dans le cadre général d’une réflexion sur la bonne utilisation des deniers
publics, elle s’appuie cependant sur des critiques émises par la Cour des comptes sur les
aides publiques venant soutenir la production cinématographique.
Dans un rapport daté d’avril 201446, la Cour des comptes note ainsi à la fois l’explosion
des aides directes à la production cinématographique et audiovisuelle entre 2002 et
2012 (+ 87,8 %), la redondance entre différents dispositifs d’aides, une inflation des coûts
de production des films alimentée par le système de soutien, ou encore l’existence d’un
manque de transparence des conditions de financement. Elle appelle également à mettre
fin à « la surenchère vaine et coûteuse » des dispositifs fiscaux conçus pour attirer et
maintenir sur le territoire national des productions cinématographiques et télévisuelles.
Au-delà même de ces critiques, c’est l’absence de définition des besoins du secteur
cinématographique et audiovisuel qui est pointée du doigt par la Cour des comptes. Or,
comme cela est demandé par l’UFC-Que Choisir, un panorama clair et exhaustif de ces
besoins est indispensable, que cela concerne le cinéma et l’audiovisuel en particulier, ou
le monde de la culture en général.
Pour l’UFC-Que Choisir, une condition nécessaire à l’instauration d’une nouvelle
contribution des consommateurs au financement de la culture est la démonstration
préalable de l’impossibilité de réallouer des ressources existantes, inefficaces, voire
indûment, employées. L’UFC-Que Choisir réitère donc sa demande d’un audit de
l’efficacité du financement public de la culture qui ne saurait omettre la détermination
des besoins réels du secteur.
Partant de la demande formulée dans le rapport Lescure de mettre en place une taxe sur
les appareils connectés, cette partie de l’étude de l’UFC-Que Choisir a permis d’identifier
les nombreux éléments qui aujourd’hui justifient que les consommateurs ne s’y associent
pas. Le principal obstacle qui émerge d’un point de vue consumériste est bien entendu le
fait que les consommateurs seraient les véritables payeurs d’une taxe dont le dessein
originel est pourtant de faire contribuer les fabricants d’équipements technologiques au
financement de la culture. Sans même avoir eu à juger la pertinence générale de ce mode
de financement de la culture, il a été ici démontré qu’une bonne lecture de l’évolution des
dépenses des consommateurs ne permet pas de valider l’hypothèse d’un transfert de
valeur des industries culturelles aux équipementiers technologiques causé par l’évolution
des comportements consuméristes.
Plus largement, cette partie a permis de souligner que compte tenu des doutes sérieux
sur l’efficacité des ressources substantielles permettant le financement des politiques
culturelles en France, une nouvelle taxe culturelle grevant le pouvoir d’achat des
consommateurs ne saurait être mise en place sans qu’au préalable le bienfondé d’une
réallocation de ressources déjà existantes ne soit objectivement démenti. Pour cela, l’UFC-
46 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000197.pdf
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Que Choisir demande la mise en place d’un audit sur l’adéquation entre les besoins du
monde de la culture et le financement public de la culture, et sur l’efficacité du
financement public de la culture.
Enfin, et en lien avec la précédente, cette partie a permis de souligner que pour l’UFC-Que
Choisir la rémunération de la culture doit être en lien direct avec l’acte de consommation
des œuvres culturelles. Ce légitime positionnement vient rappeler la nécessité de ne pas
considérer la redevance pour copie privée comme une rémunération, comme c’est
aujourd’hui le cas en France47, mais bien à rappeler son caractère indemnitaire.
III. Redevance pour copie privée : une nécessaire
clarification de la notion de préjudice doit être faite au niveau
européen
Attendue de longue date par l’UFC-Que Choisir, la révision de la directive 2001/29/CE du
Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains
aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (ci-après la
« directive Société de l’information ») est aujourd’hui l’une des ambitions affirmées par la
nouvelle Commission européenne. Cette révision, qui doit aboutir à une proposition
législative de la Commission d’ici à la fin de l’année, s’inscrit dans sa stratégie pour un
marché unique numérique en Europe48. Dans ce cadre, et alors que le gouvernement
français a fait siennes les positions des ayants droit, il apparait indispensable à l’UFC-Que
Choisir de faire entendre la voix des consommateurs pour qu’elle pèse dans les
négociations.
1. Malgré l’étude de l’UFC-Que Choisir de 2014, les lignes n’ont pas bougé au
niveau français
En 2014 l’UFC-Que Choisir publiait une étude sur la copie privée49 mettant en évidence le
scandale constitué par l’organisation de la redevance pour copie privée en France et y
listait les indispensables réformes à réaliser pour que les consommateurs puissent
adopter un regard bienveillant sur cette redevance. Or le cours des événements au niveau
français depuis cette publication permet non pas d’envisager une évolution positive du
mécanisme de la redevance pour copie privée, mais au contraire son évolution au
détriment des consommateurs.
a) Bref rappel des faits saillants de notre étude sur la redevance pour copie privée
47 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025001493&categorieLien=id
48 http://ec.europa.eu/priorities/digital-single-market/docs/dsm-communication_fr.pdf
49
http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe
e31f0.pdf
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L’étude sur la redevance pour copie privée publiée par l’UFC-Que Choisir en novembre
2014 a mis en lumière la singularité de la France dans l’environnement européen. Cette
singularité tient en ce que les consommateurs français sont, et de loin, ceux qui au sein
de l’Union européenne sont le plus mis à contribution dans le cadre de la collecte de cette
redevance50. Ainsi, en 2013, les revenus collectés en France par les Sociétés de
Perception et de Répartition des Droits (SPRD) au titre de la redevance pour copie privée
étaient, par habitant, 5 fois supérieurs en France à la moyenne européenne (hors France).
Remontant la chaine des causalités, l’étude montrait successivement que ce haut niveau
de prélèvements était la conséquence de l’application de barèmes très élevés sur les
biens assujettis (disques durs externes, clés USB, smartphones…), elle-même directement
liée à la méthodologie non-objectivée de détermination des barèmes au sein d’une
commission construite pour favoriser le poids des ayants droit, et par suite la réalisation
de leurs volontés.
A l’aune de ces constats l’UFC-Que Choisir demandait alors une réforme en profondeur de
la commission copie privée en France.
b) Depuis cette étude, les craintes d’une aggravation de l’impact du
dysfonctionnement de la redevance pour copie privée en France
Postérieurement à la publication de cette étude, et au regard de la situation de blocage
d’alors de la commission chargée d’établir les barèmes de la redevance, les pouvoirs
publics se sont saisis du sujet de la redevance pour copie privée.
En premier lieu une mission de médiation a été lancée par le ministère de la culture pour
évoquer les conditions de déblocage de la commission copie privée51. En second lieu une
mission d’information a été lancée à l’occasion des 30 ans de la redevance pour copie
privée52. Si au global les conclusions des travaux menés relayaient les écueils du mode
d’organisation de la redevance pour copie privée soulignés par l’UFC-Que Choisir, une
certaine pusillanimité était constatable dans les propositions de réformes du système.
Notamment, aucune modification du mode de gouvernance de la commission ni
proposition de refonte radicale de la méthodologie d’élaboration des barèmes n’était
proposée53.
C’est ainsi sans surprise que le projet de loi Liberté de la création, architecture et
patrimoine présenté en Conseil des ministres en juillet 2015 n’a pas jugé utile de
s’intéresser à la copie privée. Cela étant les ayants droit ont pu constater sans déplaisir
que lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat certains
parlementaires intéressés, par la question, ont su relayer leur demande
d’assujettissement du cloud. Autrement dit, et bien que le texte soit encore discuté au
50 On précisera que le constat que nous émettions alors ne caractérise pas la situation en 2014, où la
perception par habitant en Allemagne dépasse, de façon très peu marquée, celle en France (cf.
http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_1037_2016.pdf). Il s’agit vraisemblablement d’une
situation qui toutes choses égales par ailleurs ne se constatera plus en 2016 puisque les barèmes en
Allemagne ont été revus à la baisse.
51 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Propriete-litteraire-et-
artistique/Commission-pour-la-remuneration-de-la-copie-privee/Communiques-de-presse/Remise-du-Rapport-
Mauguee-sur-le-fonctionnement-de-la-commission-copie-privee
52 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2978.asp#P114_5078
53 On précisera ici que le cahier des charges fixé par le ministère de la culture à la médiatrice imposait à cette
dernière de penser à droit constant et restreignait en conséquence fortement sa capacité à émettre des
propositions d’évolutions structurelles concernant le fonctionnement de la commission copie privée.
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parlement, la voie prise par le système de la redevance pour copie privée ne la mène pas
vers une amélioration qui le légitimerait, mais vers une amplification de son
dysfonctionnement au seul préjudice des consommateurs.
Sans aller jusqu’à acter l’impossibilité structurelle de faire favorablement évoluer la
situation de la redevance pour copie privée en France, l’UFC-Que Choisir ne peut que
constater que cette évolution légitime, pour se faire rapidement, doit être imposée à la
France par l’échelon communautaire.
Sans surprise, cette demande de l’UFC-Que Choisir n’est pas partagée par le
gouvernement français. Les « propositions des autorités françaises pour la modernisation
du droit d’auteur dans le marché unique numérique », exprimées dans une note54 datant
d’avril 2015 et donc visant à s’inscrire dans la réflexion de la Commission européenne qui
planche sur une proposition législative, soulignent notamment qu’il ne paraît pas justifié
d’harmoniser l’exception en matière de copie privée. Parallèlement, ces autorités plaident
pour que « toute réouverture du cadre législatif applicable [soit] étayée sur des faits ». Du
parallélisme de ces deux propositions nait la cohérence boiteuse de la position que prend
le gouvernement français à Bruxelles. En effet, comme l’a montré l’étude de l’UFC-Que
Choisir les faits étayant la nécessité de réellement harmoniser l’exception pour copie
privée sont légion. La révision européenne doit impérativement avoir lieu.
2. Une indispensable harmonisation européenne
La dérive du mécanisme de la redevance pour copie privée en France est la conséquence
de l’incapacité de l’Union européenne à l’avoir réellement encadré au niveau européen. Or
ce déficit d’encadrement doit aujourd’hui être comblé dans le cadre de la révision de la
« directive société de l’information » et le nouvel encadrement souhaité doit prendre appui
sur une vision claire du préjudice économique pour les ayants droit né de la pratique des
copies privées.
a) Les manques de la directive « société de l’information » concernant l’exception
pour copie privée
La faillite actuelle de la redevance pour copie privée en France – faillite du système, pas
celle des ayants droit – découle de l’incomplétude de la directive « société de
l’information » dont les silences ont dû être comblés à de nombreuses reprises par la
Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans le cadre de recours préjudiciels initiés
par différentes juridictions d’Etats membres. Elle est de plus la conséquence d’une
certaine latitude laissée aux Etats membres sur trois éléments :
i. l’opportunité de mettre ou non en place dans leur législation l’exception pour
copie privée ;
ii. lorsqu’elle est mise en place, la nécessité ou non de compenser
financièrement cette exception ;
iii. lorsqu’il y a une compensation, sur les modalités de détermination et de
recouvrement de cette compensation.
Si aujourd’hui l’introduction de l’exception au droit exclusif pour copie privée est
largement répandue à l’échelle européenne, il demeure plusieurs éléments qui viennent
dessiner de multiples paysages quand il s’agit de compenser financièrement cette
54 https://cdn.nextinpact.com/medias/note-modernisation-droit-d-auteur-fr.pdf
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exception. Cette hétérogénéité est initiée par la directive DADVSI, notamment dans son
considérant 35 :
« Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent
recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate
pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la
détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle
compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à
chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice
potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas
où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par
exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou
séparé pourrait ne pas être dû. […] Certains cas où le préjudice au titulaire du droit
serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement ».
Il est ici remarquable qu’il n’existe pas d’obligation de paiement liée à l’introduction de
l’exception pour copie privée ce qui laisse une marge interprétative dans chaque Etat
membre comme d’ailleurs récemment rappelé par la CJUE dans son arrêt dans l’affaire
C-463/1255 (dit « arrêt Copydan »). Ainsi, sans d’ailleurs savoir sur quelles bases (nous y
reviendrons), charge à chaque Etat membre de déterminer s’il existe un préjudice pour les
ayants droit lié à l’introduction de l’exception pour copie privée.
