Trois facteurs importants rendent la question foncière plus complexe dans cette zone :
01-. L’implication de plusieurs acteurs dans la gestion foncière:
- Les chefs coutumiers : chefs des groupements, chefs des villages, notables influents.
- Les autorités politico administratives agissent derrière les chefs de groupements de peur d’apparaitre.
- Le service de cadastre.
- Le service de l’Urbanisme.
- La division provinciale des affaires foncières.
02-. Dans certains cas c’est le droit coutumier qui intervient, dans d’autres c’est le droit écrit qui intervient ;
03-. Une certaine incohérence de l’actuelle loi foncière congolaise qui souffre de lucidité de compétences.
7141 . aux origines coloniales de la crise ecologique 1
Paix et transformation des conflits, droits humains, ressources naturelles
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Paix et transformation des conflits, Droits humains, Ressources naturelles
Adresse : Baraka, Quartier Majengo, territoire de Fizi, Province du Sud-Kivu en RDC
Mail: ong_svh@yahoo.fr, mevariste2006@yahoo.fr , Tél. +243 81 293 26 79, 85 259 75 73
CONFLITS FONCIERS, DEFI A LA PAIX ET AU DEVELOPPEMENT EN TERRITOIRE DE FIZI
Conflit foncier de succession opposant deux femmes de même famille à Mboko
I. INTRODUCTION
Au bout de deux recherches de terrain, l’une menée sur les enjeux de retour des réfugiés au Sud-Kivu cas des
territoires de Fizi et d’Uvira réalisée en synergie avec l’organisation de la société civile « Action pour le
Développement et la Paix Endogènes » ADEPAE en 2011, l’autre sur une approche régionale relative à la vie
quotidienne et aux perspectives d’avenir des réfugiés congolais et Burundais de la région des grands, réalisée en
synergie avec les organisations ADEPAE basée à Bukavu et Rema Ministries basée au Burundi, « Solidarité des
Volontaires pour l’Humanité », avec l’appui technique et financier du « programme régional société civile grands
lacs » du Conseil Danois pour les Réfugiés ; depuis deux ans sur un projet « appui aux stratégies de réponse aux
problème liés au retour des réfugiés » se concentre sur un focus d’un thème réel identifié par les recommandations
de nos études que sont les conflits fonciers, qui fait l’objet du présent rapport synthèse, résultante d’une enquête
préliminaire complémentaire et des activités de médiation foncière menée dans les localités de Fizi centre, Mboko,
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Sebele, Bibokoboko pendant la période allant récemment de Juillet à Décembre 2013; les expériences , les leçons
apprises, les défis ont été documentés le long de ce processus par l’équipe SVH sur le terrain.
II. ENQUETE PRELIMINAIRE
Méthodologie
Dans son ensemble la gestion de la terre dans ce territoire est une problématique qui demande plus d’analyses et
une approche d’intervention participative visant des solutions durables aux conflits fonciers qui présentent une
ampleur à vitesse vertigineuse. Au cours de l’enquête de Juillet 2013 visant à comprendre davantage les enjeux liés
à l’octroi de la terre, l’acquisition et le cycle évolutif de sa gestion, de la gestion des conflits qui en découlent en
territoire de Fizi dans 3 principaux axes à savoir : la presqu’ile d’Ubwari, Moyens et hauts plateaux, Mboko-Sebele à
travers 32 focus groupes, 120 entretiens individuels dans les villages Some, Katenga, Lubomo, Karamba( presqu’ile
d’Ubwari), Bibokoboko, Nyakisozi, Kichula, Abala, Minembwe (Moyens et hauts plateaux) ; et finalement à Lweba,
Lusenda, Kenya, Mboko, Swima sur le dernier axe. Les chefs coutumiers, les acteurs de la société civile, victimes
des conflits fonciers, responsables des services de cadastre, autorités politico administratives ont répondu à notre
invitation, à des visites spontanées avec une détermination et une franchise spectaculaires.
En conclusion 3 facteurs importants rendent la question foncière plus complexe dans cette zone :
01. L’implication de plusieurs acteurs dans la gestion foncière:
Les chefs coutumiers : chefs des groupements, chefs des villages, notables influents.
La pratique n’est pourtant pas la même dans tous les milieux ruraux.
