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Jamais pareil sauvetage « ferroviaire »
n’a eu lieu en zone occupée
En 1980, j'ai pris l'initiative de créer un Mémorial de la
Déportation de 25 124 Juifs et 321 Tziganes de Belgique. Je
me chargeais de la liste alphabétique des déportés avec leurs
noms, prénoms, dates de naissance, noms de jeunes filles et
numéro de convoi. Le regretté Maxime Steinberg, précurseur
de l’étude de la Shoah en Belgique, établissait, pour sa part,
l'historique de chacun des convois. Au terme d'une longue
campagne de sept ans, de 1975 à 1981, nous avons fait juger et
condamner à Kiel (Allemagne), Kurt Asche, le chef des
services des affaires juives de la Gestapo en Belgique, et
plutôt que d'être condamné, le colonel SS Ernst Ehlers, chef de
la police nazie en Belgique, devenu membre du tribunal
administratif du Land de Schleswig-Holstein, a préféré se
suicider.
C'est dire que la déportation des Juifs du Nord et du Pas-de-
Calais, dont la situation dépendait directement des autorités
allemandes de Belgique, est connue depuis plus de quarante
ans. Mais, au milieu des années 1970, nous ne disposions pas
de la liste des Juifs arrivés au camp de Malines, le Drancy
belge. Il était impossible de savoir qui avait été arrêté dans le
Nord et le Pas-de-Calais, ces deux départements échappaient
au contrôle de l’État français et étaient rattachés, depuis juin
1940, à l’autorité militaire allemande à Bruxelles.
Plus tard, dans les années 1990, j'ai pu travailler librement aux
archives départementales du Nord, à Lille, et du Pas-de-
Calais, à Arras, et en savoir plus sur le sort de ces Juifs et sur
l'emprise nazie sur la police française, laquelle dans le nord de
la France, ne dépendait pas de l’autorité de Vichy mais
directement de la Gestapo en ce qui concernait les Juifs.
J'ai également travaillé sur l'épisode du sauvetage d'enfants
juifs, en septembre 1942 à la gare de Lille-Fives, et j'ai pu
obtenir de deux de ces enfants sauvés, Maurice Blank et
Fanny Rapoport, des témoignages précis sur l'engagement
spontané de cheminots qui n'avaient suivi que leur sens de
l'humanité.
Dans le Mémorial des enfants juifs déportés de France, j'avais
retrouvé et publié, dès 1994, des photos de familles et de
personnes arrêtées et déportées du Nord et du Pas-de-Calais.
Par exemple, les Thau, les Elert, les Goteiner, Les Lambek, les
Lipszyc, les Rosenberg, les Rosenblum, les Sokolski, les
Sturm et Micheline Teichler. Les enfants, ils étaient 208, ont
été assassinés à quelques exceptions près, mais certains ne
sont pas sur la liste macabre. Ils ont été sauvés grâce à la
solidarité, au courage et au sang froid de cheminots de la
SNCF pourtant étroitement surveillés par leurs homologues
allemands de la Reichsbahn. Certains de ces cheminots lillois
se sont engagés très tôt dans la Résistance et seront prêts à
aider les Juifs quand ceux-ci seront pourchassés.
C'est dans ce contexte de recherche historique que j'ai pris
connaissance du livre Sauvons les enfants. Une histoire du
comité lillois de secours aux Juifs. Dans son livre, Grégory
Célerse montre bien le dilemme devant lequel sont placées les
familles juives. Dès la fin de 1940, faut-il quitter cette zone où
la police allemande est toute puissante ? Ou attendre plus ou
moins passivement, tandis que de nombreux Juifs de Hollande
et de Belgique traversent clandestinement le nord de la France
en essayant d’atteindre la Suisse ou la zone dite libre.
En 1942, la menace se précise et, aux quelques arrestations
individuelles, va se substituer une grande rafle de centaines de
Juifs au mois de septembre. Ils sont recensés depuis octobre
1940, leurs identités et adresses sont connues des Allemands
qui opèrent en première ligne, les policiers français ne
participant aux arrestations qu'en accompagnateurs ou en
surveillant les domiciles.
