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L’ESSENTIEL DE L’OPTIQUE • N°206 • DÉCEMBRE 2018L’ESSENTIEL DE L’OPTIQUE • N°206 • DÉCEMBRE 2018
ÉTONNEMENTS
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Alexandre Montague : On a en France une filière
extrêmement bien structurée. Une qualité de prise en
charge hors norme réalisée par l’opticien, très pous-
sée, et malgré cela des besoins auxquels nous n’avons
pas encore répondu, et qui sont encore immenses. Il
reste un gros travail de sensibilisation à faire auprès de
la population. Il est fréquent lors de nos opérations sur
le terrain de rencontrer certains parents qui sont dans
le déni et refusent d’admettre que leur enfant voit mal.
Et ce sont des enfants qui tous les jours vont à l’école
et continueront à avoir des difficultés. On constate
qu’entre 20 % et 25 % des gens sont non corrigés ou
mal corrigés. Avec énormément de presbytes non
corrigés en vision de près. Nous avons rencontré des
conducteurs qui sont à peine à 4/10e
, dont l’argument
est de dire qu’ils n’ont pas besoin de corrections car ils
connaissent la route ! C’est préoccupant.
Le rôle de l’opticien professionnel de santé est en train
de se renforcer, ce qui est une excellente chose. Les dé-
crets de 2006 et 2017 offrent une belle reconnaissance.
On commence à parler de délégation de tâche dans le
cadre des EHPAD. Il va falloir de plus en plus mettre en
avant la prestation de l’opticien. Ce qui est tout à fait
précurseur dans un pays non anglo-saxon qui n’est pas
organisé autour des optométristes.
FUSION
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Alexandre Montague : Avec la fusion ESSILOR LUXOT-
TICA, l’idée était de créer un champion mondial de la
santé visuelle, dont la voix porte auprès des institutions
et des acteurs privés, capable d’une vision à 25 ou 30
ans qui consiste à développer le marché jusqu’à en tri-
pler la taille. Notre mission première est d’améliorer la
vie des gens au quotidien en éliminant le mal-voir. C’est
là la clef de ce rapprochement industriel. Économique-
ment c’est une entité qui va dépendre de marchés très
matures comme les États-Unis, l’Europe, une partie de
l’Asie. Mais les vraies opportunités se situent dans les
marchés émergents, là où tout est à construire. C’est
pourquoi cela fait maintenant plusieurs années que l’on
communique sur les 2,5 milliards de personnes qui ont
besoin d’un accès à un équipement optique. Et des 6
milliards qui ont besoin de se protéger contre le soleil.
C’est là l’origine de ce rapprochement. Sur le marché
français, les deux structures vont continuer à travailler
de manière indépendante. Cela ne bouleversera pas le
quotidien de l’opticien. Si une offre packagée apporte
de la valeur à l’opticien et au consommateur, on peut
l’envisager. C’est peut-être une possibilité, mais nous ne
sommes pas obsédés. Les consommateurs d’Essilor et
de Luxottica sont des consommateurs avertis. Je crois
qu’il y a une liberté de choix qu’il faut leur laisser. Nous
n’allons pas non plus devenir un acteur du retail. L’opti-
cien français est vraiment au cœur du dispositif. Il ap-
porte une analyse des besoins et un professionnalisme,
et nous l’aidons à mieux répondre à l’évolution de ces
besoins. Nous avons une véritable histoire commune
avec les opticiens.
Renouveler
l´expérience
en magasin
■ D i r e c t
LES TROIS BLOCAGES DU MARCHÉ :
SENSIBILISATION, SATISFACTION,
ACCÈS À LA PRESCRIPTION
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Alexandre Montague : Beaucoup de travail a été fait
auprès des pouvoirs publics en matière de sensibilisa-
tion. Toute la filière s’est engagée dans cet effort collec-
tif. Sur le plan de la sensibilisation du consommateur en
revanche il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous
avons lancé notre site labonnevue.fr. Sur le terrain,
nous avons travaillé avec le ministère de l’éducation,
la Fondation Rothschild, Vision For Life, le centre de
migrants, la Fédération française de golf, le Champion-
nat de France des Rallyes, le Paris Games Week. Près de
10 000 contrôles visuels ont été réalisés cette année. Si
nous continuons tous cet effort collectivement je pense
qu’on va y arriver. Il faudrait qu’on obtienne le même
niveau de succès que celui qu’on a eu avec la lumière
bleue. Ce qui prouve que lorsqu’on est capable d’adap-
ter notre discours et parler dans un langage compré-
hensible, le consommateur s’intéresse.