Cette liberté laissée aux Etats membres se manifeste par des décisions non similaires au
sein de l’Union européenne quant aux modalités d’application de l’exception pour copie
privée. A titre d’illustration, le Royaume-Uni laisse la liberté aux consommateurs de
réaliser des copies privées tout en considérant que le préjudice que cette pratique
occasionne aux ayants droit est si minime qu’aucun mécanisme de compensation ne
saurait être justifié. Dès lors aucune redevance pour copie privée n’existe au Royaume-Uni
alors qu’elle existe dans les autres pays de l’Union européenne.
Dans ces autres pays, les modes de prélèvement de la redevance pour copie privée sont
très variés. Généralement, ce sont les consommateurs, via leurs actes d’achat de supports
accueillants ou pouvant accueillir de la copie privée, qui sont mis à contribution. Les
produits assujettis à la redevance pour copie privée (RCP) ne sont pas uniformément
retenus et ses modes de fixation sont variables selon les pays : soit forfaitairement, soit
proportionnellement au prix du bien via l’application d’une taxe. En Espagne la redevance
est prise en charge par l’Etat, ce ne sont donc pas les consommateurs mais les
contribuables qui sont mobilisés56.
Ces situations multiples engendrent des fortes disparités sur les prix des biens permettant
notamment le stockage de copies privées comme l’a illustré l’étude susmentionnée de
l’UFC-Que Choisir sur la copie privée dont nous reproduisons l’un des éléments marquants.
55
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=162691&pageIndex=0&doclang=FR&mo
de=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=165597
56 Il est notable qu’en Espagne ce système est venu remplacer en 2012 un système analogue à celui existant
en France. Cela n’a pas été sans conséquence sur les sommes collectées par les ayants droit puisque par
rapport à l’année précédente, elles ont chuté de 90 %. Ceci est la parfaite illustration de la malléabilité, dans
un lieu donné, de l’estimation de la « compensation équitable » selon que son payeur soit ou non le
consommateur.
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Cette étude mettait en évidence que les différences de prix HT constatées en Europe sur
des produits assujettis dans certains pays à la RCP (pays à niveaux de vie comparables à
celui en France) s’expliquent quasi exclusivement par la divergence des redevances
appliquées à ces produits.
Or la CJUE, dans un arrêt du 21 octobre 2010 dans l’affaire dite « Padawan »57 précise que
la directive « société de l’information », en étant notamment fondée sur l’article 95 CE vise
« à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur résultant de la
diversité des législations des Etats membres ». Il mérite donc d’être souligné que ces
différences marquées de prix, ne pouvant pas ne pas avoir d’effets transfrontaliers, sont
un élément majeur de distorsions de concurrence.
Ce qui surprend, c’est que ces différences dans l’application de l’exception pour copie
privée prennent appui sur une notion de « compensation équitable » qui devrait être
communément comprise au sein de l’Union européenne, comme l’a souligné l’arrêt
Padawan :
« La notion de « compensation équitable » […] est une notion autonome du droit de
l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme dans tous les Etats membres
ayant introduit une exception pour copie privée ».
Seulement, cet arrêt de la CJUE ne manque pas de contradiction interne puisque la CJUE
ajoute que cette interprétation se fait « indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci
de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même
directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de
cette compensation équitable » tout en affirmant par ailleurs que les Etats membres ne
sont pas libres de préciser les paramètres de la « compensation équitable » « de manière
incohérente et non harmonisée ». La contradiction naît de ce que l’absence
d’harmonisation et les incohérences de l’exception pour copie privée sont endogènes à la
liberté laissée aux Etats membres dans la fixation des paramètres.
57 http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=83635&doclang=FR
Culture à l’ère du numérique. Cultiver l’offre légale, désherber le terrain des financements illégitimes !
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Culture à l’ère du numérique. Cultiver l’offre légale, désherber le terrain des financements illégitimes !

  • 1. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 ACCES A LA CULTURE ET FINANCEMENT DE LA CREATION A L’ERE DU NUMERIQUE La disposition des consommateurs à payer pour une offre légale de qualité comme garantie d’un financement sain et vertueux de la culture
  • 2. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 2
  • 3. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 3 Résumé Lors des débats du milieu des années 2000 liés à la transposition de la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, une idée fausse avait conduit à l’élaboration de mauvaises mesures. Cette idée fausse, véhiculée par les industries culturelles, était que dans un environnement où se développait la disponibilité des œuvres culturelles numériques sur internet, les consommateurs, « pirates » par nature, se détournaient de l’offre légale pour adopter des pratiques illicites. Dès lors, et au lieu de mettre en place des mécanismes visant à améliorer une offre légale particulièrement pauvre, différentes mesures répressives ont successivement été mises en place, aboutissant en bout de chaine à la création de la HADOPI. Par ailleurs, au- delà de ces mesures, des réflexions sur le financement de la culture et de la création se sont développées, visant à développer des mécanismes, ou dévoyer des mécanismes déjà existants, afin de fournir de nouveaux revenus au milieu culturel. L’UFC-Que Choisir a constamment souligné le manque de pertinence de cette logique d’ensemble en mettant en avant que la décroissance des revenus du secteur culturel tenait non pas à l’absence de disposition des consommateurs à payer pour les œuvres culturelles, mais à l’incapacité des industries culturelles à adapter leurs offres dans un environnement bouleversé par le développement du numérique. Dix ans après le vote en France de la loi DADVSI et alors qu’une réforme fondamentale du cadre législatif européen se profile, l’UFC-Que Choisir a décidé de porter un regard approfondi sur l’évolution des comportements consuméristes en termes d’achats culturels dans l’univers numérique et de les mettre en perspective avec l’évolution de l’offre légale. Il ressort de cette analyse que l’offre légale, portée par des services innovants promouvant un nouveau mode d’accès à la culture, le streaming, s’est globalement améliorée. Cette amélioration a eu deux conséquences majeures. Tout d’abord les consommateurs ont très largement adopté ces nouveaux services : la croissance soutenue des revenus du streaming audio (+ 350 % entre 2010 et 2015) souligne l’appétence des consommateurs pour ce mode de consommation et offre à l’industrie musicale un relais de croissance alors que les supports physiques poursuivent leur déclin. Cette appétence se traduit également sur les œuvres cinématographiques et audiovisuelles puisqu’aujourd’hui on peut estimer le nombre de foyers disposant d’un service de vidéo à la demande avec abonnement à 1,5 million. Ainsi, l’existence d’un consentement à payer pour une offre légale de qualité à un tarif abordable est plus que jamais démontrée. Ensuite, et corolairement à la première conséquence, on peut noter une décroissance des pratiques illicites qui prouve que les consommateurs – contrairement à l’image qu’on voudrait en donner – ne sont pas substantiellement attirés par l’illicéité gratuite en matière de culture. Ces éléments permettent de souligner l’existence d’un fort potentiel de croissance des industries culturelles – pour peu que les freins persistants au développement plus poussé de l’offre légale soient levés – et qu’à ce titre la rémunération de la culture et son financement sont tout à fait aptes à être assurés par les revenus tirés de la consommation directe des œuvres culturelles par les consommateurs. Dès lors, la recherche de revenus complémentaires par la taxation des consommateurs perd de sa légitimité.
  • 4. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 4 C’est ainsi que partant de la proposition d’instaurer une taxe sur les objets connectés du rapport Lescure (2013), nous démontrons son manque de pertinence, qui plus est dans un environnement marqué par une inefficience du considérable financement public de la culture en France (20 milliards d’euros par an). De plus, le dévoiement de la redevance pour copie privée en France, considérée à tort comme une rémunération, du législateur aux ayants droit, est plus que jamais injustifié. Alors qu’une juste refonte du mécanisme de la redevance pour copie privée semble exclue en France, il serait inacceptable que la Commission européenne, qui doit présenter à l’automne 2016 un projet de révision de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, privilégie le statu quo sur l’exception pour copie privée, au détriment de son indispensable harmonisation, que ce soit sur la définition du préjudice économique ou encore une méthodologie commune pour le calculer. Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’UFC-Que Choisir, partisane d’un financement sain et vertueux de la culture, et soucieuse de la préservation des droits des consommateurs dans l’univers numérique demande : - Au gouvernement de lancer un audit sur le financement public de la culture en mettant l’accent sur son efficacité par rapport aux besoins réels des industries culturelles et à la demande des consommateurs ; - A la Commission européenne de profiter de la révision à venir de la directive 2001/29 pour harmoniser l’exception pour copie, notamment en définissant une méthodologie objective de détermination du préjudice subi par les ayants droits en raison de la pratique de copie privées ; - L’extension du principe de l’épuisement du droit de distribution (c’est-à-dire la capacité pour l’acheteur d’un bien culturel de le donner, le prêter ou encore le vendre) à toute œuvre culturelle numérique acquise dont la copie est rendue impossible par la présence de mesures techniques de protection.
  • 5. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 5 Table des matières RESUME.................................................................................................................................3 TABLE DES MATIERES.........................................................................................................5 I. CONSOMMATION D’ŒUVRES CULTURELLES SUR INTERNET : UNE FORTE CROISSANCE DE LA CONSOMMATION LICITE ET UNE BAISSE DES PRATIQUES NON AUTORISEES .........................................................................................................................6 1. LA CONSOMMATION DES ŒUVRES CULTURELLES POUSSEE PAR LE NUMERIQUE ...................6 2. COMPORTEMENTS ILLICITES : QUAND L’EXPLOSION ANNONCEE FAIT « PSCHITT » ...............15 II. TAXE SUR LES OBJETS CONNECTES : UNE JUSTIFICATION PLUS QU’INCERTAINE POUR UN IMPACT SUR LE POUVOIR D’ACHAT DES CONSOMMATEURS PLUS QUE CERTAIN ..............................................................................................................................21 1. UN « TRANSFERT DE VALEUR » BASE SUR UNE FAUSSE LOGIQUE .......................................21 2. LES CONSOMMATEURS, VERITABLES PAYEURS… CONTRE L’ESPRIT MEME DE CETTE TAXE ..28 3. AVANT TOUTE AUTRE TAXE, UN INDISPENSABLE AUDIT SUR L’ADEQUATION ENTRE LES BESOINS DU MONDE DE LA CULTURE ET SON FINANCEMENT PUBLIC ..........................................30 III. REDEVANCE POUR COPIE PRIVEE : UNE NECESSAIRE CLARIFICATION DE LA NOTION DE PREJUDICE DOIT ETRE FAITE AU NIVEAU EUROPEEN .............................34 1. MALGRE L’ETUDE DE L’UFC-QUE CHOISIR DE 2014, LES LIGNES N’ONT PAS BOUGE AU NIVEAU FRANÇAIS ................................................................................................................34 2. UNE INDISPENSABLE HARMONISATION EUROPEENNE ......................................................36 CONCLUSION ET DEMANDES DE L’UFC-QUE CHOISIR..................................................44
  • 6. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 6 I. Consommation d’œuvres culturelles sur internet : une forte croissance de la consommation licite et une baisse des pratiques non autorisées Si le déclin des supports culturels physiques entamé dans les années 2000 se poursuit et se traduit au global par une chute de la valeur du marché de la culture (en le réduisant ici à la musique, à la vidéo et au livre1), une vision optimiste de l’avenir du secteur culturel peut être adoptée. En effet, si on fixe l’attention sur les dépenses des consommateurs pour les œuvres dématérialisées, leur dynamisme actuel peut légitimement être considéré comme susceptible de faire croître les revenus globaux du secteur culturel dans un avenir proche. L’objectif de cette partie est double. Il s’agit tout d’abord de mettre en lumière à la fois ce dynamisme et les obstacles qui se dressent pour qu’il se prolonge durablement. Il s’agit ensuite de s’intéresser aux comportements illicites des internautes, exercice qui permet de battre en brèches les idées reçues faisant systématiquement de l’internaute un pirate en puissance. 1. La consommation des œuvres culturelles poussée par le numérique a) Musique : une croissance massive des revenus du numérique tirée par le streaming Au cours des années 2000, pendant ce qu’on a pu appeler la « crise du disque », la filière musicale, et au premier chef les maisons de disques, ont expliqué cette chute du marché physique par l’appétence des consommateurs pour les comportements illicites et la gratuité. A l’opposé de cette vision erronée du comportement des consommateurs, l’UFC- Que Choisir mettait en évidence l’incapacité de l’industrie du disque à tirer profit de l’émergence du numérique pour développer des offres innovantes à des prix justes. Sans juger obsolète le marché physique, l’association considérait que les freins à la mise en place d’une offre légale numérique attractive ne permettraient aucunement un retour à la croissance du marché physique. L’UFC-Que Choisir considérait au contraire indispensable que les industries culturelles s’attachent à favoriser l’émergence de cette offre légale numérique attractive, seule à même de leur offrir un relais de croissance durable compte tenu de l’appétence des consommateurs pour la culture et ses nouveaux modes de diffusion, ainsi que par le maintien d’une disposition à payer pour la culture dans le cadre de la transition numérique. Aujourd’hui, force est de constater que la croissance des ventes numériques valide cette approche de l’UFC-Que Choisir. Cette croissance des ventes se traduit par une croissance impressionnante du chiffre d’affaires du marché numérique de la musique enregistrée de 73 % de 2010 à 2015. 1 Nous ne traitons pas dans cette partie du jeu vidéo, qui constitue un bien culturel. Nous introduirons les dépenses des consommateurs associées à ce secteur dans la deuxième partie du document.