Grégory Célerse décrit ces arrestations exécutées le 11
septembre 1942 par des témoignages de non-Juifs qui les ont
observées et de Juifs qui y ont échappé. Déjà au moment des
arrestations, des gestes de solidarité s'expriment. Il y a une
domestique dévouée ; un policier compatissant ; trois agents
de la SNCF se faisant passer pour des nettoyeurs et qui
cachent des enfants dans un local ; tout cela au nez et à la
barbe des Feldgendarmes et des soldats qui ne se doutent pas
que ce transbordement de Juifs du train qui va partir de Lille-
Fives vers le camp de Malines (Belgique) entrera dans
l'histoire comme une des seules tentatives réussies de sauver
d'un convoi ferroviaire et d’un sort terrifiant des Juifs, surtout
des enfants, pourchassés par une meute.
Parmi les rescapés, 25 enfants ont échappé à la mort et ont été
soigneusement répertoriés par Grégory Célerse et son ami
Patrick Lecoutre ainsi que 16 adultes. Quelques cas restent à
étudier. Mais dans les gares de Drancy, de Bobigny, de
Beaune-la-Rolande, de Pithiviers, d'Angers ou de Lyon d'où
sont partis des convois, jamais pareil sauvetage n'eut lieu. Il y
en eut en amont des gares, par exemple au camp de
Venissieux, en zone libre, quelques jours avant l'épisode de
Lille-Fives. Ce sauvetage a un autre caractère singulier car les
sauveteurs se chargent parfois eux-mêmes de l'enfant, le
ramènent et le gardent dans leurs familles. Grégory Célerse
relate ce qui s'est passé pour les 513 Juifs arrêtés dans le Nord
et le Pas-de-Calais qui parviennent à Malines d'où ils
repartiront très vite, et presque tous, le 15 septembre dans un
convoi rempli de 1 048 déportés.
Grâce aux recherches de Grégory Célerse, on sait comment
ont été placés et cachés les enfants sauvés. Ces Justes qui ont
tant risqué pour ces enfants ont attendu longtemps un geste de
reconnaissance plus ou moins officiel. C'est parfois chose faite
et la Médaille des Justes de Yad Vashem leur a été remise
directement ou souvent à leurs descendants. Il faut signaler le
comportement si humain de l'abbé Robert Stahl qui a accueilli
dans son institution pour enfants à Marcq-en-Barœul, les petits
Juifs qui lui ont été confiés. Il faut citer Jeanne Rousselle,
directrice du préventorium de Trélon, près de Fourmies, et
plusieurs autres personnes inspirées par la foi catholique ou
protestante, tel que le pasteur suisse Marcel Pasche, qui a
participé activement au comité de secours, qui s'est créé
spontanément à la faveur de ce sauvetage inédit. Même des
Allemands, le pasteur Friedrich Günther ou l'officier Carlo
Schmid, ont aidé leurs amis français. Quelques policiers
français ont aidé aussi à forger de vrais faux papiers d'identité.
Grégory Célerse réussit également, par ses recherches et grâce
aux témoignages qu'il a recueillis, à expliquer comment les
Juifs qui ont échappé à la grande rafle du 11 septembre 1942,
ont pu survivre dans le Nord-Pas-de-Calais sans être arrêtés au
cours de nouvelles rafles. Il s'agit là aussi de la solidarité de la
population en faveur des Juifs traqués. Chaque histoire
individuelle l'établit, tous les Juifs épargnés, ont à un moment
ou à un autre, été aidés par des Français, des chrétiens ou des
athées, qui leur ont tendu la main. Grégory Célerse a suivi le
parcours des principaux protagonistes de cet exceptionnel
épisode jusqu'à aujourd'hui. Il lui était difficile de les quitter
en 1945 et nous étions intéressés de savoir ce qu'ils étaient
devenus.
Cet ouvrage montre à quel point, il est possible à des gens
intelligents, qui ne sont pas historiens de formation, de
découvrir des faits passés plus ou moins inaperçus des
historiens académiques, de les documenter par de minutieuses
recherches dans des archives inexplorées, en interrogeant des
personnes restées silencieuses trop longtemps parce que
personne ne voulait les écouter ou les questionner et en
rassemblant toutes les informations recueillies pour en faire un
ouvrage cohérent qui apporte au public des faits nouveaux
bien étayés et qui contribue à faire avancer l'histoire. Je
recommande chaleureusement ce livre exemplaire de Grégory
Célerse et j'espère que son public de lecteurs se fera le plus
large possible.