Dans l’ensemble du territoire de Fizi ; Avant 1980 beaucoup de villages secoués par les effets néfastes de la rébellion
de 1964 avaient vachement besoin des personnes qui voulaient les habiter, toute occupation de terre était
généreusement distribuée par les chefs des villages, notables, chefs de groupements, c’est à partir de 1980 lorsqu’un
soit disant « autochtone » se présente chez l’une de ces autorités dans un village, il reçoit une portion de terre ; soit
parcelle ; soit champ moyennant un pot-de-vin représenté symboliquement par une poule ; une chèvre en ce temps
sans papier. Pour les demandes de terre exprimées par des membres de la famille régnante proche tout était gratuit.
A présent lorsqu’il s’agit de la demande de terre d’une personne externe au village le prix en argent à payer dépend
d‘une convention forfaitaire avec le chef du village, il convient de préciser qu’aujourd’hui dans tous les cas cet octroi
est couvert et sécurisé provisoirement par un papier « Acte de cession de terre, Hati ya kupokea udongo, l’acte de
reconnaissance sur le droit à la parcelle » pour servir de document de base. Pendant cet exercice le chef de
groupement se fait entourer du chef de village, du notable, des voisins de la parcelle ou du champ, constituant ainsi
les éléments de légitimité de toute l’opération en présence des témoins irréfutables. Avec l’ascension de la
démographie, l’exode des populations vers les grandes agglomérations présumées plus ou moins calmes, le retour
des refugiés et des déplacés, le flux des transactions commerciales… en ce date ce papier coute de plus en plus
cher, parfois une même portion de terre vendue à deux ou trois demandeurs, ce qui les insécurisent tous et génère
des conflits communautaires.
A partir de 2011 l’octroi de terre d’une dimension de 100 m par le canal coutumier ne revient qu’à la compétence du
chef de groupement, les chefs des villages, les notables ont été instruits et s’y réfèrent dans des villages en territoire
de Fizi. En effet, le cadre légal actuel reconnaissant le pouvoir coutumier comme gardien de terres rurales, le
territoire de Fizi étant rural, le pouvoir coutumier appuie sa légitimité à cet argumentaire, à cette disposition.
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Il en va de signaler que dans les secteurs d’exploitation artisanale d’Or, la question de sécurisation des concessions
se pose avec acuité, là encore une fois selon l’expérience de SVH beaucoup de propriétaires des sites miniers à
titres illustratifs à Mukera, à Rugezi, à Kongolo-Makama, dans les Moyens plateaux de Mutambala pour ne citer que
cela ne sont pas en ordre légalement, ces derniers se contentent d’être originaires du coin et continuent à occuper
des concessions de terre non identifiées par SAESCAM, pourtant ils utilisent beaucoup d’ouvriers sur des espaces
non sécurisés.
Les autorités politico administratives agissent derrière les chefs de groupements de peur d’apparaitre.
Cette pratique revient à tous les chefs de collectivités secteur qui donnent des injonctions aux chefs de groupements
lorsqu’il s’agit de nouveaux lotissements et de terres arables, dans un trafic d’influence à favoriser aux grands
dignitaires au pouvoir en provenance du chef-lieu de la province, de Kinshasa, sans oublier des privés bien nantis,
des camarades de même famille politique. Pour rappel les autorités coutumières sont directement attachées sous
gestion de l’administration politico distractive en territoire de Fizi et obéissent à ces ordres politiques !
Le service de cadastre récemment établi dans quelques agglomérations et gère certains lotissements (Fizi
centre, Baraka, Mboko etc.)
Par exemple depuis 2008 à ce jour trois lotissements de terre ont été octroyés dans ces trois grandes agglomérations
sur demande de la Commission Nationale pour les Réfugiés CNR en collaboration avec le HCR pour abriter les
rapatriés congolais en provenance de la Tanzanie ; grâce à nos activités de plaidoyer sur la sécurisation de ces
terres la CNR et le HCR travaillent ensemble pour faciliter les titres fonciers à des milliers de vulnérables sur ces
terres. Par ailleurs dans les moyens et hauts plateaux de Minembwe ce service technique de l’état vient d’y être
installé depuis pratiquement six mois au cours de 2013. Le service de cadastre délivre un procès verbal de mesurage
et de bornage sanctionnant le dépôt de la demande de terre, malheureusement ne détient pas les contrats de
location sur place en territoire de Fizi, les requérants sont tenus à s’adresser seulement à Uvira pour le moment, ce
qui fait que la quasi totalité de personnes se limitent à ce niveau de procédure non effectif localement!
Le service de l’Urbanisme, qui a précédé l’arrivée du service de cadastre des décennies durant et continue
à agir au nom de ce dernier dans des villages reculés de l’intérieur du territoire de Fizi.