  • 7. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 7 Téléchargement sur internet : un échec prévisible De longue date, l’UFC-Que Choisir a mis en lumière trois freins à l’adoption par les consommateurs de l’offre numérique en matière de musique : les prix élevés, la présence de mesures techniques de protections (MTP), et la pauvreté du catalogue. En termes de catalogue, le temps a permis de le rendre relativement attractif et satisfaisant. Le catalogue d’iTunes, service d’Apple, peut servir de référence pour l’attester. Le nombre de morceaux disponibles était de 10 millions début 20092, il est aujourd’hui de 30 millions3 (même s’il ne s’agit pas que de références uniques). Ce progrès ne suffit cependant pas à masquer la persistance des autres freins au développement du téléchargement licite. L’équivalence tarifaire globalement constatable entre les albums sous format physique et sous format numérique ne pouvait et ne peut toujours en aucun cas trouver une justification auprès des consommateurs. En effet, la valorisation des œuvres numériques est moins importante pour les consommateurs que celle des œuvres sous format physique. Pendant une bonne partie des années 2000, la présence de MTP sur les œuvres numériques empêchant d’en faire des copies ou encore de permettre leur interopérabilité aboutissait à rendre leur valeur d’usage inférieure à celle des œuvres sous format physique. Par la suite si l’abandon des MTP s’est généralisé, il a eu pour contrepartie une 2 http://www.nextinpact.com/news/77349-itunes-store-atteint-25-milliards-telechargements-musique.htm 3 https://support.apple.com/fr-fr/HT204951
  • 8. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 8 hausse des tarifs des œuvres numériques poussée par les maisons de disques4. Bien évidemment, cette hausse des prix n’a pas participé à l’attractivité du numérique, qui plus est alors que les consommateurs ne peuvent en aucun cas accepter une équivalence tarifaire entre numérique et physique quand les frais associés au numérique paraissent bien moindres que sur le physique (absence des coûts de production du CD, baisse des coûts de distribution, etc.). Un autre élément justifie que les consommateurs rejettent le bienfondé de cette équivalence tarifaire : l’absence de valeur d’échange du bien numérique. Effectivement, alors qu’un consommateur qui achète un CD conserve la possibilité de le vendre ou encore de le troquer, il en est privé lorsqu’il s’agit d’une œuvre numérique. Cette asymétrie légale due à l’existence de l’épuisement des droits de distribution du support physique et son absence pour l’œuvre numérique pose un réel problème en termes de droits des consommateurs qui se répercute sur le refus par ces derniers des prix de la musique numérique en téléchargement5. Dès lors, la présence des marqueurs de l’échec6 dans l’offre de musique numérique au téléchargement ne pouvait qu’aboutir à son rejet par les consommateurs et explique ainsi que les ventes d’œuvres musicales via les téléchargements ne se substituent pas aux ventes de supports physiques. Streaming : un mode de consommation payant qui répond à une demande La croissance des revenus des ventes numériques est tirée par les revenus du streaming dont la croissance de 350 % en 5 ans impressionne. Il est notable que la croissance de ce chiffre d’affaires est principalement tirée par l’offre de streaming avec abonnements (il y en aurait 3 millions en France7) quand les revenus du streaming tirés de la publicité sur les offres gratuites diminuent. Aujourd’hui le streaming tire 79 % de ses revenus des abonnements contre 60 % en 2010. Ce succès du streaming appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord la croissance relative des revenus tirés par les abonnements par rapport à ceux tirés des offres gratuites contre publicité permet de considérer que l’offre gratuite peut être perçue comme étant une promotion de l’offre payante. Ensuite, et surtout, ce succès permet de mettre en évidence l’existence indéniable d’un consentement à payer des consommateurs pour la culture sous format numérique. Autrement dit, l’image du consommateur « pirate » non désireux de payer les contenus culturels, savamment entretenue par l’industrie culturelle, perd de sa substance pour se heurter à la réalité. 4 http://www.zdnet.fr/actualites/apple-abandonne-le-tarif-unique-sur-itunes-39391379.htm 5 Au-delà de l’aspect monétaire, il conviendra d’indiquer également que cette asymétrie affecte la capacité d’un consommateur à prêter l’œuvre numérique, ce qui retire à l’œuvre numérique le lien social qu’elle peut être dans l’univers physique. 6 Pour ne pas charger davantage la barque, on fera ici l’impasse sur la qualité sonore au global inférieure de la musique numérique à celle fournie par CD qui affecte à l’évidence son attractivité, à minima pour les consommateurs les plus mélomanes. Si certaines plateformes proposent la vente d’œuvres musicales numériques d’une qualité égale à celle du CD, leur monétisation les rendant excessivement chères ne peut cependant emporter l’adhésion du public. 7 http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/12/21/32001-20151221ARTFIG00119-plus-de-trois- millions-de-francais-abonnes-a-de-la-musique-en-streaming.php
  • 9. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 9 Les offres du marché (et non de marché) structurées autour du prix psychologique de 9,99 € par mois rencontrent ainsi un succès certain auprès des consommateurs qui au- delà du constat que cette tarification correspond à la disposition des consommateurs à payer pour cette offre, met en lumière que les consommateurs sont prêts, pour certains, à adopter un mode de consommation de la musique qui les prive de la propriété de l’œuvre. Une bonne dynamique à favoriser qui ne pourra pas reposer uniquement sur le streaming La hausse importante du chiffre d’affaires de la musique enregistrée sous format numérique ne parvient pas encore à compenser la baisse du chiffre d’affaires du marché physique (- 52 millions d’euros entre 2014 et 2015). Elle souligne cependant qu’en tendance les revenus du numérique supplanteront à brève échéance ceux du physique : une dynamique de croissance des revenus globaux du secteur de la musique est en marche. Même si le modèle du streaming pourra tirer profit de la dynamique de croissance du taux d’équipement en smartphone, passé de 17 à 58 % entre 2011 et 20158, conjuguée à l’augmentation régulière des enveloppes de données utilisables dans les forfaits mobiles, il ne pourra cependant constituer le seul vecteur de croissance durable du secteur. D’une part il existe une limite naturelle au nombre de souscriptions à un service de streaming ; d’autre part tous les consommateurs n’accepteront pas d’inscrire leur comportement de consommation de musique digitale dans un modèle les empêchant de se constituer un patrimoine musical dématérialisé. Aussi, nécessairement, le secteur de l’industrie culturelle se doit de repenser les modalités de commercialisation des musiques téléchargeables, qui à terme déterminera la capacité du marché de la musique à retrouver ses sommets du début des années 2000. b) Vidéo : en réalité, un marché numérique en forte hausse Le lecteur cherchant à connaitre l’évolution des revenus de la vidéo à la demande aura vraisemblablement l’idée de se référer aux données publiées par le CNC. 8 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE- ARCEP_nov2015.pdf
  • 10. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 10 Ce lecteur serait pourtant dans l’erreur s’il comptait bâtir à l’aide de ces données une réflexion pertinente sur les tenants des évolutions présentées : en effet, les informations fournies par le CNC sur le chiffre d’affaires de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) relèvent de la fiction. Ces statistiques n’embrassent que parcellement le marché de la SVOD puisqu’elles n’intègrent pas les acteurs du marché les plus importants, comme Netflix ou CanalPlay9. Dans ces conditions, il n’est évidemment pas aisé de jauger avec pertinence les sommes réellement dégagées par les activités de SVOD et de juger plus généralement l’évolution du budget dégagé par les consommateurs pour acheter ou louer sur les plateformes l’accès à une œuvre audiovisuelle numérique. La réalité est que les chiffres publiés par le CNC ne rendent pas grâce au dynamisme de l’adoption par les consommateurs des services de SVOD. Ce marché est dominé par deux acteurs : CanalPlay et Netflix. Le premier revendiquait en septembre 2015 plus de 700.000 abonnés payants, chiffre ayant doublé par rapport à celui évoqué 18 mois auparavant10. A peu près à la même période, des analystes avançaient que Netflix, après moins d’un an de présence en France, compterait 750.000 abonnés11 ! Compte tenu du nombre important de services de SVOD12, on peut donc estimer à au moins 1,5 million le nombre de consommateurs abonnés à l’un de ces services. Dès lors, compte tenu des prix du marché oscillant autour de 10 euros par mois, on peut estimer qu’à nombre d’abonnés mensuels constant, les consommateurs dépensent aujourd’hui 9 http://www.zdnet.fr/actualites/quelle-est-la-taille-reelle-du-marche-francais-de-la-svod-39822986.htm 10 http://www.zdnet.fr/actualites/canalplay-a-plus-de-700000-abonnes-payants-39824396.htm 11 http://www.lesechos.fr/17/08/2015/lesechos.fr/021266524036_netflix-compterait-750-000-abonnes-en- france.htm On notera l’arrivée sur le marché à la fin de l’année 2015 du service de SVOD ZIVE, proposé par SFR/Numericable. Bien que l’opérateur prétende être le numéro 1 de la SVOD en France, le véhicule de commercialisation du service permet de douter que cela traduise en appétence du public pour ce service particulier (cf. http://www.clubic.com/pro/entreprises/sfr/actualite-794018-sfr-zive-revendique-numero-un- svod-sans-preuve.html) 12 Cf. http://www.offrelegale.fr/sites-et-services/categorie/vod-svod/mode_acces/abonnement. On notera une actualisation incertaine de cette liste dans le sens où Pass M6, qui y est référencé, est un service aujourd’hui fermé.
  • 11. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 11 180 millions d’euros par an pour ce type d’offre. A nouveau, l’image du consommateur non disposé à payer son accès aux œuvres culturelles se trouble. Une bonne dynamique de l’offre cinématographique et audiovisuelle dématérialisée à entretenir Ce succès de la SVOD, bien que récent et prometteur, ne saurait en lui-même assurer une croissance soutenue des revenus de l’industrie cinématographique et audiovisuelle engendrés par le numérique. D’une part il n’est pas acquis que la croissance du nombre d’abonnements à la SVOD se poursuive au rythme actuel. Qui plus est, elle trouvera nécessairement un plafond. Ce relais de croissance des revenus numériques que constitue la SVOD devra ainsi, du point de vue de l’industrie culturelle, nécessairement être amplifié et de plus trouver un complément. Or de nombreux freins brident aujourd’hui le développement de l’offre légale.  Des freins en termes de catalogue pour la SVOD Le succès des offres de SVOD pourrait ne pas se prolonger en raison de l’attrait limité de ces offres pour les consommateurs en termes de catalogues disponibles sur les plateformes, que cela concerne aussi bien les films que les séries. La chronologie des médias constitue un premier frein pour la construction d’un catalogue frais d’œuvres cinématographiques pour les services de SVOD. En effet, cette chronologie des médias impose qu’un film ne puisse être proposé à la diffusion sur une plateforme de SVOD qu’à partir du 36ème mois après sa sortie en salle. Le consommateur soucieux de pouvoir consulter des œuvres cinématographiques récentes ne pourra ainsi qu’être déçu en consultant les catalogues desdites plateformes.