Serge Klarsfeld
	
  

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  • 1. Jamais pareil sauvetage « ferroviaire » n’a eu lieu en zone occupée En 1980, j'ai pris l'initiative de créer un Mémorial de la Déportation de 25 124 Juifs et 321 Tziganes de Belgique. Je me chargeais de la liste alphabétique des déportés avec leurs noms, prénoms, dates de naissance, noms de jeunes filles et numéro de convoi. Le regretté Maxime Steinberg, précurseur de l’étude de la Shoah en Belgique, établissait, pour sa part, l'historique de chacun des convois. Au terme d'une longue campagne de sept ans, de 1975 à 1981, nous avons fait juger et condamner à Kiel (Allemagne), Kurt Asche, le chef des services des affaires juives de la Gestapo en Belgique, et plutôt que d'être condamné, le colonel SS Ernst Ehlers, chef de la police nazie en Belgique, devenu membre du tribunal administratif du Land de Schleswig-Holstein, a préféré se suicider. C'est dire que la déportation des Juifs du Nord et du Pas-de- Calais, dont la situation dépendait directement des autorités allemandes de Belgique, est connue depuis plus de quarante ans. Mais, au milieu des années 1970, nous ne disposions pas de la liste des Juifs arrivés au camp de Malines, le Drancy belge. Il était impossible de savoir qui avait été arrêté dans le Nord et le Pas-de-Calais, ces deux départements échappaient au contrôle de l’État français et étaient rattachés, depuis juin 1940, à l’autorité militaire allemande à Bruxelles. Plus tard, dans les années 1990, j'ai pu travailler librement aux archives départementales du Nord, à Lille, et du Pas-de- Calais, à Arras, et en savoir plus sur le sort de ces Juifs et sur l'emprise nazie sur la police française, laquelle dans le nord de
  • 2. la France, ne dépendait pas de l’autorité de Vichy mais directement de la Gestapo en ce qui concernait les Juifs. J'ai également travaillé sur l'épisode du sauvetage d'enfants juifs, en septembre 1942 à la gare de Lille-Fives, et j'ai pu obtenir de deux de ces enfants sauvés, Maurice Blank et Fanny Rapoport, des témoignages précis sur l'engagement spontané de cheminots qui n'avaient suivi que leur sens de l'humanité. Dans le Mémorial des enfants juifs déportés de France, j'avais retrouvé et publié, dès 1994, des photos de familles et de personnes arrêtées et déportées du Nord et du Pas-de-Calais. Par exemple, les Thau, les Elert, les Goteiner, Les Lambek, les Lipszyc, les Rosenberg, les Rosenblum, les Sokolski, les Sturm et Micheline Teichler. Les enfants, ils étaient 208, ont été assassinés à quelques exceptions près, mais certains ne sont pas sur la liste macabre. Ils ont été sauvés grâce à la solidarité, au courage et au sang froid de cheminots de la SNCF pourtant étroitement surveillés par leurs homologues allemands de la Reichsbahn. Certains de ces cheminots lillois se sont engagés très tôt dans la Résistance et seront prêts à aider les Juifs quand ceux-ci seront pourchassés. C'est dans ce contexte de recherche historique que j'ai pris connaissance du livre Sauvons les enfants. Une histoire du comité lillois de secours aux Juifs. Dans son livre, Grégory Célerse montre bien le dilemme devant lequel sont placées les familles juives. Dès la fin de 1940, faut-il quitter cette zone où la police allemande est toute puissante ? Ou attendre plus ou moins passivement, tandis que de nombreux Juifs de Hollande et de Belgique traversent clandestinement le nord de la France en essayant d’atteindre la Suisse ou la zone dite libre.