La division provinciale des affaires foncières
Des personnalités financièrement puissantes se présentent sur le terrain munies des titres reçus à partir de la division
provinciale qui leur donnent droit d’occuper des vastes étendues de terres sans que des enquêtes y soient menées
préalablement, sans avoir une connaissance réelle sur la localisation exacte des terres à occuper ; les opposent
souvent aux pauvres personnes vulnérables : agriculteurs, rapatriés, retournés etc. Ces cas sont fréquents sur l’axe
Bashikalangwa : Kasakwa - Bwala - Lubondja en collectivité secteur Ngandja, sur l’axe Katanga - Kakungu -
Kalongwe - Fizi centre en collectivité secteur Mutambala, sur l’axe Malinde - Kitete - Sebele - Nemba - Kikonde à
cheval entre les collectivités secteur Mutambala et Ngandja, sur l’axe Lusenda - Sangya - Kenya - Swima en
collectivité secteur Tanganyika ;
02. Dans certains cas c’est le droit coutumier qui intervient, dans d’autres c’est le droit écrit qui intervient, et donc il
s’observe un chevauchement manifeste sur les attributions, les prérogatives de l’une ou l’autre entité sur le terrain ;
03. Une certaine incohérence de l’actuelle loi foncière congolaise qui souffre de lucidité de compétences et des
mesures d’accompagnement dans sa mise en œuvre effective, laissant ainsi des zones d’ombre.
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III. ACTIVITES DE MEDIATION FONCIERE REALISEES
01. Déroulement des activités de collecte des plaintes des rapatriés et vérification des faits sur terrain
Lors des activités de suivi, de monitoring sur la protection des réfugiés et rapatriés menées d’Aout à Décembre
2013, nos équipes de terrain ont identifié 54 cas des conflits fonciers opposant les résidents aux rapatriés dans les
localités de Fizi centre, Sebele, Bibokoboko, et Mboko. Etant-donné que ces localités se situent dans la zine de
retour comptant un nombre important des rapatriés dans le territoire de Fizi, ce regain des conflits rend la vie difficile
aux rapatriés qui n’ont pas eu la facilité à recouvrer leurs champs et/ ou parcelles occupées par les résidents après
leur retour. Au regard de ceci, des missions de vérification ont été organisés sur ces localités et ont permis à nos
équipes de rencontrer plusieurs personnes y compris les chefs locaux, les organisations locales de la société civile et
les parties citées comme présumées spoliateurs des terres des rapatriés dans le souci de confirmer ou infirmer ces
plaintes reçues de la part des rapatriés, afin d’en juger la pertinence et la faisabilité.
02. Activités de médiation proprement dites, approches pédagogiques utilisées
Pour éviter la duplication avec d’autres partenaires œuvrant sur la thématique et pour ne pas exacerber davantage
les conflits dans les communautés, une collaboration étroite a été établit avec les comités des rapatriés dans les
différents sites et les structures communautaires travaillant sur la même question dans les sites du projet en
l’occurrence les comités d’accueil et de réinsertion CAR appuyés par le Conseil Norvégien pour les Réfugiés NRC et
les comités de médiation et de conciliation appuyés par le HCR par le biais de son partenaire IEDA Relief.
Les séances de médiation étaient précédées par des contacts préliminaires tenus par les équipes SVH avec les
différentes parties aux conflits, à ces occasions, les visites des champs et/ ou parcelles en conflit étaient effectuées
séparément avec toutes les parties. A chaque séance de médiation étaient associés dix sages ou notables du milieu
notamment les responsables des confessions religieuses pratiquées par les parties, les chefs des villages, les
animateurs des organisations de la société civile œuvrant sur la thématique paix et transformation des conflits, les
membres des Commissions d’Accueil et de Réinsertion CAR et des Comités de Médiation et de Conciliation CMC
selon les cas, les faiseurs d’opinion influents et les responsables des comités des rapatriés. Tous ces gens étaient
sélectionnés sur base de leur influence sur les parties en conflits et le degré de crédibilité leur accordé par la
communauté.
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Mesurage d’un champ en conflit réglé à Kananda
A la fin des séances ayant abouti à un compromis de résolution, une dernière descente était effectuée pour le
mesurage de la portion de la terre en conflit et la signature d’un accord de médiation formalisée par l’autorité locale :
pour certains cas par l’administrateur du territoire de Fizi, pour d’autres cas par les chefs des collectivités secteurs,
pour d’autres par les chefs des groupements pour preuve de témoignage et de sécurité foncière.