  • 12. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 12 Le rapport de la mission Lescure13 préconisait ainsi en 2013 d’avancer la fenêtre d’exploitation des films sur la SVOD à 18 mois, sans d’ailleurs que ni les discussions entre les professionnels ni la loi ne viennent acter ce qui constituerait incontestablement un progrès. Cela étant, la chronologie des médias ne constitue qu’un frein qui une fois levé ne garantit pas pour autant la disponibilité des œuvres sur les catalogues des plateformes de SVOD. A titre d’exemple, on aura bien de la peine à trouver un succès en salle de 201214 au catalogue de CanalPlay15. Le cœur du problème concernant l’attractivité des œuvres cinématographiques se trouve donc dans la contractualisation de l’exploitation des droits entre producteurs et diffuseurs. Si on peut admettre que les diffuseurs de SVOD puissent ne pas voir l’intérêt économique d’acquérir les droits d’œuvres peu attractives pour une majorité de consommateurs (même s’il existe un intérêt pour accroître le nombre d’œuvres au catalogue, qui constitue un outil de marketing), on comprend bien entendu qu’il existe un attrait par ces diffuseurs pour les œuvres récentes et ayant connu un succès au cinéma. Les blocages sont à trouver dans les comportements des détenteurs de droits en amont de la chaine, qu’il s’agisse des diffuseurs ou des producteurs dont on comprend qu’ils privilégient les fenêtres d’exploitation potentiellement les plus rémunératrices.  … et en termes de prix pour le paiement à l’acte On peut voir dans cette réticence des acteurs du cinéma et de l’audiovisuel à rendre disponible les œuvres sur la SVOD un désir de ne pas phagocyter le marché de la VOD à l’acte. Or cette volonté ne correspond visiblement pas aux attentes des consommateurs qui d’après les chiffres du CNC, en faisant l’hypothèse qu’ils reflètent l’état du marché de la VOD à l’acte, dépensent de moins en moins pour ces services. Une des raisons que l’on peut apporter concerne le prix prohibitif de ces œuvres, tout du moins en ce qui concerne le téléchargement où les prix sont généralement plus élevés que ceux du marché physique16. On retrouve ainsi un problème déjà identifié pour la musique. Compte tenu de ce prix, on comprend ainsi que les consommateurs préfèrent se tourner vers la consommation à la location qui d’après les chiffres du CNC augmente assez fortement. On notera enfin qu’au-delà du prix, il existe de réels problèmes de discontinuité de l’offre en VOD17, sur la location particulièrement, qui s’expliquent par les gels de droits généralement imposés par les diffuseurs de la télévision payante ou gratuite sans justification économique avérée18.  Pour les séries, les progrès de l’offre légale Les séries télévisées créent une demande forte du public. Cette demande s’explique bien évidemment par des moyens toujours plus importants mis par les producteurs de contenus pour faire des séries de véritables œuvres de grand spectacle qui suscitent 13 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000278.pdf 14 https://fr.wikipedia.org/wiki/Box-office_France_2012 15 http://www.canalplay.com/recherche/ 16 Une référence aux offres de la Fnac est à cet égard particulièrement parlante. A titre d’exemple, alors que le DVD du film Avengers (2012) est vendu par la Fnac à 9,99 euros, sa plateforme de vidéos à la demande propose le film entre 13,99 euros et 16,99 euros, selon la qualité de la définition de l’image (prix relevés le 10 mai 2016). On précisera que la différence de prix pour des œuvres plus ancienne est généralement moindre. 17 Cf. https://www.fnacplay.com/aide#chronologie 18 Cf. rapport Lescure.
  • 13. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 13 souvent une addiction auprès des téléspectateurs. Cette addiction, recherchée par les producteurs, entraine logiquement un désir d’immédiateté quant à l’accès à ces œuvres. A l’ère du digital, ce désir est encore accru par la connaissance des dates de diffusion des nouveaux épisodes à l’étranger, aux Etats-Unis particulièrement où sont produits les plus grands succès mondiaux. Les consommateurs ne peuvent plus considérer acceptable la diffusion d’une série en France 1 an après sa diffusion aux Etats-Unis. A cet égard il doit être souligné que les diffuseurs tendent à intégrer l’attente des consommateurs. A titre d’illustration, la disponibilité des épisodes de Game of Thrones, série la plus populaire du moment, sur la chaine OCS en version originale sous-titrée en français 24 heures seulement après leur diffusion aux Etats-Unis constitue un progrès de l’offre légale. Encore, la diffusion récente en français de la saison 10 de X-Files sur M6 seulement un mois après sa diffusion originelle aux Etats-Unis mérite d’être soulignée19. Ces progrès ne sauraient néanmoins masquer des limites plus générales à l’expansion de la VOD des séries en France qui peine à convaincre aussi bien en termes de prix de vente que de fraicheur des catalogues (que cela soit dû au prix d’accès des ayants droits à leur catalogue, ou des pratiques d’exclusivités qui assèchent le marché de la VOD20). c) Livre numérique : le dynamisme du livre numérique freiné par des prix prohibitifs Alors que la demande des consommateurs pour la musique ou la vidéo dématérialisée ne peut se démentir, elle reste assez faible concernant le livre numérique, la lecture étant intimement liée à la relation physique entre le lecteur et l’ouvrage. Ainsi, en 2015 seulement 8 % des français déclaraient lire des livres numériques (contre 4 % en 2011) et 20 % ne le faisant pas, envisageaient de le faire à l’avenir (contre 16 % en 2011)21. Cette faiblesse est d’autant plus remarquable que contrairement à la musique et au film, les contraintes techniques à la lecture de livres numériques sont plutôt faibles22. La croissance du nombre de lecteurs de livres numériques se traduit bien entendu par une croissance logique du marché aussi bien en valeur (+ 18 % entre 2013 et 2014) qu’en volume (+ 13 % entre 2013 et 2014)23, mais l’attrait au global faible du livre numérique ne laisse pas présager une hausse durable. Au-delà du caractère relationnel entre l’œuvre et le lecteur, les tarifs des livres électroniques pourraient expliquer ce désamour pour le livre numérique. Si les tarifs des livres numériques sont généralement entre 20 et 30 % en-deçà des livres papier, ils 19 Notamment au regard des courts délais pour effectuer le doublage si on considère la limite à la célérité que posait le rapport Lescure en indiquant que « en cas de doublage, le délai de trois mois entre la diffusion en version originale (VO) sur une chaîne étrangère et la diffusion en version française (VF) paraît à première vue difficilement compressible ». 20 Cf. http://www.nextinpact.com/news/97557-pourquoi-vod-series-en-france-a-tant-mal-a-convaincre.htm pour une explication claire de ces phénomènes. 21 http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/CREDOC-Rapport-enquete-diffusion-TIC-France_CGE- ARCEP_nov2015.pdf 22 Par exemple car on peut noter une indépendance entre la qualité du réseau internet et le téléchargement des livres numériques, quand par exemple l’utilisation d’un service de streaming nécessite un accès constant à internet avec une bonne qualité de service. 23 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/livres-l-envolee-du-numerique-ne-compense-pas-la-baisse-du- papier-896579.html#
  • 14. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 14 restent cependant à des niveaux élevés24, d’autant plus si on considère qu’en l’état des règles du droit d’auteurs, le consommateur ne peut pas tirer un revenu de la vente d’un livre numérique quand il le peut avec un livre. Qui plus est, les prix des livres numériques restent plus élevés que les livres de poche, ce qui reste un frein encore plus important à l’adoption. De plus, il est notable que non seulement les prix des livres numériques sont élevés, mais qu’ils le sont généralement davantage qu’à l’étranger comme cela a pu être illustré par des prix relevés sur Amazon dans différents pays25. Comment expliquer ces tarifs prohibitifs, d’autant plus au regard de l’absence de frais liés à l’impression de l’ouvrage ? L’explication tient en l’existence d’un régime dérogatoire au principe de libre fixation des prix, le prix unique du livre26. Ce régime permet aux éditeurs d’imposer aux revendeurs le prix de vente des livres, aussi bien physiques que numériques. Cette cherté du livre numérique est d’autant plus dommageable que l’élasticité-prix de la demande semble particulièrement élevée27. 24 Les tarifs constatables oscillent autour de 15 euros pour un livre numérique dont la version papier n’est pas disponible en livre de poche. On est ainsi loin du tarif acceptable par les lecteurs tournant autour de 7 €, comme le signalait un éditeur : http://alliance-lab.org/archives/1072?lang=fr#.VthU0PnhAkU 25 http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/pourquoi-les-livres-numeriques-sont-ils-si-chers-869411.html 26 Cf. http://www.sne.fr/enjeux/prix-unique-du-livre/ pour une compréhension des fondements originels de ce régime. 27 Telle qu’elle est avancée par Amazon tout du moins : http://www.amazon.com/forum/kindle/ref=cm_cd_tfp_ef_tft_tp?_encoding=UTF8&cdForum=Fx1D7SY3BVS ESG&cdThread=Tx3J0JKSSUIRCMT.
  • 15. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 15 S’il n’est pas question ici de remettre en cause le principe du prix unique, du point de vue consumériste, une question doit se poser sur son adaptabilité au numérique, à fortiori s’il a pour objectif d’accroitre la marge opérationnelle des éditeurs28. On notera également que l’attrait pour le livre numérique est d’autant moins important qu’il existe une certaine captivité des consommateurs liée à la présence fréquente, et non justifiée techniquement, de mesures techniques de protections empêchant les consommateurs de consulter sur des supports de lecture différents les œuvres acquises29. Dès lors, on comprendra que les consommateurs soient peu enclins à consommer en masse des livres numériques sur un écosystème numérique fermé30. Ainsi, cette section a montré que malgré la persévérance de freins structurels au développement d’une offre légale de qualité (prix élevés, catalogues manquant de fraîcheur, etc…), les consommateurs ont sensiblement augmenté leurs dépenses en œuvres culturelles dématérialisées, notamment grâce à l’innovation permettant la mise en place de nouveaux modes de consommations. 2. Comportements illicites : quand l’explosion annoncée fait « pschitt » Le « piratage » comme arme de justification des mesures répressives L’UFC-Que Choisir a toujours défendu le développement d’une offre légale attractive, aussi bien en termes de coûts, de qualité des catalogues proposés aux consommateurs, que de modalités d’accès – modalités devant nécessairement tirer profit de l’innovation permise par le numérique – et expliqué qu’une partie importante des comportements illicites provenait de la faiblesse de cette offre légale. Cela étant, la position majoritaire au sein de l’industrie culturelle a été de prendre appui sur l’existence des comportements illicites pour plaider pour des mesures répressives, savamment portées dans différents projets de loi présentés à la représentation nationale. Cet appel à la répression fait toujours partie de la stratégie de cette industrie. A titre d’exemple, la Fédération nationale des distributeurs de films indiquait en 2014 que « les données statistiques sur la pratique du piratage en France […] attestent du caractère particulièrement alarmant du phénomène dans notre pays » et demandait au gouvernement de « prendre toute la mesure des dégâts causés par le piratage massif des œuvres sur internet et à […] endiguer enfin son développement31 ». Il est notable que ces demandes prennent appui sur la lecture de données élaborées à l’initiative de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ci-après réduit au moins anxiogène ALPA) et du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ces données actualisées ayant encore récemment été reprises par différents articles de 28 http://www.slate.fr/story/61805/livre-numerique-15-euros 29 Une étude menée pour le compte de l’European and International Booksellers Federation conclut qu’il « n’existe aucune raison technique ou fonctionnelle de ne pas utiliser et établir [une] norme unique de format interopérable (ouvert) du livre numérique » : http://www.syndicat- librairie.fr/images/documents/interoperabilite_formats_livre_numerique_pdf_16641.pdf 30 Un consommateur achetant un livre électronique sur le site de la Fnac ne pourra ainsi que le lire sur la liseuse vendue par l’enseigne. 31 http://www.fndf.org/filemanager/Actualites/Communiqu%C3%A9%20FNDF%2004.07.2014.pdf
  • 16. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 16 presse32 pour évoquer l’augmentation de la consultation des sites « hors la loi » par les internautes. Sans aller jusqu’à considérer que les données élaborées par les tenants de l’alarmisme permanent sont partialement lues par ces derniers, on peut admettre qu’elles méritent une lecture dépassionnée. Or cette lecture des données à laquelle nous avons procédé permet d’identifier – sans même qu’il soit nécessaire en amont de porter un regard critique sur la méthodologie utilisée pour les élaborer –que la prétendue explosion du piratage ne correspond pas à la réalité. Une diminution relative de la consultation des sites liés à la contrefaçon La récente étude effectuée par Médiamétrie pour le compte de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) en coopération avec le CNC et TMG regorge de données qui, nous allons le démontrer, ne traduisent pas les maux qu’ils prétendent identifier. L’évolution du nombre d’internautes ayant consulté au moins une fois par mois un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle est tendanciellement en hausse sur la période 32 http://www.lesechos.fr/16/09/2015/lesechos.fr/021332829152_piratage---14-millions-d-internautes- vont-sur-des-sites---hors-la-loi--.htm ou encore http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/07/07/32001- 20150707ARTFIG00170-10-millions-de-francais-frequentent-les-sites-de-streaming-et-de-telechargement- illegal.php
  • 17. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 17 considérée dans l’étude de l’ALPA. Au global, de 2009 à 2014 le nombre de ce type de consultations a crû de 18,5 %, soit une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 3,4 %. Si elle n’est pas négligeable, cette hausse reste cependant à un niveau modéré, qui reste quoi qu’il en soit loin de caractériser une explosion du nombre de consultations de site dédiés à la contrefaçon. De plus, cette hausse, pour qu’elle puisse correctement caractériser le comportement des consommateurs, doit nécessairement prendre en considération la hausse du nombre d’internautes. Ce graphique permet d’identifier la continuité de l’augmentation du nombre d’internautes au cours des dernières années. Suivant, logiquement, la hausse du nombre d’abonnements à internet33, le nombre d’internautes a ainsi augmenté de 27,8 % en 5 ans. Cette hausse importante du nombre d’internautes comparée à celle du nombre d’internautes accédant à des sites aboutit à rejeter l’idée selon laquelle les internautes ont de plus en plus recours à la consultation de sites dédiés au téléchargement ou au visionnage non-licite d’œuvres culturelles. En effet, la part des internautes qui en France consultent au moins une fois par mois des sites liés à la contrefaçon audiovisuelle décroît : en 2009, cette part était de 31,1 % ; elle était en 2014 de 28,8 %. 33 Référence ARCEP nombre d’abonnements de 2009 à 2014
  • 18. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 18 Qui plus est, il est remarquable que cette diminution relative se déroule alors que la notoriété des sites permettant, à titre principal ou non, le téléchargement illicite d’œuvres ne semble pas décroître, d’autant plus que les articles de presse faisant référence au téléchargement illicite ne se privent pas d’indiquer aux consommateurs le nom de ces sites. Consulter n’est pas fauter : l’exemple du peer to peer… En plus de constater que les actes de consultation des sites qualifiés de liés à la contrefaçon télévisuelle sont en baisse relative, il faut signaler que la consultation de ces sites ne constitue pas un acte illicite – et c’est une bonne chose – et qu’elle n’aboutit pas nécessairement une consommation effective illicite d’œuvres culturelles.