Satisfaction : les consommateurs sont plutôt satis-
faits lorsqu’ils sortent de chez l’opticien. Nous avons
mis en place Essilor One, un programme de fidélisa-
tion du consommateur déployé depuis juin dernier à
travers nos partenaires. Ce programme atteint des
taux record, grâce à des garanties de changement de
vue, notamment pour les enfants ou les personnes
âgées après opération. C’est un programme d’accom-
pagnement dans le temps organisé autour de quatre
services clefs : un carnet de santé visuelle, un coachi-
ng de santé visuelle, une information régulière (6 à 8
fois par an selon la saisonnalité), une garantie casse,
adaptation et changement de la vue, un accès à une
deuxième paire qualitative et utile mais décalée dans
le temps qui fait revenir le consommateur en maga-
sin. Il s’agit d’un service innovant qui permet de suivre
le consommateur dans son utilisation sur le moyen et
long terme. Il faut savoir que 59 % des « millénials » de-
mandent que leur fournisseur utilisent leurs données
personnelles pour les accompagner dans l’utilisation
de leur produit. Fluidité et long terme sont les clefs de
cette demande nouvelle.
Accès à la prescription : la sensibilisation peut se heur-
ter en effet à une difficulté d’accès à l’ophtalmologiste.
Dans le cadre du RAC 0 nous devrions assister à une
tendance à l’augmentation de la délégation de tâche
auprès des professionnels de santé. La réforme RAC 0
n’atteindra son objectif que si elle génère des volumes
supplémentaires. Son succès est conditionné à l’aug-
mentation du nombre de prescriptions.
LA RÉFORME « 100 % SANTÉ »
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Alexandre Montague : L’année 2019 va être une année
charnière, mais nous l’abordons avec sérénité. Les Pou-
voirs publics sont partis d’un vrai sujet, l’accès à l’équi-
pement optique, mais qui a été mal analysé. Et malheu-
reusement ils ont opté pour une approche budgétaire
au lieu d’une approche sanitaire. Preuve en est : notre
interlocuteur était la direction de la Sécurité sociale,
spécialiste du budget. À travers l’opération de sensi-
bilisation collective que nous avons menée, les Pou-
voirs publics ont peu à peu pris conscience des sujets
que cette réforme laissait de côté. Mon sentiment,
c’est que les messages actuels vont plutôt dans le bon
sens. Nous avons passé l’année qui vient de s’écouler à
travailler sous la pression du résultat, à coup de dead
lines permanents. Après les dernières discussions, il
faudra qu’on repasse dans un mode plus « moyen-long
termes » afin de mettre en avant la qualité de la filière
telle qu’elle existe aujourd’hui. Désormais les Pouvoirs
publics savent qui on est. Ce n’était pas le cas il y a un an
et demi. C’est une première étape. Le point de départ de
toute discussion était « l’optique trop chère » parce qu’il
y a trop d’opticiens. La question n’est pas qu’il y a trop
d’opticien, elle est de savoir comment mieux les utiliser.
Comment en faire la nouvelle pierre angulaire déloca-
lisée de l’accompagnement de la population française
dans leur accès à la santé visuelle. En tirant parti de leur
maillage territorial.
L’INNOVATION
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Alexandre Montague : L’innovation doit être utile,
commercialisable, accessible. Cette année, Eye Protect
System, innovation de rupture intégrée dans le maté-
riau pour filtrer sélectivement la lumière bleue sans
reflet résiduel, a été lauréate du prix Janus de la Santé
2018. Chez ESSILOR l’innovation est notre quotidien.
Pour ce qui est des produits plus disruptif, on y travaille.
Mais il faut au préalable identifier ce qui va vraiment
changer la vie des gens. Ne pas oublier non plus l’inno-
vation en termes de services, associés au produit qu’ils
achètent. Depuis un an nous travaillons beaucoup sur
l’expérience du consommateur au sein du magasin,
mais aussi sur l’expérience du consommateur après
l’achat sa sortie du point de vente, notamment avec
notre programme Essilor One. Il faut aller au-delà du
produit, dans un processus de long terme qui favorise
le dialogue entre l’opticien et son client, dans une am-
biance propice à l’échange, à la curiosité. Il s’agit d’in-
venter de nouveaux parcours-clients. Afin de conserver
de la valeur sur le marché, il est nécessaire pour nous
d’aider l’opticien à passer plus de temps avec son client
et soutenir la fréquentation des points de vente. ▪
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+ www.essilor.fr
Alexandre Montague
Directeur Général d’ESSILOR-France