En termes des résultats, nous avons à travers nos séances de médiation aboutit à la résolution avec signature
d’accords de médiation de 12 cas à Fizi et ses environs dont 7 cas des conflits liés aux champs et 5 cas des conflits
liés aux parcelles. A Mboko et ses environs nous sommes parvenus à la résolution de 16 cas dont 10 cas liés aux
champs et 6 cas des conflits liés aux parcelles. A Bibokoboko nous avons obtenu le compromis mettant fin à 8 cas
des conflits des champs. A Sebele le compris a été trouvé sur 11 cas de conflits dont 8 cas de champs et 3 cas de
parcelles. Ces compromis issus d’un dialogue ont marqué un pas important vers la réconciliation des personnes en
conflits rapatriés et résidents qui sont soit voisins, soit membres d’une même famille censés vivre ensemble et dont
la cohabitation pacifique est un gage pour la paix sociale dans leurs communautés respectives.
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Séance de médiation foncière à Sebele
IV.LEÇONS APPRISES
Les plus grandes leçons apprises dans le processus de médiation sont :
01.Un conflit tranché par le tribunal principal du territoire de Fizi en défaveur du rapatrié faute des documents ; a pu
être résolu autrement lorsque le résident qui a eu raison au tribunal a pris conscience et accepté de donner une autre
partie d’un champ dans le même marais favorable à la culture durant toutes les saisons au prix de la bonne
cohabitation avec son voisin rapatrié après la sensibilisation suivie des conseils lui prodigués par les équipes de
médiation. Cette expérience prouve les limites des jugements judiciaires dans la réconciliation des personnes
déchirés par un conflit et montre la force d’une sensibilisation à la paix et à la non violence. (Fizi centre)
02. Les rapatriés entre eux arrivent à s’opposer sur la légitimité de l’un ou l’autre sur une étendue de la terre, ceci
lorsque ces derniers n’ont pas été rapatriés simultanément. (Kananda, Mboko)
03. Les conflits fonciers entre rapatriés et résidents d’une part et rapatriés entre eux d’autre part revêtent parfois la
connotation des conflits de droits de succession/héritage. (Kananda, Mboko, Ssebele, Bibokoboko)
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Séance de médiation foncière à Bibokoboko
04. Les conflits de pouvoir et de limites entre les notables de moyens plateaux de Bibokoboko I et II sont de nature à
ne pas favoriser la résolution des conflits qui opposent leurs sujets dans la mesure où c’est deux entités coutumières
n’ont pas des limites physiques et les habitants dépendent du notable de leur obédience clanique ou religieuse
malgré la position géographique des villages qu’ils habitent. Cette situation met ces notables dans une position qui ne
les permettent pas de prendre une initiative de résolution de ces conflits suite à la fragilité de leur pouvoir auprès des
sujets qu’ils prétendent diriger mais qui ne reconnaissent pas leur autorité sur eux.
05. Bibokoboko : une zone montagneuse qui n’a pas assez d’espaces fertiles, ce qui fait que tout le monde envie les
étendues de terre situées dans les marais et les vallées. Cette situation fait en sorte que les personnes se déchirent
autour des espaces de moindre taille. Il en va de remarquer que les initiatives des organisations qui se veulent
neutres ont la chance de transformer les conflits fonciers d’après notre expérience.
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V.CONCLUSION
La gestion du foncier est complexe surtout entre la législation congolaise qui coexiste avec les coutumes locales
vivaces. L’expression la plus flagrante de cette réalité apparait lorsqu’un conflit oppose un ou plusieurs personnes. La
tendance de l’état est de réserver l’exclusivité du règlement des conflits fonciers à l’autorité judiciaire. La Pratique
montre cependant que cette approche n’est toujours pas efficace. Non seulement ce n’est pas à la loi que les parties
se référent pour se justifier; mais encore le juge n’est pas l’autorité à laquelle elles recourent spontanément pour
régler leur différend. De plus, de nombreuses informations montrent que même en cas d‘intervention du juge, la
décision judiciaire qui en découle n’est pas effectivement mise en œuvre pour diverses raisons. La négociation, la
médiation et la conciliation sont nécessaires dans la prévention et la résolution des conflits. Il est indispensable que
les conflits soient réglés au niveau de la communauté ou du village dans le souci de la cohésion et d’une
réconciliation durables. Les mécanismes alternatifs de gestion de conflits fonciers méritent donc d’être explorés.