  • 19. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 19 L’objectif premier de ce graphique que nous livre l’ALPA est très probablement de mettre en exergue les résultats positifs liés à la mise en place et à la pratique de la Hadopi. De manière factuelle – en prenant l’hypothèse d’une constance de la part du nombre de téléchargements mensuels du top 10 des films par rapport au nombre total de téléchargements mensuels couplée à l’hypothèse de moyens constants dédiés à l’observation des flux – il est constatable que la baisse des téléchargements non licites en P2P entre janvier 2011 et décembre 2014 est de 83,2 %. Cette diminution du nombre de téléchargements est donc majeure, sans d’ailleurs que puisse être définitivement tranché l’effet direct de la réponse graduée sur cette diminution, qui ne doit cependant pas être marginal. Le graphique ci-dessus repris offre au lecteur une seconde information d’ampleur, fruit de l’analyse comparée des deux courbes qui le composent. En effet, cette chute massive du nombre de téléchargements en P2P prend place dans un environnement où le nombre de visiteurs uniques mensuels sur ce type de sites est relativement constant sur la période, de l’ordre de 6,5 millions par mois. L’information à tirer de ce fait est qu’il n’existe pas sur la période considérée de corrélation entre le nombre de visiteurs sur les « sites liés à la contrefaçon audiovisuelle » et le nombre d’actes de téléchargement. A fortiori, aucune relation de causalité ne peut être établie entre la consultation d’un site et le téléchargement d’une œuvre s’y trouvant. D’après les ayants droits, cette baisse du nombre de téléchargements sur les réseaux P2P, seuls surveillés dans le cadre de la réponse graduée, serait surcompensée par la hausse du téléchargement direct (DDL) et par celle du visionnage en streaming. Or cette assertion doit être considérée avec prudence. …invite à lire avec prudence les données sur le téléchargement direct et le streaming illégaux Concernant le téléchargement direct (DDL) des œuvres illicites (œuvre uploadée sur un cyberlocker), les données de l’ALPA34 font apparaitre une baisse tendancielle du nombre de visiteurs uniques mensuels de 2011 à 2014 des sites qui les proposent (-10,3 % sur la période). Sur cette période, le nombre de visiteurs uniques qui s’adonnent au téléchargement35 est quasi systématiquement inférieur à 50 % ; il est de 46,3 % à la fin de l’année 2014. Le nombre de visiteurs uniques procédant à au moins un téléchargement baisse encore plus que le nombre de visiteurs uniques accédant aux sites de DDL puisqu’entre janvier 2011 et décembre 2014 il diminue de 12,4 %. En prenant en compte l’accroissement du nombre d’internautes, cette baisse est encore davantage caractéristique d’une contraction des comportements non licites des consommateurs concernant le DDL qui ont baissé de 21,2 % entre 2011 et 2014 ! Le streaming constitue un troisième mode de consommation non licite d’œuvres culturelles et de divertissement. Contrairement à ce qui a été observé concernant le P2P et le DDL, la récente étude de Médiamétrie financée par l’ALPA souligne que le recours à 34 Cf. https://cdn.nextinpact.com/medias/etude-alpa-2014.pdf 35 Téléchargements effectués sur les sites dédiés à la contrefaçon, sans qu’avec certitude puisse être établie l’illicéité de l’ensemble des actes de téléchargement.
  • 20. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 20 la consultation de ce type de sites n’est pas en décroissance. De juillet 2011 (référence la plus lointaine pour laquelle nous disposons de données) à fin 2014, et compte tenu de la hausse du nombre d’internautes, en moyenne les consultations par visiteur unique se sont accrues de 14,9 % : fin 2014, 13,1 % des internautes consultaient des sites de streaming dédiés à la contrefaçon. Là également, consultation d’un site dédié au streaming non autorisé n’équivaut cependant pas à consultation d’une œuvre qui y est proposée. En effet, 63,1 % des personnes qui consultent ce genre de sites ne consomment pas de vidéos. En conséquence, la part des internautes qui consomment des vidéos en streaming est de 4,8 %. Il ressort de cette donnée que si la pratique du streaming non licite ne peut pas être qualifiée d’epsilonesque, elle n’en demeure pas moins relativement marginale. Nous avons vu qu’entre 2009 et 2014 les internautes ont réduit leur consultation des sites liés à la contrefaçon (audiovisuelle) de 7,4 %, traduction d’une appétence globale en décroissance pour ces sites, tous modes de consommation confondus (P2P, DDL, streaming). Mais plus important encore, l’analyse des données disponibles permet de mettre en évidence que le niveau de consultation des sites liés à la contrefaçon ne correspond en rien à la pratique d’actes illicites, et doit alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de prendre en considération avec précautions les arguments employés par l’industrie de la culture. Au global, cette partie a permis d’identifier l’existence d’une disposition forte des consommateurs à accéder légalement aux œuvres culturelles sur internet qui prend appui sur un développement de l’offre légale. Cependant, de nombreux freins à une croissance encore plus soutenue doivent être levés : indispensable modération tarifaire pour les œuvres disponibles au téléchargement, chronologie des médias à réellement ancrer dans l’univers numérique ou encore gestion saine et cohérente des exclusivités pour les séries télévisées. Cette augmentation des dépenses culturelles numériques des consommateurs, si elle ne compense pas encore les pertes constatées sur les ventes physiques, permet d’envisager sereinement l’avenir des auteurs, artistes, mais également producteurs de contenus.
  • 21. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 21 II. Taxe sur les objets connectés : une justification plus qu’incertaine pour un impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs plus que certain L’un des éléments marquants du rapport de la mission Lescure36 publié au printemps 2013 était la proposition visant à instaurer une taxe sur les appareils connectés (smartphones, téléviseurs, ordinateurs…). Si après avoir animé un temps le débat public l’hypothèse de mettre en place cette taxe n’est plus affirmée aujourd’hui par l’exécutif, il reste tout à fait envisageable qu’elle puisse se manifester à nouveau dans l’avenir. Il apparaît en conséquence indispensable à l’UFC-Que Choisir d’interroger dans le cadre de sa présente étude la pertinence d’une telle taxe en sondant ses fondements, tels qu’ils sont présentés par la mission Lescure, d’identifier les impacts que la mise en place d’une telle taxe aurait sur le pouvoir d’achat des consommateurs, mais au-delà, d’une manière plus générale, de préciser les conditions qui devraient être remplies pour qu’une nouvelle taxe destinée au monde de la culture et pesant sur le pouvoir d’achat des consommateurs puisse obtenir leur assentiment. 1. Un « transfert de valeur » basé sur une fausse logique Le rapport Lescure, ambitionnant d’être correcteur de déséquilibres, propose aux pouvoirs publics l’instauration d’une taxe appliquée aux appareils connectés visant à corriger un transfert de valeur des contenus culturels vers les industries numériques. Or cette prétendue légitimation découle d’une lecture biaisée des dépenses des ménages qui méritent d’être correctement exposées. a) Dépenses en biens et services culturels vs dépenses d’accès aux contenus et dépenses en équipements technologiques : des ordres de grandeur à préciser Pour défendre l’idée selon laquelle il existe un transfert de valeur allant des contenus culturels vers les produits permettant de les consulter, le rapport s’appuie en premier lieu sur une étude réalisée par Ernst & Young pour le compte de la Hadopi sur l’évolution des pratiques de partage et le panier moyen de consommation de biens culturels de l’ère pré- numérique à nos jours (1980-2011)37, et en particulier sur le graphique reproduit ci- dessous. 36 http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_lescure/index.htm 37 http://hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/HADOPI-Rapport-08-mars-2013.pdf
  • 22. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 22 L’étude Ernst & Young / Hadopi constate que sur la période considérée (1980-2001), « les dépenses directes en biens culturels connaissent une croissance faible qui se traduit par une baisse relative de leur part dans le panier des ménages. On observe parallèlement une augmentation exponentielle des dépenses en équipement technologiques et une très forte croissance des dépenses d’accès ». La mission Lescure, relayant une idée véhiculée dans ladite étude, en tire la conclusion que les tendances constatées illustrent un « transfert de valeur [qui] s’opère entre les biens culturels […] et les dépenses en équipements technologiques et accès aux biens culturels ». A première vue, les courbes du graphique présenté supra laissent entendre l’existence de deux principales tendances. D’un côté, une croissance particulièrement marquée des dépenses des ménages pour tout ce qui permet l’accès aux contenus culturels (abonnements pour l’accès à Internet notamment), mais également une croissance exponentielle, depuis le début des années 2000, des dépenses pour les équipements technologiques permettant de les « lire » (ordinateurs, smartphones…). D’un autre côté, le graphique laisse apparaître une tendance moins flatteuse pour les dépenses en biens et services culturels, caractérisées par une croissance molle de 1980 à 2006, puis, par la suite, par une légère décroissance. L’impression ainsi donnée est que les biens et services culturels sont les parents pauvres du secteur culturel, vu comme étant la somme des trois postes considérés ici. Ceci est-il le reflet fidèle de la réalité ? Le choix opéré par Ernst & Young / Hadopi de prendre en compte les données « volumes aux prix chaînés de l’année précédente » en base 2005 doit être interrogé car cela ne permet pas de comparer la « ventilation » fidèle des dépenses faites par les ménages pour une année donnée. En ayant cet objectif, la prise en compte des dépenses courantes est préférable. L’UFC-Que Choisir s’est donc intéressée à l’évolution des dépenses courantes des ménages pour la culture, de 1980 à 2014 – puisque des données sont désormais
  • 23. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 23 disponibles pour 2012, 2013 et 2014, en faisant appel aux informations de l’INSEE relatives à l’évolution de la consommation des biens culturels, à celle des équipements technologiques et à celle pour l’accès aux contenus culturels. Ces catégories n’étant pas normalisées dans la nomenclature de l’INSEE, les items retenus par Ernst & Young / Hadopi ont été ici conservés à une exception près. L’étude Ernst & Young / Hadopi se refuse d’inclure dans les dépenses pour les biens (et services) culturels, les dépenses de consommation pour diverses activités créatives (théâtre, musées…), alors qu’il est bien entendu nécessaire d’intégrer cette variable dans le champ d’analyse38. Or il ne s’agit pas d’un petit poste de dépenses culturelles pour les ménages. En effet, en 2014 il a représenté plus de 4,5 milliards d’euros. 38 On notera ainsi que fort logiquement, dans les statistiques sur la culture que publie le Ministère de la Culture et de la Communication, ce dernier prend en compte ces dépenses dans la catégorie « dépenses en biens et services culturels ».