  • 3. En 1942, la menace se précise et, aux quelques arrestations individuelles, va se substituer une grande rafle de centaines de Juifs au mois de septembre. Ils sont recensés depuis octobre 1940, leurs identités et adresses sont connues des Allemands qui opèrent en première ligne, les policiers français ne participant aux arrestations qu'en accompagnateurs ou en surveillant les domiciles. Grégory Célerse décrit ces arrestations exécutées le 11 septembre 1942 par des témoignages de non-Juifs qui les ont observées et de Juifs qui y ont échappé. Déjà au moment des arrestations, des gestes de solidarité s'expriment. Il y a une domestique dévouée ; un policier compatissant ; trois agents de la SNCF se faisant passer pour des nettoyeurs et qui cachent des enfants dans un local ; tout cela au nez et à la barbe des Feldgendarmes et des soldats qui ne se doutent pas que ce transbordement de Juifs du train qui va partir de Lille- Fives vers le camp de Malines (Belgique) entrera dans l'histoire comme une des seules tentatives réussies de sauver d'un convoi ferroviaire et d’un sort terrifiant des Juifs, surtout des enfants, pourchassés par une meute. Parmi les rescapés, 25 enfants ont échappé à la mort et ont été soigneusement répertoriés par Grégory Célerse et son ami Patrick Lecoutre ainsi que 16 adultes. Quelques cas restent à étudier. Mais dans les gares de Drancy, de Bobigny, de Beaune-la-Rolande, de Pithiviers, d'Angers ou de Lyon d'où sont partis des convois, jamais pareil sauvetage n'eut lieu. Il y en eut en amont des gares, par exemple au camp de Venissieux, en zone libre, quelques jours avant l'épisode de Lille-Fives. Ce sauvetage a un autre caractère singulier car les sauveteurs se chargent parfois eux-mêmes de l'enfant, le ramènent et le gardent dans leurs familles. Grégory Célerse
  • 4. relate ce qui s'est passé pour les 513 Juifs arrêtés dans le Nord et le Pas-de-Calais qui parviennent à Malines d'où ils repartiront très vite, et presque tous, le 15 septembre dans un convoi rempli de 1 048 déportés. Grâce aux recherches de Grégory Célerse, on sait comment ont été placés et cachés les enfants sauvés. Ces Justes qui ont tant risqué pour ces enfants ont attendu longtemps un geste de reconnaissance plus ou moins officiel. C'est parfois chose faite et la Médaille des Justes de Yad Vashem leur a été remise directement ou souvent à leurs descendants. Il faut signaler le comportement si humain de l'abbé Robert Stahl qui a accueilli dans son institution pour enfants à Marcq-en-Barœul, les petits Juifs qui lui ont été confiés. Il faut citer Jeanne Rousselle, directrice du préventorium de Trélon, près de Fourmies, et plusieurs autres personnes inspirées par la foi catholique ou protestante, tel que le pasteur suisse Marcel Pasche, qui a participé activement au comité de secours, qui s'est créé spontanément à la faveur de ce sauvetage inédit. Même des Allemands, le pasteur Friedrich Günther ou l'officier Carlo Schmid, ont aidé leurs amis français. Quelques policiers français ont aidé aussi à forger de vrais faux papiers d'identité. Grégory Célerse réussit également, par ses recherches et grâce aux témoignages qu'il a recueillis, à expliquer comment les Juifs qui ont échappé à la grande rafle du 11 septembre 1942, ont pu survivre dans le Nord-Pas-de-Calais sans être arrêtés au cours de nouvelles rafles. Il s'agit là aussi de la solidarité de la population en faveur des Juifs traqués. Chaque histoire individuelle l'établit, tous les Juifs épargnés, ont à un moment ou à un autre, été aidés par des Français, des chrétiens ou des athées, qui leur ont tendu la main. Grégory Célerse a suivi le parcours des principaux protagonistes de cet exceptionnel
  • 5. épisode jusqu'à aujourd'hui. Il lui était difficile de les quitter en 1945 et nous étions intéressés de savoir ce qu'ils étaient devenus. Cet ouvrage montre à quel point, il est possible à des gens intelligents, qui ne sont pas historiens de formation, de découvrir des faits passés plus ou moins inaperçus des historiens académiques, de les documenter par de minutieuses recherches dans des archives inexplorées, en interrogeant des personnes restées silencieuses trop longtemps parce que personne ne voulait les écouter ou les questionner et en rassemblant toutes les informations recueillies pour en faire un ouvrage cohérent qui apporte au public des faits nouveaux bien étayés et qui contribue à faire avancer l'histoire. Je recommande chaleureusement ce livre exemplaire de Grégory Célerse et j'espère que son public de lecteurs se fera le plus large possible. Serge Klarsfeld