  • 24. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 24 Ce graphique illustre les évolutions, sur longue période, des sommes réellement engagées par les ménages et offre des informations fiables sur les dépenses culturelles qu’ils effectuent. Plusieurs faits saillants méritent d’être évoqués : i. Les dépenses des ménages pour les biens et services culturels sont systématiquement, année après année, supérieures à celles engagées pour les équipements technologiques ; ii. Les dépenses pour l’accès aux contenus culturels ont dépassé celles pour les biens et services culturels en 2003, mais depuis 2010 l’écart entre ces deux postes diminue ; iii. Loin d’être caractérisées par une croissance exponentielle depuis le début des années 2000, les dépenses des ménages en équipements technologiques présentent deux tendances bien distinctes : une hausse régulière jusqu’en 2007 puis une diminution depuis lors ; iv. Depuis 2007, la baisse des dépenses des ménages en équipements technologiques est plus importante que celle des dépenses en biens et services culturels : entre 2007 et 2014, la baisse annuelle moyenne des premières est de 2,31 % contre 1,41 % pour les secondes.
  • 25. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 25 Ces éléments permettent donc de relativiser l’existence d’une ruée continue des ménages vers les dépenses qui permettent l’accès aux biens culturels et, cela est encore plus vrai, pour les équipements technologiques. On précisera également que la mission Lescure fait référence à deux autres études pour appuyer son idée de transfert de valeur. La première des deux est une étude de Coe- Rexecode datée de février 2008 qui souligne qu’à l’échelle mondiale le chiffre d’affaires des producteurs de contenus a crû moins rapidement entre 2003 et 2008 que celui des équipementiers, des opérateurs télécoms, et des plateformes de services et autres intermédiaires (Amazon, Google…) : la mission Lescure précise ainsi que « le chiffre d’affaires des producteurs de contenus était, en 2003, plus de 12 fois supérieur à celui des intermédiaires, en 2008, le rapport n’est plus que de 1 à 4 ». La seconde est une étude d’Arthur D. Little, réalisée pour le compte de la Fédération Française des Télécommunications publiée en octobre 2012, qui indique que les revenus du top 30 mondial des fournisseurs de contenus ont augmenté de 10 % entre 2006 et 2011 quand celui du top 30 mondial de l’ensemble des catégories considérées39 a augmenté de 49 %. La mobilisation et les résultats de ces études appellent deux commentaires. Tout d’abord, si l’analyse de données mondiales n’est pas à priori d’un intérêt nul, elle reste cependant d’un intérêt limité puisqu’une référence à des indicateurs de consommation en France reste bien plus pertinente pour justifier l’application d’une taxe donnée en France. Ensuite, et c’est là le cœur du sujet, il réside un problème méthodologique fondamental dans la façon dont la mission Lescure interprète les données à sa disposition. Le point commun des trois études que ladite mission prend en considération est de véhiculer l’idée selon laquelle la révolution numérique est moins profitable aux contenus culturels qu’aux autres acteurs du numérique. Le problème méthodologique que nous évoquons réside dans la conclusion que tire la mission Lescure de ces tendances : elles dessineraient un paysage caractérisant un transfert de valeur au détriment de l’industrie culturelle. Ce transfert de valeur n’est cependant en rien démontré. b) De l’art de vouloir corriger un non-transfert de valeur Parler de transfert de valeur c’est considérer que, tel le principe des vases communicants, ce qui est dépensé par les ménages pour les équipements technologiques et pour l’accès aux biens culturels ne l’est pas pour les biens culturels eux-mêmes. La validité de cette relation causale ne va pas de soi et, de plus, ne résiste pas à l’analyse des comportements de consommation des ménages. Des concordances riches d’enseignements Pour que l’idée même d’existence d’un transfert de valeur au sein des trois grands postes des dépenses culturelles ou connexes – tels qu’ils ont été considérés ici – soit admissible, il est nécessaire au préalable de montrer qu’il existe au sein de ces dépenses des variations dans leur ventilation. Un regard sur l’évolution de cette ventilation depuis 2000, 39 Plateformes de services, fournisseurs de contenus, équipementiers grand public, équipementiers réseaux et opérateurs réseaux.
  • 26. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 26 qui précise ce que laisse entendre le graphique proposé à la page précédente, permet de tirer plusieurs leçons intéressantes. Un premier constat à dresser est qu’il existe bel et bien une diminution de la part des dépenses en biens et services culturels dans le total des dépenses culturelles et connexes des ménages, puisqu’entre 2000 et 2014 cette part passe de 42,3 % à 37,8 %. Si l’augmentation de 2,4 points de cette part entre 2009 et 2014 ne saurait masquer sa baisse substantielle sur l’ensemble de la période considérée, elle traduit cependant une inversion de tendance qui mérite d’être soulignée. Un deuxième constat est celui de la hausse particulièrement marquée des dépenses permettant l’accès aux contenus culturels qui, dans l’ensemble des dépenses culturelles et connexes, passent de 33,8 % à 39,3 % entre 2000 et 2014. Contrairement à ce qui se passe pour les dépenses en biens et services culturels, cette part tend cependant à diminuer depuis 4 ans. Enfin, un troisième constat est celui d’une baisse relative des dépenses en équipements technologiques qui passent de 23,9 % à 22,9 % en 2014 avec, comme pour les dépenses en biens et services culturels, une tendance haussière au cours des dernières années (depuis 2011). Ces trois constats permettent de souligner qu’il est difficile de justifier une taxe sur les appareils connectés par l’existence d’un transfert de valeur des biens et services culturels vers les équipements technologiques, étant entendu que la part de chacun de ces deux postes dans l’ensemble des dépenses culturelles est en décroissance.
  • 27. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 27 Cela étant, l’idée pourrait être émise qu’il existe un transfert de valeur des biens et services culturels (et dans une moindre mesure des équipements technologiques) aux dépenses qui permettent l’accès aux contenus culturels ; or ce serait commettre une erreur fondamentale : assimiler concordance et causalité. Dépenses culturelles et connexes : de nombreuses dynamiques autonomes L’une des idées que le terme « transfert de valeur » véhicule est qu’il existe chez les consommateurs une propension à arbitrer entre les trois postes des dépenses culturelles et connexes. Or rien ne permet d’affirmer l’existence de tels arbitrages. En premier lieu, il est nuisible d’omettre la prise en compte des éléments conjoncturels dans l’analyse de l’évolution des dépenses culturelles et connexes. L’évolution de la part des dépenses culturelles et connexes des ménages dans leurs dépenses totales depuis 2000 met en exergue plusieurs informations essentielles : i. Une continue et légère baisse de la part des dépenses en biens et services culturels ; ii. Une tendance analogue en ce qui concerne les dépenses en équipements technologiques ; iii. Une chute très marquée depuis 2010 de la part des dépenses permettant notamment l’accès aux contenus culturels qui succède à une période haussière ; iv. Plus largement, une forte baisse depuis le milieu des années 2000 de la part de l’ensemble des dépenses culturelles et connexes. Le lecteur notera la concordance entre cette forte baisse et le surgissement en 2008 de la crise économique. Cette crise n’impacte évidemment pas de la même manière les trois grands postes, différemment sensibles à la conjoncture et aux nécessités de la vie quotidienne. Par exemple, les dépenses permettant notamment l’accès aux contenus culturels sont aujourd’hui majoritairement pré-engagées et indispensables à une majorité de consommateurs (communications téléphoniques, relations sociales, échanges d’informations dans le cadre du travail, etc.). L’environnement conjoncturel défavorable à partir de 2008 n’a donc eu qu’un impact marginal sur « l’effet volume » de ce type de dépenses pouvant être qualifiées de contraintes. En réalité, « l’effet prix » joue à plein pour expliquer la baisse de la part de ces dépenses. Notamment, la baisse des prix des forfaits
  • 28. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 28 mobiles grâce à l’arrivée de la quatrième licence mobile est le facteur qui explique cette baisse40. A contrario, les dépenses en biens et services culturels tout comme les dépenses en équipements technologiques sont à l’évidence plus sensibles à la conjoncture. Non pré- engagées, elles dépendent de l’évolution du revenu disponible une fois les dépenses contraintes déduites. La part des dépenses pré-engagées dans les dépenses de consommation finale passe de 31,4 % à 34,2 % entre 2000 et 2014. Cette croissance soutenue de la part des dépenses pré-engagées est principalement la conséquence de l’explosion des dépenses des ménages pour le logement, l’eau le gaz et l’électricité qui ont crû 41,4 % plus vite que les dépenses de consommation totales des ménages sur la période41. Dans un environnement marqué par une baisse du pouvoir d’achat des ménages (- 2,2 % entre 2007 et 2014 d’après l’INSEE), les dépenses non-contraintes sont celles qui sont le plus rognées par les consommateurs. A ce titre, la baisse des dépenses en biens et services culturels, mais également de loisirs, possède une explication conjoncturelle qui doit modérer l’idée de l’instauration d’une taxe structurelle. En plus de montrer que les données macroéconomiques ne valident pas l’idée d’un transfert de valeur des biens et services culturels vers les équipements technologiques, l’étude de l’UFC-Que Choisir met donc en évidence que les dynamiques propres des différentes dépenses culturelles et connexes ne permettent pas de valider les hypothèses qui font fi des divers facteurs exogènes au secteur culturel et connexe qui influencent leurs évolutions. 2. Les consommateurs, véritables payeurs… contre l’esprit même de cette taxe a) Un impact direct sur le pouvoir d’achat des consommateurs : une illustration par la redevance pour copie privée Au-delà d’une interrogation sur la validé des postulats émis pour justifier l’application d’une taxe sur les appareils connectés, il est nécessaire de se pencher sur les conséquences concrètes qu’aurait son instauration. Cette taxe sur les appareils connectés (sur les appareils étant directement connectés à Internet ou indirectement via un autre appareil) toucherait un nombre relativement important de produits : téléviseurs, smartphones, consoles de jeu, tablettes, liseuses, ordinateurs portables ou de bureau, etc… Une question mérite d’être tranchée : qui des équipementiers technologiques (Apple, Samsung…), des distributeurs (Amazon, Fnac, Pixmania…) ou des consommateurs paierait cette taxe ? Plusieurs scénarios sont à priori envisageables : 40 Voir l’étude de l’UFC-Que Choisir sur le secteur de la téléphonie mobile parue en avril 2014 : http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1be23ef5fc1ca2542bbb96692d1 591ff.pdf 41 Nos calculs d’après les données de l’INSEE.
  • 29. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 29 i. Que les équipementiers abaissent le prix HT des biens qu’ils vendent aux consommateurs directement ou via un distributeur pour que le prix TTC, une fois appliquée la taxe sur les appareils connectés, ne soit pas modifié par rapport à celui qui prévalait avant l’application de la taxe ; ii. Que les équipementiers maintiennent le prix HT et que les distributeurs prennent en charge le produit de cette taxe en abaissant leurs marges ; iii. Que ni les équipementiers ni les distributeurs ne modifient leurs comportements en matière d’élaboration des prix et qu’en conséquence, via une hausse du prix des objets tombant dans le champ de la taxe sur les appareils connectés, les consommateurs soient ceux qui s’acquittent effectivement du produit de ladite taxe. Le taux de 1 % envisagé pour cette taxe sur des produits dont les prix constatables sur le marché peuvent osciller de près de 100 à plus de 1 000 euros aboutit à ce que cette taxe représente, environ, de 1 à 10 euros par produit. Or, l’expérience de la redevance pour copie privée permet de souligner la probabilité que ces montants soient intégralement répercutés sur les prix et donc que cette taxe soit directement payée par les consommateurs et non, indirectement, par les équipementiers et les distributeurs. En effet, l’UFC-Que Choisir a mis en évidence dans une étude publiée en novembre 201442 que ce sont les consommateurs, et non les industriels ou les distributeurs, qui payent la redevance pour copie privée. Il paraît à l’évidence inenvisageable qu’il en soit autrement pour la taxe sur les appareils connectés (a fortiori car il s’agit d’une taxe et non d’une redevance prélevée en premier lieu sur les industriels/importateurs comme c’est le cas dans le cas de la copie privée). En conséquence, l’application de cette taxe aboutirait à la situation paradoxale que son fondement, « faire contribuer les fabricants et les distributeurs de matériels au financement de la création », ne serait en aucun cas réalisé : les consommateurs seraient les réels payeurs de cette taxe, ce qui est un nouvel élément venant la discréditer. Un véhicule inadapté pour percevoir la rémunération pour copie privée Une idée émise par le rapport Lescure est de faire de cette taxe le relais pour percevoir la redevance pour copie privée, qui ne serait plus en conséquence en lien direct avec la pratique de la copie privée propre à un produit donné à une capacité donnée, mais proportionnée au prix de vente du matériel. Au regard de l’importance pour l’UFC-Que Choisir que les sommes perçues par les ayants droit en raison de la pratique de la copie privée soient strictement corrélées au préjudice réel qu’ils subissent, l’association juge qu’une taxe touchant indifféremment les produits qui contiennent les copies privées est inadaptée. 42 http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe e31f0.pdf
  • 30. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 30 La taxe sur les appareils connectés, qui pèserait fort probablement non pas sur les équipementiers mais sur les consommateurs, ne peut par définition en aucun cas remplir l’objectif de faire contribuer ces équipementiers au financement de la création. En conséquence, l’UFC-Que Choisir, soucieuse de garantir aux consommateurs que leur pouvoir d’achat ne soit pas injustement grevé, s’oppose à ce qu’une taxe sur les appareils connectés, telle qu’elle est présentée dans rapport Lescure, soit mise en place. Cela étant, le fait que les consommateurs soient les réels payeurs de cette taxe pourrait ne pas arrêter ses promoteurs, enclins à apporter de nouvelles ressources au monde de la culture, d’où qu’elles proviennent. Aussi, il n’est pas inutile de se pencher sur la finalité même de cette taxe afin de déterminer si à cette aune elle peut cependant se targuer d’une certaine justification. b) Faut-il (ré)compenser l’absence d’adaptation de l’industrie de la musique au numérique ? Bien que les fondements évoqués dans le rapport Lescure pour justifier la taxe qui y est proposée ne brillent pas par la robustesse qui leur est pourtant prêtée, il est convenable de dépasser cette faille analytique pour s’interroger plus largement sur l’opportunité de mettre en place une taxe sur les appareils connectés sous l’angle de sa finalité. Le produit de cette taxe, qui abonderait un compte d’affectation spéciale, aurait vocation à soutenir « la transition numérique des industries culturelles », et en particulier le secteur de la musique. Il serait notamment question d’apporter des aides financières aux majors de la musique (Universal, Sony et Warner) pour qu’ils numérisent les fonds de leurs catalogues et élargissent ainsi l’éventail des œuvres légalement disponibles. Si l’objectif d’une vaste numérisation des œuvres phoniques est en soi louable, le fait qu’une taxe dédiée autorise sa réalisation la plus rapide possible ne manque pas d’étonner. En effet, il est difficilement concevable que les consommateurs financent une opération qu’une industrie de la musique qui n’aurait pas tardé à prendre le tournant du numérique aurait de longue date dû prendre à sa charge, dans la perspective de pouvoir monétiser dans l’univers numérique les nouvelles œuvres numérisées. Si néanmoins cette finalité devait être partagée par le gouvernement, alors il serait indispensable qu’une réflexion préalable sur l’opportunité de faire appel à une nouvelle source de financement soit entreprise. En effet, il existe déjà un grand nombre d’outils qui participent au financement de la création, ou au monde de la culture plus généralement, et contraignent l’observateur à s’interroger sur la nécessité de solliciter un énième levier de financement du monde de la culture. 3. Avant toute autre taxe, un indispensable audit sur l’adéquation entre les besoins du monde de la culture et son financement public En juillet 2012, juste avant le lancement des travaux de la mission Lescure – et anticipant qu’un penchant pour la taxe ne manquerait pas de se manifester – l’UFC-Que Choisir demandait la mise en place d’un « audit approfondi sur le financement de la culture. En effet, il serait inacceptable de créer de nouvelles sources de financement sans connaître
  • 31. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 31 au préalable l’ensemble des revenus de la culture (leurs provenances et leurs affectations), mais aussi les besoins réels du secteur »43. Près de quatre ans après cette légitime demande, force est de constater qu’aucun audit public sur l’efficacité du financement de la culture en France n’a été réalisé même s’il convient d’indiquer que plusieurs publications sont depuis venues éclairer la situation – sans toutefois atteindre la complétude attendue par l’UFC-Que Choisir. Notamment, la Cour des comptes a publié en 2014 un rapport particulièrement intéressant – que nous allons mobiliser par la suite – sur les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle en soulignant leur «efficacité économique incertaine ». Si ce rapport constitue une excellente base pour répondre à notre demande, il se limite à un secteur – certes le plus gourmand en financements publics – sans mesurer ses besoins réels alors que cela est indispensable. Aussi, si la participation de la puissance publique au financement de la culture est désormais relativement bien établie44, il est toujours malaisé de déterminer dans quelle mesure ces ressources correspondent à des besoins clairement identifiés. a) Un important financement public… Le financement public de la culture est polymorphe. Il passe bien évidemment par les crédits alloués à différents ministères, au premier chef desquels le ministère de la Culture et de la Communication. Il passe aussi par différentes taxes affectées ou encore par les dépenses fiscales. Il passe également par les différentes collectivités territoriales. L’ensemble de ce financement pèse pour un peu plus de 20 milliards d’euros en 2014. 43 http://www.quechoisir.org/telecom-multimedia/communique-lancement-de-la-concertation-sur-l-acte-ii-de- l-exception-culturelle-francaise-la-plateforme-chere-copie-privee-veillera-a-ce-que-pierre-lescure-fasse-plus-et- tellement-plus-encore 44 Sans pour autant que le poids du secteur culturel dans l’économie française n’ait été clairement établi. Même si de nombreux rapports se sont intéressés à la question, ils ne convergent pas vers une unique et fiable estimation de ce poids. Les groupes d’intérêts se sont emparés des résultats les plus spectaculaires – provenant de rapports commandés par leur soin pour plaider pour le maintien de « l’exception culturelle française ». Pour une analyse critique de ces rapports, on consultera à profit l’excellent papier du Professeur Patrick Messerlin : http://gem.sciences- po.fr/content/publications/pdf/audiovisual/Messerlin_FrenchAudiovisualPolicy092014_FR.pdf
  • 32. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 32 Bien évidemment, cette sommation45, si elle offre une vision relativement exhaustive du financement public de la culture et de la communication, ne permet pas de cadrer finement le financement de la culture en tant que tel. En fixant l’attention uniquement sur les dépenses directes et indirectes de l’Etat pour la culture et la communication et excluant dans ce cadre les dépenses de personnel, c’est la somme de 10 milliards qui est consacrée en 2014. Divers programmes ventilent l’utilisation de ces sommes parmi lesquels le patrimoine, ou encore l’aide à la création qui se monte, pour le seul ministère de la culture et de la communication, à 747,2 millions d’euros. A travers ce financement public de la culture, c’est en grande partie le contribuable qui est sollicité (celui d’aujourd’hui et celui de demain en raison du déficit public qui nécessite un recours à l’emprunt) via l’impôt. L’acte de consommation lui-même participe à ce financement de la culture : il s’agit des revenus tirés des taxes fiscales affectées au domaine de la culture. Comme indiqué supra, elles représentent 848 millions d’euros en 2014 qui proviennent de 10 taxes ou redevances, dont les principales sont la taxe sur les services de télévision (498,5 millions d’euros) et la taxe sur les entrées en salles de cinéma (148 millions d’euros) qui financent toutes deux le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Si la première est majoritairement assise sur les recettes publicitaires des chaines de télévision (et donc fait très minoritairement participer les consommateurs) la seconde est directement liée à l’acte consumériste puisqu’elle est assise sur les revenus tirés de la billetterie de cinéma (au taux de 10,72 % en métropole). L’objet n’est pas ici d’interroger dans le détail la pertinence de l’ensemble des postes de dépenses en matière culturelle, ni même de chiffrer la façon dont les différentes taxes affectées touchent directement le pouvoir d’achat des consommateurs. Il est d’indiquer 45 On notera que cette sommation peut aboutir à un double comptage des ressources publiques consacrées à la culture au regard de l’existence de subventions de l’Etat vers les collectivités territoriales (non estimées). Cela étant, le chiffre total que nous évoquons constitue probablement une sous-estimation si on considère qu’il ne tient pas compte du financement de la culture assuré dans les communes de moins de 10.000 habitants et qu’il laisse de côté la problématique du régime d’assurance chômage spécifique aux intermittents du spectacle.
  • 33. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 33 que les ressources financières de la culture sont larges et d’en tirer la conséquence qu’il convient avant de mettre en place de nouveaux dispositifs fiscaux de se demander si ceux déjà existants sont nécessaires et efficaces. b) … pour une efficacité contestable Si cette interrogation sur la nécessité et l’efficacité de certains financements publics de la culture se justifie dans le cadre général d’une réflexion sur la bonne utilisation des deniers publics, elle s’appuie cependant sur des critiques émises par la Cour des comptes sur les aides publiques venant soutenir la production cinématographique. Dans un rapport daté d’avril 201446, la Cour des comptes note ainsi à la fois l’explosion des aides directes à la production cinématographique et audiovisuelle entre 2002 et 2012 (+ 87,8 %), la redondance entre différents dispositifs d’aides, une inflation des coûts de production des films alimentée par le système de soutien, ou encore l’existence d’un manque de transparence des conditions de financement. Elle appelle également à mettre fin à « la surenchère vaine et coûteuse » des dispositifs fiscaux conçus pour attirer et maintenir sur le territoire national des productions cinématographiques et télévisuelles. Au-delà même de ces critiques, c’est l’absence de définition des besoins du secteur cinématographique et audiovisuel qui est pointée du doigt par la Cour des comptes. Or, comme cela est demandé par l’UFC-Que Choisir, un panorama clair et exhaustif de ces besoins est indispensable, que cela concerne le cinéma et l’audiovisuel en particulier, ou le monde de la culture en général. Pour l’UFC-Que Choisir, une condition nécessaire à l’instauration d’une nouvelle contribution des consommateurs au financement de la culture est la démonstration préalable de l’impossibilité de réallouer des ressources existantes, inefficaces, voire indûment, employées. L’UFC-Que Choisir réitère donc sa demande d’un audit de l’efficacité du financement public de la culture qui ne saurait omettre la détermination des besoins réels du secteur. Partant de la demande formulée dans le rapport Lescure de mettre en place une taxe sur les appareils connectés, cette partie de l’étude de l’UFC-Que Choisir a permis d’identifier les nombreux éléments qui aujourd’hui justifient que les consommateurs ne s’y associent pas. Le principal obstacle qui émerge d’un point de vue consumériste est bien entendu le fait que les consommateurs seraient les véritables payeurs d’une taxe dont le dessein originel est pourtant de faire contribuer les fabricants d’équipements technologiques au financement de la culture. Sans même avoir eu à juger la pertinence générale de ce mode de financement de la culture, il a été ici démontré qu’une bonne lecture de l’évolution des dépenses des consommateurs ne permet pas de valider l’hypothèse d’un transfert de valeur des industries culturelles aux équipementiers technologiques causé par l’évolution des comportements consuméristes. Plus largement, cette partie a permis de souligner que compte tenu des doutes sérieux sur l’efficacité des ressources substantielles permettant le financement des politiques culturelles en France, une nouvelle taxe culturelle grevant le pouvoir d’achat des consommateurs ne saurait être mise en place sans qu’au préalable le bienfondé d’une réallocation de ressources déjà existantes ne soit objectivement démenti. Pour cela, l’UFC- 46 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000197.pdf
  • 34. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 34 Que Choisir demande la mise en place d’un audit sur l’adéquation entre les besoins du monde de la culture et le financement public de la culture, et sur l’efficacité du financement public de la culture. Enfin, et en lien avec la précédente, cette partie a permis de souligner que pour l’UFC-Que Choisir la rémunération de la culture doit être en lien direct avec l’acte de consommation des œuvres culturelles. Ce légitime positionnement vient rappeler la nécessité de ne pas considérer la redevance pour copie privée comme une rémunération, comme c’est aujourd’hui le cas en France47, mais bien à rappeler son caractère indemnitaire. III. Redevance pour copie privée : une nécessaire clarification de la notion de préjudice doit être faite au niveau européen Attendue de longue date par l’UFC-Que Choisir, la révision de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (ci-après la « directive Société de l’information ») est aujourd’hui l’une des ambitions affirmées par la nouvelle Commission européenne. Cette révision, qui doit aboutir à une proposition législative de la Commission d’ici à la fin de l’année, s’inscrit dans sa stratégie pour un marché unique numérique en Europe48. Dans ce cadre, et alors que le gouvernement français a fait siennes les positions des ayants droit, il apparait indispensable à l’UFC-Que Choisir de faire entendre la voix des consommateurs pour qu’elle pèse dans les négociations. 1. Malgré l’étude de l’UFC-Que Choisir de 2014, les lignes n’ont pas bougé au niveau français En 2014 l’UFC-Que Choisir publiait une étude sur la copie privée49 mettant en évidence le scandale constitué par l’organisation de la redevance pour copie privée en France et y listait les indispensables réformes à réaliser pour que les consommateurs puissent adopter un regard bienveillant sur cette redevance. Or le cours des événements au niveau français depuis cette publication permet non pas d’envisager une évolution positive du mécanisme de la redevance pour copie privée, mais au contraire son évolution au détriment des consommateurs. a) Bref rappel des faits saillants de notre étude sur la redevance pour copie privée 47 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025001493&categorieLien=id 48 http://ec.europa.eu/priorities/digital-single-market/docs/dsm-communication_fr.pdf 49 http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fe e31f0.pdf
  • 35. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 35 L’étude sur la redevance pour copie privée publiée par l’UFC-Que Choisir en novembre 2014 a mis en lumière la singularité de la France dans l’environnement européen. Cette singularité tient en ce que les consommateurs français sont, et de loin, ceux qui au sein de l’Union européenne sont le plus mis à contribution dans le cadre de la collecte de cette redevance50. Ainsi, en 2013, les revenus collectés en France par les Sociétés de Perception et de Répartition des Droits (SPRD) au titre de la redevance pour copie privée étaient, par habitant, 5 fois supérieurs en France à la moyenne européenne (hors France). Remontant la chaine des causalités, l’étude montrait successivement que ce haut niveau de prélèvements était la conséquence de l’application de barèmes très élevés sur les biens assujettis (disques durs externes, clés USB, smartphones…), elle-même directement liée à la méthodologie non-objectivée de détermination des barèmes au sein d’une commission construite pour favoriser le poids des ayants droit, et par suite la réalisation de leurs volontés. A l’aune de ces constats l’UFC-Que Choisir demandait alors une réforme en profondeur de la commission copie privée en France. b) Depuis cette étude, les craintes d’une aggravation de l’impact du dysfonctionnement de la redevance pour copie privée en France Postérieurement à la publication de cette étude, et au regard de la situation de blocage d’alors de la commission chargée d’établir les barèmes de la redevance, les pouvoirs publics se sont saisis du sujet de la redevance pour copie privée. En premier lieu une mission de médiation a été lancée par le ministère de la culture pour évoquer les conditions de déblocage de la commission copie privée51. En second lieu une mission d’information a été lancée à l’occasion des 30 ans de la redevance pour copie privée52. Si au global les conclusions des travaux menés relayaient les écueils du mode d’organisation de la redevance pour copie privée soulignés par l’UFC-Que Choisir, une certaine pusillanimité était constatable dans les propositions de réformes du système. Notamment, aucune modification du mode de gouvernance de la commission ni proposition de refonte radicale de la méthodologie d’élaboration des barèmes n’était proposée53. C’est ainsi sans surprise que le projet de loi Liberté de la création, architecture et patrimoine présenté en Conseil des ministres en juillet 2015 n’a pas jugé utile de s’intéresser à la copie privée. Cela étant les ayants droit ont pu constater sans déplaisir que lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat certains parlementaires intéressés, par la question, ont su relayer leur demande d’assujettissement du cloud. Autrement dit, et bien que le texte soit encore discuté au 50 On précisera que le constat que nous émettions alors ne caractérise pas la situation en 2014, où la perception par habitant en Allemagne dépasse, de façon très peu marquée, celle en France (cf. http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_1037_2016.pdf). Il s’agit vraisemblablement d’une situation qui toutes choses égales par ailleurs ne se constatera plus en 2016 puisque les barèmes en Allemagne ont été revus à la baisse. 51 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Propriete-litteraire-et- artistique/Commission-pour-la-remuneration-de-la-copie-privee/Communiques-de-presse/Remise-du-Rapport- Mauguee-sur-le-fonctionnement-de-la-commission-copie-privee 52 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2978.asp#P114_5078 53 On précisera ici que le cahier des charges fixé par le ministère de la culture à la médiatrice imposait à cette dernière de penser à droit constant et restreignait en conséquence fortement sa capacité à émettre des propositions d’évolutions structurelles concernant le fonctionnement de la commission copie privée.
  • 36. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 36 parlement, la voie prise par le système de la redevance pour copie privée ne la mène pas vers une amélioration qui le légitimerait, mais vers une amplification de son dysfonctionnement au seul préjudice des consommateurs. Sans aller jusqu’à acter l’impossibilité structurelle de faire favorablement évoluer la situation de la redevance pour copie privée en France, l’UFC-Que Choisir ne peut que constater que cette évolution légitime, pour se faire rapidement, doit être imposée à la France par l’échelon communautaire. Sans surprise, cette demande de l’UFC-Que Choisir n’est pas partagée par le gouvernement français. Les « propositions des autorités françaises pour la modernisation du droit d’auteur dans le marché unique numérique », exprimées dans une note54 datant d’avril 2015 et donc visant à s’inscrire dans la réflexion de la Commission européenne qui planche sur une proposition législative, soulignent notamment qu’il ne paraît pas justifié d’harmoniser l’exception en matière de copie privée. Parallèlement, ces autorités plaident pour que « toute réouverture du cadre législatif applicable [soit] étayée sur des faits ». Du parallélisme de ces deux propositions nait la cohérence boiteuse de la position que prend le gouvernement français à Bruxelles. En effet, comme l’a montré l’étude de l’UFC-Que Choisir les faits étayant la nécessité de réellement harmoniser l’exception pour copie privée sont légion. La révision européenne doit impérativement avoir lieu. 2. Une indispensable harmonisation européenne La dérive du mécanisme de la redevance pour copie privée en France est la conséquence de l’incapacité de l’Union européenne à l’avoir réellement encadré au niveau européen. Or ce déficit d’encadrement doit aujourd’hui être comblé dans le cadre de la révision de la « directive société de l’information » et le nouvel encadrement souhaité doit prendre appui sur une vision claire du préjudice économique pour les ayants droit né de la pratique des copies privées. a) Les manques de la directive « société de l’information » concernant l’exception pour copie privée La faillite actuelle de la redevance pour copie privée en France – faillite du système, pas celle des ayants droit – découle de l’incomplétude de la directive « société de l’information » dont les silences ont dû être comblés à de nombreuses reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans le cadre de recours préjudiciels initiés par différentes juridictions d’Etats membres. Elle est de plus la conséquence d’une certaine latitude laissée aux Etats membres sur trois éléments : i. l’opportunité de mettre ou non en place dans leur législation l’exception pour copie privée ; ii. lorsqu’elle est mise en place, la nécessité ou non de compenser financièrement cette exception ; iii. lorsqu’il y a une compensation, sur les modalités de détermination et de recouvrement de cette compensation. Si aujourd’hui l’introduction de l’exception au droit exclusif pour copie privée est largement répandue à l’échelle européenne, il demeure plusieurs éléments qui viennent dessiner de multiples paysages quand il s’agit de compenser financièrement cette 54 https://cdn.nextinpact.com/medias/note-modernisation-droit-d-auteur-fr.pdf
  • 37. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 37 exception. Cette hétérogénéité est initiée par la directive DADVSI, notamment dans son considérant 35 : « Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. […] Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement ». Il est ici remarquable qu’il n’existe pas d’obligation de paiement liée à l’introduction de l’exception pour copie privée ce qui laisse une marge interprétative dans chaque Etat membre comme d’ailleurs récemment rappelé par la CJUE dans son arrêt dans l’affaire C-463/1255 (dit « arrêt Copydan »). Ainsi, sans d’ailleurs savoir sur quelles bases (nous y reviendrons), charge à chaque Etat membre de déterminer s’il existe un préjudice pour les ayants droit lié à l’introduction de l’exception pour copie privée. Cette liberté laissée aux Etats membres se manifeste par des décisions non similaires au sein de l’Union européenne quant aux modalités d’application de l’exception pour copie privée. A titre d’illustration, le Royaume-Uni laisse la liberté aux consommateurs de réaliser des copies privées tout en considérant que le préjudice que cette pratique occasionne aux ayants droit est si minime qu’aucun mécanisme de compensation ne saurait être justifié. Dès lors aucune redevance pour copie privée n’existe au Royaume-Uni alors qu’elle existe dans les autres pays de l’Union européenne. Dans ces autres pays, les modes de prélèvement de la redevance pour copie privée sont très variés. Généralement, ce sont les consommateurs, via leurs actes d’achat de supports accueillants ou pouvant accueillir de la copie privée, qui sont mis à contribution. Les produits assujettis à la redevance pour copie privée (RCP) ne sont pas uniformément retenus et ses modes de fixation sont variables selon les pays : soit forfaitairement, soit proportionnellement au prix du bien via l’application d’une taxe. En Espagne la redevance est prise en charge par l’Etat, ce ne sont donc pas les consommateurs mais les contribuables qui sont mobilisés56. Ces situations multiples engendrent des fortes disparités sur les prix des biens permettant notamment le stockage de copies privées comme l’a illustré l’étude susmentionnée de l’UFC-Que Choisir sur la copie privée dont nous reproduisons l’un des éléments marquants. 55 http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=162691&pageIndex=0&doclang=FR&mo de=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=165597 56 Il est notable qu’en Espagne ce système est venu remplacer en 2012 un système analogue à celui existant en France. Cela n’a pas été sans conséquence sur les sommes collectées par les ayants droit puisque par rapport à l’année précédente, elles ont chuté de 90 %. Ceci est la parfaite illustration de la malléabilité, dans un lieu donné, de l’estimation de la « compensation équitable » selon que son payeur soit ou non le consommateur.
  • 38. UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org mai 2016 38 Cette étude mettait en évidence que les différences de prix HT constatées en Europe sur des produits assujettis dans certains pays à la RCP (pays à niveaux de vie comparables à celui en France) s’expliquent quasi exclusivement par la divergence des redevances appliquées à ces produits. Or la CJUE, dans un arrêt du 21 octobre 2010 dans l’affaire dite « Padawan »57 précise que la directive « société de l’information », en étant notamment fondée sur l’article 95 CE vise « à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur résultant de la diversité des législations des Etats membres ». Il mérite donc d’être souligné que ces différences marquées de prix, ne pouvant pas ne pas avoir d’effets transfrontaliers, sont un élément majeur de distorsions de concurrence. Ce qui surprend, c’est que ces différences dans l’application de l’exception pour copie privée prennent appui sur une notion de « compensation équitable » qui devrait être communément comprise au sein de l’Union européenne, comme l’a souligné l’arrêt Padawan : « La notion de « compensation équitable » […] est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme dans tous les Etats membres ayant introduit une exception pour copie privée ». Seulement, cet arrêt de la CJUE ne manque pas de contradiction interne puisque la CJUE ajoute que cette interprétation se fait « indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable » tout en affirmant par ailleurs que les Etats membres ne sont pas libres de préciser les paramètres de la « compensation équitable » « de manière incohérente et non harmonisée ». La contradiction naît de ce que l’absence d’harmonisation et les incohérences de l’exception pour copie privée sont endogènes à la liberté laissée aux Etats membres dans la fixation des paramètres. 57 http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=83635&doclang=FR